Les Chaussons rouges film de Michael Powell et Emeric Pressburger.

Les Chaussons rouges film de Michael Powell et Emeric Pressburger.

chaussons rougesTout amoureux de la danse se doit de connaître ce film britannique de 1948, diffusé en ce moment par la chaîne Arte. Inspiré d’un texte de Hans Christian Andersen Les Souliers rouges, écrit en 1880, il nous plonge au cœur de la vie d’un ballet. Dans le conte, une paysanne, Karen, se voit offrir une paire de chaussons rouges qui, une fois portés, vont la contraindre à danser sans interruption.

Transposé dans le monde de la danse, l’argument devient une histoire d’amour et d’ambition. Victoria Page, une jeune danseuse (Moira Shaerer) est l’égérie de deux hommes : le directeur et le chef d’orchestre du ballet Lermontov. Cette prestigieuse compagnie se produit dans monde entier, en particulier au Royal Opera House de Covent Garden, à l’Opéra de Paris et à celui de Monte-Carlo.A sa tête , Boris Lermontov (Anton Walbrook) n’est pas sans rappeller Serge Diaghilev, par son caractère  et son intransigeance artistique.   «La danseuse qui met son espoir dans l’amour chimérique d’un homme ne sera jamais une grande danseuse jamais!», dit-il à Victoria Page. Le danseur et chorégraphe Grischa Lioubov est interprété ici par Léonide Massine, un des favoris de Serge Diaghilev. C’est l’une des rares occasions de voir au cinéma un des partenaires essentiels de l’aventure des Ballets Russes. Marius Goring joue Julian Craster, l’amant de la danseuse, un musicien au caractère rigide :  pour lui la création ne doit faire aucune concession. Une longue séquence de vingt minutes (le film en dure cent trente ) est consacrée à la pièce Les Chaussons rouges. Chorégraphie dans laquelle on peut apprécier le talent de Moira Shaerer dans le rôle principal.

Réalisé en technicolor et restauré par Martin Scorsese, ce film aux couleurs remarquables nous transporte  dans les coulisses d’un ballet et nous fait vivre intimement le processus de création d’une œuvre chorégraphique avec ses joies et ses drames. Cette mise en abyme du conte est une réussite totale. A voir et revoir, en ces périodes de confinement.

Jean Couturier

Sur Arte tv jusqu’au 31 mai 2020.

https://www.arte.tv/fr/videos/018755-000-A/les-chaussons-rouges/  


Archive de l'auteur

Le Pate(r), ou Comment faire vent de la mort entière, texte et mise en scène de Flore Lefèbvre des Noëttes

Le Pate(r), ou Comment faire vent de la mort entière, texte et mise en scène de Flore Lefèbvre des Noëttes

 

DSC_3983

© DR

 

«La guerre fait cercle autour de nos vies, traçant des périmètres plus ou moins larges, d’intensité variable, constitués d’incendies et de gravats, dit Jean-Yves Jouannais dans MOAB, épopée en vingt-deux chants. Même dans les moments de grande naïveté où nous pensons graviter à l’extérieur de ceux-ci, c’est en leur cœur que nous nous tenons.»

Quand l’enfance vous saute à la figure…  À la mort de sa mère, Flore Lefèbvre des Noëttes est rattrapée par les souvenirs : repas en famille nombreuse et fauchée, école, vacances à Saint-Michel-Chef-Chef et surtout ces êtres puissants et mystérieux que sont les parents. Les siens : une «mère courage» de treize enfants, prête à tout pour faire marcher sa tribu et simplement la faire vivre, tiraillée entre tradition aristocratique et gêne perpétuelle, associée aux nombreux séjours du père  en hôpital psychiatrique…

Le premier volet de la trilogie, La Mate, c’était cela : une mère “durrre“ pour ses enfants, mais tenace, pugnace, imaginative (il faut bien !) et au fond, admirée. La vraie vie ? Les vacances, décidément, avec du sable dans le maillot, débaroulant les dunes… Pas d’argent mais beaucoup de liberté, malgré les consignes. Bref, la vitalité et les joies plus ou moins féroces de l‘enfance dans cette famille où tout est extrême.

Suivit Juliette et les années 70: le collège puis le lycée, avec toujours un haut degré de révolte et d’humour : les blouses démocratiques et démoralisantes qu’il fallait porter avec nom et classe brodés par ses soins, la cruauté des profs et la non moins grande vacherie de leur caricature en retour… Et toujours les boutiques d’été de la Mate : Comptoir de l’Orient, Hibiscus où elle faisait turbiner ses filles : il fallait bien trouver de l’argent! Les premières amours, les chansons sur disques 45 tours, l’ivresse de l’autonomie et l’apprentissage du théâtre. «À l’ancienne», entre autres avec Pierre Debauche qui faisait apprendre les alexandrins  «à la voyelle» -essayez à cette aune, les plus beaux vers de Racine : « an o i en é e e e in on en ui »- Bravo à ceux qui auront reconnu le fameux : «Dans l’Orient désert, quel devint mon ennui » le célèbre vers de Bérénice. Il enseignait aussi bien d’autres choses et nombre d’acteurs à la forte personnalité sortis de ses mains, peuvent en témoigner. On salue sa mémoire…

Et puis il fallut bien oser parler du Pater familias, dit le Pate(r), au nom emblématique : Fervant de la Morantière. Pour ce troisième volet, la comédienne et autrice a quitté le  monologue et s’est entourée de Mireille Herbstmeyer et Agathe Lhuillier. On découvre ainsi les trois sœurs dans leur ouvroir, à ravauder des costumes militaires, en explorant chacune ce qu’on appelle ses petites misères: dépression, intestins en bataille…

Seulement, on s’aperçoit au fil du récit et des scènes entre elles, que ces petites misères cachent de grands non-dits. La folie du Pater ne fait plus rire. Les secrets, levés un à un, mènent à une évidence navrante : au fil des générations, la guerre rend fou. Un médecin militaire en guerre coloniale est tout, sauf un planqué et il est confronté au pire de ce que des hommes peuvent faire subir à d’autres hommes. Un officier écrit à sa jeune femme les flammes de son amour dans l’horreur des tranchées de la Grande Guerre, et l’ancêtre, héros anonyme et flamboyant des guerres napoléoniennes : « Eh ! Oui, les filles, vous êtes nées de cela, ce sont vos guerres, intestines. Et bizarrement, vous allez beaucoup mieux au bout de votre enquête.  Et vous trouvez ça drôle ? « Oui, dans ce troisième volet : celui de la maturité, le langage commun des trois sœurs, à commencer par leurs disputes et querelles, est encore et toujours l’humour, chacune avec sa (forte) personnalité. Enquête faite, elles n’ont pas changé, elles vont juste un peu mieux. Elles ont gardé toute leur vitalité qui se chante aussi en récitatifs et en songs brechtiens et fait vibrer le spectacle.

Christine Friedel

Le Colombier, Bagnolet (Seine-Saint-Denis). T. : 01 43 60 72 81, du 10 au 15 mars.

La pièce est publiée aux Solitaires Intempestifs.

 

Le Pays lointain (Un arrangement) de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de Christophe Rauck

185237-1x9a9209

© Simon Gosselin

 Le Pays lointain (Un  arrangement) de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de Christophe Rauck

 En 1995, juste près avoir mis un point final au Pays lointain, l’écrivain mourait du sida à trente-huit ans. Il laisse derrière lui une œuvre aujourd’hui très jouée, entrée au répertoire de la Comédie-Française et devenue un classique du théâtre contemporain. Et en quelque sorte testamentaire, très proche de Juste la Fin du monde ( adapté au cinéma par  Xavier Dolan).

La cinquième promotion de l’École du Théâtre du Nord s’en était emparé pour son spectacle de sortie, en 2018 (voir Le Théâtre du Blog). Le travail a payé: depuis, les quatorze comédiens ont fait leur chemin et tous été embauchés dans d’importantes créations. Et les voici de nouveau réunis autour d’un spectacle qui a mûri avec eux.

 Pour donner des rôles à tous les acteurs, les deux élèves-auteurs de la promotion,  Haïla Hessou et Lucas Samain, se sont livrés à un «arrangement » avec  un habile montage de textes de Jean-Luc Lagarce. « Son écriture a un style homogène, dit Christophe Pellet qui a supervisé cette adaptation.  « Elle est si cohérente et reconnaissable qu’on peut la manipuler sans la briser ni la fractionner. Nos ajouts ne perturberont pas la linéarité ni les thématiques. » Ce récit ou ces récits, subtilement tissés, convoquent la galaxie lagarcienne autour de la trame centrale du Pays lointain. A la famille et aux fantômes de cette dernière œuvre, se mêlent: La Sœur de J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne, Madame Tschissik, la diva de Nous les Héros (Margot  Madec), et Jean-Luc Lagarce lui-même, disant des extraits de son Journal

 Louis (Etienne Toqué), un homme encore jeune mais qui se sait condamné à brève échéance, retourne, avec son ami Longue Date (Cyril Metzger), dans sa famille, pour lui annoncer sa disparition prochaine… Cette visite réveille de vieux conflits dans la fratrie. Elle libère aussi les mots, des flots de paroles déversés sur Louis par sa mère (Victoire Goupil) , sa sœur Suzanne (Mathilde Mery), son frère Antoine (Adrien Rouyard) et sa belle-sœur Catherine (Claire Catherine) ;  les fantômes du Père (Peio Berterretche) et de l’Amant, mort déjà (Mathias Zakhar) rôdent… Muet ou presque, il dissimule sa douleur derrière un sourire : « La douleur, mais encore, peut-être la sérénité de l’apaisement, le regard porté sur soi-même au bout du compte ». Il repartira sans avoir rien réglé, ni parlé de sa mort. Bref, un désastre pour Louis qui en est au bilan de sa vie. Et pour l’auteur, ressuscité en la personne d’Alexandra Gentil, qui donne des extraits de son Journal, notamment ses réflexions pendant les répétitions, à l’orée de sa disparition…

 Sur le plateau nu, flanqué d’une rangée de vieux sièges de théâtre où les comédiens se tiennent hors jeu, le groupe semble en répétitions.  On convoque, autour de la famille biologique de Louis, celle qu’il s’est choisie : Longue Date et sa maîtresse Hélène (Morgane El Ayoubi), et des rencontres éphémères, représentées par deux personnages secondaires: Le Garçon, tous les garçons (Corentin Hot) et Le Guerrier, tous les guerriers (Alexandre Goldinchtein). Tout ce monde se côtoie, circule avec une fluidité naturelle. «Il y a différentes temporalités à appréhender chez Lagarce, dit Christophe Rauck,  le temps rêvé, le temps inexistant ou qui a disparu, le présent pur. Il faut alors jouer avec ces disparités : avec les fantômes et les survivants, entre disparition et apparition. L’écriture est très musicale, ce qui permet d’envisager l’ensemble comme une partition, voire une symphonie, dont chaque instrument fait partie d’un tout, le principe de l’orchestre étant de constituer un groupe pour une voix unique. »

 La mise en scène fait la part belle à la riche matière textuelle,  ressassante, cherchant constamment la précision. Les comédiens s’emparent de cette langue avec aisance et donnent chair à ces mots, avec des appuis de jeu concrets : le mobilier de la salle à  manger, le dossier d’une chaise, une petite table où écrit l’avatar de Jean-Luc Lagarce, la corbeille à linge de la mère, le fauteuil où s’affale Louis… Un travail fin et une direction d’acteurs impeccable qui donnent à chaque interprète libre champ à sa personnalité. Leur présence physique joue à plein : la longue silhouette de Louis, la rageuse logorrhée de Suzanne, les joutes corporelles du Garçon tous les garçons et du Guerrier tous les guerriers, le numéro de séduction de Béatrice (Caroline Fouilhoux) dans sa baignoire, le détachement amusé de l’Amant, mort déjà… Madame Tschissik qui erre sur le plateau en robe de gala, comme échappée d’une mise en scène désuète, égarée parmi les autres….

 Sept châssis blancs dans le fond délimitent l’aire de jeu et permettent au vidéaste Carlos Franklin de projeter des paysages et des dessins en noir et blanc suggérant les différents lieux de la maison familiale. Ces images, sans saturer la représentation, ouvrent l’espace. Tout aussi discrète, la  bande-son diffuse des thèmes d’œuvres classiques et des chansons d’Alain Bashung.

 Jean-Luc Lagarce est servi par une  esthétique baroque d’une grande théâtralité poétique et cette troupe d’acteurs lui rend sa jeunesse. On l’entend écrire, penser, lentement agoniser, et enfin faire résonner ce chant du cygne qui conclut la pièce : « Ce que je pense, et c’est cela que je voulais dire, c’est que je devrais pousser un grand et beau cri, un long et joyeux cri qui résonnerait dans toute la vallée, que c’est ce bonheur-là que je devrais m’offrir, hurler une bonne fois, mais je ne le fais pas, je ne l’ai pas fait. »

Mireille Davidovici

 Jusqu’au 1er mars, Théâtre 71 Malakoff,  place du 11 Novembre, Malakoff (Hauts-de-Seine) T. : 01 55 48 91 00

Les 5 et 6 mars : Le Bateau Feu, Dunkerque (Nord);  du 18 au 22 mars, Théâtre du Nord-Centre Dramatique National, Lille ( Nord)

Les textes de Jean-Luc Lagarce sont publiés aux Solitaires intempestifs

12

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...