La Cerisaie d’Anton Tchekhov, traduction d’André Markowicz et Françoise Morvan, mise en scène de Clément Hervieu-Léger
La Cerisaie d’Anton Tchekhov, traduction d’André Markowicz et Françoise Morvan, mise en scène de Clément Hervieu-Léger
C’est une reprise du spectacle créé en 2021. La scénographie d’Aurélie Maestre transporte aisément le spectateur au début du siècle dernier, avec des témoignages signifiants d’un passé révolu : billard, éventail, samovar, hauts murs en bois témoignant d’un glorieux passé familial, vieilles valises… Et Bruno Bouché, chorégraphe a donné une belle fluidité aux mouvements des personnages. Une cerisaie et la maison, propriété de la famille Ranevskaya vont être mise aux enchères pour payer les dettes accumulées. Liouba, sa propriétaire (interprétée avec sensibilité par Florence Viala) revient de Paris où elle vit dans un monde loin des réalités matérielles de l’époque. Gaev, son frère (Éric Génovèse très convaincant) est lui aussi insouciant. Seul Lopakhine « fils de Moujik» comme il se décrit lui-même (ténébreux Loïc Corbery) garde les pieds sur terre. Devenu entrepreneur, il veut acheter cette terre et les cerisiers pour y construire des datchas. Ce qui se réalisera….
Ici, la cerisaie est représentée par un tableau impressionniste, véritable métonymie de ces arbres centenaires, symbole d’une nature fragile, vouée aux futurs coups de hache qui se feront entendre à la fin… Une longue descente aux enfers vers la modernité commence pour cette famille qui s’accroche à un ancien mode de vie, bohème et irresponsable… Dans une lettre, Stanislavski écrit à Anton Tchekhov le 22 octobre 1903 : «La Cerisaie est votre meilleure pièce. Je m’y suis attaché plus qu’à notre chère Mouette. Ce n’est pas une comédie, pas une farce, comme vous me l’écriviez, c’est une tragédie, quel que soit le chemin vers une vie meilleure que vous ouvrez au dernier acte. Cela fait une impression énorme… » Les acteurs de la Comédie-Française et le metteur en scène réalisent ici parfaitement leur mission : servir un texte théâtral qui se suffit à lui-même, sans aucun ajout superflu où est dépeint cette société russe en déliquescence, la fin d’une certaine aristocratie et du servage. «Que la propriété, aujourd’hui, soit vendue ou non, quelle différence? Tout cela est fini depuis longtemps, on ne peut pas revenir en arrière, dit Trofimov (joué avec un cruel réalisme par Clément Hervieu-Léger), l’herbe a envahi le sentier. Calmez-vous, ma chère amie. Ne vous faites pas d’illusions. Pour une fois dans votre vie, regardez la vérité en face. » «La Cerisaie, dit le metteur en scène, raconte la fin d’une époque. Dans une Russie en plein bouleversement, après l’abolition du servage en 1861 par le tsar Alexandre II et, à la veille de la révolution de 1905, Anton Tchekhov nous parle de cette aristocratie qui refuse de regarder l’avenir en face et qui se trouve, malgré elle, confrontée à une nouvelle donne socio-politique. Critique de la société russe de l’époque, cette pièce est aussi d’actualité dans un Occident qui bascule chaque jour plus dans un monde de marchands qui parviennent aux postes à responsabilité politique et gouvernent leur pays comme des entreprises qui doivent être très rentables surtout pour eux. L’humain comme la Nature, sont exclus de leurs plans…
Jean Couturier
Jusqu’au 1er juin, Comédie française, 1 place Colette, Paris ( Ier). T. : 01 44 58 15 15.