Le tangible

Le tangible, un spectacle de Eid Aziz, Eve Chems de Brouwers , Tale Doven, Boutïna Elfekkak, Liz Kinoshita, Federaica Porello, Rojina Rahmooon, Mokhallad Rasem et Frank Vercruyssen, en arabe, en anglais et en français surtitré en arabe et en français..

webthetangiblescnefoto5.jpgC’est un travail collectif, comme l’indique Frank Vercruyssen sur la région moyen-orientale, non pas sur le fait brut de la guerre israëlo-palestinienne mais comme métaphore pour parler de l’humain en général, sans avoir la prétention, ajoute-t-il d’analyser une situation géopolitique qui échappe déjà en grande partie à des observateurs pourtant sur le terrain depuis de nombreuses années. Avec l’idée bien ancré de révéler à travers ce spectacle multi-media que ce tangible revendiqué est celui de la perte d’un patrimoine, c’est à dire en gros et pour faire court, de la maison qui appartient à chacune de nous et qui disparaît tout d’une coup, à cause d’un bombardement, avec les souvenirs, les objets les plus quotidiens, qui sont sans valeur autre que celle  d’être une parcelle de la réalité qui nous environne et de notre être. Cela revient à nous interroger évidemment sur ce que nous sommes, nous l’humanité, capables finalement d’infliger à d’autres humains c’est à dire aussi à nous-même.
Le Tg Stan est venu à de nombreuses reprises depuis dix ans au Théâtre de la Bastille et au Festival d’Automne , et l’on retrouve cette fois encore cette façon bien à eux de gérer un spectacle où les règles du théâtre traditionnel ont été depuis longtemps abolies, où il n’y pas de costume revendiqué, et l’on  fait appel à l’image comme à la danse, avec une bande son tout à fait originale.
Et ce nouvel opus est conforme aux précédents, qui donne toute sa prééminence au texte et à l’acteur qui le dit. Une jeune femme aux longs cheveux bruns, puis un jeune homme arabe dit sans aucun artifice des poèmes arabes, en particulier ceux de l’immense Mahmoud Marwich, et de Samih al-Qasim, poète palestinien et citoyen israélien,  des fragments de texte de John Berger, etc…
A mesure que défilent sur le grand écran en fond de scène des images de villes orientales avec des immeubles illuminés la nuit mais aussi d’autres visiblement dont il ne reste plus que la carcasse, le reste ayant été soufflé par des bombes; on voit de temps à autre des routes serrées entre des rouleaux de barbelé, et de loin des hommes et des femmes,, dont on devine pourtant le quotidien de l’effroyable tragédie dans une vie où le peur des drones et des hélicoptères Apaches est omni-présente. Il faut avoir entendu dans le ciel le vrombissement d’avions ennemis au-dessus des villes, sans savoir de quoi peut être faite la minute qui va suivre. On sait même quand on est enfant que tout peut basculer d’une minutes à l’autre et que la maison ou l’appartement tant chéris et constituant de l’identité d’une famille peut n’être plus qu’un amas de ruines. En une perte irréversible! Ici, aucun pathos, mais la force du texte, des images, et de la musique en sourdine qui les accompagnent..
Tout n’est sans doute pas de la même intensité mais, avec un art de la litote consommé, le TG Stan sait dire les choses et les dit bien: soit le refus  jamais vraiment avoué d’Israël d’accepter la reconnaissance d’un Etat Palestinien, dont les prémices ont commencé par l’exode forcé de plus de 700.000 d’entre eux dès 1948. Et dans l’étroit territoire , vivent ou plutôt survivent actuellement trois millions de personnes. Avec un encerclement de murs de plus en plus menaçant comme la ville de Qualqiya totalement entourée par 17 kilomètres de murs avec une seule porte de sortie.
Certes le spectacle ne dit pas tout cela, et on ne voit pas bien parfois où il va et l’on a l’impression que ce collage de textes poétiques, de danse et de photos qui tient aussi de la performance, manque singulièrement de construction.
Mais ce spectacle aide au moins à ce que cette gigantesque exclusion de tout un peuple, gérée hypocritement par l’ensemble des nations, ne tombe pas dans l’oubli. Alors à voir? Ce n’est sans doute pas le meilleur de  Tg Stan mais, malgré quelques longueurs, on ne peut y être indifférent.

 

Philippe du Vignal

 

Spectacle créé à Bergen ( Norvège) en avril dernier. Théâtre de la Bastille/ festival d’Automne jusqu’au 14 novembre.


Archive de l'auteur

Déshabillez Mots


Déshabillez Mots  de et avec Léonore Chaix et Flor Lurienne, d’après les chroniques réalisées et produites par France Inter, mise en scène de Marina Tomé.

82559deshabillezune.jpg  Cela a été pendant trois étés un court rendez-vous ( trois minutes!   à 9 heures 30 les samedi et dimanche matin ) que les deux complices ont eu avec les auditeurs de France Inter. Léonor Chaix et Flor Lurienne , à l’invitation de Julien Bassouls, le directeur du Théâtre des  Trois Baudets, ont décidé d’adapter à la scène cette rencontre avec les mots.
Avec, à chaque représentation, un invité surprise soliste ou chanteur.
Hier soir, c’était impeccablement raté: un certain Tony Truand  dont on  entendait à peine la voix sourde à cause d’une très mauvaise  balance avec l’ampli de sa guitare électrique. Après deux réglages successifs par le technicien son, le résultat était toujours aussi déplorable, passons…
Ensuite,( nous sommes  dans un studio d’enregistrement avec deux fauteuils rouges et une table ronde), les deux  comédiennes s’interviewent à tour de rôle, en convoquant des mots incarnés par l’une ou l’autre. Il y a comme cela: la Légèreté, la Colère, l’Infidélité, L’Elégance, le Mensonge, la Paresse mais aussi la Décision, La Virilité (tiens pourquoi ce féminin? La langue française a de ces fantaisies! ) mais aussi La Pusillanimité, et pour finir l’Onanisme. C’est un procédé ancien que l’allégorie: chez Virgile déjà,  mais aussi dans l’art roman, le théâtre du Moyen-Age, et plus près de nous dans L’Ode à la joie de Schiller mis en musique dans la neuvième de Beethoven) mais que les deux jeunes femmes rajeunissent avec un humour provocateur et une volonté d’en découdre tout à fait exemplaires.
Après tout, et c’est bien ainsi, c’est toujours dans les vieilles marmites que l’on fait les meilleures daubes ( proverbe du Sud-Cantalien).
Tous les sketches ne sont pas à la même hauteur mais qu’importe, c’est un petit spectacle bourré d’intelligence et de fantaisie , où la poésie rencontre l’absurde, le délirant et le verbe bien cru. Il y a  à la fois du  Desnos, de l’Alphonse Allais, du Raymond Devos, une pointe de François Rabelais , de Roland Dubillard et de Ghérasim Luca: chacun y reconnaîtra les siens mais ce cocktail où elles questionnent et mettent en abyme le langage et l’expression orale -comme , entre autres ,ce rapport entre « ennuyant »et « ennuyeux »-est vraiment jubilatoire.
Et, comme les deux comédiennes ont à la fois un diction et une gestuelle  impeccable, on essaye d’oublier une mise en scène pour le moins approximative ( à revoir de toute urgence: la prestation initiale en première partie d’un chanteur qui n’a rien à faire là, des éléments de décor faiblards, des  costumes un peu vulgaires, un éclairage parfois violent et des plus douteux, des liaisons entre les sketches mal ficelées, deux fausses fins et  un manque de rythme dans la toute dernière partie).

 Mais le spectacle, même s’il est encore brut de décoffrage, revu et corrigé, devrait avoir un beau parcours.En tout cas, Léonore Chaix et Flor Lurienne le méritent.

Philippe du Vignal

Théâtre des trois Baudets 64 Boulevard de Clichy 75018. Métro Pigalle ou Blanche, Attention: c’est uniquement  les mardis et mercredi à 21 heures

Méliès, cabaret magique

Méliès, cabaret magique, texte, mis en scène, commentaires,  accordéon: Anne Quésemand.

  georgesmelies4.jpgCela se passe dans la petite scène du Théâtre de la Vieille Grille  où le Théâtre à Bretelles d’Anne Quésemand et Laurent Berman nous  invitent  à venir redécouvrir les petits films du génial Méliès.  
Né en 1861, il apprit la prestidigitation et l’illusionnisme en  Grande- Bretagne puis reprit le Théâtre Robert Houdin pour y  présenter des spectacles.  Puis, quand il découvrit le cinéma, il  entreprit alors  de réaliser de petits films, dont une bonne partie est  fondée sur des trucages tout à fait inventifs et merveilleux pour  l’époque.
Comme le dit Anne Quésemand dans le spectacle, c’est 
Griffith qui disait: « Je lui doits tout  » et Chaplin précisait:  « Méliès est l’alchimiste de la lumière. Mais ce véritable génie du  cinéma et du trucage , sans doute pas très doué pour les affaires, se fit rouler par des grosses firmes américaines et finira dans les années 30 comme boutiquier à la Gare Montparnasse ;  ce sont les surréalistes qui lui donneront une véritable postérité et  le grand Langlois , directeur de la Cinémathèque qui retrouvera  et restaurera une grande partie de  ses  films.
  Les courtes bandes présentées sont à la fois étonnantes  d’invention et de savantes mises au point dans les trucage  ( disparitions subites, transformations, effets spéciaux: Méliès  avait déjà tout inventé il y a plus d’un siècle dont le célèbre   L’Affaire Dreyfus qui fut censuré pendant cinquante ans et le non  moins célèbre  Voyage dans la lune (1902)-  avec une musique au piano  de Laurent Grynzpan; il y a aussi, en, alternance les tours de magie de Paul Maz, ( en alternance avec Sylvain Solustri , chacun avec ses tours évidemment)  d’autant plus remarquables qu’il les réalise devant  nous à deux mètres à peine: journal déchiré en bande qui reprend sa forme initiale trente secondes après, cordon coupé  qui revient  en cercle fermé,  œuf en plastique métamorphosé en vrai. C’est à la fois simple et du domaine de l’enchantement. Anne Quésemand et Laurent Berman,  sagement assis sur le côté, commentent l’action et font les bruitages  nécessaires.  Un travail  rigoureux, sans aucune  prétention mais  avec tout le savoir-faire et la sensibilité propres  au Théâtre à Bretelles.
  Aucune restriction: vous pouvez y aller :  c’est du cousu main:  la scène et la salle ne sont  pas bien grandes  mais cela donne justement une belle complicité entre comédiens/  musiciens et spectateurs, et les enfants qui étaient là prenaient  autant de plaisir au spectacle que leurs parents.

 

Philippe du Vignal

 

Théâtre de la Vieille Grille 1 rue du Puits de l’Ermite 75005 Paris à  
une minute  du Métro Place Monge;
( attention: le spectacle ne se joue pas tous les jours: 01-47-07-22-11)
 

La Noce

La Noce d’Anton Tchekov, mis en scène de Vladimir Pankov.

lanoce1.jpgVladimir Pankov dirige un collectif d’acteurs et de musiciens  à Moscou depuis une dizaine d’années ; il a  réinventé cette petite pièce de Tchekhov écrite en  1888  donc contemporaine d’ Ivanov et de L’Esprit des Bois qui préfigura Oncle Vania) qui est assez souvent montée en France, et inspirée par Le Mariage que Nicolas Gogol écrivit quelque cinquante ans auparavant, et dont le thème sera repris plus tard par Brecht.
C’est comme  un rituel musical et chorégraphique d’une fête  de mariage où sont convoqués:  vertige verbal, fascination sexuelle, mensonges de toute sorte  et personnages aussi ridicules que hauts en couleur: ce qui est à l’origine l’officialisation d’une relation très intime entre deux  êtres, devient alors une fête monstrueuse,où la vodka coule à flots : la moitié au moins des invités  ne connaît pas l’autre moitié, mais il y a aura quand même quelques belles rencontres qui finiront elles-mêmes par d’autres mariages,  comme dans tous les pays du monde. Dans la même euphorie alcoolisée et la même bêtise collective…

   Vladimir Pankov a associé les acteurs/ musiciens  russes de son collectif SounDrama à l’ensemble de la troupe plus traditionnelle du Théâtre biélo-russe  Ianka Koupala de Minsk.Le fiancé est donc un acteur moscovite, mais la fiancée et sa famille sont biélo-russes. Et il y a parfois quelques personnages répliques qui sont dédoublés.
Qu’importe si on se perd parfois un peu dans le sur-titrage, on reste fasciné par cette comédie musicale qui n’en est pas une et où la petite pièce de Tchekov sert en fait de prétexte à une fantaisie théâtro-musicale…

    On est, comme le remarque Béatrice Picon Vallin, dans le réalisme grotesque, où la moindre scène frise le délire et l’absurde, et déraille allègrement! Vladimir Pankov a l’audace d’installer un foutoir total …mais parfaitement maîtrisé où il dirige impeccablement vingt-huit interprètes, et il n’y a pas tellement de metteurs en scène français capables d’une pareille prouesse, à part sans doute Jérôme Savary. Pas vraiment de décor mais une scénographie de tables que l’on place selon les besoins, et qui servent aussi de praticables où l’on peut danser, avec une référence évidente à la grande Pina Bausch.
   Il y a, bien sûr, beaucoup de musique (servie par six musiciens (violon, contrebasse, cor, accordéon, balalaïka et petite guitare hawaïenne) dans un savant cocktail d’airs folkloriques, de chansons de cabaret mais aussi d’extraits de Svadebki  d’Igor Stravinski, et de danses collectives.  Avec une impeccable chorégraphie d’Elena Bogadanovitch, toute d’invention et d’intelligence,  impeccable. 
    Le plus fascinant dans cette succession de tableaux: le savoir-faire remarquable de Vladimir Pankov,  dès qu’il appuie sur la touche départ. Tout parait normal, évident, alors que, sur scène, règne un incroyable va-et-vient, et que tout est réglé avec une précision d’horloger. On pense à ce que devaient être les spectacles de Meyerhold. Rigueur de la direction d’acteurs, même si tous ne sont pas au même niveau et uunité absolue à laquelle parvient Vladilmir Pankov, ceux atouts majeurs  mais sans aucun doute acquis au prix d’un travail à la fois exigeant et raffiné.
  Au chapitre des bémols: sans doute un peu trop de virtuosité démonstrative et  quelque vingt minutes de trop! Mais quand même, quel bonheur, quel moment de partage dans la grisaille théâtrale parisienne ( Nous ne visons personne mais suivez notre regard jusqu’au métro Palais-Royal) et quel enseignement pour le théâtre français!

Philippe du Vignal

Le spectacle a été joué  seulement cinq fois  du 19 au 23 octobre au Théâtre des Abbesses.

Don Juan

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Peu montée,  cette adaptation du célèbre Don Juan a été écrite par  Brecht en 1953 soit trois ans avant sa mort, avec la collaboration de  Beno Besson d’Elizabeth Hauptamann et fut jouée en 54 au Berliner  Ensemble. C’est, comment dire, une sorte de Don Juan de poche où le  héros n’a plus grand chose à voir avec le grand séducteur : il a perdu  bien de son panache et ressemble un peu à Sgnarelle son valet. Don Juan  a abandonné son orgueil mais  non sa rouerie. En fait, Brecht a beaucoup élagué mais a su garder les grandes lignes de la  pièce. Et une heure et demi,  la messe est dite  et bien dite.
Mais nous sommes dans le farcesque, dans le spectacle de bateleurs, et ce sont les personnages – de  pauvres pêcheurs au lieu des paysans imaginés par Molière qui vont  être aussi  les conteurs/ acteurs de cette histoire. Dans la superbe mise en scène de Jean-Michel Vier, pas de décor,  seuls quelques accessoires indispensables, des costumes simplifiés  dont on change à vue, sans aucune prétention: cela pourrait se jouer sur n’importe quelle petite place de village.
Et les comédiens jouent plusieurs personnages, que figurent aussi quelques grandes  marionnettes maniées à vue. Le texte coule sans aucun accroc, avec beaucoup d’élégance,  à la fois dans le dialogue comme dans la gestuelle sur le petit plateau du Lucernaire; les  acteurs qui ne sont pas dans la scène restent toujours visibles formant  souvent un chœur qui commente l’action. C’est d’une intelligence scénique , d’un vrai métier ,  et d’une unité de jeu  incomparables.  Côté mise en scène et  direction  d’acteurs: zéro défaut, zéro tracas: tous les interprètes sont à la  fois humbles et impeccables dans chaque rôle , ce qui n’est pas si fréquent ( suivez  mon regard, madame Mayette, metteuse en scène d’Andromaque) : Valérie Alane (Elvire),  Syvain Katan ( Sganarelle), Pierre Val ( Don Juan), Pascale  Cousteix ( Mathurine), Guy Ségalen ( le Père) et Cédric Villenave  ( le Choeur) .
Et le public , pour une fois assez jeune ,ne boudait pas son  plaisir.  Cela faisait du bien de  retrouver un théâtre à la fois bourré de finesse et accessible à  tous, comme on aimerait en trouver plus souvent. Populaire, oui, populaire, osons le mot; on pense à cette photo mythique de  Jacques Copeau mettant en scène , de façon prophétique,Les Fourberies de Scapin sur quelques praticables place Saint-Sulpice, il y a quelque cent ans déjà…   Alors à voir? Quelle question!

Philippe du Vignal

Théâtre du Lucernaire à 21 heures 30

Oncle Vania

Oncle Vania d’Anton Tchekov, mise en scène de Serge Lipszyc.

  p924504.jpg Oncle Vania, comme le rappelle justement le metteur en scène se situe dans l’œuvre théâtrale de Tchekov à un moment de transition entre les pièces de jeunesse comme Platonov et Ivanov, et les grandes pièces que sont Les Trois sœurs  et La Cerisaie. Oncle Vania, c’est, par le biais du personnage, de  Vania, la peinture de la désillusion, de la fatigue de vivre au quotidien, quand tous les jours se ressemblent dans cette campagne isolée de tout.
Le professeur Sérébriakov, âgé et retraité, est venu  se  reposer dans le domaine familial  avec sa deuxième femme, la jeune et séduisante Eléna( vingt sept ans). C’est  Vania( le frère de l’épouse décédée de Sérébriakov) qui tient la propriété , grâce à un travail acharné, avec sa nièce Sonia, fille de Sérébriakov , lequel  est sans doute incapable de l’aimer vraiment ; Vania a sans doute trimé dur, et ne supporte pas que Sérébriakov , petit intellectuel sans envergure ni talent,veuille vendre le domaine; bien entendu, comme dans toutes les pièces de Tchekov, la question de l’argent est omniprésente et constitue un polluant très efficace dans les relations familiales, puisque Vania reproche à son beau-frère d’avoir vécu grâce aux bénéfices que rapportaient les moissons, alors que lui n’en  voyait guère la couleur. Sonia, elle, aime depuis bien longtemps Astrov  le médecin, qui ne veut même pas s’en apercevoir,  et qui noie dans la vodka sa fatigue quotidienne et son désarroi quand des patients  incurables meurent dans ses bras . Quant à  Maria, la mère de Vania, elle  admire beaucoup son gendre Sérébriakov.
Il y a aussi Téléguine, un propriétaire foncier ruiné qui vit aux crochets de la famille. Et Marina, la vieille nounou. Héléna n’est pas indifférente aux charmes de Vania, et c’est sans doute réciproque. Et  Vania à bout de nerfs fera semblant de tuer  Sérébriakov à coups de revolver; c’en est  trop  et, finalement, sa jeune épouse et lui  repartiront, et  sans doute à jamais. Il y a  encore  un peu de L’Homme des Bois, la pièce qui a préfiguré Oncle Vania, et   certains thèmes de La Cerisaie sont déjà dans l’air: l’attachement profond à la  propriété familiale, enjeu et source de conflits, le désir amoureux, très fort mais voué à l’échec, le sentiment très fortement enraciné que la terre appartient davantage à nos enfants qu’à nous-mêmes, et qu’il faut  la préserver des crimes que l’ homme lui fait subir sans en avoir la moindre idée. Il y a des phrases prophétiques chez Tchekov tout à fait étonnantes, alors que la planète n’était pas menacée comme elle l’est aujourd’hui.
Oncle Vania a été souvent montée ces dernières années, notamment par Lev Dodine, et par Jacques Livchine en plein air dans une mise en scène qui avait  fait l’unanimité. et qui doit surfer sur les vagues de la 80 ème représentation! Celle de Serge Lipszyc est juste correcte, c’est à dire qu’il nous en donne une lecture  honnête mais pas plus et encore;  même avec Robin Renucci dans le rôle titre, qui, lui, ne  semble ne pas être très à l’aise et s’ennuyer un peu..    Il est là ,sans être vraiment là, comme s’il n’avait pas envie de jouer le personnage..Comme s’il n’avait pas réussi à quitter sa livrée de domestique de Désiré de Guitry qu’il avait superbement interprété l’an passé dans la mise en scène de Lipsczyc.
Le reste de la distribution, à part René Loyon/ Sérébriakov et Lipzscyc/ Astrov, tous deux très justes, manque un peu de souffle, et c’est un euphémisme; par moments, cela frise même l’amateurisme distingué. Et il y a des erreurs que l’on  n’arrive pas à comprendre: pourquoi Lipzsyc a-t-il fait réaliser ce plancher en contre-plaqué qui résonne à chaque pas? Pourquoi les lumières sont-elle aussi parcimonieuses? Pourquoi ces changements de dispositifs scéniques avec ces noirs qui paraissent bien longs? Pourquoi ce manque de direction d’acteurs?
Cela dit, il y a  quelques belles-mais courtes-scènes sur la fin, en particulier entre Vania et son beau-frère, entre Astrov et Héléna… A ces seuls moments-là, passe une réelle émotion, surtout quand Sonia  évoque l’avenir avec Vania. Mais c’est trop tard… Alors ? Encore une fois, c’est une mise en scène que l’on peut voir avec un petit plaisir, si l’on n’est vraiment pas trop exigeant… Le spectacle qui s’est déjà joué en tournée, ne pourra guère se bonifier. Mais si un jour l’été prochain, vous croisez sur votre chemin le Vania à la campagne du Théâtre de l’Unité, alors, ne le ratez surtout pas.

 

Philippe du Vignal

 

Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet jusqu’au 30 octobre.

Enfants du siècle

Enfants du siècle, diptyque composé de Fantasio & On ne badine pas avec l’amour d’Alfred de Musset, mise en scène de Benoît Lambert. 

  enfantssiecle2010093733d.jpgCes deux pièces et Lorenzaccio ont été écrites par Musset en 1834 qui n’avait que 24 ans.! Si, si c’est vrai! Fantasio est une sorte de conte  où le jeune Fantasio cynique et révolté, alcoolique, coureur de femmes  et criblé de dettes, qui est un peu le double de l’auteur- adulé dans sa jeunesse mais, on l’oublie trop souvent, mort dans l’oubli à 46 ans -va se débrouiller pour prendre la place  de Saint-Jean , bouffon récemment décédé, du Roi de Bavière. Il a, pour éviter une guerre, destiné sa fille Elisabeth au ridicule et niais Prince de Mantoue qui  s’est déguisé en valet pour être plus près de la Princesse. Mais Fantasio, à la fois pour s’amuser et rendre service, va tout faire pour séduire Elsbeth et faire en sorte que ce mariage avec le Prince de Mantoue n’ait pas lieu…
Mais le Roi est furieux de cette initiative et Fantasio se retrouvera en prison,  mais à l’abri de  ses  créanciers… Que  la belle Princesse dédommagera, mais Fantasio restera derrière les barreaux. Comme l’écrivait Denis Podalydès qui , il y a deux ans monta cette pièce- formidablement écrite  et très séduisante pour un metteur en scène:  » C’est l’expression d’une mélancolie d’autant plus profonde en fait qu’elle semble joyeuse, ironique et farcesque ».
Oui, mais voilà, comme traduire cette expression en termes théâtraux? Podalydès n’avait pas tellement bien réussi son coup, pas plus que Julia Vidit , comme l’a relaté ce mois-ci Barbara Petit ( voir pour ces deux réalisations: Le Théâtre du Blog). Benoît Lambert a choisi d’en faire un diptyque avec On ne badine pas avec l’amour. Scénographie simplifiée: des tables rectangulaires alignées ,  un rideau de fil dans le fond et une distribution qui réunit les acteurs pour les deux pièces.
Nous avons raté le  tout début de Fantasio à cause d’un retard de train mais que dire.? A la fois, la mise en scène de Benoit Lambert a des qualités de sérieux universitaire et de rigueur; il y a de bons comédiens, en particulier: Guillaume Hinckly ( Fantasio), Pierre Ascaride ( Le Roi et le père de Perdican),  Etienne Grebot, ( Le Conseiller du Roi et Maître Bridaine Cécile Gérard ( La Gouvernante et dame Pluche) Emmanuel Vérité ( Le Prince de Mantoue et Perdican)  et, en même temps, cela ne fonctionne pas vraiment et l’on a du mal à entrer dans ce conte à la fois d’un romantisme échevelé qui a des allures de B.D. que Benoît Lambert a bien du mal à faire entrer sur un plateau…
Il y manque sans doute la folie et le charme de Musset qui faisaient aussi défaut chez Podalydès. La faute à quoi? D’abord à une scénographie, vaguement inspirée de celles de Wilson, mais  maladroite et encombrante qui n’aide guère les comédiens, à un éclairage des plus parcimonieux, comme si Benoît Lambert avait- par moment du moins- privilégié la belle image à coup de musique surlignante, ce qui est toujours inutile, au détriment de l’interprétation; la faute aussi  à un manque de rythme, et à une direction d’acteurs quelque peu flottante: pourquoi faire crier sans raison les comédiens? Tout cela n’est pas vraiment convaincant… La lettre de Musset sans doute, mais pas l’esprit. Peut-être ne sommes nous pas tombés sur le bon jour, mais, malgré des qualités, il y a quand même trop de choses approximatives dans ce spectacle.
La mise en scène d’ On ne badine pas avec l’amour- avec ces mêmes tables mais cette fois recouvertes de d’herbe verte avec une fontaine en résine brune très kitch- est un peu plus vigoureuse mais semble souvent hésiter, comme celle de Fantasio, entre le premier et le second degré. On retrouve donc les mêmes acteurs, pour nous faire vivre les amours de Camille et de Perdican, à travers quelques scènes culte que tous les apprentis comédiens français connaissent par cœur…   Difficile de résister à ce texte d’une précision et à d’une  virtuosité du langage qui sont  un peu la marque de fabrique du jeune Musset. Plus de 150 ans après, les mœurs ont sans doute bien changé mais les répliques de Badine sont toujours aussi incandescentes, et Benoît Lambert, cette fois, semble un peu plus à l’aise pour diriger ses comédiens; reste un grave problème, Morgane Hainaux, que l’on a pu voir dans plusieurs séries télé n’est pas crédible une seconde dans Camille: manque de présence, diction souvent bâclée alors que la langue de Musset demande à la fois  précision et  aisance, gestuelle imprécise: bref, rien n’est dans l’axe et c’est plutôt ennuyeux quand il s’agit de Camille: c’est un peu toute la pièce qui s’en ressent.
Alors à voir? A vous de juger! Cela dit, Il y avait beaucoup de jeunes gens à la représentation de ce diptyque qui ne semblaient pas s’ennuyer et qui paraissaient sensibles à cette histoire d’amour  et de jalousie provoquée qui tourne mal, puisque Rosette finira par se suicider mais ce Fantasio et ce Badine nous ont  laissé un peu sur notre faim…

Philippe du Vignal

Spectacle vu à la Comédie de Caen, repris au Théâtre 71 de Malakoff du 4 au 27 novembre.

Dieu, qu’ils étaient lourds!

 Dieu, qu’ils étaient lourds! ,  rencontre théâtrale et littéraire avec Louis-Ferdinand Céline, conception, adaptation et mise en scène de Ludovic Longelin.
 
  img0760.jpgLe spectacle a été construit à partir de différents entretiens de Céline pour la radio dans les années cinquante où l’auteur parle de sa vie, de son enfance où les gifles pleuvaient et où mangeait presque uniquement des pâtes pour ne pas donner d’odeur aux dentelles que sa mère réparait pour gagner sa vie dans un petit appartement du Passage Choiseul éclairé comme les autres au gaz. Et tout sentait le gaz…ajoute résigné le vieux Céline.
Son père était, lui, gratte-papier « correspondancier » comme on disait, dans une banque. Si ce n’était pas la misère profonde, cela y ressemblait et il passa son bac, tout en faisant des petits boulots, puis fit médecine… Bref, un autre monde, mais pas si finalement éloigné du nôtre!

  Et puis il y aussi dans cet entretien avec Céline,  tout ce qui touche au domaine historique, politique et, bien entendu littéraire; sur  son profond antisémitisme. Céline semble regretter ses prises de position, mais, à vrai dire, il  semble s’en foutre un peu et pressé de passer à autre chose. Mais là où il est vraiment brillant , c’est  évidemment quand il parle boutique c’est à dire littérature, non parfois sans crier cocorico, mais quelle insolence, quelle lucidité/  » Je ne suis pas un homme à message, je ne suis pas un homme à idées… j’ai pas d’idées moi! aucune! et… heu…oui, c’est ça… je trouve rien de plus vulgaire, de plus commun, de plus dégoûtant que les idées ». Et c’est merveille que de l’entendre vitupérer sur le roman de son époque: « Le roman n’a plus la mission qu’il avait et n’est plus un organe d’information. Du temps de Balzac, on apprenait la vie d’un curé de campagne, du temps de Flaubert, la vie de l’adultère dans Madame Bovary, etc.. . Maintenant, nous sommes renseignés sur tous ces chapitres forcément renseignés. Et par la presse! Et par les tribunaux! Et par la télévision! Et par les enquêtes de niveau social!  Et bien il ne lui  reste plus grand chose ( au roman) : il lui reste le style! » Que ne dirait-il pas maintenant à l’époque d’Internet et des portables!
Le style auquel Céline aura voué toute son énergie, mais que ce soit Pour Le Voyage au bout de la nuit, ou pour Mort à Crédit, cela sent souvent l’artifice, quand il veut à tout prix recréer une langue orale. Relit-on ses romans plusieurs fois? La réponse est non. Cherchez l’erreur.. Et ces entretiens finalement nous donnent beaucoup plus à voir sur ce qu’était ce drôle de bonhomme, blessé par la vie, courageux et patriote, qui avait une envie qui le tenaillait: celle ce créer son style à lui, mais manquant singulièrement de lucidité  politique.

 Un des meilleurs moments, c’est quand il vitupère sur les philosophes qui savent manipuler la jeunesse. C’est à la fois féroce et juste, d’une formidable écriture parlée ,alors que, d’un autre côté, l’écrivain, malade et pauvre, vit isolé dans sa petite maison de Meudon, et en veut à la France entière qui le lui rend bien. Il évoque ainsi sa vie quotidienne, sans  autre revenu qu’une petite retraite, et somme toute, assez content d’être aussi haï par ses chers confrères., et croit-il, par  l’opinion française en général.
Les phrases sont incisives, souvent prophétiques, d’une clarté  fabuleuse, et on sent qu’il ne vit que pour l’écriture, sans tricher, sans être à la remorque de financements douteux: « N’oubliez pas une chose, la vraie inspiratrice, c’est la mort, n’est-ce pas. Si vous ne mettez pas votre peau sur la table, vous n’avez rien. Il faut payer. Le reste pue le gratuit. » On reste étonné par cette  langue admirable, bien éloignée de celle qu’il a voulu mettre au point dans son écriture romanesque. Bref, comme une confession d’homme à homme, à la fin de sa vie, de quelqu’un qui n’a plus rien à perdre
et qui doit savoir en médecin qu’il était, qu’il n’en a plus pour très longtemps à vivre.
  La mise en scène de Ludovic Longelin ne vaut sans doute pas son adaptation des entretiens: le début et la fin avec des voix off, la lumière sépulcrale pendant toute la durée du spectacle avec le personnage de Céline vissé sur une chaise de bureau, surmonté de deux micros  et la petite scène où officie le journaliste qui l’interviewe, loin de lui: et que le public ne voit pas bien tout cela n’est pas très fameux!
   Marc- Henri Lamelande, lui, fait un excellent travail d’acteur, profondément marqué par Céline, jusqu’à vouloir lui ressembler physiquement, et à adopter sa voix nasillarde,(ce qui n’est sans doute pas la meilleure idée du siècle) et il est très bien soutenu par Ludovic Longelin qui lui pose les questions… Mais Marc-Henri Lamelande est tellement juste, tellement vrai qu’on lui pardonne une diction parfois trop rapide, surtout dans les meilleures fulgurances du texte. Et l’heure passe sans que l’on s’en rende compte.
  Alors à voir? Oui, malgré les défauts de la mise en scène et de la direction d’acteurs, ce spectacle nous donne une autre image de Céline, celle d’un homme émouvant, empêtré qu’il est dans ses contradictions, à la fois lucide et d’un rare aveuglement, plus intéressant finalement que le romancier que l’on a sans doute un peu surévalué.
Mais chaque époque aime bien avoir ses écrivains sulfureux et maudits…

Philippe du Vignal

Théâtre du Lucernaire jusqu’au 6 novembre.

Dernière station avant le désert


Dernière station avant le désert
de Lanie Robertson, mise en scène de Georges Werler.

dernier.jpgLanie Robertson est maintenant un dramaturge bien connu aux Etats-Unis, moins en France où, pourtant Georges Werler a déjà monté plusieurs de ses pièces. Nous sommes dans une station service, comme le dit le titre : au bord du désert, au milieu de nulle part. Un hangar délabré où s’accumulent des vieux pneus et où un bar sert exclusivement  à éponger la soif de Pete, qui ne boit pas que de l’eau.. C’est un gros bonhomme, sans doute pas très futé mais suffisamment quand même  pour sentir le danger et pour se faire respecter; il vit avec Sally, une belle plante, beaucoup plus jeune que lui. Il y a aussi, rescapé de la guerre du Viet nam, un jeune homme,  très choqué encore par toutes les horreurs qu’il a pu voir qui sert un peu à tout et à rien, dans la station service, puisqu’il n’y pas beaucoup de clients, et qui est vite bien sûr ,devenu l’amant de Sally..
Ce dont n’est, pas dupe Pete., contrairement à ce que croient les deux amoureux .Chaleur insupportable du Sud , huis-clos, sinistrose permanente: le cocktail est prêt pour un soudain embrasement de violence. Sally, sans que l’on comprenne vraiment pourquoi, pousse le jeune homme à abattre Pete, comme si le crime pouvait rester impuni. On ne vous racontera pas la suite, fort bien construite; en fait, l’on va apprendre que cette station service minable est en fait une sorte de centre de rééducation privé mais géré par l’armée américaine pour essayer de réinsérer ses anciens soldats paumés…. La trouvaille est astucieuse mais bon…Comme disait Sacha Guitry, les pièces de Scribe étaient bien construites mais on ne les joue plus; celles de Musset sans doute moins mais elles continuent à avoir du succès .Le trio: Vincent Grass/ Pete, Florence Muller/ Sally et Emeric Marchand/ le jeune homme, joue tout à fait bien et leurs personnages très crédibles, le décor sonne juste et le scénario habilement ficelé, trop peut-être:  l’on sent le rebondissement arriver à 130 kms à l’heure.  Et, au début du moins, on se laisse prendre un moment,  mais la mise en scène souffre d’un manque de rythme, comme si Werler s’était surtout préoccupé de mettre un climat en place sans se soucier vraiment de donner du corps et de l’énergie à la suite. Si bien que l’on reste un peu sur sa faim. Alors à voir? Oui, si vous n’êtes pas trop difficile et si vous avez envie de découvrir un auteur   américain dont la pièce n’a quand même pas les qualités de celles de Tennessee Williams…

 Philippe Duvignal

Théâtre du Petit Saint-Martin à 17 heures.

Hot Pepper, Air Conditioner and the Farewell Speech

Hot Pepper, Air Conditioner and the Farewell Speech , mise en scène de Toshiki Okada. 

 

  Ce  créateur  japonais de 37 ans s’est fait connaître il y a quelques années par une sorte de théâtre/ danse , où ce sont moins les mots qui comptent-ceux de l’argot de la jeunesse nippone d’aujourd’hui qu’ un ensemble de gestes où chaque mouvement est d’une absolue clarté, à la limite de l’artificiel, et où la gestion du corps est soigneusement décalée de la parole. Il n’y a en vérité pas vraiment de dialogue mais des phrases souvent répétées de façon obsessionnelle. Le mot engendrant le geste.
Et Toshiki Oikada sait montrer la standardisation, la rigueur impitoyable et le  vide d’un monde urbain où le travail lui-même n’a plus grande signification personnelle. Il semble suggérer, à la façon d’un Brecht contemporain ,que c’est sans doute le prix à payer pour arriver à produire toutes les petites merveilles de technologie que le Japon exporte dans le monde entier…Un téléphone portable, cela ne se paye pas seulement en euros mais aussi en discipline insupportable et en souffrance humaine !    Toshiki Oikada a choisi une scénographie exemplaire df9c74c98c0ef0f3c1.jpg‘intelligence et de raffinement:  qui a les mêmes vertus que le décor d’un nô: des châssis blancs, une grande table, quelques chaises en plastique moulé: c’est tout, pour figurer l’univers impitoyable d’une grande société japonaise où un employé stagiaire va être remercié, et où quelques employés également stagiaires préparent la fête de départ  et en choisissent le restaurant.
C’est au travail précaire et sous-payé que s’attaque Toshiki Okada. En trois courts volets: le choix du restaurant par trois employées pour fêter le départ de leur collègue Erika, puis un dialogue entre deux employés et enfin le discours d’adieu d’Erika. En 70 minutes chrono, où Oikada semble à la fois étirer le temps du quotidien et en même temps concentrer le gestuel. C’est sans doute l’aspect de son travail le plus remarquable.
Tout se passe avec une grande élégance gestuelle et vocale, alors que paradoxalement, l’on sent la  tension monter. Les voix sonorisées  et un éclairage glacial ajoutent encore à la dureté, à l’absence d’émotion et à l’insignifiance des propos où les mots sont essentiellement utilisées pour savoir quel est le degré idéal de la température de la la climatisation ou la mise en cause par les employés stagiaires du  fait que ce soient eux qui doivent préparer la fête,et non les permanents de la maison.
Le surtitrage est très bien réalisé, et c’est vraiment une occasion unique d’aller voir le travail d’un créateur japonais contemporain, à mi-chemin entre une expression dramatique et une chorégraphie superbement réglée.  Et , plus de trois siècles après se vérifie la merveilleuse phrase de son compatriote Chikamatsu Monzaemaon:  » L’art du théâtre se situe dans un espace entre une vérité qui n’est pas la vérité et un mensonge qui n’est pas un mensonge ».

 

Philippe du Vignal

 

Théâtre de Genevilliers jusqu’au 5 octobre; et seconde pièce de de Toshiki Okada : We Are the Undamaged Others du 7 au 10 octobre.

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