Les Femmes de Barbe Bleue, mise en scène de Lisa Guez

Les Femmes de Barbe Bleue, mise en scène de Lisa Guez

 Peu de textes ont eu une influence aussi féconde que le conte La Barbe Bleue (1697) de Charles Perrault. Tout d’abord sur le mode de l’adaptation,avec les Kinder-und Hausmärchen des frères Grimm (1812). Au point de vue visuel, l’imagerie d’Épinal contribua au succès de l’effrayante représentation de cette Barbe bleue. Bientôt la scène théâtrale s’en empara, avec l’opéra- bouffe de Jacques Offenbach (1866) ou une variation Ariane et Barbe-Bleue de Paul Dukas, livret de Maurice Maeterlinck (1907). Et furent crées les chorégraphies de Marius Petipa (1896), Serge Diaghilev (1921) et Michel Fokine (1941).
Dès l’époque du muet, en 1901, Georges Méliès réalisait un film:  Barbe-Bleue où il interprétait le rôle-titre, avec, pour jeune première, sa future épouse Jeanne d’Alcy. Ernst Lubitsch dans l’irrésistible Huitième femme de Barbe bleue (1938) prenait de sérieuses libertés avec le récit initial. Au contraire, trame et couleur locale seront respectées par Christian Jacque qui tourna en 1951 deux versions du conte : l’une française avec Pierre Brasseur, Jean Debucourt et Cécile Aubry ; et une allemande, avec Hans Albers, Fritz Kortner et une Cécile Aubry, légèrement ânonnante. Signe d’un rapprochement politique?
Quant au cinéma d’animation hollywoodien, La Barbe Bleue fut un des rares classiques européens qui échappa à l’empire de Walt Disney. Et le Français Jean Painlevé réalisa en 1938, un court-métrage d’animation de onze minutes, colorisé et sonorisé, à partir de figures en pâte à modeler.

Ces opus avaient en commun de proposer à des femmes des rôles… sans jamais qu’on entende leur voix propre. La situation commença à s’inverser avec le mouvement féministe des années 70-80 : entre autres, une autrice comme Margaret Atwood réécrit le conte de Perrault avec Bluebeard’s Egg (1983); les épouses n’y sont pas égorgées mais deviennent simplement muettes. La volonté de réappropriation était plus explicite encore avec Blaubart. Beim Anhören einer einer Tonbandaufnahme von Béla Bartóks Oper « Herzog Blaubarts Burg” (Barbe-Bleue. En entendant un enregistrement de l’opéra de Béla Bartók : Le Château de Barbe-Bleue), un ballet avant-gardiste ( 1977) de la chorégraphe allemande Pina Bausch.

 Ce spectacle mis en scène par Lisa Guez avec cinq interprètes et présenté comme création collective, appartient à une génération plus récente mais s’inscrit dans la voie d’une critique  dénonçant les aspects sexistes de ces récits, à l’origine destinés aux enfants. Elles se réfèrent aux travaux de la mythologue et analyste jungienne Clarissa Pinkola Estés dont elles citent La Femme qui courait avec les loups (1992), un livre qui exerça une forte influence sur la culture pop, notamment sur des chanteuses comme Björk ou Natasha Kahn.
L’écrivaine y prend le contrepied les thèses de Bruno Bettelheim qui, dans son best-seller, controversé par les spécialistes : The Uses of Enchantment (1976) (Psychanalyse des contes de fées), affirmait que les enfants avaient besoin de contes accompagnant les stades de leur développement psychique. Alors même que certains pays dont la Suède, en avaient banni la lecture dans leur système scolaire.
Clarissa Pinkola Estés, dans une très longue introduction à un choix de contes de Grimm (1999) en montre le caractère profondément misogyne elle estime qu’ils encouragent les jeunes filles à la soumission, à l’obéissance et au sacrifice. En disciple de C.G. Jung, elle recherchait dans la mythologie, des archétypes de femmes fortes ou «sauvages » : les Parques, Baba Jaga, etc.

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Lisa Guez, Valentine Bellone, Anne Knosp, Nelly Latour, Jordane Soudre et Valentine Krasnochok qui a aussi mis en forme les dialogues improvisés, ont certainement été inspirées par la prise de conscience autour des féminicides, redéfinissant ce qu’on a longtemps qualifié de «crime passionnel».
En ouverture du spectacle, en courte robe rouge sang, l’ultime épousée… Barbe-Bleue vient de partir «en voyage d’affaires » et l’a laissée maîtresse de toutes les clefs, sauf une. Que recèle ce cabinet de curiosité(s) ? Elle meurt d’envie de le savoir. Ou bien est-ce cet interdit qu’elle veut braver? La comédienne s’éclipse et apparaissent les quatre femmes précédentes en tenues diverses : peignoir soyeux, bermuda assorti à des chaussures de montage,etc. toutes dans des teintes bleutées. Mais Barbe-Bleue est le grand absent…

S’engage alors un jeu de rôles tenu par les jeunes femmes: soit assises sur des chaises musicales, soit en en bouleversant l’ordre, selon une ingénieuse chorégraphie. Tour à tour, elles sont Barbe-Bleue ou leurs accusatrices. Elles se soutiennent mutuellement, se donnent des conseils et s’encouragent à tenir bon… Les situations peuvent être celle de la vie courante, avec un mari taiseux ou mal luné; elles se font alors minaudières, revêches, voire franchement mégères.
Parfois, elles prennent les devants et draguent… Un seul épisode de pur masochisme féminin : quand l’une d’elles prie Barbe-Bleue de la mettre à mort. L’actrice étant la plus robuste des quatre, on peut penser qu’elle intervient à contre-emploi. Le dynamisme du spectacle, comme l’énergie contagieuse des comédiennes, toutes remarquables, sont fondés sur un troisième parti-pris: l’improvisation, voire le psychodrame que Lisa Guez pratique comme art-thérapeute dans le secteur hospitalier.
Sa dernière pièce ( 2024), porte d’ailleurs le titre Psychodrame. Ici, les répliques sont d’une grande invention et d’une fraîcheur qui emporte l’adhésion de la salle. Les cinq femmes de Barbe-Bleue, après avoir rejoué, revécu, leurs traumatismes, ou plus simplement leurs relations avec les hommes, partent ensemble en voiture. Elles viennent de nous conter comment leur bourreau est passé de vie, à trépas…

Nicole Gabriel

Le spectacle a été joué au Théâtre de Belleville, 16 passage Piver, Paris ( XI ème),  jusqu’au 29 mars.


Archive pour 4 avril, 2025

Les Femmes de Barbe Bleue, mise en scène de Lisa Guez

Les Femmes de Barbe Bleue, mise en scène de Lisa Guez

 Peu de textes ont eu une influence aussi féconde que le conte La Barbe Bleue (1697) de Charles Perrault. Tout d’abord sur le mode de l’adaptation,avec les Kinder-und Hausmärchen des frères Grimm (1812). Au point de vue visuel, l’imagerie d’Épinal contribua au succès de l’effrayante représentation de cette Barbe bleue. Bientôt la scène théâtrale s’en empara, avec l’opéra- bouffe de Jacques Offenbach (1866) ou une variation Ariane et Barbe-Bleue de Paul Dukas, livret de Maurice Maeterlinck (1907). Et furent crées les chorégraphies de Marius Petipa (1896), Serge Diaghilev (1921) et Michel Fokine (1941).
Dès l’époque du muet, en 1901, Georges Méliès réalisait un film:  Barbe-Bleue où il interprétait le rôle-titre, avec, pour jeune première, sa future épouse Jeanne d’Alcy. Ernst Lubitsch dans l’irrésistible Huitième femme de Barbe bleue (1938) prenait de sérieuses libertés avec le récit initial. Au contraire, trame et couleur locale seront respectées par Christian Jacque qui tourna en 1951 deux versions du conte : l’une française avec Pierre Brasseur, Jean Debucourt et Cécile Aubry ; et une allemande, avec Hans Albers, Fritz Kortner et une Cécile Aubry, légèrement ânonnante. Signe d’un rapprochement politique?
Quant au cinéma d’animation hollywoodien, La Barbe Bleue fut un des rares classiques européens qui échappa à l’empire de Walt Disney. Et le Français Jean Painlevé réalisa en 1938, un court-métrage d’animation de onze minutes, colorisé et sonorisé, à partir de figures en pâte à modeler.

Ces opus avaient en commun de proposer à des femmes des rôles… sans jamais qu’on entende leur voix propre. La situation commença à s’inverser avec le mouvement féministe des années 70-80 : entre autres, une autrice comme Margaret Atwood réécrit le conte de Perrault avec Bluebeard’s Egg (1983); les épouses n’y sont pas égorgées mais deviennent simplement muettes. La volonté de réappropriation était plus explicite encore avec Blaubart. Beim Anhören einer einer Tonbandaufnahme von Béla Bartóks Oper « Herzog Blaubarts Burg” (Barbe-Bleue. En entendant un enregistrement de l’opéra de Béla Bartók : Le Château de Barbe-Bleue), un ballet avant-gardiste ( 1977) de la chorégraphe allemande Pina Bausch.

 Ce spectacle mis en scène par Lisa Guez avec cinq interprètes et présenté comme création collective, appartient à une génération plus récente mais s’inscrit dans la voie d’une critique  dénonçant les aspects sexistes de ces récits, à l’origine destinés aux enfants. Elles se réfèrent aux travaux de la mythologue et analyste jungienne Clarissa Pinkola Estés dont elles citent La Femme qui courait avec les loups (1992), un livre qui exerça une forte influence sur la culture pop, notamment sur des chanteuses comme Björk ou Natasha Kahn.
L’écrivaine y prend le contrepied les thèses de Bruno Bettelheim qui, dans son best-seller, controversé par les spécialistes : The Uses of Enchantment (1976) (Psychanalyse des contes de fées), affirmait que les enfants avaient besoin de contes accompagnant les stades de leur développement psychique. Alors même que certains pays dont la Suède, en avaient banni la lecture dans leur système scolaire.
Clarissa Pinkola Estés, dans une très longue introduction à un choix de contes de Grimm (1999) en montre le caractère profondément misogyne elle estime qu’ils encouragent les jeunes filles à la soumission, à l’obéissance et au sacrifice. En disciple de C.G. Jung, elle recherchait dans la mythologie, des archétypes de femmes fortes ou «sauvages » : les Parques, Baba Jaga, etc.

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Lisa Guez, Valentine Bellone, Anne Knosp, Nelly Latour, Jordane Soudre et Valentine Krasnochok qui a aussi mis en forme les dialogues improvisés, ont certainement été inspirées par la prise de conscience autour des féminicides, redéfinissant ce qu’on a longtemps qualifié de «crime passionnel».
En ouverture du spectacle, en courte robe rouge sang, l’ultime épousée… Barbe-Bleue vient de partir «en voyage d’affaires » et l’a laissée maîtresse de toutes les clefs, sauf une. Que recèle ce cabinet de curiosité(s) ? Elle meurt d’envie de le savoir. Ou bien est-ce cet interdit qu’elle veut braver? La comédienne s’éclipse et apparaissent les quatre femmes précédentes en tenues diverses : peignoir soyeux, bermuda assorti à des chaussures de montage,etc. toutes dans des teintes bleutées. Mais Barbe-Bleue est le grand absent…

S’engage alors un jeu de rôles tenu par les jeunes femmes: soit assises sur des chaises musicales, soit en en bouleversant l’ordre, selon une ingénieuse chorégraphie. Tour à tour, elles sont Barbe-Bleue ou leurs accusatrices. Elles se soutiennent mutuellement, se donnent des conseils et s’encouragent à tenir bon… Les situations peuvent être celle de la vie courante, avec un mari taiseux ou mal luné; elles se font alors minaudières, revêches, voire franchement mégères.
Parfois, elles prennent les devants et draguent… Un seul épisode de pur masochisme féminin : quand l’une d’elles prie Barbe-Bleue de la mettre à mort. L’actrice étant la plus robuste des quatre, on peut penser qu’elle intervient à contre-emploi. Le dynamisme du spectacle, comme l’énergie contagieuse des comédiennes, toutes remarquables, sont fondés sur un troisième parti-pris: l’improvisation, voire le psychodrame que Lisa Guez pratique comme art-thérapeute dans le secteur hospitalier.
Sa dernière pièce ( 2024), porte d’ailleurs le titre Psychodrame. Ici, les répliques sont d’une grande invention et d’une fraîcheur qui emporte l’adhésion de la salle. Les cinq femmes de Barbe-Bleue, après avoir rejoué, revécu, leurs traumatismes, ou plus simplement leurs relations avec les hommes, partent ensemble en voiture. Elles viennent de nous conter comment leur bourreau est passé de vie, à trépas…

Nicole Gabriel

Le spectacle a été joué au Théâtre de Belleville, 16 passage Piver, Paris ( XI ème),  jusqu’au 29 mars.

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