La Cerisaie d’Anton Tchekhov, traduction d’André Markowicz et Françoise Morvan, mise en scène de Clément Hervieu-Léger

La Cerisaie d’Anton Tchekhov, traduction d’André Markowicz et Françoise Morvan, mise en scène de Clément Hervieu-Léger

C’est une reprise du spectacle créé en 2021. La scénographie d’Aurélie Maestre transporte aisément le spectateur au début du siècle dernier, avec des témoignages signifiants d’un passé révolu : billard, éventail, samovar, hauts murs en bois témoignant d’un glorieux passé familial, vieilles valises… Et Bruno Bouché, chorégraphe a donné une belle fluidité aux mouvements des personnages. Une cerisaie et la maison, propriété de la famille Ranevskaya vont être mise aux enchères pour payer les dettes accumulées. Liouba, sa propriétaire (interprétée avec sensibilité par Florence Viala) revient de Paris où elle vit dans un monde loin des réalités matérielles de l’époque. Gaev, son frère (Éric Génovèse très convaincant) est lui aussi insouciant. Seul Lopakhine « fils de Moujik» comme il se décrit lui-même (ténébreux Loïc Corbery) garde les pieds sur terre. Devenu entrepreneur, il veut acheter cette terre et les cerisiers pour y construire des datchas. Ce qui se réalisera….

©  Comédie-Française Vincent Pontet

© Comédie-Française Vincent Pontet

Ici, la cerisaie est représentée par un tableau impressionniste, véritable métonymie de ces arbres centenaires, symbole d’une nature fragile, vouée aux futurs coups de hache qui se feront entendre à la fin… Une longue descente aux enfers vers la modernité commence pour cette famille qui s’accroche à un ancien mode de vie, bohème et irresponsable… Dans une lettre, Stanislavski écrit à Anton Tchekhov le 22 octobre 1903 : «La Cerisaie est votre meilleure pièce. Je m’y suis attaché plus qu’à notre chère Mouette. Ce n’est pas une comédie, pas une farce, comme vous me l’écriviez, c’est une tragédie, quel que soit le chemin vers une vie meilleure que vous ouvrez au dernier acte. Cela fait une impression énorme… » Les acteurs de la Comédie-Française et le metteur en scène réalisent ici parfaitement leur mission : servir un texte théâtral qui se suffit à lui-même, sans aucun ajout superflu où est dépeint cette société russe en déliquescence, la fin d’une certaine aristocratie et du servage. «Que la propriété, aujourd’hui, soit vendue ou non, quelle différence? Tout cela est fini depuis longtemps, on ne peut pas revenir en arrière, dit Trofimov (joué avec un cruel réalisme par Clément Hervieu-Léger), l’herbe a envahi le sentier. Calmez-vous, ma chère amie. Ne vous faites pas d’illusions. Pour une fois dans votre vie, regardez la vérité en face. » «La Cerisaie, dit le metteur en scène, raconte la fin d’une époque. Dans une Russie en plein bouleversement, après l’abolition du servage en 1861 par le tsar Alexandre II et, à la veille de la révolution de 1905, Anton Tchekhov nous parle de cette aristocratie qui refuse de regarder l’avenir en face et qui se trouve, malgré elle, confrontée à une nouvelle donne socio-politique. Critique de la société russe de l’époque, cette pièce est aussi d’actualité dans un Occident qui bascule chaque jour plus dans un monde de marchands qui parviennent aux postes à responsabilité politique et gouvernent leur pays comme des entreprises qui doivent être  très rentables surtout pour eux. L’humain comme la Nature, sont exclus de leurs plans…

Jean Couturier

Jusqu’au 1er juin, Comédie française, 1 place Colette, Paris ( Ier). T. : 01 44 58 15 15.

 


Archive pour avril, 2025

Comment font les gens pour penser sans écrire ?

Comment font les gens, pour penser sans écrire ?

Pour savoir ce que je pense, je suis obligé de le coucher sur papier… Autrefois, dans Cassandre, j’avais une rubrique: Théories jetables, ou je ne suis pas de mon avis. Cassandre, était un peu la revue du tiers-théâtre. Elle n’a jamais été remplacée. Je continue comme cela, tous les samedis. J’ai peu de lecteurs: une centaine environ, parfois mille, quand ça passe sur Facebook et sans doute plus, dans Le Théâtre du Blog. C’est surtout pour moi un exercice: éclaircir le foutoir et les contradictions de mes pensées. Dire du mal de Facebook est bien vu en en ce moment mais, rien que pour la rubrique d’André Marcowicz, cela vaut la peine et puis c’est une immense rubrique nécrologique… On peut aussi suivre les actualités des uns et des autres.

©x Bombardements y a quatre jours à Gaza

©x Bombardements y a quatre jours à Gaza

J’ai dans la tête énormément de sujets qui me tourmentent: je les accumule en vrac, comme les quincailleries sur les marchés. Crime contre l’humanité? Je n’arrive même pas à lire certains articles et ce qui se passe dans la bande de Gaza, j’y crois à peine: comment un Etat qui se dit juif, peut-il en arriver là? Je ne parle même plus des morts, nous sommes, hélas! habitués… Mais affamer les populations en bloquant l’accès aux camions humanitaires à  Gaza où les journalistes n’ont pas le droit d’entrer? Parfois, je me demande si le projet n’est pas tout simplement d’effacer les Palestiniens. Crime contre l’humanité ? Cela lui ressemble…

 
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©x Le  yatch de Vincent Bolloré

Riches/pauvres: on aura beau me seriner que la pauvreté n’est pas causée par les milliardaires, je n’y crois pas. Je collectionne toutes les statistiques: elles montrent que, si on taxait de 3% les dividendes et grosses fortunes, on dégagerait des sommes pharamineuses.  Tiens, par exemple, enlevez-moi 3% de ma retraite de 2.054 €, cela me ferait 60 € en moins et, franchement, les millionnaires et milliardaires ne le remarqueraient même pas. Qu’attend-on ?

L’Ukraine? Mon père est né à Odessa au bord de la Mer noire, ma grand-mère maternelle à Ismaël, au bord du Danube. Ils parlaient russe comme 17 % des Ukrainiens. A leur naissance, était l’empire russe dont  ils ont été littéralement chassés, parce que Juifs. Mais rien n’est clair… Taganrog où est né Anton Tchekhov est en Ukraine mais, pour moi, c’est un auteur russe. Ce pays  a-t-il existé un jour? Oui, depuis la chute du Mur et l’effondrement de l’U.R.S.S. Vladimir Poutine accuse ce pays d’être profondément antisémite… Mais Volodymyr Zelenski, président élu, est juif. Si je me souviens bien, ma grand-mère Livchine circulait avec un passeport Nansen. C’était entre 22 et 45, une pièce d’identité reconnue par de nombreux États et permettant aux réfugiés apatrides de voyager…  Ma grand-mère était sans nationalité mais a pu mourir en France. A ma naissance, j’étais moi-même apatride et le restais jusqu’en 47 quand mes parents, après vingt ans passés, ont enfin obtenu leur passeport. (…)

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©x  A Soumy, (Ukraine) frappe de missiles russes le 13 avril 2025

Alcool, fumette, violences, etc. En France:  5 millions d’usagers  dont 1,4 million de consommateurs réguliers et 900 000 quotidiennement pour l’année 2023 et 1,1 million de personnes ont consommé au moins une fois de la cocaïne…Un marché énorme tenu par 240.000 organisateurs et un chiffre d’affaires entre trois et six milliards d’€.. Quand je fais mon enquête, je peux assurer qu’haschisch et cocaïne ne rendent pas violents mais l’alcool, oui, et c’est un véritable fléau: accidents, violences conjugales, écarts de conduite, incivilités…
Il y a environ six millions de véritables alcooliques et quarante-deux millions de Français en consomment de l’alcool et sa consommation excessive, notamment chez les jeunes,  a été responsable de 246 000 hospitalisations en 2023 et représente un coût social de cent-deux milliards pour la société, mais on ne touchera jamais à l’alcoolisme… Et le tabac, vendu librement, coûte coûte à l’État (prévention, répression et dépenses sociales) plus de 1,6 milliard d’euros, soit 2,3% du déficit public.
Alors peut-on croire qu’en mettant «plus de six cent narcotrafiquants particulièrement dangereux» à l’isolement, on va mettre fin à la violence des gangs? Décidément, j’ai du mal à être de mon avis…

Jacques Livchine, co-directeur avec Hervée de Lafond du Théâtre de l »Unité à Audincourt ( Doubs).
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Analyse pragmatique du discours théâtral de Marivaux de Vassiliki Derizioti

Analyse pragmatique du discours théâtral de Marivaux de Vassiliki Derizioti
© Derizioti

© Derizioti

Née à Athènes, l’autrice y a vécu jusqu’à dix-huit ans et a ensuite dans les Cyclades, le Dodécanèse, le nord de la Grèce, à Nicosie mais aussi à Madrid. Elle a étudié les lettres françaises à l’Université d’Athènes et a écrit un D.E.A. sur la linguistique pragmatique avec une analyse de pièces du siècle des Lumières et de Marivaux. Recrutée en 98 comme professeur de français, elle a enseigné dans des établissements d’enseignement publics à Kos, Athènes, Thèbes, Nea Apollonia, Andros. Puis, elle a été directrice du lycée à Syros et est maintenant celle du premier lycée expérimental à Maroussi. Elle parle anglais, français, espagnol et allemand.

 
L’originalité de cette monographie écrite en français par une écrivaine grecque réside dans sa théorie linguistique sur ce dramaturge au style fait d’observations pour arriver à une conclusion générale. Marivaudage et marivauder apparus du vivant même de cet écrivain, indiquent un « mélange bizarre de métaphysique subtile, locutions triviales, sentiments alambiques et dictions populaires». Des mots  péjorativement utilisés dans la première moitié du XVIII ème siècle, par ses adversaires puristes et tenants de la tradition.

Ensuite, le célèbre auteur arriva à la mode et le marivaudage devint synonyme de grâce et tendresse spirituelle. Une autre définition, plus récente, a été proposée par le dictionnaire français Larousse vers 1900, faisant allusion à des afféteries, raffinements et galanteries…Le marivaudage renvoie en effet à un style précis qui n’a rien à voir au «je ne sais quoi» dont parlent certains auteurs. En lisant cet ouvrage, nous redécouvrons la langue magistrale du grand dramaturge. Toutes les œuvres, analysées ici, possèdent un langage codé qui incite les interprètes, comme le public, à un déchiffrage. Il parle en effet «à mots couverts» et ses personnages disent l’explicite pour faire passer l’implicite…

 
Nektarios-Georgios Konstantinidis

Editions ἡδυέπεια, Athènes (2025).

Une Mouette, d’après Anton Tchekhov, mise en scène d’Elsa Granat

 Une Mouette, d’après Anton Tchekhov, mise en scène d’Elsa Granat

Une des pièces les plus jouées de l’auteur de grand-mère ukrainienne, né à Moscou et mort en 1904 en Allemagne à quarante-quatre ans. En 1876, son père très endetté, échappe à la prison en se réfugiant avec sa famille dans la capitale. Trois ans plus tard, Anton Tchekhov, lui resté à Taganrog, fréquente le théâtre de la ville et s’inscrit à la faculté de médecine en 1879 à Moscou; il commencera à exercer en 85.
Mais pour faire vivre les siens, il collabore aussi à des revues avec des textes humoristiques, puis des nouvelles, des récits, et du théâtre: il sera un dramaturge majeur du théâtre moderne… En 96,
La Mouette créée au Théâtre Alexandrinski à Saint-Petersbourg sera un échec mais triomphera deux ans plus tard, quand Stanislavski et Nemirovitch-Dantchenko la mettront en scène au Théâtre d’Art de Moscou. S’y succèderont avec une égale réussite: Oncle Vania (1899), Les Trois Soeurs (1901) et La Cerisaie en 1904.

une mouette, salle Comédie-Française, salle Richelieu 2025 © Christophe Raynaud de Lage

 Comédie-Française, salle Richelieu 2025 © Christophe Raynaud de Lage

Elsa Granat nous offre un spectacle d’ordre herméneutique, inattendu et pointu de l’original. Elle laisse éclater une sensibilité et une esthétique hors du commun, après les nombreuses adaptations et mises en scène de cette pièce. Et Le titre Une Mouette? On peut interpréter ce spectacle comme un descendant du texte-matrice original, qui révèle un univers non contemporain mais hors du temps. Puissant dans sa théâtralité: le public est à la fois étonné et perturbé par la fragmentation du texte et ce décalage
Mais l’émotion est manifeste: on est touché par l’éclat de cette réalisation, le jeu remarquable des interprètes et la scénographie inventive que Suzanne Barbaud a élaborée pour cet espace: cadres, tulles, etc. sont mobiles et en superposition donnent
une atmosphère particulière et d’une grande poésie au spectacle.Le parc de la datcha et la présence mélancolique et colorée de la Nature, peintes en grand format sur des châssis en tissu, sont de toute beauté. Sans oublier, les rideaux rouges, emblématiques de l’art dramatique et de son lieu, un autre thème incontournable de la pièce…

Inattendues et intéressantes, la dramaturgie de Laure Grisinger et la mise en scène d’Elsa Granat mettent en avant la dimension psychique de chacun des personnages qui se révèle avec subtilité dans le jeu. Le tempo, habituellement lent, laisse place ici à une cadence fragmentée mais dense. Cela crée un flot d’images et se succèdent ainsi des ambiances contrastées. La musique et le son de John Martins viennent enrichir et renforcer la beauté de l’ensemble.

Elsa Granat réussit à faire couler la sève dionysiaque si précieuse au théâtre. Forme éclatée et texte s’harmonisent et laissent retentir le chant tragique.L’art du théâtre apparaît avec intelligence et émotion, ici merveilleusement mis en lumière, quand Anton Tchekhov évoque la position sociale de l’artiste, le parcours existentiel des interprètes et le fait d’être une femme dans ce métier.
Arkadina, actrice (prodigieuse Mariana Hands) est l’épouse de Treplev mais consacre sa vie au théâtre et négligera son fils, Treplev. La situation à la fois professionnelle et socio-politique de cette artiste, est transmise ici avec beaucoup d’esprit! Et Adeline d’Hermy est bouleversante en Nina. Ici, la question de la femme n’est pas traitée de façon agressive
mais objective : ce qui doit être défendu, est, en fonction du choix de vie, décidé librement par chacune d’elles.

Ce spectacle est aussi l’écho de thèmes chers à Anton Tchekhov: le temps qui passe et la mutation parfois douloureuse et complexe de l’ancien  vers le nouveau… Comme la trace ineffable de la vie vers la mort, du désir obsessionnel de la création toujours remise en question dans sa recherche indispensable de la modernité. L’art du théâtre doit demeurer vivant. La direction des acteurs, tous remarquables de sincérité et de grâce, et le regard de la metteuse en scène sur les personnages, nous offre Une Mouette qui va au-delà d’une adaptation au sens habituel.

Cette lecture audacieuse reste fidèle à l’esprit de La Mouette : à la surprise de ceux qui connaissent la pièce, le spectacle s’ouvre sur cinq brèves séquences à partir d’œuvres antérieures en un acte d’Anton Tchekhov: récit des origines, ce moment imprévu raconte l’enfance de l’art d’Arkadina et celle de Treplev.
Oubliées, les premières répliques:  «D’où vient que vous soyez toujours en noir? -«Je porte le deuil de ma vie. » répond Macha à Medvedenko, l’instituteur qu’elle
épousera, sans l’aimer.
Le geste dramaturgique surprenant est, pour beaucoup, pas assez clair mais a toute son importance pour Elsa Granat : au lieu de cette présence de la mort au début, elle a choisi l’inverse : l’espace précieux et fondateur d’une vie, celui de l’enfance. Mais comme on le sait, ce moment capital de l’existence se perd mais laisse des traces aussi merveilleuses, que destructrices.

À la fin, le public est enthousiaste, mais aussi troublé : c’est bon signe. Elsa Granat a réalisé un spectacle exceptionnel et déstabilisant mais sans jamais dénaturer La Mouette. Elle l’a fait tout simplement exister au cœur de notre époque, en reconstruisant sans l’adapter, ce chef-d’œuvre. Une esthétique superbe et une vision poétique lui donnent un caractère universel. La metteuse en scène nous fait partager un geste artistique étonnant, pour notre grand plaisir.
Quand la modernité s’empare d’une célèbre pièce du passé, il y a une incompréhension du public, face à l’inaccoutumé et à la prise de risque artistique.
Mais le théâtre, à cette condition, prend tout son sens et traverse le temps.

 Elisabeth Naud

 Jusqu’au 15 juillet, Comédie française, 1 place Colette, Paris ( Ier). T. : 01 44 58 15 15.

 

Les Pieds sur terre de Gilles Granouillet, mise en scène de Michel Burstin, Bruno Rochette et Sylvie Rolland


Les Pieds sur terre de Gilles Granouillet, mise en scène de Michel Burstin, Bruno Rochette et Sylvie Rolland

Cet auteur contemporain maintenant bien connu et dont nous vous avons souvent parlé dans Le Théâtre du Blog, a fondé à Saint-Etienne en 89 la compagnie Travelling Théâtre et a mis en scène des pièces de Sam ShepardJean-Claude Grumberg  et de lui-même. Puis,  il a ouvert le Verso, petit théâtre indépendant et devint ensuite auteur associé à la Comédie de Saint-Etienne jusqu’en 2010. Guy Rétoré, Gilles Chavassieux, Philippe Adrien, Carole Thibaut, Jean-Claude Berutti, Magali Léris et surtout François Rancillac, ont mis ses textes en scène.

Cet auteur de soixante-et-un ans raconte souvent la vie intime de ces femmes et hommes laissés pour compte inconnus, qui font vivre le pays dans des coins reculés grâce à un travail ingrat et mal payé. Il n’ont, bien sûr, aucun espoir de s’en sortir. Ici, cela commence par l’arrivée de Monsieur Moreau et de sa fille Suzanne qui va passer son bac. Ils viennent dire comment un événement dans leur vie les a transformés et a changé leur relation. L’épouse et mère, étant elle partie depuis longtemps…
«Le jour, dit-il, le vigile surveille la caissière. Le soir, ils dorment dans la même barre, entourés de clients. Tout ce beau monde habite le quartier des sans-valeur et des déchus. Qu’est-ce que vaut un vigile ou une caissière ? Avant, je savais. J’avais une échelle précise de la valeur de chacun, du vigile au D.R.H. Aujourd’hui j’hésite. Depuis ma dégringolade, j’ai laissé pas mal de certitudes en chemin. Monsieur Jeancolas, le directeur du magasin me l’a dit:«Moreau,vous hésitez beaucoup pour un vigile. A se demander, si vous êtes compétent.  »
Cet ex-cadre supérieur est devenu vigile dans un hyper-marché : rien d’enrichissant ni de  valorisant que ce boulot de flic qui ne peut se permettre la moindre erreur, lui-même étant contrôlé. Sinon, il a la certitude d’être viré! Dans les années soixante-dix, nous avions un peu connu une employée de grand magasin parisien qui en avait assez de faire la queue dans un autre du même groupe. Elle est sortie avec une paire de bas qu’elle voulait acheter. Coût environ cinq €! Licenciée quarante-huit heures plus tard, sans aucune indemnité. Dura lex, sed lex! Et les syndicats n’avaient rien pu faire… Et ensuite, pour retrouver du boulot !!!!

© Luca Bozzi

© Luca Bozzi

M. Moreau, donc vigile dans un hypermarché, voit ce qui a été enregistré par les caméras de surveillance : un parfum non payé dans le sac de madame Dos Santos, caissière.  Un vol flagrant. Mais horreur, il connait bien cette dame, puisqu’elle habite dans son immeuble et qu’en plus, elle a été longtemps la nounou de Suzanne. Situation cornélienne: s’il couvre ce vol indéniable, il risque fort de perdre son emploi et de se retrouver au chômage, alors qu’il lui faut seul élever sa fille. Et s’il dénonce cette femme la cinquantaine avancée, elle perdra son travail et n’en retrouvera aucun…
Cerise sur le gâteau, M. Moreau va devoir affronter Suzanne qui lui crie: « Tu pouvais faire autrement, tu pouvais la prendre à part, tu pouvais lui faire la leçon. Et il lui répond: « Tu avais d’autres solutions pour qu’elle garde sa place ? «Alors Moreau ? Pas discrète Madame Dos Santos ! Même moi je l’ai vue ! C’est mon métier, Moreau? Non, c’est le vôtre. Alors vous êtes incompétent ou complice ? » Je réponds quoi ? Il m’a dans le nez Jeancolas, depuis le début! Pour lui un vigile doit forcément s’être arrêté au certificat d’études : mon parcours ne lui revient pas. Je devrais dire : ma dégringolade l’indispose ! Savoir qu’il y a encore cinq ans, je gagnais plus que lui, ça l’empêche de dormir. Alors quoi ? Alors il me vire, il tient l’occasion qu’il attend depuis des semaines. »
Cela sonne juste et vrai comme le dialogue entre Suzanne et l’enquêtrice au commissariat de police qui travaille sur le financement  d’un voyage coûteux à Rome de Madame Dos Santos; avec M. Moreau et Suzanne qui avouera plus ou moins un chantage. Après, il est question d’un possible suicide de madame Dos Santos qui se serait jetée par la fenêtre mais non, c’était finalement juste un tapis que Suzanne devra remonter par l’escalier.
Et un certain Matthieu, un bonhomme en grande robe bonnet et longs cheveux noirs  arrive dans l’appartement de M. Moreau. Il pousse une grosse valise: « Ne fais pas l’imbécile, dans ton frigo, y’a quoi ? (…) Il me demande pour quoi faire ! Toi, quand tu vas dans ton frigo, tu y vas pour quoi faire ? J’ai croisé ta fille, beau brin de fille, félicitations ! (…) Le mieux ce serait que tu ramènes ici tout ce qu’il y a dans ton frigo. Je veux dire tout ce qu’il y a de sympa dans ton frigo : évite-moi les rognures de fromage, les bouts de pâté séché. -Je ne vous connais pas, sortez de chez-moi ? Vous entrez chez les gens avec votre valise, qu’est-ce que vous voulez ? – Tu trouves que j’ai une tête à faire du porte-à-porte ? A vendre du crédit gratuit ou des épluches légumes miraculeux? Tu me sous-estimes! Comme tous les sédentaires sous estiment les voyageurs. Le moindre toit sur la tête leur donne un sentiment de supériorité ahurissant. Regarde-moi bien. Tu m’as déjà vu. Je suis percepteur ! Percepteur ? Oh ! Il n’y a pas de sot métier. J’étais percepteur à Jérusalem ! » 

Les dialogues des Pieds sur terre sont savoureux. Même si on se perd un peu dans un scénario compliqué sans doute trop dense et  si l’auteur brasse trop de thèmes: la précarité qui ne cesse d’augmenter, la soif de consommer, la difficulté de trancher quand on est concerné personnellement, le théâtre dans le théâtre, les relations entre père et  fille, la rencontre avec un personnage hors du commun qui s’introduit chez vous… Mais qu’importe, l’ensemble avec une petite cuiller de Ken Loach, fonctionne. Et nous aimons ce côté délirant, bienvenu dans un paysage théâtral souvent trop lisse. Et il y a un petit mais bel hommage inattendu au Caravage… Et en clin d’œil, une heureuse fin comme disent nos mais anglais : M. Jeancolas qui en assez, partira à la retraite plus tôt que prévu et annulera la sanction contre madame Dos Santos…
Bruno Rochette (M. Moreau), Erine Serrano (sa Fille) et Philippe Awat dans un double rôle (Matthieu et M. Jeancolas) sont bien dirigés et tous crédibles dans ces personnages foutraques. Mention spéciale à Sylvie Rolland ( l’Enquêtrice du commissariat), plus vraie que nature.
Allez-y : c’est un bon cru Granouillet…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 30 avril, Théâtre de Belleville, passage Piver, Paris (XX ème). T. : 01 48 06 72 34.

 


 

Prière aux vivants, texte de Charlotte Delbo, adaptation et interprétation de Marie Torreton

Prière aux vivants, texte de Charlotte Delbo, adaptation et interprétation de Marie Torreton

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Cette assistante de Louis Jouvet, avant et juste après la guerre et membre des Jeunesses communistes, s’engagera en 41 dans la Résistance avec son mari Georges Dudach. l sera arrêté avec elle et fusillé au Mont-Valérien près de Paris en 42. Déportée dans le convoi du 24 janvier 1943, dit des 31.000. avec seulement deux cent trente femmes, surtout des résistantes. Charlotte Delbo sera l’une des quarante neuf à être sortie vivante de cet enfer, grâce à la solidarité inébranlable de ses camarades.


Elle écrira sur ce qu’elle a vécu:
«Puisque j’ai eu le privilège d’être témoin de ce paroxysme de l’histoire, d’y participer, la chance d’en revenir et la capacité d’écrire, eh! Bien, il n’y avait plus qu’à écrire. » Mais elle attendra vingt ans. Le Convoi du 24 janvier, Auschwitz et après, Aucun de nous ne reviendra  paraissent en 1965, Ceux qui avaient choisi en 67 Une Connaissance inutile en 70 et Mesure de nos jours en 71 et La Mémoire et les jours en 79.
Charlotte Delbo et ses compagnes, très peu et très mal nourries, mal habillées, logées dans des baraquements glacés, sont affectées aux travaux les plus durs. Avec tous les jours, un très long appel, dehors debout dans la neige… Elle a appris cinquante-sept poèmes par cœur… et se les récite pendant ces appels. Elle
pensait que, si elle ne faisait pas cet effort, elle mourrait.

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De nombreuses camarades succombaient d’épuisement ou étaient gazées, et leurs corps étaient brûlés dans les fours crématoires d’où s’échappait une insupportable odeur. Charlotte Delbo raconte qu’elles voyaient par une petite fenêtre, les cadavres gelés de ses compagnes entassés dans une cour A partir de juillet 1943, quelques-unes d’entre elles  et elle-même, après avoir été sélectionnées sont envoyées travailler dans un laboratoire. Les conditions restent très dures mais elles sont en meilleur état physique. Et elles ont l’envie et la force surtout de monter Le Malade imaginaire, d’après leurs souvenirs. Avec bien sûr, des costumes faits de bouts de tissu récupérés et des couvertures comme rideaux…

Elle échangea sa misérable ration de pain contre un exemplaire du Misanthrope de Molière que lui vend une Gitane… Comment ce livre avait-il pu arriver jusque là… Puis elle dit à ses compagnes qu’elle sait qu’elles vont être libérées. Ce qui ne se fera pas au jour prévu mais le lendemain. Elles recevront un petit colis de la Croix-Rouge canadienne avec des biscuits, un sachet de café, quelques cigarettes… Le grand luxe après des mois de privations et quand on a vécu, ce qu’elles ont subi.
Sur la petite scène nue, rien d’autre qu’une servante avec une ampoule diffusant une faible lumière qui s’éteindra au début du spectacle, et se rallumera à la fin. Marie Torreton, au centre ou appuyée sur le mur du fond, va dire d’après des textes de Charlotte Delbo toute l’horreur de ce qui a marqué le XX ème siècle à jamais. La jeune actrice, bien dirigée par Vincent Garanger, est souvent bouleversante et, en une heure et quelque, dit les choses sans jamais tomber dans le pathos. Côté éclairages, c’est moins réussi: pourquoi avoir plongé la scène dans une pénombre permanente?
A cette réserve près, cette plongée dans l’indicible, est une bonne piqûre de rappel, même s’il y a eu des adaptations au théâtre et de nombreuses lectures de ces textes  . Mais rien n’est jamais acquis et sous une forme ou une autre, ces camps sont encore d’actualité… Le public, né bien après la libération de Charlotte Delbo, est très attentif et a longuement applaudi Marie Torreton. Mais il n’y avait huit jeunes gens  Dommage. Ce bon spectacle,  mériterait, sans doute sous une forme plus courte, d’être joué dans les facs, lycées et collèges…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 24 juin (les mardis), La Scala, 13 boulevard de Strasbourg, Paris (X ème). T. : 01 40 03 44 30.

Un Démocrate, texte et mise en scène de Julie Timmerman

 Un Démocrate, texte et mise en scène de Julie Timmerman

Notre amie Christine Friedel vous avait dit le plus grand bien de ce spectacle, il y a déjà neuf ans ! (sic) et nous-même aussi, il y a sept ans lors d’une reprise au Théâtre de la Reine Blanche… Depuis ce Démocrate a beaucoup voyagé et est bien rodé.
Repris à Paris, donc cela valait le coup d’aller le revoir. Julie Timmerman dit en préambule qu’elle n’en a pas changé un mot. Edward Bernays (né 1891 et mort en 1995, donc à cent-quatre ans !) était le fils d’un grainetier autrichien émigré aux États-Unis et le double neveu de Freud (le fils de sa sœur mais aussi du frère de sa femme). Une filiation exceptionnelle!
Il refusa de reprendre la boutique paternelle et, en  dix ans, devint un spécialiste reconnu en relations publiques et communication. Autrement dit en propagande commerciale et surtout politique. Un maître dans le genre, capable sans aucun état d’âme et grâce à des stratégies très élaborées, de faire tout acheter à une population, vue comme infantile et rêvant de consommer. Avec, hélas, une singulière efficacité…

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Edward Bernays a adapté certaines théories de son tonton… au plus grand profit du capitalisme. Il se veut démocrate et dit surtout, ne pas vouloir dominer. Question de sémantique. Où commencent la domination et une entreprise d’influence des plus sournoises? Barnays fournira, en 1917, les arguments indispensables au président démocrate et pacifiste Wilson pour faire entrer son pays en guerre…Pas mal!
Joseph Goebbels avait chez lui Propaganda où Barnays explique comment manipuler mais il dit que cela ne le regarde pas: «Ce sont des fous!» Barnays voulait non pas vendre mais, plus malin, réussir à faire vendre ce pourquoi on le payait grassement: cigarettes, carrières d’hommes politiques, etc. Et plus tard en 54, il aidera la C.I.A. à fabriquer un coup d’État au Guatemala, après une violente campagne de presse contre Jacobo Árbenz Guzmán, président de la République, en l’accusant d’être communiste. Pour sauver les intérêts de l’United Fruit Company et soutenir l’entreprise de désinformation (fort lucrative!) des lobbys sur le tabac.
Les plus grossiers mensonges sont d’une singulière efficacité pour manipuler l’opinion au seul profit du capitalisme. Et cela a fonctionné, toujours et même mieux que jamais… Comme plus tard les mensonges-on ne disait pas encore «fake news »- sur les prétendues armes de destruction massive en Irak.

Principe absolu et génial: «Souffler aux gens les rêves, avant qu’ils les aient rêvés», et donc les faire consommer n’importe quoi et quand on veut. Par exemple, les cigarettes Lucky Strike: «Ce n’est pas comme s’il y avait un accident d’avion et deux-cent morts d’un coup. Les morts de la cigarette-s’il y en a-se remarquent moins, dilués dans le temps». Mais il était sans aucun doute méfiant  « Ceux qui, écrivait Nicolas Machiavel, de particuliers, deviennent princes seulement par les faveurs de la fortune, ont peu de peine à réussir, mais infiniment à se maintenir. » Et ce n’est pas pour rien que le terrifiant Joseph Goebbels, l’un des nazis les plus  influents, utilisait ses théories…

Sur le plateau, une longue table noire,  quelques chaises et, à cour, un micro sur pied. Anne Cressent, Jean-Baptiste Verquin, Mathieu Desfemmes et Julie Timmerman passent d’un personnage à l’autre avec virtuosité. Et ils jouent tous ce Bernays  à tour de rôle, avec, juste sur la poitrine, un petit bandeau au nom d’Eddie. Il y a d’excellents moments comme l’évocation de cette campagne Lucky Strike rendue très vivante par les comédiens.
Barnays avait en effet réussi à convaincre les féministes qui, comme toutes les femmes, ne fumaient pas, et en tout cas, jamais dans la rue -comme en France jusqu’en 68-de devenir libres justement en fumant… Barnays a compris que rien ne servait à faire dans la finesse et que plus c’était gros, mieux cela passait dans l’opinion! Et il organisera un défilé de fumeuses avec pancartes où est inscrit: Les Torches de la liberté. Vous avez dit pervers et diabolique ?

Julie Timmerman maîtrise mieux qu’avant, la suite de ce spectacle flirtant avec l’agit-prop mais qui avait tendance à faire du sur-place. Un Démocrate est encore plus solide mais nous avons les mêmes réserves: elle aurait pu nous épargner cette bombe à paillettes (en rien écolo!) et le nuage de fumigènes à la fin avec renversement du mur du fond où les acteurs vont accrocher des photos qui parasitent l’action.
On aurait aussi bien aimé que Julie Timmerman évoque le début de cette année 1925 où, sous Trump, les méthodes Barnays ont encore progressé, pour le plus grand bienfait de la démocratie, bien sûr… et  encore pratiquées à grande échelle. Même à l’heure d’Internet, fleurissent encore et toujours truandages sémantiques, mensonges grossiers, manipulations de statistiques, détournements d’attention…et changements brutaux de politique pour déstabiliser l’opinion… chers au bel emperruqué-maquillé et à la Maison Blanche. Mais aussi entre autres, sur l’alimentation en France… Et les bonnes vieilles ficelles de Barnays sont encore enseignées mais avec d’autres mots, dans les écoles d’administration et de commerce, et appliquées avec plus ou moins de nuances au plus haut sommet des Etats, surtout en cas de conflit avec d’autres…
Dix ans après, ce spectacle, joué par les mêmes interprètes sauf une, et dans la même mise en scène, est resté intact et virulent. Ce qui est rare…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 26 avril, Théâtre de la Concorde, 1-3 avenue Gabriel, Paris (VIII ème). T. : 01 71 27 97 17.

 

Et à la fin, ils meurent: La sale vérité sur les contes de fées de Lou Lubie


Et à la fin, ils meurent: La sale vérité sur les contes de fées,
texte de Lou Lubie, aAntoine Brin

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Une bande dessinée devenue culte. En 2008, son autrice avait fondé le Forum dessiné où les participants échangent des dessins.  Ensuite, elle publie cinq livres à la Réunion dont elle est originaire. En 2016, elle révèle être atteinte de cyclothymie dans une bande dessinée Goupil ou face, éditée en français et en plusieurs langues.
Ecrite et dessinée il y a six ans  avec Manon Desveaux, parait La Fille dans l’écran, sur une relation amoureuse à distance entre deux femmes. Puis cette B.D. : Et à la fin ils meurent sur les contes de fées traditionnels où Lou Lubie retrace avec humour et savoir-faire, les versions d’abord orales puis éditées qui ont bercé notre enfance, avec une nette évolution des valeurs morales selon les époques. Cela va du Pentamerone de Giambattista Basile, publié à titre posthume de 1634 à 1636. Soit quarante-neuf contes populaires en napolitain, au langage assez cru: «Ah! Chenapan, fripon, pisseux, merdeux, culeron sans cervelle…  » et qui a déjà été adapté au théâtre (voir Le Théâtre du Blog).
Mais aussi notre Charles Perrault (1628-1703) célèbre pour ses Contes de ma mère l’Oye. Peau d’âne, tous  issus du patrimoine oral français et entre autres, de Virgile Apulée, Basile… Comme La Belle au bois dormant, Peau d’âne, Le Petit Chaperon rougeLa Barbe bleueLe Maître chat ou le Chat botté, Cendrillon ou la Petite Pantoufle de verre, Le Petit Poucet.. 
Il y a bien chez lui, une intention moralisatrice mais le petit chaperon rouge et sa grand-mère finissent mangés par le loup… Alors que chez les Grimm, le chasseur les sort vivantes du ventre de l’animal. Les adaptations au cinéma furent nombreuses dont celles de Michel Boisrond, Jacques Demy…  Et  au théâtre, il y eut entre autres, La véritable Histoire du chat botté de Jérôme Deschamps, Pascal Hérold et Macha Makeïeff (2009).
Moins connue, Marie-Catherine d’Aulnoy publie en 1697 ses Contes des fées, puis Les Contes nouveaux ou les Fées à la mode, devenus célèbres; empreints de merveilleux mais subversifs comme L’Oiseau bleuLa Belle aux cheveux d’or, La Biche au boisLa Chatte blancheLe Nain jauneLa Grenouille bienfaisante… là encore issus de traditions orales populaires. Enfin les philologues et frères Jacob et Wilhelm  Grimm, au XIX ème siècle écrivirent les célèbres Blanche-NeigeHansel et Gretel,  Cendrillon, La Belle au bois dormant, Le Petit Chaperon rouge , d’après Charles Perrault, Le Vaillant Petit Tailleur, Le Joueur de flûte de Hamelin, etc. Et malheureusement aussi quelques textes antisémites  dont Le Juif dans les épines. Habilement, les acteurs en parleront mais ne diront pas un mot du texte. Bien vu…
Le Danois Hans Christian Andersen (1805-1875) romancier, dramaturge et conteur est resté célèbre pour ses contes de fées, dont La Princesse au petit pois, La Petite Sirène, Les Habits neufs de l’empereur, La Bergère et le Ramoneur, La Petite Fille aux allumettes… qui furent adaptés au cinéma et en B.D. Et enfin, Walt Disney (1901-1966),  lui aussi ratissa large dès les années trente avec plus de cent films dont Blanche-Neige et les Sept Nains, ensuite Pinocchio, Cendrillon, La Belle au bois dormant…Antoine Brin le remet à l’honneur* cet auteur jugé longtemps trop sexiste:  » Ses films sont magnifiques, dit-il, mais trash, incorrects avec sang, gore et blagues de mauvais goût ! »

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©Sabrina Moguez

Le metteur en scène se livre à une relecture d’extraits de ces contes dans leur version originale: celle qu’on ne fait pas lire aux enfants, avec meurtres en série, mutilations, sexisme, violences diverses et variées, cannibalisme, adultères… Ils sont quatre à raconter et à jouer cette adaptation de la formidable bande dessinée.
Sur le plateau, côté jardin, une tour de château avec, en haut, une fenêtre où apparait souvent une tête de personnage, au centre,  un portail qui ne s’ouvrira jamais  et qui abrite un écran pour ombres chinoises; sur le pilier droit, est inscrit: Mort au patriarcat. Côté cour, un arbre peint en deux dimensions. Une scénographie parfaite deSabrina Moguez  en unité avec le texte.

Les deux acteurs et les deux actrices-diction et gestuelle impeccable-changent de costume à toute vitesse,  et sur un ton décalé et avec anachronismes, s’en donnent à cœur joie pour rendre à ces contes leur crudité originale; ils jouent les nombreux personnages et ajoutent des commentaires.  « En pointant du doigt tout ce que nous prenons pour acquis et ne remarquons même plus, dit Antoine Brin, je souhaite provoquer cette réaction double: mélange de rire et prise de conscience. »
Et Bruno Bettelheim, l’auteur de la célèbre Psychanalyse des contes de fées (1976, n’est pas épargné: à propos de Blanche-Neige ou du Petit Chaperon rouge, il voulait montrer comment ces contes répondaient aux angoisses des enfants, en leur montrant les épreuves avant d’atteindre la maturité. Depuis, il a souvent été contesté, entre autres, par des historiens, montrant que la conscience de la particularité enfantine, n’existait pas autrefois. Et jusqu’au XVII ème siècle, les contes de fées étaient plutôt destinés aux adultes…
T
oujours à cheval entre le premier et le second degré, le spectacle va parfois un peu vite… Mais quelle énergie, quelle drôlerie et quelle impertinence! La salle pleine-c’est rare, un samedi de Pâques-a longuement applaudi et à juste raison.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 24 mai, Manufacture des Abbesses, 7 rue  Véron, Paris (XVIII ème). T. : 01 42 33 42 03.

*Traduction intégrale de Françoise Decroisette (1995), éditions Circé.

** Disney-Pixar, désenchanter et réenchanter l’imaginaire de Célia Sauvage.

Le Moche de Marius von Mayenburg, mise en scène Aurélien Hamard-Padis.

Le Moche de Marius von Mayenburg mise en scène d’Aurélien Hamard-Padis.

« Je ne suis pas médecin, je suis artiste. » clame le chirurgien-plasticien (Jordan Rezgui) qui vient de transformer le visage de Lette (Thierry Hancisse). Cette pièce, écrite en 2011, est intemporelle. La dictature du «jeune et beau»: une épidémie qui sévissait déjà vers 1970. Quand Juliette Greco s’était fait refaire le nez, ensuite de nombreuses femmes avaient fini par avoir le même… Maintenant, à cause des réseaux sociaux, le phénomène s’est accentué . « C’est l’histoire d’un conformiste, dit le metteur en scène, qui finit par se noyer dans la masse. C’est l’histoire de personnes qui se font aliéner par l’artifice-même qui leur conférait une toute-puissance. C’est l’histoire d’une société malade de son idolâtrie frénétique.»

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©Vincent Pontet

Monsieur Lette, un chef de projets, doit faire une conférence pour exposer ses travaux. Mais il est éliminé par son supérieur (interprété aussi par Jordan Rezgui),  à cause de sa laideur: « Il ne va pas votre visage, vous ne pouvez pas vendre avec ce visage.» Et on lui préférera Karlmann, l’assistant de ce Monsieur Lette (Thierry Godard) dont  la femme (Sylvia Bergé) confirme : «Tu es laid : cela saute tellement aux yeux. »
Pour pouvoir briller en société, Monsieur Lette renonce donc complètement à son visage et se fait opérer. Couvert d’un bandeau rappelant L’Homme invisible, une série télévisée américaine d’Harve Bennett et Steven Bochco,  adaptée de H. G. Wells et diffusée en France en 76 puis en 88, il le retire et se voit  transformé.
Mais il n’arrive plus à pleurer ! Ses canaux lacrymaux sont bouchés et sa voix a changé : c’est un autre homme qui va ainsi partir à la conquête du marché… et de nouvelles partenaires. «Avec un visage pareil, lui dit le chirurgien, vous ne pouvez pas vous limiter toute votre vie à une seule femme. » Cette fable moderne colle à l’actualité. Mais, avec le temps, ce chirurgien a fait des ravages : chaque homme qu’il opère, a le même visage! On perçoit ainsi la critique des réseaux sociaux et médias qui proposent de transformer l’esthétique des jeunes femmes avec  un même modèle artificiel.
L’histoire bascule dans une belle folie quand ce Lette transformé se laisse séduire à la fois par une vieille dame riche (Sylvia Bergé) et par son fils (Thierry Godard). «Vous ne voulez pas qu’on aille tous au lit, maintenant que l’on est riche et beau.», s’exclame la vieille dame!Quatre artistes exceptionnels de vérité et de drôlerie… La pièce et la mise en scène sont une réussite totale. On ne répétera jamais assez que le Studio de la Comédie Française est une pépinière et qu’on peut y découvrir de très bons spectacles…

Jean Couturier

Jusqu’au 4 mai, Studio-Théâtre de la Comédie-Française, galerie du Carrousel du Louvre, 99 rue de Rivoli, Paris (I er). T : 01 44 58 15 15.

 

Ariane Ascaride, Touchée par les fées, Ultima verba, texte de Marie Desplechin, mise en scène et chorégraphie de Thierry Thieû Niang

Touchée par les fées, Ultima verba , texte de Marie Desplechin, mise en scène et chorégraphie de Thierry Thieû Niang

Ariane Ascaride est née en 54, «sous, dit-elle, le signe double de la Balance», à Marseille, d’un père d’origine napolitaine; coiffeur, il était aussi représentant chez L’Oréal et comédien-metteur en scène amateur; la mère était employée de bureau et l’argent ne coulait pas à flots…
A l’université d’
Aix-en-Provence où elle commence par faire des études de socio, elle rencontre Robert Guédiguian, son futur mari qui deviendra cinéaste. Puis, elle entre au Conservatoire National Supérieur d’Art dramatique.
En soixante-dix, elle débute au théâtre dans les pièces écrites par son frère Pierre-son autre frère est devenu sociologue-puis joue au cinéma de petits rôles et un véritable dans La Communion solennelle de René Féret. Et en 80, dans Dernier été, le premier film de Robert Guédigian et  tous les suivants… entre autres: À la vie, à la mort ! Et Marius et Jeannette qui lui vaut un César en 98. Mais aussi Nadia et les hippopotames (1999) de Dominique Cabrera et les films d’Olivier Ducastel, Jacques Martineau

© Louie Salto

© Louie Salto


Ariane Ascaride est aussi connue pour soutenir de nombreuses actions sociales, écologiques et humanitaires. Avec Robert Guédiguian, elle fait un don au Secours populaire de Marseille et est marraine de la Coordination française pour la Décennie de la culture de paix et de non-violence. Et du collectif 50/50 pour l’égalité des femmes et des hommes dans le cinéma et l’audiovisuel.

Elle vient de recevoir le prix (10.000 € ) de l’artiste citoyenne 2025 offert par l’Adami et que la lauréate ou le lauréat reverse à l’association de son choix. Elle, c’est l’A.A.S.I.A. qui aide les migrants dans les camps de rétention, entre autres, à Samos et Chios en Grèce.
Frédéric et Mélanie Biessy lui offrent pour la saison, une carte blanche à la  Scala, où elle joue Paris retrouvée et Touchée par les fées (en marseillais: fada). Elle arrive en pantalon et veste noirs, et en cinquante minutes de ce solo, raconte d’abord son enfance entre des parents qui ne se parlent presque plus. Une mère, pas bien riche mais attentive, qui l’emmène au théâtre, au cinéma et au théâtre. Un père, communiste stalinien, napolitain qui a de nombreuses maîtresses (« la boulangère, la poissonnière »…) et qui écoute tous les dimanches matin, les Chœurs de l’Armée rouge. Il a des relations très ambigües avec elle quand elle avait neuf ans: elle parle avec une grande pudeur et, en même temps, avec courage de ce moment.
Elle est arrivée sur cette petite scène avec six pauvres valises brunes d’autrefois et qui ont vécu où il  y  a des trésors : robes, vestes et  accessoires dont un merveilleux Pinocchio en bois avec lequel elle va jouer; l’actrice, avec une rare élégance, est lucide à la fois sur son passé. Et il y a des moments loufoques, comme la demande en mariage de Robert Guédigian sur sa moto avec elle sur le siège arrière, ses débuts dans le métier, son présent d’actrice mais aussi son avenir:
« Ma nécro, je vais m’en occuper moi-même. (…)  J’aime bien l’idée de faire le ménage avant de partir ».
Elle parle d’elle mais surtout de sa vie à Marseille avec émotion, de sa famille et accroche les photos de ses « invisibles » comme elle dit, à un long fil rouge en fond de scène. Et celle qui est devenue parisienne, tient envers et contre tout, au Marseille de son enfance et de sa jeunesse dont elle parle si bien, avec la tendresse et la générosité qu’on lui connait. Un monde à jamais disparu, sauf de sa mémoire.
Avec, toujours en filigrane, l’amitié, la fidélité à ses proches et à ses amis acteurs. Mais aussi l’amour pour la scène et cette relation privilégiée qu’elle a avec le public. Et quand elle lui fait à la fin reprendre Cantaré, cette chanson très populaire de 1985, l’émotion est encore plus palpable. Un solo mené avec une rare maîtrise orale et gestuelle et sobrement mis en scène par Thierry Thieû Niang… Ici, tout sonne simple, vrai et juste. Allez voir Ariane Ascaride, vous ne le regretterez pas.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 8 mai, La Scala, 13 boulevard de Strasbourg Paris (X ème). T. : 01 40 03 44 30.

 

 

 

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