Made in France, texte et mise en scène de Samuel Valensi et Paul-Eloi Forget

Made in France, texte et mise en scène de Samuel Valensi et Paul-Eloi Forget

Après fait des années de taule pour une mort qu’il aurait provoquée, Emile a obtenu que sa peine soit aménagée : il ira travailler le jour dans une usine et dormira au centre de détention… Mais le rêve d’une future réinsertion sociale prend vite des allures de cauchemar: la grosse boîte à qui appartient l’usine où il est employé comme « technicien de surface », va délocaliser toute la production de pièces détachées… à l’étranger.
Émile, un homme jeune,  n’aura plus d’autre choix, s’il ne veut pas être au chômage et obligé de retourner en prison à plein temps, devra être le meilleur des représentants syndicaux et négocier dur avec le Ministère de l’Industrie pour essayer de sauver, sinon tous les emplois des copains et le sien, du moins la majorité…
Mais dans l’usine les relations sont tendues en particulier entre la chef syndicaliste et Emile. .. »Martineau – Dans quelques minutes, il y aura deux Émile possibles. Émile n°1, mon préféré, va devenir le prochain représentant syndical de l’usine. Il va raconter tout ce qu’ils veulent entendre à Nadia et aux autres mais, en secret, il va m’aider à annuler la visite du repreneur… Émile – Mais il y a la ministre qui va…/Martineau – Arrêtez avec la ministre. Y’aura pas de repreneur. Le groupe ne vendra pas. Y’a rien à sauver. Il faut négocier nos licenciements. Si tu te présentes pas, c’est Nadia qui va le faire, elle va foutre une pile de pneus devant l’usine, y foutre le feu, nous faire casser les dents par les CRS, nous obtenir une prime de départ au ras des pâquerettes et une convocation devant le tribunal. Donc Émile n°1 va m’aider à annuler cette visite, parce qu’Émile n°1 fait tout ce que je lui dis de faire. »

© Jules Despretz

© Jules Despretz

Diplômé d’H.E.C., Samuel Valensi connait bien sans aucun doute la chanson des crises industrielles et économiques en France où la production a reculé de 1,2 % sur un an, au quatrième trimestre 2024… Les causes sont bien connues avec entre autres, délocalisations massives, baisse de la consommation en France  des produits industriels  et coûts salariaux, concurrence, notamment  asiatique, redoutable. Le grand patronat veut satisfaire ses actionnaires mais doit aussi négocier avec les syndicats, le personnel étant alors une simple variable d’ajustement. Les ministères concernés, celui de l’Industrie, et de l’Emploi, essayant mais sans aucune illusion, de sauver les meubles! Quant au locataire de l’Elysée, il sait bien que la politique industrielle française dépend de Bruxelles et que son pouvoir décisionnaire est limité. Et il pense aussi toujours à sa prochaine réélection, quitte à faire semblant d’aider cette usine, alors que c’est financièrement impossible.

Samuel Valensi avait déjà dans Coupures traité d’un thème  connu mais rarement traité au théâtre : le débat démocratique, notamment quand il faut voter dans une commune rurale une installations d’antennes-relais à la fois indispensables aux liaisons de téléphones portables mais créant des ondes toxiques. Mais dans ces cas-là, que vaut l’action de maires de villages contre la toute puissance de l’Etat, bien mieux armé sur le plan juridique? Une lutte du gros pot de fer contre un petit pot de terre…
Comme sauver une entreprise déficitaire et sans avenir, même ses employés comme l’ex-chef syndicaliste  n’y croient pas. Et les ouvriers savent que Casagrande le repreneur ne fera aucun cadeau: « Faute intentionnelle, faute lourde, ça vous parle ? Vous êtes tous virés, sans préavis, sans indemnités. Et si vous êtes pas d’accord, vous pourrez en parler à mon armée d’avocats dans trois ans aux prud’hommes quand je reviendrai de vacances. Vous croyez que j’en ai quelque chose à foutre de votre usine ? Du bordel que vous avez foutu ? Vous croyez que vous allez m’empêcher de dormir ? Vous savez combien je pèse ? Vous croyez que je peux pas faire une mauvaise opération ? Je liquide le site. Demain matin. Vos machines, je vais même pas les revendre, je vais les broyer. Et si, après ça, vous retrouvez du travail, je rachèterais la boîte où vous bosser rien que pour vous re-virer. Vous savez pas qui je suis. Je suis pas tout seul. J’ai des fonds d’investissement avec moi. Partout où vous irez, il y aura mon pognon. Vous êtes cernés. »

Et là avec Made in France comme dans  Coupures,  on a l’impression d’une France coupée en deux: un monde ouvrier et rural, le plus souvent mal payé et celui de l’Elysée, du Premier Ministre et des énarques parisiens, incapables, entre autres, de mettre un peu d’ordre dans la gestion lamentable des lignes Intercités et TER…

Ici, Samuel Valensi et Paul-Eloi Forget reprennent avec une grande maîtrise la même dramaturgie qui leur a réussi: courts dialogues, nombreux personnages, thème actuel et populaire pour raconter avec saveur et fluidité, un conflit d’intérêts à l’échelle d’une région et d’un pays. Avec les mêmes acteurs  solides jouant plusieurs rôles : June Assal, Michel Derville en alternance avec Bertrand Saunier, Thomas Rio (en alternance avec Paul-Eloi Forget), Valérie Moinet (mention spéciale à cette actrice qui interprète de façon exemplaire une ex-syndicaliste et la Ministre) et Samuel Valensi. Remarquablement dirigés et tout à fait crédibles, ils ont une excellente diction et une gestion précise. Cette fois, ce n’est plus Lison Favard au violon mais,  Mélanie Centenero ou Chloé Denis à la batterie, chargée de temps à autre, d’aérer les choses. Mais le niveau sonore est nettement trop élevé: à revoir d’urgence…

Cela dit, Made in France est un spectacle intelligent dans la veine d’un théâtre d’agit-prop. Et même si le texte, un peu trop long, peine sur la fin que nous ne dévoilerons évidemment pas, Samuel Valensi et Paul-Eloi Forget maîtrisent bien une nouvelle fois ce petit espace. Mais il leur faudrait diminuer la fréquence de manipulation à vue des châssis noirs: c’est lassant, souvent inutile et  parasite le jeu ! Et ils auraient pu nous épargner ces jets de fumigène avec ou sans  umière rouge intense autour de la batteuse qui ne servent strictement à rien!  Ces réserves mises à part, Made in France qui traite de questions socio-politiques et écologiques actuelles, tient la route. Il va-sans difficulté- faire un tabac au prochain off d’Avignon, dont les prix et la fréquentation sociale ne sont pas les mêmes que dans le in… Dans un Théâtre de Belleville plein, le public-assez jeune-l’a chaleureusement applaudi.

Philippe du Vignal
Jusqu’au 15 avril , Théâtre de Belleville, 16 passage Piver, Paris  (XX ème). T. : 01 48 06 72 34.
Et en juillet au festival off d’Avignon.

 

 

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