La Grande Magie d’Eduardo De Filippo, traduction d’Huguette Hatem, mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota
La Grande Magie d’Eduardo De Filippo, traduction d’Huguette Hatem, mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota
C’est la reprise de cette pièce mise en scène à l’Espace Pierre Cardin ( voir Le Théâtre du Blog) Le grand auteur, acteur et metteur en scène napolitain (1900-984), est relativement peu joué en France. Mais il y a eu, entre autres, une formidable mise en scène en 95 de Jacques Mauclair au théâtre du Marais de Noël chez les Cupiello. Huguette Hatem, traductrice de l’auteur, faisait partie de la distribution. En ce soir de première, elle nous révèle une anecdote qui peut faire rêver quant au pouvoir de la critique dramatique…il y a longtemps. Dans les années soixante, Jean-Jacques Gautier, redoutable critique du Figaro, avait émis des réserves sur une pièce de l’auteur napolitain. Vexé, celui-ci avait alors interdit que, pendant vingt ans, on joue ses pièces en France. Huguette Hatem finit par le convaincre de revenir sur sa décision et Jean Mercure put ainsi monter L’Art de la comédie au Théâtre de la Ville en 84.
La traductrice résume ainsi la pièce : «Dans un hôtel au bord de la mer, on annonce l’arrivée d’Otto Marvuglia, un magicien. Pour un peu d’argent, il accepte de faire disparaître lors d’une séance, une cliente de l’hôtel, Marta Di Spelta pour qu’elle rejoigne son amant. Il essaye alors de convaincre le mari, Calogero, que l’absence de sa femme n’est qu’illusion et qu’elle est bien dans la boîte qu’il lui remet. Mais, pour la revoir, il ne doit l’ouvrir, que s’il croit en sa fidélité ; sinon, il la perdra pour toujours. Calogero croit-il vraiment que sa femme est dans la boîte qu’il emporte sous son bras, ou bien fait-il semblant, pour cacher son désarroi? » Mais avec l’accord d’Emmanuel Demarcy-Mota, Huguette Hatem a inversé les rôles : Calogero devient la femme du mari et le témoin de sa disparition… par magie. Le mari, lui, profitant de l’occasion pour rejoindre sa maîtresse. »
La Grande Magie a quelque chose d’une œuvre de Pirandello : tout ne peut qu’être illusion, donc:é chacun sa vérité, comme le titre d’une de ses pièces. Serge Maggiani est remarquable en magicien fragile et manipulateur plein de doutes et les mots d’Eduardo De Filippo résonnent pour tout amoureux du théâtre: «Tout ce qui se passe devant vos yeux n’est qu’illusion…Devant certains jeux d’illusion, il faut savoir s’incliner. Nous devons continuer notre jeu. » Valérie Dashwood (Calogero Di Spelta) incarne bien cette épouse jalouse qui va basculer dans une certaine folie. « Si vous avez foi en lui, dit le magicien, vous le trouverez dans cette boîte.»
Si elle ne l’ouvre pas, elle vivra dans l’illusion de la fidélité de son mari. Tous les comédiens de la troupe accompagnent avec un bel engagement cette Grande Magie. Scénographie et lumières sophistiquées du regretté Yves Collet, mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota et Christophe Lemaire sont exceptionnels d’intelligence. Eléments de décor mobiles et projections lumineuses nous transportent dans un beau voyage, entre imaginaire et réalité…
Bref, du vrai théâtre au service d’un beau texte.
Jean Couturier
Jusqu’au 12 avril,Théâtre des Abbesses-Théâtre de la Ville, 31 rue des Abbesses, Paris (XVIII ème). T. : 01 42 74 22 77.
La Grande Magie a été récemment adaptée au cinéma par Noémie Lvovsky (2022) avec, entre autres, Denis Podalydès, Judith Chemla, Sergi López, François Morel, Dominique Valadié, Christine Murillo, Micha Lescot, Laurent Stocker, Philippe Duclos, Catherine Hiegel, Laurent Poitrenaux…