Un Démocrate, texte et mise en scène de Julie Timmerman

 Un Démocrate, texte et mise en scène de Julie Timmerman

Notre amie Christine Friedel vous avait dit le plus grand bien de ce spectacle, il y a déjà neuf ans ! (sic) et nous-même aussi, il y a sept ans lors d’une reprise au Théâtre de la Reine Blanche… Depuis ce Démocrate a beaucoup voyagé et est bien rodé.
Repris à Paris, donc cela valait le coup d’aller le revoir. Julie Timmerman dit en préambule qu’elle n’en a pas changé un mot. Edward Bernays (né 1891 et mort en 1995, donc à cent-quatre ans !) était le fils d’un grainetier autrichien émigré aux États-Unis et le double neveu de Freud (le fils de sa sœur mais aussi du frère de sa femme). Une filiation exceptionnelle!
Il refusa de reprendre la boutique paternelle et, en  dix ans, devint un spécialiste reconnu en relations publiques et communication. Autrement dit en propagande commerciale et surtout politique. Un maître dans le genre, capable sans aucun état d’âme et grâce à des stratégies très élaborées, de faire tout acheter à une population, vue comme infantile et rêvant de consommer. Avec, hélas, une singulière efficacité…

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Edward Bernays a adapté certaines théories de son tonton… au plus grand profit du capitalisme. Il se veut démocrate et dit surtout, ne pas vouloir dominer. Question de sémantique. Où commencent la domination et une entreprise d’influence des plus sournoises? Barnays fournira, en 1917, les arguments indispensables au président démocrate et pacifiste Wilson pour faire entrer son pays en guerre…Pas mal!
Joseph Goebbels avait chez lui Propaganda où Barnays explique comment manipuler mais il dit que cela ne le regarde pas: «Ce sont des fous!» Barnays voulait non pas vendre mais, plus malin, réussir à faire vendre ce pourquoi on le payait grassement: cigarettes, carrières d’hommes politiques, etc. Et plus tard en 54, il aidera la C.I.A. à fabriquer un coup d’État au Guatemala, après une violente campagne de presse contre Jacobo Árbenz Guzmán, président de la République, en l’accusant d’être communiste. Pour sauver les intérêts de l’United Fruit Company et soutenir l’entreprise de désinformation (fort lucrative!) des lobbys sur le tabac.
Les plus grossiers mensonges sont d’une singulière efficacité pour manipuler l’opinion au seul profit du capitalisme. Et cela a fonctionné, toujours et même mieux que jamais… Comme plus tard les mensonges-on ne disait pas encore «fake news »- sur les prétendues armes de destruction massive en Irak.

Principe absolu et génial: «Souffler aux gens les rêves, avant qu’ils les aient rêvés», et donc les faire consommer n’importe quoi et quand on veut. Par exemple, les cigarettes Lucky Strike: «Ce n’est pas comme s’il y avait un accident d’avion et deux-cent morts d’un coup. Les morts de la cigarette-s’il y en a-se remarquent moins, dilués dans le temps». Mais il était sans aucun doute méfiant  « Ceux qui, écrivait Nicolas Machiavel, de particuliers, deviennent princes seulement par les faveurs de la fortune, ont peu de peine à réussir, mais infiniment à se maintenir. » Et ce n’est pas pour rien que le terrifiant Joseph Goebbels, l’un des nazis les plus  influents, utilisait ses théories…

Sur le plateau, une longue table noire,  quelques chaises et, à cour, un micro sur pied. Anne Cressent, Jean-Baptiste Verquin, Mathieu Desfemmes et Julie Timmerman passent d’un personnage à l’autre avec virtuosité. Et ils jouent tous ce Bernays  à tour de rôle, avec, juste sur la poitrine, un petit bandeau au nom d’Eddie. Il y a d’excellents moments comme l’évocation de cette campagne Lucky Strike rendue très vivante par les comédiens.
Barnays avait en effet réussi à convaincre les féministes qui, comme toutes les femmes, ne fumaient pas, et en tout cas, jamais dans la rue -comme en France jusqu’en 68-de devenir libres justement en fumant… Barnays a compris que rien ne servait à faire dans la finesse et que plus c’était gros, mieux cela passait dans l’opinion! Et il organisera un défilé de fumeuses avec pancartes où est inscrit: Les Torches de la liberté. Vous avez dit pervers et diabolique ?

Julie Timmerman maîtrise mieux qu’avant, la suite de ce spectacle flirtant avec l’agit-prop mais qui avait tendance à faire du sur-place. Un Démocrate est encore plus solide mais nous avons les mêmes réserves: elle aurait pu nous épargner cette bombe à paillettes (en rien écolo!) et le nuage de fumigènes à la fin avec renversement du mur du fond où les acteurs vont accrocher des photos qui parasitent l’action.
On aurait aussi bien aimé que Julie Timmerman évoque le début de cette année 1925 où, sous Trump, les méthodes Barnays ont encore progressé, pour le plus grand bienfait de la démocratie, bien sûr… et  encore pratiquées à grande échelle. Même à l’heure d’Internet, fleurissent encore et toujours truandages sémantiques, mensonges grossiers, manipulations de statistiques, détournements d’attention…et changements brutaux de politique pour déstabiliser l’opinion… chers au bel emperruqué-maquillé et à la Maison Blanche. Mais aussi entre autres, sur l’alimentation en France… Et les bonnes vieilles ficelles de Barnays sont encore enseignées mais avec d’autres mots, dans les écoles d’administration et de commerce, et appliquées avec plus ou moins de nuances au plus haut sommet des Etats, surtout en cas de conflit avec d’autres…
Dix ans après, ce spectacle, joué par les mêmes interprètes sauf une, et dans la même mise en scène, est resté intact et virulent. Ce qui est rare…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 26 avril, Théâtre de la Concorde, 1-3 avenue Gabriel, Paris (VIII ème). T. : 01 71 27 97 17.

 

 

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