Oedipe roi de Sophocle, traduction de Bernard Chartreux, adaptation et mise en scène d’Éric Lacascade

Oedipe roi de Sophocle, traduction de Bernard Chartreux, adaptation et mise en scène d’Éric Lacascade

Oedipe Roi est moins jouée qu’Antigone, en ce moment adaptée à toutes les sauces. Alors que cette tragédie a aussi une portée universelle et a été un fondement de la psychanalyse. « Avoir inventé la tragédie, nous disait, à nous, ses étudiants en Sorbonne, la grande Jacqueline de Romilly, est un beau titre de gloire. (..) qui appartient aux Grecs (…) Le rayonnement de la tragédie grecque tient à l’ampleur de la signification, à la richesse de pensée que les auteurs avaient à su y attacher: elle présentait, dans le langage directement accessible de l’émotion, une réflexion sur l’homme. Sans doute est-ce pourquoi, dans les époques de crise et de renouvellement comme la nôtre, on éprouve le besoin de revenir à cette forme initiale du genre. (…) On joue, un peu partout dans le monde, des tragédies d’Eschyle, Sophocle, Euripide, parce que, c’est en elles, que cette réflexion sur l’homme brille avec sa force première. « 

Œdipe, est devenu roi de Thèbes, après avoir  réussi à vaincre la terrible Sphinge qui posait aux voyageurs des énigmes insolubles et qui les dévorait, s’ils ne pouvaient répondre… Oedipe et Jocaste, son épouse et sa mère, ce qu’il ne sait évidemment pas, ont eu quatre enfants: Antigone,  Ismène,  Etéocle et Polynice, les personnages d’Antigone et pour les deux derniers, ceux des Sept contre Thèbes d’Eschyle.
Un prêtre est venu supplier Oedipe de trouver l’origine du malheur qui s’abat sur la cité: des hommes meurent, des enfants tombent malades et les femmes sont stériles. Il envoie son beau-frère, Créon auprès du dieu Apollon. Réponse: s’il y a eu crime… même involontaire et même légitime, c’est une souillure pour son auteur et sa ville qui doit se purifier du sang versé.
Et Oedipe veut châtier le coupable. Tirésias, le vieux devin aveugle, après avoir refusé de parler, dira au roi qu’il est responsable de ce malheur et que le meurtrier de Laïos est un Thébain, coupable d’inceste et parricide, qui deviendra aveugle et ira mendier sur les routes…
Oedipe méfiant, interroge alors Créon sur cette mort de Laïos qui lui affirme être loyal. Furieux, le roi de Thèbes veut le condamner à mort. Jocaste le persuadera de juste le bannir et révèle un oracle fait à Laïos : son fils le tuerait. Le roi l’interroge alors sur le massacre et appelle un des serviteurs qui y a échappé. Il dit aussi à Jocaste avoir consulté l’oracle de Delphes pour savoir qui étaient ses vrais parents, lequel a seulement averti qu’il serait un jour reconnu coupable de parricide et d’inceste.
Accablé, Oedipe a renoncé à revenir chez ceux qu’il croyait être ses parents. Il s’en va et, à un carrefour, rencontre un vieil homme, avec ses serviteurs. Après une altercation, Oedipe reçut un coup de fouet d’un serviteur et les massacra tous. Il craint alors d’avoir tué Laïos et d’avoir épousé sa femme. Le chœur dit avoir peur de l’ubris (démesure) qui atteint les puissants et en appelle à la Justice.

Rebondissement: un messager annonce la mort de Polybe, roi de Corinthe qu’Œdipe croit être son père: Enfin sauvé, il ne peut donc pas être parricide. Mais reste l’inceste et la femme de Polybe, Mérope, est, elle, vivante. Le messager croit rassurer Oedipe: ce sont ses parents adoptifs, les Dieux avaient interdit à Laïos, son père d’avoir un enfant: si c’était un fils, il tuerait son père et ferait l’amour avec sa mère.  Jocaste essaye d’empêcher Oedipe de chercher davantage mais le quitte brusquement… Un vieux berger révèle qu’il avait reçu de Jocaste, Oedipe nourrisson,  pour le tuer mais il l’a remis à un serviteur qui l’a ensuite confié à Polybe et Mérope. Donc Oedipe est donc hélas! le fils de Laïos qu’il a tué et il a bien fait l’amour avec la reine Jocaste, sa mère…

Jocaste, elle, a vite compris, ne supportera plus la situation à laquelle elle ne peut rien et ira se pendre! Œdipe, courageux, en la voyant morte, ne se tue pas mais s’inflige lui-même un châtiment: il se crève les yeux pour ne plus voir le corps de cette mère devenue son épouse. Maintenant aveugle, il demande à Créon de le bannir de la cité. Créon le fera mais lui permettra de parler à Antigone et Ismène. «Il n’y a pas de mortel avant son dernier jour qu’il faut dire avoir été heureux et n’avoir jamais subi de souffrance.» dira  Coryphée. Des mots symboliques de la philosophie grecque et qu’on retrouve dans Agamemnon d’Eschyle et Andromaque d’Euripide. Autrement dit, jusqu’à sa mort, l’homme ne maîtrise jamais son destin.

Une dramaturgie exemplaire… Le puissant roi a vaincu la Sphinge représentant les âmes en peines avides de sang et proches  des sirènes homériques ou des Erynies. Grâce à son intelligence, Oedipe a su répondre à la célèbre question: « Quel être pourvu d’une seule voix, a d’abord quatre jambes, puis deux jambes et trois ensuite? » Mais mentalement aveugle, il est aveugle avant de le devenir physiquement, après avoir été seulement à la fin, clairvoyant sur son passé. Mais les spectateurs ont déjà anticipé…
Il y a vingt-cinq siècles et avant Euripide, son contemporain, Sophocle avait repris plusieurs thèmes légendaires comme l’enfant abandonné, le découvreur d’énigmes et dans L’Odyssée, le parricide inconscient et l’auteur d’inceste, pour en faire une tragédie familiale,. C’était déjà un scénariste exceptionnel.
Il y a dans cette tragédie, une fluidité des scènes remarquable et un équilibre entre dialogues et parties chantées par le chœur. Ce roi respecté est intelligent, les Dieux le puniront d’avoir voulu trouver absolument la vérité. Il s’est fait inconsciemment artisan de son propre malheur et admettra enfin que ses pieds enflés sont bien la preuve qu’il est à la fois, un parricide mais aussi coupable d’inceste… Ce que Jocaste, sa mère puis son épouse n’avait jamais vu mais que le public a compris avant lui.
Fatalité et volonté: les fautes d’Oedipe ne sont pas les causes de son malheur mais il les a provoquées. D’abord arrogant et violent, il sera inquiet et vite ravagé, puis  humble et résigné devant le malheur qu’il a créé et qu’il va subir, aveugle et misérable encore de longues années, après la mort de Jocaste.

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Responsable, cet homme plus tout jeune et père de quatre enfants? Plus sûrement victime de forces qui le dépassent, comme il le dira dans Oedipe à Colonne, la suite de cette pièce. « Les personnages tragiques sont, dit Jacques Lacan, situés d’emblée dans une zone limite, entre la vie et la mort. (…) Le héros de la tragédie participe toujours de l’isolement, il est toujours hors des limites, toujours en flèche, et par conséquent, arraché par quelque côté, à la structure.»

Mais comment mettre en scène actuellement cette tragédie capitale, une de celles qu’Aristote cite souvent et dont on sait tout le bénéfice que Sigmund Freud en tira. Dans Naissance de la psychanalyse, «Chaque auditeur (de Sophocle), écrit-il  fut un jour en germe, en imagination, un Oedipe et s’épouvante devant la réalisation de son rêve transposé dans la réalité, il frémit suivant toute la mesure du refoulement qui sépare son état infantile de son état actuel. » La pièce touffue est plus difficile à monter et donc moins jouée qu’Antigone  en ce moment  adaptée un peu partout, entre autres, par Jean Bellorini avec de jeunes actrices afghanes et dont nous vous reparlerons.  Reste, aussi et toujours le problème du Chœur, représentant la cité, jamais facile à résoudre mais ici escamoté: ce qui modifie le sens même de la pièce.
Cet Oedipe Roi créé en plein air au Printemps des Comédiens à Montpellier 2022 est ici repris dans la même scénographie d’Emmanuel Clolus mais sur un plateau noir et plus petit. Eric Lacascade a écrit lui-même, dit-il, cette adaptation à partir de nombreuses traductions, Surtout, et nous avons vérifié, celle de Paul Mazon, exacte mais dans une langue non théâtrale.
Le metteur en scène a ainsi rendu le texte plus fluide et l’a élagué-surtout la plus grande partie des chœurs-dommage, mais comment faire autrement? Ils sont longs et très difficiles à traduire, si on veut garder toute la force poétique qu’ils ont en grec ancien.
Comment ne pas être partagé? Eric Lacascade réussit, aux meilleurs moments, le pari de rendre accessible quelques-uns de ce dialogues fabuleux, entre autres, ceux de Tirésias et d’Oedipe, ou ceux de Créon et Oedipe. Ils sont, rappelons-le, antérieurs à 425 avant J.C… Et c’est un vrai bonheur de bien entendre ce texte joué par  Jade Crespy, Otomo de Manuel, Christelle Legroux, Karelle Prugnaud avec une diction impeccable et il n’y a aucune criaillerie.  Mention spéciale à Christophe Grégoire (Oedipe), toujours en scène  et à Jérôme Bideaux (Tirésias).
Un théâtre simple et artisanal comme on les aime et qui doit tout à la puissance du jeu. Aucun doute là-dessus, Eric Lacascade, longtemps directeur du Centre Dramatique National de Caen  et qui a si bien monté, entre autres: Henrik Ibsen mais aussi Anton Tchekhov et Maxime Gorki, maîtrise les choses.
Là où où nous sommes moins d’accord: deux acteurs représentant le chœur avec au début, un T-Shirt noir de la Scala! Tous aux abris!  Et de nombreux stéréotypes polluent ce travail. Comme le jeu très fréquent devant le premiers rangs de spectateurs et surtout dans la salle-facile et mille fois vu! -et assez pénible : on doit se retourner pour voir quelque chose… alors que le plateau reste vide! Et on a connu Emmanuel Clolus mieux inspiré: pourquoi ces praticables qui ne servent à rien, ces  barrières qu’on ouvre une seule fois et ce pilier au fond et côté cour. Le tout laid, noir et encombrant, devant un rideau aussi noir, et éclairé par des projecteurs latéraux bien visibles. Pour dire qu’on est bien au théâtre. Et en fond sonore, des ronflements électroniques comme on entend partout… Pour dire quoi? 
Ce travail d’une grande honnêteté mais pas très au point, tient plus d’une recherche personnelle en une heure et demi mais reste sec, malgré la présence de Christophe Grégoire toujours sur scène et il y a parfois un réel plaisir à voir une bande d’acteurs qui arrivent à porter ce texte formidable…
Mais il y a sans doute ici d’abord un mauvais rapport scène/salle/personnages et l’émotion n’est jamais au rendez-vous. Après des décennies de brechtisme mal digéré, elle peut l’être encore, même sur le petit plateau du Lucernaire, dans la mise en scène par Philippe Person de La Ménagerie de verre (voir Le Théâtre du Blog). Alors que le drame que vit Laura, n’est pas la tragédie que vit Oedipe! Et il y avait bien une réelle émotion dans les mises en scène iconiques des Perses d’Eschyle, recréée par Maurice Jaquemont, d’Electre de Sophocle, fabuleusement réalisée par Antoine Vitez. Ou encore, de L’Orestie d’Eschyle par Peter Stein…

Les tragédies grecques, vingt-cinq siècles après leur création, restent fascinantes mais difficiles à monter. A vous de choisir mais nous ne vous pousserons pas à aller voir de quoi il retourne, vous seriez déçus. Pour les apprentis-comédiens, cela peut être éventuellement utile mais vraiment pas indispensable mais comme cela coûte au parterre plus de quarante € et quinze, aux derniers rangs, mieux vaut se faire inviter…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 26 avril, La Scala, boulevard de Strasbourg, Paris (X ème). T. : 01 40 03 44 30.

 

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