1664, conception et interprétation d’Hortense Bellhôte


1664, conception et interprétation d’Hortense Bellhôte

Elle est déjà là assise au bord la scène. Au fond, projetés de nombreux portraits du XVII ème siècle et au centre, le logo 1664 de la brasserie fondée… cette année-là par un certain Jérôme Hatt à Strasbourg, devenue Kronenbourg… Cette conférence-spectacle a été créée en 2022 par cette performeuse-historienne de l’art, autrice d’un beau Oubliés de la Révolution française (voir Le Théâtre du Blog). Ici, elle emmène le public au château de Vaux-le-Vicomte qu’elle connait bien: elle y a consacré un master en histoire de l’art. Hortense Bellehôte fait aussi le portrait d’une jeune femme de vingt-deux ans qui lui ressemble physiquement. Assez portée sur l’alcool, le tabac et la dope, elle est figurante en 68 dans Start the Revolution without me, un film d’Orson Welles qu’il tourna… à Vaux-le-Vicomte.

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Elle nous parle de ce château exceptionnel et de ses jardins-dont Louis XIV était jaloux- construit entre 1657 et 61 par Nicolas Fouquet, surintendant des Finances qui y fait travailler Le Vau pour l’architecture, le peintre Le Brun pour la décoration de vestes et nombreuses pièces en enfilade et Le Nôtre pour de magnifiques jardins et invite entre autres Molière et La Fontaine.
En 61, il reçoit 
Louis XIV et six cent courtisans à une fête somptueuse, avec jets d’eau, feux d’artifice et une comédie-ballet Les Fâcheux de Molière. Mais accusé de malversations et d’enrichissements suspects par Colbert, il sera condamné en 1664 à la confiscation de ses biens et emprisonné à vie à la forteresse de Pignerol où il mourra vingt ans plus tard.
Hortense Bellhôte nous raconte tout cela avec une grande maîtrise et en projetant
de nombreuses images qu’avec un vidéo-projecteur, elle envoie sur grand écran, au plafond et sur les côtés du théâtre  En permanence, Nicolas Fouquet peint par Charles Le Brun, nous regarde d’un air malicieux. Aidée par Lou Cantor et Béatrice Massin*, Hortense Bellhôte nous parle aussi de danse baroque avec de nombreux dessins d’époque très précis sur les mouvements à faire. De loin, tout cela peut être vu comme un peu foutraque mais pas du tout, cette ex-professeur d’histoire de l’art, à la fois précise et drôle, va plus loin qu’avec un simple cours. En s’aventurant aussi sur le terrain de sa vie personnelle et de ses relations avec son père…à la limite de la confession mais tout en nuances et par petites touches, histoire d’en dire assez mais jamais trop…  Un spectacle intelligent et souvent brillant.

Mais l’autrice aurait pu nous épargner ses nombreux appels aux spectateurs; ceux du premier rang, couverts par ses soins de grands tissus, claquant en rythme des mains. On se croirait, vu l’âge moyen du public, à une animation dans une maison de retraite et c’est dommage. Mais si Hortense Bellehôte joue près de chez vous, allez-la voir, cela vaut le coup…

Philippe du Vignal

Spectacle joué au Théâtre de l’Atelier, place Charles Dullin, Paris ( XVIII ème).

* Voir le très bon catalogue de l’exposition sous la direction de Laurence Louppe: Danses tracées : dessins et notation des chorégraphies, Centre de la Vieille-Charité, Marseille (1991). 

 

 


Archive de l'auteur

Judith Magre : esquisse d’un portrait

Judith Magre : esquisse d’un portrait

 Elle est là dans une belle robe, très souriante, disponible, attentive… à quatre-vingt-dix huit ans. Et chaque lundi, au théâtre de Poche-Montparnasse, en complicité avec Eric Naulleau, elle dit Apollinaire (voir Le Théâtre du Blog). «Ce n’est pas terrible ici… Je n’habite plus dans mon appartement, rue de Tournon. J’ai été renversée par une moto et opérée. Mais ici, on m’a fait chuter et je me suis cassé le coccyx… Ma chambre dans cette résidence est au Nord. Heureusement, je vais dans le couloir plein Sud, voir trois merveilleux couples d’oiseaux… Je leur parle. La chambre qui jouxte la mienne est occupée par un très vieux monsieur: s’il meurt avant moi, je la prendrai : il y a une belle terrasse en plein soleil… 

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Mais je suis hors de la vie, je ne supporte pas la vieillesse, comme déjà quand j’avais sept ans.  Quelle horreur! C’est vraiment de la merde, c’est épouvantable! Vivement, que je meure. Mais j’ai une grand-tante incroyable qui est morte à cent-douze ans. Elle mettait du whisky dans son thé…On lui a fait une grande fête à partir de ses cent ans.
Alors, me direz-vous, pourquoi vivre… J’ai essayé de me suicider, il y a déjà un bon moment: je devais avoir dans les trente-cinq/quarante ans. La première fois, j’avais ouvert le gaz. Pas de chance, le releveur de compteurs est passé et sentant une odeur suspecte, a fait ouvrir la porte et m’a donc sauvée…La seconde fois, j’ai avalé des barbituriques mais ma femme de ménage espagnole qui avait oublié ses clés chez moi, est venue les rechercher, m’a découverte et a appelé le Samu…

Ici, le grand violoniste Yvry Gitlis a séjourné et est mort en 2020, donc avant que je n’arrive! Dommage… les autres résidents, non, je ne les vois pas ! Ils ne m’intéressent pas : ce sont parfois de grands intellectuels mais ne sont plus rien; alors je prends mes repas dans ma chambre… Mais bon, je reçois la visite d’amis tous les jours et ils m’apportent des livres. Regardez, j’en ai plein. En ce moment, je lis Les Contes de la Bécasse de Guy de Maupassant : formidable…
Et la musique ?  » J’ai adoré aller écouter des chants grégoriens, entre autres, à l’abbaye de Solesmes. Non, je n’écoute pas de C.D mais Radio Classique depuis longtemps. J’aime beaucoup entendre le violoniste Gautier Capuçon et son frère Renaud, violoncelliste…

Pourquoi ce pseudonyme Magre? «Je ne sais plus, dit-elle, peut-être à cause de de Maurice Magre, cet écrivain anarchiste du début XIX ème.» Elle a d’abord fréquenté un peu le cours Simon et la Sorbonne où elle a commencé une licence de philo.  « Mais cela m’emmerdait et j’ai vite préféré le théâtre.  J’ai joué sous la direction des plus grands: Jean Vilar, Georges Wilson qui a dirigé le T.N.P. après lui, Jean-Louis Barrault,  Jorge Lavelli, Claude Régy en 1971, dans  Les Prodiges de Jean Vauthier.  »Mes rapports  avec eux étaient très bons et j’ai adoré travailler avec tous. Mais pas Bernard Sobel: il m’a fait quelque chose de pas bien et n’ai donc jamais joué pour lui. »
J’ai connu et travaillé avec de nombreux acteurs comme vous savez, mais je garde un souvenir formidable quand j’ai joué au théâtre de la Colline en 96  Le Déjeuner chez Wittgenstein de Thomas Bernhard. Un soir, Andrej  Seweryn et Françoise Brion. Un soir, ils m’ont soutenu au maximum et grâce à eux, j’ai pu tenir le coup: mon compagnon était mort brutalement quelques heures avant. Un ami m’a dit que la représentation était étrange…

Judith Magre a été mariée quelques années avec le réalisateur Claude Lanzmann (1925-2018); un proche de Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir. Ensemble, dit-elle sont souvent allés souvent en vacances. «C’était formidable et Jean-Paul se débrouillait toujours pour trouver à Rome de merveilleux petits restaurants. » J’ai voyagé dans le monde entier, surtout pour jouer. Regardez cette photo : c’était avec Claude en Israël. J’avais de belles jambes, non ?

Des souvenirs? Elle en a des tonnes et cet entretien prévu pour trente minutes, a continué. Elle aime parler des metteurs en scène et de ses camarades acteurs mais aussi des cinéastes comme Michel Cacaoyannis. «Il m’avait invitée dans sa maison à Chypre, une merveille artistique.  Julien Duvivier était aussi un ami extraordinaire. Une fois en 57, quand  le tournage se prolongeait, impossible de rejoindre à temps le théâtre Sarah Bernhardt à Paris, où j’avais acheté une place à prix d’or pour voir Laurence Olivier jouer Titus Andronicus avec la Shakespeare memorial company, mise en scène de Peter Brook, un spectacle pris d’assaut : il était joué seulement dix fois !
Le lendemain, Julien me dit: «Viens, ce soir, je t’emmène au théâtre.» C’était  pour voir… Titus Andronicus. J’appris ensuite qu’il avait envoyé un assistant chercher à travers tout Paris et obtenir deux places… Ce genre de choses ne s’oublie pas..
 J’ai aimé rencontrer Jérôme Savary que vous avez bien connu. Il était très intéressant mais nous n’avons pas eu l’occasion de travailler ensemble.

Et les auteurs contemporains? «J’en ai joué pas mal: Bernard-Marie Koltès, Marguerite Yourcenar, Yves Ravey, Xavier Durringer, David Hare, Thomas Bernhard, Philippe Minyana. Mais je ne lis et ne joue plus de théâtre… Quant à l’avenir? Pour le moment, après Baudelaire, cet immense poète, je dis Apollinaire  que j’ai appris à connaître et que j’aime aussi beaucoup… Voilà. Revenez me voi, quand vous pourrez. »

Philippe du Vignal

A Paris, le 7 juin.

 

Chantiers d’Europe Cuerpos celestes, conception de Laida Azkona Goñi et Txalo Toloza-Fernández (en espagnol surtitré en français)

Chantiers d’Europe

Cuerpos celestes, conception de Laida Azkona Goñi et Txalo Toloza-Fernández (en espagnol surtitré en français)

Une nouvelle création de la compagnie chilienne et espagnole Azkona Toloza. Valentina Kuznetova, une astrophysicienne, a été envoyée sur Mars et y vit depuis vingtaine d’ans. Cela se passe vers 2056 , à mi-chemin entre un théâtre documentaire, une aventure de science-fiction, une conférence sur le cosmos et un semblant de dialogue entre deux personnages.
Cela parle beaucoup, sur une musique répétitive électronique envahissante, à la fois du futur avec le projet d’Elon Musk d’aller chercher sur d’autres planètes un minerai comme le cobalt indispensable à la fabrication de centaines millions d’ordinateurs, smartphones, etc.  Mais aussi du passé quand on était encore aux débuts de la conquête spatiale…

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Cuerpos Celestes a été conçu à partir d’informations et témoignages et parle d’un passé récent avec l’aventure de Youri Gagarine, puis des navettes aérospatiales et de la première visite d’humains sur la lune en 69.  Cela parle aussi des astéroïdes, corps célestes, planètes, météorites qui hantent l’humanité depuis toujours mais aussi de qu’on appelle les trois noirs. Mais aussi du pillage des ressources minières, de la pollution inconsciente des sols, des nombreuses crises climatiques, de cette envie permanente des plus riches d’aller sans aucun scrupule et à un prix écologique exorbitant d’aller visiter l’espace…

Sur la scène, une sorte de gros caillou en papier d’alu suspendu, des caméras qui retransmettent le visage de l’actrice sur Mars. Côté technique, cette alliance de matériaux simples  avec une technologie informatique pour dire le réel d’un monde planétaire, est souvent remarquable. Mais là où cela va beaucoup moins bien : le texte est bavard, mal écrit et part dans tous les sens. Fleurissent aussi les mêmes stéréotypes qu’ailleurs : fumigènes à gogo par trois fois, retransmission en gros plan de l’actrice sur écran, voix en écho, musique électronique répétitive presque en permanence…
On aimerait ressentir le fameux: «Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie.»  de Blaise Pascal. Mais en vain ! Il y a un tel torrent d’informations visuelles, chiffres et dates du passé, du présent comme du futur, qu’on décroche assez vite. «L’idée était d’aborder la fiction comme un outil pour imaginer un futur possible, dit
Txalo Toloza. » Un projet sans doute trop ambitieux…
Et les auteurs du spectacle n’en sont pas à une contradiction près : la fabrication avec des produits issus de minerais rares de tout le matériel ultra-sophistiqué dont ils se servent pendant le spectacle consomment une énergie considérable. Autrement dit: faites ce que nous disons mais pas ce que nous faisons… Et il aurait fallu faire des choix : ce genre hybride sur le plan dramaturgique ne fonctionne pas et le spectacle est plus que longuet, même s’il ne dure qu’une heure quinze. Vous avez dit décevant? Enfin, reste le plaisir d’entendre la musique de la langue espagnole…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 29 juin, Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, Place du Châtelet, Paris ( IV ème). T. : 01 42 74 22 27. 

 

Red carpet, chorégraphie d’Hofesh Shechter

Red carpet, chorégraphie d’Hofesh Shechter

Nous suivons cet artiste depuis longtemps (voir Le Théâtre du Blog) au Théâtre de la Ville ou à l’Opéra de Paris dont il connait bien les danseurs avec qui il a déjà travaillé pour les entrées au répertoire de The Art of not looking back (2018) ou UprisingetIn your rooms, quatre ans plus tard.
Ici il crée en première mondiale, un spectacle d’une heure cinq pour un groupe qu’il a sélectionné. Le titre est selon lui «un clin d’œil à l’espace du Palais Garnier, avec rideau rouge et dimension glamour ». Glamour aussi les costumes de la maison Chanel…
Mais pas d’étoiles pour cette chorégraphie très réussie: ouverture d’un rideau rouge sur les danseurs en trois plans successifs, descente magique d’une réplique du lustre du Foyer de la danse (habituellement derrière le plateau) et mouvements des artistes autour. Ou encore présence de quatre musiciens sur une plate-forme en hauteur au fond de scène et encadrés, eux aussi, par des rideaux rouges.

 

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Hofesh Shechter a réussi à établir une belle cohésion entre tous les interprètes qui semblent appartenir à sa compagnie. « Ce sont eux qui ont été ma source d’inspiration après de longues périodes de répétition, dit-il. J’ai sélectionné un groupe et non des individus. Ce qui importe est le chemin que l’on a emprunté ensemble : une forme de voyage. » Il propose des mouvements, puis laisse faire ses danseurs : donc finalement, une création collective. Il crée en même temps musique et chorégraphie.
Nous découvrons la belle création-lumière, souvent en contre-jour de Tom Visser pour cette chorégraphie. Magique presque irréelle. Enfin les costumes nous transportent dans une soirée chic à l’esthétique décadente, celle de films comme Eyes Wide Shut ( Les Yeux grand fermés ) de Stanley Kubrick (1999) ou La grande Bellezza de Paolo Sorrentino(2013).

Aussitôt, nous reconnaissons tous les codes d’Hofesh Shechter, comme cette danse saccadée et énergique, presque tribale qui laisse parfois une individualité s’extraire du groupe dans un mouvement violent. Mais  les gestes deviennent plus lents, presque au ralenti. On passe d’une fête dionysiaque, à une chorégraphie moins lisible… qui s’essouffle et ennuie. Un parti-pris que nous avons du mal à suivre.
Cela n’enlève rien au talent des artistes de l’Opéra national de Paris qui vivent ici une très belle expérience. Attention, musique assourdissante : il faut donc absolument se protéger ( bouchons d’oreille distribués) sous peine de ressortir avec des acouphènes. Mieux vaut garder les images de ce spectacle qui répondent bien à l’aspect glamour de cet Opéra Garnier que les créateurs de mode adorent utiliser.

Jean Couturier

Jusqu’au 14 juillet, Opéra de Paris, Palais Garnier, Paris (VIII ème). T. : 08 92 89 90 90.

Judith Magre dit Apollinaire, conçu et animé par Éric Naulleau

Judith Magre dit Apollinaire, conçu et animé par Éric Naulleau

Marie Laurencin et Guillaume Apollinaire par Le Douanier Rousseau

©x Marie Laurencin et Guillaume Apollinaire par Le Douanier Rousseau

Une vieille histoire d’amour avec Guillaume Apollinaire… La grande actrice en avait lu La Lorelei quand elle était apprentie-comédienne au cours Simon où elle avait passé quelques mois. Elle et Éric Naulleau nous font ici partager l’œuvre du poète terrassé par la « grippe espagnole», après avoir été gravement blessé à la tête par un éclat d’obus à la guerre de 14 : il avait demandé, lui qui n’était pas encore citoyen français, à s’engager dans l’armée et avait subi l’horreur des tranchées. Il mourra deux jours avant l’armistice…

L’actrice assise devant un pupitre en robe élégante (elle adore les beaux vêtements mais aussi le champagne… et la cigarette!), les cheveux auburn bien coiffés, est déjà sur le scène, le regard brillant et impatiente de retrouver son public pour la seconde représentation (une par semaine). L’écrivain lui, est à côté d’elle reste discret et efficace. Le public, pas très jeune, attend calmement dans la chaleur de cette petite salle… Quand, à tout à coup, catastrophe ! Judith Magre est prise d’une toux violente. Eric Naulleau lui fait boire un verre d’eau et propose qu’elle aille s’allonger un peu. Elle refuse et dit que cela va aller… 

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Mais la toux reprend, encore plus violente et nous avons mal pour elle. Une spectatrice lui fait passer un comprimé contre la toux.. qu’elle ne prendra pas. Silence absolu dans la petite salle. Rien à faire, nouvelle quinte de toux et la représentation semble mal engagée : Eric Naulleau attend pour prendre une décision. Très attentif et bienveillant. Le public aussi.
Puis, miracle! Judith Magre, après avoir longuement respiré: fait un petit geste: ele est prête et dira magnifiquement et presque sans lire, avec une diction parfaite et de sa voix un peu rauque, Le Pont Mirabeau bien sûr et, entre autres, La Chanson du mal-aimé, Zones, Réponse des Cosaques Zaporogues au sultan de ConstantinopleLe Chat...
Tout cela croisé avec ce qui s’apparenterait à une mini-conférence d’Eric Naulleau qui, discrètement et avec une grande élégance, nous fait partager la vie de Guillaume Apollinaire mort à seulement à trente-huit ans et dont l’œuvre est entrée dans toutes les mémoires, depuis l’école primaire. Côté cour, quelques images projetées de la vie de cet immense poète. Judith Magre, à la fin, semblait un peu fatiguée d’avoir continué après cette toux. On la comprend… Une belle leçon de ténacité et de vie! Allez la voir et l’entendre, vous ne le regretterez pas mais, attention, il reste quatre représentations. Elle nous avait dit crûment il y a quelques jours quand nous étions allé la voir chez elle: «La vieillesse, c’est épouvantable, c’est vraiment de la merde! Vivement que je meure. »

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Nous souhaitons pourtant à toutes les actrices et acteurs, de continuer, comme elle qui a tellement joué au  théâtre et au cinéma, à travailler encore avec humilité et amour de son métier et du public. Un grand merci à cette jeune actrice qui aura… quatre-vingt-dix-neuf ans, le 20 novembre prochain. Nous l’avions découverte et beaucoup aimée dans Huis-Clos de Jean-Paul Sartre, il y a cinquante-neuf ans…Ainsi va la vie.

 Philippe du Vignal

Tous les lundis, jusqu’au 7 juillet,Théâtre de Poche-Montparnasse,  75 boulevard Montparnasse, Paris (VI ème). T. : 01 45 44 50 21.

L’avenir, c’est notre passé…

 L’avenir, c’est notre passé…
 
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Inventer, toujours inventer… Une idée farfelue:  le théâtre pour chiens. C’est affreusement bizarre, dès que je me mets à dire: tiens je vais essayer de penser, Arthur Rimbaud vient se mêler à la conversation, comme un air  qui s’incruste en toi toute la journée, là  c’est : je m’emcrapule le plus possible.

 Cela ne s’explique pas. L’heure de la fin approche, alors nous mettons non sans mal une transition, une transmission de la Maison Unité. Ce qui change aujourd’hui : nous avions toujours un avenir devant nous, avec dates à honorer, idées à développer, quelque chose à écrire. Mais là c’est fini, notre avenir est derrière nous: c’est notre passé.
Sur France Culture, il y a eu une émission  deux heures trente et un bouquin va sortir. Je peux donc essayer de commencer à comprendre qui nous étions. C’était quoi la différence du Théâtre de  l’Unité avec la galaxie théâtre ? Je ne vais pas réussir en un seul jet. Sans aucun ordre, je dis ce qui me vient .Nous étions trois,  je n’ai jamais entendu des compagnies annoncer trois personnes et signer les spectacles à trois même si Claude Acquart  a ouvert un jour un atelier indépendant, il a toujours été et est encore là.
 Nous avons réussi à vivre  “hors cases” toute notre vie et jamais nous n’étions cadrés. A France Culture, je ne parle pas par exemple des spectacles sous chapiteau pour 5000 personnes  avec des vedettes aujourd’hui un peu éventées comme  Nino Ferrer qui est mort, Nicoletta, William Sheller… C’était nous et pas nous tout à la fois… C’est bien étrange de changer de jauge sans arrêt,  de deux personnes à 40 000 s. Nous étions des fous de la conquête des villes en nous servant de nos pièces comme armes de construction massive. Cela ne se trouve pas chez les autres. Ils enchaînent  les créations, ne vont pas quitter leur théâtre pour engendrer des événements et des fêtes  qui allument  l’espace social.La carrière « descentionnelle »est un concept bizarre. Nous avions pourtant écrit dès 72 un plan d’ascension comme les alpinistes. Nous appellions on appelait cela les camps de base. On les numérotait.
 Le point culminant c’était diriger une institution. Comme on  répétait à Chaillot, nous avions des idées pour Chaillot, et puis comme nous étions à l’intérieur, nous avons senti que les théâtres nationaux étaient condamnés à être figés, que nous n’y arriverions pas… Alors nous avons obtenu une petite institution: la Scène nationale de Montbéliard. Là on pouvait faire vibrer l’outil, mais après neuf ans, nous avons commencé notre descente. Oui, nous étions à Paris puis en banlieue puis dans une sous-préfecture puis dans une ville de 14000 habitants.
 La foi :  quand  nous nous écoutons parler, nous sommes poussés par un élan incompréhensible sauf par Jacques  Lacan. Hervée de Lafond essaye de définir ce qui l’animait : la haine de vies gâchées..Claude Acquart  notre scénographe n’avait pas envie d’une vie tracée d’avance, lui qui  avait fréquenté dès sa jeunesse les grands du théâtre. Et je trainais ma culpabilité de gosse du seizième arrondissement qui rêvais de rendre aux pauvres tout ce que les riches leur avaient pris.Nous pratiquions la création et l’invention à jet continu.Nous n’étions pas le genre à déposer des projets en attendant que l’argent vienne. Grâce à nos stages, ateliers, ruches, nous n’arrêtions jamais d’essayer de nouvelles formes. Qui eût dit que notre Kapouchnik un modeste essai de théâtre d’actualité allait durer vingt ans avec 177 éditions et que cela allait nous survivre.Et que cette 2CV théâtre destinée à n’être jouée que dix fois comme parade, allait tenir la route pendant vingt ans ? Et puis la notoriété ? Nous avons compris assez vite que si le régime de l’anonymat était notre quotidien, nous allions nous faire enterrer, il fallait que, d’une manière ou d’une autre, on parle de nous, pour sortir de l’ombre.Il a donc fallu mettre des moyens dans la communication et ne pas lésiner sur de bonnes attachées de presse… C’est triste mais c’est comme ça.
 On parle de toi dans Libération, Le Monde ou Télérama, tu es sauvé, estimé, tu n’es plus considéré comme un paria, un galérien de la culture, un sous-animateur. Mais aller dans une banlieue ouvrière loin de Paris, c’était se condamner à mort. Voilà quelques lignes qui me viennent quand  je regarde une finale de tennis (cinq heures vingt-cinq) avec cette invraisemblable joie de la gagne. Hervée de Lafond et moi, avons dépassé l’âge de la retraite depuis au moins vingt ans….

Jacques Lichine, co-directeur avec Hervée de Lafond du Théâtre de l’Unité à Audincourt ( Doubs).
 
 

Les Paillettes de leur vie ou la paix déménage, texte et mise en scène de Mickaël Délis et Clément Le Disquay

 

 Les Paillettes de leur vie ou la paix déménage, texte et mise en scène de Mickaël Délis et Clément Le Disquay

Dernier volet de La Trilogie du troisième type, ce seul en scène clôt le voyage intime de cet écrivain, narrateur et comédien.  Le premier Sexe ou la grosse arnaque de la virilité sur la thématique du genre et La Fête du slip ou le Pipo de la puissance, sur le sexe biologique existent séparément chacun et seront au théâtre de la Reine Blanche au festival d’Avignon. Et la trilogie, en septembre, à La Scala de Paris.
Dans 
La Fête du slip ou le Pipo de la puissance comme dans Les Paillettes de leur vie ou la paix déménage, Mickaël Délis utilise un micro:«L’auteur a ainsi choisi, nous dit-il, pour plus de clarté à l’édition, de rebaptiser Mickro, le Narrateur. Un savoureux mélange du prénom donné à sa naissance avec ce micro qui permet de moduler sa voix et d’asseoir un certain rapport à l’intime sur le plateau. « 

Ce troisième volet est une autofiction où la masculinité et les différentes facettes de la virilité s’expriment avec vivacité! Au début, Mickro s’installe sur un tabouret parmi le public: «Oula, y’a du monde… ça va être long. Quelle horreur. (À une spectatrice) Excusez-moi, je peux m’assoir là? Vous attendez depuis longtemps? Il faut prendre un ticket ou quelque chose? (…) Vous avez quel numéro, vous? (Pas de réponse) Ok, pour être sûr, parce que l’hôpital est grand, je me suis peut-être planté de salle d’attente: vous êtes pas tous là pour donner… du sperme ?

 

© Marie Charbonnier

© Marie Charbonnier

Ce seul en scène fera progressivement place à un univers plus intérieur avec un récit autofictionnel intime qui s’ouvre sur l’universel. Nous entrons en complicité avec Mickaël Délis et son monde bigarré, sa mère, son père, son frère jumeau, ses amants, dont un acteur porno devenu pâtissier, le médecin du C.E.C.O.S. (Centre de conservation des œufs et du sperme humain), les infirmiers, ses amis, son psychiatre…
Acteur fascinant, il passe avec souplesse d’un personnage à l’autre! Sa mère au tempérament haut en couleurs, envahissante, figure majeure de la trilogie, occupe une place centrale dans cette quête sur la paternité. «Donc, tout ça pour dire, ton don de sperme, c’est joli, c’est gentil, mais y a pas de doute : entre ton père absent pendant des lustres et toi qui donnes pour ne surtout pas voir ce qui pourrait naître de tes bourses… C’est une façon de se reproduire sans se reproduire, enfin je corrige, de se reproduire sans reproduire.» 

 La gestuelle et la voix aux multiples couleurs, la musique et les chansons, comme un tas symbolique de paillettes en papier de soie nous fascinent.  Il sait créer des images comme un artisan, loin de grands effets de mise en scène. Dramaturgie et scénographie-remarquables-  donnent au spectacle une ampleur qui va bien au-delà des thèmes annoncés : le don de sperme et la paternité. L’auteur, à partir de sa généalogie, nous interpelle sur la nature de notre envie de filiation: « Se reproduire pourquoi ? Pour reproduire quoi ? »Il nous interroge sur la transmission et la figure du père, du patriarche, si puissante encore aujourd’hui. Il serait temps de renverser ce système moribond: «Démanteler cette figure, nous dit l’auteur, et la réinventer, en la libérant de tout ce qui l’encombre et la mettre sur le chemin de la joie! »
Une mise en scène inventive et joyeuse: le spectacle s’ouvre avec, au centre du plateau, un tas de petits papiers de soie blancs. Une belle trouvaille! Cet unique accessoire se métamorphose en sable des plages de l’enfance, en cendres du père, médicaments de la mère, tiramisu, mousse de bain du filleul, etc.

Comme dans ses deux autres pièces, le traitement théâtral répond ici à une double exigence : un matériau théorique sérieux et une humanité tendre ou caustique mais pleine d’humour. Ici, Mickaël Délis met en jeu, avec une riche fantaisie et à l’échelle d’une génération familiale, des thèmes éthiques et scientifiques,  très actuels: masculinité, paternité, reproduction de l’espèce, amour et sexe, famille… Avec savoir-faire, l’artiste arrive à créer avec ce tas de confettis, des situations à la fois délicates, cocasse, ou violentes et d’une poésie exceptionnelle !

Intime, moral et socio-politique, le spectacle enthousiasme le public, surpris et touché par cet univers singulier et kaléidoscopique. Cette mise en scène est à la fois originale et riche d’interrogation profondes. Humanité, pertinence de la pensée et poésie : Mickaël Délis a su garder une âme d’enfant. Son énergie créative et son imaginaire s’inspirent d’une innocence, passée au filtre de l’âge adulte.
Ce seul en scène est un chant d’amour adressé à sa mère récemment disparue. L’auteur lui rend un hommage drôle et tendre. «Enfin, nous dit-il, à l’heure du deuil inattendu et insoutenable d’une maman adorée, Les Paillettes sont, en plus d’une enquête intime sur l’absence du père, une ode festive à la mère et à la toute puissance de l’amour qu’elle a su dispenser. »Un hymne à la vie et au courage, à la liberté d’être soi !

 Elisabeth Naud

 Jusqu’au 15 juin, Théâtre de la Reine blanche, 2 bis passage Ruelle Paris (XVIII ème). T : 01 40 05 06 96.

 Du 3 au 29 juillet à 21 h 30, Théâtre de la Reine blanche, 16 rue de la Grande Fusterie, Avignon (Vaucluse) T. : 04 90 85 38 17.

Du 3 octobre au 27 décembre, La Scala, Paris (X ème). T : 01 40 03 44 30.

 

Mère Courage et ses enfants, Chronique de la guerre de trente ans de Bertolt Brecht, mise en scène de Lisaboa Houbrechts

Mère Courage et ses enfants,  Chronique de la guerre de trente ans de Bertolt Brecht, mise en scène de Lisaboa Houbrechts 

 La pièce écrite en 1938-1939 par le dramaturge qui vivait en exil au Danemark, a été créée en 41 au Schauspielhaus de Zurich. Il s’est inspiré de récits de von Grimmelshausen (1622-1676) sur la guerre de Trente Ans. Anna Fierling, dite Mère Courage, une cantinière avec ses jeunes fils, Eilif et Schweizerkas (Gruyère) et Kattrin, sa fille devenue muette après avoir été violée enfant par un soldat.
 Mère Courage tire sa carriole, de champ de bataille en champ de bataille et vend aux soldats tout ce qu’elle peut trouver poulets, boissons, pain, etc., pour gagner un maximum d’argent et protéger ses enfants. Mère Courage est prête à tout sacrifier mais la guerre lui prendra ses enfants, l’un après l’autre. Eilif, enrôlé dans l’armée, mourra au combat, comme son frère.Et Kattrin, pour avoir voulu sauver les autres, en battant du tambour pour les avertir de l’arrivée de l’ennemi, sera tuée, elle aussi. Et le commerce de Mère Courage périclitera. « Il ne lui reste plus rien à vendre, dira-t-elle, et plus personne n’a rien pour acheter ce rien. » Jouer avec la guerre et faire des compromis marche un temps mais sans plus. Une vieille histoire… Malgré son malheur, elle reprendra la route seule avec obstination.

Cette fresque  se déroule de 1624 à 36 en douze scènes à la fois simples et d’une grande poésie. Cette pièce devenue célèbre est sans doute la plus emblématique du grand dramaturge allemand et elle a été souvent montée. La première fois que nous avions vue Mère Courage, c’était cinq ans après la venue en 54 du Berliner Ensemble avec la grande Helen Weigel et sa création à Suresnes au T. N.P.-Chaillot la même année par Jean Vilar. Avec toujours Germaine Montero dans le rôle-titre, Evelyne Istria et Pierre Vaneck.
Puis il y eut, entre autres, la très belle mise en scène de Jérôme Savary en 94 sur la grande scène de Chaillot avec l’actrice allemande Katharina Thalbach, la fille 
 de Therese Giehse qui avait créé le rôle de Mère Courage. Et on a pu aussi voir celle de Klaus Peymann ici même, il y a onze ans. Et sur une petite scène  mais d’une rare efficacité, celle d’Anne-Marie Lazzarini.

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Ici, c’est une paraphrase de la pièce originale qu’il vaut mieux connaître pour se repérer dans ces personnages qui n’en sont pas vraiment et qui parlent français, flamand, hébreu. Mais le surtitrage qui roule à grande vitesse, est difficilement lisible et tant pis pour les spectateurs non trilingues. Mais il y aura une centaine de désertions. Cela fait quand même beaucoup d’erreurs de mise en scène.
Tout se passe sur une pièce d’eau noire où pataugent les acteurs. Dans le fond, un lourd boulet noir d’environ trois mètres de diamètre que les fils de Mère Courage, puis les autres personnages vont pousser. A la toute fin, même scénario avec un boulet de soixante cms. Une dimension métaphysique? Une allusion au globe terrestre et à La Vie de Galilée du même Bertolt Brecht? Comprenne qui pourra. Visiblement, la metteuse en scène a voulu se faire plaisir mais ses intentions, assez prétentieuses, restent floues.
Lisaboa Houbrecht s’est servi de Mère Courage comme d’un prétexte et a créé un espace d’art minimal comme une sculptrice et de ce côté-là, rien à dire, c’est très beau mais ne fait absolument pas sens. Ce qui est une œuvre d’art n’est absolument pas une scénographie et ne sert en rien les acteurs plongés dans les ténèbres. La direction et donc le jeu, sont médiocres et l’ensemble de cette mise en scène d’une rare sécheresse, distille un profond ennui. Même si Laetitia Dosch réussit à quelques moments, à s’imposer dans cette étendue aquatique, comment s’intéresser à ces ombres de personnages sans véritable identité, tous habillées en noir? Lisaboa Houbrechts a voulu faire joujou avec Bertolt Brecht mais il il s’est vengé et cette bien médiocre écriture théâtrale ne fonctionne pas. Et de nombreux spectateurs ont quitté la salle sans le moindre applaudissement. Cette Mère Courage ne fait pas honneur aux Chantiers d’Europe. Pourquoi Emmanuel Demarcy-Mota a-t-il programmé ce mauvais spectacle, même trois jours? Il se joue encore ce soir et demain mais vous pouvez vous l’ épargner…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 15 juin, Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, 2 place du Châtelet, Paris (IV ème).

 

 

 

 

 

Soleil, d’après Raymond Carver, mise en scène d’Armel Roussel (suite)

Soleil,d’après Raymond Carver, mise en scène d’Armel Roussel (suite)

Christine Friedel vous a rendu compte de trois des dix pièces de la face A de ce spectacle et nous a transmis le relais pour la face B avec six spectacles. Dans un petit lieu, à chaque fois nouveau, du Théâtre de la Tempête. Avec des sièges tout autour, sauf à la fin dans la grande salle. Pour une quinzaine de personnes avec bracelet de couleur différente selon le groupe: bleu, rouge, vert, gris…). Une organisation impeccable surveillée de près par Armel Roussel. Les courts spectacles (vingt minutes) chacun adapté d’une nouvelle avec par vingt-deux acteurs en tout. Les parcours A et B étant joués en alternance-vous suivez toujours?-avec, au début et à la fin, un jeu de bingo animé par une Coline Walters jouant à la perfection les idiotes de service: on peut gagner de ces photos des spectacles ou un verre au bar…

Toutes les petites choses

Les metteurs en scène se sont depuis longtemps intéressé aux nouvelles de Raymond Carver  comme l’excellent cabaret monté par Sylvain Maurice il y cinq ans à Sartrouville ( voir Le Théâtre du Blog)  ou plus récemment Olivia Corsini, à l’Espace des Arts-Scène nationale de Chalon-sur-Saône.
Ici, dans une belle salle blanche sous les toits, éclairée par quelques fenêtres basses apportant la douce lumière d’un soir de canicule. Silence absolu dans cette cuisine des années cinquante (du moins quelques éléments), une table, et une petite avec trois bouteilles d’alcool vides.

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C’est un monologue joué par Uiko Watanabé en japonais, surtitré en français.  L’actrice en longue chemise blanche (dans la nouvelle originale, c’est un homme) raconte qu’elle a vu son voisin essayant d’éliminer les limaces qui ont envahi son jardin.  Elle ne veut pas réveiller son mari dort dans la chambre attenante.  » Je rouvris les yeux mais ne bougeai pas. Je secouai un peu Cliff. Il s’éclaircit la gorge, avala quelque chose, s’étrangla, un crachat tomba sur sa poitrine. Dieu sait pourquoi, cela me fit penser à ces bêtes que Sam aspergeait de poudre (…)  «  La limace se tortilla, puis se recroquevilla et pour finir, se raidit.
Cette femme a tendance à se comparer à ces gastéropodes répugnants et se dénude entièrement, glissant sur le sol.  A la fin, la petite table se met à vibrer et les trois bouteilles vides s’entrechoquent. Ce court monologue avec cette métaphorique limace dit bien le désarroi de ce personnage de  Raymond Carver aussi paumé que les autres. A la fin, la petite table se met à trembler et les trois bouteilles s’entrechoquent. Les Dieux savent pourquoi mais nous ne l’ont pas dit…

Débutants 

Dehors sous une tente blanche: les quatorze spectatrices et les deux spectateurs (sic) de notre groupe sont invités à s’asseoir sur des chaises grises de cuisine en stratifié gris et tubes inox,  autour d’une table chargée de bouteilles de gin. Au fond,  un meuble avec un évier; le tout, années cinquante, pur porc. Armel Roussel a bien compris l’intention de Raymond Carver qui a imaginé des cadres domestiques jusque-là inhabituels dans les nouvelles  comme des chambres de maison ou hôtel, une cuisine… Il avait visé juste et deviendra célèbre, surtout après le film Short Cuts (1993) de Robert Altman qui en adapta plusieurs.  l’auteur qui a été longtemps alcoolique, sait de quoi il parle…Ici, le gin coule à flots et délie les langues…

 

© Alice Piemme

© Alice Piemme

Deux couples, la trentaine avancée, en boivent de grands verres et parlent de leurs expériences de l’amour et de leurs sorties de routes.  Terri dit qu’elle s’est faite avorter par Edouard, un cardiologue qui allait devenir son mari et avec qui elle vit toujours.. Nicolas, lui est un avocat en couple avec Laura. Pas loin d’Anton Tchekhov, Thomas Bernhard ou Jorge Luis Borges qui aiment la brièveté pour leurs nouvelles, Raymond Carver excelle dans l’art de la précision révélatrice pour dire la vie de la classe moyenne et la relation qui existe à différents degrés entre ses personnages..
Ils ont tous du mal à exprimer leurs émotions et à communiquer les autres: les courtes phrases de Raymond Carver frappent sec et juste: “Laura, si je n’avais pas Terri, si je ne l’aimais pas tant, et si John n’était pas mon meilleur ami, je tomberais amoureux de toi.

” Simplicité et réalisme:  Raymond Carver que le lecteur ait une forte proximité avec le récit et l’écrivain joue constamment avec le langage.  Ce qu’on trouve ici surtout dans Débutants.
Paul-Adrien Bertrand, Arnaud Chéron, Lucie Guien et Fatou Hane jouent à deux mètres à peine de nous.  Dans une rare et curieuse intimité. De bons interprètes à l’impeccable diction, une mise en scène habilement tricotée et un dialogue brillantissime où chaque mot est pesé et qui fait effectivement penser à ceux, entre autres, d’Oncle Vania d’Anton Tchekhov.
« Il y a donc l’amour charnel et… appelons ça l’amour sentimental, les liens quotidiens qui vous attachent à l’autre. Mais parfois, j’ai peine à comprendre que j’ai dû aussi aimer ma première femme. Pourtant je l’ai aimée, je le sais… A cette époque, j’étais convaincu d’aimer ma femme plus que la vie même. Mais à présent, je la déteste radicalement. Comment expliquez-vous cela ? Qu’est devenu cet amour ? Voilà ce que je voudrais savoir…Et puis, il y a vous deux qui êtes ensemble depuis dix-huit mois, toujours amoureux, cela se lit sur vos visages, vous en êtes illuminés. Mais avant de vous rencontrer, vous avez, chacun, aimé d’autres personnes. Vous avez été mariés, chacun de votre côté, tout comme nous. Et si l’on remonte à plus loin, vous avez sans doute été amoureux, avant de vous marier.
Terri et moi, vivons ensemble depuis cinq ans, sommes mariés depuis quatre et ce qu’il y a de terrible, oui de terrible, mais aussi de bénéfique, comme une promesse de salut pourrait-on dire, c’est que si quelque chose arrivait à l’un de nous, pardonnez-moi de parler de ça, mais si quelque frappait demain l’un d’entre nous, je pense que l’autre souffrirait un certain temps, n’est-ce pas ? Mais que le survivant ou la survivante recommencerait ensuite à sortir, retomberait amoureux ou amoureuse et ne tarderait pas à se remettre en ménage. Alors, tout ça, tout cet amour dont nous parlons ne serait plus qu’un souvenir. Est-ce que je me trompe ? »
Seule réserve, on se demande bien pourquoi Armel Roussel les fait jouer, comme tous leurs camarades, avec un micro H.F., surtout dans de si petits espaces.

Personne ne disait rien

Une petite cabane de jardin en bois avec deux portes. moquette et bancs sur trois côtés. Accroché au plafond, un long poisson argenté: une truite comme dit le texte mais une aussi vraiment grosse? Deuxième monologue de la soirée: un jeune homme qui allait pêcher à la rivière, se fait inviter par une dame qui  visiblement cherche le contact, voire plus.
Lui, parle de ses frustrations sans aucun tabou et parfois en termes crus. Mais rien de passionnant. Ce n’est pas une bonne nouvelle de Raymond Carver et Sam Chemoul a bien du mal à se faire comprendre et à nous convaincre, surtout avec une diction aussi médiocre… et comme la chaleur insupportable dans cet espace aussi fermé, on décroche vite. Il aurait mieux valu au moins laisser les portes ouvertes. Désolé, Armel Roussel, une canicule, cela se gère…

Intimité

Cela se passe dans la salle à manger des acteurs; nous sommes assis autour  d’une longue table où sont posés une trentaine de tasses à café.  Au-dessus, mis à sécher des jupes et chemisiers.Après une généreuse giclée de fumigène! au bout de la table une jeune femme (Eva Papageorgiou)  va nous raconter comment son ex a utilisé des éléments de leur histoire d’amour pour devenir un auteur à succès. Bien entendu, elle n’est pas d’accord et nous donne sa vision à elle…
Là aussi, dans cette petite pièce fermée, on se demande pourquoi l’actrice qui a un micro H.F.  se met à crier et a une diction aussi approximative! Pourquoi aussi des nappes de fumigène envahissent le lieu au début comme à la fin? Pourquoi il y a comme partout des ronflements de basse électronique? Un record de stéréotypes! Pourquoi à la fin la table se met à trembler. Décidément, Armel Roussel aime cela!   Comme ce n’est non plus une bonne nouvelle,  un résultat décevant et l’ennui pointe son nez… On oubliera vite  ce court spectacle sans intérêt, d’autant plus que le texte et la mise en scène du spectacle suivant, eux, sont d’une grande qualité…

Gloriette

Arrivée dans la grande salle de la Tempête recomposée en plusieurs lieux. Notre petite bande est assise tout autour d’une grande chambre à la moquette très années cinquante, chacun équipé d’un casque pour écouter les jeunes et formidables actrices Jade Crespy et Chloé Monteiro qui gèrent un petit hôtel depuis quelques années. Là aussi, le metteur en scène a permuté les sexes.
L’une a succombé aux charmes d’une jeune et belle femme de ménage hollandaise de cet hôtel; nous ne la verrons pas mais elle est omniprésente. Rififi dans le couple: elles se demandent comment gérer cette situation qui a pesé sur leur travail qu’elles négligent: les clients sont mécontents et la direction de l’hôtel les a licenciées.
Conscientes qu’il y a eu un avant mais sonnées et incapables et angoissées d’imaginer l’après…   Il y a ici quelque chose d’une tragédie grecque avec la perception d’un irréversible: elles ont mal toutes les deux.   »Quelque chose est mort en moi. Cela a pris du temps, mais maintenant, c’est mort. Oui, tu as tué quelque chose, comme si tu l’avais abattu à coups de hache. Tout n’est plus que de la crasse. (…) Tu as trahi notre mariage, brisé ma confiance en toi.  
« Et puis, un samedi matin, nous nous sommes réveillées après avoir analysé la situation toute la nuit. Nous avons ouvert les yeux et nous sommes tournées dans le lit pour nous regarder face à face. A cet instant, une même pensée nous a traversées. Nous avions atteint le bout du rouleau et il fallait repartir de zéro…. Le plus drôle, c’était ce sentiment que n’importe quoi pouvait nous arriver maintenant que nous nous rendions compte que tout nous était arrivé. »
Un moment où le bonheur s’est à jamais enfui de leur vie paisible. Ici, Armel Roussel a remarquablement  et sans aucune prétention traduit le climat de cet hôtel modeste et ce point de non-retour auquel sont arrivées les jeunes femmes,  tel que le dit si bien Raymond Carver.

Cathédrale

Douce lumière orange sur les gradins de la grande salle. n nous invite à nous asseoir en haut, après nous avoir offert un bloc et un stylo-bille. Pour, nous dit-on, dessiner une cathédrale dans l’obscurité absolue qui va tomber. Les meilleurs croquis seront ensuite affichés Nous entendrons  juste les voix enregistrées de Karim Baras et Jeanne de Mont.
 Raymond Carver décrit la jalousie du narrateur pour Robert, un aveugle, puis son attachement à lui.  Le narrateur apprend que sa femme correspond en fait par cassette avec ce Robert qui est son ancien employeur.. C’est figure paternelle à la sagesse et à la bienveillance exemplaire, encourage le Narrateur à ne pas rester installé devant la télévision et lui propose de décrire ce qu’est une cathédrale. Nous sommes aussi convié à en dessiner une dans le noir.  Cathédrale, un des dernières nouvelles de l’auteur semble être une sorte de métaphore de l’écriture mais est sans doute plus difficile à théâtraliser.  Même si le travail sur les voix est impeccable, difficile de s’accrocher vraiment. Mais peut-être après quelques trois heures et la canicule, notre attention n’est plus tout à fait la même…

Au total, six séquences dont trois monologues: ce qui est trop: une excellente, trois bonnes et deux pas du tout mais l’ensemble se laisse voir A vous de décider si vous avez envie d’aller jusqu’à cette merveilleuse Cartoucherie, toujours à deux cent kms de Paris, avec ses beaux arbres remplis d’oiseaux… mais juste après le périphérique!

Philippe du Vignal

Jusqu’au 22 juin, Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de manœuvre. Métro:  Château de Vincennes+ navette gratuite.  T. 01 43 28 36 36.

Les œuvres de Raymond Carver sont publiées en français aux éditions de l’Olivier. 

 

Soleil d’après Raymond Carver, mise en scène d’Armel Roussel

 Soleil d’après Raymond Carver, mise en scène d’Armel Roussel

 L’auteur américain (1938-1988) est le roi de la nouvelle : il saisit mieux que tout autre, ce qui en fait la force et le charme. Il ne s’agit pas obligatoirement d’amener le lecteur à une chute brillante, mais plutôt de le conduire d’un presque rien de la vie quotidienne, à un détail, un mot ou un geste qui bouleverse les sentiments et tout simplement la vie des gens. Une émotion, un minuscule malentendu peuvent ouvrir de profondes fissures, parfois vite réparées, mais en laissant quelles cicatrices ? Raymond Carver ne s’attarde pas : un regard aigu ouvre ou ferme la plaie et il n’en écrira pas plus qu’il ne faut.

Un défi pour le metteur en scène : ne pas adapter ces nouvelles mais en dégager et éclairer le théâtre intérieur. Mis sur la voie par le film Shorts Cuts de Robert Altman (1993) , de plusieurs livres de Raymond Carver,  il a inventé une forme particulière pour les présenter : douze séquences de vingt minutes, chacune dans son décor que le public rejoindra par petits groupes à tour de rôle et dans l’espace fragmenté du théâtre de la Tempête. Le pari et la tâche : que les séquences s’enchaînent harmonieusement, sans précipitation ni retard de façon que l’écoute de chaque scène soit parfaite. L’astuce : pour certaines séquences, nous avons été équipés d’un casque audio ; qualité d’intimité que permet l’outil et possibilité que deux scènes, juste séparées par un simple rideau, ne se perturbent pas..

Le dispositif d’ensemble est fait pour peut fonctionner sans accrocs, case par case, à l’image du jeu de bingo (pas forcément nécessaire) faisant fonction de prologue et d’entracte. On en ressent pourtant la lourdeur quand il s’encombre de petites attentes et piétinements : le public, par définition de bonne volonté, n’est pas toujours facile à mettre en scène, surtout avec la précision requise ici. En revanche, le passage des nouvelles, au théâtre fonctionne parfaitement. Pour certaines scènes (Débranchés), nous sommes presque au cinéma en direct, proches des comédiens mais pourtant mis à une juste distance par l’écoute au casque. Pour Tais-toi, je t’en prie, le décor provoque une « inquiétante étrangeté » (mais on ne la dévoilera pas) jusqu’à ce que la fin de la scène lui donne toute sa valeur de métaphore dans la vie du couple.
Avec Pourquoi l’Alaska ? La grande table devenue plateau impose le théâtre. Mais, encore une fois, sans que les nouvelles soient adaptées : les acteurs disent évidemment les dialogues et le récit. Mais non comme des conteurs: en prenant au mot les indications d’action: autant d’injonctions données à leur personnage. Et cela, ajusté avec une telle précision et à un tel rythme, qu’on ne tombe jamais dans l’illustration ni le pléonasme, pour le plus grand bonheur du spectateur. Et les comédiens sont magnifiques. Et il faudra trouver mieux que: «petit bijou» pour qualifier chaque scène, ciselée et réalisée avec une économie parfaite, à la hauteur de celle de Raymond Carver… Rien que la vérité et toute la vérité du texte et du jeu.

Une recommandation : le public doit avoir une parfaite discipline. Obéissance aux consignes : « Perinde ac cadaver essent » (comme s’ils étaient des cadavres), une curieuse phrase du Jésuite Ignace de Loyola… Silence absolu jusqu’au bout d’une séquence de trois scènes, applaudissements uniquement en langue des signes. Le dispositif, compliqué et fragile, l’impose.

 Christine Friedel

 Jusqu’au 22 juin, Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de manœuvre. Métro : Château de Vincennes + navette gratuite. T. : 01 43 28 36 36

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