Soleil d’après Raymond Carver, mise en scène d’Armel Roussel

 Soleil d’après Raymond Carver, mise en scène d’Armel Roussel

 L’auteur américain (1938-1988) est le roi de la nouvelle : il saisit mieux que tout autre, ce qui en fait la force et le charme. Il ne s’agit pas obligatoirement d’amener le lecteur à une chute brillante, mais plutôt de le conduire d’un presque rien de la vie quotidienne, à un détail, un mot ou un geste qui bouleverse les sentiments et tout simplement la vie des gens. Une émotion, un minuscule malentendu peuvent ouvrir de profondes fissures, parfois vite réparées, mais en laissant quelles cicatrices ? Raymond Carver ne s’attarde pas : un regard aigu ouvre ou ferme la plaie et il n’en écrira pas plus qu’il ne faut.

Un défi pour le metteur en scène : ne pas adapter ces nouvelles mais en dégager et éclairer le théâtre intérieur. Mis sur la voie par le film Shorts Cuts de Robert Altman (1993) , de plusieurs livres de Raymond Carver,  il a inventé une forme particulière pour les présenter : douze séquences de vingt minutes, chacune dans son décor que le public rejoindra par petits groupes à tour de rôle et dans l’espace fragmenté du théâtre de la Tempête. Le pari et la tâche : que les séquences s’enchaînent harmonieusement, sans précipitation ni retard de façon que l’écoute de chaque scène soit parfaite. L’astuce : pour certaines séquences, nous avons été équipés d’un casque audio ; qualité d’intimité que permet l’outil et possibilité que deux scènes, juste séparées par un simple rideau, ne se perturbent pas..

Le dispositif d’ensemble est fait pour peut fonctionner sans accrocs, case par case, à l’image du jeu de bingo (pas forcément nécessaire) faisant fonction de prologue et d’entracte. On en ressent pourtant la lourdeur quand il s’encombre de petites attentes et piétinements : le public, par définition de bonne volonté, n’est pas toujours facile à mettre en scène, surtout avec la précision requise ici. En revanche, le passage des nouvelles, au théâtre fonctionne parfaitement. Pour certaines scènes (Débranchés), nous sommes presque au cinéma en direct, proches des comédiens mais pourtant mis à une juste distance par l’écoute au casque. Pour Tais-toi, je t’en prie, le décor provoque une « inquiétante étrangeté » (mais on ne la dévoilera pas) jusqu’à ce que la fin de la scène lui donne toute sa valeur de métaphore dans la vie du couple.
Avec Pourquoi l’Alaska ? La grande table devenue plateau impose le théâtre. Mais, encore une fois, sans que les nouvelles soient adaptées : les acteurs disent évidemment les dialogues et le récit. Mais non comme des conteurs: en prenant au mot les indications d’action: autant d’injonctions données à leur personnage. Et cela, ajusté avec une telle précision et à un tel rythme, qu’on ne tombe jamais dans l’illustration ni le pléonasme, pour le plus grand bonheur du spectateur. Et les comédiens sont magnifiques. Et il faudra trouver mieux que: «petit bijou» pour qualifier chaque scène, ciselée et réalisée avec une économie parfaite, à la hauteur de celle de Raymond Carver… Rien que la vérité et toute la vérité du texte et du jeu.

Une recommandation : le public doit avoir une parfaite discipline. Obéissance aux consignes : « Perinde ac cadaver essent » (comme s’ils étaient des cadavres), une curieuse phrase du Jésuite Ignace de Loyola… Silence absolu jusqu’au bout d’une séquence de trois scènes, applaudissements uniquement en langue des signes. Le dispositif, compliqué et fragile, l’impose.

 Christine Friedel

 Jusqu’au 22 juin, Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de manœuvre. Métro : Château de Vincennes + navette gratuite. T. : 01 43 28 36 36

 

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