Festival au Nouveau Théâtre de l’Atalante Seules face à lui, texte, conception et mise en scène de Claire- Bosse-Platière
Festival au Nouveau Théâtre de l’Atalante
Seules face à lui, texte, conception et mise en scène de Claire Bosse-Platière
Le Nouveau Théâtre de l’Atalante dirigé par Bruno Boulzaguet, depuis 2022 accueille les créations de compagnies « émergentes ». Sur plus de trois décennies, ce théâtre animé par Alain-Alexis Barsacq et Agathe Alexis, a révélé nombre d’artistes-dont Bruno Boulzaguet qui, avec l’assentiment des anciens directeurs, a proposé à la D.R.AC.-Île-de-France de recentrer l’activité de ce petit lieu sur l’émergence de jeunes compagnies et en leur apportant son soutien en production et diffusion. Sélectionnées sur appels à candidatures, les équipes ont accès à trois dispositifs: 1) Celles commençant un parcours se voient offrir une dizaine de jours de laboratoire, pour élaborer une maquette et la présenter à des producteurs potentiels. 2) Avec un projet plus avancé, un partenaire financier et des possibilités de diffusion, une compagnie bénéficie d’une résidence de création pour deux semaines. Mais aussi d’un accompagnement pour établir un budget, demander subventions et aides à des sociétés civiles et/ou du Fonds national pour l’emploi dans le spectacle (FONPEPS). Et la possibilité de jouer dix fois. 3) Enfin,des spectacles diffusés-mais dont les compagnies voudraient qu’ils soient vus à Paris-sont programmés lors d’un «tremplin»; elles reçoivent alors l’intégralité des recettes. « Nous nous refusons en effet, dit Bruno Boulzaguet, à pratiquer la co-réalisation, qui pénalise souvent les artistes et ne leur permet pas d’exercer leur métier dans des conditions décentes. Le Nouveau Théâtre de l’Atalante doit devenir un lieu où les professionnels peuvent découvrir comédiens, metteurs en scène ou auteurs. Mais cette attention à l’émergence passe aussi par une formation initiale et la Jeune troupe abrite amateurs et étudiants en théâtre qui participent à des créations. Ils peuvent aussi préparer les concours d’entrée aux conservatoires municipaux et Ecoles supérieures. Le Nouveau Théâtre de l’Atalante a reçu le soutien renouvelé de la D.R.A.C/Île-de-France et de la mairie du XVIII ème arrondissement mais Bruno Boulzaguet, aimerait convaincre la Région et la Ville de s’engager à ses côtés.
Ce texte s’inspire une tragédie qui avait secoué le Canada et le monde entier : en 89 à l’École polytechnique de Montréal, un élève de vingt-cinq ans Marc Lépine (né Gamil Gharbi) va tuer en moins de vingt minutes, avec une carabine légalement obtenue, quatorze femmes! Il en blessera onze autres et trois hommes, puis se suicidera. Sa mère, dit «qu’il en avait marre de se faire traiter d’Arabe par d’autres ados». Le tueur, lui, avait clamé à voix haute, et dans les lettres retrouvées sur lui, qu’il voulait tuer des féministes. Aussi inquiétant: les milieux masculinistes québécois ont dit leur admiration pour lui !
L’autrice et metteuse en scène sait mettre en valeur la violence sexiste qui devient systémique. Pas une ville qui ne soit épargnée, quel que soit l’âge des femmes… Sur le petit espace noir de l’Atalante, juste deux chaises grise en fer, six actrices et un acteur. Peu de lumière autre que celle de deux courtes rampes suspendues. Salomé Benchimol, Paul Delbreil, Claire Bosse-Platière, Fanny Kervarec, Gwenaëlle Martin, Emma Prin et Nadège Rigault bien dirigées sont tout à fait crédibles: diction et gestuelle parfaites. Elles interprètent avec une maîtrise remarquable et sans aucun pathos, dix personnages sans patronyme, juste indiqués par leur situation ou leur travail: La Femme qui meurt, La Femme qui parle, l’Homme qui tue, le Policier, l’Elue régionale, etc. On pense, bien sûr, aux noms que donne à ses personnages le grand Valère Novarina.
Les courtes scènes se succèdent avec fluidité et Claire Bosse-Platière sait faire parler les actrices et le seul acteur du spectacle : » Haïr. Je hais les femmes, les féministes. Elles en veulent plus, pour m’en laisser moins, des miettes. Haïr, piétiner et les faire taire une bonne fois. Anéantir les femmes, les féministes. Anéantir leurs manies, leurs manigances, leur manipulation, leurs messes basses, leur misérabilisme, leur victimisme, leurs défaillances, leur défiance, leur volonté de soumettre, castrer, humilier, leurs revendications, leur incapacité au sacrifice, leurs talons hauts qui claquent, leurs mains dans les cheveux qui jouent, leur dégoût, leurs jeans serrés, leurs jupes, leurs bas filés, leurs bouches roses, leur frénésie de vouloir ce qu’elles n’ont pas, ce qu’elles n’auront jamais, leur bêtise. »
Ou encore: « Des hommes grandissent avec la certitude que les femmes sont la cause de tous les torts, de tous leurs maux, leur frustration, qu’ils ne seront jamais aimés, jamais touchés,qu’ils sont les grandes victimes de ce siècle. Ces hommes tuent encore des femmes en son nom. Trente ans plus tard ! Vous comprenez ce que ça veut dire ? »Bref, un texte bien écrit ciselé mais un peu touffu que Claire Bosse-Platière a parfois du mal à mettre en valeur… Entre autres, elle devrait éviter de faire crier ses interprètes, surtout sur un aussi petit plateau. A cette réserve près, ce spectacle qui flirte avec un théâtre d’agit-prop, mériterait qu’elle en fasse une version tréteau/rue, à l’heure où, dit-elle «le masculinisme prend de l’ampleur à travers le monde. » Les choses sont, hélas! dans l’air du temps et ce spectacle est joué à Paris, au moment où a lieu le procès de Gérard Depardieu et où, dans le monde de la Culture et du théâtre que l’on pouvait-naïvement?- croire exemplaire, les révélations sur les nombreuses violences sexistes apparaissent au grand jour. Cette semaine encore, le Théâtre du Soleil, compagnie emblématique qui vient de fêter son soixantième anniversaire, est, elle aussi, touchée. «Il ne pouvait rien nous arriver de pire, a dit sa directrice, Ariane Mnouchkine.» Ce travail encore brut de décoffrage, n’est pas sans défauts: entre autres, des costumes assez laids, une lumière souvent sépulcrale mais il a une rare qualité de jeu et d’écriture, notamment dans cet épilogue: « Nos corps rabaissés drogués mutilés excisés violés battus tués lapidés nos corps à moitié enterrés nos corps panneaux publicitaires nos corps cobayes nos corps trophées nos corps serpillières nos corps paillasses nos corps pissotières nos corps péchés nos corps trafic nos corps ventes nos corps orifices nos corps fentes nos corps bleus nos corps cibles mouvantes nos corps tombes Seules face à lui nos corps prisons nos corps bombes nos corps charbons nos corps cendres nos corps poussières dans le vent et nos cœurs ? nos cœurs? » Nous espérons qu’à lire ces extraits, vous aurez envie d’aller découvrir ce texte, ou de le lire. Vraiment, cela vaut le coup d’y aller voir .
Philippe du Vignal
Jusqu’au 31 mars, au Nouveau Théâtre de l’Atalante, 10 place Charles Dullin, Paris (XVIII ème). reservation@theatre-latalante.com
Ensuite, le festival continue (voir sur ce site).
Les 20 et 21 septembre, Théâtre El Duende, Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) et les 25 et 25 septembre, L’Anis Gras le lieu de l’autre, Arcueil (Val-de-Marne)
Et les 10, 12, 17, 19, 24 et 26 septembre Les 3 T, Saint-Denis ( Seine-Saint-Denis).
Le texte est édité chez L’Oeil du Prince. De la même autrice J’ai toujours voulu faire bien, aux éditions L’Échappée Belle.
Le festival Lectures actuelles aura lieu du 6 au 13 juin au Nouveau Théâtre de l’Atalante.