La Mousson d’été, Rencontres théâtrales internationales et Université d’été européenne.
La Mousson d’été, Rencontres théâtrales internationales et Université d’été européenne
À l’Abbaye des Prémontrés, La Mousson d’été fête ses trente ans ! En 2021, Véronique Bellegarde en prenait la direction artistique. Actrice et metteuse en scène, elle était déjà la co-directrice avec Michel Didym, comédien et metteur en scène qui fonda en 95 ce festival exceptionnel qui ne cesse de nous étonner et nous réjouir.
Sur presque une semaine, au cœur d’un monument historique du XVIII ème siècle, aux espaces verts apaisants, se côtoient artistes, techniciens, étudiants, amoureux du théâtre ou visiteurs de passage, dans un climat bienveillant, avec parfois de vives discussions. Un rassemblement unique en son genre et une occasion rare consacrée au théâtre contemporain, si bien venue en cette fin d’été, juste avant la rentrée !
Chaque jour, le public est invité à découvrir sous des formes diverses: lectures,mise en espace… le paysage bigarré des écritures contemporaines en Europe et dans le monde. Mais aussi à participer à des rencontres professionnelles avec des conférences, comme Intimités et technologie par Lisa Oufs, pédopsychiatre à l’hôpital Necker à Paris en libre écho aux pièces Nations-unies et Rest/e. Un moment passionnant et instructif qui nous fait accéder à une réception enrichie et approfondie de ces textes…
Au programme, des conversations thématiques, et le soir venu, sous un chapiteau, des cabarets littéraires pensés comme un ensemble de cartes blanches à des artistes, mis en scène par Pascale Henry, Steve Gagnon et David Lescot.
Mention spéciale à celui de Pascale Henry, aux dialogues hauts en couleurs sur la pensée, le dire, le non-dit et notre agitation mentale et affective: tout ce qui crée humeurs et tensions dans notre rapport à l’autre et habite notre intériorité. Un cabaret remarquable de sensibilité, esprit et humour, accompagné de morceaux musicaux et chansons, en totale complicité avec la parole et les poèmes de Pascale Henry. Mais nous n’avons pu voir celui de David Lescot joué en clôture du festival…
Le programme matinal s’adresse aux quatre-vingt inscrits à l’Université d’été qui étudient les pièces de cette trentième édition, dans les ateliers dirigés par des auteurs et metteurs en scène comme Nathalie Fillion, Pascale Henry, et par des chercheurs: Joseph Danan et Jean-Pierre Ryngaert qui dirige aussi l’Université d’été.
Temporairement contemporain, une gazette quotidienne dont le rédacteur en chef est Arnaud Maïsetti, est la joyeuse compagne de cette manifestation et y sont publiés: programme du jour, interviews, cartes blanches, échos… Cette année, focus sur le théâtre de l’Europe du Nord, avec des autrices comme la Néerlandaise Magne van den Berg, la Norvégienne Monica Isakstuen et la Suédoise Sara Stridsberg dont les œuvres récentes ont été tout juste traduites par Marianne Segol-Samoy pour les trente ans de la Mousson d’été.
Mais aussi Jon Fosse, père de toute une génération d’écrivains et metteurs en scène scandinaves. Mondialement connu, il a reçu le Nobel de littérature l’an passé, distinction la plus récente obtenue parmi beaucoup d’autres comme le Prix Ibsen en 96. Il est aujourd’hui, avec cet immense auteur, le dramaturge norvégien le plus joué…
Pour Véronique Bellegarde, ici, les écritures dramatiques d’une grande actualité interrogent nos modes de vie, offrent une vision pertinente de la notion de progrès. « Dans plusieurs textes, dit-elle, il y a un regard incisif et peu habituel sur la parentalité, l’instinct maternel et les liens familiaux. »
Grâce à la singularité des relations mises en jeu, certaines pièces ne laissent pas notre conscience en repos et nous mettent en contact, sans détour mais intelligemment, avec le monde réel et la modernité du XXI ème siècle. Comme Rest/e d’Azilis Tanneau (France), dirigée par Cédric Orain, où est posée la question de: comment vaincre la mort ? Avec une réponse: faire appel à l’intelligence artificielle et laisser finalement place… à un bonheur aliénant et illusoire.
Dans Nations-Unies, Clemens Setz (Autriche) raconte une histoire diffusée sur les réseaux sociaux: cent trois abonnés payent pour voir un père forcer sa fillette à manger ce dont elle ne veut pas, avec chantage ou menaces bon enfant. Cela permet au couple de gagner de l’argent et chaque moment passé en famille entre les parents et leur fille Aurore, se métamorphose en activité rémunératrice.
Ces pièces, tous remarquablement interprétées, questionnent le public, sensible à l’utilisation non contrôlée des inventions technologiques, à la spectacularisation de l’intime et qui se sent très concerné. Dans le Lit de mon père (circonstances obligent), Magne van den Berg (Pays-Bas) écrit à nouveau sur le thème de la mort et des relations parents/enfants mais dans un tout autre contexte: celles d’une fille et de son père,après leur deuil de la mère et épouse. Ils sont au téléphone: elle vit en ville, et lui, à la campagne. La conversation, souvent interrompue, est reprise au fil des heures ou des jours, mais les mots peinent à sortir … Chacun assume autrement que l’autre cette disparition. Fine et pertinente mise en lecture de David Lescot, comme l’interprétation de Gilles Gaston-Dreyfus ( Le Père) et de Noémie Moncel ( La Fille).
David Lescot, également musicien, accompagne à la guitare avec subtilité, les passages d’une scène à l’autre. Une intervention judicieuse sur le plan dramaturgique. La musique répétitive entre chaque scène, favorise la progression du texte pour l’essentiel, au rythme d’une parole-action. Au fil des répliques, la tension prend corps et l’histoire se révèle, devenant de plus en plus intense.
D’une Mousson à l’autre, nous retrouvons parfois un auteur découvert l’année précédente. Comme ici l’écrivain, comédien et metteur en scène québécois Steve Gagnon qui nous avait fasciné et ému avec une lecture de Fendre les lacs, qu’il avait lui-même dirigée. De nouveau, il invite le public à découvrir un de ses textes: Genèse d’une révolution sans mort ni sacrifice, mis en ondes cette fois par Laurence Courtois pour France Culture. Une lecture captivante qui nous a émerveillés par sa poésie : comment faire aujourd’hui une révolution «dans la douceur », pour un monde plus juste? « La colère, dit Steve Gagnon, n’entraîne-t-elle pas davantage de colère, et le feu, appelant le feu, risquerait bien de mettre en cendre non pas seulement le vieux monde, mais tout le reste, et nous avec lui. » Cela ressemble à un signal d’alarme…
Encore une belle surprise avec Vertigo de Sarah Stridsberg : morte, Kristina, personnage testamentaire, se trouve quelque part, en dehors de la réalité, regardant une vie passée et celle continuant sans elle. Son existence ressemble à un rêve étrange. Autour d’elle, gravitent tous ceux et celles qui étaient autrefois là. Un labyrinthe de rêves et souvenirs évoquant la vulnérabilité, la brutalité, l’isolement. « Et, comme le dit l’autrice, cet amour immense qu’on a en soi. » C’est aussi pour chacun, une recherche vaine de la lumière.
Les lectures mises en espace sont un des points forts de ce rendez-vous entre artistes et un public fidèle ou venu pour la première fois ! Cette approche d’une œuvre théâtrale n’a rien avoir avec l’ébauche d’un spectacle. Avec la lecture d’un texte en main, par des acteurs, c’est un objet dramatique en soi mais créé en un temps court de répétitions. Un peu comme des acrobates, ils se mettent en danger.
Cet acte audacieux-imaginé par Lucien et Micheline Attoun en 71- exige du metteur en scène et des interprètes, un travail exigeant et d’une concentration exceptionnelle, qui ne peut se répéter sur la durée. La mise en espace a cette qualité, définie par Michel Vinaver: « Celle d’une urgence, qui ne laisse passer que l’indispensable, donc une super-légèreté et une super-rigueur. »
Un exercice esthétique sans doute au plus près de l’écriture théâtrale, n’est pas fixé dans une mise en scène, et donc fragile, en pleine ébullition ! À travers cet objet scénique remarquable, apparait en devenir, une mise en scène ! Ce moment poétique, éphémère mais intense est réalisé à chaque fois par des artistes, musiciens, éclairagistes et techniciens hors pair… Une belle fin d’été avec cette nouvelle édition de la Mousson !
La Mousson d’été a eu lieu du 22 au 28 août, à l’Abbaye des Prémontrés. 9 rue Saint-Martin, Pont-à-Mousson ( Meurthe-et-Moselle). T. : 03 83 81 10 32.