Soleil, d’après Raymond Carver, mise en scène d’Armel Roussel (suite)

Soleil,d’après Raymond Carver, mise en scène d’Armel Roussel (suite)

Christine Friedel vous a rendu compte de trois des dix pièces de la face A de ce spectacle et nous a transmis le relais pour la face B avec six spectacles. Dans un petit lieu, à chaque fois nouveau, du Théâtre de la Tempête. Avec des sièges tout autour, sauf à la fin dans la grande salle. Pour une quinzaine de personnes avec bracelet de couleur différente selon le groupe: bleu, rouge, vert, gris…). Une organisation impeccable surveillée de près par Armel Roussel. Les courts spectacles (vingt minutes) chacun adapté d’une nouvelle avec par vingt-deux acteurs en tout. Les parcours A et B étant joués en alternance-vous suivez toujours?-avec, au début et à la fin, un jeu de bingo animé par une Coline Walters jouant à la perfection les idiotes de service: on peut gagner de ces photos des spectacles ou un verre au bar…

Toutes les petites choses

Les metteurs en scène se sont depuis longtemps intéressé aux nouvelles de Raymond Carver  comme l’excellent cabaret monté par Sylvain Maurice il y cinq ans à Sartrouville ( voir Le Théâtre du Blog)  ou plus récemment Olivia Corsini, à l’Espace des Arts-Scène nationale de Chalon-sur-Saône.
Ici, dans une belle salle blanche sous les toits, éclairée par quelques fenêtres basses apportant la douce lumière d’un soir de canicule. Silence absolu dans cette cuisine des années cinquante (du moins quelques éléments), une table, et une petite avec trois bouteilles d’alcool vides.

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C’est un monologue joué par Uiko Watanabé en japonais, surtitré en français.  L’actrice en longue chemise blanche (dans la nouvelle originale, c’est un homme) raconte qu’elle a vu son voisin essayant d’éliminer les limaces qui ont envahi son jardin.  Elle ne veut pas réveiller son mari dort dans la chambre attenante.  » Je rouvris les yeux mais ne bougeai pas. Je secouai un peu Cliff. Il s’éclaircit la gorge, avala quelque chose, s’étrangla, un crachat tomba sur sa poitrine. Dieu sait pourquoi, cela me fit penser à ces bêtes que Sam aspergeait de poudre (…)  «  La limace se tortilla, puis se recroquevilla et pour finir, se raidit.
Cette femme a tendance à se comparer à ces gastéropodes répugnants et se dénude entièrement, glissant sur le sol.  A la fin, la petite table se met à vibrer et les trois bouteilles vides s’entrechoquent. Ce court monologue avec cette métaphorique limace dit bien le désarroi de ce personnage de  Raymond Carver aussi paumé que les autres. A la fin, la petite table se met à trembler et les trois bouteilles s’entrechoquent. Les Dieux savent pourquoi mais nous ne l’ont pas dit…

Débutants 

Dehors sous une tente blanche: les quatorze spectatrices et les deux spectateurs (sic) de notre groupe sont invités à s’asseoir sur des chaises grises de cuisine en stratifié gris et tubes inox,  autour d’une table chargée de bouteilles de gin. Au fond,  un meuble avec un évier; le tout, années cinquante, pur porc. Armel Roussel a bien compris l’intention de Raymond Carver qui a imaginé des cadres domestiques jusque-là inhabituels dans les nouvelles  comme des chambres de maison ou hôtel, une cuisine… Il avait visé juste et deviendra célèbre, surtout après le film Short Cuts (1993) de Robert Altman qui en adapta plusieurs.  l’auteur qui a été longtemps alcoolique, sait de quoi il parle…Ici, le gin coule à flots et délie les langues…

 

© Alice Piemme

© Alice Piemme

Deux couples, la trentaine avancée, en boivent de grands verres et parlent de leurs expériences de l’amour et de leurs sorties de routes.  Terri dit qu’elle s’est faite avorter par Edouard, un cardiologue qui allait devenir son mari et avec qui elle vit toujours.. Nicolas, lui est un avocat en couple avec Laura. Pas loin d’Anton Tchekhov, Thomas Bernhard ou Jorge Luis Borges qui aiment la brièveté pour leurs nouvelles, Raymond Carver excelle dans l’art de la précision révélatrice pour dire la vie de la classe moyenne et la relation qui existe à différents degrés entre ses personnages..
Ils ont tous du mal à exprimer leurs émotions et à communiquer les autres: les courtes phrases de Raymond Carver frappent sec et juste: “Laura, si je n’avais pas Terri, si je ne l’aimais pas tant, et si John n’était pas mon meilleur ami, je tomberais amoureux de toi.

” Simplicité et réalisme:  Raymond Carver que le lecteur ait une forte proximité avec le récit et l’écrivain joue constamment avec le langage.  Ce qu’on trouve ici surtout dans Débutants.
Paul-Adrien Bertrand, Arnaud Chéron, Lucie Guien et Fatou Hane jouent à deux mètres à peine de nous.  Dans une rare et curieuse intimité. De bons interprètes à l’impeccable diction, une mise en scène habilement tricotée et un dialogue brillantissime où chaque mot est pesé et qui fait effectivement penser à ceux, entre autres, d’Oncle Vania d’Anton Tchekhov.
« Il y a donc l’amour charnel et… appelons ça l’amour sentimental, les liens quotidiens qui vous attachent à l’autre. Mais parfois, j’ai peine à comprendre que j’ai dû aussi aimer ma première femme. Pourtant je l’ai aimée, je le sais… A cette époque, j’étais convaincu d’aimer ma femme plus que la vie même. Mais à présent, je la déteste radicalement. Comment expliquez-vous cela ? Qu’est devenu cet amour ? Voilà ce que je voudrais savoir…Et puis, il y a vous deux qui êtes ensemble depuis dix-huit mois, toujours amoureux, cela se lit sur vos visages, vous en êtes illuminés. Mais avant de vous rencontrer, vous avez, chacun, aimé d’autres personnes. Vous avez été mariés, chacun de votre côté, tout comme nous. Et si l’on remonte à plus loin, vous avez sans doute été amoureux, avant de vous marier.
Terri et moi, vivons ensemble depuis cinq ans, sommes mariés depuis quatre et ce qu’il y a de terrible, oui de terrible, mais aussi de bénéfique, comme une promesse de salut pourrait-on dire, c’est que si quelque chose arrivait à l’un de nous, pardonnez-moi de parler de ça, mais si quelque frappait demain l’un d’entre nous, je pense que l’autre souffrirait un certain temps, n’est-ce pas ? Mais que le survivant ou la survivante recommencerait ensuite à sortir, retomberait amoureux ou amoureuse et ne tarderait pas à se remettre en ménage. Alors, tout ça, tout cet amour dont nous parlons ne serait plus qu’un souvenir. Est-ce que je me trompe ? »
Seule réserve, on se demande bien pourquoi Armel Roussel les fait jouer, comme tous leurs camarades, avec un micro H.F., surtout dans de si petits espaces.

Personne ne disait rien

Une petite cabane de jardin en bois avec deux portes. moquette et bancs sur trois côtés. Accroché au plafond, un long poisson argenté: une truite comme dit le texte mais une aussi vraiment grosse? Deuxième monologue de la soirée: un jeune homme qui allait pêcher à la rivière, se fait inviter par une dame qui  visiblement cherche le contact, voire plus.
Lui, parle de ses frustrations sans aucun tabou et parfois en termes crus. Mais rien de passionnant. Ce n’est pas une bonne nouvelle de Raymond Carver et Sam Chemoul a bien du mal à se faire comprendre et à nous convaincre, surtout avec une diction aussi médiocre… et comme la chaleur insupportable dans cet espace aussi fermé, on décroche vite. Il aurait mieux valu au moins laisser les portes ouvertes. Désolé, Armel Roussel, une canicule, cela se gère…

Intimité

Cela se passe dans la salle à manger des acteurs; nous sommes assis autour  d’une longue table où sont posés une trentaine de tasses à café.  Au-dessus, mis à sécher des jupes et chemisiers.Après une généreuse giclée de fumigène! au bout de la table une jeune femme (Eva Papageorgiou)  va nous raconter comment son ex a utilisé des éléments de leur histoire d’amour pour devenir un auteur à succès. Bien entendu, elle n’est pas d’accord et nous donne sa vision à elle…
Là aussi, dans cette petite pièce fermée, on se demande pourquoi l’actrice qui a un micro H.F.  se met à crier et a une diction aussi approximative! Pourquoi aussi des nappes de fumigène envahissent le lieu au début comme à la fin? Pourquoi il y a comme partout des ronflements de basse électronique? Un record de stéréotypes! Pourquoi à la fin la table se met à trembler. Décidément, Armel Roussel aime cela!   Comme ce n’est non plus une bonne nouvelle,  un résultat décevant et l’ennui pointe son nez… On oubliera vite  ce court spectacle sans intérêt, d’autant plus que le texte et la mise en scène du spectacle suivant, eux, sont d’une grande qualité…

Gloriette

Arrivée dans la grande salle de la Tempête recomposée en plusieurs lieux. Notre petite bande est assise tout autour d’une grande chambre à la moquette très années cinquante, chacun équipé d’un casque pour écouter les jeunes et formidables actrices Jade Crespy et Chloé Monteiro qui gèrent un petit hôtel depuis quelques années. Là aussi, le metteur en scène a permuté les sexes.
L’une a succombé aux charmes d’une jeune et belle femme de ménage hollandaise de cet hôtel; nous ne la verrons pas mais elle est omniprésente. Rififi dans le couple: elles se demandent comment gérer cette situation qui a pesé sur leur travail qu’elles négligent: les clients sont mécontents et la direction de l’hôtel les a licenciées.
Conscientes qu’il y a eu un avant mais sonnées et incapables et angoissées d’imaginer l’après…   Il y a ici quelque chose d’une tragédie grecque avec la perception d’un irréversible: elles ont mal toutes les deux.   »Quelque chose est mort en moi. Cela a pris du temps, mais maintenant, c’est mort. Oui, tu as tué quelque chose, comme si tu l’avais abattu à coups de hache. Tout n’est plus que de la crasse. (…) Tu as trahi notre mariage, brisé ma confiance en toi.  
« Et puis, un samedi matin, nous nous sommes réveillées après avoir analysé la situation toute la nuit. Nous avons ouvert les yeux et nous sommes tournées dans le lit pour nous regarder face à face. A cet instant, une même pensée nous a traversées. Nous avions atteint le bout du rouleau et il fallait repartir de zéro…. Le plus drôle, c’était ce sentiment que n’importe quoi pouvait nous arriver maintenant que nous nous rendions compte que tout nous était arrivé. »
Un moment où le bonheur s’est à jamais enfui de leur vie paisible. Ici, Armel Roussel a remarquablement  et sans aucune prétention traduit le climat de cet hôtel modeste et ce point de non-retour auquel sont arrivées les jeunes femmes,  tel que le dit si bien Raymond Carver.

Cathédrale

Douce lumière orange sur les gradins de la grande salle. n nous invite à nous asseoir en haut, après nous avoir offert un bloc et un stylo-bille. Pour, nous dit-on, dessiner une cathédrale dans l’obscurité absolue qui va tomber. Les meilleurs croquis seront ensuite affichés Nous entendrons  juste les voix enregistrées de Karim Baras et Jeanne de Mont.
 Raymond Carver décrit la jalousie du narrateur pour Robert, un aveugle, puis son attachement à lui.  Le narrateur apprend que sa femme correspond en fait par cassette avec ce Robert qui est son ancien employeur.. C’est figure paternelle à la sagesse et à la bienveillance exemplaire, encourage le Narrateur à ne pas rester installé devant la télévision et lui propose de décrire ce qu’est une cathédrale. Nous sommes aussi convié à en dessiner une dans le noir.  Cathédrale, un des dernières nouvelles de l’auteur semble être une sorte de métaphore de l’écriture mais est sans doute plus difficile à théâtraliser.  Même si le travail sur les voix est impeccable, difficile de s’accrocher vraiment. Mais peut-être après quelques trois heures et la canicule, notre attention n’est plus tout à fait la même…

Au total, six séquences dont trois monologues: ce qui est trop: une excellente, trois bonnes et deux pas du tout mais l’ensemble se laisse voir A vous de décider si vous avez envie d’aller jusqu’à cette merveilleuse Cartoucherie, toujours à deux cent kms de Paris, avec ses beaux arbres remplis d’oiseaux… mais juste après le périphérique!

Philippe du Vignal

Jusqu’au 22 juin, Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de manœuvre. Métro:  Château de Vincennes+ navette gratuite.  T. 01 43 28 36 36.

Les œuvres de Raymond Carver sont publiées en français aux éditions de l’Olivier. 

 

 

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