Médecine générale d’Olivier Cadiot, mise en scène de Ludovic Lagarde

 Médecine générale d’Olivier Cadiot, mise en scène de Ludovic Lagarde

L’aventure théâtrale de ces compères est singulière: pour Ludovic Lagarde, une vingtaine de mises en scène des pièces de l’auteur et pour Laurent Poitrenaux, une dizaine de spectacles comme acteur. L’extraordinaire Colonel des zouaves, créé en 97, premiers temps de leur complicité à Lorient, est toujours en tournée !
Un texte de cet auteur suscite la curiosité et révèle un esprit ouvert à la poésie. Ces artistes se connaissent depuis plus de trente ans et nous surprennent encore dans leur recherche d’un langage littéraire et théâtral hors du commun. Leurs spectacles, tous originaux, nous ont souvent ébloui ou laissé perplexe, mais jamais indifférent !
Médecine générale publié en 2021 aux éditions P.O.L., a été créé en 2023, à la MC 93 à Bobigny. Le titre de ce roman-fleuve interpelle déjà. Et comment réussir à adapter au théâtre, ces quatre cents pages en une heure quarante?
C’est tout l’art de la prose d’Olivier Cadiot et de la mise en scène de Ludovic Lagarde. Écriture, adaptation et musique forment aussi un trio indissociable dans leurs créations. Le Credo d’une messe de Joseph Haydn, interprété ici par l’acteur et musicien Alvise Sinivia qui en a aussi créé le son et la musique, ouvre le spectacle : élégance et douce mélancolie s’emparent de l’espace gris et sobre, avec, seul sur le plateau, un piano à queue

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© Mariano Barrientos

Closure (Laurent Poitrenaux), écrivain-artiste qui a perdu son demi-frère, Mathilde (Valérie Dashwood), anthropologue revenue dans son pays après des années de terrain chez les Indiens d’Amazonie, Pierre (Alvise Sinivia) orphelin et musicien et prêt à toutes les expériences, sont en souffrance. Solitaires, ils décident de repartir à zéro! Utopie ? Pour mener à bien cette expérience existentielle, ils vont habiter une maison isolée et à l’abandon, celle de l’enfance de Mathilde.
L’écrivain offre au spectateur et/ou au lecteur, un vaste et singulier horizon sur le sens des choses et de l’existence: récit romanesque et poésie s’entrelacent. Abstraction et détails concrets, matérialité finissent par construire un paysage imprévu, drôle et à la fois étrange dans le cheminement des personnages. Cette construction esthétique peu banale  et ici mise en scène, s’avère quelquefois déroutante mais c’est parfait! Le théâtre ne doit pas offrir aux spectateurs ce qu’ils connaissent d’avance. C’est là, chose accomplie !
Le texte fragmenté est en effet déconcertant et on peut s’y perdre mais laisse advenir un réel qui s’apparente à une œuvre picturale, sonore et poétique. Dense avec une théâtralité sous-jacente, la langue d’Olivier Cadiot avec ses couleurs réussit à faire vibrer la grisaille, la morosité et le manque d’audace de notre temps! Elle appartient à la philosophie et à la politique, indispensable à la profondeur de l’art théâtral.
De ce roman-fleuve sophistiqué, le metteur en scène a su, avec cette adaptation, agencer subtilement dans l’espace, monologue introspectif en voix off, narration et dialogue souvent subjectif, avec le jeu et la corporalité des interprètes.
Il nous met avec finesse en contact avec le thème majeur de cette œuvre : la quête du sens des choses et de la vie. Par bonheur, cette poursuite ardue entreprise par les  personnages ne manque pas d’ironie, d’humour… et de vague à l’âme. Des êtres marqués par la vie : «Une trinité à la fois unie et divisée, dit Ludovic Lagarde, un triangle dont chaque sommet ne cesse de se repositionner par rapport aux deux autres: la possibilité d’une figure, comme la possibilité d’un écart. »

Géométrie et musique : les mots sonnent bien au regard de l’esthétique d’Olivier Cadiot. Le rythme et le dessin se tracent au fil de sa prose et les images sont ici remarquablement mises en mouvement grâce, entre autres, à la scénographie claire et évocatrice d’Antoine Vasseur. Et les belles vidéos de la campagne crées par Jérôme Tuncer, figurent le voyage en train. Au milieu de nulle part, dans cette maison de famille désertée, les personnages sont en costume noir et chemise blanche: une référence au deuil? A la fois perdus, marqués par la tristesse, et aussi fantasques avec leurs préoccupations scientifiques et métaphysico-philosophiques, ils donnent vie à un spectacle étonnant.
’L’émotion peine à naître et l’humour du texte n’est pas toujours assez mis en éclat… Mais nous sommes fascinés par la gestuelle et le phrasé exceptionnels de Laurent Poitrenaux, comme par le jeu sensible d’Alvise Sinivia. Autre point fort: l’esprit vif et sans détour sur notre contemporanéité de Médecine générale.
Un spectacle à découvrir comme une expérience théâtrale dont, comme toute recherche, on ne connaît pas l’issue: «Quelles traces, laissera-t-elle? dit le metteur en scène. Peut-on dire de la pièce qu’elle en est le résultat? Ou bien qu’elle est précisément l’expérience en train de se faire ? » Ce à quoi, nous invite Médecine générale et à chacun, d’en saisir ou non, l’opportunité. Mais cette expérience met en lumière un objet audacieux et inventif, avec des moments d’une grande beauté poétique.

Elisabeth Naud

Jusqu’au 13 mai, Théâtre de la Ville-Les Abesses, 31 rue des Abbesses, Paris (XVIII ème). T : 01 42 74 22 77.

Le roman est édité aux éditions P.O.L.

 

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