Que d’espoir ! Cabaret théâtral d’Hanokh Levin, textes français de Laurence Sendrowicz, mise en scène de Valérie Lesort

Que d’espoir ! Cabaret théâtral d’Hanokh Levin, textes français de Laurence Sendrowicz, mise en scène de Valérie Lesort

A la base, un montage de textes issus de différents cabarets d’Hanokh Levin, dramaturge israélien (1943-1999) bien connu en France où il est souvent joué (voir Le Théâtre du Blog). Valérie Lesort avait en 2016, signé l’adaptation et une mise en scène fabuleuse avec Christian Hecq de Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne.Elle a aussi écrit, mis en scène et joué entre autres Le Cabaret horrifique à l’Opéra-Comique. Et en 2019, Petite balade aux enfers, adaptée d’Orphée et Eurydice de Gluck. Toujours avec Christian Hecq elle en scène Ercole amante de Cavalli à l’Opéra Comique en 2019.  Un an après, Christian Hecq et Valérie Lesort mettent en scène Le Bourgeois gentilhomme de Molière à la Comédie Française.
Elle signe la mise en scène de 
La Périchole d’Offenbach à l’Opéra-Comique il y a trois ans et la même année crée un merveilleux Voyage de Gulliver. Tous ces formidables spectacles (voir Le Théâtre du Blog ) ont reçu de nombreux prix.
Avec cinquante-deux pièces au titre souvent incendiaire comme celui de sa dernière: Toi, moi et la prochaine guerre,  Hanokh Levin a, sa courte vie durant, toujours fait une critique virulente de la réalité socio-politique de l’État d’Israël et a souvent lutté contre la censure; ses dialogues sont pleins d’humour et ses personnages hors norme et volontiers exubérants mais aussi pleins de tendresse. « 
L’universalité du sujet, la diversité des âges et des milieux sociaux des protagonistes,dit Valérie Lesort, ce constat que nous sommes, finalement, tous égaux face à la mort, a éveillé en moi une idée :je voudrais que les personnages se transforment à vue, qu’ils échangent certaines parties de leurs corps et de
leurs visages.  »

Et sur le plateau? Cela commence par une belle mais courte scène avec l’arrivée par la porte du rideau de fer abaissé d’un grand homme chauve aux grosses lunettes, cravate raide et  tennis bleu, parfaitement ridicule. Puis Charly Voodoo, du cabaret de Madame Arthur à Paris joue superbement au piano les chansons qu’il a écrites. Aucun autre décor autre qu’un rideau de perles noir et quelques accessoires et le spectacle est surtout fondé sur le jeu des acteurs. Céline Milliat-Baumgartner, Hugo Baron, David Migeot et Charly Voodoo, tous très expérimentés, font un boulot d’une remarquable précision.
Puis les sketches ou plus exactement des extraits, se succèdent. Ainsi une femme est coiffée d’un chapeau-sac de courses à roulettes qu’un homme voudrait absolument se procurer. Un client attend à la réception d’un hôtel et exige des services qui lui sont dus. Il y a aussi un violent conflit entre une épouse et son mari qui lui a demandé de lui passer le sel; elle entre en colère et l’accuse d’être impuissant.
Un homme (un travesti) encombré d’un caddie cherche à passer dans une rangée de spectateurs pour rejoindre la scène. Une femme aux seins et fesses provocants veut se faire offrir par le vendeur un hot-dog et en souligne la connotation sexuelle évidente pour rêver un peu… Une autre femme (en fait, un travesti)  plusieurs fois parle de ses boutons aux pieds, allant jusqu’à se déshabiller et laisser entrevoir un slip taché de merde. Ou encore une femme vient nettoyer la tombe de son mari et fait quelques commentaires…

 

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Carole Allemand a conçu des costumes avec prothèses d’énormes hanches et seins, des perruques en plastique dur noir, gris, jaune, de sombres moustaches, le tout impeccablement réalisé. Mais ce travail signé par une metteuse en scène aussi expérimentée que Valérie Lesort ne fonctionne pas.
Il y a d’abord une question de dramaturgie et ces courts extraits de plusieurs textes mis bout à bout ne font pas et ne feront jamais un cabaret, même avec quelques chansons accompagnées au piano par son auteur.

Par ailleurs, les interprètes qui jouent de nombreux personnages, ont plus l’allure de figurines-jouets en plastique rigide type poupée Barbie mais ne sont en rien des femmes et des hommes auxquels on pourrait s’attacher, même quelques minutes.  Et leurs petites histoires tombent à plat. Donc, on ne rit pas et on n’est pas ému un instant. Enfin, comme les acteurs doivent sans cesser changer de costumes et de prothèses, il leur faut du temps et il y a un cruel manque de rythme.
Cela fait quand même beaucoup d’erreurs et ce
Que d’espoir est long comme un jour à New York sans hot-dog… Et on est loin d’un véritable cabaret. Un 8 mai avec pont, la salle n’était pas très pleine, ce qui n’arrangeait rien. Vous aurez compris que nous ne pouvons vous conseiller ce « cabaret théâtral »: une forme hybride  et malgré des aspects provocants, qui reste assez timorée. Ce n’est ni vraiment du cabaret ni du théâtre. Et très loin des « cabarets satiriques » d’Hanokh Levin. Dommage…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 13 juillet, Théâtre de l’Atelier, place Charles Dullin, Paris (XVIII ème). T. : 01 46 06 49 24.

Les textes français de Laurence Sendrowicz sont parus aux éditions Théâtrales.

 


Archive pour 9 mai, 2025

Médecine générale d’Olivier Cadiot, mise en scène de Ludovic Lagarde

 Médecine générale d’Olivier Cadiot, mise en scène de Ludovic Lagarde

L’aventure théâtrale de ces compères est singulière: pour Ludovic Lagarde, une vingtaine de mises en scène des pièces de l’auteur et pour Laurent Poitrenaux, une dizaine de spectacles comme acteur. L’extraordinaire Colonel des zouaves, créé en 97, premiers temps de leur complicité à Lorient, est toujours en tournée !
Un texte de cet auteur suscite la curiosité et révèle un esprit ouvert à la poésie. Ces artistes se connaissent depuis plus de trente ans et nous surprennent encore dans leur recherche d’un langage littéraire et théâtral hors du commun. Leurs spectacles, tous originaux, nous ont souvent ébloui ou laissé perplexe, mais jamais indifférent !
Médecine générale publié en 2021 aux éditions P.O.L., a été créé en 2023, à la MC 93 à Bobigny. Le titre de ce roman-fleuve interpelle déjà. Et comment réussir à adapter au théâtre, ces quatre cents pages en une heure quarante?
C’est tout l’art de la prose d’Olivier Cadiot et de la mise en scène de Ludovic Lagarde. Écriture, adaptation et musique forment aussi un trio indissociable dans leurs créations. Le Credo d’une messe de Joseph Haydn, interprété ici par l’acteur et musicien Alvise Sinivia qui en a aussi créé le son et la musique, ouvre le spectacle : élégance et douce mélancolie s’emparent de l’espace gris et sobre, avec, seul sur le plateau, un piano à queue

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© Mariano Barrientos

Closure (Laurent Poitrenaux), écrivain-artiste qui a perdu son demi-frère, Mathilde (Valérie Dashwood), anthropologue revenue dans son pays après des années de terrain chez les Indiens d’Amazonie, Pierre (Alvise Sinivia) orphelin et musicien et prêt à toutes les expériences, sont en souffrance. Solitaires, ils décident de repartir à zéro! Utopie ? Pour mener à bien cette expérience existentielle, ils vont habiter une maison isolée et à l’abandon, celle de l’enfance de Mathilde.
L’écrivain offre au spectateur et/ou au lecteur, un vaste et singulier horizon sur le sens des choses et de l’existence: récit romanesque et poésie s’entrelacent. Abstraction et détails concrets, matérialité finissent par construire un paysage imprévu, drôle et à la fois étrange dans le cheminement des personnages. Cette construction esthétique peu banale  et ici mise en scène, s’avère quelquefois déroutante mais c’est parfait! Le théâtre ne doit pas offrir aux spectateurs ce qu’ils connaissent d’avance. C’est là, chose accomplie !
Le texte fragmenté est en effet déconcertant et on peut s’y perdre mais laisse advenir un réel qui s’apparente à une œuvre picturale, sonore et poétique. Dense avec une théâtralité sous-jacente, la langue d’Olivier Cadiot avec ses couleurs réussit à faire vibrer la grisaille, la morosité et le manque d’audace de notre temps! Elle appartient à la philosophie et à la politique, indispensable à la profondeur de l’art théâtral.
De ce roman-fleuve sophistiqué, le metteur en scène a su, avec cette adaptation, agencer subtilement dans l’espace, monologue introspectif en voix off, narration et dialogue souvent subjectif, avec le jeu et la corporalité des interprètes.
Il nous met avec finesse en contact avec le thème majeur de cette œuvre : la quête du sens des choses et de la vie. Par bonheur, cette poursuite ardue entreprise par les  personnages ne manque pas d’ironie, d’humour… et de vague à l’âme. Des êtres marqués par la vie : «Une trinité à la fois unie et divisée, dit Ludovic Lagarde, un triangle dont chaque sommet ne cesse de se repositionner par rapport aux deux autres: la possibilité d’une figure, comme la possibilité d’un écart. »

Géométrie et musique : les mots sonnent bien au regard de l’esthétique d’Olivier Cadiot. Le rythme et le dessin se tracent au fil de sa prose et les images sont ici remarquablement mises en mouvement grâce, entre autres, à la scénographie claire et évocatrice d’Antoine Vasseur. Et les belles vidéos de la campagne crées par Jérôme Tuncer, figurent le voyage en train. Au milieu de nulle part, dans cette maison de famille désertée, les personnages sont en costume noir et chemise blanche: une référence au deuil? A la fois perdus, marqués par la tristesse, et aussi fantasques avec leurs préoccupations scientifiques et métaphysico-philosophiques, ils donnent vie à un spectacle étonnant.
’L’émotion peine à naître et l’humour du texte n’est pas toujours assez mis en éclat… Mais nous sommes fascinés par la gestuelle et le phrasé exceptionnels de Laurent Poitrenaux, comme par le jeu sensible d’Alvise Sinivia. Autre point fort: l’esprit vif et sans détour sur notre contemporanéité de Médecine générale.
Un spectacle à découvrir comme une expérience théâtrale dont, comme toute recherche, on ne connaît pas l’issue: «Quelles traces, laissera-t-elle? dit le metteur en scène. Peut-on dire de la pièce qu’elle en est le résultat? Ou bien qu’elle est précisément l’expérience en train de se faire ? » Ce à quoi, nous invite Médecine générale et à chacun, d’en saisir ou non, l’opportunité. Mais cette expérience met en lumière un objet audacieux et inventif, avec des moments d’une grande beauté poétique.

Elisabeth Naud

Jusqu’au 13 mai, Théâtre de la Ville-Les Abesses, 31 rue des Abbesses, Paris (XVIII ème). T : 01 42 74 22 77.

Le roman est édité aux éditions P.O.L.

La Tendresse, conception et mise en scène de Julie Berès, écriture et dramaturgie de Kevin Keiss, Lisa Guez et Julie Berès, avec la collaboration d’Alice Zeniter

La Tendresse, conception et mise en scène de Julie Berès, écriture et dramaturgie de Kevin Keiss, Lisa Guez et Julie Berès, avec la collaboration d’Alice Zeniter

Explosion de sauts, pas frappés, piétinements, élans: une bande de garçons prend possession du dispositif scénique a priori casse-gueule (un «parkour» échafaudé par Goury). Ils en explorent toutes les possibilités acrobatiques à un rythme effréné, sur les constructions musicales de Juliette Jacquemont.
D’abord la danse (chorégraphie de Jessica Noira), toutes les danses: Krump, Hip-hop, Break, Ballet Classique… chacune avec sa majuscule car c’est le nom propre et la fierté de chaque groupe, de chaque individu.
Julie Bérès, avec Désobéir, avait observé comment les filles de seconde et troisième génération de l’émigration trouvent les «non» qui leur permettent de se construire une vie et une identité. Ici, avec une équipe de choc, elle a exploré, à l’ère de Me too, comment les garçons se trouvent aux prises avec la masculinité. «Ils se débattent entre les clichés du masculin, les injonctions de la société, les volontés de la tradition et les assises du patriarcat.» Contraints peu à peu de découvrir et d’accepter leur fragilité, s’ils ne veulent pas se prendre un mur, ce qu’ils font, du reste, physiquement en un défi métaphorique sidérant.

On comprend la démarche des auteurs : en bons sociologues, avec un «travail documentaire immersif», ils ont accumulé les enquêtes en direct auprès d’un panel de garçons d’une vraie diversité. Et on retrouve la même richesse sur scène. En prologue, les danseurs grafitent à la craie leurs prénoms sur le décor couleur d’ardoise : Alexandre, Djamil, Saïd, Guillaume, Tigran… Ils sont combien ? Quinze, vingt, en alternance, tous ensemble et chacun dans sa fonction, enragés, joyeux, en surpression. Et puis la danse s’apaise, le poids du groupe se détend et chacun raconte sa « première fois», sa peur du continent noir qu’est la femme, s’interroge sur l’image qu’il a de son père et sur le peu d’envie qu’il a, de lui ressembler. Pas plus, d’ailleurs que d’être «déconstruit», avant de s’être construit. Surprise : au milieu du groupe, se cache, avant de se dévoiler dans le dernier mouvement (car il s’agit bien de musique), une passagère clandestine, une fille. Comme une Anita Conti au milieu de ses marins, venue se mesurer avec un monde masculin, en messagère d’égalité .

© Axelle de Russé

© Axelle de Russé

Le propos semble, et il l’est parfois, trop didactique, rappelant entre autres, que la pornographie est l’une des premières sources d’information sexuelle pour les garçons, et aussi de leurs difficultés avec les filles que les performances fantasmées n’intéressent pas ou que rebute un comportement machiste, de plus joué  et forcé.
Le spectacle montre aussi  que la domination du «mâle traditionnel» s’exerce sur les plus faibles, femmes et enfants mais aussi sur «les hommes dont la masculinité est disqualifiée ». Mais le risque de «pédagogisme est écarté avec ce qu’on pourrait appeler un lyrisme physique: danses, battles, prises à partie… Ce corps collectif se fait et se défait sans cesse, jusqu’à la découverte de soi-même, une fois les couches de masculinité obligatoires, décapées jusqu’à l’apaisement.
Ballet ultra-contemporain, comédie musicale musclée avec chœurs, solos et duos: «quelque chose de l’exemplarité masculine et en train de s’éroder». C’est ici réalisé avec une folle énergie et une rigueur infernale mais aussi avec humour. Le public jeune (et nombreux) a applaudi debout. On n’a pas envie d’en dire plus. Allez-y.

Christine Friedel

Jusqu’au 11 mai, puis du 24 mai au 20 juillet, Théâtre des Bouffes-Parisiens, 4 rue Monsigny, Paris (II ème). T. : 01 42 96 92 32.

 

 

 

 

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