La Tendresse, conception et mise en scène de Julie Berès, écriture et dramaturgie de Kevin Keiss, Lisa Guez et Julie Berès, avec la collaboration d’Alice Zeniter
La Tendresse, conception et mise en scène de Julie Berès, écriture et dramaturgie de Kevin Keiss, Lisa Guez et Julie Berès, avec la collaboration d’Alice Zeniter
Explosion de sauts, pas frappés, piétinements, élans: une bande de garçons prend possession du dispositif scénique a priori casse-gueule (un «parkour» échafaudé par Goury). Ils en explorent toutes les possibilités acrobatiques à un rythme effréné, sur les constructions musicales de Juliette Jacquemont.
D’abord la danse (chorégraphie de Jessica Noira), toutes les danses: Krump, Hip-hop, Break, Ballet Classique… chacune avec sa majuscule car c’est le nom propre et la fierté de chaque groupe, de chaque individu.
Julie Bérès, avec Désobéir, avait observé comment les filles de seconde et troisième génération de l’émigration trouvent les «non» qui leur permettent de se construire une vie et une identité. Ici, avec une équipe de choc, elle a exploré, à l’ère de Me too, comment les garçons se trouvent aux prises avec la masculinité. «Ils se débattent entre les clichés du masculin, les injonctions de la société, les volontés de la tradition et les assises du patriarcat.» Contraints peu à peu de découvrir et d’accepter leur fragilité, s’ils ne veulent pas se prendre un mur, ce qu’ils font, du reste, physiquement en un défi métaphorique sidérant.
On comprend la démarche des auteurs : en bons sociologues, avec un «travail documentaire immersif», ils ont accumulé les enquêtes en direct auprès d’un panel de garçons d’une vraie diversité. Et on retrouve la même richesse sur scène. En prologue, les danseurs grafitent à la craie leurs prénoms sur le décor couleur d’ardoise : Alexandre, Djamil, Saïd, Guillaume, Tigran… Ils sont combien ? Quinze, vingt, en alternance, tous ensemble et chacun dans sa fonction, enragés, joyeux, en surpression. Et puis la danse s’apaise, le poids du groupe se détend et chacun raconte sa « première fois», sa peur du continent noir qu’est la femme, s’interroge sur l’image qu’il a de son père et sur le peu d’envie qu’il a, de lui ressembler. Pas plus, d’ailleurs que d’être «déconstruit», avant de s’être construit. Surprise : au milieu du groupe, se cache, avant de se dévoiler dans le dernier mouvement (car il s’agit bien de musique), une passagère clandestine, une fille. Comme une Anita Conti au milieu de ses marins, venue se mesurer avec un monde masculin, en messagère d’égalité .
Le propos semble, et il l’est parfois, trop didactique, rappelant entre autres, que la pornographie est l’une des premières sources d’information sexuelle pour les garçons, et aussi de leurs difficultés avec les filles que les performances fantasmées n’intéressent pas ou que rebute un comportement machiste, de plus joué et forcé.
Le spectacle montre aussi que la domination du «mâle traditionnel» s’exerce sur les plus faibles, femmes et enfants mais aussi sur «les hommes dont la masculinité est disqualifiée ». Mais le risque de «pédagogisme est écarté avec ce qu’on pourrait appeler un lyrisme physique: danses, battles, prises à partie… Ce corps collectif se fait et se défait sans cesse, jusqu’à la découverte de soi-même, une fois les couches de masculinité obligatoires, décapées jusqu’à l’apaisement.
Ballet ultra-contemporain, comédie musicale musclée avec chœurs, solos et duos: «quelque chose de l’exemplarité masculine et en train de s’éroder». C’est ici réalisé avec une folle énergie et une rigueur infernale mais aussi avec humour. Le public jeune (et nombreux) a applaudi debout. On n’a pas envie d’en dire plus. Allez-y.
Christine Friedel
Jusqu’au 11 mai, puis du 24 mai au 20 juillet, Théâtre des Bouffes-Parisiens, 4 rue Monsigny, Paris (II ème). T. : 01 42 96 92 32.