Les Pieds sur terre de Gilles Granouillet, mise en scène de Michel Burstin, Bruno Rochette et Sylvie Rolland


Les Pieds sur terre de Gilles Granouillet, mise en scène de Michel Burstin, Bruno Rochette et Sylvie Rolland

Cet auteur contemporain maintenant bien connu et dont nous vous avons souvent parlé dans Le Théâtre du Blog, a fondé à Saint-Etienne en 89 la compagnie Travelling Théâtre et a mis en scène des pièces de Sam ShepardJean-Claude Grumberg  et de lui-même. Puis,  il a ouvert le Verso, petit théâtre indépendant et devint ensuite auteur associé à la Comédie de Saint-Etienne jusqu’en 2010. Guy Rétoré, Gilles Chavassieux, Philippe Adrien, Carole Thibaut, Jean-Claude Berutti, Magali Léris et surtout François Rancillac, ont mis ses textes en scène.

Cet auteur de soixante-et-un ans raconte souvent la vie intime de ces femmes et hommes laissés pour compte inconnus, qui font vivre le pays dans des coins reculés grâce à un travail ingrat et mal payé. Il n’ont, bien sûr, aucun espoir de s’en sortir. Ici, cela commence par l’arrivée de Monsieur Moreau et de sa fille Suzanne qui va passer son bac. Ils viennent dire comment un événement dans leur vie les a transformés et a changé leur relation. L’épouse et mère, étant elle partie depuis longtemps…
«Le jour, dit-il, le vigile surveille la caissière. Le soir, ils dorment dans la même barre, entourés de clients. Tout ce beau monde habite le quartier des sans-valeur et des déchus. Qu’est-ce que vaut un vigile ou une caissière ? Avant, je savais. J’avais une échelle précise de la valeur de chacun, du vigile au D.R.H. Aujourd’hui j’hésite. Depuis ma dégringolade, j’ai laissé pas mal de certitudes en chemin. Monsieur Jeancolas, le directeur du magasin me l’a dit:«Moreau,vous hésitez beaucoup pour un vigile. A se demander, si vous êtes compétent. « 
Cet ex-cadre supérieur est devenu vigile dans un hyper-marché : rien d’enrichissant ni de  valorisant que ce boulot de flic qui ne peut se permettre la moindre erreur, lui-même étant contrôlé. Sinon, il a la certitude d’être viré! Dans les années soixante-dix, nous avions un peu connu une employée de grand magasin parisien qui en avait assez de faire la queue dans un autre du même groupe. Elle est sortie avec une paire de bas qu’elle voulait acheter. Coût environ cinq €! Licenciée quarante-huit heures plus tard, sans aucune indemnité. Dura lex, sed lex! Et les syndicats n’avaient rien pu faire… Et ensuite, pour retrouver du boulot !!!!

© Luca Bozzi

© Luca Bozzi

M. Moreau, donc vigile dans un hypermarché, voit ce qui a été enregistré par les caméras de surveillance : un parfum non payé dans le sac de madame Dos Santos, caissière.  Un vol flagrant. Mais horreur, il connait bien cette dame, puisqu’elle habite dans son immeuble et qu’en plus, elle a été longtemps la nounou de Suzanne. Situation cornélienne: s’il couvre ce vol indéniable, il risque fort de perdre son emploi et de se retrouver au chômage, alors qu’il lui faut seul élever sa fille. Et s’il dénonce cette femme la cinquantaine avancée, elle perdra son travail et n’en retrouvera aucun…
Cerise sur le gâteau, M. Moreau va devoir affronter Suzanne qui lui crie: « Tu pouvais faire autrement, tu pouvais la prendre à part, tu pouvais lui faire la leçon. Et il lui répond: « Tu avais d’autres solutions pour qu’elle garde sa place ? «Alors Moreau ? Pas discrète Madame Dos Santos ! Même moi je l’ai vue ! C’est mon métier, Moreau? Non, c’est le vôtre. Alors vous êtes incompétent ou complice ? » Je réponds quoi ? Il m’a dans le nez Jeancolas, depuis le début! Pour lui un vigile doit forcément s’être arrêté au certificat d’études : mon parcours ne lui revient pas. Je devrais dire : ma dégringolade l’indispose ! Savoir qu’il y a encore cinq ans, je gagnais plus que lui, ça l’empêche de dormir. Alors quoi ? Alors il me vire, il tient l’occasion qu’il attend depuis des semaines. »
Cela sonne juste et vrai comme le dialogue entre Suzanne et l’enquêtrice au commissariat de police qui travaille sur le financement  d’un voyage coûteux à Rome de Madame Dos Santos; avec M. Moreau et Suzanne qui avouera plus ou moins un chantage. Après, il est question d’un possible suicide de madame Dos Santos qui se serait jetée par la fenêtre mais non, c’était finalement juste un tapis que Suzanne devra remonter par l’escalier.
Et un certain Matthieu, un bonhomme en grande robe bonnet et longs cheveux noirs  arrive dans l’appartement de M. Moreau. Il pousse une grosse valise: « Ne fais pas l’imbécile, dans ton frigo, y’a quoi ? (…) Il me demande pour quoi faire ! Toi, quand tu vas dans ton frigo, tu y vas pour quoi faire ? J’ai croisé ta fille, beau brin de fille, félicitations ! (…) Le mieux ce serait que tu ramènes ici tout ce qu’il y a dans ton frigo. Je veux dire tout ce qu’il y a de sympa dans ton frigo : évite-moi les rognures de fromage, les bouts de pâté séché. -Je ne vous connais pas, sortez de chez-moi ? Vous entrez chez les gens avec votre valise, qu’est-ce que vous voulez ? – Tu trouves que j’ai une tête à faire du porte-à-porte ? A vendre du crédit gratuit ou des épluches légumes miraculeux? Tu me sous-estimes! Comme tous les sédentaires sous estiment les voyageurs. Le moindre toit sur la tête leur donne un sentiment de supériorité ahurissant. Regarde-moi bien. Tu m’as déjà vu. Je suis percepteur ! Percepteur ? Oh ! Il n’y a pas de sot métier. J’étais percepteur à Jérusalem ! » 

Les dialogues des Pieds sur terre sont savoureux. Même si on se perd un peu dans un scénario compliqué sans doute trop dense et  si l’auteur brasse trop de thèmes: la précarité qui ne cesse d’augmenter, la soif de consommer, la difficulté de trancher quand on est concerné personnellement, le théâtre dans le théâtre, les relations entre père et  fille, la rencontre avec un personnage hors du commun qui s’introduit chez vous… Mais qu’importe, l’ensemble avec une petite cuiller de Ken Loach, fonctionne. Et nous aimons ce côté délirant, bienvenu dans un paysage théâtral souvent trop lisse. Et il y a un petit mais bel hommage inattendu au Caravage… Et en clin d’œil, une heureuse fin comme disent nos mais anglais : M. Jeancolas qui en assez, partira à la retraite plus tôt que prévu et annulera la sanction contre madame Dos Santos…
Bruno Rochette (M. Moreau), Erine Serrano (sa Fille) et Philippe Awat dans un double rôle (Matthieu et M. Jeancolas) sont bien dirigés et tous crédibles dans ces personnages foutraques. Mention spéciale à Sylvie Rolland ( l’Enquêtrice du commissariat), plus vraie que nature.
Allez-y : c’est un bon cru Granouillet…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 30 avril, Théâtre de Belleville, passage Piver, Paris (XX ème). T. : 01 48 06 72 34.

 


 

 

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