Les Rêves de Margaret

 Les Rêves de Margaret de Philippe Minyana, mise en scène de Florence Giorgetti.

margareth.jpg C’est le premier opus des Epopées de l’intime,  cinq pièces inédites de Philippe Minyana qui vont se poursuivre jusqu’au 19 mars dans ce même théâtre. Les Rêves de Margaret, c’est  comme une sorte de conte moderne, de fable  qui se passe dans l’atelier de Margaret, tapissière à Malakoff , ville de la toute proche banlieue de Paris . Il y a a de grandes baies vitrées coulissantes qui donnent directement sur un carrefour puis sur une forêt avec des animaux qui deviennent des personnages.
Margaret vit avec son vieux papa qui élève une poule; elle n’est pas riche,  et accepte de la nourriture que lui apportent des voisins. Elle se lie avec un couple de SDF , apparemment une mère et son fils qui, de temps à autre, viennent prendre une douche chez elle. » Je veux explorer, dit Florence Giorgetti, toutes les teintes du merveilleux qui donne une substance et une saveur unique à ce nouveau texte, et peindre l’infinie fantaisie dans nos solitudes; je veux opérer par touches, vignettes, sens du détail touchant, et faire des allers retours entre réel et irréel « .  Telle est la base de départ du spectacle. de ce qui pourrait s’apparenter, façon 2011, aux contes et légendes de notre enfance …
Et à l’arrivée? Pas grand chose de bien intéressant! Il y a de temps à autre une voix qui commente l’action mais le texte est d’une telle pauvreté que tout se passe comme si Florence Giorgetti le tirait  tant bien que mal au maximum pour qu’il remplisse une  heure vingt  mais, comme  à l’impossible nul n’est tenu, on s’ennuie très vite..
Les acteurs, dont elle dans le rôle de la tapissière, font leur boulot,  mais ce récit et ces pauvres dialogues agrémentés de quelques plates chansonnettes ne peuvent faire illusion. Et l’on n’est pas du tout, mais alors,  vraiment pas du tout, dans ces transports vers l’extra-ordinaire comme le souhaitait la metteuse en scène.
Soyons honnêtes: à l’extrême fin,  quand les humains/animaux de la forêt arrivent derrière les baies vitrées, un frémissement de spectacle existe alors!  Mais c’est  trop tard, et l’on sort de là quelque peu désemparés…
Alors à voir? Nous ne vous le conseillons  pas,  sinon, au cas où vous iriez , nous  recevrions  des tonnes de courriels assez méchants!

 

Philippe du Vignal

 

Théâtre des Abbesses jusqu’au 12 mars.


Archive de l'auteur

Tu devrais venir plus souvent


Tu devrais venir plus souvent de Philippe Minyana, mise en scène de Monica Espina.

 

souvent.jpgLe Théâtre de la Ville a proposé à Philippe Minyana de faire découvrir son écriture théâtrale à travers cinq textes inédits de lui, Les Epopées de l’intime.Le premier est une petite forme, comme aurait dit Antoine Vitez: la simple histoire, sous forme d’un  court récit (quelque 35 minutes), d’une femme qui, un peu par hasard et par obligation, retrouve son village et ses habitants, dont elle n’ a pas revu les visages depuis longtemps certains, voire  des dizaines d’années.
 » Le ciel était lavé, les champs se déroulaient, c’était pour l’enterrement de ma tante Clotilde ». « Je revois en pensée Colette qui tricote, je revois en pensée Luc qui joue du trombone… C’est toujours en effet-qui n’ a pas connu cela? – une drôle d’émotion qui vient s’ajouter à celle d’un deuil-  quand on  retrouve les gamins de son enfance avec  des  cheveux gris. Pendant les obsèques ou au cimetière:  les paroles banales, le plus souvent décousues  et pourtant si vraies de la voix de « la parentèle ».
Comme dit cette femme:  » J’a pas peur de mourir, j’ai peur de disparaître » , « Aline , ma cousine, quand elle parle , on voit ses dents » , « La vie, c’est pas joli, joli; oublie ce que je t’ai dit » ou encore  « Comment va M. Nollet? – Figurez-vous qu’il nous a quittés » ; « Je suis en fin de vie « , dit,  d’une voix aigüe,  Madame Charvet.
Bref, la France profonde, comme si on y était… et dont s’amusent souvent nos amis étrangers! Elizabeth Mazev, seule en scène, fait  cela très bien, avec  tendresse ,  et  juste ce qu’il faut de détachement et d’humour, pour raconter ces petits morceaux de vie où les êtres aimés, ou simplement rencontrés sans beaucoup plus d’atomes crochus, font  partie intégrante d’une vie parfois bien lointaine mais toujours aussi présente à la mémoire: le texte de Minyana a les  mêmes fulgurances poétiques qu’on lui connaît  depuis Inventaires.
Elizabeth Mazev est bien dirigée par Monica Espina dont la mise en scène, en revanche,  est peu convaincante, surtout quand elle utilise un petit arsenal technologique dont elle aurait pu faire l’économie: voix off, voix amplifiée par moments  de la comédienne, bruitages, petites projections de visages au plafond et sur les murs de la salle qui n’apportent rien et qui parasitent le texte si juste et si clair de Minyana.

Philippe du Vignal

Théâtre des Abbesses jusqu’au 5 mars.

Claire en affaires-Dealing with Clair

Claire en affaires de Martin Crimp, traduction de Jean-Pierre Vincent et Frédérique Pain, mise en scène de Sylvain Maurice.

 dealingwithclair.jpg Martin Crimp, dramaturge anglais de 54 ans est maintenant bien connu dans le milieu théâtral français et européen avec des pièces comme Atteintes à sa vie, sans doute la plus connue qui a été traduite  en vingt langues!Le Traitement, La Campagne, Getting attention, Tendre et cruel ou La Ville.( Voir les articles du Théâtre du Blog  du 29 janvier, 24 mai et 8 juin 2009).
Nous avons vu toutes ces pièces à chaque fois avec beaucoup de plaisir , surtout La Ville monté de façon remarquable par Marc Paquien au Théâtre des Abbesses. Claire en affaires, écrite il y a  22 ans, n’a pas une ride, et a même quelque chose de prophétique quant à la spéculation immobilière actuelle.. Et Sylvain Maurice qui voit son théâtre “ comme à la fois très jubilatoire et très cruel et où il y a une forme d’intelligence ludique”, a réalisé une mise en scène de tout premier ordre.
Claire en affaires  a pour scénario l’histoire d’un jeune couple  qui semble plutôt sympathique Mike et Liz ; ils ont un bébé de six mois dont est censée s’occuper une jeune fille au pair napolitaine, et vivent, à Londres,  dans  une maison qui a trois chambres, dont une n’a pas de fenêtre! et où ils logent la jeune fille.
Mais ils veulent vendre cette maison par le biais d’un agent immobilier , Claire qui a une trentaine d’années, indépendante mais visiblement très seule. Le “jeune couple sympathique” veut vendre cette  maison mais Liz comme Mike ont des principes moraux et ne veulent pas profiter de la situation de l’immobilier  pour  faire monter le prix .Gagner de l’argent  pour le vendeur , faire baisser le prix chez l’acheteur: on est bien dans une situation infernale, où les gens se détruisent sans s’en rendre compte, d’autant plus que les sommes en jeu sont très importantes.
Et ce ne sont pas seulement eux qui mais toute la société qui, à cause de ces  petits coups de canif dans le contrat social, va s’en trouver changée. Mais quand James, l’acheteur bobo  éventuel que Claire a déniché , la cinquantaine élégante, qui prétend être assez riche pour acheter cash , se présente pour visiter la maison, les beaux principes de Mike et Liz se fissurent. L’ arrivée de James, (photo ci-dessus avec Claire ), comme dans beaucoup de pièces classiques, va agir  comme une sorte de révélateur de ce qui était soigneusement enfoui. Comme le dit très bien Sylvain Maurice:  “ Ils ne sont pas consciemment cyniques  (…)  et leur pensée semble s’inventer dans l’instant comme tous les personnages de Crimp”.  Et Mike va devenir un redoutable partenaire quand il s’agira d’argumenter, et de faire monter le prix, même si cette maison n’est pas aussi impeccable qu’il le prétend,  si les  poutres qui soutiennent le salon sont en mauvais état et si la troisième chambre n’a pas de fenêtre!
Quant à James, qui  prétend donc  être très  riche, ce qui reste à prouver, il parle beaucoup d’art, d’architecture avec brio, même si cela reste  assez superficiel ; il est à la fois séduisant et intelligent  mais l’on s’aperçoit vite que c’est un mythomane, peut-être très pervers et dangereux, et qu’il s’invente une vie qu’il n’a pas. Mais, comme il  possède, comme peu de gens, le pouvoir de faire rêver , on aurait quand  même  tendance à le croire. Et quand il parle de ses voyages en train qu’il préfère à tout autre moyen de locomotion, il en devient lyrique… Claire semble assez fascinée par le personnage. Mais, dans une admirable et presque dernière scène, influencée par Hitchock, on le voit téléphoner, comme au début de la pièce l’on voit aussi Claire téléphoner:  il est seul et il hurle, en disant qu’il est dans la maison de Claire, mais qu’elle  n’est pas disponible.. En fait, on peut tout imaginer mais plus sûrement le pire. Mais  Martin Crimp n’en dit rien. Claire en affaires  n’a cependant rien d’une pièce policière mais nous renvoie à nous-mêmes et à la banalité de la violence entre les êtres.
Mais comme l’indique aussi Sylvain Maurice, le langage des personnages de Martin Crimp n’est plus seulement un moyen de communication mais une arme redoutable pour qui sait s’en servir. et les dialogues ciselés des très courtes scènes du dramaturge anglais ressemblent souvent à des dialogues de film mais, pas moyen de s’y tromper, ce qui se dit comporte une part de non-dit encore plus importante avec des blancs que le spectateur est prié de remplir au gré de son imagination.
Mais on ne sait finalement trop rien de ces personnages assez opaques mais dont l’histoire ne cesse de nous intriguer. Qui sont finalement Liz et Mike? Que savent-ils de la disparition de Claire? Ont-ils ne serait-ce qu’une part de responsabilité dans cette histoire des plus glauques? On ne le saura jamais…
Martin Crimp est passé maître depuis longtemps dans l’art de construire des dialogues aux propos insignifiants, aux clichés usés que ses personnages disent d’un  ton détaché, sans avoir l’air d’y toucher. Et pour faire bonne mesure, il redonne à d’autres personnages  des répliques que l’on a déjà entendues quelques minutes avant. Et cet art du langage, toujours plein d’humour,  est  parfois d’une cruauté  incroyable, sans psychologie apparente. Martin Crimp est très habile, et  grâce à ce langage extrêmement élaboré, le public  devine tous le petits et gros mensonges, les intentions cachées, la mauvaise foi, comme l’aveuglement de chaque personnage.
Sylvain Maurice a demandé à Marie La Roca une scénographie qui est réussie; c’est,  presque hyperréaliste, un salon petit bourgeois doté d’un seul grand canapé et d’une petite table où tout est laid, mal éclairé par des lampadaires et des appliques minables. Il n’y a même pas de rideaux aux trois fenêtres à guillotine. C’est un bel espace de jeu pour les comédiens qui ,très bien dirigés, sont tous impeccables, en particulier:  Sharif Andoura  absolument remarquable  dans  Mike et  Gérard Watkins qui compose un James complexe  assez effrayant, et  Odja Lorca, très crédible dans cette  Claire  énigmatique.
Pas de vidéo, pas de micro H F mais du vrai théâtre, même si la pièce, à la fin, fait un peu du surplace. On peut être éventuellement déconcerté, du moins, au début par ces dialogues très ciselés, un peu insolites peut-être pour des Français peu habitués à ce type de théâtre  mais tout à fait passionnants dans leur vérité cachée. Comme la mise en scène , la direction d’acteurs de Sylvain Maurice est vraiment de tout premier ordre, n’hésitez pas à entrer dans l’univers  étrange et bouleversant, à la limite du fantastique, de Martin  Crimp. Et vous n’avez aucune excuse:le spectacle n’est pas long : une heure quarante cinq et il y a une navette gratuite depuis l’Etoile pour aller et revenir de Sartrouville.

Philippe du Vignal

Nouveau Théâtre CDN de Besançon et de Franche Comté jusqu’au 19 février et du 1 er au 5 mars au Théâtre de Sartrouville CDN; le vendredi 18 mars     au Théâtre de Mâcon Scène nationale et le 7 et 8 avril à la Scène Watteau Théâtre de Nogent-sur-Marne

Un Tramway nommé Désir

Un Tramway nommé Désir de Tennessee Williams, texte français de Jean-Michel Desprats, mise en scène de Lee Breuer.

untramwaycomdiefranaisethumb400x40028404.jpg  Un an après les représentations d’une adaptation du Tramway par le metteur en scène  Krystof Warlikoswski à l’Odéon, ( voir le Théâtre du Blog du 26 et du 15 février) , c’est au tour de Lee Breuer de s’emparer de cette pièce-culte, joué par Marlon Brando au théâtre en 48 puis  devenu aussi un film culte, celui d’Elia Kazan ( 1951) avec toujours Marlon  Brando, et Vivian Leigh.
  En fait, sauf erreur, c’est la première fois qu’une pièce américaine est jouée salle Richelieu. Vous avez dit, énorme? Eh! Bien, oui, c’est énorme, mais les faits sont têtus, comme disait le camarade Staline; nombre d’auteurs contemporains d’origine étrangère auront ainsi  été jouées à la Comédie-française, et c’est bien ainsi,  des dramaturges étrangers ont été joués, le dernier en date est le jeune écrivain italien Fausto Paravidino… Mais ceux qui sont entrés au répertoire et dont les pièces y ont été effectivement montées, sont bien rares: Ostrowski, Gombrowicz, (mais pas Witkiewicz),  Horvat, de Filippo, Fo, et c’est récent !
 Mais ni Pinter, ni  Wesker, ni  Bond, ni Crimp… Ni Botho Strauss, ni  Handke…Comme s’il n’y avait qu’une seule petite porte royale pour entrer au répertoire, celle de la salle Richelieu…
    Tennessee Williams, vingt sept ans après sa mort, aura donc été le premier  américain à y être joué! En effet, mais pas Eugene O’Neill, ni Edward Albee, ni Arthur Miller, ni Thorton Wilder,  Cliford Odets, ou encore James  Baldwin qui vécut quand même près de quarante ans en France. Passons sur cette grande frilosité franco-française!
  Muriel Mayette  a fait appel à Lee Breuer, metteur en scène new yorkais, créateur de l’excellente compagnie des Mabou Mines, dans les années 70,  qui vint souvent en France et qui y monta Le Dépeupleur de Beckett avec David Warrilow, et plus récemment Maison de poupée au Théâtre national de la Colline. Lee Breuer  pense avec raison que l’on ne pouvait plus monter la pièce comme elle l’avait été à sa création , il y a déjà plus de soixante ans. Mais comment?
Il se réfère à un entretien ( 1960)  entre Tennessee Williams et Yukio Mishima où il dit: “ Il faut être un habitant du Sud décadent  pour comprendre les Japonais. “ Mélange de brutalité et d’élégance » lui répond Mishima, et Williams  lui  précise: “ Au Japon, vous êtes proches des habitants du Sud des Etats-Unis”. Soit.
Lee Breuer ajoute que toute la pièce est dominée par le subjectivisme de Blanche Du Bois. Et, dans un syllogisme parfait, Lee Breuer ajoute: “ La vie est un rêve et ce rêve devient cet orientalisme japonais dans une transfiguration française”.
Lucide, il ajoute quand même une petite réserve: » c’est un choix périlleux”, pour conclure que le parlé français de La Nouvelle-Orléans ne peut plus être transmissible, donc qu’il fallait trouver une métaphore. “ Nous proposons donc l’orientalisme japonais pour illustrer cet esprit du Mississipi d’avant la guerre de Sécession”. C.Q.F.D.
Vous suivez? Non pas vraiment!
Donc,  que fait Lee Breuer?  Il essaye de réaliser une mise en scène japonisante avec tout le savoir-faire qu’on lui connaît. Le spectacle commence par une très belle  image de girls de cabaret, éclairées de lumière bleue. Le début est accompagné de blues au piano à l’avant-scène, pendant que Steve (Bakary Sangaré en aveugle,  à cheval sur le bord de la loge dite du Président de la République) parle à Eunice Hubbell (Léonie Simaga) qui se trouve, elle,  dans la loge en vis-à-vis côté cour…???  Les choses paraissaient déjà  mal parties!
   Lee Breuer va faire défiler, et presque sans cesse, des châssis suspendus représentant des papiers ou des  peintures japonaises, et même- si, si, c’est vrai- des peintures reproduisant en trois exemplaires, le fameux tramway!!!!
  Pendant que, des serviteurs habillés, comme des manipulateurs de marionnettes bunraku (les zukari), de longues robes noires (kurogi) et la tête masquée par un voile aussi noir, vont tendre un verre ou une bouteille de whisky à Blanche ou à Stan, et ranger les accessoires nécessaires aux scènes représentées.
  La scène reste  nue , juste  entourée de pendrillons noirs,  avec des praticables  dotés de quelques marches,  qui vont être déplacés,sans doute par les dessous, en silence, mais, non parfois sans quelque difficultés de raccord, dans une  circulation infernale qui donne un peu le tournis.
   Mais,  pour donner une note de réalisme et faire plus vrai, dans cet univers de pacotille pas vraiment japonais, bien sûr, comme la maison de Stan et de Stella est située dans un quartier pauvre près d’une voie ferrée, on voit même un disque lumineux, censé représenter la lanterne d’une locomotive qui passe,  de temps en temps, et  laisse échapper un petit nuage de fumée. Tous aux abris!
   On comprend que Lee Breuer ait voulu gommer le pittoresque un peu dépassé dont on affuble parfois en France les pièces de Tennessee Williams et n’ait voulu  tenir aucun compte ou presque des longues et nombreuses didascalies écrites par l’auteur. Mais le formalisme absolu et le dispositif  esthétisant-mais souvent assez laid sur le plan plastique mis en place,  font que  sa mise en scène ne fonctionne pas. En effet, tout sonne faux dans ce mélange de jeu réaliste et de scénographie prétentieuse qui casse la pièce.
 Désolé,  Lee Breuer, il faut quand même que soit rendue plus crédible  la folle aventure où s’est lancée la pauvre Blanche Du Bois en s’installant dans l’appartement minable où  vivent sa sœur Stella et son mari Stanley Kowalski. Impossible en effet  de croire une seconde  aux rapports difficiles entre les personnages, et à la déchéance de Blanche, comme si la pièce de Tennessee Williams- toujours aussi magnifique mais, ici, malmenée, s’y refusait.
  Sans tomber dans le décor  construit et  minutieux, comme celui de Baby Doll , mis en scène la saison dernière,  au Théâtre de l’Atelier par Benoît Lavigne, il y avait d’autres moyens de s’en sortir. Et Lee Breuer aurait pu nous épargner ces allers-et-retours dans la salle, et ces inutiles  micros H.F.,  comme s’il découvrait les derniers  petits joujoux scéniques à la mode des mises en scène les plus conventionnelles… C’est très décevant .
Enfin, pour une fois, on échappe à la vidéo que Warlikowski affectionne tellement.   La musique instrumentale et vocale procure des pauses qui sont les bienvenues.  Et l’interprétation dans cette réalisation  quelque peu bancale et sans beaucoup de rythme? Heureusement, là  Lee Breuer, excellent directeur d’acteurs, s’en sort plutôt bien, et sait  traiter les thèmes chers à T. Williams: la violence, surtout celle de Stanley et celle de ses copains tous accros au jeu et à l’alcool, la dépendance  sexuelle de Stella et de Stan, comme de Blanche, le mal-être et la déchéance sociale, la difficulté de Mitch  à s’occuper de sa vieille mère très malade. Aux meilleurs moments,  la solitude de chacun d’entre eux est poignante quand il s’agit de scènes à deux personnages. On sent la vie sans espoir de ce trio infernal et le recours à l’imaginaire le plus délirant chez Blanche, surtout pour ne pas avoir à se confronter  à la réalité quotidienne.
  Seule petite lumière à l’horizon, dans ce marasme social et psychologique: le bébé qu’attend Stella, même si on l’on peut prévoir,  sans se tromper, qu’il va vivre des jours difficiles dans ce taudis. Si Eric Ruf dans Stan ne semble pas vraiment à l’aise (il le serait davantage s’il  savait mieux son texte)… Mais Anne Kessler est, elle, impeccable,  dans Blanche Du Bois,  avec une belle palette de nuances dans les sentiments, et, cela dès le début du spectacle, ce qui n’est pas évident: enfant gâtée qu’elle est toujours restée, coquette  sans beaucoup de goût, minaudant, exaspérante et paumée depuis qu’elle a été lâchée par son grand amour, déjà assez déséquilibrée quand elle arrive chez Stella, angoissée  et menteuse sans scrupules, affolée, puis résignée  par la grande pauvreté du logement où vit sa sœur. Mais aussi alcoolique et  provocante comme la pute qu’elle avouera avoir été dans des hôtels de passe, elle sait aussi être parfois affectueuse avec sa sœur.
Blanche est aussi aussi haineuse et incapable de compréhension pour son beau-frère qu’elle traite avec mépris de « Pollack « et  qui deviendra vite odieux avec elle. Aussi cynique , elle n’hésitera pas finalement à coucher avec lui, quand elle comprend qu’il ne veut plus d’elle chez lui… Comme dans une sorte d’exorcisme personnel ou de plaisir masochiste à aller jusqu’au bout de sa déchéance, puisqu’elle semble devenir consciente  de l’enfer où elle est en train de plonger. Anne Kessler fait tout cela, sans prétention inutile mais avec une belle solidité… Grégory Gatebois, dans le rôle de Mitch, le pauvre garçon célibataire, longtemps attiré par Blanche,  comme Stella que joue Françoise Gillard (l’excellente Roxane de Cyrano) sont, eux aussi, tout à fait à la hauteur de leurs personnages.
Alors à voir?  Pas vraiment, à moins de ne pas être  difficile du tout:  cette japonisation  reste superficielle et pas très passionnante  surtout trois heures durant,  et si  vous  aviez  envie de voir une  représentation assez forte de ce Tramway mythique, vous serez déçu:tout est trop sage,  trop propre sur soi pour être crédible.   Enfin, cadeaux de consolation: vous entendrez  le texte très bien  traduit par Jean-Michel Desprats, et vous retrouverez ou découvrirez Anne Kessler.
Mais la dramaturgie adoptée ne pouvait vraiment tenir la route, et ce que l’on voit sur  le plateau tient plus d’une ébauche, d’une recherche qui aurait dû rester  confidentielle…   Dans ces conditions, autant revoir le film de Kazan, en attendant une autre mise en scène plus convaincante…


Philippe du Vignal

Comédie-Française, Salle Richelieu (en alternance).

 

Dom Juan

Dom Juan de Molière, mise en scène de René Loyon.

     domjuanphoto01.jpgAprès une belle Antigone, René Loyon a choisi de s’attaquer,  avec ses complices habituels,  à Dom Juan , la pièce mythique de Molière et du théâtre français,  dont  tout metteur en scène a un jour rêvé. Mais la pièce n’est pas facile à saisir ni à monter, même si ce « grand seigneur méchant homme « , qui ne cesse de flirter avec les flammes de l’enfer nous parle encore aujourd’hui avec ce côté outrancier du personnage et son orgueilleuse façon de se conduire face à ses semblables, et en particulier avec les femmes.
Mais il ne doute de rien et a pour lui un instrument parfaitement au point qu’il a su perfectionner au hasarde de ses rencontres: le langage dont il sait user au mieux. Que ce soit avec son valet Sganarelle: là, ce n’est pas encore trop difficile,  puisque le pauvre bougre, ébloui par les démonstrations de son maître ne peut compter que sur lui pour vivre, même s’il en désapprouve le cynisme. On pense la phrase de Dario Fô, quand il compare le nombres de mots que connaît le patron et celui que connaît l’ouvrier…La conquête du  pouvoir passe aussi par celle du  langage. Voire avec la brutalité et les gifles  quand il rabat son caquet à Pierrot. Et avec Charlotte et Mathurine, les petites paysannes, c’est un jeu d’enfant,quand il leur promet le mariage… comme avec M. Dimanche qui vient lui réclamer une dette.
Visiblement, Dom Juan n’en est pas à son coup d’essai, il sait bien s’y prendre et son vieux père sera aussi vite berné que les autres.   Dom Juan est un jeune renard qui a vite appris à se débarrasser des gens sans rien leur avoir donné, en leur servant finalement et sans aucun scrupule le discours qu’ils attendent. Petite affaire de psychologie bas de gamme mais qui fonctionne très bien: cette manipulation  s’apprend dans n’importe quelle école de commerce et ce que sait faire un bon vendeur de voitures d’occasion ou un banquier qui essaye de vous refiler un placement soi-disant  miraculeux à coup de flatteries, en insistant sur l’urgence qu’il y a à saisir votre chance.
Pour Elvire,  c’est quand même un peu plus difficile: elle est intelligente et va droit au but:  elle lui fait vite comprendre qu’elle n’est pas dupe de ses racontars qui ne tiennent pas la route. Et seule la statue du  Commandeur aura raison de lui parce qu’il n’appartient plus aux humains: au royaume des morts, le pouvoir du langage de Dom Juan n’est d’aucune efficacité, et une partie de lui-même chez ce beau parleur sait que le match est perdu pour lui. Finita la commedia: avec les femmes comme avec les hommes qu’il a tous dupés : il faudra cette fois  payer cash et mourir.

Reste à savoir comment l’on peut traiter Dom Juan à l’heure actuelle et dans une petite salle comme celle  de l’Atalante, basse de plafond, sans grands dégagements, sans possibilité de vrais décors et capable de n’accueillir que 80 personnes, et encore  en tassant bien. René Loyon , avec une équipe réduite à cinq comédiens s’en tire plutôt bien. Mieux vaut oublier la scénographie avec ces meubles disparates dont  ce grand canapé rouge pas très heureux. Et sa mise en scène n’est pas exempte de certaines facilités comme Dom Juan, allant pisser dans un coin ou caressant le sexe de Sganarelle, ou ce spectre jouée par la comédienne en charge de Mathurine avec un grand drap blanc. Et Loyon a tiré le personnage de Dom Juan du côté du mauvais garçon un peu vulgaire, assez criard  et amateur de chair fraîche. Ce n’est pas toujours convaincant comme cette Elvire qui ne semble pas l’avoir attiré tant que cela.
Mais, à ces réserves près, il y a un rythme très soutenu, et la dialogues entre Dom Juan et Sganarelle sont le plus souvent très réussis. Ydewart Ingey inacrne un Sganarelle plus tout jeune, assez pauvre hère , impeccable de vérité et tout en nuances, ce qui renouvelle complètement le personnage. Et il faut aussi saluer la véritable performance de Jacques Brucher qui tient magnifiquement sept rôles à lui tout seul, dont celui  du père et du Commandeur.

Et il y cette contrainte absolue qu’impose cette petite scène toute en longueur dont René Loyon a su se faire une alliée: la  proximité  avec les personnages est indéniable, comme dans Antigone, ce  qui donne  à mieux voir les personnages. René Loyon, là, gagne des points en ne trichant pas et en étant au plus près de la réalité; c’était un vrai bonheur d’entendre les rafales de rires de ces  jeunes élèves de collège qui n’ont pas vu passer les deux heures de ce Dom Juan, que l’on pourrait dire de poche, à la fois simple et efficace. Comme dirait notre consœur Christine Friedel, c’est un test qui ne trompe pas…

Philippe du Vignal

Théâtre del’Atalante jusqu’au 13 février et ensuite en tournée.

De l’une à l’autre

De l’une à l’autre, composer, apprendre et partager en mouvements, ouvrage collectif.

 img0002.jpgC’est en traduisant l’an dernier le livre de la danseuse et chorégraphe américaine, Anna Halprin:  Mowing toward Life , que, dit Baptiste Andrien dans la préface, nous avons découvert, , l’ouvrage de son mari,  The RSVP Cycles – Creatives Process in the Human Environnement  où il cherche à identifier une structure possible du processus créatif, pour les activités artistiques comme pour l’ensemble des activités humaines. En interrogeant artistes et chercheurs sur leur pratiquer du mouvement à différents stades de la création, se sont révélées trois axes essentiels à la réflexion et à la pratique de la danse: apprendre, composer et partager.  Il va sans dire que les études contenus dans ce gros volume débordent largement le strict territoire de la danse et les dispositifs de création que cherche à analyser d quelqu’un comme Lawrence Halprin, paysagiste écologiste et mari d’Anna Halprin,  quand il examine les liens étroits entre danse et théâtre, mettent l’accent non pas tellement sur le résultat mais davantage sur le déroulement. A travers quatre étapes fondamentales que sont  pour lui: Les Ressources, Les Structures ou Partitions, la Valuaction, mot valise qui désigne la dimension tournée vers l’action et la décision au sein du cycle, et P pour, en américain,  « performance », que l’on peut traduire par faire , mettre en œuvre.  Ce cycle R S V P en fait  semble constituer pour Lawrence Halprin, comme une sorte de méthodologie  individuelle mais il souligne que l’ordre de ces étapes  fonctionne  dans n’importe quel sens, et que cette méthodologie peut également être aussi collective. Le plus grave danger consiste selon lui à privilégier un but   qui devient alors un véritable piège et une approche simpliste, quelques soient la sophistication des moyens mis en œuvre… Lawrence Halprin met  ainsi en  lumière la démarche des Indiens Navajo avec  leurs peintures sur sable, avec chants et danses , rites archétypaux qui visent à guérir des troubles psychologiques et qui ont un lien incontestable avec le théâtre contemporain. un lien incontestable.
Lawrence Halprin accorde ainsi une place importante à tout ce qui est de l’ordre de la partition, que ce soit  la partition musicale très précise ou bien ouverte , la page de l’almanach chinois pour l’année à venir ou celle du calendrier de juin 1970  d’un agriculteur américain. L’aspect le plus important étant leur dimension exploratoire du travail artistique à venir. Il y a aussi dans ce même volume, une réflexion intéressante  du chorégraphe Steve Paxton sur la notion d’improvisation ; il rappelle , par exemple, que danser dans un bal est possible, parce que la perception du son devance de quatre millièmes de seconde la position  respective des membres, ce qui ouvre effectivement de singulières perspectives sur la manière dont notre cerveau à tous, relie les sens entre eux  et sur la coordination entre l’œil, la main et le corps dans un temps et un espace donné. Suit le texte fondamental Illustration ( 1923) de la célèbre méthode Alexander où l’auteur insiste sur les moyens adoptés pour développer une appréciation sensorielle nouvelle et fiable à partir de l’étude et de la compréhension des mouvements du corps.
Il y a aussi un important chapitre où Laurence Louppe, historienne de la danse, montre que la chorégraphie comme, dit-elle,  les grands arts du temps: musique, littérature, danse,  (elle oublie-les Dieux savent pourquoi-le théâtre! ) est en Occident le seule à garder un rapport avec la tradition orale, parce que, selon elle, la danse ne saurait recourir au signe , parce que son essence même est d’ignorer le détour. Mais elle rappelle que l’écriture chorégraphique n’a rien à voir avec la notation, du moins, en apparence et elle explique que la danse contemporaine, dans la quête d’un mouvement poétique absolu comme chez Trisha Brown et Mary Wigman par exemple, « correspond à une partition intérieure, mouvante et intime ». Le texte qui fait plusieurs fois référence à Dante et  au Chant XVIII du Paradis n’es pas toujours d’une lecture aisée mais , que ce soit sur la notion de création en danse et sur les méthodes de notation-Feuillet et surtout Laban- offre de singulières pistes de réflexion. Avec, en regard du texte, de magnifiques dessins de notations comme ceux  de John Weaver ( 1706) et de Rameau Le maître à danser (1725) qui semble préfigurer les Calligrammes de Guillaume Appolinaire.  Nous ne pouvons évidemment citer tout citer mais La Recherche intérieure , essai de méthodologie de notation de l’expérience d’improvisation  par Patricia Kuypers, où la chorégraphe belge   raconte comment dans ses carnets de notes , elle utilise l’auto-observation  non pas pour observer la forme extérieure du mouvement mais mais les sensations, les images et les sensations mentales, etc … qui le sous-tendent? Un des textes qui  est sans doute l’un des plus forts: quatre écrits du chorégraphe Robert Ellis Dunn décédé l’an passé, dont l’atelier,  au début des années 60, au Studio Cunnignham de New York  avait donné naissance au très fameux Judson Dance Theater.  Dunn propose avec la méthode qu’il a mis au point toute une vie d’aider les chorégraphes à  » conceptualiser » une danse.
Ce recueil offre donc à travers des approches à la fois pratiques et théoriques sur l’enseignement du corps, sur l’expérience que provoque l’invention et l’écriture d’une chorégraphie,  de nombreuses et très fructueuses pistes de réflexion aux danseurs mais aussi à tous les  praticiens de la scène.


Philippe du Vignal

Editions Contre-Danse, Bruxelles,  28€

Le Cabaret des vanités

Le Cabaret des vanités , dramaturgie et mise en scène collective du Groupe Incognito.

Ecabaret.jpgn 2008, quelques jeunes comédiens et chanteurs , issu de l’Ecole du Théâtre National de Strasbourg avaient déjà monté Le Cabaret des Utopies où ils posaient la question d’une société meilleure; cette fois, ils s’amusent à à dresser une sorte de tableau des vanités tout à fait à l’honneur dans la société de consommation, avec un spectacle qui tient davantage du cabaret. Et ils citent les paroles fameuses de l’Ecclesiaste: Vanitas vanitatum et omnia vanitas… en prologue à ce spectacle qui use de collages de textes les plus inattendus et de nombreuses chansons qui, tous célèbrent la seule liberté que possède l’être humain: se moquer de sa propre disparition pour mieux jouir encore de la vie.
Avec en  vrac: une interview du très riche François Pinault assez lucide sur sa boulimie de collectionneur,  un discours des plus prétentieux de Blond-Blond, comme dirait Christophe Alévèque, l’héritier de Neuilly, un entretien avec Céline, Le Caca d’Antonin Artaud, un texte poétique: L’Oiseau bleu de Bukowski, une étonnante Proposition d’art à faire soi-même de Miranda July, écrivain et artiste américaine.
Côté chansons,  entre autres: Mon  Dieu,  de Nana Mouskouri, La mort me hante de Colette Magny sur des paroles d’Artaud; Que la vie est belle de Sheila… Ils sont sept, accompagnés de deux musiciens et de quelques amateurs,  à dire ces textes , à chanter, et danser ; les paillettes, le strass, les costumes criards  et un cadre de tubes fluo d’un blanc cru tout aussi criard, des gerbes de ballons rouges sont au rendez-vous pour mieux souligner cette joyeuse danse macabre que ce collectif de jeunes comédiens vient nous servir à chaud.
Il y a, aux meilleurs moments, l’héritage de la pensée de Deleuze qui avait consacré sa thèse au suicide et qui, malade, avait fini par se défenestrer, et  quelque chose aussi de ce burlesque flamand cher à Michel de Ghelderode, comme dans cette scène de grand repas ou, à la fin, cette grandes boîtes de bois blanc où ils s’allongent pour l’éternité, tout en continuant leurs espiègleries.
Les textes sont bien dits, et les chansons bien chantées, notamment par Olivia Côte et  par Emilie Incerti-Formentini, tout à fait juste et émouvante. On voit qu’ils ont tous été dans de bonnes écoles. Mais… regrets sur quoi l’enfer se fonde , comme dirait Guillaume Apollinaire: la mise en scène , comme c’est souvent le cas dans ces « collectifs » qui sont de nouveau très à la mode chez les jeunes  comédiens, histoire de mieux résister à la morosité ambiante, reste assez approximative. Tout semble se faire un peu à l’arrache, avec un peu d’impro pas vraiment maîtrisée; les textes, pourtant bien choisis, ne sont pas suffisamment mis en valeur et les chansons pourraient bénéficier d’une meilleure balance avec la musique. L’ensemble est sympathique, c’est sûr ,mais ce Cabaret des vanités manque singulièrement de rythme, comme d’unité, et il faudrait  que l’un des membres du Groupe Incognito prenne  en main ce qui ressemble  encore trop à une série de propositions qui exigerait une véritable mise en scène pour être plus convaincante…

 

Philippe du Vignal

Théâtre de la Commune, jusqu’au 11 février mardi et jeudi à 19h 30, mercredi, vendredi  à 20 h 30. T: 01-48-33-16-16

 

La Fin ( Koniec)

La Fin ( Koniec) d’après Nickel Stuff, scénario pour le cinéma de Bernard-Marie Koltès, Le Procès et Le Chasseur Gracchus de Franz Kafka,  et Elisabeth Costello de John Maxwell Coetzee, adaptation de Krysztof Warlikowski et Piotr Gruszynski,  mise en scène de Krysztof Warlikowski.       

      lafin.jpg On connaît bien en France maintenant le travail de Warlikowski, dont le Hamlet avait été présenté au Festival d’ Avignon il y a dix ans déjà,  où fut également joué en  2009 dans la Cour d’Honneur, (A) pollonia (voir Le Théâtre du Blog juillet 2009 ) , montage à partir de textes d’Eschyle et Euripide mais aussi d’auteurs contemporains comme la romancière polonaise Hanna Kral, J. Littel , ou encore John Mawel Coetzee avec des fragments d’ Elisabeth Costello, texte que  l’on retrouve dans cette Fin.
Dans une unité dramaturgique très forte, le passé se bousculait avec le présent, le texte avec la scénographie et les images vidéo, et le créateur de ce spectacle magnifique ,malgré quelques longueurs, avait su admirablement évoquer la dignité et la souffrance du peuple polonais.  Warlikowski reprend  ce même processus d’écriture
pour La Fin, où la scénographie   tout à fait remarquable de Malgorzata Szcesniak sert de fil conducteur à cette tentative d’exorcisme, si l’on a bien  compris ses intentions du créateur polonais, dans  la relation qu’il  a avec le corps et la pensée féminine. A travers une sorte de tricotage -associé à une transmission vidéo presque permanente- des quatre textes cités plus haut , dont un scénario de cinéma, pour Koltès,  et des dialogues du  Procès d’Orson Welles.
Chacun des personnages mis en scène par Warlikowski, ont une vie qui a, pour dénominateur commun, une sorte de seuil  » de la loi, de la vie, de  la mort » qu’ ils ne peuvent arriver à franchir. Joseph K. se retrouve ainsi prisonnier d’une procédure incompréhensible  où il ne sait même pas de quoi il est accusé;  Tony, le héros de Koltès , envisage la possibilité d’un crime, Le Chasseur Gracchus est à la fois mort et vivant: « Ma barque est sans gouvernail, elle marche avec le vent qui souffle dans les plus profondes régions de la mort », dit-il au maire de Riva.; quant à Elizabeth Costello, en proie à une  traque juridique, elle doit se plier à un examen de conscience aussi implacable qu’absurde, et se retrouve dans un centre de rétention, en proie aux interrogatoires d’un petit fonctionnaire…
Comme toujours chez Warlikowski, la mise en scène  est d’une très grande qualité plastique, et les acteurs polonais font un travail impeccable. Pourtant, là où il avait       réussi son coup avec (A)polonnia, cette fois, ce long spectacle de quatre heures ne fonctionne pas très bien, en grande partie , parce que Warlikowski s’est laissé prendre, comme bien d’autres   au piège de la retransmission vidéo qui est vite devenu  un procédé à  la fois, stéréotypé, inefficace et fatiguant pour le spectateur. Il faudrait qu’il nous explique, en quoi un travail théâtral acquiert une dimension supplémentaire quand il fait filmer des personnages derrière une vitre sur le côté, à demi cachés,  ou même sur le plateau, pour retransmettre  leurs visage en gros plan sur un écran de six mètres carrés. Ou encore mieux, quand il filme un escalier de coulisses et des loges de comédiens !On nous  a déjà fait le coup cent  cinquante fois,  et ce théâtre dans le théâtre à la sauce électronique n’a strictement aucun intérêt. C’est prendre les spectateurs pour des gamins de cinq ans  qui , eux, ne seraient même pas fascinés par  d’aussi pauvres trouvailles….A l’heure de jeux vidéo, heureusement, ils en ont vu d’autres et bien plus inventifs!
Quant au  public, pris en otage, il est prié de voir à la fois  les personnages dans l »espace scénique, et leur image vidéo en gros plan, envahissante diffusée presque en continu , d’entendre le texte  en polonais, et en prime,  sur un  écran de   surtitrage placé en fond de scène le texte français, et une bande sonore… Au bout d’une heure, on est vite  assommé par ce déluge d’informations. Mais, comme la soupe concoctée par  le créateur polonais dure quand même trois heures avant l’entracte, on crie grâce. D’autant plus que, sur le plan dramaturgique, le spectacle est  nettement bien moins construit qu‘(A)pollonia)
Après l’entracte, il y a eu une hémorragie de spectateurs mais il y a comme une embellie:  les dialogues semblent plus efficaces et le scénario plus rigoureux, si bien que les 55 minutes restantes passent relativement  vite. Mais on a connu Warlikowski mieux inspiré. Ma voisine, qui devait avoir une vingtaine d’années, sans être émerveillée, et qui n’avait jamais vu un de ses spectacles, trouvait qu’il y avait quand même quelques belles et fortes images. Sans doute, mais il faut les mériter…
Alors à voir?  Pas vraiment.  1) Si vous avez envie de découvrir l’univers de Warlikowski, il est urgent  d’attendre, vous  risqueriez fort de trouver  le temps vraiment long d’autant que, sans doute par provocation, Warlikowski a accroché, dans la seconde partie,  une pendule qui fonctionne parfaitement, bien éclairée par un spot lumineux, sans doute pour  nous dire que cette petite heure va vite passer… 2) Si vous avez vu (A)polonnia en Avignon ou à Chaillot, vous aurez bien du mal, en comparaison, à y trouver votre compte.
Il serait  temps que Warlikowski revienne à un vrai travail  théâtral, au lieu de faire joujou avec des assemblages de textes et avec la vidéo, ou  choisisse un autre medium pour se livrer à cet exorcisme    personnel  qui , finalement, a bien du mal  à nous toucher. Et cela ne fait que confirmer ce qui semblait déjà se dessiner dans cette adaptation du Tramway nommé désir, déjà pas vraiment convaincante…

 

Philippe du Vignal

 

Théâtre de l’Odéon jusqu’au 13 février.

Le Musée de la mer

Le Musée de la mer de Marie Darrieussecq, traduction de Sjon, mise en scène d’Arthur Nauzyciel.

Après deux spectacles présentés à Reykjavk depuis 2007, Arthur Nauziciel a été invité par le Théâtre national d’Islande à y créer une mise en scène et il a demandé à la romancière Marie Darrieussecq,  avec  laquelle il avait déjà collaboré pour Ordet d’écrire une pièce à cette occasion et qui l’a effectivement été cette même année 2007, soit peu de temps avant que l’Islande ( 320.000 habitants) ne connaisse un  traumatisme exceptionnel due à une terrible crise financière et donc économique qui  a eu des répercussions presque immédiates sur la plupart des grandes banques européennes qui avaient investi dans ce pays , fleuron du capitalisme pur et dur, reconnu    comme étant à la pointe du revenu par habitant et en terme de progrès social.
Donc Marie Darrieussecq , fascinée par ce pays de l’extrême où elle est allée souvent, a écrit cette sorte de conte qui devait- c’était la contrainte imposée par Nauziciel- être traduite en Islandais pour être créée à Reykjavik , avec la collaboration donc de Sjon, le parolier de Björk qui en assuré la traduction  et du compositeur Bardi Johansson, et de la chorégraphe Erna Omarsdottir.
C’est l’histoire d’un couple Lizz et Will qui se réfugient, parce qu’ils ne trouvent plus un litre d’essence, chez un autre couple May et Man qui vivent très pauvrement dans un pays en état de guerre. Ils gèrent un aquarium/musée de poissons, dont ils sacrifient quelques uns pour se nourrir. Il y a aussi  un poulpe,  et Bella qui est une sorte de monstre
museemer3.jpg, comme une sorte de veau marin. Et l’on assiste à une sorte de cohabitation pacifique entre les deux couples et les deux enfants. mais on entend au loin des cris et des bombardements… La guerre est bien là, qui semble  préluder aux graves difficultés que va connaître l’Islande un an après.
Marie Darrieussecq, romancière expérimentée qui avait publié Truismes, son premier livre en 96 , universitaire avertie  et qui doit  quand même avoir quelques idées sur le dialogue théâtral,  dit pourtant assez naïvement, qu’il n’ a rien à voir avec un dialogue de roman (sic).  » Une phrase pensée pour le théâtre doit pouvoir être dite, et même elle doit trouver sa justification sur scène: c’est à dire répondre à une exigence venue de la bouche d’un autre personnage ou venue de la scène elle-même, de la présence des corps. »
Merci pour cette merveilleuse découverte… qui ne nous éclaire pas beaucoup sur ses intentions en ce qui concerne ce Musée de la mer dont l’écriture reste tout de même assez pathétique. La mise en scène  rigoureuse d’Arthur Nauzyciel, tout comme le jeu précis des acteurs  du Théâtre national Islandais, ne peuvent rien rattraper. Et ce qui aurait pu faire l’objet d’une nouvelle, essaye de flotter ici dans un univers qui se voudrait dramatique mais auquel on ne croit pas une seconde.
Et l’ennui, malgré une  réalisation soignée , est vite au rendez-vous. En fait, ce qui manque le plus, c’est une vraie vie, un véritable dialogue qui induirait une relation forte ente ces personnages fantomatiques dont la vie nous est, du coup, absolument indifférente.Et la guerre,  ses bombardements, et  la terreur qui s’empare de toute une population qui a faim: désolé, on connaît bien , Marie Darrieussecq, et  c’est quand même autre chose, que  cette piécette  écrite « dans une langue très elliptique (…) qui appelle une mise en scène pour exister ».( sic)! Tous aux abris!
Et ce ne sont pas quelques belles images qui peuvent donner le change.   Arthur  Nauzyciel ni un autre metteur en scène ne pouvait rien sauver de ce désastre programmé; il suffisait de bien  lire la chose  qui sert de texte pour s’en convaincre.   A l’impossible , nul n’est tenu, comme disaient nos grands-mères… Reste un mystère: pourquoi Nauzyciel s’est-il lancé dans cette opération et pourquoi Pascal Rambert a-t-il accueilli ce Musée de la mer?

 

Philippe du Vignal

 

Spectacle créé au Centre dramatique d’Orléans;  au Théâtre de Gennevilliers,  vendredi 4 à 20h 30; samedi 5 à 15h et 20h30; dimanche 6 à 15 heures et mardi 8 à 19h 30. t: 01-41-32-26-10

La Voix du danseur dans tous ses états.

La Voix du danseur dans tous ses états.

 Comme le remarque Dominique Dupuy, on peut retrouver la parole des danseurs et chorégraphes dans différents documents ( les  archives de l’INA) notamment audio ou audiovisuels. Mais cette parole reste muette, peu diffusée, moins que celle d’autres artistes. Et pourtant qui n’ a pas eu envie d’écouter la voix si particulière de Serge Lifar,  de Martha Graham, etc… Qui sont,  comme le dit Claude Sorin,  » autant de traces de convictions où s’appuient leurs gestes chorégraphiques ». Cependant elle existe, elle étonne ceux qui l’entendent, elle renseigne ceux qui s’intéressent de près à la danse.
Mais c’est vrai aussi qu’elle a  été et demeure souvent partenaire dans tous les domaines de la création contemporaine, y compris bien entendu le théâtre qui s’est beaucoup rapproché de la danse dans les années 60, en particulier avec Eugenio Barba, Grotowski,Le Théâtre laboratoire Vicinal de Bruxelles, etc..
Une journée  d’étude sera consacrée, le  13 février prochain, à ces » paroles en action », initiée et animée par Dominique Dupuy , et ARCADI, avec , entre autres: Emmanuelle Hynh, Blandine Masson, Joëlle Vellet, Claude Sorin,Claude Rabant….
Cette rencontre sera ponctuée de diffusions d’archives sonores et visuelles que l’on n’a pas la chance d’entendre ni de voir si souvent.

 Ph. du V.

 L’entrée est libre sur réservation obligatoire sur www.arcadi.fr
Fondation Biermans-Lapôtre,  Cité Internationale de de Paris 9 A Bd Jourdan 75014 Paris ( Entrée fléchée par le 17 Bd Jourdan).

1...584585586587588...625

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...