Helikopter et Licht d’Angelin Preljocaj
Helikopter et Licht d’Angelin Preljocaj
Le premier ballet (2001) à partir de la musique d’un quatuor à cordes et le son de quatre hélicoptères, a été composé en 96 par Karlheinz Stockhausen (1928-2007). Le second est ici créé sur une musique de Laurent Garnier. Licht (en allemand : lumière) sonne comme leicht : léger. On pense, bien sûr, aux derniers mots de Goethe: «Mehr Licht» ( « Plus de lumière »).
Mais la musique originale du DJ français Laurent Garnier semble un peu légère, comparée à celle du pionnier allemand de l’électronique. Cela n’empêche pas Angelin Preljocaj de conclure la soirée avec une œuvre en trois parties, passant de l’obscurité à la clarté, de l’abîme, à la cime, et de la géhenne, à l’éden.
Le hasard a voulu que le jour où nous avons vu ce spectacle, un hélicoptère de tourisme a perdu ses pales, avant de s’abîmer dans l’Hudson à New York. Aucun risque à Paris, les quatre giravions étaient restés en Allemagne, après avoir laissé leurs traces sonores sur bandes magnétiques ou fichiers numériques…
Mais au début, l’ombre de pales est projetée au sol et la scénographie d’Holger Förterer relève de la vidéo-danse.
Les trois filles et trois garçons (parité respectée) dansent selon des motifs géométriques : cercles, rosaces, lignes horizontales, trames, vaguelettes, signes et chiffres projetés au sol, s’animent et produisant leur propre chorégraphie. Après le ballet, dans un entretien vidéo en français avec le chorégraphe, le compositeur explique les principes d’une composition fondée sur cinq couches sonores superposées: soit cinq tempis-notre oreille fourchue a cru entendre : cinq tapis! Autrement dit, cinq plages indépendantes…
Cette «polyphonie rythmique» est enrichie de voix féminines énumérant en allemand des chiffres. Cela rappelle les décomptes « One, two, three » dites en voix off, au commencement d’Einstein on the Beach, le fameux opéra (1976) de Phil Glass et Bob Wilson.
Pas question ici pour Karlheinz Stockhausen d’exploiter ses erreurs ou celles de l’ordinateur : le temps n’était plus pour lui à la musique intuitive, ou à un amusant n’importe quoi.. L’enregistrement et la partition ont permis à Angelin Preljocaj de créer une œuvre rigoureuse suivant un principe «organique». Il estime que le compositeur, alors âgé de quatre-vingt ans avait «une liberté formidable car il s’autorisait à l’inattendu». De l’inattendu et de l’inentendu.
Après les magnifiques duos et trios d’Helikopter, Angelin Preljocaj écrit une pièce valorisant le travail de groupe. Il faut citer les douze excellents danseurs qui contribuent au succès de l’entreprise : Liam Bourbon Simeonov, Clara Freschel, Mar Gomez Ballester, Paul-David Gonto, Lucas Hessel, Verity Jacobsen, Florette Jager, Beatrice La Fata, Yu-Hua Lin, Florine Pegat-Toquet, Valen Rivat-Fournier et Leonardo Santini.
Dans une autre partie de son entretien avec Karlheinz Stockhausen, il est question de nature, de cosmos et même de paradis. Sur la musique facile d’accès de Laurent Garnier, proche d’une bande originale pour blockbuster, le chorégraphe passe subtilement et paradoxalement, du terre à terre, à l’édénique.
Trois écrans à l’arrière-plan font office de décor et envoient, par intermittence, des griffures lumineuses. Dans le premier mouvement, garçons et filles sont vêtus comme à la ville et ensuite, eux, sont torse nu et elles, en partie dénudées. Mais le final où tout le monde est en tenue d’Adam et Ève, se distingue par une précision technique extrêmement rare dans la danse hexagonale.
La difficulté des figures, imposées ou proposées, ne vient pas d’une quête de virtuosité mais des enchaînements, qui sont tous impeccables : aucun accroc, aucun couac, aucune faute de goût. Après s’être évanouis de scène, les douze interprètes réapparaissent comme par magie et traversent trois écrans en forme d’alvéoles dans le mur du fond. Aux saluts, les spectateurs-surtout des abonnés et amateurs de danse-ont rappelé plusieurs fois les interprètes et leur chorégraphe…
Nicolas Villodre
Jusqu’au 3 mai, Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, 2 place du Châtelet, Paris ( IV ème).T. : 01 42 74 22 77.