Entretien avec Jean Lambert-wild.
Jean Lambert-wild, qui passa les dix sept premières années de sa vie à La Réunion, fut d’abord acteur, puis metteur en scène et fut un jour nommé à la tête de la Comédie de Caen à 34 ans où il succéda à Michel Dubois; il a monté cette année Le Recours aux forêts sur un texte du philosophe Michel Onfray, et une libre adaptation de La Chèvre de Monsieur Seguin d’Alphonse Daudet, spectacle qui sera aussi présenté en Avignon.
Exigeant avec lui-même, créateur hors normes , s’il ne craint pas d’arborer sa casquette de directeur de centre dramatique avec les responsabilités que cela suppose,il a surtout , chevillée au corps, la volonté d’accomplir une œuvre personnelle, autant sur le plan du texte que sur scène.Mais il n’est bien, dit-il qu’entouré de ses partenaires, que ce soit pour la musique, la vidéo, la scénographie, l’art de la magie, et bien entendu, l’équipe technique et administrative son théâtre: Comédie de Caen et Théâtre d’Hérouville. L’homme, simple et direct, sait de quoi il parle…
- Il y a beaucoup de gens dans le milieu du théâtre contemporain qui vous prennent comme une sorte d’électron et qui ont un peu de mal à vous situer…
- Ce n’est pas étonnant. J’ai toujours revendiqué,et ce n’est pas d’hier, un travail personnel d’écriture et un travail d’équipe, en particulier avec mon compositeur Jean-Luc Therminarias qui m’accompagne dans mes projets depuis douze ans mais aussi, l’an passé, avec des artistes comme avec Carolyn Carlson pour Le Recours aux forêts. J’aime bien, ou plutôt je ressens profondément la nécessité de bouleverser les codes de la narration.
Pour La Mort d’Adam, j’ai demandé à François Royet, scénographe et chef constructeur une machine à jouer exceptionnelle et avec Thierry Collet, magicien et comédien qui fut élève au Conservatoire, des effets que j’ai intégrés au spectacle. Ce sont des gens qui ont une grande culture théâtrale qu’ils savent mettre au service d’une création, humblement mais avec un grand savoir-faire et beaucoup d’efficacité.
En fait, ce que j’aime dans le théâtre, c’est que les gens puissent y trouver leur autonomie; d’accord, c’est moi qui dirige et qui ai le regard final, parce que c’est indispensable et , croyez-moi, j’ai une mémoire éléphantesque mais je leur fais totalement confiance. Parce que je suis certain d’être entouré de gens ultra-compétents qui arrivent toujours à trouver la solution dont j’ai besoin et qui, surtout, savent accompagner un projet.
François Royet possède à la fois une formation de menuisier-charpentier, de machiniste,mais a aussi été chef-opérateur de cinéma…et cinéaste: c’est lui qui a tourné ce beau documentaire sur le monde des exclus et vous l’avez vue: la scène qu’il a construite ressemble beaucoup aux magnifiques scènes en bois du 18 ème siècle; quant à Thierry Collet, il sait tout de la magie traditionnelle, je le connais depuis quinze ans mais il se sert aussi de moyens électroniques sophistiqués. pour moi, la magie participe d’une réflexion profonde sur le théâtre et j’ai une obsession : retrouver le savoir-faire et les techniques du théâtre à l’italienne pour faire pénétrer le spectateur dans une espèce de fantasmagorie. Il y aura, je pense une relation très particulière avec le public quand il verra le mouchoir voler au-dessus de la scène, faire un tour dans la salle puis revenir à son point de départ.
Thierry Collet, lui, a toujours eu une réflexion dramaturgique, et il cherche à lier magie et perception/quête de sens; ce n’est pas pour rien qu’il a travaillé avec des gens comme Kokkos ou Laurent Laffargue, et qu’il enseigne aussi au Conservatoire. Tous sont comme des « traducteurs » de ce que je veux scéniquement parlant: ils me sont d’une aide très précieuse.
- Et cette Mort d’Adam, c’est un voyage de retour vers l’enfance disparue avec votre fils comme guide, comme une sorte d’Hermès…
Oui, je dirais que c’est comme une mélopée qui est un des éléments de cette grande fresque personnelle que je peins depuis pas mal d’années: L’hypogée avec trois Mélopées, trois confessions: Crise de nerfs-Parlez moi d’amour que je n’avais pas pu présenter au Festival, en 2003.
Autour précisément de cette île de mon enfance où j’essaye de raconter , à travers la vie d’un taureau appelé Adam, qui est mort et que j’ai mangé avec ma famille, et c’est le sacrifice de cette bête qui me rend particulièrement attachante l’histoire fameuse du Minotaure qui me fascinait quand j’étais enfant. Et cette autobiographie un peu fantasmée, c’est celle de mes racines,toute la part un peu sauvage qui a construit mon identité. C’est la fable qui m’intéresse dans cette quête incroyable du passé et de l’enfance, dont on sait pas trop , dans le cas de cette Mort d’Adam, ce qu’elle comporte de réalité ou d’imaginaire d’imaginaire; beaucoup de choses enfouies étaient encore présentes ( les parfums de la nature, l’odeur de la terre mouillée, etc..), quand je suis retourné il y a quelques mois à la Réunion pour filmer certains paysages qui font partie de ce spectacle. C’est impossible mentalement pour moi de m’échapper de cette île…
Pour en revenir à l’enfance, j’avais emmené là-bas Camille mon fils et ce thème des relations père/fils et de l’enfance est aussi celui qui est, bien sûr, au cœur de cet autre spectacle qu’est cette adaptation de La chèvre de M. Seguin. L’enfance , c’est surtout la continuité de l’enfance qui ne cesse de me surprendre, même arrivé à l’âge adulte et père de deux jeunes enfants. C’est ce que j’ai voulu montrer dans les images de ce film, avec cette relation si particulière entre un père et son fils.
Vous avez parlé tout à l’ heure d’exorcisme: oui, c’est cela, j’ai vécu dix sept ans à la Réunion et seul, le théâtre, me semble-t-il, me permet d’accomplir cet exorcisme des dieux et de mes peurs. Pas le cinéma.
Ce qui est irremplaçable au théâtre, c’est cet espace de vie et de mort à la fois, cet espace hors normes: comment imaginer un théâtre sans public? Une représentation participe de tout un rituel et je crois que je travaille sur des ellipses et surtout sur un échange de signes entre la salle et la scène, grâce aussi à la narration de la fable que je fais dire par Bénédicte Debilly. Le spectateur verra les images du film de François Royet et entendra le texte sans qu’il ait nécessairement un lien entre les deux, et ce sera au spectateur de relier cette fable à son histoire personnelle à lui.
- Pouvez-vous nous parler de Jeremiah McDonald, seul acteur mais silencieux qui est sur scène?
- C’est en surfant sur You Tube que je l’ai découvert, grâce à une incroyable ressemblance avec moi qui m’a aussitôt frappé. Comme une sorte de sosie… Et ensuite, j’ai découvert son personnage de clown et la série de courts métrages assez étonnants qu’il a réalisés, alors qu’il gagnait sa vie comme contrôleur de parking… Et, à son étonnement, je l’ai fait venir des Etats-Unis : il a accepté, et je l’ai engagé comme artiste associé à la Comédie de Caen. Il ne parle que quelques mots de français mais je communique avec lui en anglais et il est d’une rigueur tout à fait remarquable dans le travail sur scène.
- Comment voyez vous votre avenir théâtral?
- Bonne question! Ce qui compte pour moi, c’est de parvenir à boucler mon projet d’écriture et de le mettre en scène; ensuite, j’irai vendre des crêpes en Bretagne! Ou bien je ferais du théâtre mais tout à fait autrement! Après tout, j’ai commencé le théâtre à 20 ans à partir de zéro, j’ai été à l’ école de la marine marchande, j’ai joué de petits rôles chez Langhoff, et puis enfin, j’ai travaillé avec Michel Dubois… Donc je verrai bien, mais, en ces temps difficiles, une chose dont je suis sûr, c’est que le théâtre peut être un lieu de rassemblement des énergies qui appartient à tous, un véritable bien collectif, un lieu où peuvent œuvrer des artistes engagés dans des processus de création différents. Et je reste convaincu qu’il n’y a que le théâtre pour accomplir cette mission…
Philippe du Vignal
A Caen, mai 2010



