Festival Théâtres en mai De Là-Bas, conception, interprétation de Romain Bertet
Festival Théâtres en mai
De Là-Bas, conception, interprétation de Romain Bertet
Le Consortium Museum, centre d’art contemporain dijonnais, accueille ce spectacle entre performance et arts plastiques. Romain Bertet a étudié la sociologie, l’anthropologie, l’histoire et la physique. Il commence la danse à vingt-quatre ans en intégrant la compagnie Coline à Istres de 2005 à 2006, puis le cursus De l’interprète à l’auteur au C.C.N. de Rilleux-la-Pape-compagnie. Il travaille avec plusieurs chorégraphes et metteurs en scène et pendant quatre ans cette compagnie. Il poursuit sa carrière d’interprète et en parallèle, crée des petites formes et une première pièce De là-bas, en 2016 à La Valette et plusieurs performances dans des musées à Toulon où il travaille aussi à l’aménagement d’un espace artistique Le Volatil, fabrique pour danseurs, performeurs, comédiens et plasticiens à qui a ouvert en 2017.
Ici, le public est invité à descendre à s’asseoir des gradins dans une petite salle plongée dans le noir total. Bruit assourdissant… Un carré de lumière apparait au loin (création de Gilbert Guillaumond et Charles Périchaud) proche d’une toile de Mark Rotkho. Notre œil distingue encore mal mais brusquement des pieds apparaissent au-dessus puis vont disparaitre dans un fondu au noir, principe à l’œuvre pendant toute la représentation ouvrant et fermant ainsi les espaces-temps.Enfin un homme réussit à s’extraire du plafond. Nous découvrons alors un espace trapézoïdal en perspective couvert d’argile, du sol au plafond. L’homme va essayer d’en sortir en grattant les murs argileux, créant des trous d’où il va sculpter des boules qui surgissent aussi des murs et se faufiler la tête la première. Son corps est constamment sollicité, amputé, décapité… il se fond dans la matière organique, ne fait plus qu’un avec la terre qui l’aspire, le digère et le rejette.
L’homme revient toujours au même endroit, comme si le temps le ramenait constamment au point de départ. Quand la solitude s’empare de lui, il fait surgir des murs une vingtaine de visages sculptés qui l’encerclent et le regardent dans un dernier jugement sans appel. L’homme disparait ensuite dans le sol… pour revenir indéfiniment dans le même espace, prisonnier à jamais.
Romain Bertet nous fait entrer dans cet endroit sans histoires ni repères, en perpétuelle mutation, transformation et déformation. Un lieu poreux et instable, sujet à des failles temporelles multiples et sans aucune issue possible… Cet homme des cavernes va s’inventer des compagnons fictifs et illusoires pour être moins seul et ne pas tomber dans la folie, à moins que ce ne soit trop tard à cause d’un effet psychotique dû à un enfermement prolongé.
Il y a une dimension sacrée et chamanique dans ce remarquable spectacle où l’homme revient à un état primitif dans une renaissance venue du fond des âges. Les effets spatiaux et temporels sont travaillés avec une utilisation minutieuse de la lumière qui découpe l’espace à des endroits bien précis, provoquant des abîmes où se projettent nos fantasmes. La remarquable bande-son renvoie au monde extérieur (bruits de pas, chants d’oiseaux, chuchotements…) en une boucle sans fin. Une sorte d’allégorie de la caverne où les ombres illusoires sont remplacées par des bruits. Il faut souligner la synchronisation parfaite entre le danseur et l’éclairagiste qui a su créer espaces fractionnés et paysages changeants, tantôt exigus, tantôt infinis.
Ce voyage archéologique au centre de la terre (tête) n’a rien d’une mission ludique et spéléologique mais plutôt d’une angoissante plongée dans la psyché humaine dont nous sortons sonnés, retrouvant fébrilement la lumière du jour et nos vacillantes certitudes.
Sébastien Bazou
Spectacle vu à Dijon ( Côte-d’Or) le 25 mai.