La seconde Surprise de l’amour de Marivaux, mise en scène d’Alain Françon

La seconde Surprise de l’amour de Marivaux, mise en scène d’Alain Françon

 Heureux les citadins qui n’ont pas fui Paris et sa canicule intermittente, la fraîcheur du vaste théâtre de la Porte Saint-Martin les attend, et surtout celle (on ose dire « immarcessible » : l’inaltérable chez Marivaux. De quoi s’agit-il ? D’amour. Du mot amour, de le prononcer. Mais quand ? Après beaucoup d’angoisses, interrogations, revirements qui font le charme de ce théâtre. « Quand on aime, encore faut-il le dire », selon la Comtesse du Legs du même écrivain qui est assez difficile pour tisser toute la chaîne, la trame et les même les broderies d’une comédie. Disons comédie, parce que la pièce se termine sur un dénouement heureux, convenu: le mariage des amants (ceux qui jouissent d’un amour mutuel par opposition aux amoureux qui soupirent en vain).

 

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Mais « revenons », comme le disent souvent les personnages de Marivaux. Le hasard du voisinage met en présence le Chevalier et la Marquise. Nul besoin de prénoms, pas plus pour le Comte: c’est le statut social qui compte. Un chevalier, cadet d’une famille noble, n’a pas de fortune mais une riche veuve doit pouvoir lui assurer un bel avenir. Elle est belle, de surcroît, comme l’héroïne des Fausses confidences, jouées récemment par la même troupe, sous la baguette du chef d’orchestre Alain Françon. Un premier empêchement : les deux (futurs) amants, qui se sont reconnus comme tels au premier regard, relèvent d’un deuil récent, ce qui devrait les écarter de toute surprise  amoureuse. Ils sont d’accord là-dessus, et c’est précisément cette entente qui les fera glisser, de façon vertigineuse, vers cet interdit. Le deuxième empêchement sera leur amour-propre et leurs doutes. Les obstacles extérieurs, comme le Comte venu lui aussi faire sa cour en voisin, ami d’autrefois du défunt, sont des tremplins pour amener les sentiments à se déclarer. Valet et Suivante  (le statut d’une Lisette est bien plus élevé que celui d’une femme de chambre) jouent les accélérateurs, dans leur propre intérêt, leur désir d’abord, vif et cru, et la nécessité de se marier eux-mêmes, s’assurant ainsi une place solide auprès de bons maîtres. Il faudra bien, à ces tourments et joies, une victime. Nous en aurons deux : le Comte, et Monsieur Hortensius, « pédant », philosophe privé embauché par la Marquise pour la désennuyer en lui faisant la lecture. Sénèque, entre autres, devrait éloigner les passions  mais ce « pédant » est prié sans ménagements d’aller porter son érudition ailleurs. « N’est-ce pas une chose étrange, qu’un homme comme moi n’ait point de fortune ! Posséder le grec et le latin, et ne pas posséder dix pistoles ? (…) Est-ce que l’amour m’expulserait d’ici ? » dit-il à l’acte III. Le pauvre homme avait essayé ses « arguments »  sur la personne de Lisette, accordons lui une pensée…

 On sourit beaucoup, on rit souvent, non sans cruauté –les personnages ne s’en privent pas non plus-des malheurs, gaffes, timidités, bonnes manières qui bloquent la communication et écartent deux êtres que lie tout de suite un amour qui ne veut pas dire son nom. Entre pièges–une fausse confidence du Comte-litotes, et jeux de langage, on voit se dérouler, encore une fois avec délices, la chaîne classique du marivaudage. Ce n’est surtout pas coquetterie superficielle, on le sait maintenant, mais dissection, anatomie de l’amour dans le corps et le cœur de deux êtres.
Même équipe que pour Les Fausses confidences Thomas Blanchard, Rodolphe Congé, Suzanne de Baecque, Pierre-François Garel, Alexandre Ruby et Georgia Scalliet. Alain Françon, avec une précision chirurgicale, une économie parfaite et la beauté d’un travail à l’aiguille, nous donne un Marivaux à l’état pur.

 Christine Friedel

 Jusqu’au 13 juillet, Théâtre de la Porte Saint-Martin, Paris ( Xème). T. : 01 42 08 00 32.

 

 

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