Festival d’automne : Affaires familiales, conception, écriture et mise en scène d’Emilie Rousset
Festival d’automne :
Affaires familiales, conception, écriture et mise en scène d’Emilie Rousset
Emilie Rousset avait créé avec la même exigence Reconstitution : Le Procès de Bobigny. (voir Le Théâtre du Blog). Histoires de famille: cela ne nous regarde pas, c’est une affaire privée, dira-t-on. Et le bureau des Affaires familiales -Emilie Rousset nous l’apprend- est tout petit! Les couples en instance de divorce y sont entre eux, avec leurs seuls avocats, ou avocates le plus souvent : ces affaires sont bien moins prestigieuses que les délits financiers et moins encore, bien sûr, qu’au Pénal. Et puis chacun sait, ajouterons-nous, avec ironie. que, par nature, les femmes sont plus qualifiées en ce qui concerne le foyer et la famille…
Pas de solennité, donc, pour ces affaires familiales même si les catastrophes qui amènent ici les justiciables sont aussi parfois sur le chemin du pénal, toujours avec de lourdes conséquences sociales, trop mal prises en compte par les politiques.
Emilie Rousset a travaillé son sujet en profondeur, avec des dizaines d’entretiens ; elle et son équipe ont rencontré aussi des juristes, avocats, justiciables, femmes et hommes politiques, responsables d’associations…. L’aide à l’enfance, par exemple, comme une grande part des tâches sociales-clés, est délaissée par la puissance publique et confiée en sous-traitance à des associations.
L’enquête dépasse largement les frontières et s’étend à d’autres pays : Espagne, Italie… ce qui, en soi, crée une théâtralité particulière, avec la diversité des langues et l’intervention d’ interprètes. S’y ajoute, et cela donne un relief particulier à l’écriture même de la pièce, la correspondance établie par moments entre le direct du plateau et les brèves séquences filmées. Parfois, cela recouvre parfaitement la scène jouée. Entre autres, dans les jeux de mains qui parlent mieux que les mots… En parallèle et semblables, mais avec d’autres interlocuteurs. Qui est le témoin et l’acteur ? Peu importe, tout est vrai et fait image. Le dispositif bi-frontal ne reproduit pas la scénographie d’un Palais de justice mais favorise une plus grande concentration du public sur le débat en jeu et souligne un élément essentiel : la nécessité de points de vue multiples.
On en apprend beaucoup sur la bonne volonté des institutions et sur leurs échecs : ainsi, les mères, supposées favorisées quand il y a conflit pour obtenir la garde des enfants, sont en réalité souvent pénalisées par un souci d’égalité entre hommes et femmes. Voire soupçonnées d’avoir manipulé les enfants qui témoignent d’un inceste, ou inculpées de non représentation d’enfant: un délit commis souvent par crainte de le confier à un père maltraitant. Oui, il existe des mères maltraitantes et manipulatrices, mais en quelle proportion? En quoi cela jette-t-il le soupçon sur toutes celles qui se veulent protectrices de leurs enfants? Cette fois, les statistiques ont leur utilité et pointent une interprétation masculiniste du droit.
Outre la question de la garde alternée, le spectacle parle, via les témoignages et enquêtes,de la parentalité homosexuelle, des droits et non-droits des «parents d’intention», de la nuance entre mère porteuse et mère gestatrice, des vertiges engendrés par les vides juridiques entourant ces situations… On en apprend beaucoup et c’est peut-être la limite de ce spectacle d’une grande rigueur-ce qui n’est jamais un défaut- mais il ne laisse passer aucune sortie de route émotionnelle, si bénigne soit-elle. Le «droit positif» (la loi écrite) traite de situations dramatiques, c’est vrai, et est censé les dénouer avec rationalité. Manque ici un peu de la beauté inutile du théâtre: une grande respiration intempestive. Mais nous sommes devant un beau et passionnant théâtre-document-plus que documentaire, à voir et à recevoir avec la même énergie, que celle qui nous est ici donnée.
Christine Friedel
Jusqu’au 3 octobre, Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette, Paris (XI ème) T. : 01 43 57 42 14.

