Mademoiselle Julie

Mademoiselle Julie d’August Strindberg, traduction de Terje Sinding, mis en scène de Christian Schiaretti.

   mllejulie.jpgLe directeur du T.N.P. avait déjà monté Camarades et Père du célèbre auteur suédois.Le diptyque Mademoiselle Julie et Créanciers complètent la représentation de cette  » tragédie naturaliste »; ce sous-titre de Mademoiselle Julie dit bien que la pièce  est surtout fondée  sur la thématique ontologique de la relation homme/femme ».Et Schiaretti a raison de préciser qu’à l’instar des tragédies classiques, le tragique de Srindberg possède  une unité de temps:(une nuit);  de lieu: la cuisine d’une demeure de grands bourgeois., et enfin  d’action avec seulement trois personnages, en fait ,plus souvent deux: Julie la fille du comte  et Jean le domestique; Christine la cuisinière et fiancée de Jean n’étant qu’une sorte de contre-point indispensable.
Avec une difficulté réelle pour tout metteur en scène: comment concilier la situation tragique d’un amour impossible  et un naturalisme évident. Christine fait la cuisine devant nous, Jean cire les bottes du comte, en même temps que se noue une passion dévorante et insoluble dès le départ, sinon par la mort et la séparation entre deux êtres.
Strindberg révèle ici son mal-être permanent, et la question des relations entre hommes et femmes , surtout quand elle ne sont pas du même milieu, l’a visiblement taraudé toute sa vie. Il faut rappeler que sa mère avait d’abord été la servante de son père avant quelle ne se marie avec lui, et lui-même a divorcé trois fois…
Et le dramaturge suédois reconnaît sans détour qu’il a puisé le thème de Mademoiselle Julie, dans la vie réelle; toute la pièce est en fait un « immense règlement de compte entre des êtres dressés les uns contre les autres dans une perpétuelle revendication « comme disait Adamov:  » et un antagonisme violent entre l’homme et de la femme,  fondé sur  un problème d’ascension et de  chute sociale ».  Julie ne peut pas admettre les raisons de Jean , et réciproquement. Finalement ,tout les sépare, même s’ils ont toujours vécu dans la même maison. C’est ce que va révéler cette  nuit de la Saint-Jean, où bien des choses sont permises et où les relations entre maîtres et serviteurs  plus floue qu’à l’habitude: Julie, qui a rompu ses fiançailles est  attirée par Jean, même si l’on ne danse pas avec les paysans ou les domestiques, et même si Jean est déjà fiancé avec Christine la cuisinière.
Et sitôt Christine sortie de la cuisine, elle  se jettera sur Jean qui ne résistera pas bien longtemps.Il a sans doute une revanche à prendre et rêve comme elle mais pas pour les mêmes raisons de s’échapper  de cette maison.Il rêve sans doute d’un ailleurs mais saura se montrer inflexible avec Julie quand il aura besoin d’argent et elle  n’hésitera pas à voler son père pour partir avec lui refaire leur vie à l’étranger,. Même s’il se rend compte que le piège s’est déjà refermé sur cette liaison qui n’ a qu’une issue:  la mort de l’un d’entre eux. Et c’est lui qui, sans état d’âme, qui donnera un couteau de cuisine à Julie pour qu’elle se tue.Il faut une victime sacricifielle mais ce ne sera pas lui:  » Il faut toujours étudier la nature des êtres avant de donner libre cours à la sienne « dira-t-il cyniquement.

Christian Schiaretti a réalisé une mise en scène de tout premier ordre. Avec d’abord une scénographie exemplaire signée Renaud de Fontainieu qui réussit à concilier un naturalisme bien visible: Christine cuisine réellement pour Jean un petit plat qu’elle fera flamber sur un piano de grande maison: plaque chauffante, plan de travail et évier érunis en rectangle, avec four en fonte en dessous, mais, derrière point de murs, juste un espace libre avec  une longue pente qui mène à une double porte coulissante  qui laisse entrer et sortir les personnages, dans un superbe contre-jour.Impressionnant, non de vérisme mais de vérité et d’intelligence. On est à la fois dans le réel le plus terre à terre: la cuisine et, en même temps dans une dimension ontologique, un autre monde où a lieu l’autre vie des personnages dont nous ne savons peu de chose, une vie hors-champ en quelque sorte. Nous avons bien souvent dans ces mêmes colonnes fait remarquer l’insignifiance de telle ou telle scénographie, pour dire combien celle-ci est en parfaite harmonie avec la remarquable mise en scène de Christian Schiaretti.
Cela fonctionne un peu moins bien  , puisqu’il s’agit à peu près du même décor , avec Les Créanciers dont vous rendra compte Christine Friedel. Ce qui est le plus impressionnant c’est la direction d’acteurs de Christian Schiaretti, toujours juste et précise comme sa mise en scène. Pas de détails inutiles , pas de vidéos parasitaires, mais un respect et une intelligence du texte de Strindberg, comme rarement nous l’avions entendu, sans aucun doute grâce aussi à la belle traduction de Terje Sinding . Seul petit bémol, l’introduction de personnages masqués avec des têtes d’animaux: belle image  mais pas vraiment utile.

La pièce est  servie par trois acteurs de tout premier ordre: Clara Simpson dans le petit mais indispensable rôle de Christine, Clémentine Verdier dans une  Julie  et dont elle rend très bien la volonté de possession d’une belle jeune femme qui a visiblement besoin de rompre avec son milieu et qui en voit bien toute l’impossibilité matérielle et morale. Wladimir Yordanoff, exceptionnel dans Jean. Manipulateur, cynique, assoiffé de revanche sociale mais quand même très lucide sur ses faibles chances de réussite, puisqu’elles dépendent de Julie dont il a eu envie mais qu’il n’aime pas. Wladimir Yordanoff fait un travail tout en nuances et sait bien rendre les deux facettes de  ce personnage de Jean, domestique, devenu  d’un extrême cynisme avec celle qui reste la fille de son patron, et  qui, en même temps, reste attentif au moindre coup de sonnette de monsieur le Comte. On n’efface pas des années d’obéissance servile…
Nous venons  d’assister en direct à un moment d’attirance sexuelle, immédiate et foudroyante entre deux êtres dont devine que leur histoire va basculer en quelques heures dans l’irréparable. Echec programmé, malgré l’abnégation de Christine. Et la dernière scène de rupture,  quand Jean laisse Julie, désemparée, partir avec le couteau qu’il vient de lui donner, est de toute  beauté dans  la noirceur d’un rituel de mort qui n’ose pas dire son nom.Noirceur sans doute mais qui, comme toutes les noirceurs , ne cesse de nous fasciner! La mort de Julie  ne préfigure-t-elle pas au fond la chute sociale de Jean le domestique qui se rêvait propriétaire d’un hôtel restaurant?
La fable inventée par Strindberg a plus de cent ans déjà mais reste d’une vérité cruelle: il suffit de lire les pages de faits divers des quotidiens. Et Christian Schiaretti  cette signe là une mise en scène vraiment exceptionnelle.

A voir sans aucune réserve. Vraiment comme Les Créanciers mais peut-être vaut-il mieux voir les deux pièces séparément.

Philippe du Vignal

Théâtre national de la Colline jusqu’au 11 juin. T: 01-44-62-52-52


Archive de l'auteur

Vivre dans le feu

Vivre dans le feu, d‘après les carnets et poèmes de Marina Tsvetaeva, adaptation et mise en scène de Bérangère Jannelle

Cette écrivaine russe est maintenant bien connue en France. Née en 1881, elle avait eu une enfance plutôt joyeeuse jusqu’à la mort de sa mère tuberculeuse. Elle suivit des cours d’histoire de la littérature à la Sorbonne, ce qui devait être  rare à l’époque pour une jeune fille. Très vite, elle se maria avec Efron,  un jeune officier, tout en ayant une liaison avec le poète Ossip Mandelstam mais aussi avec la poétesse Sophie Pranok. De retour en Russie, les ennuis commenceront avec la famine et l’une de ses deux filles mourra de faim dans un orphelinat où elle l’avait placée pour qu’elle puisse survivre!
C’était une amie de Boris Pasternak et de Rainer-Maria Rilke et elle vécut à Paris où la colonie russe blanche se méfiait d’elle, tout comme Staline en Union soviétique. Trop indépendante et trop libre aux yeux des hommes : en refusant de se soumettre, elle en paiera le prix cher. Son mari Efron, soupçonné d’avoir participé à l’assassinat d’un espion soviétique,sera fusillé. Quand elle reviendra avec son fils en 39, elle survivra, seule et  misérablement, et après qu’on lui ait refusé un emploi dans une cantine, elle finira par se pendre en 41. Entre temps, elle aura quand même eu le courage et la force d’écrire des milliers de pages de poèmes, carnets, Journaux intimes,voire même des tragédies, inspirées des  grands dramaturges de l’antiquité grecque.
Cette femme exceptionnelle fut passionnée par la vie, l’amour, la poésie et les Russes finiront par la réhabiliter en 55. Ses écrits restent toujours aussi bouleversants: on y trouve des phrases aussi fortes  comme:  » J’ai trouvé une devise: deux verbes auxiliaires: être vaut mieux qu’avoir ». Ou  » Passer sans laisser de traces est peut-être  comprendre le temps et l’univers ».
Dans le cadre du Festival Seules en scènes, Olivier Meyer a demandé à  sept actrices-dont Michèle Guigon et Meriem Tenant (voir Le Théâtre du Blog)- de se confronter au grand plaisir mais aussi à la difficulté d’investir un plateau en solitaire, avec des textes écrits par elles ou par de grands auteurs. Ainsi Marie-Armelle Deguy avec une adaptation de La Princesse de Montpensier de Madame de La Fayette.
Une bonne idée, mais cette ancienne salle des fêtes qui abrite maintenant le Théâtre de l’Ouest Parisien  où le public voit mal le plateau, n’est guère adaptée à ce genre d’exercice mais, bon, quand on est dans les premiers rangs, cela va encore et il y a eu d’excellents spectacles. Natacha Régnier, plutôt actrice de cinéma à la belle présence, et que l’on n’avait jamais vue sur scène ouvre le bal en disant des extraits  des carnets de Marina Tsvetaeva. Il y sur scène un petite table blanche, avec plein de cartons remplis de feuilles de papier, que Natacha Régnier dispersera ensuite au  sol et une sorte de bannière verticale où s’inscrivent d’abord le mot F E U en grandes lettres rouges qui tient plus d’une œuvre d’art conceptuel, n’a guère sa place ici. A la fin, on verra même sur cette banderole des gouttes de sang couler!  Tous aux abris…
Il y a aussi, dans le fond et sur le côté, des animaux rouges, et un grand rocher en polystyrène où Natacha Régnier montera, une épée à la main pendant que la neige tombe…. Si, si c’est vrai! Très vite, à cause d’un manque d’éclairage (assez surprenant!) et d’une mise en scène ronronnante, l’ennui s’installe. Natacha Régnier a une belle présence en scène et une diction claire et juste mais ne peut pas faire grand chose contre la médiocrité et la prétention d’une mise en scène aux fausses bonnes idées, qui se voudrait créative mais sans rien faire  entendre de la pensée fulgurante de cette écrivaine.
Ce n’est pas à coup de fumigènes, sculptures contemporaines, sonatines et morceaux de musique symphonique, que l’on donne à percevoir  une  poésie de cette intensité.  On veut bien que ce projet, comme Bérangère Janelle l’écrit avec beaucoup de naïveté, « soit bâti autour de l’enchantement ». Mais ici, d’enchantement, que nenni! et elle aurait dû faire les choses plus simplement, au lieu de se lancer dans un travail  à la fois théâtral et plastique  peu convaincant. Dommage! Mieux vaut aller revoir Natacha Régnier dans l’un de ses nombreux films dont le formidable La Vie rêvée des anges d’Erick Zonca et relire au calme , le soir dans un jardin, les merveilleux écrits de Marina Tsvetaeva.

Philippe du Vignal

Du 5 au 16 octobre, Théâtre de l’Ouest Parisien, avenue Gambetta, Paris (XX ème) jusqu’au 7 mai; le spectacle sera repris au Théâtre des Abbesses, Paris (XVIII ème) .
Festival Seules en scènes,jusqu’au 25 mai. T: 01 46 03 60 44.

http://www.dailymotion.com/video/xgjovs

Semianyki

Semianyki de et par  Olga Eliseeva, Alexandre Gisarov, Marina Makhaeva, Kasyan Ryvkin, Elena Sadkova, Yulia Sergeeva.

    teatrsemianyki.jpgOn avait vu souvent  autrefois la compagnie Licedei,  troupe comique de très haut niveau fondée en 68. Semianyki ( la famille) est issu en fait d’un spectacle d’une promotion de l’ école fondée par cette même troupe, il y a une dizaine d’années. Spectacle que Gérard Gélas avait accueilli  dans son Théâtre du Chêne noir en 2005, et qui, depuis, a parcouru le monde.
C’est une tranche de vie d’une famille aussi improbable que burlesque: il y a le père, ridicule, habillé comme un clodo et  qui ne boit pas que de l’eau, la mère énorme bibendum qui attend un enfant , leur fille aînée,  leur fils , la cadette et le bébé ; ils ont des cheveux ébouriffés roux ou blancs, ou des couettes qui bougent toutes seules, et affublés de grosses lunettes …
Quelques éléments scéniques, comme sur le côté jardin, un piano droit  qui laisse échapper , de temps à autre, des corps de poupée, un lustre en dentelle  déchirée, un téléphone noir d’autrefois avec un fil interminable,  un tricycle d’enfant muni d’un pupitre d’orchestre… Et ce sont des musiques de bandonéon  et  d’Amérique du Sud entre autres mais aussi les Gymnopédies d’Eric Satie, qui servent de toile de fond à tout un univers burlesque qui se met en marche. Buster Keaton comme les Marx Brothers,   ne sont jamais loin dans ce monde déjanté où l’on joue sans cesse avec l’attente du spectateur.Les gags se succèdent à grande vitesse mais  généralement en plusieurs temps. C’est d’une drôlerie savamment mise au point: il y a chez ces comédiens comme une sorte de mécanique implacable qui détermine la moindre de leurs actions ,gestes ou déplacements mais dont la vraisemblance n’est paradoxalement jamais exclue: comique de situation, comique de répétition surtout quand toute la famille  fait  le même mouvement loufoque, inversion des positions,interférence inattendue  dans une série de gestes, erreurs fatales et chutes  dûes à la distraction, événements inattendus comme ces canards prêts à cuire qui tombent des cintres par dizaines, et dont l’un va bizarrement remonter seul du sol au petit lustre de dentelle où il restera accroché: les comédiens dirigés par Boris Petrusshamskiy  connaissent tous les numéros du registre clownesque; et ils le font avec une si formidable précision et en même temps, ce qui n’est pas incompatible, avec une telle  générosité, qu’ils nous embarquent sans difficulté dans leur univers.
Bien entendu, le public, en particulier le enfants, est  immédiatement séduit, et  marche au quart de tour. Les personnages que le six comédiens ont créés, occupent donc en fait tout le plateau dans cette série de gags souvent connus mais revisités avec beaucoup d’intelligence et et d’invention. Et c’est tout leur corps comme leur visage qui est constamment en mouvement dans un délire sans paroles: le seul mot prononcé par la mère est: allo, quand elle intercepte un coup de téléphone… destiné à un spectateur qu’elle fait venir sur scène. Ce qui est le plus étonnant dans le spectacle est la précision gestuelle -collective ou individuelle-des numéros qui se succèdent sans aucun temps mort., et jusqu’à la fin que
l’on ne vous dévoilera pas.-qui n’est ni très neuve ni très écologique- mais qui ravit le public; public auquel ils lui font souvent appel dans une merveilleuse complicité.
Certes, on  ne rit pas sans cesse  pendant cette heure quarante (ce n’est pas un défaut et ce serait impossible) et le spectacle a peut-être un peu de mal à démarrer mais on est tout le temps ébloui  par ce ballet d’êtres ridicules et qui ont conscience de l’être, par cette maîtrise incroyable du corps fort peu répandue chez nous et  dont on ne se lasse pas. Les comédiens de Semianyki, formés à bonne école, sont vraiment de grands artistes. Allez-y  sans réticence ; vous ne le regretterez pas; ce n’est pas tous les jours que l’on rit dans le théâtre  contemporain… Après  le sinistre et interminable  Noli me tangere, cela fait du bien!

Philippe du Vignal

Théâtre du Rond-Point  à 20 h 30, jusqu’au 2 juillet.
6 juin 2011 Festival de théâtre de Tomblaine puis d’août à octobre 2011, tournée en Amérique latine et en  novembre 2011 reprise de la tournée en France

La Noce chez les petits bourgeois

 La Noce chez les petits bourgeois de Bertold Brecht, traduction de Magali Rigaill, mise en scène de Julie Deliquet.

lanoce0082sabinebouffelle.jpgLa Noce chez les petit bourgeois, on l’oublie souvent, a presque cent ans, puisque Brecht l’écrivit  en 1919, il avait alors juste vingt et un ans. Et ce n’est sûrement pas un hasard, cette  pièce en un acte, est souvent jouée par les jeunes compagnies. On peut y mettre beaucoup de choses, la situer à une époque ou une autre, lui adjoindre de la musique et des chansons, la  jouer réaliste ou plutôt poétique.
Bref, c’est une formidable auberge espagnole pour des comédiens réunis en collectif comme c’est le cas avec In Vitro. ou bien d’autres. Comme si la notion de collectif ressemblait peu ou prou à un rempart contre la solitude et le manque de contrats.
Charlotte Maurel, la scénographe, avec trois bouts de ficelle et demi, et du matériel de récupération, a réussi quand même à recréer un univers des années 74 ; soit au sol, un lino imitation de parquet à chevrons en chêne. Une  table en verre à roulettes avec  un électrophone 33 tours, un petit bar en tour avec bouteilles, un fauteuil  tournant de bureau bien affaissé, tous meubles dont personne ne vaudrait plus aujourd’hui, une armoire  pauvrette avec un papier à motifs des plus hideux, pur jus années 70 , et enfin deux tables disposées en T, avec une nappe bien laide et des serviettes à carreaux rouges.   Plus loin, sur le côté, il y a une banquette en plastique crème à vomir et des chaises tubulaires  avec une galette ronde en agglo recouvert de vinyl rouge foncé. Dans le genre laideur poussée à l’extrême, c’est plutôt bien vu.
Les costumes sont, eux, moins réussis et n’ont ni unité  ni vérité. Pas bien mais pas grave: on oublie, et on fait avec. Quand on entre dans la petite salle,  les invités de la noce sont déjà à table: tout le monde fume , parle fort et boit déjà pas mal; il y a là  toute la famille, Jacob et Maria,les deux jeunes mariés, le père qui se lance dans un discours  confus et a une forte tendance à parler opérations avec force détails pas très ragoûtants, et insiste lourdement sur le toucher rectal.. Déjà bien imbibé, il se lance dans une imitation de Giscard d’Estaing. On danse le boogie, mais très vite, le repas bascule dans l’ennui et l’agressivité, bref le cœur n’y est pas, ou plus tout à fait et  les  gens de la famille tous âges confondus, vont se révéler de plus en plus glauques.
En poussant la table pour pouvoir danser, un des invités casse le pied d’une table, et la banquette  va s’effondrer aussi. Et comme c’est Jacob, dont Maria est si fière ,qui se vante d’avoir lui-même réalisé les meubles, il n’apprécie pas du tout. Maria, elle, danse en se dénudant les seins et se laisse draguer sous l’œil indifférent de son mari. Bref, la soirée dérape de plus en plus, malgré les desserts apportés par la mère, et  on  continue à remplir les verres de vin rouge. Les couples commencent à s’injurier et une jeune femme , elle aussi bien imprégnée, révèle que Maria est enceinte.
Les invités,  qui n’ont rien à se dire,  vont  alors à fuir courageusement ce champ de ruines;  les deux jeunes mariés se retrouvent seuls,  et  font un triste bilan: pourquoi on s’est marié? Pourquoi t’as dansé avec cette dévergondée? Malgré tout, mi-pleurant mi-riant, ils  vont  s’embrasser goulûment – la vie même médiocre reprend le dessus – avant d’aller faire l’amour à moitié nus dans le fond de la scène… Comme pour exorciser cette soirée au triste  avant-goût de ce qu’ils vont aussi devenir dans une dizaine d’années: condamnés à vivre en commun une vie de bofs, aussi vulgaires que leur famille  venue  pour leur mariage,  rite obligatoire de passage pour  leur  entrée dans la société. Et l’on rit mais un peu jaune.
Presque cent ans après l’écriture de la pièce , remaniée en 29,  ce petit acte du jeune Brecht tient encore bien  la route. Sans doute grâce à la traduction précise de Magali Rigaill qui ne mâche pas les mots de Brecht  et tout d’un coup, ils retrouvent une verdeur et une vérité bien savoureuses. Grâce aussi et surtout à la qualité de la mise en scène, et à  la direction d’acteurs rigoureuse de Julie Deliquet: avec, en amont, sans doute  de nombreuses impros et un long  travail en commun: tous les comédiens-
pas de vedette et une réelle complicité- ont une formidable aisance sur scène, comme  s’ils  avaient toujours vécu là, et une belle unité de jeu .
C’est à la fois jubilatoire et  insolent. Aucune tricherie, aucune  criaillerie  mais  un ton et une gestuelle toujours justes; les personnages sont bien là, dans une grande proximité avec le public ,même si l’interprétation est parfois inégale. Il faudra que le spectacle se rode;  il est encore un peu brut de décoffrage et mieux vaut oublier les justifications théoriques un peu embrouillées de Julie Deliquet. Mais cette  réussite de travail collectif  qui, « mutatis mutandis, » comme dirait Giscard d’Estaing, rappelle (ne rougissez pas de plaisir Julie Deliquet) les tout débuts du Théâtre du Soleil avec Les Petit bourgeois ou La Cuisine… Si, si c’est vrai, et nous jurons devant Brecht que c’est vrai.
Reste à vendre ce spectacle, et il y a neuf comédiens, et, par les temps qui courent,  ce n’est pas gagné. Croisons les doigts pour eux; ils  le méritent.

Philippe du Vignal

La Noce ,traduction de Magali Rigaill est éditée chez l’Arche.

 Salle Panopée: 11 avenue Jézéquet à Vanves jusqu’au 7 mai; ce 7 mai, il y a, avant La Noce, une reprise du précédent spectacle d’ In Vitro: Derniers remords avant l’oubli de Jan-Luc Lagarce:  encore un histoire de famille…

La nouvelle saison de l’Odéon par Olivier Py.

La nouvelle saison de l’Odéon par Olivier Py.

Pour les épisodes précédents et le résumé du feuilleton théâtro-politico-élyséen, voir Le Théâtre du Blog ( Les petits tours de prestidigitation de tonton Frédo). Pour l’heure, c’est l’encore maître de maison, Oliver Py qui officiait dans l’ancien foyer du Théâtre de l’Odéon pour sa conférence de presse annuelle.  Après quelques cocoricos  forts justifiés sur la saison passée, Olivier Py ne cache pas son émotion, et on le comprend:  » Je suis très triste, de polivierpy.jpgar le fait du Prince,  de quitter cette maison, son architecture et surtout  l’équipe avec laquelle j’ai travaillé pendant quatre ans, soit un an et demi, pour faire démarrer les choses, deux ans et quelque pour atteindre le plein régime.Il me reste donc un an à être encore dans ces murs ».
« J’ai demandé au Ministre de la Culture de préserver les projets en cours dont celui de l’opération Villes en scène que j’avais mise en place. Cela a été particulièrement douloureux, dit-il- et on peut le croire quand on voit la façon dont F. Mitterrand  s’y est pris- cette annonce de non-reconduction. Ce n’est pas moi mais ce sont les idées, celle de promouvoir un théâtre de service public, mais aussi le fait  d’avoir des relations suivies avec l’Éducation nationale qui étaient à la base du travail que nous avons mené tous ensemble; mon équipe et moi ,nous  nous sommes battus  pour recréer ce  théâtre public que toute l’Europe nous envie mais qui  crée des devoirs : nous avons donc élargi le public en pratiquant  des prix abordables, et  en remplissant les salles sans tomber dans la démagogie mais cela  été remis en question par le Ministre; c’est toujours le public qui légitime l’action d’une équipe théâtrale et non l’audimat ,  et nous avons toujours considéré le spectateur comme un relais avec d’autres spectateurs éventuels.
C’est vrai , je suis triste de quitter l’Odéon mais  ma dernière saison dans ces murs, je veux l’accomplir avec enthousiasme dans trois directions essentielles à mes yeux: un projet européen dont  quatre spectacles allemands,  et une saison qui soit une sorte de miroir d’histoires d’amour. Olivier Py insistera bien,  et à plusieurs reprises, mais sans jamais citer le nom de son successeur potentiel Luc Bondy sur la dimension européenne de son travail en cours: Ivan van Hove avec un  Misanthrope en allemand surtitré, Castorf avec La Dame aux camélias avec des comédiens français, Ostermeier  avec son Mesure pour mesure, et  Cassiers avec une nouvelle pièce Sang et roses. Il y a aura aussi  la reprise de  Tramway de Warlikowski, tous déjà bien connus en France mais aussi le Belge Fabrice Murgia avec une pièce de lui Le Chagrin des ogres, et surtout  La Maison de la force de la grande Angelica Liddell qui avait été la révélation l’an passé du Festival d’Avignon ( voir encore Le Théâtre du Blog). et l’Estonien Tiit Opsaoo: autrement dit, suivez mon regard, puisque c’est ce manque soi-disant de » dimension européenne »,  que le Ministre, sans doute à court d’arguments,  avait  injustement reproché à Olivier Py.  Deuxième axe de cette prochaine saison: l’accession à l’Odéon de nombreux jeunes metteurs en scène qui se plaignent d’être laissés en marge des institutions.  Comme le disait joliment Vitez: « Le plus dur,  c’est de pénétrer dans la citadelle », et il était bien placé pour le dire!
Et, du côté français, on retrouvera Joël Pommerat avec Cercles/ Fictions , Ma chambre froide et Cendrillon: grands  moments de théâtre des saisons passées. Olivier Py créera Roméo et Juliette dont il veut montrer la dimension politique et Prométhée Enchaîné. Fiesbach reprendre sa Mademoiselle Julie qui va être créée au Festival d’Avignon, avec J. Binoche et Nicolas Bouchaud.
Beau programme à la fois exigeant sans être branchouille, et osons le mot ,populaire sans être vulgaire… Franchement, que pourrait demander le peuple? L’éviction d’Olivier Py qui se révèlait  déjà  être  un  beau gâchis, se confirme …  Le Ministre de la Culture qui  n’a décidément pas la main très heureuse en ce qui concerne les nominations, aurait pu en faire l’économie. Olivier Py  a aussi ajouté  que c’était pour lui l’occasion de dire qu’il nous appartenait à tous de demander aux candidats à la Présidence de mettre la culture au centre de leur programme. Là on veut bien, mais avec Marine Le Pen, la réponse, au moins, on la connaît déjà; quant au Président actuel, même s’il s’ s’agite en ce moment pour montrer qu’il possède quelques brins de culture, on peut être tout à fait sceptique sur ses intentions…
On souhaite en tout cas à Olivier Py, comme il le veut profondément, qu’il puisse poursuivre  au Festival d’Avignon, tout le travail  qu’il a réalisé à l’Odéon; encore faudrait-il, comme il l’a rappelé,  que le conseil d’administration du Théâtre de l’Odéon demande à celui du Festival d’Avignon d’entériner la proposition de tonton Frédo qui, de toute façon, ne sera plus ministre dans un an tout juste.
Décidément l’affaire est compliquée, quoiqu’en disent les services du Ministère de la Culture. D’ici là, beaucoup d’eau aura coulé sous les ponts de Paris comme d’Avignon.

Philippe du Vignal

Odéon-Théâtre de l’Europe,Paris le 2 mai.

Lettres d’amour à Staline

Lettres d’amour à Staline de Juan Mayorga, texte français de Jorge Lavelli et Dominique Poulange, conception et  mise en scène Jorge Lavelli.

  Juan Mayorga, à 46 ans, membre du collectif  théâtral El Astillero de Madrid, a écrit une trentaine de pièces, et est sans doute l’écrivain espagnol contemporain le mieux connu en France. Et sa pièce pour le moins complexe,Le Garçon du dernier rang, qu’avait monté Jorge Lavelli en mars 2009 ( voir Le Théâtre du Blog) , mettait singulièrement en lumière les difficultés que nous éprouvons tous quant à notre identité et  le pouvoir de la manipulation. ..
 Cette fois, la pièce  de Juan Mayorga, à travers quelques épisodes de la vie de Boulgakov, constitue, comme le dit l’auteur lui-même,  » une méditation sur la nécessité pour l’artiste d’être aimé du pouvoir, nécessité aussi forte que celle du pouvoir à être aimé de l’artiste ». Boulgakov (1891-1940)  fut d’abord médecin, puis se mit à l’écriture: on lui doit plusieurs romans dont le célèbre Le Maître et Marguerite,  et plusieurs pièces; il  fut ,  tout  au long de sa courte vie, à la fois  jalousé  par Meyerhold, Maïakoswski, et Taïrov, ce qui fait quand même beaucoup, et  joué par Stanislawski,  mais n’a cependant pas pas cessé  d’avoir de sérieux ennuis avec la censure et cela ,dès les années 20. Staline l’admirait beaucoup et l’a même aidé, mais s’en méfiait terriblement. Au moins, lui,  ne fut-il pas exécuté…
  Staline, comme le dit Jorge  Lavelli, » cette bête redoutable dont la voix et la volonté ont irradié la fin de la seconde guerre mondiale » régnait alors sur les intellectuels et il n’y avait aucune possibilité de se démarquer du régime, sauf à se taire et à ne plus écrire que des choses inconsistantes.
Sur cette base historique t simplifiée, Mayorga en profite pour nous parler des situations  déchirantes à un moment de la vie, qui accablent les grands poètes comme n’importe lequel d’entre nous. Dans ces Lettres d’amour à Staline, on voit donc le malheureux Boulgakov avec son épouse à un moment où il ne sait plus très bien comment rester lui-même face à une censure sans nom, sans visage mais terriblement efficace et éprouvante.

  Et Boulgakov décide alors d’écrire une lettre à Staline pour lui demander de quitter l’Union soviétique, même provisoirement, puisque tous ses écrits sont systématiquement rembarrés par un pouvoir occulte. Et, fait extraordinaire, il reçoit même un jour un coup de téléphone du petit père des peuples, en personne qui désire beaucoup le rencontrer pour avoir un entretien avec lui. Mais, fatalité ou volonté du maître absolu du Kremlin,on le saura pas, la communication est soudainement coupée. Et la vie de Boulgakov va devenir insupportable, et sa personnalité elle-même en est dévorée. Il l’écrit: « mes forces sont brisées, je n’ai plus le courage d’exister dans cette atmosphère de traque, je sais qu’à l’intérieur de l’URSS, il m’est interdit de publier mes livres ou de faire jouer mes pièces ». Mais l’exil tant demandé ne lui est pas accordé.
 Il y a dans la pièce de Mayorga deux personnages: Boulgakov et sa femme, sans doute la deuxième,( il en eut trois) qui joue au début surtout le personnage de Staline en cherchant à l’incarner au maximum dans une sorte d’exorcisme, puis Staline lui-même ou son fantôme, sort d’une armoire , en costume militaire blanc, et va passer dans la vie du couple, comme un être maléfique qui ne cesse de hanter la pensée de l’écrivain. A raconter comme cela, cette manipulation psychologique devrait être aussi passionnante à observer qu’ effrayante.
 Malheureusement , le texte de Mayorga n’a pas, et de loin,  les mêmes qualités que celui  du Garçon du dernier rang. Et cette farce philosophico-historique, bien bavarde, sur la cruauté et la bêtise humaine fait long feu, comme si l’auteur avait voulu surtout privilégier la fable plus que les personnages qui semblent, sauf à quelques rares moments, assez  inconsistants. Le dispositif scénique imaginé: des meubles sévères: tables, chaises,banquette, armoire, lit, le tout rangé au cordeau sur une moquette rouge n’est pas non plus d’une fabuleuse inventivité; quant à la direction d’acteurs, on a connu le grand Lavelli mieux inspiré. Les trois acteurs: Luc-Antoine Diquero, Gérard Lartigau et Marie-Christine Letort font ce qu’ils peuvent mais ne savent pas quelle direction de jeu prendre, et criaillent trop souvent pour être vraiment crédibles. Même la gestuelle est souvent fausse ou conventionnelle…
  Mission peut-être impossible: comment représenter des personnages comme Boulgakov et Staline sans tomber dans l’anecdotique? En tout cas, ces quelque 95 minutes dégagent un ennui profond. Comme l’auteur était dans la salle hier soir, les Français, qui sont  (en général mais pas toujours) des gens  polis, l’ont applaudi, mais sans grand enthousiasme… Et ce ne ne serait pas très honnête de vous  recommander ce spectacle.
  Décidément il y a des semaines comme cela: après le Noli me tangere, ces Lettres d’amour à Staline ne donnent pas trop envie de fréquenter les auteurs contemporains…Et ce n’est pas avec ce genre de spectacles que l’on attirera les jeunes au théâtre!

Philippe du Vignal

 

Théâtre de la Tempête jusqu’au 29 mai. t: 01-43-28-36-36

Noli me tangere

Noli me tangere, texte et mise en scène de Jean-François Sivadier, avec la collaboration artistique de Nicolas Bouchaud, Véronique Timsit et  Nadia Vonderheyden. 

   btdjeanfrancoissivadiernolimetangerecreditsbrigitteenguerandwebsite.jpgLe titre reprend le fameux:  » Noli me tangere » (Ne me touche pas; en grec ancien: Μή μου άπτου ce serait plutôt:ne me retiens pas), que prononça  Jésus, ressuscité le dimanche de Pâques, à l’adresse de Marie-Madeleine, d’après l’évangile selon saint Jean,« Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père. Mais va trouver mes frères et dis-leur : « je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu ». Le Christ  ressuscité en effet n’est plus accessible, comme de son vivant, et c’est pourquoi  Marie-Madeleine, comme les autres,  qui a perdu cet être cher ,ne le reconnaît  pas et le prend  d’abord pour un simple jardinier. On comprend que cette merveilleuse fable de ce  Noli me tangere ait  séduit  bien des peintres, entre autres : Fra Angelico, Giotto, Holbein, Memling, Poussin… et plus récemment Maurice Denis. Jean-François Sivadier avait monté il y a quelques années une ébauche de la Salomé d’ Oscar Wilde que l’on va retrouver plutôt dans la seconde partie de ce spectacle; auparavant, on aura vu défiler Ponce Pilate ,  Hérode, et Hérodias… dans une suite de petites scènes et monologues  sans grande unité. Pilate signifie aux Hébreux que leur pays est soumis au pouvoir universel de Tibère, empereur de Rome. Et il y a dans l’air de furieuses tensions de guerre coloniale, mais qu’on ne sent pas vraiment sur le plateau.
Tout se passe en fait comme si Jean-François Sivadier et metteur en scène n’arrivait  pas se débrouiller d’un scénario quand même assez médiocre. écrit par lui-même, dont  voit mal  le fil conducteur .  Il y a aussi des moments où des comédiens  , comme dans Le Songe d’une nuit d’été, jouent quelques petites scènes sans grand intérêt et c’est un euphémisme! Et le théâtre dans le théâtre une fois de plus, véritable manie du théâtre contemporain,  ce n’est pas d’une invention récente…
De toute façon, on a depuis longtemps décroché: ce Noli me tangere,   qui se voudrait une réflexion sur le temps et sur l’histoire ,ne tient pas vraiment la route… Une scène  vide et nue ,si l’on excepte trois espaces rectangulaires avec un peu d’eau; avec dans le fond  des tables où il y  a quelques accessoires dont des bustes romains en résine; scénographie stéréotypée que l’on a vu des dizaines de fois; les comédiens jouent la plupart du temps face public: autrement dit, Sivadier ne s’est pas compliqué la vie et,  comme le texte ne vaut pas bien cher, disons tout de suite que l’on s’ennuie rapidement, et que ces deux heures quarante cinq n’en finissent pas de finir. Les comédiens font leur travail honnêtement et si l’on a bien compris , ils ont participé à l’élaboration de ces petites scènes maladroitement mises bout à bout. Mais Nicolas Bouchaud (Ponce Pilate) qui  , au début s’impose vite,  a tendance ensuite  à en faire des tonnes, sans doute pour remplir un vide textuel trop évident; Charlotte Clamens ( Hérodias) , elle, est solide; quant à  la pauvre Marie Cariès  -en robe bleue sur la photo- (Salomé), elle  a aussi une belle présence, mais, à la fin, à moitié asphyxiée par la poussière de jets de sable que l’on balance  depuis les cintres, tousse à n’en plus finir mais lutte courageusement dans son monologue final, avec la tête de Jean-Baptiste placée dans un sac en plastique près d’elle. On sourit parfois quand Sivadier auteur met un peu de piment avec quelques anachronismes faciles mais c’est bien tout, et le spectacle se termine plutôt qu’il ne finit vraiment, sans que l’on sache pourquoi.
Ce qui aurait pu à la rigueur être une pochade d’une heure et quelque, à voir entre gens avertis et amis comédiens, devient ici vraiment pénible; on ne comprend pas que Sivadier, par ailleurs, excellent metteur en scène et à  à qui on doit tellement de belles choses, ait pu se fourvoyer à ce point. Et la chose , même si elle avait  été revue après sa création en janvier dernier au Théâtre national de Bretagne, était,  de toute façon,irrécupérable. Mission impossible: les comédiens n’aiment pas du tout – et on les comprend-que l’on coupe dans leurs scènes ou du moins dans ce qui y ressemble.
Alors à voir? Non, absolument pas. Nous allons bien recevoir quelques messages pour nous avertir que nous n’avons rien compris à cette avant-garde de tout premier ordre… Tant pis.
Restera un beau titre et l’occasion de revoir les peintres cités plus haut et surtout  le merveilleux Fra Angelico…

Philippe du Vignal

Odéon-Théâtre de l’Europe Ateliers Berthier 17 ème jusqu’au 22 mai.

 

Tennessee Williams Théâtre, romans, mémoires

Tennessee Williams Théâtre, romans mémoires, édition établie et présentée par Catherine Fruchon-Toussaint, nouvelles versions théâtrales de Pierre Laville.

theatreromanmemoires.jpg Dans la collection Bouquins est paru récemment un gros volume qui regroupe d’abord une remarquable introduction de Catherine Fuchon-Toussaint où elle rappelle que  que nous ne connaissons en France qu’une vingtaine  des quelque cent pièces du célèbre auteur-dont beaucoup en un acte- qui a aussi écrit cinquante  nouvelles, et deux romans ,  Le Printemps romain de Mrs Stone et Une femme nommée Moïse , et enfin de nombreux poèmes…
Ce qui frappe,  quand on lit la biographie de Tennessee Williams qui suit cette introduction, c’est la force de travail de cet écrivain, né en 1911, qui débuta comme ouvrier dans une usine de chaussures, et qui, épuisé, tomba dans une profonde dépression . Accueilli par ses grands-parents, il se refit une santé chez eux  à Memphis, tout en lisant Tchekov qui l’influença grandement par la suite ,puis commença à écrire des pièces.Ce qui frappe aussi , c’est son insatiable curiosité et son irrésistible envie de voyages aux Etats-Unis comme en Europe où seront vite connues , comme  en France La Ménagerie de verre montée juste un an après sa création en 45 à New York. Même destin pour son fabuleux chef d’œuvre Un Tramway nommé Désir mis en scène par Raymond Rouleau en 49 à Paris, dans une traduction de Jean Cocteau avec  Arletty et Daniel Ivernel…

 Il y a donc dans ce volume , précédées pour chacune par une introduction précise de Catherine Fruchon-Toussaint, la « nouvelle version théâtrale » de Pierre Laville pour La Ménagerie de verre, Un Tramway nommé DésirUne chatte sur un toit brûlant et La Nuit de l’Iguane. Il y a de singulières différences avec, par exemple, la traduction de Marcel Duhamel pour la première ou pour la seconde  dûe à André Obey, notamment pour les didascalies , voire pour une tirade qui n’est pas dans cette première version. Comme l’œuvre de T. Williams a subi au théâtre puis  au cinéma, de nombreuses modifications,il n’y a peut-être rien d’étonnant… Il faudra vérifier.
tennesseewilliams.jpgIl y a aussi une pièce Les Carnets de Trigorine, inspirée de La Mouette de Tchekov que Williams admirait tant mais qui, à vrai dire, nous laisse un peu sur notre faim, même si l’on y retrouve ses dons exceptionnels de dialoguiste. Mais aussi Une Femme nommée Moïse, un  roman écrit à la fin  de sa vie en 75 qui reçut un accueil assez froid, roman  où il traite de l’homosexualité, à un moment où il n’avait plus guère de succès au théâtre et où  les deuils de proches se succédaient.
Il y a une chose frappante dans cette œuvre, c’est la fascination des rencontres que fait sans cesse T. Williams, qui avait le plus grand mal à rester seul. Mais il y a un peu de tout dans ce roman: à la fois, le désir de trouver une nouvelle forme d’écriture; l’on trouve à la fois des personnages réels et d’autres , tout aussi crédibles mais de pure fiction.

Et  enfin un véritable régal, ce sont ses Mémoires écrits peu après ce roman , et cette autobiographie est tout à fait passionnante; on y découvre un T. Williams, célèbre, couvert de gloire, qui  raconte sa vie sentimentale et sexuelle, en termes les plus crus, sans omettre aucun détail, comme s’il voulait bien insister, alors qu’il n’a plus rien à perdre, sur le fait qu’il a toujours été homosexuel à une époque où cela n’avait rien d’évident dans une Amérique très puritaine. Il raconte aussi cette passion des rencontres avec  une foule de gens et non des moindres , notamment la grande actrice que fut Edwige Feuillère qu’il couvre d’éloges, Kazan, Quintero ou Steinbeck… entre autres.
 L’écrivain est lucide et semble parfois très amer quant aux relations qu’il entretient avec ses semblables. Terriblement seul, même s’il a quelques amants de passage, il est alcoolique, accroché à ses médicaments comme à d’inutiles bouées de sauvetage, souvent en proie à de graves crises de dépression, et il prend conscience qu’il lui reste  seulment quelques années à vivre… Il reste obsédé par la maladie et la mort. Comme il l’avait répondu à un journaliste: « Les artistes meurent deux fois. pas seulement de leur mort physique mais de la mort de leur pouvoir créateur qui disparaît avec eux ».
Ces Mémoires furent écrites entre  72 à 75, et Williams mourra seul, en 82 à l’Elyseum Hotel de New York, nom prédestiné! Depuis son théâtre ne cesse d’être joué aux Etats-Unis, comme un peu partout dans le monde et en France (voir Le Théâtre du Blog).

 

Philippe du Vignal

 

Tennessee Williams,Théâtre, romans, mémoires est publié dans la collection Bouquins chez Robert Laffont; 1024 pages, 30 €.

Jour d’été

Jour d’été de Slawomir Mrozek, traduction de Jean-Yves Ethel, mise ne scène de Simon Pitaquaj.

 

Cela se passe au début du moins dans un endroit  non identifié., puis sur une plage au sable chaud. Un homme, la trentaine, arrive avec une corde dans l’intention évidente de se pendre… Motif: il  se sent  comme un bon à rien, incapable de réaliser la moindre chose un peu positive. Il nous raconte qu’il a demandé le Nobel, parce qu’il à rédigé des livres de compte, mais ne comprend pas qu’on ne lui ai même pas répondu. Là-dessus, vient le rejoindre un homme au crâne rasé qui, lui aussi,  veut absolument en finir avec la vie qui est bien la sienne, mais au contraire de l’autre candidat au suicide,  une vie exemplaire de réussites. Ils discutent à l’infini sur le suicide et la meilleure façon d’y parvenir, peut-être en se tirant un coup de revolver.
Mais il ne peut y avoir dans l’opération qu’un  exécutant… Arrive alors, sur une patinette,  une belle jeune femme en robe blanche et avec un  grand foulard rouge qui, bien évidemment, en personnage de l’amour aveugle, va faire oublier à nos deux compères leur volonté suicidaire, d’autant qu’elle a très envie d’aller voir un spectacle, plutôt comique, dit-elle car elle n’aime pas le  tragique.
C’est l’occasion  pour le célèbre auteur polonais, plus connu en France pour ses Emigrés, de nous faire réfléchir sur les notions de réussite, d’argent, d’égoïsme, de bonheur ou plutôt d’illusion de bonheur. Les hommes peuvent-ils avoir un véritable but dans la vie,  qu’ils  soient riches ou pauvres, optimistes ou farouchement pessimistes? Mais la pièce est souvent bavarde et n’a pas la même envergure que Les Emigrés, même si on y retrouve la patte personnelle de Mrozek.
Il  aurait sans doute aussi fallu une mise en scène et une direction d’acteurs un peu moins appliquée, et plus virulente que celle de Simon Pitaquaj qui ne réussit pas vraiment à rendre crédibles le doute métaphysique qui obsède les deux hommes, et la volonté de vivre de la jeune femme. Le spectacle, passées les dix premières minutes, n’en finit pas de patiner et le temps parait  long comme un jour sans pain, même si les questions que pose Mrozek restent toujours aussi justes, quelque vingt cinq ans après la création de la pièce.
Alors à voir?  Désolé, mais le spectacle n’a pas tout à fait les moyens de ses ambitions. Alors plutôt que de recevoir des commentaires indignés, nous préférons vous dire non tout de suite;  ni la pièce ni la mise en scène ne méritent vraiment le déplacement. Maintenant, si vous êtes un fidèle inconditionnel  de Mrozek… tentez votre chance!

 

Philippe du Vignal

 

Spectacle vu au Lavoir Moderne Parisien le 23 avril.

La Banalité du mal

La Banalité du mal de Christine Brückner, traduction de Patricia Thibault, mise en scène de Jean-Paul Sermidarias.

 

Christine Brückner (1921-1996) est sans doute l’un des écrivains les plus connues de son pays; à travers plusieurs romans, elle a raconté l’histoire d’une génération de femmes qui ont dû se battre pendant les épreuves en tout genre qui émaillèrent la seconde guerre mondiale. Elle est aussi l’auteur de plusieurs pièces et  de monologues comme cette Banalité du mal qui met en scène le tout dernier jour d’Eva Braun, qui fut la compagne secrète d’Adolphe Hitler auquel elle voua un amour sans faille. On est le 30 avril 45, dans le bunker du Führer et elle vient de se marier , dans la plus stricte intimité comme on dit, avec celui qui a pris sans doute conscience que sa belle aventure allait finir.
Ils vont en effet se suicider quelques heures plus tard et le Troisième Reich
banalit.jpg de ses rêves n’y survivra pas. Entre temps, des millions d’innocents y auront laissé leur vie dans des conditions atroces.
Eva Braun n’a que 33 ans , et elle raconte, dans une absolue sérénité, ce qu’est son amour pour Hitler, en voulant ignorer soigneusement toute l’horreur des camps et des exécutions massives conduites par celui qui est devenu son mari. La photo du programme montre une jeune femme brune,assise dans un fauteuil recouvert de tissus à fleurs ,regardant avec douceur son amant qui, les yeux fermés, se repose dans un fauteuil identique: rien de plus banal que cette photo si on n’en connaissait pas le protagoniste!
Mais voilà, le texte de Christine Brückner , n’en déplaise à Jean-Paul Sermidarias, n’a quand même rien de très fascinant: c’est un peu comme  une petite et rapide leçon d’histoire contemporaine; Eva Braun évoque son amour, sa vie dans le bunker  comme  celle des  quelques dignitaires nazis encore proches d’Hitler, et  la fin programmée du dictateur complètement isolé. Patricia Thibault incarne au mieux et avec beaucoup d’intelligence et de retenue cette jeune femme qui se confie à nous. Pourtant la question que pose avec raison le metteur en scène dans sa note d’intention, est une des plus brûlantes qui soit, et les récents événements de Lybie sont là pour nous le rappeler: dans un régime totalitaire, ceux qui choisissent d’accomplir les activités les plus monstrueuses sont-ils différents de nous?
Continuer à penser (c’est à dire s’interroger sur soi, sur ses actes, sur la norme) est peut-être la condition sine qua non pour ne pas sombrer dans ce que la grande Hannah Arendt appelait la banalité du mal? Ce n’est pas en restant spectateur que cela peut suffire à se désolidariser des atrocités commises au nom de je ne sais quel idéal auquel une patrie d’une grande nation a obéi.
Oui, sans aucun doute mais, tout cela, on ne le sent pas vraiment dans ce monologue. qui manque singulièrement de chair.  Et ce que Chrstine Brückner fait dire à Eva Braun n’est quand même pas d’un niveau de pensée très élevé… Il y manque, même en filigrane  le personnage  d’Hitler, presque impossible à rendre crédible, sauf à la fin quand on l’entend éructer au micro, applaudi par  une  foule enthousiaste.
Alors à voir? A vous de juger si cela vaut le déplacement;  ces cinquante cinq minutes passent très vite mais le moins que l’on puisse dire est que l’on reste sur notre faim…

 

Philippe du Vignal

 

Manufacture des Abbesses, jusqu’au 19 mai 7 rue Véron Paris 18 ème.

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