La vie chronique par l’Odin Teatret
L’Odin Teatret est venu pour la première fois en France en 1972 au Théâtre de la Cité Internationale avec Min Far Hus, (La Maison du père) à l’invitation d’André-Louis Perinetti. Eugenio Barba, italien, avait émigré à Oslo en 1966 , où il avait créé l’Odin Teatret avec de jeunes acteurs refusés par les écoles officielles.
Puis, il avait pu s’installer avec ses compagnons au Danemark, à l’invitation de la ville d’Holstebro qui avait mis à sa disposition une ancienne ferme, devenue avec les années un magnifique havre artistique porteur des souvenirs de leurs voyages. Barba a ainsi bâti une enclave qui résiste à l’usure du temps ! Il a relevé un défi :maintenir une troupe d’acteurs venus de plusieurs pays, et donner plus de 200 représentations par an de leurs vingt deux spectacles à travers le monde, tout en menant des sessions de formation. Pendant ses années d’apprentissage, c’est lui qui avait révélé au monde occidental, le génial metteur en scène polonais Jerzy Grotowski avec qui il avait travaillé .
Nous avions pu retrouver l’Odin Teatret en 1977, quand il était venu jouer Come and the day will be ours à Paris, au cours d’une soirée troc à la Crypte Sainte-Agnès dans le XXème arrondissement, organisée par le Théâtre de l’Unité. Il avait joué Le Livre des danses, et les spectateurs devaient payer leur place en nature : Monsieur Legros, gardien d’usine , avait récité ses poèmes, René Mahaut, ouvrier à la SNECMA de Corbeil avait chanté des chansons de la Commune de Paris… Des échassiers, beaux athlètes blonds, avaient déambulé dans le quartier, puis étaient aussi intervenus sur les toits de la Cartoucherie de Vincennes .
Nous avions pu les inviter au Théâtre Paul Éluard de Choisy-le-Roi avec Cendres de Brecht, spectacle né d’une interdiction des héritiers : Eugenio Barba l’avait contourné en montant des extraits de Mère Courage et de ses autres pièces . L’Odin Teatret était ensuite revenu au Théâtre 71 de Malakoff avec le symposium de l’ISTA, (École Internationale d’Anthropologie Théâtrale organisé en 86 par Patrick Pezin, avec des acteurs orientaux , Sanjukhta Panigrahi et Mannojo Nomura et , puis il était revenu avec Talabot en 1989, du nom du navire sur lequel Barba avait gagné la Norvège.
Mais, depuis, hormis Kaosmos présenté en 1994 au Théâtre du Lierre, l’Odin Teatret n’avait plus été invité à Paris par des instances bien dotées. Heureusement, et pour la troisième fois, Ariane Mnouchkine leur a ouvert son Théâtre du Soleil et les spectateurs ,parfois venus de très loin, ont pu ainsi voir, Andersen’dream, Salt et La Vie chronique. Depuis quarante ans, Eugenio Barba a réussi à bâtir une enclave qui résiste à l’usure du temps. La Vie chronique a ainsi été mûrie pendant quatre ans, avec huit mois de répétitions espacées à cause des tournées des spectacles au répertoire.
Sur les dix interprètes du spectacle, cinq d’entre eux: Roberta Carreri, Ian Ferslev, Tage Larsen, Iben Nagel Ramussen et Julia Varley sont des compagnons de la première heure. Mais Torgeir Wethal, magnifique comédien venu adolescent jouer à Oslo dans le premier spectacle de l’Odin Teatret, a succombé à un cancer au début des répétitions.
Les acteurs ont longuement mûri leurs personnages à partir de recherches solitaires que “le maître du regard” a éliminées parfois sans pitié ! Ainsi, Julia Varley, qui avait longtemps mené des recherches sur un personnage d’homme, a-t-elle été amenée à interpréter une réfugiée tchetchène, et c’est Kaï Bredholt, un jeune musicien, qui interprète une Vierge noire, incarnation de la mère d’Eugenio qui avait dix ans , à la mort de son père, militaire engagé du mauvais côté en Italie pendant la dernière guerre.
Impossible de retracer la fable: les images splendides se succèdent entre les deux rangées de gradins, mais, comme dans tous les spectacles de l’Odin. Il y a l’obsession de la recherche, de la fuite, de la déportation, la quête du père disparu recherché par son jeune fils colombien, aveugle comme Oedipe, une sémillante ménagère roumaine bardée de torchons, un vieux rocker des îles Feroès, un bel avocat danois dans un costume de cuir bleu, deux inquiétants mercenaires masqués, et la veuve d’un combattant basque.
La mort rôde aux portes, et Lolito le pantin est enterré dans un cercueil de verre avec le jeune garçon colombien… On voit des crochets menaçants , instruments de torture auxquels les femmes viennent suspendre des costumes d’homme, et, à l’autre bout, une porte avec une serrure dont on n’a pas la clef.
Il y a toujours en effet cette obsession de la porte qu’on ne peut franchir, et qui est présente dans nombre de spectacles de l’Odin. On jette une pluie de pièces dorées, la réfugiée tchetchène lance des cartes, les accroche au-dessus de la porte. Il y a de belles montées de chant lyrique et des musiques lancinantes interprétées par toute la troupe.
Chercher à comprendre ? Il faut sentir dit Barba ! “Le culte de la clarté qui servit à éclairer les esprits, sert aussi aujourd’hui à les obscurcir. Pour la première fois, La Vie chronique est imaginée dans un futur proche, simulé, simultané, dit-il, et la scène est le Danemark et l’Europe : plusieurs pays en même temps ! L’histoire? Celle des premiers mois qui suivent une guerre civile. Le cadre est peu crédible (mais pas au point d’être rassurant). L’ensemble n’est pas compréhensible.”
Edith Rappoport
Théâtre du Soleil jusqu’au 18 février, les mercredi, jeudi vendredi, samedi à 20 h 30, dimanche à 15 h 30, Tél 01 43 74 24 08