Tchekhov à la folie. La Demande en mariage et L’Ours d’Anton Tchekhov, traduction André Markowicz et Françoise Morvan, mise en scène Jean-Louis Benoît.
Tchekhov à la folie. La Demande en mariage et L’Ours d’Anton Tchekhov, traduction d’André Markowicz et Françoise Morvan, mise en scène de Jean-Louis Benoît
Ces courtes pièces sont souvent jouées ensemble et ici, dans un décor unique signé Jean Haas, à la fois cuisine de ferme avec chaises en bois et un lit clos avec, à côté, chaussures qui traînent mais aussi côté cour, un fauteuil confortable évoquant plutôt un salon. La Demande en mariage est tirée d’une nouvelle d’Anton Tchekhov. C’est un été très chaud dans la campagne russe, peut-être du côté de Saratov, à sept cent kms au Sud-Est de Moscou où il aimait aller se reposer. Dans la cuisine d’une ferme, Natalia Stepanovna, une jeune femme encore célibataire écosse des petits pois. Arrive Lomov, un voisin proche: c’est un gros bonhomme, en costume et chapeau noir, trop endimanché en cette journée estivale. Salué respectueusement par Stepan Stepanovitch, père de cette jeune femme, il a du mal à lui avouer l’objet de sa visite: il voudrait la demander en mariage.
Le père se réjouit que sa fille soit enfin casée. Il la fait venir et elle s’étonne de voir Lomov aussi bien habillé… Ils commencent à parler de la très forte pluie de la veille et du temps superbe aujourd’hui… Mais les choses vont vite déraper à propos d’un terrain : comme c’est encore aussi assez fréquent dans les campagnes françaises où on ne sait plus très bien, après plusieurs générations, à qui appartient un petit bout de terrain ! Ici cela va tourner à l’aigre avec ce Pré aux vaches «qui forme une enclave entre votre bois de bouleaux et le Marais brûlé, dit Lomov… Mais Natalia lui répond : « Il est à nous, un point, c’est tout. » Bref, elle et lui en revendiquent la possession mais n’ont aucun moyen de savoir à laquelle de leur famille, il appartient…
Question d’orgueil, bien sûr, plutôt que de valeur de cette parcelle. Et les injures pleuvent, avant même que Lomov fasse sa demande en mariage : «Vous êtes un usurpateur! Il est à nous.» Et en entendant les cris de la dispute, Stepan Stepanovitch arrive et se range, bien sûr, du côté de sa fille et le ton continue donc à monter. Natalia Stepanovna-qui a sans doute bien envie de se marier, elle a vingt-cinq ans: un âge avancé pour l’époque- se sent mal quand son père lui dit que Lomov (il en a dix ans de plus, était venu pour lui demander de l’épouser: «Qu’il revienne ! »lui dit-elle alors. Ce qu’il fera, et elle lui demandera d’excuser son père et elle, pour leur colère.
Mais arrivent sur le tapis, la qualité et le prix de leur chien de chasse : Oktataï, celui de Natalia, et Ougadaï, celui de Lomov. La dispute reprend de plus belle. « Votre cabot, on ne sait même pas d’où il sort, dit-elle. » «Vous me prenez pour un aveugle ou pour un imbécile, répondra Lomov, un tel chien ne vaut rien pour le gibier. » Mais il en a des palpitations et finit par s’évanouir. On le croit mort mais non…
Le père, avisé, sifflera la fin de la récré et dira aux tourtereaux incorrigibles: «Embrassez-vous.» Ce qu’ils feront aussitôt mais ils se disputeront encore une fois : «Convenez-en maintenant, dit Natalia, Ougadaï ne vaut pas mon Otkataï. » «Débuts du bonheur conjugal et champagne. » répètera Stepan Stepanovitch…
Jean-Louis Benoît a tiré ce petit bijou de théâtre vers la grosse farce avec claquement de portes, criailleries incessantes, meubles renversés, voire cassés, comme une latte de la cloison… Par ailleurs, Emeline Bayart, bonne comédienne et chanteuse, n’a pas vraiment l’âge du rôle, comme Luc Tremblais (Lomov) et mal dirigée, elle surjoue, multiplie clins d’œil, grimaces, haussements d’épaule, bref, en fait des tonnes. Ce qui fausse les choses.
Jean-Paul Farré, lui, est sobre, et juste comme toujours… Cette fabuleuse Demande en mariage exige un travail plus en nuances et parmi les nombreuses mises en scène que nous avons vues de cette pièce, nous nous souvenons de celle de Jacques-Albert Canque, metteur en scène bordelais de haute culture aujourd’hui, hélas disparu, à Condom (Gers) devant un public local enthousiasme, avec deux jeunes acteurs et un autres plus âgé, pour jouer le Père. Mais ici, le compte n’y est vraiment pas : une partie du public riait parfois et l’autre, non. Une mise en scène bien peu convaincante. Dommage….
Dans L’Ours, l’argent et l’amour sont au cœur de cette courte pièce. Cela se passe aussi dans la campagne russe, un lieutenant d’artillerie en retraite et propriétaire foncier, Grégory Stépanovitch arrive chez Eléna Popova, une jeune veuve, elle aussi propriétaire….Elle voue un immense amour à son défunt mari dont elle regarde la photo avec émotion, même si elle dit qu’il n’a pas arrêté de la tromper…
Grégory Stépanovitch lui demande de payer la dette qu’elle a envers lui. Eléna Popova refuse: elle ne peut pas le faire avant mercredi, quand son intendant sera rentré. Lui, exaspéré, veut son argent tout de suite et pas dans trois jours pour éviter d’avoir à payer des intérêts et décide alors de rester là jusqu’à obtenir satisfaction.
La veuve inconsolable demande alors de «décamper immédiatement à cet ours qui lui réplique avec grossièreté: « Je me fiche que vous soyez une femme. ». Il va même la provoquer en duel mais finit par en tomber amoureux, quand elle lui demande avec politesse mais fermement… comment tirer avec un des deux revolvers qu’elle s’est fait apporter. C’est joué par les mêmes acteurs que ceux de La Demande en mariage. Jean-Paul Farré est un Grégory Stépanovitch tout à fait juste, à la fois vulgaire et attendri : «Le duel, c’est ça, l’égalité des droits. Là, les deux sexes sont égaux. Je vais tirer par principe. Mais quelle bonne femme! Je vais planter une balle dans votre tête de pioche…Parole, la première fois de ma vie que j’en vois une comme ça ! »
Luc Tremblais est le valet de cette veuve et en repasse avec soin les petites culottes noires… (Passons sur ce gag !) Et Emeline Bayart est, elle aussi, plus juste dans ce rôle comique. Et cette comme la précédente, elle va se retrouver finalement mariée avec un homme qu’elle connaissait mal et surtout qu’elle n’attendait pas. « C’est une histoire, un miroir sans reflet, un miroir sans paroles, dite par une voix sourde et familière, avec ce flegme et cette politesse désespérée qui font d’Anton Tchekhov le plus grand écrivain britannique de langue russe.» écrivait Renaud Matignon dans une préface aux pièces du grand dramaturge. C’est un peu de cette politesse désespérée, que nous aurions aimé retrouver ici. «Un théâtre de blague, dit le metteur en scène où tout doit paraître vrai. »
Mais ce n’est pas vraiment le cas et on ressort déçu, même si la seconde pièce est mieux traitée que la première, même si le mur de la cuisine se déglingue à la fin sans raison. Décidément, Anton Tchekhov méritait beaucoup mieux que cela… Bref, on a connu Jean-Louis Benoît mieux inspiré, entre autres, quand il montait Le Revizor de Nicolas Gogol à la Comédie-Française. A vous de décider, si cela vaut le coup d’y aller voir..
Philippe du Vignal
Jusqu’au 13 juillet, Théâtre de Poche-Montparnasse, 75 boulevard du Montparnasse, Paris (VI ème). T. : 01 45 44 50 21.
Le texte publié aux éditions Acte-Sud.