Taire, texte et mise en scène de Tamara Al Saadi
Taire, texte et mise en scène de Tamara Al Saadi
Sur scène, douze interprètes… »Tamara Al Saadi travaille sur la construction des identités, notamment à l’adolescence et donne une place centrale aux voix de femmes, avec humour et tendresse. ( sic) (…) L’ensemble des événements que traversent la jeune Eden lors de son parcours de famille d’accueil en foyer, sont le fruit de témoignages directs d’enfants placés, d’éducateurs spécialisés et de responsables de l’aide sociale à l’enfance en Seine-Saint Denis et dans le Gard.
«Dans un spectacle brûlant et poétique (sic) Tamara Al Saadi compose sa propre version du mythe d’Antigone. Avec, en miroir, l’histoire d’Eden, une jeune fille placée dans des familles successives par l’Aide Sociale à l’Enfance.A partir de témoignages recueillis en Seine-Saint-Denis et dans le Gard. de professionnels de l’Aide Sociale à l’Enfance et de jeunes en milieu hospitalier. (…) « Et Tamara Al Saadi accordera une grande importance, à la direction des acteurs, à la présence de leurs corps au plateau, à la construction d’un geste choral, à une scénographie épurée, à l’intrication des langues, de la musique et des sons.
C’est bien joli de s’envoyer, avec un poil de prétention, quelques fleurs… Mais, soyons clairs, cette réalisation n’a rien de bien convaincant. Tamara Al Saadi a écrit un texte à partir de l’Antigone de Sophocle et des Sept contre Thèbes d’Eschyle, une tragédie qu’avait montée Bertrand Jérôme avec le Groupe de Théâtre Antique de la Sorbonne en 1960. (Il fut ensuite le créateur de Des Papous dans la tête à France-Culture).
L’immense dramaturge y raconte la guerre de sept chefs, née d’un conflit entre Étéocle et Polynice, les frères d’Antigone et d’Ismène, qui, après la mort de leur père Œdipe, régneront sur Thèbes à tour de rôle. Mais Étéocle refusera de laisser sa place à Polynice qui, avec l’armée d’Argos, veut reprendre la sienne. Et il pousse le peuple à défendre Thèbes: l’armée d’Argos est proche. Des jeunes filles crient leur peur de devenir esclaves et/ou prostituées: la loi habituelle de la guerre… Elles en appellent aux Dieux, provoquant la colère d’Étéocle, à l’heure où il doit protéger la cité.. Chacune des sept armées, dirigée par un grand chef, va attaquer. Étéocle combattra celle de Polynice, son frère. Même s’il connaît la malédiction de leur père Oedipe: Polynice va le tuer et il le tuera aussi. Thèbes sera sauvée mais au prix de la mort de ces frères ennemis.
Étéocle sra enterré mais Créon, le père d’Antigone et nouveau Roi, décide que le corps de Polynice, sera laissé au soleil pour servir d’exemple aux ennemis.. Il le fait surveiller et annonce que sera exécuté celui qui lui offrirait une sépulture. Mais-et ce sera le thème de la pièce de Sophocle- Antigone, sa sœur, enterre Polynice. Créon, furieux, la condamnera à être emmurée. Hémon, fils du roi et fiancé d’Antigone, demande en vain à son père de l’épargner. Mais elle se suicidera et lui aussi. Jocaste, leur mère qui est aussi la mère et l’amante d’Oedipe, se pendra, et lui, se crèvera les yeux. Sophocle mettait déjà en cause le pouvoir patriarcal de Créon, face à une très jeune femme refusant d’obéir et de se taire (d’où le titre du spectacle).
Et cela donne quoi? Le spectacle, après une tournée, est sans aucun doute bien rodé mais nous n’y avons pas trouvé notre compte…Tamara Al Saada sait créer un climax, quand, pour dire la guerre, elle met en scène une voix de femme et douze acteurs et musiciens qui, tous en costume noir, frappent sur le bois des bancs, ou claquent des mains en rythme. Là, elle a une maîtrise indéniable du plateau et atteint quelque chose de fort. Il y a aussi, presque à la fin, une belle scène où la jeune fille retrouve le fils maintenant adulte de la famille d’accueil, avant d’être encore déplacée. Un peu mélo mais Tamara Al Saadi arrive à créer une véritable émotion.
Et puis, elle a conçu avec un grand et beau châssis noir, avec portes et fenêtres où apparaissent les personnages. Et le préambule-très bien joué-où un jeune soldat en treillis et casqué va raconter l’histoire, est aussi un bon moment… Mais la distribution (Manon Combes, Ryan Larras, Mohammed Louridi, Chloé Monteiro, Mayya Sanbar,Tatiana Spivakova, Ismaël Tifouche Nieto, Marie Tirmont, Clémentine Vignais et plus spécialement au chant et à la muisque Bachar Mar-Khalifé, Eléonore Mallo et Fabio Meschini) est inégale.
Ce texte compliqué où il est question, une fois de plus, de l’héritage mental pesant sur les enfants, a quelques chose de prétentieusement tricoté et ne tient pas la route, en deux heures bine longues… De petite scène en petite scène, Tamara El Saada enfile les erreurs et stéréotypes sans aucun état d’âme : incessants déplacements d’un escalier, d’un grand et haut praticable en fer et de quatre bancs, le tout sur roulettes avec allers et venues des interprètes. Comment la metteuse en scène ne voit-elle pas que cette redoutable manie actuelle casse le rythme et parasite l’action scénique?
Et, bien entendu, autre manie actuelle, nous avons eu aussi droit aux épaisses couches de fumigène qui semblaient avoir disparu mais, pour nous, les troisièmes en une semaine. Tous aux abris…
Pourquoi la plupart des scènes-une mode qui ne date pas d’hier sont-elle jouées, sauf à de rares moments, dans la pénombre? Et pourquoi ce fond de scène éclairé en bleu vert, ou rouge avec, devant, les acteurs en ombres chinoises? Un procédé mis au point par Bob Wilson qui fait de l’effet mais qui, depuis, est imité partout Et la metteuse en scène aurait pu nous épargner ce long et facile jet de sable rouge tombant sur les protagonistes et cette lumière aussi rouge… Pour dire le tragique?
De belles images sans doute mais là aussi très souvent vues. Et plus aucun jeune metteur en scène n’ose plus utiliser ce jeu scène/salle?Tout cela, sous des aspects de pseudo-modernité est un peu ennuyeux, n’a rien d’original, et fait quand même vieux théâtre…
On aurait bien aimé que Tamara El Saada monte juste Les Sept contre Thèbes, ou Les Perses où Eschyle, il y a déjà vingt-cinq siècles, racontait en une heure avec un chœur de vieux, et seulement quatre personnages dont un Messager arrivant épuisé annoncer la défaite de l’immense armée marine et terrestre perse, emmenée au delà du Bosphore par Xerxès, le jeune roi présomptueux envahir la petite Grèce. Il y aussi sa vieille mère Atosssa et l’ombre de Darios, son père ressurgit de son tombeau, appelé au secours par les Vieux désespérés. Tiens, au moment où, souvent au théâtre, on nous rebat les oreilles avec les histoire de filiation…
Recréer cette tragédie avec, en arrière-plan, ces centaines de milliers de morts, exigerait sans aucun doute un gros travail. Mais, en ces temps de guerre existantes et à venir, quelle force, cela aurait ! Et le jeune Roland Barthes et ses copains de Sorbonne avaient bien visé, quand en 36, donc juste avant le deuxième conflit mondial, ils avaient pour le Groupe de Théâtre Antique qu’il avaient créé, demandé à Maurice Jacquemont, un acteur des Copiaux de Jacques Copeau, de mettre en scène ces Perses… Le spectacle créé dans la cour de la Sorbonne devant un millier de personnes, sera vite devenu culte et joué…plus de trente ans en France et à l’étranger!
Au fait, du Vignal, soyez franc: cela vaut-il le coup d’aller voir ce Taire? Nous ne vous y pousserons pas…
Philippe du Vignal
Jusqu’au 8 avril, Théâtre Gérard Philipe-Centre Dramatique National, 48 avenue Jules Guesde, Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). T. :01 48 13 70 00.