La Guerre des pauvres, d’après le roman d’Eric Vuillard, onconception et adaptation d’Olivia Grandville

La Guerre des pauvres, d’après le roman d’Eric Vuillard, conception et adaptation d’Olivia Grandville

On connaît mal aujourd’hui les soulèvements paysans, massifs et sanglants au sud de l’Allemagne au début du XVI ème siècle, immortalisés par Friedrich Engels dans La Guerre des paysans en Allemagne (1850). À peine retient-on encore le nom de Thomas Müntzer (1489-1525), un jeune théologien luthérien en lutte aux côtés des insurgés.
Olivia Grandville s’empare du récit
fiévreux d’Éric Vuillard où le ras-le-bol et la colère populaires se radicalisent en une révolte profonde contre les inégalités, impulsée par la flamboyante et utopique radicalité de Thomas Müntzer.

© Laurent Philippe

© Laurent Philippe

Ce texte épique de quatre-vingt pages est lu d’un seul souffle par Laurent Poitrenaux, immobile sous un plafond ajouré et formé par les cintres, abaissés jusqu’à mi-hauteur du plateau. Dans cet espace de jeu au format panoramique imaginé par Denis Mariotte, des tubes LED et des fanions vibrant sur des hampes mobiles fichées au sol, créent une étrange forêt lumineuse où s’ébattent discrètement les danseurs Samuel Lefeuvre et Windmi Nebie. Jamais illustratif, cela rythme le récit, soutenu par les nappes sonores jouées en continu par Benoît de Villeneuve et Benjamin Morando.

Dans son court roman, centré sur les écrits et paroles de Thomas Müntzer, Éric Vuillard procède par images mais sans jamais négliger le document, source historique. Son écriture serrée d’une grande puissance évocatrice, véhicule de l’émotion, se prête à une interprétation dansée impulsive, à l’image du héros. « Il suit le fil brûlant de son désir. Il a faim et soif, horriblement, et rien ne peut le rassasier, rien ne peut étancher sa soif; il dévorera les vieux os, les branches, les pierres, les boues, le lait, le sang, le feu. Tout. »
« Il faut tuer les souverains impies.» écrit le révolté, au Grand Électeur Frédéric Guillaume de Brandebourg.

Cette fiction historique mise au présent nous précipite dans notre XXIème siècle où les révoltes populaires ont dernièrement ébranlé la société. «Si le soulèvement est une flambée, à coup sûr fugace, dit Olivia Grandville, il n’en reste pas moins l’élan vital nécessaire à tout mouvement. »
Dans cette
chorégraphie, les danseurs, en traçant de vastes déplacements circulaires ou en cassant leur corps avec des gestes saccadés, partagent avec nous les sévices subis par les pauvres et le désir d’un monde plus juste du messianique Thomas Müntzer. Leurs mouvements, la mobilité du décor et les pulsations sonores font écho aux mots de l’acteur.

Olivia Grandville, maintenant à la tête du Centre Chorégraphique National de La Rochelle, nous surprend une fois de plus avec ce travail audacieux, en continuité avec ses créations : Le Cabaret discrépant (2011), inspiré de textes du poète lettriste Isidore Isou au Théâtre de la Colline. Ou le bouillonnant Combat de carnaval et Carême, d’après le tableau de Pieter Brueghel l’Ancien (2017). Et, dernièrement, Klein, réponse  théâtrale, plastique et musicale, à l’aridité et à l’abstraction des propos de l’artiste Yves Klein (voir Le Théâtre du Blog.)

Mireille Davidovici

Spectacle joué du 26 au 29 septembre à la MC93 de Seine-Saint-Denis, 9 boulevard Lénine, Bobigny (Seine-Saint-Denis). T. :0 1 41 60 72 72

Les 4 et 5 février, La Coursive-Scène Nationale de La Rochelle et du 8 au 13 février, Théâtre Vidy-Lausanne (Suisse) .


Archive de l'auteur

Luis de Matos

Luis de Matos

À neuf ans, il a intégré un groupe de théâtre dans le petit village portugais où il vivait avec ses parents. L’un des jeunes adultes encadrant ce groupe, Séraphin Alfonso, était guitariste, pianiste, danseur et surtout magicien. Aux yeux de l’enfant qu’était Luis de Matos, il avait des super-pouvoirs et réalisait des tours avec cordes, balles, cartes… Il a commencé à lui apprendre quelques tours et lui a prêté des livres. Le petit Luis a découvert la magie comme passe-temps et ensuite cette passion a envahi sa vie.

« L’apprentissage est pour moi un voyage sans fin. Chaque jour m’offre de nouvelles connaissances. Aujourd’hui, j’ai l’impression d’en savoir un peu plus qu’hier, mais je suis convaincu que, demain, je prendrai conscience de tout ce qui me reste encore à découvrir. Les événements qui m’ont freiné, sont aussi ceux qui m’ont propulsé. A douze ans et pendant longtemps, j’ai écrit plusieurs lettres aux directeurs de la télévision portugaise de l’époque, expliquant que j’étais la personne idéale pour créer une série télévisée sur la magie! Mes lettres sont restées sans réponse et cela m’a d’abord freiné m’mais aussi beaucoup aidé : je n’étais pas prêt à ce moment-là et si j’avais reçu une réponse favorable, j’aurais sans doute échoué. 

Finalement à dix-huit ans, j’ai commencé à faire des apparitions régulières à la télévision,où je présentais des tours chaque semaine. Mais je continuais à nourrir le rêve de créer une série télévisée. En 89, à dix-neuf ans, je me suis enfin lancé dans ma première série. Une petite de vingt-cinq minutes prévue pour dix semaines. Mais avant la fin, on m’a demandé de préparer une suite pour dix semaines…Au total, quarante épisodes de vingt-cinq minutes, avec toujours deux invités par programme, des magiciens que j’avais persuadé de venir. Cette expérience m’a fait grandir professionnellement et j’ai vu que parfois, les obstacles peuvent se transformer en opportunités de succès.
Ma curiosité insatiable me pousse à explorer toujours de nouveaux horizons. C’est passionnant d’apprendre sur des thèmes qui ne sont pas liés à mes connaissances initiales. Ainsi, j’ai en acquis de variées, sur de nombreux sujets et cela me correspond parfaitement. « Ce n’est pas la plus forte des espèces qui survit, dit Darwin, ni la plus intelligente, mais celle qui s’adapte le mieux au changement. »
Un spécialiste peut rencontrer plus de difficultés à s’adapter. Pour moi, la diversité des connaissances est un atout précieux et en magie j’aime m’exprimer à travers le 
close-up, les grandes illusions et les tours interactifs. En musique ou en parlant, chaque prestation est pour moi un nouveau défi. C’est stimulant et cela m’incite à m’adapter,  à toujours innover et enrichir ainsi  mon répertoire. »

©  Ana Dias

© Ana Dias

Luis de Matos a créé des spectacles originaux comme Utopia, Enigma, Chaos, Conectados et plus récemment Impossible sur scène qui va se jouer aux Folies Bergère à Paris en automne. Fort de son expérience dans les séries télévisées, il a vu qu’ il était crucial d’améliorer la perception que le public a de la magie, avec des spectacles d’exception. Dès sa première série télévisée, il a choisi de ne pas s’aventurer seul, pour que le public découvre un art de haute qualité et a un respect pour cet art. Il choisit des magiciens qu’il aime moins personnellement mais étant convaincu qu’ils sauront impressionner. Objectif : créer une synergie avec les artistes et cela l’a guidé pour produire des émissions de télévision, des festivals de magie ou des spectacles comme Impossible sur scène. «Il y a quelques années, j’ai fondé l’Estúdio 33, un espace où on peut répéter dans des conditions similaires à celles d’un théâtre traditionnel. La scène est la même que celle du Théâtre National de Porto, avec une ouverture de douze mètres et une hauteurs équivalente.
Je ne suis pas très nationaliste, donc je ne me préoccupe pas de l’origine de la magie, qu’elle vienne du Portugal, d’Afrique ou d’Australie. Compte seulement l’humanité et  je ne cherche pas à créer quelque chose portant la marque: Portugal, parce que je suis portugais. Je crois qu’en adoptant une perspective globale, on peut être plus exigeant.
Il serait facile de produire la meilleure émission de télévision chz nous mais c’est bien plus complexe de créer un programme qui captive des publics au Japon ou aux États-Unis. J’ai voulu réaliser une chose qui ait une valeur universelle et reste excellente là où elle est diffusée  au Portugal, en Allemagne, etc. Cela me motive. Depuis 98, le festival 
Encontros Mágicos à Coimbra, est surtout destiné au grand public, mais des magiciens y assistent. L’objectif : présenter ce que notre art a de mieux à offrir aujourd’hui avec magiciens de rue, conférences publiques, galas internationaux et close-up.
En 2006, nous avons eu l’occasion d’organiser un événement similaire:
Lisboa Mágica- Street magic world festival. Mais je ne voulais pas reproduire celui de Coimbra: cela risquait de le cannibaliser, vu la proximité. Pendant six jours, il y a uniquement de la magie de rue avec cent-soixante-quinze spectacles dans quatorze lieux à Lisbonne. Cela permet une interaction avec le public au cœur de la ville et de s’adresser à toutes les catégories sociales, pas seulement à ceux qui vont au théâtre ou qui vivent dans la capitale et aussi aux touristes .
Les associations-il en existe deux chez nous: l’une à Porto et l’autre à Lisbonne. et elles ont un rôle essentiel: les passionnés se rencontrent et on peut orienter les magiciens dans leur parcours. Les festivals que nous organisons et les émissions de télévision que nous produisons, contribuent à développer un vrai respect et, dans certains cas, un véritable engouement pour notre art.
Du créneau du mercredi matin quand j’avais dix-neuf ans, je suis passé au samedi matin, puis au samedi soir, et  notre émission est enfin devenue un programme en « prime time». Cela permet de toucher un public beaucoup plus large. »

Luis de Matos a créé à Ansião, l’Estudio 33. Il regroupe un théâtre, un plateau de tournage, des salles pour conférences et ateliers, un centre de documentation et un musée. Depuis 95, il a eu la chance de travailler avec une équipe de neuf personnes. Certains sont là depuis le début, les autres  l’ont rejoint au fil des années.
Quand il a créé Luis De Matos Produções, il y avait, distincts, le bureau, l’atelier et le studio. Mais il lui était impossible d’être présent sur ces trois sites et son rêve était de construire un endroit où ils pourraient être tous être réunis. Ainsi est né Estúdio 33. « Je l’ai imaginé et dessiné en 2002, nous avons commencé sa construction l’année suivante. Puis nous nous y sommes installés six ans plus tard et l’ensemble a été achevé en 2010. Nous y réalisons quotidiennement nos émissions de télévision en direct, la création de tours et  y faisons toutes les tâches administratives. Au cœur d’Estúdio33, il y a aussi ma bibliothèque avec quelque cinq mille ouvrages, du XVI ème siècle à nos jours.
Ma passion pour les livres me pousse à rechercher de nouveaux trésors littéraires à chaque voyage dans une ville voisine ou un pays lointain. Cet espace est avant tout un lieu de travail mais j’ouvre volontiers ses portes à ceux qui le souhaitent, magiciens ou passionnés.
L’excellence me touche profondément. Je peux être submergé par une émotion intense en voyant un athlète finir un marathon aux Jeux Olympiques… J’ai eu la chance de connaître des artistes remarquables qui ne sont plus parmi nous aujourd’hui. C’est incroyable: même après leur départ, leur influence continue à se faire sentir dans ma vie. Bien entendu, il y a aussi des  artistes contemporains qui m’inspirent beaucoup mais j’aimerais rendre hommage à cinq disparus: Tommy Wonder, Paul Daniels, Gary Ouellet, Topper Martin et Max Maven. Chacun m’a profondément influencé. Ils avaient en commun une grande valorisation de l’excellence et du travail acharné et m’ont énormément appris. »

Pour Luis de Matos, tous les styles ont leur beauté et leur valeur, quand ils réussissent à capter l’attention et qu’ils offrent une expérience authentique. Selon lui, chaque performance classique ou moderne, minimaliste ou spectaculaire, peut toucher le public de façon unique et  créer un moment mémorable. Comme Paul Daniels qui a eu une influence majeure sur lui et cela se ressent profondément dans sa manière d’être et de travailler.
De 2013 à 2022, il a voyagé  avec
The Illusionists 2.0 en Australie, Mexique, Nouvelle-Zélande, Émirats arabes unis, Turquie, Chine, Russie, Thaïlande… Pour lui, « La magie est accueillie selon leur culture. Je crois que le dénominateur commun à tous est notre condition humaine. Chacun sait, au fond, ce qui est possible et ce qui ne l’est pas, et notre réaction face au merveilleux, à l’inexplicable, au poétique et émotionnel, est viscérale. Et il n’ a pas de grandes différences entre les publics. »

La passion de Luis de Matos? Il aime découvrir de nouvelles choses-peu importe le domaine-et augmenter sa capacité à apprendre. Explorer, écouter, essayer et s’engager dans des processus, même si le succès n’est pas toujours au rendez-vous, fait partie intégrante de son parcours. Cela, dit-il, l’enrichit chaque jour.

Sébastien Bazou

 Interview réalisée le 25 septembre à Dijon (Côte-d’Or).

 

Omar-Jo, son manège à lui de Guy Zilberstein, mise en scène d’Anne Kessler

Omar-Jo, son manège à lui de Guy Zilberstein, mise en scène d’Anne Kessler

Claire de La Rüe du Can (Adèle), Dominique Parent (Léon), Baptiste Chabaut (Elvis) jouent cette pièce inspirée de LEnfant multiple d’Andrée Chedid. Un jeune jeune garçon mutilé, Omar-Jo, a été victime d’un attentat à Beyrouth en 87 pendant la guerre au Liban. Chrétien par sa mère et musulman par son père, l’enfant a perdu ses parents à ce moment-là et a été recueilli à Paris par son oncle.

© Vincent Pontet

© Vincent Pontet

Cet orphelin va fréquenter assidument le manège de Maxime qui, lui, a été victime de la deuxième guerre mondiale quand il était enfant. «Guy Zilberstein et Anne Kessler imaginent, dit Eric Ruf, administrateur de la Comédie-Française, que cette fiction est un épisode dune série consacrée aux enfants, victimes de guerres.» Cela se déroule devant le public. Une fiction malheureusement dune cruelle actualité, avec la guerre qui frappe encore le Liban aujourd’hui. «Beyrouth mille fois morte et mille fois revécue.», écrit la poétesse Nadia Tuéni. On pense à la destinée de cette ville-martyre mais ce projet a été conçu bien avant les événements actuels.
Derrière une toile transparente où sont projetées des images d’archives, Elvis, le comédien, Adèle, la réalisatrice, et Léon, l’ingénieur du son..“Il faudra bien que notre peuple tout entier remonte sur le même manège”, dit l’un d’eux, citant Andrée Chédid. Quelques mots d’espoir dans notre monde actuel qui n’inspire guère d’enthousiasme.

C’est un théâtre documentaire où l’auteur évoque les horreurs d’un conflit qui ne finit jamais et la mémoire des victimes. On découvre aussi  un reportage sur Beyrouth autrefois bombardée et le témoignage poignant d’un enfant dans un entretien à la télévision avec Mireille Dumas…
Les comédiens sont tous très justes. Mais certaines photos projetées ont été générées par l’intelligence artificielle! Un choix qui nous gêne, surtout pour cette forme de théâtre qui se veut au plus proche de la réalité. Il faut distinguer ici le vrai, du vraisemblable.

Anne Kessler aime la radio et avait déjà surpris le public en mettant en scène Trois hommes dans un salon (2008) où elle reproduisait une interview croisée de Jacques Brel, Georges Brassens et Léo Ferré. Nous ressortons amer, de cette pièce et témoin impuissant de ce que la folie humaine peut produire.

Jean Couturier

Jusqu’au 3 novembre, Studio-Théâtre de la Comédie-Française, galerie du Carrousel du Louvre, 99 rue de Rivoli, Paris (Ier). T : 01 44 58 98 54.

 

Rêche,chorégraphie de Myriam Gourfink

Rêche, chorégraphie de Myriam Gourfink


Au Panthéon, lieu chargé de mémoire, dans une partie consacrée aux soldats de la Grande Guerre, sept danseuses et danseurs vont, une heure et quart durant, fasciner le public. Sous la haute coupole, ils viennent, l’un après l’autre, s’allonger sur le sol de marbre.
Leurs corps enchevêtrés, telles des sculptures de monuments aux morts, font écho aux bas-reliefs de la grande stèle voisine, dédiée «aux héros inconnus, aux martyrs ignorés, morts pour la France».

Sur les côtés de l’aire de jeu, deux œuvres d’Anselm Kieffer évoquant les massacres passés. Mais rien de sinistre dans Rêche. La pièce, contrairement à son titre, est empreinte de douceur. Les interprètes en costume immaculé s’animeront peu à peu avec une lenteur spectrale et cet amas de corps, mu par un souffle commun, se métamorphosera imperceptiblement au gré des postures, chacun prenant appui sur son prochain.

© Patrick Berger

© Patrick Berger

Dans l’imposante verticalité de l’architecture, ces gisants semblent des vermisseaux aspirant à sortir de leur rigidité cadavérique. Membres levés vers le haut, buste se convulsant au ralenti, dans un ondoiement microscopique perpétuel, cet assemblage humain mouvant ne perd jamais de son tropisme vers la lumière. On est loin d’une danse macabre.L’art de Myriam Gourfink est fondé sur les techniques respiratoires du yoga et sur une connaissance approfondie du mouvement des muscles et fascias, ce réseau de membranes enveloppant les organes.
Le prisme de la lenteur est, pour la chorégraphe, un moyen «d’arriver à un endroit de circulation qui rassemble tout le reste du corps, comme une grande toile d’araignée». Une approche exigeant concentration et maîtrise physique chez les danseurs.

Leur gestuelle arachnéenne est soutenue par la musique vibrante du compositeur Kaspar T. Toeplitz. Sa basse électrique émet un bourdonnement continu et Didier Casamitjana tire des sons caverneux de gongs et d’un tambour chamanique tendu d’un morceau de peau de yourte. Pour Baudelaire, «les morts, les pauvres morts, ont de grandes douleurs » mais ils sont ici du côté des vivants et suscitent une émotion recueillie dans le public. Le Panthéon n’est pas un cimetière mais un endroit de l’esprit où l’on honore des hommes et femmes de courage.
La douceur de Rêche s’inscrit à contre-courant du langage guerrier. «Il me semble dit Myriam Gourfink, qu’aujourd’hui, chercher la tendresse est un effort à renouveler tous les jours.» Après cette première mondiale, la pièce ira en tournée, donc ne la manquez pas.

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 28 septembre, au Panthéon, Centre des monuments nationaux, place du Panthéon, Paris (Vème). Dans le cadre de l’Atelier de Paris. T. : 01 41 74 17 07 et du Festival d’Automne à Paris 

 Les 5 et 6 novembre, Théâtre du Beauvaisis-Scène nationale, Beauvais (Oise).

 

Krush, conception et réalisation d’Olivier Fredj, conception musicale Shani Diluka

Krush, conception et réalisation d’Olivier Fredj, conception musicale Shani Diluka

 Paradox Palace revient au Théâtre du Châtelet, avec le troisième volet d’une fresque théâtrale, musicale et sociale hors-norme, construite avec les mots des oubliés de la société. Olivier Fredj, son directeur, vient à la fois de l’opéra et des milieux socio-éducatifs. Il conjugue ses talents pour une aventure artistique généreuse: dire sur scène le monde actuel selon le point de vue de ceux qu’on n’entend jamais, relégués dans les marges: « les sans dents» et « ceux qui ne sont rien », selon nos dirigeants actuels…

© Thomas Amouroux

© Thomas Amouroux

Après Watch (le temps) en 2022 et Flouz (l’argent) en 2023,Krush aborde les questions de l’identité, du regard porté sur soi, du lien et de la relation à autrui. Entre les crush (béguins) et les krachs amoureux amoureux et familiaux, se jouent destins brisés, espoirs de vie meilleure, naufrages et sauvetages. Et pour le dire, des ateliers d’écriture ont été menés avec les détenus du centre pénitentiaire à Meaux, les élèves de CE1 à l’école Jeanne-d’Arc  à Paris (XIII ème), les hébergés du Samu social, les résidents de l’EHPAD Huguette Valsecchi à Paris et des patients de la Maison Perchée…
Il s’agissait aussi de mettre en place des échanges épistolaires entre
personnes en rupture sociale, personnes âgées, enfants… Ils ont ainsi raconté leur famille, leurs amours, leurs déchirures…

Paradox Palace a bâti Krush à partir de ce corpus éclectique, distribuant les paroles recueillies à des acteurs professionnels, élèves-comédiens et amateurs dont certains anciens détenus et résidents de Samu sociaux et d’Ehpad. Une trentaine de personnes investissent le plateau en chœurs, duos, solos… Nous sommes surpris par la lucidité et l’humour qui traversent ces histoires d’attachement, désamour, abandon. Comme dans la lettre de cette jeune femme qui, après une tentative de suicide, commence par «Cher lâche, je suis cassée… » ( Lison, de la Maison perchée) ou celle de Camille à son père : «Je fais une déclaration de vie à toi qui a choisi de mourir. »

Avec une mise en scène et une création musicale réussies, Olivier Fredj  met à distance les souffrances, voire la mort qui infusent ces narrations. Les artistes sont accompagnés, à flot continu par les Préludes et Fugues de Bach, distillés par la pianiste virtuose Shani Diluka, première femme du continent indien à être entrée au Conservatoire National à Paris.
S’y mêlent discrètement les battements percussifs du Trio SR9 et les boucles électroniques, plus festives du DJ Matias Aguayo  idéales pour esquisser les danses urbaines, soutenir des vers slamés ou la chanson dédiée à Herman qui est parti du Samu social, puis s’est évanoui dans la nature et en est mort…

Malgré une dernière partie un peu trop longue et décousue, il émane de cette troupe en mouvement incessant et une belle énergie. « La polyphonie, c’est la résolution unitaire et parfaite des diversités du son et de la voix, insuffisantes à elles-mêmes dans leur seule spécificité.» écrivait le poète Édouard Glissant dans Tout-mond. Dans ce spectacle émouvant, toute parole prend de la valeur, éclairée par une réalisation soignée sous l’aile des professionnels de la musique et du théâtre.
Le projet ne s’arrête pas aux quelques représentations publiques des trois spectacles mais a permis la réinsertion sociale et professionnelle de certains détenus. Grâce à des promesses d’embauche ferme, six ont bénéficié d’une remise de peine en 2022, et dix, en 2023. Plusieurs d’entre eux commencent une carrière artistique._
Tous sont heureux et fiers d’être entendus. « Être sur scène, c’est un rêve, témoigne un ex-détenu, maintenant acteur au Paradox Palace. (…). Quand on est en détention, tout ce qu’il nous reste, c’est notre parole. La confiance, c’est important et ces ateliers d’écriture, ces séances de répétition, cette possibilité d’aller au Châtelet, c’est un beau gage de confiance. En tout cas, j’ai appris que mon moteur profond consiste à poser un regard sur la société pour mieux la questionner.» Il faut regarder Krush à cette aune:  à partir du parcours de chacun, se construit une précieuse chaîne de solidarité…

 Mireille Davidovici

 Les 19 et 22 septembre, Théâtre du Châtelet, 1, place du Châtelet, Paris (Ier) T. : 01 40 28 28 28.

Rosa de et avec Jean-Marie Lehec

Les Journées du Patrimoine

Rosa, de chez Nicolas Flamel, de et avec Jean-Marie Lehec

 Il s’agit en soixante minutes d’une évocation de la vie parisienne dans ce quartier central de la capitale, surtout avant sa rénovation drastique par le préfet Haussmann, à la fin du XIX ème siècle. De 1854 à 1858 la restauration est confiée à l’architecte Théodore Ballu. Et cette tour bien connue des habitants de la capitale, a une longue histoire depuis la construction de 1509 à 1523 de l’église Saint-Jacques-de-la-Boucherie quand la Tour Saint-Jacques haute de cinquante quatre mètres lui servait de clocher. C’était aussi le point de départ pour le pélerinage à Saint-Jacques de Compostelle. Et pour ceux qui en ont le courage (300 marches!) on peut monter jusqu’en haut: vue imprenable sur Paris mais la Mairie de Paris ne fait pas de cadeau et la visite est payante: 12 €!  On peut avoir aussi une aussi belle vue ou presque, gratuitement au Centre Georges Pompidou, avant qu’il ne ferme pour travaux pendant cinq ans.
L’église, détruite en 1793 et devenue bien national, servit de carrière de pierre mais l’acheteur avait eu l’ordre de ne pas détruire la tour. Trente ans plus tard, un industriel – y installa une fonderie de plombs de chasse, la hauteur du clocher étant suffisante pour que les gouttes de métal refroidissent et forment des billes arrivées au sol. 

La Tour est aussi bien connue par les travaux sur la pesanteur du génial Blaise Pascal, à la fois savant et philosophe. Rénovée plusieurs fois, elle appartient à la Ville de Paris depuis 1836 et a été classée monument historique en 1862.
Mais la vie de cette tour fut associée à un personnage dont il reste encore la maison dans la proche rue de Montmorency, juste à côté des anciens bureaux du magazine art press. Le  récent présent rejoint le lointain passé. Ainsi va la vie à Paris…Nicolas Flamel (1340-1418), un bourgeois parisien était écrivain public, copiste et libraire dans dans une petite échoppe adossée à l’église Saint-Jacques-la-Boucherie. Il se maria avec Pernelle, une riche veuve et  réussit à acquérir une solide fortune grâce à des spéculations immobilières dans un quartier alors en pleine rénovation… les habitants ayant décidé de vider les fosses du tout proche cimetière des Innocents dont la belle fontaine vient d’être restaurée.

 

©x

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Nicolas Flamel devenu riche, finança la réfection du portail de Saint-Jacques-la-Boucherie, en s’y faisant représenter en prière avec sa femme, au pied de la Vierge Marie, de Saint-Jacques et Saint-Jean. C’est aussi toute la  vie de ce quartier que fait revivre Jean-Marie Lehec avec, entre autres événements,  la mort du grand Gérard de Nerval*. Il y a une plaque commémorative dans le square avec un médaillon de Jehan Du Seigneur. Et juste à côté, une autre au sous-sol du Théâtre de la Ville, à l’endroit présumé d’une rue glauque parallèle au quai de Gesvres où, en 1855, ce grand poète fut retrouvé pendu-suicidé ou assassiné-à une grille…
L’acteur, sous le personnage de Rosa, raconte avec une diction irréprochable, cette histoire passionnante et bien écrite d’un Paris encore récent avec ces Halles que de nombreux habitants ont connues, avant leur indispensable exil à Rungis. On voyait circuler dans les petites rues avoisinantes, des bennes remplies de morceaux de viande et le quartier vivait le jour comme la nuit quand acteurs, artistes et bouchers mangeaient ensemble la soupe à l’oignon. Une autre époque…
Ce spectacle court mais attachant qui mériterait d’être repris dans de meilleures conditions: n’incriminons personne mais il y avait un bruit de fond incessant et très pénible de circulation boulevard Sébastopol et rue de Rivoli… Et pas d’ampli, si bien qu’on peinait à entendre Jean-Marie Lehec, victime d’un extinction de voix à cause d’un froid inhabituel en septembre à Paris. Les choses se sont arrangées depuis, mais conseil d’ami, habillez-vous chaudement et munissez-vous d’un parapluie au cas où…

Philippe du Vignal

 Jusqu’au samedi 28 et dimanche 29 septembre à 18h. Spectacle vu le 21 septembre au Jardin de la Tour Saint-Jacques, Paris (IVème). Pas de réservation. Spectacle gratuit.

* «Gérard de Nerval,  écrit André Breton, dans le premier Manifeste du Surréalisme, possède à merveille l’esprit dont nous nous réclamons. » Il ajoute qu’à la place du mot: surréalisme, lui et ses compagnons auraient pu tout aussi bien élire le mot: super-naturalisme employé par le poète à propos des Chimères.

Mysterious Heart chorégraphie de Taniá Carvalho

Mysterious Heart, chorégraphie de Taniá Carvalho

Les artistes du Tanzmainz de Mayence (Allemagne) impressionnent d’emblée par leur rigueur et leur engagement physique, qu’ils soient seuls ou en groupe… Ce ballet  travaille étroitement avec des chorégraphes de renom invités. Ainsi pour Soul Chain, dirigée par Sharon Eyal et Gai Behar, une pièce récemment présentée dans le monde entier. Elisabeth Gareis, Daria Hlinkina, Amber Pansters, Maasa Sakano, Milena Wiese, Wei-Cheng Shao, José Garrido, Federico Longo, Matti Tauru, Lin Van Kaam et, Thomas Van Praet sont dirigés par Taniá Carvalho: un choc visuel…

© Andrea Etter

© Andrea Etter

La chorégraphe portugaise, dit être partie des Expressions des passions de l’âme, des dessins à l’encre de Charles Le Brun, peintre de Louis XIV, qui étudie les effets des émotions sur l’expression faciale. « Je les ai trouvés très inspirants. D’où le titre de la pièce. Si nous pouvons  souvent mettre des mots sur nos sentiments nous éprouvons des émotions plutôt mystérieuses. »À partir d’un vocabulaire d’une gestuelle plutôt classique, la chorégraphe a développé des expressions très théâtrales chez chacun des interprètes.

Les costumes de Lucia Vonrhein servent à merveille cette succession de tableaux étranges et les griffes, prolongeant les doigts des artistes, ajoutent une belle animalité au jeu. Cette créatrice de costumes a travaillé les tulles de toutes les manières possibles, ce qui donne une certaine légèreté au mouvement.
Une fois passées les premières figures, l’ensemble est un peu répétitif, surtout quand le groupe se fige en nous regardant, dans des postures très expressionnistes. Il n’y a pas d’évolution dans ce langage abstrait et cette pièce de cinquante-cinq minutes parait  bien longue. Mais peut-être faut-il lui laisser trouver son rythme…

Jean Couturier

Jusqu’au 28 septembre, Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, place du Châtelet, Paris (I er). T. : 01 42 74 22 77.

 

Les Grand Sensibles ou l’Education des Barbares d’après William Shakespeare, texte et mise en scène d’Elsa Granat

Les Grand Sensibles ou l’Education des Barbares, d’après William Shakespeare, texte et mise en scène d’Elsa Granat

 Cette metteuse en scène avait écrit et brillamment mis en scène Nora, Nora, Nora! De l’influence des épouses sur les chefs-d’œuvre, d’après Henrik Ibsen au printemps dernier au Théâtre de la Tempête. Après King Lear Syndrome ou les Mal élevés d’après le grand Will, elle remet le couvert shakespearien avec une pièce à mi-chemin entre une performance d’art plastique et une réécriture  théâtrale.
L’argument: Juliette prépare son dix-huitième anniversaire avec autour d’elle son Roméo mais aussi Ophélie et Hamlet, des cousins? Ou au moins, des copains. Tout le monde-et il y en a du monde, y compris les parents Capulet et Montaigu-dansotte devant un superbe rideau doré. Les plus âgées des dames, en robe noire, sont assises dans un fauteuil roulant et l’une marche avec un déambulateur dans la vraie vie.

© Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage

Elsa Granat a fait appel à ses acteurs: Lucas Bonnifait, Antony Cochin, Victor Hugo Dos Santos, Elsa Granat, Clara Guipont, Niels Herzhaft, Laurent Huon, Juliette Launay, Mahaut Leconte, Bernadette Le Saché et Hélène Rencurel. Et au chanteur et musicien Edo Sellier. Mais aussi à un chœur d’enfants de plusieurs Conservatoires, et à cinq interprètes amateurs, tous très justes.

On voit aussi, surtout au début et à la fin sur deux écrans de télévision placés côté jardin et côté cour, Roméo embrassant fougueusement sa Juliette, comme Hamlet, son Ophélie. Mais le spectacle sent à quinze mètres l’écriture dite de plateau, c’est à dire, pour nos lecteurs qui ne sont pas de la paroisse, fondée sur des improvisations. Visiblement, Elsa Granat se fait plaisir et nous offre un texte sur le mythe de l’amour chez des jeunes gens soumis à l’impitoyable pouvoir de leurs parents. «Pour, dit-elle, repenser l’ordre du monde et du pouvoir, dans la jubilation, à partir du point de vue de celles et ceux qui devraient avoir droit à une belle vie. »
Ce genre de leçon augure mal de la suite! Aucune émotion, texte sans grand intérêt et spectacle tenant plutôt d’une performance-déconstruction qui pourrait ressembler à un exercice de khâgne qu’Elsa Granat a fréquentée il y a une vingtaine d’années. Du genre : « Ecrire un texte d’après Shakespeare, en reprenant les personnages principaux de Roméo et Juliette. Vous avez toute liberté et pouvez y associer ceux d’autres pièces du grand Will. Vous devrez indiquer avec précision vos intentions de mise en scène mais il y a une contrainte: employer des comédiens amateurs et les enfants d’une chorale. Ne vous privez pas de vous faire plaisir à condition de le partager avec les spectateurs. Durée à votre choix mais à indiquer. »

Et le résultat? La chose dure deux heures et demi (sic) ! Elsa Granat sait créer parfois des images remarquables comme ce magnifique mur-rideau doré qui s’entrouvre sur un groupe d’enfants masqués. (Réalisation scénographique : Suzanne Barbaud) Ou vers la fin, ce grand-repas avec quinze convives sans cesse dérangés par ces mêmes enfants qui se faufilent entre leurs jambes, pour les écouter. Nous retrouvons ici certaines des qualités qui avaient fait le succès de Nora, Nora.
Mais cette bonne directrice d’acteurs aurait quand même pu nous épargner de trop fréquentes criailleries.  Elle possède aussi une grande maîtrise de l’espace mais… pas du temps.  Et beaucoup moins celle du scénario qui, ici, part dans tous les sens. Et tant pis pour ceux qui n’ont jamais lu ou vu Roméo et Juliette au théâtre ou même au cinéma. C’est à dire, probablement, la grande majorité du public de Saint-Denis!
« Faire un film, disait Alfred Hitchcock, c’est d’abord raconter une histoire. Cette histoire peut être improbable, mais elle ne devrait jamais être banale. Ce doit être dramatique et humain. Qu’est-ce que le drame, après tout, si ce n’est la vie, avec les éléments ternes coupés?  » Au théâtre, raconter une histoire n’est pas une obligation absolue depuis au moins un siècle, mais encore faut-il l’assumer et on se demande ce qu’a voulu faire Elsa Granat. Le résultat laisse perplexe…Même encore une fois, si la metteuse en scène sait créer d’excellentes images.
Ce qui aurait pu être un spectacle à la fois loufoque et parodique, avec des airs de comédie musicale, traîne en longueur et il y a, au moins, une moitié de trop… La metteuse en scène semble avoir voulu se faire d’abord plaisir et on lui en a donné les moyens. Et le public dans tout cela? Le spectacle distille un ennui d’appellation contrôlée avec une fin… où les enfants sautent interminablement sur des trampolines. « L’éternité, écrit Franz Kafka, c’est long, surtout vers la fin. »

Elsa Granat a de grandes qualités de metteuse en scène mais cette fois-ci, elle a très mal visé et ce qui aurait pu être une performance visuelle fois comique d’une heure et quelque, est finalement assez prétentieux et ne tient pas la route sur ces deux heures et demi (bien entendu sans entracte, sinon une partie de la salle se serait vidée). On va sans doute nous dire que c’était une première et que c’est normal, que les choses vont vite se caler. Refrain connu…
La seule chose qu’Elsa Granat puisse faire (c’est toujours un boulot difficile!) : abréger déjà cette pièce d’une demi-heure au moins, surtout et d’abord, en raccourcir la fin, aussi sotte que grenue. Elle comprendra, on l’espère, que si, elle persiste à faire joujou avec William Shakespeare ou d’autres auteurs, pour arriver à un résultat aussi médiocre, elle ira droit dans le mur… Espérons que le Tchekhov qu’elle montera prochainement à la Comédie-Française ne sera pas du même tonneau! Bref, vous pouvez vous épargner Les Grands Sensibles ou l’Education des Barbares.

Philippe du Vignal

Jusqu’au Théâtre Gérard Philipe, Centre Dramatique National de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). T. : 01 48 13 70 00.

Les 16 et 17 octobre, NEST-C.D.N. de Thionville (Moselle).

Les 7 et 8 novembre,Théâtre de l’Union-C.D.N. du Limousin, Limoges (Haute-Vienne).

Du 26 au 30 novembre , Théâtre Dijon-Bourgogne, Dijon (Côte d’Or).

Les 4, 5 et 6 décembre, Théâtre de Cornouaille-Scène Nationale de Quimper (Finistère)

 

 

Nageuse de l’extrême, texte et mise en scène d’Elise Vigier

 Nageuse de l’extrême, texte et mise en scène d’Elise Vigier

 À la source de ce projet et le désir d’écrire sur le thème du cancer: la rencontre d’Elise Vigier avec Marion Joffle, spécialiste de nage extrême. Le décor blanc et nu, avec, au sol, quelques blocs semblables à des icebergs, nous plonge dans un univers glacé comme l’eau qui s’empare du corps de la sportive, et froid comme le destin imprévisible et angoissant qui guette l’autre personnage féminin.

Le public, assis autour de la scène, a l’impression d’être intégré à l’espace aquatique ou à celui d’un hôpital selon les situations. D’où un lien direct de partage avec l’action et les personnages. L’unique décor est aussi celui des salles d’attente, avec au sol, des bandes grise, orange, bleue, ces lignes qui, dans les hôpitaux, indiquent le chemin des services.
Ce théâtre-témoignage évoque le combat de ces femmes qui risquent leur vie dans des contextes différents : l’une nage dans l’eau glacée, l’autre se bat contre le cancer. Rencontre d’univers opposés ? Oui, et, si dans chacun d’eux, la menace de la mort existe, elle ne se manifeste pas avec la même complexité ni la même brutalité.
L’une, dans un sport de haut niveau, est inscrite au programme, si l’on peut dire mais l’autre porte en elle la marque de l’injustice la plus terrible. Dans ce face-à-face singulier et personnel pour chacune en proie avec la survie et la mort, réside pour une large part, l’intérêt de la pièce. Dans leur lutte, ces femmes vont se rejoindre et s’accompagner dans leur lutte avec l’extrême. Entre elles, un lien de sororité se crée et donne naissance à une magnifique rencontre. Dans ce monde de l’exploit au-delà de toute limite… un regard inhabituel et sensible sur la souffrance et l’angoisse.

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Elles partagent entre elles, en elles, et avec nous, chacune à leur façon, cette maladie qui nous concerne tous: nous connaissons trop souvent quelqu’un de notre entourage touché par le «crabe ». À travers leur courage et la vie coûte que coûte, elles nous confrontent à l’inimaginable et nous transmettent à travers leur corps en jeu, pour l’une en pleine capacité physique, pour l’autre en totale faiblesse, le récit de leur vécu avec l’extrême.
La nageuse, en référence à Marion Joffle, s’engage dans ce défi contre le cancer des enfants: Sept Ice Mile (1.609 mètres) dans une eau à moins de 5°, avec juste, un maillot de bain, et cela sur sept continents.
L’autre est seule concernée directement par cette terrible maladie qui a pris son être au plus profond de son intimité. Ce n’est pas de la même envergure et est l’un des points discutables du spectacle.

 À travers une parole pleine d’empathie et de questions tantôt insolubles ou libératrices, elles interviennent tour à tour, seules, ou en se croisant, ou en échangeant. Le public se sent concerné par leur récit face à l’extrême et à l’anxiété : pour l’une, gagner l’exploit sportif pour aider ceux et celles atteints par le redoutable fléau, et pour l’autre, avoir le dernier mot sur la maladie et vaincre la mort.

Dans cet hymne à la vie, l’autrice met aussi en avant, et avec finesse, la grande difficulté de parler de la maladie, de la souffrance, et de la mort. Léna Bokobza-Brunet (la Nageuse) et Elise Vigier (la Malade) sont remarquables de justesse et complicité mais nous ne sommes pas suffisamment touchés par la violence, l’angoisse et la terrible solitude.
Nous restons un peu en dehors de la lutte entreprise. La peur viscérale, la brutalité et l’isolement ne prennent pas suffisamment corps et force dans ce spectacle, pourtant original, inventif et sensible. Malgré cela, Nageuse de l’extrême met en lumière la complexité de la relation avec soi et les autres, au moment où l’insupportable et l’innommable s’emparent de nos vies.

 Elisabeth Naud

Jusqu’au 28 septembre,Théâtre Ouvert, Centre National des Dramaturgies Contemporaines, 159 avenue Gambetta, Paris ( XX ème). T. : 01 42 55 55 50 .

Le texte est publié aux éditions Esse que.

 

Tous les poètes habitent Valparaiso, texte de Carine Corajoud, en collaboration avec Dorian Rossel, conception et mise en scène de Delphine Lanza et Dorian Rossel

Tous les poètes habitent Valparaiso de Carine Corajoud, conception et mise en scène de Delphine Lanza et Dorian Rossel

Ça commence par une émission de radio, avec l’efficace tyrannie de celui qui tient le micro, ça continue avec la compagnie fictive  Le retour du Verdier , qui pourrait être aussi le retour au théâtre d’une célèbre comédienne empêtrée dans une série policière et le vedettariat qui s’ensuit. On ira faire un tour au siège et sur le terrain de la Croix-Rouge (c’est une histoire suisse, donc internationale), à la recherche d’un poète qui est peut-être deux : Juan Luis Martinez et/ou Jean-Louis Martinez.

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La compagnie Super Trop Top s’est donné des principes de jeu rigoureux et ludiques : ne pas s’encombrer de théâtre, pour pouvoir faire du pur théâtre. Jouer au maximum, avec le minimum de signes, si possible reconnaissables par tous. Comme les petits enfants disent « broum broum » pour signifier le bruit d’un moteur de voiture, alors qu’ils savent très bien que le bruit réel n’est pas broum broum, mais que tout un chacun identifie aussitôt la voiture à ce son. Donc les trois comédiens sur scène et leurs compères cachés vont vous embrouiller joyeusement le temps de ce court spectacle. Qui est Juan Luis Martinez ?

Existe-t-il, a-t-il existé, ce poète qui raye systématiquement sa signature, exige que son livre ne soit publié que vingt ans après sa mort et qui a enflammé en vingt mots et deux vers les étudiants chiliens, contribuant ainsi à la chute du dictateur Pinochet ? Et dont on trouve un livre imprimé en Français, et signé Jean-Louis Martinez ? Qui est l’Un, qui a copié l’Autre, ou inversement ?

Ce qui est certain dans cette affaire : ce qu’on voit sur scène. Deux comédiens et une comédienne, épatants (réhabilitons ce vieil adjectif), Karim Kadjar, ultra léger en statue du poète, Fabien Coquil avec son humour rentré et d’autant plus intense, et Aurélia Thierrée, née dans le cirque et qui prend ici la parole en douceur et au sérieux.
D’un geste, d’un accessoire saisi instantanément, ils changent de rôles, de temps, chaque signe étant choisi pour son efficacité immédiate. Exemple : qu’est-ce qu’un chercheur de l’université Columbia aux États-Unis ? Réponse : celui qui arbore la casquette de cette université. Qu’est-ce un poète, sinon la statue d’un poète ? Une actrice star ? Un chapeau ou des lunettes de soleil. Valparaiso ? Des panneaux de couleurs vives (mais sans escaliers). Un voile de plastique ultra-léger se gonfle et prend toutes les formes que lui suggèrent les courants d’air : voilà de l’art modeste qui fait du beau avec l’emblème du moche. Et ainsi de suite, et ça marche, on s’attache à ces personnages fugaces, on rit de la complicité qu’ils installent à chaque instant avec nous, on est charmé.

On a envie de dire : « spectacle puzzle », qui se défait à mesure qu’il se construit, pour rebâtir une nouvelle réalité, tout aussi incertaine. Que donnera l’enquête ? Attendons la fin. Le résultat est malicieux, profond, nature, et tout, sauf naïf. La compagnie nous assure que cette histoire invraisemblable est réellement arrivée, si l’on en croit Le Temps, journal suisse, donc sérieux, où elle a déniché cette histoire. Ce serait un bel hommage vécu au poète portugais Fernado Pessoa (« Personne ») et à ses hétéronymes (il est permis de chercher le mot dans le dictionnaire) et aussi à Lautréamont, repris par les surréalistes : « La poésie doit être faite par tous ». la pièce se heurte peut-être là à sa limite : trop de pudeur, devant un sujet sublime (c’est-à-dire d’une effrayante beauté), la force de la poésie, la vraie, qui dépasse de mille lieues les questions de nom (et de droits) d’auteur, trop de légèreté devant le tragique du monde où il lui arrive d’être agissante.
Au bénéfice des auteurs, acteurs et actifs du plateau, on peut aussi penser que cette pudeur et cette modestie donnent une mission au public : à vous d’accueillir la poésie dans toute sa force énigmatique et évidente, faites l’effort d’aller la chercher. Bon, nous essaierons de ne pas oublier la mission, propulsés dans les airs par ce spectacle d’une originalité exemplaire, cette bulle irisée, « simplement compliquée », aurait dit Thomas Bernhardt, qui n’était pas suisse.

Christine Friedel

Jusqu’au 20 octobre, Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de manœuvre. Métro : Château de Vincennes +navette gratuite. T. : 01 43 28 36 36.

 

 

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