Exposition Piste ! Clowns, pitres et saltimbanques

Exposition Piste! Clowns, pitres et saltimbanques, commissaires: Vincent Giovannoni, conservateur en chef, responsable du pôle Arts du spectacle au Mucem et Macha Makeïeff, metteuse en scène et créatrice

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Clowns,  saltimbanques, jongleurs… dompteurs d’autrefois, mais aussi de magnifiques costumes, objets, accessoires, toiles peintes, affiches, photos  et roulottes d’habitation. Une exposition à la recherche des circassiens et de leurs spectacles disparus. Nous avons connue Macha Makeïeff, autrice, metteuse en scène, réalisatrice et artiste, peu après 78 quand elle fonda avec Jérôme Deschamps, la compagnie Makeïeff et Deschamps et créa Les Précipitations, puis en 81 : En avant et dix ans après, le célèbre Lapin chasseur au Théâtre National de Chaillot. Elle a fait personnellement visiter aux critiques cette exposition qui a pour thème, le monde fabuleux du cirque où chacun a des souvenirs. Pour nous, cela a été à huit ans, dans un pauvre petit chapiteau à Houilles (Yvelines) avec quelques chevaux et surtout une merveilleuse boule à facettes qui nous avait fait tous rêver, gamins de la proche école communale.  Ici, c’est une vaste et riche exposition avec œuvres et objets appartenant au MUCEM ou à d’autres grands musées (Orsay, Clermont-Ferrand)  ou prêtés par des collectionneurs.

 

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Evocation des Ballets russes,  sculptures dont une Acrobate de Niki de Saint-Phalle mais sans grand intérêt),  des tableaux  de Georges Rouault, Fernand Léger, Marc Chagall… Et surtout Les Saltimbanques (ou L’Enfant blessé), une grande huile sur toile de 224 × 184 cms (1874) de Gustave Doré : de pauvres saltimbanques avec leur enfant mortellement blessé lors d’un numéro de funambule..  Et de Lucien Simon, une belle toile: Bigoudènes devant les tréteaux (1935-1940)Exposition Piste ! Clowns, pitres et saltimbanques dans actualites Et surtout une magnifique collection de costumes, instruments, objets … Comme ces vingt-quatre somptueux manteaux à paillettes de clowns sur des mannequins. Et juste à côté, une magnifique collection tout à fait émouvante de leurs chaussures démesurées -comme celles de Littel Tich- que des circassiens ont offert au docteur Alain Frère. Il a prêté au Mucem quelque cent soixante-dix œuvres de sa prestigieuse collection…

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Et les superbes photos en noir et blanc d’un cirque implanté à Marseille jusque dans les années cinquante. Ou celles en noir et blanc de François Tuffierd Albert et François Fratellini dans leur loge ( 1943). Ou encore  cette merveilleuse image de la trapéziste Pinito del Oro au Madison Square Garden (1954).Il y a aussi l’âne et le tigre-depuis naturalisés-qui jouèrent dans Au hasard Balthazar, un film de Robert Bresson avec, à côté, un extrait où on voit ces animaux se regarder comme des humains,  les yeux dans les yeux.


Modestes mais tout aussi émouvants, sont aussi exposés de véritables instruments de travail comme un sifflet et un tabouret de clown, des trapèzes aux cordes usées, d’anciennes malles à costumes. Et une vraie petite roulotte achetée par Macha Makeïeff.
La République n’a jamais été tendre avec les saltimbanques! Pour preuve  l’affiche (fin  XIX ème siècle) d’un arrêté préfectoral très menaçant envers les saltimbanques qui devaient respecter lieux où se produire et horaires différents l’été et l’hiver. Jules Cordière, ex-élève de Normale Sup qui avait créé en 75 avec Ratapuce-Le Palais des Merveilles, une petite compagnie de rue très souvent verbalisée, avec amende à la clé. Alors qu’il était seulement en équilibre sur une corde molle attachée entre deux arbres du boulevard Saint-Germain à Paris…(Ratapuce, alias Carolyn Simmonds,  fonda ensuite Le Rire Médecin). Plus-que-passé? Passé antérieur? Non, juste après 68, sous le règne du sinistre Raymond Marcellin, alors ministre de l’Intérieur, partisan de l’ordre musclé et devenu célèbre pour avoir fait installer des micros au Le Canard enchaîné!

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Ici, tout sonne juste dans ce parcours. Vincent Giovannoni, le conservateur responsable du pôle Arts du spectacle du Mucem répond avec précision à toutes nos questions et Macha Makeïeff qui, on le voit facilement, a travaillé avec passion et exigence depuis deux ans, explique pourquoi elle a imaginé une sorte de spectacle de théâtre. Sous les belles lumières de Jean Bellorini et les sons de Sébastien Trouvé.  Une sorte de voyage exceptionnel dans les souvenirs et ce qui fait tout le plaisir de  voir toutes ces œuvres, soit issues de grands musées soit-et souvent plus émouvantes- prêtées par des collectionneurs comme Macha Makeïeff ou le docteur Alain Frère…
« J’ai fui, dit-elle avec raison, la simple juxtaposition d’objets pour une zone qui tient du théâtre (comment faire autrement !), du spectacle forain, de ses attractions éphémères. C’est une fois que la fête est passée. M’obsède jusqu’à l’effroi : où vont les spectacles disparus, dans quels limbes ? Mon parti-pris assez maniaque est de ne pas tout montrer, ne pas expliciter le paysage pour laisser opérer la fiction. Avec comme règle du jeu, une géométrie de couleurs et des traces fantomatiques. Les images muettes du cinéma comme art forain. Je mise sur l’intelligence sensible du public, du regardeur, son plaisir à être désorienté dans ces espaces. (…) Une fois le spectacle fini, défait, nous attrape cette forme d’exil, de perdition, corps et bien. Quelle dérive, une fois le plateau vide, une fois que la danseuse de corde a quitté le fil, que le dernier music-hall a fermé, que le clown fait son sac? Quel est ce vertige qui nous prend et ce vide de l’âme, quand la scène, la piste, la loge sont désertées ? Cet après qui me hante, je veux le raconter. Pour qu’il me quitte. Les Choses et les Bêtes qui habiteront l’exposition savent le déclassement, le destin de l’artiste, sa grâce et sa misère toutes liées. Les accessoires poussés dans la coulisse, l’attirail dans une caisse, remisés, éparpillés, hors jeu, ces sublimes objets misérables se prêtent à une autre célébration, après naufrage. »

© Agnès Varda

© Agnès Varda

Et il y a encore de magnifiques images (1952) sur le Cirque de Montreuil et, inédites, du Cirque chinois faites par Agnès Varda

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© François Tuefferd Pinto de Oro

(1928-2019) qui devint la photographe officielle du Théâtre National Populaire. Mais le cirque a été une source d’inspiration fréquente pour le cinéma. Ici, des extraits de films de Buster Keaton qui, on l’oublie souvent, a aussi présenté des numéros en 47 au Cirque Medrano, au Cirque Royal à Bruxelles, de Laurel et Hardy, de Jacques Tati, petit- cousin de Jérôme Deschamps mais aussi un extrait des Ailes du Désir de Wim Wenders quand Damiel découvre Marion, une jeune exilée (fascinante Solveig Dommartin, hélas, tôt disparue), devenue trapéziste dans un cirque.

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©x Farid Chopel

Mais on peut aussi voir Charlie Chaplin, les clowns de Federico Fellini, Toto au cirque de Pier Paolo Pasolini, et cet extrait du Septième sceau d’Ingmar Bergman où il joue aux échecs contre la mort, pour que les saltimbanques échappent à son regard… Macha Makeïeff ratisse large (après tout, pourquoi pas?) et a aussi exposé une grande et belle toile de son fils mais aussi des photos de Jérôme Deschamps et de Farid Chopel: un clin d’œil à ce merveilleux acteur burlesque, disparu en 2008 qui écrivait et jouait avec grand succès dans les années quatre-vingt, ses spectacles comme Chopelia, ou Les Aviateurs avec Ged Marlon. Aussi connu pour avoir joué dans les publicités de Perrier.


Vous avez encore un peu de temps mais surtout ne ratez pas cette formidable exposition. « Une expérience intérieure, dit aussi Macha Makeïeff que je veux partager. Il faut à tout ce chaos, une règle du jeu, un tempo, une géométrie des couleurs et une fantaisie insolente sans laquelle tout resterait inerte. » Pari gagné.  Encore une fois, ne ratez pas cette exposition, une de celles-et c’est rare-qu’on a envie très envie de revoir…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 12 mai, Mucem, Promenade Robert Laffont Marseille (II ème) .  T. : 04 84 35 13 13.

 
   
   

 


Archive de l'auteur

Corpos d’ Hubert Petit-Phar et Augusto Soledade par la compagnie de la Mangrove

Corpos d’Hubert Petit-Phar et Augusto Soledade par la compagnie de la Mangrove 

Tous les dix ans est organisé un grand raout officiel, diplomatique, donc aussi culturel entre les pays amis que sont la France et le Brésil. Dernière célébration en 2008-2009. Corpos (2024) réunit les Antilles françaises et le Nord-Est du Brésil. Ici, danseurs guadeloupéens et bahianais. Le nom de la compagnie rappelle celui : du Grupo Corpo, fondé en 75 par Paulo Pederneiras, à Belo Horizonte, État de Minas Gerais. Il unissait expression africaine et modern dance et découvert en France à la Biennale de la danse à Lyon en 94.
Dans sa présentation de Corpos au théâtre du Fil de l’eau,  le chorégraphe brésilien Augusto Soledade qui collabore depuis deux ans avec
le Français Hubert Petit-Phar, créateur avec Delphine Cammal, de La Mangrove que le mélange des genres chorégraphiques est à la base de cette pièce. Mais ici, pas de mélange des genres tout court : auteurs et interprètes sont tous des hommes. La pièce, dit Hubert Petit-Phar, « interroge le “masculin” noir pour libérer la créativité humaine ». L’homme et le corps sont donc ici à prendre au sens le plus large.  La question, pour ne pas dire le sujet des corps, vise à interroger  les différences, à révéler les «similitudes dans ce labyrinthe foisonnant de nos cultures ». Corpos veut être aussi « une réflexion commune sur la perception et la représentation du corps noir, confronté aux stigmates, aux préjugés et « aux clichés qui l’enferment .»

 

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La bande originale aide à séparer Corpos en deux parties distinctes. La première partie de la pièce, la plus longue, la plus lente, et la plus mesurée sur des thèmes musicaux électro-acoustiques d’Anthony Rouchier, use des vocabulaires modern jazz, néoclassique et contemporain. Les mouvements ralentis et gracieux de Sebastião Abreu, Alex Lago, Hiago Ruan et Mickaël Top pieds nus, en tenue casual ou pantalon en coton et marcel, sont agréables à voir. La deuxième partie, sur des musiques à danser traditionnelles, proches de la samba, libère les corps, y compris de leur carcan textile-le jupon se substituant au grimpant. Une rustine théâtrale relie ces actes : les danseurs, recyclés comédiens, parlent d’imagination et de « trouver/chercher un chemin» en réduisant l’homme qui marche ou danse, à l’index et au majeur avançant, à même le sol. Chacun pouvant ,en solo, se mettre en valeur d’une façon ou d’une autre.

Au travail à l’unisson, aux duos, portés, poses «B» façon Maurice Béjart et aux groupes sculpturaux, succèdent acrobaties, passes de hip-hop, grandes roues qu’enjolive le déploiement de jupes colorées. Un rasta rompt le quatrième mur, comme cela devient rituel et encourage les spectateurs du premier rang à caresser ses longues tresses. Sans aller jusqu’à parler de transe, ce final est brillant et, en tout cas, festif.

 Nicolas Villodre

 Spectacle vu au Théâtre du fil de l’eau, 20 rue Delizy  Pantin (Seine-Saint-Denis); T. : 01 49 15 70.
 

From England with love, chorégraphie, musique et costumes d’Hofesh Shechter

From England with love, chorégraphie, musique et costumes d’Hofesh Shechter

Le chorégraphe nous a habitué avec la jeune troupe de sa compagnie, à des images fortes. Nous nous souvenons encore avec émotion de SHOW vu dans ce même théâtre en 2018, (voir Le Théâtre du Blog). Ici nous assistons à un hommage paradoxal à sa terre d’accueil L’Angleterre, depuis plus de vingt ans. « De ce pays, je perçois les défauts et les défis, mais aussi comment on y travaille en permanence pour en venir à bout. Le pays m’a soutenu et m’a permis d’y trouver ma place. J’éprouve donc une énorme gratitude par rapport à cette ouverture d’esprit et j’y suis d’autant plus attaché que mes enfants sont nés à Londres et sont donc citoyens britanniques, dans un environnement cosmopolite”.

©T. Mac Donald

©T. Mac Donald

Hofesh Shechter s’appuie sur une meute d’interprètes gracieux. Comme souvent chez lui, leur jeunesse s’adapte parfaitement à son vocabulaire chorégraphique. Dès le premier et beau tableau d’une grande sérénité, la tradition est parasitée par la violence contemporaine Les huit artistes, en uniforme d’écolier modèle avec petit sac à dos, apparaissent sous un rayon de lumière, des ombres se dessinent et ils nous regardent.  Des mouvements lents et amples naissent sur Nimrod une musique d’Edward Elgar. Une image rassurante mais temporaire. Cette cérémonie d’un autre temps va être bouleversée par une bascule musicale, après le bruit d’une pluie battante qui réveille les corps à l’énergie enfouie mais communicative. La partition, très punk rock, d’Hofesh Schechter vient parasiter l’harmonie des mouvements.
Cette salve de violence animale est vite calmée par des extraits enregistrés de musiques des compositeurs anglais Henry Purcell et Thomas Tallis, interprétés par le Chœur du King’s College de Cambridge. Nous assistons avec jubilation à une sorte de soirée de Journées mondiales de la jeunesse… sous opiacés. Depuis quatorze ans, le Théâtre de la Ville accompagne ce chorégraphe iconoclaste pour le plus grand plaisir d’un public jeune, devenu de plus en plus fidèle. Comme dans le passé avec Pina Bausch, chaque pièce d’Hofesh Shechter affiche : complet, longtemps à l’avance.

Jean Couturier.

Le spectacle a été joué du 6 au 18 janvier au Théâtre des Abbesses, 31 rue des Abbesses, Paris (XVIII ème). T. : 01 42 74 22 77.

 

Conférence iranienne d’Ivan Viripaev, traduction d’Isabelle Konstantinidou, mise en scène de Christos Théodoridis

Conférence iranienne d’Ivan Viripaev, traduction d’Isabelle Konstantinidou, mise en scène de Christos Théodoridis
Une conférence de haute conception théâtrale vient détruire toutes les idées reçues sur un événement similaire. Conférence, un mot qui  sonne souvent comme un ensemble de discours académiques interminables, obscurs et ennuyeux, uniquement compréhensibles par les experts qui y participent. Conférence Iranienne (2018) une pièce mise en scène de façon une  exceptionnelle par Christos Theodoridis, ressemble  à un symposium scientifique aux implications et au point culminant, imprévisibles.

©Mike Rafail

©Mike Rafail

Le lecteur ou spectateur, constamment vigilant, identifie, approuve ou désapprouve, s’indigne et cherche anxieusement des réponses. Le titre de l’œuvre fait penser à celui d’une analyse politiques-clés sur la  difficile question de l’Iran et  sur la guerre géopolitique sévissant au Moyen-Orient.
L’action se déroule à Copenhague (Danemark) un pays «insouciant», dans l’amphithéâtre d’une université; quelques éminents orateurs développent leur point de vue avec ferveur, passion… et en toute sécurité, sur les suites désastreuses des guerres mondialisées. Ils n’ont jamais vécues personnellement ces situations mai ss’appuient sur plusieurs sources d’information, en fonction de leur idéologie…

Contributions-monologues et dialogues parfois conflictuels mais toujours aux limites de la décence… propre à une institution universitaire. Les personnages sont ramenés à des corpus d’idées et représentent des positions socio-politiques et religieuses opposées .Une arène d’idéologies et visions du monde pour ceux qui arbitrent le destin des nations.
Les délégués aborderont ici des thèmes touchant plus largement à l’existence humaine, comme le rôle et la signification de la religion: Dieu existe-t-il et, si oui, fixe-t-il notre destin? Pourquoi permet-il qu’il y ait des injusticeset inégalités sociales, et ses guerres où des gens sont tués ? Pourquoi les Droits de l’homme sont-ils violés? Pourquoi les femmes sont-elles encore vues comme inférieures aux hommes? Quelles sont les limites de la liberté de chacun? Quel rôle joue la chance dans la construction du bonheur? Quel est le secret de la réussite? Pourquoi l’amour n’existe pas ? Pourquoi la communication est-elle perdue et, en définitive, quel est le sens de la vie d’une femme ou d’un homme ?
Les neuf délégués, assis face public, prennent la parole devant les micros. Côté jardin, à un petit bureau, une secrétaire silencieuse (Xenia Themeli). Et côté cour, le dynamique Philip Rasmussen, professeur de relations internationales, chargé de présider les interventions et modérer les débats… Georges Kissandrakis joue ce personnage avec agilité et les spectateurs peuvent intervenir et poser des questions (certaines…préparées) et cette interactiai est intéressant.
Les travaux s’ouvrent sur la position froidement rationnelle de Daniel Christensen, enseignant de lettres classiques et activiste du mouvement international European Islam (Marios Manthou). Oliver Larsen, eneignant de théologie (excellent Michel Pitidis) va provoquer la première explosion. Mais avec un discours argumenté et un dynamisme qui étonne son interlocuteur, Astrid Petersen  journaliste militante des Droits de l’Homme (Eleftheria Angelitsa) prône la devise: « Vivre, apprendre le monde, penser librement et aimer ».
Emma Schmidt-Pulsen, épouse du Premier ministre danois, figure connue de la télévision et présidente de l’organisation caritative mondiale Inter Action  (Chryssi Bachtsevani) décrit avec éloquence et sensibilité, le bonheur qui se lit sur le visage des pauvres habitants d’un hameau péruvien, en contraste avec l’anxiété et la vacuité de l’existence de riches Occidentaux.
L’analyste politique Magnus Thomsen (incarné avec une riche expressivité par Paris Alexandropoulos) a des idées racistes d’extrême droite. L’acteur révèle avec franchise le traumatisme psychique de son personnage  qui, enfant, a subi les attouchements d’un prêtre son enfance.
 Gustav Jensen, philosophe et écrivain danois est remarquablement joué par Dimitris Mandrinos et le Père Augustin de l’Église évangélique luthérienne danoise se lance dans une allocution extravagante (Aris Laskos). Mais l‘aspect de la conférence change quand arrive Pasqual Andersen, chef de l’Orchestre national (Vassilis Triffoultsanis). Il a une présence subversive et des gestes significatifs)
Le discours final est prononcé par la poétesse iranienne Shirin Shirazi. Lauréate du Nobel, libérée après vingt ans d’assignation à résidence, elle a vécu sous le régime autoritaire du pays, le thème de cette  conférence. Niki Chryssofakin, captivante, l’interprète avec simplicité.
Difficile de retranscrire les émotions intenses ressenties quand le chef d’orchestre donne le signal: l’un après l’autre,  les délégués se lèvent et tous se lancent dans une bacchanale, apogée d’un tourbillon scénique. Sur une chorégraphie de Xenia Themeli, les acteurs  mettent les sens en émoi, sans aucune exagération.  Et tout le public a alors  envie de se lever et danser ! Nous attendons avec impatience que soit publiée la traduction d’Isabelle Konstantinidou. Une expérience théâtrale cathartique à ne pas rater !
 
Nektarios-Georgios Konstantinidis
 
ΠΛΥΦΑ, Bâtiment 7 A, 39 rue Korytsas, Votanique, Athènes. T. : 0030 2103473642.
 

Le théâtre sauve-t-il des vies ?

Le théâtre sauve-t-il des vies ?

A l’heure où sans vergogne, des politiciens comme ceux de la Région Centre-Val-de-Loire ont taillé dans les moyens alloués à la Culture (voir Le Théâtre du Blog), il est bon de leur jeter à la face quelques vérités stridentes. Evidemment,  ils peuvent assommer ces artistes anonymes: le peuple ne descendra pas dans la rue pour réclamer plus de Culture. Or, aucune évaluation sérieuse n’a jamais été faite sur le rôle qu’elle joue. Mais il n’est pas de semaine sans que nous recevions des témoignages, du style : merci vous m’avez sauvé. Combien coûte une vie humaine ?
Je me souviens de l’intervention de Saint-Jalmes, capitaine des pompiers à Saint-Quentin-en-Yvelines dans les années quatre-vingt, disant à la tribune. « Nous avons demandé un poste supplémentaire mais le théâtre de l’Unité  a besoin d’un assistant, eh! bien, donnez-le lui. Nous pompiers, nous ramassons dans les halls d’immeuble les corps des jeunes qui se sont suicidé, eux , ils les en empêchent. »

© Karim Guetta Trente mères de famille jouent Aristophane au théâtre antique de Mandeure, mise en scène d'Hervée de Lafond

© Karim Guetta
Trente mères de famille jouent Aristophane au théâtre antique de Mandeure, mise en scène d’Hervée de Lafond (2024) voir Le Théâtre du Blog

Dans toute la France, le mouvement est toujours le même: on refuse les projets culturels des « quartiers, » on enlève des sous aux centres sociaux, aux M.J.C., aux fêtes de quartier et à toutes celles et ceux qui savent le rôle bénéfique que peut jouer la Culture dans les zones sensibles. Youssri et Hélène, au pays de Montbéliard, peuvent se souvenir à quel point, on a toujours retoqué leurs projets. Maintenant, les « quartiers » sont souvent devenus une jungle tenue par les trafiquants de drogue. Comme on leur a tout refusé, ils se débrouillent autrement…

A Montbéliard, nous avions développé avec Claude Acquart, la compagnie des Bains douches, un lieu d’utopie où tous les « dézonés » ou autres marginalisés venaient apprendre le métier de constructeur dans le théâtre, une expérience d’insertion extraordinaire. Des dizaines de jeunes échappaient ainsi au trafic et devenaient artistes-constructeurs dans le cinéma, ou ailleurs. En 95, Jacques Chirac, alors président de la République était même venu saluer cette initiative exemplaire.
Bien entendu, la ville de Montbéliard avait trouvé qu’il serait plus utile à la place, de monter un restaurant  de luxe qui a même eu le toupet de lui voler son nom. Les millions que l’on met maintenant pour batailler contre les narco-trafiquants, il fallait les mettre sur la Culture, arme de construction massive. Mais il n’est jamais trop tard….
Jacques Livchine, codirecteur, avec Hervée de Lafond, du Théâtre de l’Unité à Audincourt ( Doubs).
 
 

Biennale internationale des arts du cirque à Marseille et en région Sud

Biennale internationale des arts du cirque à Marseille et en région Sud

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©x A La Belle de mai

Sixième édition de ce festival  hivernal  Archaos, Pôle National Cirque, implanté à Marseille depuis 2001, accompagne la création, la diffusion et la pratique des arts du cirque contemporain. Dirigé par Raquel Rache de Andrade, Guy et Simon Carrara, le Pôle national cirque Archaos a créé  il y a dix ans cette Biennale qui a lieu les années impaires en janvier et février, avec un programme réparti sur cinquante structures culturelles de la région Sud, Côte d’Azur et à Marseille.
Une belle initiative, avec une mutualisation des ressources pour mettre en lumière la création circassienne aux différentes expressions.  Cette année Archaos a  voulu privilégier les artistes femmes, connues ou moins connues. Le tout sous la houlette des élus, entre autres, Benoît Payan, maire de Marseille.

Un ensemble de spectacles  à l’organisation impressionnante mais aussi des Rencontres professionnelles réunissant des centaines d’artistes internationaux. Les chapiteaux abritent des spectacles, à la fois exigeants et populaires, notamment sur la grande plage du Prado à Marseille. Pour maintenir le lien avec le public et assurer une présence continue du cirque tout au long de l’année, le Pôle national Cirque Archaos a lancé en 2016 l’Entre 2 BIAC sur un mois entre janvier et février, les années paires, avec une version ciblée sur le seul territoire de Marseille-Métropole. Devenus événements essentiels, la BIAC et l’Entre 2 BIAC contribuent au rayonnement culturel de cette immense ville mais aussi de cette région très peuplée.

Présentation du riche programme  de la BIAC par la directrice Rachel Rache de Andrade dans le beau petit chapiteau  du Magic Miror,  en toile rouge et aux colonnes plaquées de longs miroirs. Sur le parquet, une colonne carrée en verre synthétique d’environ quatre mètres de hauteur et ouverte au sommet.

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Alice Rende,  une jeune acrobate brésilienne, va y entrer par une trappe en bas. Pendant les vingt minutes de Passages, nous allons la voir de près confinée dans cet espace étroit. Elle va réaliser ascension et descente des parois en se contorsionnant mains et pieds nus, sans aucun accessoire.
Montant jusqu’à une barre en haut puis se laissant couler jusqu’en bas, elle réalise  aussi des figures acrobatiques en pliant et dépliant son corps, comme le ferait un pantin. manipulé. Alice Rende arrive même à se maintenir à mi-hauteur, comme suspendue.  Puis elle chute, se rétablit gracieusement et rechute… Cet exploit physique étant bien entendu préparé avec le plus grand soin. Et cette-apparente-imperturbabilité a des  côtés philosophiques. « La suspension, écrivait Sextus  Empiricus ( II ème siècle après J.C.) est l’état de la pensée où nous ne nions ni n’affirmons rien. Quiétude, c’est la tranquillité et la sérénité de l’âme. »
Ici, aucun art de l’illusion: la performance d’Alice Rende, bien réelle, est à la fois physique mais aussi sonore: on entend, bien sûr amplifiées, le bruit des mains et de pieds contre le plexiglas. Les risques pris sont limités mais cette exercice anti-gravité et d’une rare beauté, a quelque chose de merveilleusement fascinant

Biennale internationale des arts du cirque à Marseille et en région Sud dans actualites
Yongoyély, création collective du Baobab Circus, direction artistique de Kerfalla Camara, mise en cirque et scénographie de Yann Ecauvre

Ce spectacle  a été coproduit par le Centre culturel franco-guinéen, avec le soutien du Fond de développement des arts et de la Culture en Guinée. Avec Kadiatou Camara, Mamadama Camara, Yarie Camara, Sira Conde, Mariama Ciré Soumah, M’Mah Soumah, Djibril Coumbassa, Amara Tambassa, Mohamed Touré. Soit six acrobates-danseuses et chanteuses, deux porteurs et un voltigeur, tous remarquables…

 

© Thomas O'Brien

© Thomas O’Brien

Après  Yé !  qui avait connu un triomphe exceptionnel à la Scala à Paris et en Europe, ce cirque revient avec ce nouveau spectacle où la virtuosité acrobatique est mise au service d’une œuvre qui se veut féministe. Yongoyély a pour thème l’indépendance de toutes les Africaines. 
Jean-Marc Coppola, adjoint à la Culture de Marseille, dit quelques mots de bienvenue. En même temps, on entend déjà les bruits incessants d’une ville africaine: motos, camions, voitures, mêlés à des brouhahas de conversations. Sans doute ceux de Conakry, la capitale. Et par moments, un texte en voix off qu’on entend mal, dit  tout  l’espoir d’une vie meilleure pour ces femmes courageuses et parfois encore soumises à l’excision dans ce pays de quelque treize millions d’habitants en pleine mutation.
Colonisé par la France depuis 1883, il fut un des premiers, grâce à Sékou Touré  à acquérir son indépendance  en 58 ! Alors nouveau Président de la République, De Gaulle, exaspéré, n’avait pas été spécialement élégant! «Mais laissez-le donc, bouffer ses bananes et ses cacahuètes. »  Sékou Touré, devenu président, échappera à plusieurs attentats destinés à le remplacer par un autre… choisi, lui, par De Gaulle! Sans doute fomentés par des barbouzes français sous la houlette du sinistre Jacques Foccart, secrétaire général de l’Élysée aux affaires africaines et malgaches, de soixante à soixante-quatorze. Cet ancien résistant dévoué à De Gaulle utilisait sans aucun scrupule toutes les méthodes criminelles pour étouffer les oppositions. Le camerounais Félix-Roland Moumié avait été assassiné et les commandos de Foccart entraînèrent des opposants guinéens à développer un climat d’insécurité pour renverser Sékou Touré. Ils introduisirent aussi de gros paquets de faux billets pour déséquilibrer l’économie. Vive la France!

 

Mais Yongoyély n’a pas la puissance de de Baobab Circus. Cette bande de circassiens- femmes et  hommes-sont virtuoses: acrobatie, tours humaines, voltige, sauts périlleux au sol, ou absolument stupéfiants sur une longue perche tenue par deux hommes. Dans un sorte de chorégraphie, sont ici repris des numéros de barre russe, de chambrière (long fouet qui claque  utilisé par les dresseurs de chevaux non montés), mât chinois, portés acrobatiques, main à main, voltige, saut périlleux au-dessus de parpaings ou sur des perches. Brillantissime…Mais aussi des  chants a cappella par les six femmes et danses traditionnelles. Tous ces numéros d’une rare qualité enthousiasment le public qui les a chaleureusement applaudis.
La mise en scène signée Yann Ecauvre, bien conventionnelle, n’est pas du bois dont on fait les perches ni les flûtes: jets de fumigène sans raison comme souvent dans le théâtre actuel, nombreuses répétitions de numéros, chants souvent criés, murs de parpaings dangereux, manque de rythme, scène vide par moments, mélange texte/cirque mal assumé: cela fait quand même beaucoup d’erreurs… qui pourraient être corrigées. Restent ces magnifiques interprètes…


© Pierre Gondard

© Pierre Gondard

Soleil et mistral samedi après-midi à la Friche de la Belle de mai, ancienne manufacture de tabac, accueillaient gratuitement-ceci explique aussi cela-une foule de spectateurs dont de nombreuses familles avec enfants. A l’extérieur, on retrouve Chloé Moglia  qu’on a pu voir à Dijon (voir Le Théâtre du Blog) et entre autres, au festival Paris Quartier d’été. Cette danseuse, chorégraphe et acrobate dirige la compagnie Rhizome et a développé la suspension, un art, disons, d’acrobatie poétique, voire philosophique: elle évolue lentement pour évoquer la «conscience d’être mortel, mais la saveur d’être en vie aussi. »
« Ma pratique, dit-elle, plutôt que se fonder sur des figures spectaculaires dont je me cogne au demeurant, malgré un rapport indéniable au risque et au danger, englobe la pensée et la rêverie en portant une attention amoureuse au monde qui élève l’acuité. »

Féministe convaincue, elle n’apprend son art qu’à des femmes. Dans Rouge merveille qu’elle a créé cette année, Mélusine Lavinet-Drouet dans cette discipline circassienne maintenant reconnue. Cette artiste installe la structure mais fait semblant d’avoir du mal avec le mode d’emploi et  prie une spectatrice de l’aider…
Elle a juste un sac qu’elle accroche puis se suspendra aux branches d’une sorte d’arbre. Et elle se met ensuite des ailes d’ange en métal. De belles images même s’il est parfois difficile de tout voir de cette performance à cause d’un très nombreux public. La rançon du théâtre de rue…

© Pierre Gondard

© Pierre Gondard

Il y avait aussi Soka Tira Osoa, un court mais beau  spectacle avec une funambule sur une musique rock-jazz  dans une scénographie bi-frontale. « Si tout part du sol, pourquoi ne pas imaginer une traversée qui partirait d’ici avec vous ? Et si nous tirions ensemble cette corde pour voir jusqu’où cela nous mène ?  Soka Tira Osoa est un espace propice à la rencontre et à l’entraide. » Les artistes de la compagnie Basinga mettent tous les corps de métiers à cette même place d’artiste et cet exercice de  funambule est aussi fondé sur notre fragilité et sur notre possibilité à les surmonter. » La funambule tombera mais remonte sur le fil avec un autre balancier…
Dans un espace à l’intérieur, trois acrobates espagnols -deux femmes et un homme-jouaient avec et sur des chaises. Mais vu l’affluence de plusieurs centaines de spectateurs, on ne réussissait qu’à les apercevoir,  donc impossible de rien vous en dire…

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Et il y a eu aussi au Mucem, la présentation d’une formidable exposition sur le cirque En piste ! Clowns, pitres et saltimbanques par Macha Makeieff et Vincent Giovannoni, conservateur en chef, responsable du pôle Arts du spectacle, commissaires  dont nous vous reparlerons.

Philippe du Vignal

 

Jusqu’au 9 février à Marseille et dans toute la Région Sud. T. : 04 91 55 61 64.


La Scala, Paris (X ème) du 12 février au 2 mars. Scène de Bayssan, Béziers, ( Hérault), le 8 mars. Dieppe Scène nationale (Seine-Maritime) ,le 22 mars. Centre Culturel Jacques Prévert, Villeparisis (Seine-et-Marne), le 25 mars. Théâtre Le Reflet, Vevey (Suisse),  le 30 mars.

Théâtre du Passage, Neuchâtel (Suisse) les 2 et 3 avril. Points Communs-Scène nationale de Cergy-Pontoise (Val-d’Oise), les 5 et 6 avril. L’Avant-Seine, Théâtre de Colombes ( Hauts-de Seine) le 8 avril. Théâtre de Rungis (Val-de-Marne) le 10 avril.

Festival des sept Collines, Saint-Étienne (Loire) le 28 juin.

 

 

 

Grand-peur et misère du Troisième Reich de Bertolt Brecht, mise en scène de Julie Duclos

Grand-peur et misère du III ème Reich de Bertolt Brecht, traduction de Pierre Vesperini, mise en scène de Julie Duclos

Adolf Hitler prit le pouvoir en 33: avec 43,94 % des suffrages, il remporte les élections et devient chancelier. Le grand dramaturge (1898-1956) avec sa femme l’actrice Helene Weigel est très mal vu  et préfère  s’exiler en Finlande, au Danemark, en Suisse puis aux Etats-Unis… Mais entre 35 et 38, il  écrit en collaboration avec  Margarete Steffin, actrice,  écrivaine mais aussi maîtresse de Brecht qui suivit le couple en exil, une chronique de la vie quotidienne dans son pays jusqu’à l’Anschluss qui précède la guerre de quarante. Lieu et date de chaque scène sont précisément indiqués: Berlin, 1933, Augsbourg, 1934, Berlin 1934, Göttingen 1935, Francfort 1935, Essen 1934…

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A partir de témoignages et coupures de journaux, Bertolt Brecht, lucide sur les événements, montre que ses concitoyens, quelle que soit leur classe sociale, vont être emportés par le Troisième Reich dans cette folie qui appartient désormais à l’Histoire mondiale. Nous nous souvenons de la passion pour ce texte qu’avait un de ses  premiers traducteurs, le Suisse André Steiger  qui nous en parlait quand il avait créé en France La bonne Ame de Se-Tchouan au T.N.P. alors encore à Paris.
Grand-peur et misère du III ème Reich est une suite de courtes ou longues scènes connue depuis longtemps en France mais peu montée. Helene Weigel en joua neuf à Paris (1938). L’année suivante, Pierre Abraham qui fut ensuite directeur de Chaillot, avant d’être viré par les Allemands, traduit et mit en scène quelques-unes avec les Comédiens d’Anjou. Puis la pièce fut aussi créée à New York en 41 en allemand et en 45 en anglais. Il faudra attendre 56 pour que Roger Planchon la mit en scène à la Comédie de Lyon. Mais si Mère Courage et ses enfants  a souvent été jouée,  Grand’Peur et misère du III ème Reich semble faire peur aux metteurs en scène et la pièce n’a jamais été créée à la Comédie-Francaise, ni à l’Odéon.  Ici, des vingt-cinq scènes de Grand peur et misère du Troisième Reich, Julie Duclos a gardé la moitié.

Dans un espace vide fermé côté jardin par une grande verrière assez sale d’usine, une grande table nappée de blanc où il y a encore des verres à pied, deux chandeliers,  assiettes et couverts  sales. Deux jeunes filles vont les enlever. Un soldat en uniforme beige, croix gammée rouge vif sur un brassard entre et mange des spaghettis, tout en leur parlant. La tension est visible dans cette scène qui ouvre le spectacle, comme la peur qui s’abat en permanence sur la vie des Allemands, toute classes sociales confondues: juges, bourgeoisie,  médecins, ouvriers… Aux questions des jeunes filles, le soldat, fier d’appartenir à l’armée d’Hitler et de ses belles bottes, répond sèchement:  » Personne ne saura rien de moi. «  
Et il y a aussi une belle séquence dans le bureau d’un Juge (remarquable Philippe Duclos, père de la metteuse  en scène), peu à l’aise quand il s’agit de prendre une décision. Bref, la peur a envahi toute la société: des domestiques, aux hauts fonctionnaires et le plus proche voisin est loin d’être fiable…
Personne n’est épargné et la méfiance envahit même les familles. Un couple croit que leur petit garçon est allé à dénoncer à la Gestapo son père qui a osé critiquer le nouveau régime… Des éleveurs de porc demandent à leurs enfants de faire le guet:  les nazis  pourraient les voir en train de nourrir leur bétail… Et à la fin du spectacle, un  boucher désobéissant qui avait refusé de présenter, faute de vraie  viande, de la fausse pour faire croire  qu’il n’y avait aucune pénurie, sera  retrouvé pendu devant sa boutique  avec, écrit sur son tablier: « J’ai voté Hitler. » Et une jeune femme juive (excellente Rosa-Victoire Boutterin) va faire ses valises et s’en ira à Amsterdam pour que son mari médecin puisse continuer à exercer.

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L’Histoire bégaie quelquefois et surtout, en ce moment, cette piqûre de rappel  n’est pas un luxe et le public y a été sensible. Et-on l’oublie souvent- Bertolt Brecht a passé en exil le quart de sa vie! Ici il a touché juste: quand la machine à  fasciser commence à fonctionner, rien ne semble  l’arrêter: peur de l’autre, intolérance, suspicion et chantage dans les familles et les entreprises, délation après quelques mots ambigus ou un doute personnel sur un aspect du régime en place, décrets en rafale réduisant les libertés, puis mise en place de camps pour museler les opposants, le tout sur fond de mauvaise nourriture, voire de disette.
Cela dit, la mise en scène, manque de véritable fil rouge, la distribution est trop inégale, et Julie Duclos aurait pu nous épargner les nombreux déménagements de meubles pour des scènes trop courtes et ces déplacements du décor qui ne font pas sens, comme ces vidéos stéréotypées de personnages filmés de dos, sortant  dans un couloir…  Tout ici est bien propre et le public est content…
Mais plus grave: rares sont les moments où on sent le climat de violence qui est permanent dans le text Bertolt Brecht.  Ce spectacle, un peu esthétisant avec de belles  images est trop long et malgré quelques scènes intéressantes, finalement décevant. Peut-il progresser?

Philippe du Vignal

Jusqu’au 7 févier, Odéon-Théâtre de l’Europe, Place de l’Odéon, Paris ( VI ème). T. : 01 44 85 40 40.

 

Impossible sur scène, écriture et mise en scène de Luis de Matos

Impossible sur scène, écriture et mise en scène de Luis de Matos

© Ana Dias, Jorge Lopes Luis de Matos producoes

© Ana Dias, Jorge Lopes Luis de Matos producoes

Cela se passe aux mythiques Folies-Bergère pour un mois, avec des artistes «de luxe » la plupart primés à la F.I.S.M. En une heure et en solo avec deux à trois numéros. Luis de Matos jouant ici le grand ordonnateur et présentateur. Le rideau est déjà ouvert et on peut voir une grande enseigne lumineuse avec inscrit: Luis de Matos-Impossible sur scène, six écrans LED verticaux, des projecteurs amovibles, des extincteurs et une grand praticable sur roulettes avec un tabouret haut et une chaise. Un leitmotiv marque le début et la fin de chaque partie et cinq danseurs effectuent des figures de breakdance. Ils actionnent les extincteurs vers le praticable et les cinq magiciens apparaissent instantanément!

Le présentateur montre un grand aquarium plein d’eau et produit un poisson rouge à partir d’une carte à jouer enroulée qu’il place dans un verre à pied. Il saisit ensuite un foulard de la couleur du poisson qu’il va lentement faire disparaitre dans l’aquarium ; les mouvements ondulants du tissu rappelant subtilement la queue du poisson. Après s’être essuyé à une serviette noire, il la met autour des trois parois vitrées de l’aquarium, y jette le poisson du verre et fait mine d’en attraper d’autres en l’air. La serviette est alors retirée et une centaine de poissons rouges apparaissent !

Le Sud-coréen Yu Hojin présente, en queue-de-pie noir, son numéro de manipulation primé à la FISM 2012 de Blackpool. On y retrouve, accompagnés d’une musique classique au piano, de remarquables effets : comme le foulard blanc se transformant en carte à jouer, ou une carte déchirée qui se reconstitue à vue, une incroyable série de cinq productions d’éventails de cartes colorés… On a souvent loué l’école sud-coréenne pour son esthétisme et sa technique irréprochables mais devenue souvent stéréotypée. Mais Yu Hojin, un de ses plus grands représentants, a, lui, une grâce et une technique exceptionnelles. Luis de Matos tient un cube (qui lui servira pour sa prochaine illusion) et présente l’américain Dan Sperry, avec un classique d’apparitions de colombes façon gothique-métalleux, sur une musique d’enfer avec éclairs tonitruants. Il va produire de nombreuses colombes : technique connue mais présentation originale et choix judicieux comme cette incroyable transformation d’un masque d’oiseau, en colombe. Transformations et apparitions s’enchaîneront dans une séquence impressionnante : plume qui devient foulard, production d’un éventail, d’un couteau, puis d’une colombe. Filet de sang sur le bras se transformant en foulard rouge et production d’une colombe. Le foulard roulé en boule se transforme alors en balle de la même couleur, puis en ballon d’où arrive une colombe qui instantanément devient rouge!Elle disparaît ensuite dans le foulard taché de sang et lancé en l’air. Un autre foulard est transformé en baguette d’où surgit une colomb, qui est ensuite dédoublée. Une fois toutes les colombes mises dans la cage, celle-ci est couverte d’un tissu et disparait dans les airs… Apparaît alors un grand perroquet blanc. Dan Sperrycampe un personnage marginal et introverti ( gestuelle savamment travaillée) avec effets grand-guignolesques macabres et humour sombre.

Suit l’illusion Origami de Jim Steinmeyer avec sa partenaire Joana Almeida.Il placeun cube (celui du tableau précédent) sur une plateforme à roulettes, muni d’un grand miroir. Le cube s’ouvre comme un papier déplié etJoana Almeida entre dans ce cube qui est reconstitué et où trois sabres vont pénétrer de chaque côté. Des conditions impossibles… mais elle ressort indemne… en ayant aussi changé de costume.Luis de Matos a l’art d’interpréter un classique de la grande illusion, pour en faire un moment de grande poésie. Effets lumineux et projections vidéo magnifient ce numéro avec un jeu graphique et optique en noir et blanc.

 Puis entrée cocasse du Français Norbert Ferré avec une boîte-surprise en forme de prédiction. Démarche de cowboy et nouvelles chaussures pour un numéro de claquettes déroutant. Court mais professionnel, comme il dit. Il présente ensuite son double : un manipulateur, pour une routine de balles durant laquelle il va laisser échapper «accidentellement » une balle-en fait un geste délibéré révélé par la prédiction au début. Son double comique revient avec un chant espagnol. La surprise se dédouble et on retrouve dans la boîte, la paire de chaussures que le magicien, maintenant en chaussettes, portait à son entrée. Peaufinés depuis au moins vingt ans, les personnages de Norbert Ferré sont irrésistibles, et savoureux et hauts en couleur dans leur clownerie, et gracieux dans leur classicisme. Et nous avons toujours le même plaisir à assister à ses performances, même si on les connait par cœur. Il fait partie des rares illusionnistes à présenter le même numéro sur quelques décennies sans jamais lasser… comme le grand Voronin.

 Le Belge Aaron Crowest un personnage à la fois charismatique et énigmatique-aspect mystique, mutisme et regard bleu acier pénétrant- avec des expériences dangereuses pour les spectateurs qu’il fait monter sur scène. Comme La Bougie, un effet de mentalisme, les yeux bandés de cire ou bandelettes, scotch…. Trois personnes désignées tiennent chacune un sac plein de sable, ou une planche, ou encore un ananas sur la tête. Placés à des endroits stratégiques, le mentaliste visualise l’espace et les yeux bandés, va se déplacer tel un ninja, et percera le sac de sable avec un couteau, cassera la planche avec un nunchaku et coupera l’ananas avec un sabre, sans que personne ne soit blessé. Suspense et frissons garantis ! Le maître de cérémonie  présente la superbe illusion Eclipse de Mark Kalin et William Kennedy, avec Joana Almeida, tout habillée en blanc, sur une belle musique et dans une superbe scénographie, entre ombres et faisceaux lumineux tombant des cintres. Elle entre dans la moitié d’une grande structure circulaire séparée en son milieu par une plaque de métal. Des assistants placent un voile opaque devant une des moitiés et l’on voit Joana Almeida en ombre chinoise. Cette moitié pivote de l’autre coté et la partenaire disparait de la première moitié et réapparait dans la seconde en ombre chinoise puis en vrai.

Dan Sperry revient avec Lifesaver (Saw de Sean Fields), assis en bord de scène. Il mâche puis avale un bonbon rond de type polo avec trou au milieu, puis place un fil dentaire au niveau de sa gorge. On le voit clairement pénétrer dans la chair et d’un coup sec, après des va-et-vient, le bonbon ressort intact sur le fil. Un effet gore mais joyeusement décalé, grâce aux facéties et mimiques de cet artiste. Yu Hojin présente un deuxième numéro Coins of time, un close-up sur table retransmis sur un des écrans verticaux. Des routines classiques de pièces s’enchaînent sur le thème du temps qui passe. D’abord avec l’apparition d’une pièce et la transformation d’une montre à gousset… en pièce. Deux autres apparaissent et placées sous quatre cartes, voyagent une à une sous la même, puis reviennent à leur position initiale. Les quatre se multiplient alors sur la table : vingt au total. Quelques-unes sont alors transformées en cartes, puis la montre-gousset réapparait… pour clore le numéro.

 Puis un tour interactif de Luis de Matos fascine le public. Il sort d’une enveloppe (confiée en début de spectacle) quatre cartes postales où sont représentés quatre sur des cinq magiciens de ce soir. L’un d’eux va alors énumérer une succession de procédures que le public doit suivre à la lettre : déchirer en deux les quatre cartes et les mettre les unes sur les autres, en garder une moitié, puis en mettre un bout dans sa poche pour la révélation finale. Après un échange de morceau avec un autre spectateur, différents mélanges et éliminations, le dernier bout restant en main de chacun correspond parfaitement à l’autre moitié gardée en poche !Une adaptation du tour Before you read any further…How to find your other half créé par Woody Aragon en 2011.

 Après un entracte, les danseurs reviennent sur scène sur la musique générique puis apparaissent cinq magiciens dans des halos de lumière partant du sol pour dévoiler progressivement tout leur corps jusqu’à leur tête. Une superbe trouvaille technique, version contemporaine du célèbre procédé du « théâtre noir ».Luis de Matos revient avec une routine de close-up diffusée sur grand écran avec quatre cartes.Quatre as à dos bleu se retournent, un à un, face en bas, puis à nouveau face en l’air en changeant chacun leur dos de couleur ; en rouge. Pour finir, les as se transforment un à un, en rois à dos bleu ! Ensuite donnés en souvenir aux spectateurs. Très beau moment de manipulation sur le bout des doigts avec le classique Twisting the aces revisité.

Troisième et dernier numéro de Yu Hojin avecPaper airplanes act, très inspiré de celui de son collègue allemand Nikolai Striebel. Un tabouret haut bien visible et de nombreux avions en papier au sol. Il arrive, tenue décontractée et baskets.sur le tabouret. Il pose un avion qui disparait puis réapparait dans un geste de lancer et le magicien commence à jouer la chanson entraînante As it was d’Harry Style. Plusieurs avions sont ensuite produits, dédoublés et lancés dans les airs. Un papier froissé surgit du tabouret et se transforme en balle blanche pour devenir un bâton où apparait un volant (pour constituer un petit moulin à vent). Le volant prend la forme d’un bateau puis d’un avion. Une feuille écrite se plie toute seule en lévitant et prend la forme d’un avion. Plusieurs autres sont jetés dans les airs et une pluie de confettis surgit. Arrive alors le magnifique tableau final où le magicien commande chaque avion au sol : i les fait arriver dans sa main et les lance alors à l’horizontale dans l’espace où ils s’immobilisent tous pour ensuite, repartir aussitôt en coulisse. Un numéro d’une grande délicatesse minimaliste : Yu Hojin utilise un objet qui nous rappelle notre enfance. Les effets de lévitation sont dans l’air du temps et plusieurs artistes reprennent ce procédé, réactivé et sublimé par la compagnie 14:20 et Étienne Saglio depuis 2010, avec des objets basiques comme des feuilles de papier (Laurent Piron, Artem Shchukin).

 Luis de Matos choisit sept spectateurs dans la salle grâce à un frisbee. Il les dispose en ligne à un endroit précis et confie un jeu de cartes à chacun, mis en éventail pour bien montrer que toutes ses cartes sont différentes. Les sept jeux sont ensuite mélangés par chacun. Et ensuite coupés en deux et une moitié est éclairée au hasard.Une fois la moitié restante mélangée face en bas, au stop du magicien, les spectateurs couvrent le jeu de leurs mains.. Chacun révèle, un à un, la première carte du dessus du paquet, différente de son voisin. Révélation finale : devant chacun, un tapis en vinyle imprimé d’un index qui retourné, correspond à la carte qu’ils ont choisie ! Cet effet de prédictions multiples a scotché tout le public….

 Dernier close-up de Dan Sperryau milieu de la salle et retransmis sur écran : le fameux tour des Lames de rasoir avalées (The Threaded Razor Blades de William A. Buerger (1930) avec un humour noir. Assis sur une chaise, il sort d’un petit coffre, une pomme où sont plantées des lames de rasoir. Il présente un papier avec un gros smiley jaune dessiné dessus qui sourit puis retourne le motif et au verso le même smiley avec bouche à l’envers et yeux en croix. Il découpe alors la feuille avec une lame qu’il avale ensuite. L’opération est répétée plusieurs fois. Quand il a une dizaine de lames dans la bouche, il mange du fil dentaire et en ressort, une à une, les lames dessus. Excellente présentation de ce classique, à la technique parfaite, qui fait toujours frissonner le public. Ensuite superbe double lévitation de Luis de Matos (Asrah de Servais Le Roy et Double levitation de Rick Thomas) avec sa partenaire Joana Almeida allongée sur une table. Elle flotte ensuite en l’air, une fois la table retirée.Il passe un grand cerceau autour de Joana Almeida pour montrer qu’il n’y a rien la retenant physiquement. Il place sur elle un voil age qui va alors léviter vers les cintres. Luis de Matos rejoint sa partenaire en hauteur, arrache le voile…Mais elle a disparu. Luis de Matos demande aux spectateurs qui est amoureux ? Rares, ceux qui lèvent la main, craignant d’être choisis pour monter sur scène : ce qui se passe pour un couple. Entre alors le ténébreux Aaron Crow, l’air grave. Les yeux dans les yeux, il demande son anneau de mariage à la femme et la pose au milieu d’une pomme verte sur sa tête. A cours, on découvre alors une cible. Aaron Crow se place à jardin avec un grand arc et une flèche. Il monte ensuite sur une petite plate-forme tournante, ajuste sa flèche avec un faisceau laser et tire à travers la pomme. Elle coupera la pomme en deux et se plantera dans la cible ! La bague est retrouvée sur la flèche et le mari est invité à la passer une nouvelle fois au doigt de sa femme. Présentation et mise en scène de ce numéro de l’archer millimétrées. Tout le monde se reconnait dans ce couple amoureux où les notions de confiance et sacrifice sont évoquées.

 Luis de Matos rend ensuite hommage à Harry Houdini avec la Chinesewater torture cell, une illusion très dangereuse et mythique. En introduction, nous entendons la voix enregistrée du célèbre magicien en 1914 (provenant de la collection de David Copperfield) et son profil apparait sur cinq écrans. Luis de Matos apparaît, est menotté, puis suspendu par les pieds, et plongé dans une grande cuve rectangulaire remplie d’eau. Un rideau rouge va cacher les parois de la cuve de chaque côté. Un compte à rebours affiche les minutes passées sans oxygène dans l’eau. À deux minutes, le rideau est levé et on voit la tête de Luis de Matos. Quelques minutes après le magicien arrive au fond de la salle et sa partenaire Joana Almeida est prisonnière à sa place dans la cuve !

 Norbert Ferré fait un deuxième passage comique et dit un poème à son chien, en imitant ses aboiements. Suit un cours d’imitation… de sa mère et un numéro hilarant où il bruite avec un sifflet, différents sons. Il pousse la chansonnette, rigole, mime un jeu vidéo qu’il perd, et il pleure. Il appuie ensuite sur plusieurs parties de son corps (son zizi ne fait pas le même bruit !). Il sort de sa poche une mouche, lui parle, la libère et l’aplatit comme une crêpe. Elle ne réagit plus! Alors il pleure comme un bébé. Il prend une clé et essaye de « remonter» la mouche, comme un jouet mécanique. Cela ne marche pas et il quitte le plateau sur une marche funèbre. Pour terminer, le magicien présente son cultissime One for two, two for one où il se dédouble et ses incroyables démonstrations de dextérité poétique avec des cartes. Son numéro s’est affiné au fil des années, avec des subtilités pour devenir un petit bijou !

 Enfin les cinq illusionnistes s’assoient chacun sur un tabouret, déchirent une serviette blanche et produisent alors des confettis qui volent sur toute la scène comme une neige artificielle. Un final déjà vu et conventionnel puis un générique de fin défile sur les écrans pendant que le public quitte la salle. Les magiciens l’attendent dans le grand hall des Folies-Bergère pour une séance-photo et dédicaces. Ce spectacle d’une qualité remarquable est dû au travail collectif de la production et au professionnalisme des équipes. Il a été répété et rodé avec précision, notamment au Estúdio33, la salle de travail de Luis de Matos. Choix des invités judicieux : chacun avec son personnage, son style et son répertoire. Cet ensemble assez complet montre l’art magique dans sa diversité culturelle et esthétique. Pas de doublon,mais une complémentarité et une variété, à un excellent rythme. Et Luis de Matos fait l’effort de parler français, ce qui est très apprécié… L’art de l’illusion est ici porté au plus haut et avec passion.Un des meilleurs spectacles actuels, avecun public au cœur d’un dispositif où émotion et partage sont la clé de voûte. Un seul regret: ici, aucune artiste pour équilibrer rapports et sensibilités artistiques. L’an passé, Léa Kyle était la seule femme de la quatrième édition

 Sébastien Bazou

 Spectacle vu aux Folies Bergère, Paris ( IX ème), le 1er décembre. En tournée, notamment dans l’Est de l’Europe

https://artefake.fr/

 

L’exposition Allez hop, au travail !

L’exposition Allez hop, au travail !

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Cela se passe à l’hôtel Gaillard place du Général Catroux (XVIIème arrondissement de Paris-toits élancés, tourelles et murs de briques-et qui a été conçu à la fin du XIXème siècle pour Émile Gaillard. Il en confia l’édification à l’architecte Jules Février et celle  de deux autres, aujourd’hui réunis. L’hôtel Gaillard répondait à trois besoins : loger une famille, recevoir avec faste, et mettre en valeur une collection exceptionnelle: faïences de Bernard Palissy, tapisseries des Flandres, statues et coffres Renaissance. Construit entre 1878 et 1884, ce chef d’œuvre de l’architecture néo-Renaissance, inspiré des châteaux de Blois et Gien… avait coûté onze millions de francs. Soit environ 41 millions d’euros!!!!

© Philippe du Vignal

© Philippe du Vignal

Les valeurs artistiques-émail peint, sculpture sur bois,  verre polychrome, carrelage raffiné- de la Renaissance correspondaient  à celles de la grande bourgeoisie d’affaires.  Puis de 1923 à 2006 l’hôtel Gaillard devient une succursale  de la Banque de France à un prix bradé: deux millions de francs. Le transformer en succursale bancaire nécessitera des travaux importants, de 1919 à 1923 confiés à Alphonse Defrasse et au décorateur Jean-Henri Jansen. L’architecte crée enter autres, un hall du public grâce à une structure en béton armé avec voûte en bois et verrières. Un ensemble monumental… Et il y introduit des motifs décoratifs empruntés à la façade : murs en briques polychromes, corbeaux en pierre sculptée (moulés sur les originaux)…. Mais cette succursale bancaire fermera ses portes en 2006.

Cette exposition, dont le commissaire est Albert David, professeur de management à l’Université Paris-Dauphine qui a cofondé le Dauphine Musée du Management, est conçue comme une véritable plongée au cœur du management moderne. Ici, on  a retracé à grandes lignes, comment le management a façonné le monde professionnel, surtout celui de l’industrie. Mais il est partout et on aurait bien aimé que soit aussi évoqué celui  du milieu de l’art et des musées. Lequel n’échappe pas aux dérives du management! Un régisseur du FRAC Champagne-Ardennes s’est suicidé en 2021. Et autrefois, un cadre important du Ministère de la Culture, avait viré sans ménagement (et sans jeux de mots) par André Malraux… Il ne l’avait pas supporté et succomba quelques heures plus tard.  Et, sans doute mal conseillé, en 68 André Malraux licencie Henri Langlois, immense fondateur et directeur de la Cinémathèque, avant de rétropédaler vite fait, devant la pétition signée de réalisateurs inconnus… entre autres  Federico Fellini, Charlie Chaplin, Stanley Kubrick, Orson Welles, Luis Buñuel, et, en France François Truffaut, Alain Resnais, Jean-Luc Godard, Jacques Rivette….
Histoire de rappeler qu’un management bien conçu, est aussi fondé sur des enjeux philosophiques et moraux, et comme cette exposition le prouve, et lié l’organisation de la société d’un pays et à l’organisation optimale d’un travail en équipe, pour qu’il  soit efficace  sur le plan de la rentabilité mais aussi en termes de vie collective et personnelle dans une entreprise. Ce que l’on peut voir sur les panneaux richement illustrés et il
y a aussi sur une table, un jeu de rôles interactif où on peut incarner plusieurs rôles : chef d’entreprise, employé dans un restaurant, une start-up, ou une grande firme internationale…

Le management est fondé sur trois fonctions: organiser gérer et administrer. Après 1850 , les grandes entreprises prospèrent grâce aux progrès des techniques et au développement des transports donnant accès à des marchés plus importants. But : rationaliser les ressources, améliorer la coordination et redonner le contrôle à la Direction. Et être efficace avec des  règles de gestion rigoureuses Principaux artisans de ce mouvement sur lequel se fonde le management actuel: l’Américain Frederik Taylor, le Français Henry Fayol et l’Allemand Max Weber. Il leur faut créer et maintenir un juste équilibre entre contrôle direct, avec procédures et valeurs à respecter mais aussi sens des responsabilités. Contrôle de la qualité de production, du bon avancement des projets, et respect des normes éthiques..

Et ont été alors mises en œuvre, les méthodes et outils pour rationaliser la gestion des organisations publiques ou privée comme la recherche systématique de performance, avec au bout: profit, valeur actionnariale, bien-être des collaborateurs, effets sociaux et environnementaux. Pour Chester Barnard, chef d’entreprise américain, en 1938: « Manager, c’est cultiver la responsabilité chez les autres ». Être responsable, signifierait donc être dans la nécessité de répondre de ses actes pour être efficace…

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©x Lilian Gilbrecht

Comme ailleurs, les femmes sont les grande oubliées du management comme Lillian Gilbreth et Mary Parker Follett, figures incontournables du management. Elles ont pourtant joué un rôle fondamental dans les avancées théoriques, la conception et la mise en œuvre de méthodes pratiques.
Sont ici retracées trois séries d’expériences, celle du  célèbre Taylor, pionnier de l’organisation scientifique du travail, de Mayo à la Western Electric sur l’importance du facteur humain et Lewin sur les avantages d’un fonctionnement démocratique.Mais les dérives sont aussi au rendez-vous: domination et manipulation, violence physiques et/ou sexuelles du patronat et/ou de ses collaborateurs des subordonnés. Jusqu’à l’épuisement, l’ennui, et le mal-être  par suite de comportements déplacés et harcèlement moral. D’où la nécessité de structures et procédures pour prévenir  et…  réparer les fréquents abus  du management.

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©x Mary Parker Follett

Il y a aussi des panneaux consacrés au futur. Sera-t-il une déclinaison ou y aura-t-il une rupture avec le management actuel, vu les enjeux écologiques? Probablement, un savant cocktail des deux. Comment gérera-t-on une entreprise en conciliant rationalité et responsabilité, en augmentant la valorisation des personnels qui la font vivre. L’exposition se conclut sur quatre métiers imaginés du futur qui traduiraient cette approche…

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On peut aussi aller faire un tour à l’exposition permanente où sont remarquablement montrés et expliqués sur des écrans par des experts-comme entre autres, Christine Lagarde-les grands enjeux économiques. Mais aussi la crise monétaire puis économique de 1929 avec un court extrait de  La Ruée ( 1932) un remarquable film de  Frank Capra où il montre une ruée vers les banques après le krach boursier américain… Une crise, issue de la guerre de 14-18 et expliquée par le célèbre économiste britannique John Maynard Keynes dans sa Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie. Il faut parfois s’accrocher et mieux vaut avoir déjà acquis les fondamentaux de l’économie mondiale… dont les experts se contredisent, tout en étant souvent d’accord… Allez-donc vous y retrouver…

Un bémol? Oui, ici  les prix d’entrée ne sont pas donnés! Et la Banque de France à qui appartient Citéco pourrait faire un sérieux effort, même s’il y a des tarifs réduits. Les gouvernements successifs n’ont jamais voulu que les Français aient vraiment le le droit d’apprendre au collège ou au lycée, les bases solides de l’économie… Et en cette période de vaches maigres et où même le Bayrou de service, agrégé des lettres mais pas grand expert financier, se mélange les pinceaux et confond dette et déficit national. Faciliter vraiment  l’accès pour tous à l’économie, ne serait pas un luxe. Qu’en pense le gouverneur de la Banque de France, laquelle appartient jusqu’à nouvel ordre à tous les citoyens de notre pays?

Philippe du Vignal

Jusqu’au 1er juin, Citéco, 1 Place du Général Catroux, Paris ( XVII ème).

 

Re Chicchinella, d’Emma Dante ( en napolitain surtitré en français)

Re Chicchinella, un spectacle d’Emma Dante, librement inspiré du Conte des contes de  Giambattista Basile(en dialecte napolitain, surtitré en français)

Le Théâtre de la Colline  avait accueilli La Scortecata et Pupo di zuccher  il  y a deux ans. Ce spectacle est le dernier de cette trilogie inspirée par le livre célèbre de l’écrivain napolitain Giambattista Basile (1566-1632) qui a influencé, entre autres, Charles Perrault. A l’origine, Re Chicchinella est une fable:  le roi de Naples souffre et la population de son royaume est inquiète. A la chasse, il a eu une grande envie de déféquer et avec les douces plumes d’une poule qu’il croyait morte, il s’essuya les fesses. Mais elle était bien vivante et le pénétra. Le roi -avec douleur-se mit alors  à pondre chaque jour un œuf en or. Et qu’importe la douleur du roi, cela fit la fortune de Naples. Mais Re Chicchinella  (Le Roi poule) épuisé, souffrait terriblement et attendait la mort!

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« Je travaille avec le corps des acteurs dit Emma Dante. De l’orteil à la racine des cheveux, il doit parler plus que les mots. D’ailleurs, j’utilise des dialectes, le napolitain et le palermitain-langues des exclus et des pauvres-qu’on ne comprend plus. Pareille obsession du corps fait de la scène un vrai scanner. J’y déchiffre les souffrances. Jusque dans le corps social. C’est déjà les soigner un peu. »
Il y a une belle unité esthétique dans ce spectacle dont Emma Dante a aussi signé la scénographie, et les costumes. Et dès la première scène-une assemblée d’hommes et femmes à tête de poule, elle sait nous embarquer dans des images fabuleuses. Comme à la fin sur le plateau nu aux rideaux noirs-tous ces prie-Dieu disposés en ovale avec une vraie poule arrivée comme par miracle dans cette cage.
Le roi est absolument nu sous une jupe noire bouffante et toutes la cour est habillée de robes dont il ne reste plus que les crinolines. Les corps, eux, étant  habillés de costumes aux gros rembourrages… Angelica Bifano, Viola Carinci, Davide Celona, Roberto Galbo, Enrico Lodovisi,

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Odette Lodovisi, Yannick Lomboto, Carmine Maringola, Davide Mazzella, Simone Mazzella, Annamaria Palomba, Samuel Salamone, Stéphanie Taillandier, Marta Zollet sont tous d’excellents comédiens-chanteurs à la gestuelle impeccable.  Et toute la mise en scène d’une rare exigence est sans acun à-coup et garde un bon rythme jusqu’au bout, même si le début est un peu lent. Ce Re Chicchinella préparé avec le plus grand soin par Emma Dante et déjà bien rodé, fait la part belle au loufoque et à la satire socio-politique.
Cela dit, les dialogues nous ont paru souvent un peu faibles et ne nous ont pas vraiment touché: nous avions l’impression de n’être pas tout à fait de la paroisse napolitaine… C’est toujours la même chose, que ce soit en France ou en Italie, adapter un conte au théâtre n’est pas facile et il y a forcément des longueurs, malgré encore une fois la grande maîtrise d’Emma Dante. Elle dirige avec une rigueur absolue ses treize acteurs et sait créer en une heure pile, de fabuleuses images… Que demande le peuple?  La plus grande partie du public a applaudi chaleureusement, l’autre moins. A vous décider si cela vaut le coup, mais un coup de soleil napolitain dans la nuit pluvieuse parisienne, cela ne se refuse pas …

Philippe du Vignal


Jusqu’au 29 janvier,  Théâtre National de la Colline, 15 rue Malte-Brun, Paris (XX ème).

Le Conte des contes de Giambattista Basile, traduction du napolitain de Françoise Decroisette , est édité chez Circé.

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