Mère Courage et ses enfants, Chronique de la guerre de trente ans de Bertolt Brecht, mise en scène de Lisaboa Houbrechts
Mère Courage et ses enfants, Chronique de la guerre de trente ans de Bertolt Brecht, mise en scène de Lisaboa Houbrechts
La pièce écrite en 1938-1939 par le dramaturge qui vivait en exil au Danemark, a été créée en 41 au Schauspielhaus de Zurich. Il s’est inspiré de récits de von Grimmelshausen (1622-1676) sur la guerre de Trente Ans. Anna Fierling, dite Mère Courage, une cantinière avec ses jeunes fils, Eilif et Schweizerkas (Gruyère) et Kattrin, sa fille devenue muette après avoir été violée enfant par un soldat.
Mère Courage tire sa carriole, de champ de bataille en champ de bataille et vend aux soldats tout ce qu’elle peut trouver poulets, boissons, pain, etc., pour gagner un maximum d’argent et protéger ses enfants. Mère Courage est prête à tout sacrifier mais la guerre lui prendra ses enfants, l’un après l’autre. Eilif, enrôlé dans l’armée, mourra au combat, comme son frère.Et Kattrin, pour avoir voulu sauver les autres, en battant du tambour pour les avertir de l’arrivée de l’ennemi, sera tuée, elle aussi. Et le commerce de Mère Courage périclitera. « Il ne lui reste plus rien à vendre, dira-t-elle, et plus personne n’a rien pour acheter ce rien. » Jouer avec la guerre et faire des compromis marche un temps mais sans plus. Une vieille histoire… Malgré son malheur, elle reprendra la route seule avec obstination.
Cette fresque se déroule de 1624 à 36 en douze scènes à la fois simples et d’une grande poésie. Cette pièce devenue célèbre est sans doute la plus emblématique du grand dramaturge allemand et elle a été souvent montée. La première fois que nous avions vue Mère Courage, c’était cinq ans après la venue en 54 du Berliner Ensemble avec la grande Helen Weigel et sa création à Suresnes au T. N.P.-Chaillot la même année par Jean Vilar. Avec toujours Germaine Montero dans le rôle-titre, Evelyne Istria et Pierre Vaneck.
Puis il y eut, entre autres, la très belle mise en scène de Jérôme Savary en 94 sur la grande scène de Chaillot avec l’actrice allemande Katharina Thalbach, la fille de Therese Giehse qui avait créé le rôle de Mère Courage. Et on a pu aussi voir celle de Klaus Peymann ici même, il y a onze ans. Et sur une petite scène mais d’une rare efficacité, celle d’Anne-Marie Lazzarini.
Ici, c’est une paraphrase de la pièce originale qu’il vaut mieux connaître pour se repérer dans ces personnages qui n’en sont pas vraiment et qui parlent français, flamand, hébreu. Mais le surtitrage qui roule à grande vitesse, est difficilement lisible et tant pis pour les spectateurs non trilingues. Mais il y aura une centaine de désertions. Cela fait quand même beaucoup d’erreurs de mise en scène.
Tout se passe sur une pièce d’eau noire où pataugent les acteurs. Dans le fond, un lourd boulet noir d’environ trois mètres de diamètre que les fils de Mère Courage, puis les autres personnages vont pousser. A la toute fin, même scénario avec un boulet de soixante cms. Une dimension métaphysique? Une allusion au globe terrestre et à La Vie de Galilée du même Bertolt Brecht? Comprenne qui pourra. Visiblement, la metteuse en scène a voulu se faire plaisir mais ses intentions, assez prétentieuses, restent floues.
Lisaboa Houbrecht s’est servi de Mère Courage comme d’un prétexte et a créé un espace d’art minimal comme une sculptrice et de ce côté-là, rien à dire, c’est très beau mais ne fait absolument pas sens. Ce qui est une œuvre d’art n’est absolument pas une scénographie et ne sert en rien les acteurs plongés dans les ténèbres. La direction et donc le jeu, sont médiocres et l’ensemble de cette mise en scène d’une rare sécheresse, distille un profond ennui. Même si Laetitia Dosch réussit à quelques moments, à s’imposer dans cette étendue aquatique, comment s’intéresser à ces ombres de personnages sans véritable identité, tous habillées en noir? Lisaboa Houbrechts a voulu faire joujou avec Bertolt Brecht mais il il s’est vengé et cette bien médiocre écriture théâtrale ne fonctionne pas. Et de nombreux spectateurs ont quitté la salle sans le moindre applaudissement. Cette Mère Courage ne fait pas honneur aux Chantiers d’Europe. Pourquoi Emmanuel Demarcy-Mota a-t-il programmé ce mauvais spectacle, même trois jours? Il se joue encore ce soir et demain mais vous pouvez vous l’ épargner…
Philippe du Vignal
Jusqu’au 15 juin, Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, 2 place du Châtelet, Paris (IV ème).
,