Poussez-vous les mecs, spectacle de Cécile Garcia- Fogel, d’après Les Frustrés de Claire Bretécher
Poussez-vous les mecs, spectacle de Cécile Garcia-Fogel, d’après Les Frustrés de Claire Bretécher
Bon, tout le monde la connaît, la belle blonde aux yeux bleus perçants (1940-2020) « meilleure sociologue de l’année « , illustratrice et autrice (N.B. : le terme existe depuis l’antiquité romaine tardive, mais a été occulté pendant vingt siècles) de bandes dessinées.
Pilote, hebdomadaire pour adolescents et plus (ils ont maintenant la soixantaine) l’accueille parmi une belle bande de machos les meilleurs auteurs de B.D. du siècle mais fiers d’elle.
Cellulite, sans oublier en 73, Le Bolot occidental, animal terne et prolifique qui a donc le tort de n’être pas en voie de disparition,La Vie passionnée de Thérèse d’Avila et quelques autres. La même année; arrivent Les Frustrés, à l’invitation du Nouvel Observateur qui y gagne de nouveaux et assidus lecteurs. Et en 88, paraît Agrippine…
Cécile Garcia-Fogel est allée chercher dans Les Frustrés les dialogue piquants et savoureux, que « tout le monde» connaît pas cœur, c’est-à-dire exactement le monde restreint des lecteurs du Nouvel Obs, bourgeoisie de gauche urbaine et pas trop démunie… Et dont Claire Bretécher faisait elle-même partie… ce qu’elle rappelle avec fermeté.
Au passage : prononcer Bre (comme dans Bretelle),té (comme thé, pourvu qu’il soit un peu ayurvédique (voir Agrippine et la secte à Raymonde ) et cher (comme Chez Pierrot).
Le lecteur aura compris que l’autrice de ces lignes aime Claire Bretécher.
Faire ou ne pas faire un enfant (Les Mères), mesurer son tour de cuisse (« Tiens, il y a un article sur Simone de Beauvoir » « Combien de centimètres elle a perdu ? »)… Bref, se glisser dans les tourments d’une génération globalement comblée… L’autrice dissèque la perversité d’une presse féminine de haut niveau qui inflige une aliénation sévère aux femmes en recherche d’émancipation. Autrement dit : on vous donne toutes les clés pour devenir une femme parfaite, une amoureuse parfaite, une professionnelle (cadre supérieure de préférence ou dans la «communication » parfait, avec tenue vestimentaire coûteuse et convenable. Si vous n’y arrivez pas, à vous, la culpabilité ! Ajouter le psy aux autres: « il faut ».
« Je ne suis pas spécialement féministe. », disait Claire Bretécher… Quant aux mecs, oui, ici, ils sont hors-champ mais ont droit à une présence sonore : ce qui est déjà quelque chose. On comprend leur frustration et que Claire Bretécher soit toujours d’actualité. Et qu’on ait eu envie de mettre au théâtre une fois de plus les dialogues des Frustrés, irrésistibles de justesse et d’auto-méchanceté.. Et cela marche dans un premier temps : le public les reconnaît et écoute avec amour et indulgence.
Douceur de la nostalgie, piqûre de cet humour et de cette langue uniques… Oui, mais le théâtre n’est pas la bande dessinée et la bande dessinée, par définition, n’est pas qu’un texte, si savoureux soit-il. Cécile Garcia Fogel et Valérie Dashwood- des grandes, on le sait- n’ont pas cherché dans les dessins une inspiration proprement théâtrale. Mais quand on se souvient de ce que Claire Bretécher fait d’un canapé et de ses occupant(e)s, mais aussi de son audace et de sa justesse… Ici, c’est loupé.
Non qu’on attende sur scène une illustration de l‘illustration, le mime de ce que suggère le dessin. Surtout pas ! Mais on espère une inventivité dans le jeu, une théâtralité inédite rivalisant avec les instantanés de Claire Bretécher. Et cela ne vient pas ! Les dessins ont nettement plus de corps, que les actrices. On est content quand même, mais… pas autant qu’à la lecture ses albums, étiaffé (pour connaître le sens de ce participe franc-comtois, regarder les dessins de Claire Bretécher) sur son propre canapé, tête en bas et membres en vrac. Alors, là, pas de «mais »!
Christine Friedel
Jusqu’au 18 octobre, Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, 2 place du Châtelet, Paris (IV ème). T. : 01 42 74 22 77.


