Merce Cunningham performs stillness ( in three movements)

Merce Cunningham performs stillness ( in three movements ) to John  Cage » with Trevor Carlson , New York City , 28 april 2007, une installation  de  Tacita Dean.

    cage.jpg Quelques mots pour dire tout l’intérêt de cette installation que nous avions vue au Musée d’Art contemporain de  Montréal mais dont, faute de temps, nous n’avions pu parler, et que l’on peut voir encore à Paris pour quelques jours au 104. Imaginez une  salle  rectangulaire , sans fenêtres, de quelque 300 mètres carrés, absolument vide, où six projecteurs de cinéma délivraient  inlassablement un film avec leur bruit de crécelle mécanique tout à fait caractéristique : une sorte de chorégraphie silencieuse  et immobile,  conçue et réalisée par Merce Cunnignham.

  Cela se passe dans le plus petit de ses studios au onzième étage de Bethune Street. Il y a , bien sûr, un parquet impeccable, de grands miroirs aux murs, des baies vitrées,  et, absolument seul, Merce Cunnignham assis sur un fauteuil pliant . Et parvenant de la rue en bas, la rumeur presque inaudible de New York , et un peu plus près de nous, le son  faible d’un piano accompagnant  la répétition de danseurs dans un  studio voisin.
   Absolument seul donc,  Merce Cunnignham assis sur un fauteuil pliant  et immobile, le regard un peu lointain. Seul avec nous. Et Trevor Carlson, un de ses proches collaborateurs muni d’ un chronomètre, signale à Merce Cunningham   les cinq dernières secondes de chacun des trois mouvements de la pièce silencieuse de John Cage intitulée 4, 33 . Et comme  l’indique Tacita Dean, Merce Cunnignham se réinstalle après ces cinq secondes dans une nouvelle position, en déplaçant un peu son fauteuil. Les six films sont légèrement différents, mais l’un des plus beaux est celui où l’on voit Cunningham regarder fixement, et  en même temps, nous pouvons voir des  des empreintes de doigts sur l’un des miroirs de la salle,  celles de ses danseurs dans cette salle mythique où le grand chorégraphe a conçu ses spectacles.
  C’est aussi bien évidemment un hommage à son compagnon John Cage décédé en 92 ; à eux deux, ils ont exploré l’idée du temps  dans leur  travail musical pour l’un, chorégraphique pour l’autre, et très souvent musical et chorégraphique quand ils concevaient une pièce ensemble. Il y a un beau  documentaire, tourné quelques années avant la mort du compositeur , où on les voit tous les deux dans leur cuisine à New York où les bruits domestiques et urbains, les gestes de Cage et de Cunnignham forment une s chorégraphie tout à fait impressionnante. Et il y a une belle phrase du compositeur qui écrivait en 1968:  » La relation entre la danse et la musique en est une de coexistence; celles-ci sont en lien parce qu’elles existent en même temps ». 

  Nous n’avons connu Cage que le temps d’un déjeuner, (c’était presque hier: en 72!) pour le tournage d’un film à lui consacré où je deavias l’interviewer  et ce fut une expérience inoubliable, parce que l’on nous  avait demandé de ne pas bouger , de manger sans faire de bruit inopportun  et  de manipuler fourchettes et couteau en silence, pour ne pas créer d’interférences dans la bande-son, ce qui avait l’air de beaucoup réjouir le compositeur…Et effectivement, chez Cunnignham, il n’y a pas de hiérarchie  entre le geste,   mouvement , la musique et le son: le seul dénominateur commun étant le temps.
  C’est peut-être ce que l’on perçoit le mieux , quand on on entre seul dans cette salle, cette perception du temps, alors que le seul mouvement perceptible est celui des bandes de film noir  qui s’enroulent dans les bobines de métal. Cela  peut paraître très conceptuel mais non, nous ne pouvons qu’être sensible à ce grand espace et à ce temps réparti en six moments qui n’en sont pas vraiment… Et, c’est encore plus impressionnant de se retrouver si proche de  l’image de Cunningham disparu cet été.
  Le 104 est un peu excentré, et il n’y a que peu de jours encore pour voir cette installation mais , surtout, si  vous le pouvez, ne ratez pas cette pièce….d’autant plus que l’entrée  est libre.

Philippe du Vignal

Le 104 , 11 bis rue Curial  75019 Paris Métro: Crimée ou Riquet, du mardi au samedi à partir de 11 heures. T: 01-40-05-51-71


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L’Histoire d’une Fille qui lisait trop d’histoires

L’Histoire d’une Fille qui lisait trop d’histoires, création librement inspirée du Dictionnaire des lieux imaginaires d’Alberto Manguel et Gianni Guadalupi, mise en scène et écriture d’Anouch Paré, accompagnée de Bénédicte Bonnet.

  Le spectacle a été créé  en 2006, à la demande du Conseil général de la Marne, pour être joué dans les bibliothèques de prêt; mais il a été aussi représenté dans des établissements scolaires. Il est fait pour être joué n’importe où,  dans des conditions de proximité, sans aire de jeu  surélevée et sans régie lumière. En général donc, dans des salles polyvalentes, comme celle d’aujourd’hui, endroit improbable aux murs rose pâle, rideaux défraîchis, faux plafonds blancs munis de plafonniers à tubes fluorescents, et cloison mobile en plastique crème : le rêve……. Mais bon, il faut bien faire avec: les communes n’ont pas beaucoup d’argent et ce n’est pas M. Sarkozy  ni ses amis banquiers de tout poil qui vont  les aider.
  Les opérations sont dirigées par Act’Art/Scènes Rurales: les comédiens ont séjourné en Seine-et-Marne, pour créer  un spectacle, en général une petite forme écrite par des auteurs contemporains, et le jouent pour un courte  série de représentations dans des salles polyvalentes ou foyers ruraux, mais assurent aussi des ateliers de pratique artistique auprès d’enfants et d’adolescents.
Nous avions pu ainsi voir dernièrement Broadway-en-Brie au Châtelet-en-Brie, réalisé par Laurent Serrano, dont Anouch Paré était la coauteure avec  le metteur en scène ( voir Théâtre du Blog de novembre).

   L’Histoire d’une fille qui lisait trop d’histoires est une sorte de voyage dans les lieux qu’ont imaginé depuis toujours les romanciers et dramaturges, toute langues et tous pays confondus. Avec seulement deux personnages parodiques : Lui, un détective privé de film noir, imperméable mastic et feutre noir, cigarette au bout des lèvres,  qui mène une enquête délicate, et Elle, la  femme fatale, aux longues jambes gainées de bas résille et au regard provocant. Avec ,bien entendu, en filigrane, la silhouette des deux immenses acteurs qu’est toujours Lauren Bacall,  et qu’était Humphrey Bogart son mari,décédé en 57.
  Le détective enquête donc sur la brutale disparition de la  fille de cette femme fatale: il y a juste quelques livres, avec des marque-pages, qu’elle a laissées – maigres indices qui fournissent un prétexte à un  dialogue entre Elle et Lui, ou plutôt à une  lecture déguisée d’Alberto Manguel. Aucun décor, juste une table,  deux chaises  et un gros magnétophone qui assure quelques phrases musicales et commentaires… Le théâtre contemporain nous a habitué depuis longtemps à des spectacles  faits de peu de choses.

  Mais ce petit scénario parodique d’une heure, manque de chair et de véritables personnages et  pas des plus passionnants, sonne un peu trop comme un exercice d’acteurs, à consommer en privé et hors public. Il y a quand même bien des textes contemporains qui auraient fait  dix fois mieux l’affaire…
  Et donc, même si Cécile Leterme et Eric Malgouyres,  qu’on avait déjà pu voir dans Broadway-en-Brie, sont bien dirigés, on reste un peu sur sa faim. D’autant plus qu’Anouch Paré  n’a pas voulu se servir des deux projecteurs installés, pour respecter, dit-elle, les conditions habituelles de jeu; et ils  ne seront allumés qu’au moment où  six collégiens du village viendront entourer  Elle et Lui,  quelques minutes avant la conclusion… ce qui n’était  pas l’idée du siècle.
Là, en effet, dans la lumière douce,  il se passe vraiment  quelque chose, et les personnages prennent alors un relief et une intensité des plus remarquables. Et cette salle polyvalente un peu minable devient alors comme un vrai décor… Mais c’est évidemment trop tard.

  Et le public? Celui du village  de Nanteau-sur-Essonne, et de ses environs,  jeunes et plus âgés réunis, installés  sur un gradinage  hors normes de sécurité (le directeur d’Act’Art ferait bien d’être plus vigilant!) regarde le spectacle avec bienveillance mais sans plus de passion que cela.
Le meilleur moment de la soirée étant sans doute…le petit pot sympathique qui réunit ensuite les gens, ceux de village, les élus, les comédiens et la metteuse en scène. Question lancinante : comment amener un  spectacle théâtral vraiment fort, dans de bonnes conditions techniques, jusqu’à l’Est de l’Ile-de-France, où il n’y  a guère de véritable salle, sauf à Melun…

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 29 novembre à Nanteau-sur-Essonne ; prochaines représentations le 16 janvier à Sourdun, le 12 mars à Féricy, le 13 mars  à Chamigny, le 26 mars à Verneuil -l’Etang, le 27 mars à Montarlot et le 7 mai à Villiers-sur-Seine.

Le Loup des Contes du chat perché

Le Loup des Contes du chat perché de Marcel Aymé, mise en scène de Véronique Vella.

  Quand Muriel Mayette, la maîtresse de maison a demandé à Véronique Vella de monterloup.jpg, elle a posé, dit-elle, deux exigences: que le spectacle soit tout public comme on dit maintenant un peu bêtement,  et d’autre part,  de ne pas modifier le texte, ce qui est la moindre des choses quand on porte l’étendard de la Comédie-Française… Mais c’est une véritable contrainte pour tout metteur en scène qui voudrait se lancer dans l’aventure, puisque les dialogues ici sont moins importants que les narrations du conte; mais Véronique Vella , en bonne connaisseuse du théâtre classique, sait que le récit fait partie intégrale du théâtre depuis l’Antiquité (  à commencer par le fameux récit du messager des Perses d’Eschyle, etc.. et en continuant. par celui  du Cid ou celui d’Agnès dans L’Ecole des femmes) et cela a bien des avantages: en particulier  celui de multiplier les effets sur le public, puisque la metteuse en scène a très finement fait dire  ces fragments de narration certains moments par les personnages eux-mêmes, qu’il s’agisse du père et de la mère, des deux petites filles : Delphine et Marinette, ou encore du loup.

  Et pour les plus connaisseurs des spectateurs , cela a un petit parfum de distanciation brechtienne tout à fait intelligente et drôle et,  petite framboise des bois sur le gâteau, les enfants semblent aussi beaucoup apprécier ce jeu  magistral de dédoublement. D’autant plus que Véronique Vella a demandé à Lucette-Marie Sagnières des couplets additionnels sur  une musique Vincent Leterme, ce qui fait toujours du bien par où cela passe. Et que les costumes  de Virginie Merlin sont absolument réussis, e qui est rare dans le théâtre contemporain…

  L’on ne va pas vous raconter l’histoire du grand méchant loup que Marcel Aymé a revu à sa manière: le loup  qui a tout de même très faim, s’abstient d’attaquer les deux fillettes  et devient au cours de ses visites leur meilleur ami, alors que les deux parents paraissent assez peu sympathiques: un peu butés, ils poussent leurs deux filles vers le mensonge à coups d’interdits , alors que le loup apparaît lui , avec toute sa gentillesse, comme un espace de liberté qu’il est bien tentant d’aller découvrir. Au début, on entend surtout les sons de la maison conçue par Eric Ruff: le grincement des meubles, le tic -tac  de la grande horloge, un peu angoissants vont laisser petit à petit la place aux merveilleux chants d’oiseaux . Toutes les portes et fenêtres de la demeure vont s’ouvrir aux feuillages et aux sons de la forêt. cette libération psychologique est sans doute quelque peu surlignée mais les enfants sont ravis. Mais la maison n’est pas  sinistre,  comme le pense Véronique Vella mais plutôt sympathique, avec tous ses murs de bois et des volets intérieurs, et son lit clos où rêvent de dormir bien au chaud toutes les petites filles.

  Du côté où cela fait plutôt souvent mal à la Comédie-Française, l’interprétation est ici de premier ordre: aucun côté bébête  pour faire langage d’enfant comme on le voit à peu près toujours dans les spectacles  dits pour enfants. La solution est simple: Véronique Vella refuse de tricher, et comme elle sait diriger des comédiens, cela frise la perfection: Florence Viala et Elsa Lepoivre qui jouent Delphine et Marinette n’imitent pas les petites filles, et comme Sylvia Bergé et Jérôme Pouly ( la mère et le père) elles  fouillent  le texte pour en faire surgir la substantifique moelle: c’est un travail aussi intelligent que sensible, comme l’est celui de Michel Vuillermoz qui joue le loup, avec , humour , élégance et séduction  dont il il faut évidement se méfier, puisque c’est au moment où les deux petites filles lui demandent de jouer le loup qu’il va se mettre à les dévorer.

  Le message n’est pas simple à faire passer mais mais qu’importe,  le spectacle peut être regardé à plusieurs niveaux , et le fait que des enfants de cinq ans ne soient pas dupes  et se mettent à rire aux éclats , quand le loup mange en même temps la  main de Delphine et le  pied de Marinette, fait dire que Véronique Vella a bien réussi son coup. La fin est à la fois atroce et drôle, puisque les parents découperont le ventre du loup pour récupérer les petites filles avalées, puis le recoudront  pour qu’il puisse continuer à vivre. mais cela n’a pas l’air du tout de faire peur aux enfants, d’autant plus qu’il s’agit là aussi d’un récit…      

  Comme le disait le grand Schiller  cité par V. Vella:  » Je trouvais plus de sens profond dans les contes de fées qu’on me racontait dans mon enfance que dans les vérités enseignées dans la vie ». En tout cas, la Comédie-Française et Muriel Mayette peuvent se flatter d’avoir offert un beau spectacle : et le public du Studio a ovationné les comédiens qui le méritaient bien. A voir, mais attention, le Studio  a une petite jauge…alors il faut absolument réserver!

Philippe du Vignal

Studio-Théâtre, tout public à partir de sept ans, ( nous dirions même à partir de cinq ans) jusqu’au 17 janvier, relâche les 25 décembre et 1 er janvier.

Observer

 Observer, conception, scénographie et réalisation , Bruno Meyssat.

observer.jpgBruno Meyssat qui connaît bien le Japon a entrepris  de nous montrer une sorte de parabole sur l’ un des épisodes les plus horribles et les plus douloureux de la guerre, après l’attaque par le Japonais de Pearl-Harbour, l’extermination cyniquement  programmée, en l’espace de quelques secondes  d’une population civile de quelques 250.000 habitants d’Hiroshima pour l’exemple, le 6 août 1945, et renouvelée, pour faire bonne mesure, trois jours après,  sur Nagazaki! Une grande première, fondée sur une technologie inédite et sophistiquée , et redoutablement efficace,  dans l’histoire de l’humanité….
Soixante après, les quelques objets , vêtements ou jouets d’enfant retrouvés, les ombres sur des murs seules vestiges  des individus qui vivaient là sont visibles dans un petit musée que Bruno Meyssat a vu.

  Il cite Kenzaburo Oé  qui , en 1963, visitait l’hôpital de l’ABCC où les Américains étudiaient les effets  de radiations sur les survivants: et l’on comprend l’horreur  que ressentait l’écrivain japonais pris de vertige quand on lui montrait sur des lamelles quelques gouttes de sang contenant  90.000 leucocytes après l’explosion de la bomba atomique, alors que le taux moyen est de 6.000! Et dans la pièce voisine étaient conservés les corps conservés dans la paraffine et découpés en lamelles !

   Comme si, quarante ans après, cet événement imaginé par le pays le plus puissant de la planète, d’une violence et d’une horreur jamais atteintes continuait à exister, même si les Etats-Unis avaient tout fait , quand ils occupaient le Japon, pour reconstruire au plus vite , pour mieux faire oublier le martyre de cette ville, dont les photos témoignent d’une horreur d’autant plus insupportable que cette opération a été délibérément conçue et exécutée pour exterminer des populations ciiviles   Mais que fait-on, sur le plan dramaturgique et scénique, avec quelques extraits de texte , un grand plateau, et cinq comédiens ?

  D’emblée Bruno Meyssat prévient aimablement: «   Ces événements sont irreprésentables. Pourtant il existe une continuité entre ce monde renversé, hors de ses gonds et le nôtre.J’aime cette idée d’un théâtre quantique.( ???).  Certes il ne comblera pas les attentes car il est la déroute de toute attente. Le temps, le théâtre, les particules, tout avance par bonds déroutants,,illogismes et ruptures de continuité. Regarder, observer le montre (…) Dans ce spectacle, nous choisissons donc d’impliquer l’Histoire contemporaine et un faisceau d’éléments de la culture japonaise. De cette culture d’une cohérence extrême, nous privilégions son rapport au fantastique, celui qui aime à souligner les aspects incertains de l’existence, qui traite aussi d’une continuité entre le monde des morts et celui des vivants, ente les domaines minéral ou végétal et celui où, humains,  nous constatons une âme ». 

  Soit; Bruno Meyssat essaye de se défendre  avant même d’avoir montré, ce qui est toujours à priori un peu inquiétant et cela valait le coup d’y aller voir.  Il y a sur le plateau nu et noir tout un bric à brac  d’objets et de meubles, conçu par ses soins et que Bruno Meyssat prétend être une scénographie: un lave-mains en tôle émaillée avec un robinet en cuivre qui laisse échapper un filet d’eau avec lequel une femme se lave les seins , le sexe , puis les fesses; quelque chaises tubulaires, dont une plus petite d’école maternelle , deux porte-manteaux avec patères en en métal chromé, six bocaux vides à canette de deux litre où une femme placera quelques uns de ses cheveux qu’elle vient de se couper, et un gant de caoutchouc.   Il y aussi, rappel de ce tricycle retrouvé dans les ruines,  une patinette des années 50 que guident avec une ficelle deux comédiens. Des tables métalliques , dont l’une munies de roulettes qui ne sont pas sans rappeler celles des spectacles de Bob Wilson, servent de praticables; plus loin dans le fond,  deux chassis de métal munis d’une vitre que l’on vient casser sans autre forme de procès; deux grandes bâches agricoles posées sur le sol sous laquelle se glisse un des hommes.

Il y a parfois des bruits de moteurs d’avion à l’atterrissage comme au décollage. Une femme qui se remplit le ventre de paille puis monte avec une échelle métallique sur un praticable où se trouve une botte de la même paille. Sur un lit , un médecin en blouse blanche dissèque un corps ou plus exactement découpe minutieusement son imperméable en plastique bleu transparent, citation probable de la Leçon d’anatomie que Tadeusz Kantor réalisa à l’Académie des Beaux-Arts de Cracovie. C’est plutôt le silence qui règne, seulement interrompu, par quelques pas très lents de cinq comédiens qui, parfois se mettent nus  et  disent quelques textes plutôt forts et poétiques sur l’histoire même de cette agression sans précédent, ou par les discours  -non traduits-de Truman, le président des Etats-Unis de l’époque.
Peu de lumière sinon de temps à autre, de gros projecteurs blancs répandant , depuis les cintres, une lumière zénithale  blanche et  agressive.On peut penser- de très loin- à la gestuelle si particulière du nô avec ces très lents déplacements et son rythme si particulier. Mais pas grand chose ne se dégage du spectacle lui-même: nous regardons cette installation plastique qui n’ a rien de particulièrement fort, mais qui , surtout, ne fait pas sens où les comédiens, semblent quelque peu errer à la recherche d’une tâche à exécuter. Tout est d’une lenteur extrême, comme pour montre l’état de torpeur des quelques survivants de cette ville, incapables de ragir à un pareil choc physique et mental, tous grièvement blessés.
L’on regarde au début,avec une certaine sympathie, cette tentative de réalisation qui se revendique des arts plastiques et d’un univers disons théâtral pour faire simple ,n’a pas connu une dramaturgie et un langage scénique suffisamment solides pour parvenir à ses fins, et qu’il y aura malheureusement aucune progression;Dès les premières minutes, l’on comprend bien que Meyssat nous offre quelque chose qu’Il aurait  voulu très novateur, mais qui ne nous touche guère; la plus grande erreur étant ce manque d’adéquation entre les intentions philosophiques de l’auteur et metteur en scène et cette tentative maladroite et brouillonne d’un spectacle, -heureusement court mais quand même pas très passionnant.La quinzaine d’adolescents qui étaient là s’ennuyaient  ferme mais n’avaient pas encore allumé leur portables pour s’envoyer des SMS; quand au reste du pauvre public (35 personnes environ), ils attendaient patiemment la fin de la messe; les applaudissements furent bien maigres et les comédiens pas très heureux de se retrouver là en train de saluer…Et ce n’est en aucun cas de leur fait., Mails ils semblent faire leur travail sans grand plaisir…

  Alors à voir? Non, absolument pas…Un documentaire intelligent sur Hiroshima vous en apprendra plus que ce brouet finalement assez prétentieux, où les comédiens et le public d’une salle aux trois quarts vides sont pris en otage, ce qui n’est quand même pas le but d’un spectacle! Là,  on se dit que la programmation de Pascal Rambert aurait besoin d’une urgente et sérieuse  révision. Comment compte- t-il attirer du public avec ce type de spectacle , celui des habitants de Gennnevilliers? Pourquoi, alors,  ne viennent-ils pas? Considère-t-il que son théâtre, bien vide un vendredi,  pourra-t-il continuer à vivre ainsi? Quant à la navette reconduisant les quelques  Parisiens égarés , elle ne partait que quinze minutes après l’horaire indiqué. Sympathique? Merci, M. Rambert en tout cas d’éclairer notre  lanterne?

  Sans doute  devrait-il concevoir  d’autres propositions artistiques de bon aloi  qui concerneraient davantage les habitants de Gennevilliers – auxquels il prétend s’adresser comme il l’avait dit dans son programme d’intention? Mais  qui cet Observer peut-il concerner? Le directeur du Théâtre Malakoff 71  celui de Fontenay-aux-Roses, ou celui de Cachan, -en faisant preuve de beaucoup plus d’humilité- réussissent beaucoup mieux leur programmation, et leurs théâtres sont pleins. Alors, camarade Rambert, encore un effort!  Il y a bien, dans le hall du théâtre, quelques lycéens qui tripotent les souris devant les beaux écrans que vous leur avez offert  mais faudrait-il encore qu’ils puissent être attirés parce que vous leur proposez, et il y a là ,un sacré effort d’imagination à faire.. Enfin si Observer vous tente, c’est à vos risques et périls mais, au moins, on vous aura prévenus..

Philippe du Vignal

Theâtre de Gennevilliers. Centre dramatique national de Création contemporain, jusq’au 29 novembre.

La ménagerie de verre

 La ménagerie de verre de Tennessee Williams, mise en scène de Jacques Nichet.

 lamenageriedeverre.jpg Tennessee Williams ( 1911-1983), engagé par la MGM en 43 pour tirer un scénario d’un roman, préféra écrire le sien que la MGM refusa et qu’il transforma alors en pièce… qui fut ensuite adaptée au cinéma… C’était La Ménagerie de verre qui  fit de T. Williams à 34 ans  un auteur  à succès… La pièce  est  largement inspirée de sa vie personnelle: le père, voyageur de commerce disparut très vite et  il vécut chez ses grands parents avec sa mère et sa sœur schizophrène et, à laquelle on a fait subir une lobotomie.
  C’est une tranche de vie bien réelle d’une famille pauvre des années 30, dans le Sud des Etats-Unis, après la grande dépression économique qui fit des ravages aux Etats-Unis; le narrateur Tom  ( le véritable prénom de Williams) fait revivre cette vie faite de travail mal payé dont les personnages, en proie à une profonde solitude s’échappent par le rêve. .Il y a là la mère très possessive, qui veut se mêler de tout et en particulier de l’avenir de sa fille qu’elle voudrait à tout prix marier. Elle demande donc à Tom d’inviter son collègue de travail JIm , qui se révèle être un copain de lycée de Laura; le repas se révèle être vite une catastrophe, puisque Laura ne veut pas y assister, alors que sa mère a mis sa plus belle robe, un peu défraîchie. Malgré tout, Laura ne semble pas indifférente à JIm qui l’embrassera furtivement. Mais il avouera à Armanda,  qui le presse de revenir quand il veut ,qu’en fait il est déjà fiancé et qu’il vas se marier prochainement… Le beau rêve d’Armanda s’écroule. Tennessee Williams  a déjà, même si la pièce n’a pas encore la force de La chatte sur un toit brûlant ou d’Un tramway nommé désir, écrit déjà de superbes dialogues- très bien traduits ici  par Jean-Michel Desprats- et en quelques répliques, tout est dit: le mal-être de Laura enfermée dans une profonde solitude l’exaspération de Tom qui supporte de plus en plus mal  un  travail sans intérêt et qui se réfugie, du moins le dit-il, dans  sa passion pour le cinéma, et la vie banale au jour le jour d’Armanda qui exaspère son fils par ses bavardages et ses illusions…
  Jacques Nichet a réalisé une mise en scène qui rompt avec  tout naturalisme, un peu trop sans doute mais c’est son point de vue: un plateau noir , deux chaises en fer, deux coussins: c’est tout, et en arc de cercle au fond un rideau de fils noirs, avec, par derrière , un écran où son projetées des images de mer démontée d’abord,  puis plusieurs fois de suite le  visage du père définitivement absent, la grande maison à colonnes de l’enfance chez le grand père pasteur, une grande table avec nappe blanche et de beaux couverts  quand on invite Tom, ou encore des phrases tirées du texte que les personnages  vont dire ou sont en train de dire: comme cet  » On me trompe » prononcé par Armanda, dont chacune des lettres tombent par terre, (????),  ou des titres comme Le pain de l’humilité. Et la pièce se terminera par les images du début…
  On ne voit pas bien ce qu’a voulu faire Nichet avec ce genre de projections qui tournent vite au procédé inutile: rompre avec le  réalisme d’une scénographie et le compenser dans  sa mise en scène? Donner un plus au texte de T. Williams qui n’en a nul besoin?  Mieux mettre en valeur le texte alors que ses comédiens le font superbement, introduire une petite louche de néo-brechtisme dans sa mise en scène ?  Et cela étonne d’autant plus que sa direction d’acteurs d’une grande clarté et d’une rigueur  est l’une des plus remarquables et des plus efficaces  qu’il ait jamais faites: Luce Mouchel  surtout ( Armanda) est vraiment formidable, avec de multiples nuances de jeu,  comme Agathe Molière qui joue Laura, et Micahël Abiteboul ( Tom) et Stéphane Facco ( Jim). C’est une distribution exacte et juste, et les comédiens possèdent une unité de jeu trop rare pour ne pas être signalée.
  Alors à voir? Oui, malgré les réserves énoncées plus haut et une lumière très chiche conforme, une fois de plus,  à la mode du temps. Comme si le noir signifiait tout de suite tristesse et tragique!  Ce serait trop simple et Jacques Nichet sait cela depuis toujours….Mais une bonne occasion de voir ou de revoir la pièce  d’un auteur qui, après une vingtaine d’années où il fut peu et mal joué en France, opère un retour en force depuis quelques saisons.

 

Philippe du Vignal

 

Théâtre de la Commune d’Aubervilliers , jusqu’au  dimanche 6 décembre ; relâche exceptionnelle le 29 novembre.

Le Recours aux forêts

Le Recours aux forêts, texte de Michel Onfray, images de François Royet, chorégraphie de Carolyn Carlson, musique de Jean-Luc Therminarias, lumières de Renaud Lagier et mise en scène de Jean Lambert-wild.

 

lerecoursauxforts5.jpg  Ce n’est pas, à proprement dit,  une œuvre « théâtrale » mais une sorte de petit opéra avec images projetées, musique, danse et texte non chanté mais plutôt proclamé par quatre solistes placés sur un  praticable côté cour : deux comédiennes Ela Hourcade, Laure Wolf , Fargass Assandé et Stéphane Pelliciaet , tout de noir vêtus, chacun devant  un micro. Le spectacle a lieu sur la grande scène du théâtre d’Hérouville, où Michel Onfray, bien connu pour son Université populaire dans ce même théâtre tous les lundis  où il dispense une conférence qui fait chaque semaine un véritable tabac..
  Qu’est-ce que Le recours aux forêts?  D’abord, un texte, commandé par  Jean Lambert -wild: «   Le stoïcien  qui souhaitait que moi l’épicurien je réponde à une commande que je n’ai  toujours pas comprise », dit  Michel Onfray . C’est vrai que la recette ne figure pas dans les livres pourtant nombreux de théorie théâtro-culinaire. Pensez à quelques chose qui serait un spectacle à proprement dit théâtral ( même s’il ne comprend pas de personnages) au sens  étymologique du terme  (Theaô en grec ancien= voir) , puis demandez à votre ami et compositeur habituel,  une musique à laquelle des comédiens pourraient associer le texte d ‘Onfray, et à  une chorégraphe renommée de vous concevoir un solo pour un danseur, et  laissez voguer votre inspiration  à partir d’un voyage en Irlande, sur des images que vous avez pu mémoriser puis faire enregistrer, et puis surtout, commandez à un ami philosophe et écrivain, cordialement détesté par ses confrères qui prétendent (les  Dieux savent pourquoi mais dans ces cas-là, c’est plutôt bon signe) qu’il ne fait pas de philosophie. sans doute parce qu’il qui est l’auteur de livres que beaucoup de gens, ont lu, à juste titre, avec passion , parce que sa langue et ses propos  clairs et souvent tranchants, les aident aussi à se comprendre, et à vivre  un peu mieux leur vie, de façon plutôt épicurienne. Ce qui n’est déjà pas si mal dans une vie d’homme qui vient d’avoir cinquante ans
   Miche Onfray concocte donc un poème en deux parties: Permanence de l’apocalypse,et Traité des consolations  dont le sous-titre est La Tentation de Démocrite, ce philosophe grec présocratique ( 460 ?-370  avant J.C.) ,convaincu que l’univers était composé d’atomes enveloppés dans le vide qui leur permettait d’être en mouvement et qui, dit-on, se fit construire une petite cabane dans le fond de son jardin pour fuir un monde qu’il trouvait détestable. Ce qui n’est pas sans déplaire à Michel Onfray , attaché à ses origines normandes, à la fois prolétaires et rurales…
  Donc, laissez reposer le projet plusieurs mois, ou, plutôt, pensez sans cesse à la mise en forme  que vous pourriez lui donner pour que la sauce puisse prendre en faisant autre chose, notamment en continuant à diriger un théâtre…Et cela donne quoi ? Quelques mois après avoir vu les premières images, la tentation était grande d’aller se rendre compte sur place. Ce n’est pas si facile d’en parler mais essayons. A l’entrée de la salle, l’on vous prête des lunettes noires qui permettent de voir le spectacle en trois dimensions (beaucoup de gens n’avaient pas compris comme moi qu’il fallait les mettre dès le début.. mais c’est sans grande importance). Donc, d’un côté les comédiens disant le texte de Michel Onfray, en solo et/ ou en choeur ,suivant une partition très maîtrisée même si, le soir de la première , la balance avec la musique ou  entre chaque soliste était loin d’être parfaite.
lerecoursauxforts7.jpg Le premier des deux textes d’ Onfray, quand il envisage le monde où il vit,  est impitoyable, et sans doute fondé sur une expérience personnelle, qu’il envisage les choses de la guerre, la duplicité des écrivains et des universitaires, ou les passions et la médicorité  des humains qui l’entourent:  » J’ai vu à l’hôpital des médecins de Molière / Prenant leur avis aux pendules, lisant leur diagnostic dans les astres / Disant une chose et son contraire (…)/ Mais toujours pontifiant en blouse blanche tachée de sang, d’urine,d’excréments/ Traînant derrière eux les membres qu’ils venaient de découper faute de savoir et de pouvoir les soigner ».
   La seconde partie  est heureusement plus douce et fait souvent appel à des souvenirs d’enfance: « Je veux prendre le temps de regarder longuement l’étoile polaire Celle que mon père me montrait du doigt sur le devant de la porte ». Seule consolation lucide  de Michel Onfray: planter un chêne, le regarder pousser , débiter ses planches , les voir sécher pour s’en faire un cercueil où il pourra prendre sa place dans le cosmos.
  Sur la scène,un vaste plan d’eau où danse,  seul, le rebelle, le révolté,  comme un frère d’Onfray , Juha Marsalo , tandis que passent derrière , sur un grand écran,  entre autres images:  des nuages, et des arbres squelettiques, et que, côté jardin, Jean-François Oliver joue au vibraphone, une partie de la musique de Jean-Luc Therminarias qui est aussi  diffusée par des baffles. On pourrait, à juste titre se demander quelle est l’unité réelle de ce court spectacle ( 60 minutes) à l’impeccable mise en scène mais après tout qu’importe!
  Les meilleurs et nombreux  moments sont ceux où, entre les images: les irisations fantastiques  dûes à la chute de paquets de colorants dans l’eau  font penser aux toiles de l’ américain Sam Francis, l’espèce de neige glacée qui tombe sur les incroyables contorsions du  danseur nu et qui refroidit très vite la salle…il y a conjugaison avec  le texte d’Onfray d’abord pétri de fureur puis de douceur,  et avec la musique de Therminarias; oui, ces moments-là  sont vraiment de pur bonheur.
   Et cela fait du bien qu’un jeune metteur en scène, au lieu de nous livrer la xième version d’une tragédie antique qu’il ne sait même pas comment traiter , ou de vouloir  à tout prix nous faire découvrir deux heures durant un  dialogue obscur et touffu mais- évidemment génial- d’un de ses amis soi-disant dramaturge, ose dire que le théâtre, peut être aussi une réalisation comme celle-ci.

  L’on pourra toujours reprocher à Jean Lambert-wild un coup médiatique, ce qui reste encore à prouver, mais  le public de Caen ,visiblement curieux et fasciné par la proposition, semblait être reconnaissant d’un pareil cadeau et  ne boudait pas son plaisir devant tant de beauté. Mais, bien sûr , l’on peut toujours aller voir La cage aux folles.
  A voir? Oui, absolument, si le spectacle passe près de chez vous.

 

Philippe du Vignal

 

Le spectacle a été créé par la Comédie de Caen au Théâtre d’Hérouville le 16 novembre et sera présenté le 26 et 27 à Roubaix; puis le 2 et 3 décembre à Limoges; le 8 décembre à Vannes puis en 2010 le 5 janvier à Vannes, le 21 et 22 à Cavaillon; le 28 et 29 à Belfort;enfin le 3 et 4 février à Evry et le 30 mars au Havre.

 

Le recours aux forêts La tentation de Démocrite  de Michel Onfray est publié dans la collection Incises chez Galilée.

Rosmersholm et Maison de poupée

Rosmersholm et  Maison  de poupée, mise en scène de Stéphane Braunschweig.

 

  0683436001258031535.jpg Ibsen écrivit Rosmersholm en 1886, sept ans après Maison de poupée, et la pièce fait partie de cette suite de pièces où le dramaturge norvégien s’est intéressé à la vie quotidienne et à l’intimité d’êtres en conflit violent avec l’ordre social et familial. Dans Rosmershom, le dialogue fait souvent place à une sorte de retour en arrière qui permet de mieux situer les personnages. L’histoire se passe dans la grande maison bourgeoise où habite le pasteur Johannes Rosmer, dernier descendant  de la lignée de puissants grands bourgeois , hommes d’affaires ou hauts fonctionnaires rigoureux, dont les cinq grands portraits dans le grand salon imposent une présence presque paralysante. Comme le père d’Ibsen, directeur d’une grande firme qui n’avait pas survécu à sa faillite, alors que le futur dramaturge n’avait que seize ans! Et l’on devine dès le début que la vie de Rosmer, comme celle d’Ibsen,qui épousa la fille d’un pasteur, a été et reste  en fait une lutte intérieure d’un homme contre ses fantômes qui éprouve un besoin constant de voir clair en lui…
  C’est peu de dire que la maison n’est pas drôle, au point que l’on n’a jamais vu d’enfants y rire et les morts même disparus depuis longtemps occupent encore leur place parmi les vivants .Mais Johannes le pasteur, dont Beate l’épouse s’est suicidée l’année passée en se jetant dans la rivière,sans doute parce qu’elle ne pouvait avoir d’enfants et par amour pour lui, a décidé de donner une autre orientation à sa vie. D’abord, en reniant sa foi puis en s’engageant politiquement dans un parti progressiste.:  » Une vie agitée s’ouvre devant moi, maintenant, une vie de combat et de sensations fortes. Et cette vie, je veux la vivre, Rebekka ».Brand lui aussi était pasteur dans le drame de 1866 et lui aussi avait été déçu par le christianisme..
    Cette Rebekka West est  une jeune femme qui fascine le pasteur ; elle était à l’origine une amie de Beate et est entrée comme gouvernante dans la maison mais va vite se révéler une redoutable manipulatrice.Elle avouera à Johannes avoir menti à Beate pour la pousser vers le suicide et pense qu’elle n’a plus rien à faire à Rosmersholm qui, dit-elle, l’a finalement dévorée. Comme le dit Brendel, Rosmersholm « annoblit les âmes mais tue le bonheur ». Et, dans un dernier revirement, elle proposera à Johannes de mourir pour lui.
  Parmi les proches du pasteur, il y a aussi un certain Kroll, proviseur de lycée  dont on va apprendre qu’il est aussi le frère de Beate, et qui a une profonde antipathie pour Johannes; pour lui, Beate s’était persuadée qu’elle devait se suicider pour que Rosmer puisse  enfin épouser Rebekka. Mais Johannes est accablé par le remords, alors qu’il se sentait libre.Ulrich Brendel, autrefois professeur de Rosmer qu’il considère un peu comme son fils, a eu une vie des plus difficiles et  vient le voir pour lui soutirer quelques vêtements et un peu d’argent.

  Quant à Mortensgaard, le rédacteur en chef du Phare, un journal révolutionnaire, il dit avoir reçu une lettre de Beate où elle insinue qu’il pourrait y avoir des relations intimes entre elle et son mari. Personnage assez inquiétant,il se veut progressiste mais en fait, se révèle être un petit arriviste sans beaucoup de scrupules.Et il voudrait bien de la collaboration que Johannes lui propose mais, à condition qu’il reste pasteur pour que Le Phare profite de l’image de marque et de la confiance que la population lui témoigne…Bref, tout du bau monde, avec, en filigrane, les vieilles haines bien recuites, les jalousies et les petits chantages….

  Mais Johannes commencera de plus en plus à douter de lui-même et de Rebekka qui veut quitter Romersholm pour échapper à l’ enfermement qui la guette, avant de changer d’avis et de vouloir mourir pour lui;  le pasteur décidera alors de se délivrer du remords qui l’accable et de se suicider avec elle Et la femme de chambre qui les regarde s’éloigner tous les deux vers le torrent ne pourra rien faire.La fin tragique de cette pièce,quoique bien construite en quatre actes longuets, est assez artificielle, et beaucoup moins convaincante que celle de Maison de poupée, quand Nora quitte mari et enfants  pour essayer de vivre enfin pleinement sa vie.
  Stéphane Braunschweig  qui a  déjà monté plusieurs pièces d’Ibsen s’est attaqué à ce morceau de quelque deux heures  trente cinq qu’il a préféré ne pas couper d’un entracte, et, en cela, il a eu raison, même si les dernières quarante minutes commencent à peser lourd et si les spectateurs commencent à s’impatienter. Sa mise en scène est impeccable, sobre et solide comme d’habitude; mais l’on peut s’étonner qu’il ait adopté une scénographie un  poil prétentieuse et « bavarde »: comme ce faux/vrai salon en angle aux murs presque noirs, avec ces  bouquets de fleurs blanches dans une vingtaine de vases transparents, et ces portraits d’ancêtres accrochés d’abord au mur et que l’on verra ensuite à l’envers posés sur la parquet, ou encore cette très longue et très haute bibliothèque blanche avec des centaines de livres dans le bureau du pasteur. #
  En fait, tout se passe un peu s’il n’avait pas eu totalement confiance dans les dialogues de cette pièce, pour dire tout le tragique et le pessimisme profond d’Ibsen. Dans un récent article d’Alvina Ruprecht du 14 novembre paru dans Le Théâtre du Blog, Thomas Ostermeier qui avait réalisé une mise en scène tout à fait remarquable de Maison de poupée et qui a aussi monté trois autres pièces d’Ibsen semble éprouver quelques difficultés avec sa dramaturgie. On ne sait s’il pensait en particulier à Rosmersholm mais la pièce- ici dans son intégralité-aurait sans doute bénéficié de quelques coupes, ce qui n’aurait pas été un luxe et aurait donné au spectacle un meilleur rythme. Et comme il y a plusieurs baisser de rideau pour modifier le décor, cela contribue encore à allonger les choses.
  0001821001258031101.jpgCe n’est pas un hasard si l’on retrouve aussi cette même sagesse, ce trop grand respect du texte dans Maison de Poupée. On a l’impression que Brausnchweig n’a pas voulu ou pas osé  toucher à Ibsen, alors qu’Ostermeier avait été plus radical dans son adaptation et avait recréé, sans toucher comme il dit au coeur de la pièce, un univers  contemporain, pour le plus grand bonheur du public.
  Du côté de la direction d’acteurs, aucun doute là-dessus, Stéphane Braunschweig sait faire et bien faire, mais, à relire le texte, on ne sent pas toujours, telle que l’interprète Maud Le Grevellec,la manipulatrice sournoise et presque cruelle qu’est finalement Rebekka. Les autres comédiens: Claude Duparfait,( Johannes) Christophe Brault ( Krolle) , Marc Susini (Mortensgaard) et Sylvie Mercier ( la femme de chambre) font un travail précis mais dans le rôle de Brendel, Jean-Marie Winling est tout à fait remarquable et  fait preuve d’une vérité dès la première minute, quand il débarque sans prévenir dans la maison du pasteur…
  Alors à voir? A vous de juger. Vous pouvez éventuellement, avec les réserves indiquées , et si vous êtes vraiment passionné par Ibsen, vous enfiler les deux heures trente cinq de la pièce, soit vous contenter d’ aller voir Maison de Poupée- dont le texte, qu’ on finit par connaître presque par cœur, est vraiment éblouissant. Même si la mise en scène propre comme il faut, et qui reste tout de même beaucoup trop sage, il y a Chloé Rajon ( Nora) qui est excellente  dans son approche du personnage, à la fois inconsciente des efets ravageurs que son faux en écritures privées peut déclencher, puis, déterminée et courageuse  à la fin quand elle comprend qu’elle n’a plus rien à faire avec l’homme qui l’a mis plus bas que terre et Philippe Girard (le docteur Rank) . Mais, actuellement, côté mise en scène,il n’y a pas mieux sur le marché parisien.  En tout cas, conseil d’ami:  évitez l’intégrale: à cause de Romersholm, l’éternité, soit presque sept heures avec l’entracte, c’est  long surtout vers la fin..

Philippe du Vignal

#  Le décor ci-dessus est celui du salon aux murs presque noirs de Rosmersholm où est encastré celui du bureau qui est une des pièces de l’appartement moderne d’ Une Maison de poupée, lequel est aussi peu convaincant.Le cadre de la porte du fond surdimensionnée , avec une boîte à lettre transparente pour que l’on voit bien la lettre de dénonciation que redoute Nora (!) est à l’origine celle de la porte-fenêtre du salon de Rosmersholm: ce genre de bricolage, même techniquement bien maîtrisé, quand il est destiné  à deux pièces différentes n’est jamais vraiment très efficace, et l’on a encore ici la preuve. Il existe pourtant nombre de scénographes maîtrisant bien leur métier auxquels Stéphane Braunschweig pourrait faire appel, au lieu de faire dans l’à-peu-près.Mais bon, tant pis….

 

Philippe du Vignal

Théâtre de la Colline jusqu’au 20 décembre et du 9 au 16 janvier 2010.

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UNE MAISON DE POUPÉE  d’ Henrik Ibsen, mise en scène et scénographie de Stéphane Braunschweig

Nora, jeune épouse apparemment frivole fait irruption dans son appartement les bras chargés de paquets. C’est la veille de Noël, elle a fait des achats, un peu trop tôt au goût d’Helmer son mari, ancien avocat qui sera nommé directeur de banque quelques jours plus tard, ce qui la réjouit au plus haut point. Avec l’arrivée inopinée de Christine, une amie d’enfance démunie à la suite d’un veuvage, on apprend que Nora s’est lourdement endettée pour sauver la vie de son mari en l’emmenant en Italie pour le guérir d’une grave maladie. Et elle a fait un faux en écriture et ne peut donc honorer la reconnaissance de dette qu’elle a contractée auprès de Krogstat, un employé de la banque que son mari s’apprête à licencier pour donner son poste à Christine. Aux abois, elle ne se confie pourtant pas au riche docteur Rank, fidèle ami du couple, amoureux d’elle et mourant.

  Helmer, lui,  ne cesse de proclamer son amour à Nora, son aimée qu’il prend pour une tête de linotte, jusqu’au moment où il découvre sa supercherie et la rejette violemment. Finalement Krogstat retire sa plainte, Helmer se calme, mais c’est Nora,  qui est ulcérée par le comportement de cet homme qu’elle a adulé pendant huit ans ; elle décide de le quitter sur le champ, lui et  leurs trois enfants , l’abandonnant à sa médiocrité,  « je dois , dit-elle penser par moi-même et tâcher d’y voir clair. »

  Chloe Réjon campe une magnifique Nora, légère et primesautière, incapable de comprendre la loi des hommes qui l’aurait empêché de sauver la vie de son mari grâce à un faux en écriture  dont elle ne peut concevoir la gravité. Philippe Girard, fidèle comédien de Braunschweig est un docteur Rank , condamné par la maladie, ironique et grave. Le salon et la chambre immaculée des premiers actes laissent la place dans la dernière partie  au seul bureau et à  la porte grande et sombre de l’appartelment mais celui de Maison de poupée, mise en scène par Thomas Ostermeier  était autrement plus efficace. On est  gêné au début  par la diction un peu sourde d’Éric Caruso en Helmer, mais c’est tout de même de la belle ouvrage !

Edith Rappoport

Soudain l’été dernier

Soudain l’été dernier de Tennessee Williams mis en scène de René Loyon.

 

tenessee.jpg    La saison passée avait été celle de La nuit de l’iguane, mise en scène de Georges Lavaudant à Bobigny  et de Baby Doll montée par Benoît Lavigne, ( voir les articles précédents du Théâtre du Blog) et  cette année arrive le Wooster Group américain  avec Vieux carré mis en scène par Elizabeth Lecompte , La Ménagerie de verre mise en scène par Jacques Nichet au Théâtre de la Commune à Aubervilliers, dont on vous rendra compte prochainement , et enfin Un tramway nommé désir dans la mise en scène de Warlikowski bientôt au Théâtre de l’Odéon …Et l’on en oublie sûrement, tant le monde de Tennessee Williams fascine metteurs en scène et public
Soudain l’été dernier n’est sans doute pas l’une des plus jouées des oeuvres de T. Williams, malgré le succès du film réalisé par Mankiewicz The last Summer ( 1959), (mais désavoué par Williams) avec Katerine Hepburn, Elizabeth Taylor et Montgomery Clift. Mais c’est une pièce attachante par bien des côtés. Soudain l’été dernier , comme la plupart de celles du dramaturge américain , a quelque chose à voir avec sa vie personnelle (père absent et haï, soeur adorée en proie à la schizophrénie et qui fut opérée par lobotomie, homosexualité difficilement vécue..)

  C’est l’histoire de Violette Venable, très riche bourgeoise qui a une belle et grande demeure à la Nouvelle Orléans; nous sommes en en 1935, à la fin de l’été, dans une atmosphère lourde et poisseuse.  Son fils Sébastien est mort l’an passé, dans des circonstances tragiques  et mystérieuses à Cabeza de Lobo,  que l’on  pourrait situer  en Amérique du Sud où il était parti avec sa cousine Catherine.
Mais, comme le récit de ce meurtre par Catherine dépasse l’entendement, il est considéré comme peu crédible, et elle est déclarée  psychiquement atteinte et  internée malgré son obstination à répéter  sa version de la mort tragique de Sébastien. Violette Venable, décide alors de demander à un jeune neuro-psychiatre ,spécialiste de la lobotomie ( intervention chirurgicale dans le lobe frontal du cerveau siège de la mémoire, du langage et de certaines notions cognitives qui se révéla  sans grande efficacité et qui n’est plus guère pratiquée) mais  les choses se compliquent puisque Violette Venable pratique un petit chantage en lui proposant une forte somme d’argent pour l’aider dans ses recherches ,ce qui sous-entend : opérer et  interner définitivement Catherine. En fait, l’on va vite comprendre que Violette Venable, atteinte d’une jalousie morbide, n’ a jamais supporté l’amitié que vouait Sébastien à Catherine qu’elle l’ait remplacé auprès d’elle dans ses voyages, en servant de rabatteuse auprès de jeunes hommes que son cousin voulait séduire.

  D’après Catherine , Sébastien aurait été tué par une bandes d’adolescents très pauvres et  affamés,  » horde de petits moineaux noirs déplumés » , prêts évidemment à se prostituer sans difficulté aux riches blancs qui passent des vacances dans leur pays et  qui l’auraient ensuite déchiqueté et mangé…

  Violence extrême, haine de l’étranger et racisme bien ancrés, en même temps qu’attirance sexuelle et perversité: dans le milieu des riches américains du Sud dont fait partie Violette Venable, on ne semble guère s’embarrasser de scrupules quand le mensonge doit prendre toutes les apparences de la vérité.Et l’argent est la clé qui permet d’installer l’autorité d’un discours officiel, et, au besoin, de pratiquer un internement psychiatrique, comme il a permis aussi  à Sébastien de vivre ses amours homosexuels  dans des pays dénués de ressources…

  Le jeune neuro-psychiatre , que l’on sent amoureux de sa patiente, décide alors d’injecter quelque chose comme un sérum de vérité à  Catherine pour essayer de démêler le vrai du faux, pour essayer de faire sortir la vérité de la parole et conclura: « si cette jeune fille disait la vérité. »..Ainsi s’achève cette pièce , à la fois datée mais qui renvoie à l’actualité la plus récente sur fond de racisme et de tourisme sexuel, et d’ homophobie!  Bien traduite par  Jean-Michel Déprats et Marie-Claire Pasquier, la pièce n’est sans doute pas aussi bien construite que les grands chefs-d’oeuvre de Tennesse Williams.Mais, en grand conteur qu’il est, Williams réussit très bien à créer des images fortes par la voix de ses personnages, comme celle de la plage surchauffée  et du restaurant où ont pris place Catherine et Sébastien, ou comme celle des oiseaux  qui dévorent les tortues des îles Galapagos. Ce qui touche le public chez Tennessee Williams, c’est sans doute les relations difficiles entre les personnages et cette peur du futur  qu’ils ont tous, faute peut-être d’un passé familial à peu près correct; l’écrivain pensait que si le Créateur n’avait pas tout ordonné pour le mieux, du moins , avait-il accordé un don inestimable aux animaux en les privant de la faculté inquiétante de réféchir sur l’avenir…

  soudainletedernier172.jpg La mise en scène de René Loyon est sobre et efficace , tout comme sa direction d’acteurs; pas de pathos, pas de grandes envolées lyriques, mais une grande rigueur dans le traitement du texte. Et René  Loyon  joue aussi avec beaucoup d’habileté avec  les lumières de Laurent Castaingt et les sons de Françoise Marchessau. et arrive à recréer un monde d’une cruauté parfaite, surtout quand la petite Catherine arrive sans rien comprendre, prête à être dévorée par sa tante qui la hait et par le jeune neuro-psychiatre qui, au début du moins, ne semble pas avoir de scrupules à traiter Catherine comme il l’entend….Et comme la distribution est d’ un excellent niveau, en particulier Marie Delmarès ( Catherine) qui est tout à fait exemplaire d’intelligence et de vérité , on écoute cette parabole sur l’humanité-même si elle est effroyable- avec beaucoup de plaisir… En dépit des deux  monologues/tunnels assez maladroits qui débutent la pièce et que l’on aurait pu élaguer.. Alors à voir ? Oui; cette mise en scène  est beaucoup plus convaincante que celle des deux autres pièces jouées l’an dernier.

 

Philippe du Vignal

 

Théâtre de la Tempête jusqu’au 13 décembre et Théâtre des Célestins à Lyon du 30 mars au 8 avril 2010.

Passion Théâtre de Micheline Boudet

Passion Théâtre de Micheline Boudet

     34262.jpgCe ne sont pas à proprement parler des souvenirs mais plutôt le parcours d’un petit rat de l’Opéra qui y rencontre un autre petit rat, nommée Marie Bellon qui deviendra par la suite Marie Bell dont elle retrace la vie, en même temps que la sienne. Comme les temps de sa jeunesse furent, disons, troublés: la guerre,la débâcle de 40 et l’occupation allemande avec les premier bruits de botte de l’armée du Reich sur les Champs-Elysées, l’antisémitisme avec le départ contraint vers l’étranger de Vera Korène , d’Henri Bernstein et de combien d’autres,  et enfin l’épuration , avec ses règlements de compte pas toujours très propres. Micheline Boudet raconte leur entrée dans le petit univers du théâtre où elle firent une longue et brillante carrière, notamment à la Comédie-Française où elle furent toutes deux sociétaires: Micheline Boudet y joua beaucoup, entre autres : Feydeau , Musset, Molière et Marivaux. Marie Bell, décédée en 85,  y créera le rôle de Dona Prouhèze dans Le Soulier de satin, jouera magnifiquement Phèdre et accueillera Peter Brook avec Le Balcon de Genet dans son Théâtre du Gymnase qui porte aussi maintenant son nom. On croise au fil des pages nombre d’acteurs célèbres et reconnus comme Raimu, Jouvet, Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault, Gérard Philipe, Pierre Dux, Arletty, Robert Hirsch, Jeanne Moreau mais aussi des écrivains comme Céline.

  Micheline Boudet rappelle que c’est grâce à Marie Bell qui intervint auprès de Nordling, consul général de Suède, que Céline put rentrer d’un exil de sept ans, lequel Raoul Nordling avait aussi agi auprès de Von Choltilz pour qu’il ne mette pas à exécution l’ordre d’ Hitler de détruire Paris. Elle évoque  aussi les hommes politiques de l’époque qui, ne dédaignaient pas  de choisir une amoureuse parmi les actrices de théâtre, comme Georges Mandel avec Béatrice Bretty, Mandel qui sera  assassiné par la milice , ou Edouard Herriot. Micheline Boudet dit les choses simplement, ne parle que de ce qu’elle a vécu, avec beaucoup de fraîcheur et d’humilité, ce qui n’est pas si fréquent chez les comédiens , et, comme comme cette petite chronique du théâtre français des années 50, plutôt bien écrite, est aussi un peu celle de la vie politique française de ces années-là, ces deux cent pages se lisent très vite, et l’ on en redemanderait bien une petite louche…

  Même si les noms évoqués, si familiers à Micheline Boudet et à ceux de la génération qui suivit, sont maintenant presque tous inscrits sur des pierres tombales, et risquent de ne rien évoquer aux jeunes gens d’aujourd’hui, ce livre contribue très utilement à la mémoire du théâtre français.

Philippe du Vignal

Editions Robert Laffont; prix : 18 euros

Le Cerceau

capturedcran20091112220435.jpgLe Cerceau de Victor Slavkine, mise en scène de Laurent Gutman.

   Les présentations: Slavkine, qui a 74 ans, ci-devant ingénieur des transports, puis journaliste dans l’ex URSS a été propulsé sur le devant de la scène théâtrale avec La fille adulte du jeune homme montée par le grand Vassiliev il y a trente ans puis, en 82, écrivit Le Cerceau que monta aussi Vassiliev dans une mise en scène exemplaire et que nous avions pu voir à Bobigny. Depuis, c’est devenu une sorte de pièce culte en Russie qui est aussi souvent jouée en Europe.

  L’histoire est simple: Petouchok, un ingénieur, célibataire d’une quarantaine d’années, a hérité de sa grand-mère d’une belle maison de campagne, et il y a emmené pour un week-end, cinq amis qui ont à peu près le même âge que lui: une femme qui, autrefois, a été son amante passionnée, et trois hommes, et une autre jeune femme de 26 ans. Petouchok a envie de transformer cette maison dont il ne sait finalement pas trop quoi faire en un lieu où pourrait se rassembler une communauté d’amis, vieux rêve utopique qu’il doit porter depuis des années sans se l’avouer à lui-même, dans le but de ne plus être en proie à la solitude, même si les choses ne sont pas aussi évidentes à réaliser. Après tout, qu ‘ont-ils en commun sinon un même regard sur le passé? Pour le moment, ils sont là , autour d’une grande table ovale, et tout est paisible dans cette maison, il y a de beaux chandeliers qui dispensent une lumière douce, et ils s’amusent à lire des paquets de lettres de la grand-mère de Petouchok à son amoureux qui est devenu un vieux monsieur et qui, justement, comme si c’était dans l’ordre naturel des choses, arrive dans cette maison où il vécut autrefois. Et tous l’écoutent , avec beaucoup d’attention, raconter des pans de sa vie.  

  Quant à Petouckok qui retrouve son amante, il semble réaliser que leur amour commun avait sans doute besoin d’une rupture initiale, pour prendre vraiment vie , et que cette attente leur a été plutôt bénéfique à tous deux. Mais, en même temps, comme si aucun d’eux n’avait rien à cacher, elle lui confie publiquement qu’elle trouve leur vie si vide et si odieuse qu’elle éprouve un profond besoin d’être aimée.

  Le passé à jamais disparu, le présent sans intérêt, la nostalgie toujours aux aguets, la société soviétique qui a été emportée dans le grand vent de l’histoire et le besoin qu’ils ont tous de se rapprocher, même s’ils ne semblent pas se faire trop d’illusions sur les chances réelles de voir se créer une communauté, sont les thèmes essentiels de cette pièce où il y a finalement peu d’action mais  dont on écoute pourtant chaque dialogue avec gourmandise pendant trois heures … Sans doute, comme on l’a dit souvent, parce que son univers rappelle encore et toujours, celui des personnages de Tchekov. Mais, trente ans plus tard après qu’elle ait été écrite, la pièce sonne toujours aussi juste et semble même s’être encore bonifiée…

   Il faut dire que la mise en scène et la direction d’acteurs de Laurent Gutman , qui a choisi de ne plus assurer la direction du Centre Dramatique de Thionville, sont d’une rare efficacité, si bien que l’on entre tout de suite en connivence avec les personnages de Victor Slavkine. D’autant plus qu’il a su créer des images et d’une grande beauté qui font parfois penser à celles qu’imaginait le grand Klaus-Michael Gruber disparu l’an passé. Aucun pathos, aucune déclamation mais une grande proximité de la parole que l’on perçoit parfois comme dans un murmure, toujours en osmose avec une remarquable gestuelle, et toujours aussi en accord avec les silences qui prennent ici une importance capitale , surtout quand ils sont soulignés de lointains échos musicaux.

  Et la bande d’acteurs que Laurent Gutman a fait travailler ( Jade Colinet, qui joue magnifiquement la jeune naïve de 26 ans, Bruno Forget, Daniel Laloux qui possède une présence imposante dans le rôle du vieux monsieur, Marie-Christine Orry, avec son humour corrosif, Eric Petitjean, François Raffenaud et Richard Sammut, ) possède une unité de jeu tout à fait rare et chaque personnage est toujours à l’écoute de l’autre. Et  ce genre de performance est vraiment exceptionnel dans le paysage théâtral contemporain

   On ne voudrait pas dire ( mais on le dira quand même) : les distributions de théâtre importants comme par exemple, la Comédie-Française, avec des acteurs qui passent trop souvent d’une pièce à l’autre, n’ont pas toujours cette qualité de jeu scénique.Au chapitre des inévitables réserves: quelques longueurs, notamment dans les longs monologues de Lars, et  la mauvaise répartition du spectacle: 40 minutes/ entracte/ 100 minutes / entracte/ 40 minutes, rendue nécessaire (?) par un changement de décor, qui aurait pu nous être épargnée,  tout comme cette stupide invasion de fumigène dans la dernière partie dont on peine à voir la raison. Mais ce sont des défauts mineurs et facilement réparables.

 Le spectacle est actuellement présenté au Studio-Théâtre que Daniel Jeanneteau a bien eu raison d’accueillir; c’est donc à Vitry encore pour quelques jours mais le RER C, lui, fonctionne bien, et le Studio-Théâtre est à six minutes de la gare; oui, cela dure trois heures mais qui passent vraiment très vite; oui, c’est jusqu’au 15 novembre seulement; oui, il n’y a qu’une cinquantaine de places mais si vous pouvez y aller, vous ne serez pas déçus…

 

Philippe du Vignal

 

Le 14 novembre à 19 heures et le 15 à 16 heures, seulement au Studio-Théâtre de Vitry-sur-Seine ; puis le 27 janvier au Théâtre Anne de Bretagne de Vannes; le 11 février à la Passerelle de Saint-Brieux; le 26 mars à la Scène nationale de Chateauroux et le 30 mars au Théâtre Gallia de Saintes.

 

Le Cerceau est publié dans la traduction de Simone Sentz-Michel aux Editions Actes-Sud Papiers.

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