Le Roi se meurt d’Eugène Ionesco, adaptation et mise en scène de Jean Lambert wild
Le Roi se meurt d’Eugène Ionesco, adaptation et mise en scène de Jean Lambert wild
Cette pièce créée et jouée en 62 dans le rôle-titre par Jacques Mauclair avec la grande Tsilla Chelton. C’est une œuvre tardive de l’écrivain (1909-1994) écrite onze ans après La Cantatrice chauve et La Leçon qui avaient toutes deux été mises en scène par Nicolas Bataille. Une réflexion, presque un monologue, de ce roi, obsédé par la mort…Une dizaine d’années plus tard, quand nous l’avons rencontré, Eugène Ionesco était souriant mais, comme terriblement las et empreint d’une grande tristesse… L’entretien ne dura pas très longtemps. Détaché du théâtre, il poursuivait une quête mystique teintée de philosophie orientale et a écrit des essais aujourd’hui assez oubliés comme Antidotes, La Quête intermittente, Un Homme en question, autant de textes métaphysiques sur le thème de Le Roi se meurt. Samuel Beckett, son contemporain (1906-1989) disait avec juste raison de ses pièces: «Sur un texte burlesque, un jeu dramatique; sur un texte dramatique, un jeu burlesque. »
Cette mise en scène qui a un peu de mal à commencer, est sans aucun doute trop focalisée sur le personnage de ce Bérenger 1er, comme si Jean Lambert wild avait voulu se faire plaisir et moins sur les épouses. Et le texte quelque soixante-trois ans après sa création, reste bien écrit mais très inégal. Il y a des moments formidables, comme à la fin, cette prière du vieux Roi : «Vous tous, innombrables, qui êtes morts avant moi, aidez-moi. Dites-moi comment vous avez fait pour mourir, pour accepter. Apprenez-le moi. Que votre exemple me console, que je m’appuie sur vous comme sur des béquilles, comme sur des bras fraternels. Aidez-moi à franchir la porte que vous avez franchie. Revenez de ce côté-ci un instant pour me secourir. Aidez-moi, vous, qui avez eu peur et n’avez pas voulu. Comment cela s’est-il passé ? Qui vous a soutenus ? Qui vous a entraînés, qui vous a poussés ? Avez-vous eu peur jusqu’à la fin ? Et vous, qui étiez forts et courageux, qui avez consenti à mourir avec indifférence et sérénité, apprenez-moi l’indifférence, apprenez-moi la sérénité, apprenez-moi la résignation. »
Comment mettre actuellement scène cette pièce où le roi Béranger, d’abord en colère contre la mort qui l’attend, reconnaîtra son impuissance… « Tu m’avais prévenu trop tôt. Tu m’avertis trop tard. Je ne veux pas mourir… Je ne voudrais pas. Qu’on me sauve puisque je ne peux plus le faire moi-même. »Et nous le verrons à la fin absolument désemparé… face à une fin qui n’est pas réservée à ses seuls sujets. Jean Lambert wild a choisi d’incarner Bérenger Ier, en reprenant la figure de Gramblanc, ce clown blanc qu’il a souvent utilisée par le passé, ici en costume bleu pâle plissé et coiffé d’un petit bonnet conique. Il y a un trapèze et une échelle de cordes pour y accéder et une grand échelle double rouge.. Et il y a au début, quelques merveilleuses images, comme celle de Pompon, un gros cochon noir et blanc qui déroule un tapis avec ses pattes. On le retrouvera à la fin se faisant caresser par Bérenger.
Et dans le même esprit, le médecin et astrologue qui boîte, est ici représenté par un très beau personnage aux jambes immenses, en pantalon blanc, petit gilet et haut de forme noir (excellent Vincent Abalain). Mais la reine Marguerite, première épouse du roi, très lucide, (Odile Sankara) l’accompagnera jusqu’au bout en lui faisant comprendre que sa volonté de vivre est illusoire. Mais on a souvent du mal à comprendre cette actrice qui un fort accent.
Marie, seconde épouse et reine favorite du roi, s’oppose souvent au médecin comme à Marguerite et fait tout pour que Bérenger ne les écoute pas… Il a aussi le Garde, dignitaire de l’armée mais assez falot qui annonce les moments de la dégradation du Roi. La jeune Juliette; infirmière et la femme de ménage. Ces personnages n’ont pas été vraiment réussis par Eugène Ionesco et Jean Lambert wild semble avoir eu quelque mal à s’y intéresser. Lui joue, et avec souvent une belle présence, ce roi désespéré. Les quatre autres interprètes font le boulot mais ne sont en rien convaincants. Malgré de bons moments, cette adaptation de cette pièce sans aucun doute déjà trop longue, nous a laissé sur notre faim, l’ennui pointant le bout de son nez, en partie à cause d’une mise en scène approximative…
Le spectacle qui est ici repris a été créé sur un plus petite scène à Lorient, avec quelques éléments de cirque : un grosse malle, un trapèze, une échelle de corde. Le tout encadré autour par des rideaux gris plissé avec deux hautes portes noires et un autre rideau devant en tulle rouge qu’on retrouve ici. Mais sur ce grand plateau, tout se disperse très vite… Jean Lambert wild s’en sans doute inspiré d’une phrase d’Eugène Ionesco: « Le roi Bérenger 1er n’est peut-être qu’un clown qui cherche un rire apaisant pour ne pas étouffer lorsque le temps fond dans ses mains. » Et il a sans doute imaginé pour distancier les choses de reprendre ce maquillage et ce costume de clown blanc passe-partout qu’il nous ressert pour la nième fois -là, on est obligé de dire : STOP!- Désolé mais ici cela ne fonctionne pas ! Même s’il trouve que « l’esprit clownesque d’Eugène Ionesco fait du rire, une larme désaltérante, où notre conscience peut s’abreuver pour ne pas mou-ou-ou- ou-ou-ou-ou-rir ». Et il aurait pu aussi nous épargner ces stéréotypes usés comme, entre autres, aller vers les spectateurs et les prendre à partie. A la fin-les septièmes au compteur en dix jours pour nous- ces flots de fumigène blanc, aussi bêtes que parfaitement inutiles…Tous aux abris Et il y a des lumières rouges assez laides dont il éclaire par moments la salle sans raison ! Cela fait quand même trop d’erreurs… Cette pièce assez bavarde n’a pas la force des autres qui ont fait connaître l’écrivain internationalement reflète bien les angoisses d’Eugène Ionesco à la fin de sa vie et aurait mérité des coupes sérieuses. Un spectacle honnête mais très décevant ! Dommage… Nous avons connu ce metteur en scène mieux inspiré !
Philippe du Vignal
Jusqu’au 9 novembre, Théâtre de l’Epée de bois, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de manœuvre. T.: 01 48 08 39 74. Métro : Château de Vincennes+navette gratuite.


