Les Messagères, adaptation de Mina Rahnamaei et Florence Guinard d’Antigone de Sophocle, mise en scène de Jean Bellorini

Les Messagères, adaptation de Mina Rahnamaei et Florence Guinard d’Antigone de Sophocle, mise en scène de Jean Bellorini

Ces neuf actrices de l »Afghan Girls Theater Group » né en 2015, ne pouvaient plus sortir ni jouer quand, six ans plus tard, les talibans sont arrivés jusqu’à Kaboul. Avec leur metteur en scène Naim Karimi, elles ont été accueillies à Villeurbanne par Joris Mathieu, directeur du Théâtre Nouvelle Génération et par Jean Bellorini, directeur du Théâtre National Populaire, dans des appartements mis à disposition par la Ville. Le Groupe a aujourd’hui des espaces de répétition et est accompagnés par le T.N.P. et le T.G.P. dans sa vie quotidienne et  théâtrale.

L’Afghan Girls Theater Group avait créé plusieurs spectacles à l’Institut français d’Afghanistan: Le Malentendu d’Albert Camus, Black Fears, Zombies, d’après plusieurs auteurs, Victims of War… On a pu les voir dans Le Poème est une épée, un montage de textes d’autrices afghanes réalisé par Estelle Dumortier, puis dans Le Rêve perdu, au Centre Dramatique National de Lyon, en collaboration avec Naim Karimi et Joris Mathieu.

En septembre dernier, Jean Bellorini a créé l’adaptation de la célèbre pièce de Sophocle, après des improvisations : «Antigone est l’histoire d’une femme qui dit non. Tout comme ces jeunes femmes qui ont eu l’audace de fuir l’Afghanistan.» Le spectacle est en dari, sur-titré en français. Hussnia Ahmadi, Freshta Akbari, Atifa Azizpor, Sediqa Hussaini, Shakila et  Shegofa Ibrahimi, Marzia et Tahera Jafari et Sohila Skakhizada jouent le Chœur et ses personnages mythiques que sont Antigone et sa sœur Ismène, le Roi Créon, le devin Tirésias et un Messager. En longues robes, elles marchent pieds nus dans une vaste pièce d’eau.

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En fond de scène, une grosse  et magnifique lune entière dont la lumière changeante se reflètera ensuite dans l’eau. Le texte-réduit-est fidèle au texte original: Antigone dit à Ismène qu’elle enterrera le corps de leur frère Etéocle, resté sans sépulture et livré aux bêtes comme l’a ordonné leur oncle et roi Créon. Ismène essayera mais en vain, de l’en dissuader. Il fera enfermer Antigone vivante dans un tombeau. Hémon, fils du roi et fiancé d’Antigone, plaidera sa cause mais en vain, lui aussi. Puis il se suicidera comme Jocaste, l’épouse de Créon, lequel  sombrera dans la folie.

Jean Bellorini a repris l’idée de cette plage d’eau, autrefois inventée par Richard Peduzzi pour  Massacre à Paris dans la mise en scène réussie de Patrice Chéreau sur le grand plateau de ce même T.N.P. à Villeurbanne. C’est à partir d’Antigone, une sorte de fable poético-politique. Pendant de longues minutes, un rideau de pluie tombe sur ce groupe de jeunes femmes marchant dans l’eau.

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Toutes unies autour d’Antigone. Aucun homme dans cette distribution et l’une d’elles joue un Créon à la fois puissant et dérisoire en longue tunique jaune, coiffé d’une petite couronne dorée. Il y a vers la fin et à l’avant-scène, une double rampe de feu, comme pour montrer la vitalité et la fragilité de la vie d’Antigone et de ces Afghanes qui ont appris à résister à ces hommes trop puissants.
Jean Bellorini a su créer de belles images pour évoquer ce combat  légendaire décrit il y a vingt-cinq siècles par Sophocle et vécu d’aujourd’hui par ces jeunes Afghanes.  A la toute fin du spectacle, on écoute un poème d’Atifa Azizpor, l’actrice qui joue Ismène et c’est aussi un beau moment: «Les Ismène abandonnées,/Elles gardent l’espoir des printemps à venir./ Elles gardent l’espoir de revoir un jour la liberté s’élever parmi elles./Il y a une chaîne sur la porte./Derrière cette porte,/Il y a des petites filles./Les tyrans ont fermé cette porte./ Les Antigone ont été tuées à cause de leur trop grande audace./Les Ismène sont toujours vivantes avec toutes leurs souffrances./Elles espèrent chanter le chant de la liberté, (…) Seront-elles entendues ? »
Jean Bellorini a bien dirigé ces neuf jeunes actrices et a su créer de magnifiques images, peut-être à certains moments, même un peu trop envoûtantes. On aurait bien aimé entendre leurs voix, autrement que par le biais de ces foutus micros H.F. qui uniformisent tout. Et dont on voit pas l’utilité dans l’espace limité des Bouffes du Nord…
Nous aurions aussi bien aimé qu’il y ait un écran de sur-titrage au-dessus de la scène, ce qui éviterait de suivre la traduction à gauche ou à droite de la scène, donc mal. A ces réserves près, ces Messagères sont un spectacle exemplaire dans l’histoire du théâtre français, même si Peter Broook employa très souvent dans ces mêmes Bouffes du Nord, de nombreux acteurs d’origine étrangère, comme le Polonais Andrzej Seweryn, le Japonais Yoshi Oïda, etc.

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Le T.N.P. n’aura pas failli à sa mission en faisant jouer ces jeunes comédiennes exilées très loin de leur pays. Merci à Jean Bellorini; il quittera ce grand théâtre
après seulement deux mandats, pour diriger le théâtre de Carouge à Genève en janvier 2027.
Il souhaite, a-t-il dit, faire «plus de théâtre et moins de gestion» et “garder l’énergie” de faire les choses… 

Philippe du Vignal


Jusqu’ au 13 avril, Théâtre des Bouffes du Nord, Paris (XIX ème). T.  :
01 46 07 34 50.

 


 

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