Conversations avec ma mère

Conversations avec ma mère, d’après le film Conversaciones con Mama de Santiago Carlos Oves, adaptation théâtrale de Jordi Galeran, traduction de Dyssia Laubatière, espace et mise  en scène de Didier Bezace, Laurent Caillon et Dyssia Laubatière.

638445sanstitre.jpg  Cela se passe en Argentine en 2002; qui  ne peut absolument  faire face à sa dette extérieure; et  la situation devient   d’autant plus explosive, que le F.M.I. ne veut pas accorder une nouvelle aide et que la Banque Mondiale refuse aussi d’aider le pays considéré comme peu fiable. Cela ira des émeutes urbaines aux pillages, jusqu’à l’attaque de la mairie de Cordoba… Bref, l’Argentine connaît une explosion sociale sans précédent.
 C’est dans  ce contexte qui va bouleverser les rapports humains que se situent ces Conversations avec ma mère. Mama, elle,  a 82 ans mais a le verbe haut et la répartie facile; son fils Jaime, qui a toujours été son petit garçon… en a déjà quand même 55 ! Elle est veuve depuis un bout de temps,  et vit seule dans un appartement qui appartient à Jaime et à son épouse. Lui, avait  sans doute une bonne situation comme on dit, et possède une grande maison où il habite avec ses enfants , sa femme et et sa belle-mère que Mama n’a jamais supportée.
  Quant à ses petits-enfants, elle voit bien qu’elle ne fait pas partie de leur univers et ils ne viennent pas souvent la voir… Son fils, lui,  passe, mais ne reste jamais déjeuner. Situation rien de plus banale, oui, mais voilà dans cette Argentine exsangue, tout a basculé:  Jaime a été licencié et voudrait revendre l’appartement pour faire face aux dépenses de la vie quotidienne  et propose à Mama, pour résoudre la question, de venir habiter avec eux. Refus calme mais déterminé de la vieille dame qui ne voit pas pourquoi elle irait habiter ailleurs. D’autant plus qu’elle finira par avouer à Jaime qu’elle s’est trouvé un amoureux en la personne de Gregorio, d’une bonne dizaine d’années plus jeune qu’elle! Elle l’a recueilli alors qu’il vivait dans la rue… La situation se complique puisque Jaime avouera aussi à sa mère qu’il ne s’entend plus du tout avec son épouse…
 Il y a comme cela six séquences/ conversations, à la fois émouvantes et souvent drôles, où cette mère et son fils se parlent comme s’ils ne s’étaient pas parlés depuis bien longtemps. Mama n’a pas la langue dans sa poche, rudoie parfois Jaime qui doit encore avoir quinze ans pour elle, jusqu’à lui faire reconnaître qu’il ne fait plus jamais l’amour avec sa femme! Et, dans la dernière  et très belle séquence, Mama qui a fini par décéder, se prépare pour son enterrement et   continue à parler calmement des détails de la cérémonie avec Jaime. Et Gregorio,  finalement, restera dans l’appartement…
 Il y a juste sur le plateau, une grande table et deux chaises et c’est mis en scène avec beaucoup d’intelligence et de sensibilité par Didier Bezace qui incarne Jaime. Et c’est la grande Isabelle Sadoyan que l’on beaucoup vue chez Planchon avec cet autre grand acteur qu’était son mari Jean Bouise, qui joue Mama ; c’est un spectacle  extrêmement raffiné dans la moindre expression des sentiments, dans le moindre geste, et d’une extrême pudeur : pas de cris, pas de grandes tirades mais des phrases toutes simples qui parlent à  chacun.
  Didier Bezace et Isabelle Sadoyan sont vraiment exceptionnels  de vérité dans ce spectacle d’une heure et quart, tout à fait passionnant et qui appartient vraiment  à un théâtre populaire. Ce jeudi soir était celui de la centième représentation de Conversations avec ma mère, fait rarissime dans le théâtre public et peu fréquent dans le théâtre dit privé, après une longue tournée qui va reprendre après Aubervilliers.  » Jouer longtemps, dit Didier Bezace, ce que le public aime, c’est assurément un enjeu de la démocratisation culturelle et un gage de respect des moyens publics mis à notre disposition pour la création ».
Cette centième  fut ensuite simplement et amicalement fêtée… N’oublions jamais que sans ces pionniers de la décentralisation  comme Jack Ralite, ancien maire  et Gabriel Garran, ancien directeur du Théâtre qui étaient là, le Théâtre de la Commune n’aurait peut-être jamais existé. Cela fait du bien de voir aujourd’hui la grande salle bourrée rire à un Labiche mis en scène par Jean-Louis Benoist, et, en même temps, dans la petite salle ces merveilleuses Conversations avec ma mère. Ces acquis,  qui furent souvent arrachés et conquis de haute lutte, devront, à tout prix, être préservés.

Philippe du Vignal

Théâtre de la Commune d’ Aubervilliers


Archive de l'auteur

Trois folles journées ou la Trilogie de Beaumarchais

Trois folles journées ou la Trilogie de Beaumarchais, d’après Beaumarchais, adaptation de Frédéric Cherboeuf et Sophie Lecarpentier, mise en scène de Sophie Lecarpentier.

spectaclec2982.jpgPourquoi jouer Le Barbier de Séville, Le Mariage de Figaro et La Mère coupable dans une même soirée? Sophie Lecarpentier a eu l’idée de monter une adaptation de cette  épopée en trois épisodes, écrite sur quelque vingt ans ( 1775, 1785, et 1792) où l’on retrouve dans chacune de ces pièces le même et célèbre personnage de Figaro, d’abord dans sa jeunesse à 27 puis à 30 ans et enfin  à 50 ans, c’est à dire un âge pour l’époque beaucoup plus avancé que maintenant. La metteuse en scène s’appuie sur les mots mêmes de l’auteur qui, dans la préface de La Mère coupable, écrivait: « J’approuve l’idée de présenter, en trois séances consécutives, tout le roman de la famille Amalviva, dont les deux première époques ne semblent pas, dans leur gaieté légère, offrir de rapport bien sensible avec la profonde et touchante moralité de la dernière; mais elles ont , dans le plan de l’auteur, une connexion intime ».
Et c’est vrai qu’il y a quelque chose de tentant  à mettre en scène cette saga familiale  où l’on croise des hommes et femmes d’âge différent: jeunes , d’âge mur et à l’entrée de la vieillesse, dans deux comédies d’abord, dont Figaro  est sans doute la plus célèbre du répertoire français, qui convergent comme le dit  Beaumarchais vers cette ouvrage terrible qu’est La Mère Coupable. La dernière de ces pièces  étant la moins connue et rarement jouée,  qui a pour sous-titre L’autre Tartuffe et qui se passe cette fois en France et non plus du côté de Séville. Figaro et Suzanne sont toujours au service d’Almaviva  et de Rosine. Il n’aime guère Léon, le fils de Chérubin qui s’est tué. Par ailleurs, on apprend au cours de cette intrigue compliquée que  Florestine , la pupille du comte serait en réalité sa fille, et qu’elle ne pourra donc pas épouser Léon, le fils de Chérubin. .. Bref,  ce qui formait la trame des intrigues des deux premières pièces devient  d’un coup ici assez noir et  sordide. Seule petite note d’espérance, il se révèlera que Florestine n’est pas en fait la fille d’Almaviva… Mais le climat,  en vingt ans, s’est singulièrement alourdi.
Maintenant que fait-on, quand on veut  mettre en scène cette trilogie dans la même soirée, en quelque trois heures? Aucune autre solution possible: « faire le choix de l’intégrité et non de l’intégralité », comme le dit Sophie Lecarpentier. Plus facile à dire qu’à faire; il faut pratiquer des coupes draconiennes, et  si Le Barbier de Séville garde à peu près- et encore- sa cohérence, les raccourcis opérés dans le texte du Mariage de Figaro ont vite fait de le dénaturer et de lui faire perdre et sa fraîcheur et sa virulence. Et l’aspect politique de la célèbre pièce, avec  ce couple incroyable du maître et du serviteur, en est amoindri.
Reste une intrigue un peu squelettique où les acteurs ont du mal à trouver leur place… et on peut les comprendre…Seul, Frédéric Cherbœuf , qui est quand même le co-responsable de cette adaptation,réussit comme comédien, à tirer son épingle du jeu dans quelques scènes. Quant à La Mère coupable, qui a un côté préchi-précha  nous avouons avoir décroché assez vite. La pièce est peut-être la conclusion de cette trilogie mais, encore une fois, ce n’est pas parce que Beaumarchais l’a pensé qu’il faut le croire! Autrement, comment expliquer que cette trilogie n’ait été jouée qu’une seule fois depuis l’écriture de ces trois pièces?
Non, « cette adaptation n’invente pas un nouveau scénario, dont le sédiment est le souvenir » , comme le croit un peu naïvement Sophie Lecarpentier. Désolé, on n’ a jamais  construit un spectacle avec des sédiments, ou alors cela se saurait…Et là, très franchement, le compte n’y est pas!  Par ailleurs, mieux  vaudrait que Sophie Lecarpentier s’adresse à un( e) véritable scénographe. Ces châssis de bois à lamelles,  ce canapé blanc que l’on croirait sortis d’un  sous-Ikéa et qui veulent faire contemporain  sont d’une laideur proverbiale, encombrent l’espace au lieu de le servir et ne sont pas du tout efficaces. Ce qui n’arrange rien!
Alors à voir? Non, pas vraiment;cette contraction pâlichonne des  trois pièces ,mise en scène et jouée sans beaucoup de rythme n’a vraiment rien de séduisant. On a du mal à trouver des raisons de vous y envoyer…Sophie Lecarpentier s’est plantée: cela arrive, mais le grand Beaumarchais mérite mieux que cela.

 

Théâtre de l’Ouest Parisien. Boulogne-Billancourt jusqu’au 26 janvier , puis au Théâtre des Deux Rives à Rouen du 1 er au 5 février.

 

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Oreste

Oreste d’Euripide, mise en scène de Christian Esnay.

Il y  dans la trilogie d’Eschyle, après l‘Agammenon où Egisthe tue Agamemnon ,  Les Choéphores et les Euménides qui correspondent à  la vengeance d’Oreste qui tue sa mère et son amant Egisthe, avant de s’enfuir,  puis son jugement par un tribunal démocratique quand il revient à Athènes. C’est  de ce moment où Oreste se retrouve seul, dont nous parle Euripide,  où le meurtrier abandonné par les Dieux , n’en finit pas de subir psychologiquement les effets de ce meurtre sur sa conscience. Et au tout début de la pièce , l’on voit Oreste en plein désarroi mental, qui se sait passible de la peine de mort, prostré sur une couverture, et  veillé par  sa sœur Electre. Mais arrive le frère d’Agamemnon, son oncle, le fameux Ménélas et Tyndare son grand-père qui lui condamne son acte criminel. Ménélas lui aurait  plutôt tendance à le défendre mais ne fait pas grand chose de concret pour le sauver. Seul, son ami Pylade l’accompagnera devant l’assemblée du peuple d’Argos, réuni en tribunal. Après discussions, le tribunal  accordera seulement pour sa sœur et lui d’échapper à la lapidation en se suicidant . Et Pylade décidera, par tendresse, décidera lors aussi de se tuer avec eux…
Mais revirement soudain: Pylade, pour se venger de la lâcheté de Ménélas décide de tuer son épouse, la très fameuse Hélène, et Electre propose alors de prendre en otage Hermione , la fille d’Hélène… Comme dans un bon polar, il y a un grain de sable non prévu qui va enrayer la machine et c’est Hermione qui risque donc d’être égorgée.Tandis qu’Oreste et Pylade veulent incendier le palais.
Deuxième coup de théâtre,  ou plutôt arrivée réelle du deus ex machina en la personne du grand Apollon et décide d’arrêter cette série de violences, un peu comme Athéna chez Eschyle à la fin de la trilogie: Oreste va devoir épouser Hermione, Pylade se mariera avec Electre et quand à Hélène, elle, partira, sur ordre d’Apollon pour le domaine des cieux. Ainsi, finira la fuite d’Oreste qui pourra échapper au verdict qui le menaçait et l’ordre sera enfin rétabli.  La pièce qui commence par une véritable tragédie, visiblement influencée par Eschyle , puisque ce double meurtre pas encore jugé , risque fort de déboucher sur une double exécution capitale finit plutôt comme une comédie. Et le dénouement , comme Aristophane, fin scénariste comme Euripide, avait déjà trouvé à l’époque  que ce revirement de l’action avec cette différence de ton entre le début et la fin de la pièce avait quelque chose de comique. L’Oreste d’Euripide est une pièce où si le drame de la mort et de la vengeance sont constamment en filigrane,a aussi quelque chose à voir avec le débat d’idées cher aux Grecs, comme celui sur l’opposition entre la vie des Grecs pieux, intelligents et courageux et celui des non-Grecs dits « barbares » plus enclins au luxe et à la peur d’agir mais non au sens où nous l’entendons aujourd’hui, , ou bien encore l’idée de démocratie opposée à celle de pouvoir absolu.
Christian Esnay, après un premier compagnonnage avec Euritpide ( Hélène puis Le Cyclope a décidé de s’attaquer à cette pièce rarement montée qu’il a eu l’opportunité de réaliser sur la magnifique scène de La Faïencerie de Creil dont les dimensions doivent être proches de celles de Chaillot. Il n’a pas voulu tomber dans le piège de l’illusionnisme et du vérisme psychologique. La scène est nue, les changement de costumes se font à vue, et les comédiens ne sont pas toujours du sexe de leur personnage.
Dans une intention , on l’aura compris, de mettre en exergue le texte, grâce à l’immensité du plateau et à des éclairages de toute beauté, avec juste quelques accessoires et une direction d’acteurs exemplaire. Le spectacle a été monté en quinze jours, ce qui relève de l’exploit, d’autant plus qu’ à cause de la défaillance d’un comédien, Esnay a dû reprendre le rôle d’Oreste. Ce qui explique en partie, un côté brut de décoffrage, avec un chœur qui ne chante pas juste, soutenu par une accordéoniste,  un texte maladroit qui sent trop la traduction et a parfois un ton inutilement racoleur, ce qui est toujours, et déplacé, et énervant. Mais reste ce sens exceptionnel de l’espace où évoluent les comédiens et cette beauté plastique faite avec quelques projecteurs et quelques mètres de tissu noir. On sait bien que les tombeaux  ne sont que des praticables à roulettes enrobés de tissu, mais quelle force, quelle vison tragique! Les comédiens s’en sortent magnifiquement,: tout est à côté d’une interprétation plus traditionnelle , juste avec une petite cuiller  de brechtisme, et l’ on sent que c’est bourré d’intelligence.La mise en scène d’Esnay ne triche jamais et ils parviennent à capter l’attention d’un public très jeune, qui est resté attentif pendant les quelque deux heures de la pièce, ce qui n’était pas évident au début où le spectacle a un peu de mal démarrer. C’est en fait à une sorte de travail en cours auquel nous assistons, puisque le spectacle ne s’est joué que deux fois… Si jamais Esnay trouve les moyens de continuer ce travail, n’hésitez pas, vous découvrirez à la fois une pièce méconnue mais assez passionnante et  aussi une une grande mise en scène. Reste aux directeurs de grands théâtres à l’inviter: jouer ce beau spectacle deux fois seulement serait absurde.

Philippe du Vignal

Le spectacle a été joué à La Faïencerie de Creil les 12 et 13 janvier.

Oreste: voir la vidéo

Cérémonies

Cérémonies de Dominique Paquet mise  en scène de Patrick Simon.

   ceremonies2.jpgCe sont deux jeunes garçons Razou et Radieux, qui, très jeunes, ont été placés comme disait alors à l’Assitance Pupbluqe et on sait que la vie des enfants-là a rarement été rose et que , souvent ballottés d’un endroit à un autre, sans repères, voire maltraités dans leur famille d’accueil, ils ont eu le plus grand mal à construire leur identité. Razou, incapable de de le faire veut que Radieux lui parle de sa vie à lui au cours d’une  cérémonie qui ressemble fort à une sorte d’exorcisme, et qui peut faire penser  par moments à celui des Bonnes de Jean Genet.
Razou, paumé, possède  assez d’énergie pour exiger fortement de son copain de misère ce qu’il ne  peut se dire de lui-même. Comme si la vie qu’ils ont , n’offre pour eux d’autre intérêt que cette cérémonie où, au moins, ils peuvent se retrouver loyalement, quitte à se faire mal, parce qu’il n’y a pas d’autre échappatoire que cette parole qui ,seule,  peut les libérer de leur angoisse et de leur solitude.
Le dialogue de Dominique Paquet , très ciselé,a une qualité d’écriture et des fulgurances poétiques d’une rare intensité, et la direction d’acteurs de Patrick Simon est tout à fait remarquable: Julien Bouanich et Sylvain Levitte, et, pour quelques répliques à la fin de la pièce , Ariane Simon sont tous les trois impeccables. Diction, présence et gestuelle: tout va droit au but.
Pourtant le spectacle ne fonctionne pas vraiment bien… La faute à quoi? Au dispositif scénique qui, au début est assez fascinant. Les deux jeunes acteurs réussissent à se maintenir, grâce une sangle sur un plateau tournant en bois  qui oscille à chaque pas. L’objet en pin blond est de toute beauté et  serait tout à fait à sa place  dans un musée d’art contemporain mais, très vite, ici, sur cette petite scène , arrive à parasiter visuellement l’espace… et surtout le dialogue. Le regard du spectateur est happé par ce disque qui n’en finit pas de tourner avec ses deux comédiens  qui réalisent un travail  gestuel exemplaire pour arriver à se maintenir dessus. Aucun temps de repos, le plateau continue à virevolter et alors,  le temps, bizarrement, alors que le spectacle ne dure que 55 minutes,  commence à devenir un peu long.
Dommage… Et l’on se dit que cet étrange  et magnifique cérémonial gagnerait beaucoup à ne pas être encombré par la mise sur scène d’un  dispositif aussi encombrant qu’ inefficace…

Philippe du Vignal

Manufacture des Abbesses rue Véron mardi, mercredi et jeudi à 21 heures jusqu’au 10 mars.

www.groupe3581.com

Dominique Paquet : Cérémonies.-école des Loisirs. 6€50

Life and times

Life and times, texte d’après une conversation téléphonique avec Kristin Woorral,conception et direction de Pavol Liska et Kelly Cooper, musique originale de Robert M. Johanson.

Nature Theater of Oklahoma est  le nom de la  compagnie new yorkaise tiré du fameux roman inachevé L’Amérique de Kafka qu’ont créée Kelly Opper et Pavol Liska. « Depuis 2004, selon le programme, il ont créé quelques unes des pièces les plus remarquables dans l’ancienne capitale de l’Avant-Garde » (sic). Ils ont aussi adopté la forme proprement américaine de la comédie américaine ( resic) et » leur travail n’est pas sans rappeler Marcel Duchamp, Andy Warhol qui ont  élevé le quotidien vers les hauteurs de l’art, ou John Cage et Merce Cunningham dans leur rapport à l’aléatoire » (reresic.) Rien que cela! A lire le dossier de presse, cela valait donc le coup devant ces brillantes analyses d’y aller voir de plus près: il n’y a pas tellement de spectacles américains qui débarquent sur nos scènes d’autant qu’au cas où l’on n’aurait pas compris, on nous redit que l’influence des principes aléatoires de John Cage et de Merce Cunningham est évidente. mais quelques lignes plus loin,  rétropédalage en douceur:  » le rôle du hasard est relativement restreint ». Il faudrait savoir ce que veut Florian Matzacher, le dramaturge de la chose, qui nous explique ensuite que « les innombrables petites séquences de mouvements chorégraphiques changent chaque soir de trajectoire ».
Quant à Duchamp et Warhol, leur influence semble s’être exercée à dose homéopathique… D’autant plus que le thème du quotidien d’une famille de la classe moyenne américaine, a déjà et depuis bien longtemps été exploré, en particulier par Meredith Monk avec son opéra Atlas et de façon tout à fait remarquable, en mettant en valeur  les stéréotypes , sans les rendre dérisoires, en les traitant comme une sorte de conte musical.
lifeandtimes.jpgLife and times ( le titre reprend le début de celui d’un spectacle des débuts de Bob Wilson d’une toute autre dimension Life and times of Joseph Staline)  est donc tiré d’une série de conversations téléphoniques d’une durée de 16 heures, transmises mot pour mot y compris les erreurs, bégaiements et ratés, (cette durée peut mais peut seulement faire penser à Warhol) qui défilent sur sur l’écran de traduction simultanée où s’inscrit aussi le texte en américain… Phrases plates, bribes de mots à propos de l’école maternelle, puis du cours élémentaire :petits événements  du quotidien joyeux et tristes comme dans tout commencement de vie de tout citoyen de n’importe quel pays. Soit le dérisoire, le banal, le minuscule portés au rang de spectaculaire, puisqu’on nous dit que c’est du théâtre sur les affiches.
Et sur scène que voit-on? Trois jeunes femmes , comment dire assez enveloppées, en robes grise et tennis, sauf une qui est celle qui a le plus de présence- sans doute parce qu’elles ont mangé trop de sucreries dans leur enfance!- chanter des mélodies seules puis en chœur; comme elles ne semblent pas avoir beaucoup de voix, on leur a collé sur le front des micros H.F. qui transmettent une soupe uniforme, si bien qu’au bout de vingt minutes maximum, on commence  à saturer. Il y a de petites chorégraphies minimales dont on se lasse tout aussi vite. A te point que le second degré, comme c’est souvent le cas pour ce genre de spectacle,rejoint vite le premier!
De temps en temps un des quatre musiciens dont Kristin Worall, dont on le bonheur d’apprécier la conversation téléphonique… Ces jeunes femmes, par ailleurs assez sympathiques dans leur rôle de jeunes filles ridicules et bien comme il faut, ont une curieuse manie: elle plient légèrement mais constamment leurs genoux. .. ou se dandinent en cadence jusqu’à l’usure.. C’est peut-être ici que l’on rejoint l’idée de performance, avec cette idée de temps illimité donc insupportable (l’idée d’ennui dans le happening cher à John Cage qui nous avait quand même expliqué , pendant un repas assez drôle ( voir le 1er numéro du magazine Art press) qu’un happening ne durait pas très longtemps!. Mais ici, la plaisanterie dure quand même une heure 45 ! A la fin , trois comédiens, eux aussi plutôt enveloppés sauf un, les rejoignent, avec le compositeur qui, lui, a une belle voix. Mais ce n’est pas fini! Entracte! Et ce doit être un hasard, la salle déjà pas pleine se vide d’une moitié de son public. Et ensuite rebelote, c’est reparti encore pour 80 minutes: les trois jeunes femmes que rejoignent cette fois les trois comédiens recommencent leur petit numéro avec les mêmes accessoires: ballons rouges que l’on jette dans le public;cercles jaunes manipulés en chœur,petits foulards bleus  qu’ils se mettent sur la tête sans doute pour caricaturer les plus mauvaises des comédies musicales américaines… Il y a , soyons justes , quelques bons moments dans cette seconde partie, beaucoup plus rythmée que la première. Le même Florian Malzacher, qui prend ses précautions, conseille au spectateur » de mobiliser ses propres perceptions pour s’approprier le sens  » ( tous aux abris!) de cette cette chose finalement assez prétentieuse  et que l’on voudrait nous faire passer comme le fleuron de l’avant-garde du spectacle new-yorkais…
Ce qui aurait pu être, dans un musée ou n’importe quel endroit décalé, une sorte de performance de trois quarts d’heure assez déjantée et plutôt comique,  devient dans un théâtre à l’italienne avec lumières sophistiquées, orchestre dans une fosse  et traduction simultanée quelque chose d’un ennui exceptionnel… Signalons aux fans ( il semble en exister quelques uns!) que cet épisode 1 qui dure plus de trois heures couvre les six premières  années de la vie de Kristin Worral mais que cette sublime épopée durera 24 heures.
A l’heure où nous écrivons, nous ne savons pas si Emmanuel Demarcy-Motta  a l’intention de poursuivre l’opération mais ce sera sans nous…

 

Philippe du Vignal

 

Théâtre des Abbesses jusqu’au 15 janvier ( Il doit rester de la place ; pas la peine de réserver!)

Le Repas de Valère Novarina

Le Repas de Valère Novarina, mis en scène de Thomas Quillardet.

 

Il y a Le Vrai sang de Novarina qui vient de commencer au Théâtre de l’Odéon mais aussi un autre très bon Repas créé l’an passé à La Maison de la Poésie ( voir Le Théâtre du Blog) avec de jeunes comédiens et une mise en scène  tout à fait exemplaires , et qui est repris pour trois semaines.
Voilà, ce sera tout pour ce soir. Demain, on vous parlera d’Oklaoma au Théâtre des Abbesses … mais l’on ne vous le  conseille pas trop!
Et, pour rester dans le même quartier, de Cérémonies de Dominique Paquet,  à la Manufacture des Abbesses. Bonne et douce nuit…

 

Ph. du V.

Maison de la Poésie du 19 janvier au 6 février du mercredi au samedi à 20 h, dimanche à 16 heures.

A mon âge, je me cache encore pour fumer

 A mon âge, je me cache encore pour fumer de Rayahna, mis en scène de Fabian Chapuis.

Le titre dit déjà bien les choses…Cela se passe dans un hammam dans l’Algérie d’aujourd’hui, que l’auteur, comédienne et metteuse en scène a fui pour émigrer à Paris. Le hammam, lieu protecteur et cocon où les femmes de tout âge peuvent s’occuper de leur corps et où l’homme est rigoureusement interdit quand ce n’est pas le jour des hommes.  C’est pour ces femmes , la, possibilité d’être en elles, et d’avoir l’occasion aussi de se livrer de violentes disputes à la fois sentimentales , politiques et religieuses sans tabou.
Malgré tout, la solidarité va jouer à fond quand une jeune fille  s’est réfugiée là; en cachette bien entendu ; pas mariée,  enceinte,  elle ne va pas tarder à accoucher. Alors qu’elle est poursuivie par son frère qui veut absolument entrer dans le hammam…
Il y a là Fatima, très bien jouée par la formidable Marie Augereau,  la patronne et masseuse du hammam, la cinquantaine, solide sur ses jambes et qui a eu huit enfants contre son gré évidemment et dont la vie n’est qu’un long esclavage. Mais elle su garder une belle lucidité et a  le verbe cru: « t’en fais pas, les hommes se branleraient pour une mouche/ je préférerais que mon mari se vide n’importe où/ Il me prend par où tu sais.  Et elle a du Dieu qui  a permis autant de crimes commis sur des femmes une bien piètre opinion… ( Rappelons que l’écrivaine a été l’an dernier en plein Paris la victime d’un attentat à l’essence,  c’est dire que sa pièce doit déranger certains de ses compatriotes même en France!)  En fait, c’est surtout par la voix de Fatima que Rayahna met subtilement en scène le rapport entre le sexe féminin et le pouvoir politique et social monopolisé par l’homme au  nom de l’Islam, ou du moins de l’Islam qu’il réinterprète à son unique avantage.Il y a aussi , d’une toute autre génération: Zaya une jeune intégriste de 30 ans que l’on sent intelligente mais absolument instrumentalisée par les frères qui font dire au Coran ce qu’il n’a jamais dit; elle raconte aux autres femmes le calvaire( viol et tortures) que son mari a subi quand, à dix ans, il a été pris dans une rafle et emmené au commissariat.   Latifa, une jeune institutrice , elle, a dû subir à douze ans un mariage avec un  ami de son père, chose courante à l’époque, avec, ce qui est pire,  la bénédiction des hommes et l’accord des femmes! Samia, elle, est la deuxième masseuse; encore jeune (29 ans), elle voudrait bien goûter aux plaisirs sexuels; (impeccablement jouée par Linda Chaïb) et rêve aussi de mariage , même  arrangé par une marieuse, du moment que son futur époux est un émigré qui pourra l’emmener en France. ..  Il y a aussi Madame Mouni qui elle a émigré en France depuis longtemps et recherche une femme pour son fils, et puis Nadia , une étudiante de 26 ans qui sent bien qu’elle a très peu d’espoirs de trouver un vrai travail. Aïcha, la femme de 65 ans, reste assez résignée comme Louisa, une femme au foyer comme on dit. Rayahana ne cache rien, à la fois de l’amour qu’elle continue à porter à son pays mais où elle ne se reconnaît plus: elle revendique haut et fort l’indépendance sexuelle et  des femmes comme celles qu’elle met en  scène, dans un pays où le corps des femmes reste aliéné et enjeu politique du pouvoir, et où le maître mot reste: obéir et subir , voire souffrir, quand on est une femme; ce , évidemment à quoi  elle se refuse absolument. Avec en filigrane dans toute la, pièce, cette fascination pour la France où elles voudraient toutes vivre, sans pour autant couper les ponts avec l’Algérie.   C’est dit avec un humour parfois glaçant  qui vire même parfois  au ton boulevardier et en même temps, avec un certaine truculence et un amour de la vie qui, malgré les circonstances,  fait penser à Goldoni. Au nom de toutes ses compagnes algériennes, Rayahana veut dire leur fait à ses compatriotes hommes et faire entendre leur parole L’avenir reste sombre mais la pièce finit sur un brin d’ espoir: un enfant est en train de naître, et c’est tout d’un coup la solidarité qui joue pleinement chez ces femmes qui, vingt minutes avant, réglaient encore leurs comptes… La toute fin parait un peu conventionnelle mais bon…    C’est quand même un homme : Fabian Chappuis qui a mis en scène cette galerie de personnages assez hauts en couleurs; c’est un travail à la fois subtil, rigoureux et discret avec une belle et simple scénographie qu’ il a aussi conçue. Soit une longue jetée couverte de mosaïque, quelques bassines de fer blanc et des  tabourets de bois.    Alors à voir?  Oui, absolument, mais réservez, la salle est bourrée mais… surtout de femmes; sur 5 rangs de 15, nous avons pu compter: 2, 5, 2, 7, 2  donc au total, 18 hommes et 57 femmes. Cherchez l’erreur…


Philippe du Vignal

La Maison des Métallos , jusqu’au samedi 29 janvier à 20 heures et le samedi à 19 heures. T: 01-47-00-25-20

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Robert Plankett

Robert Plankett , écriture par le Collectif La Vie Brève, mise en scène de Jeanne Candel.

robertplanketttheatrefichespectacleune.jpgRobert Planquette , c’est peut-être un nom qui vous dit quelque chose:  celui d’un compositeur d’opérettes de la fin du 19 ème siècle ( Les Cloches de Corneville) auquel on a donné celui d’une rue  du 18 ème arrondissement ,proche de l’appartement de Jeanne Candel; le nom lui a plu, elle l’a anglicisé et  en a fait le titre de ce spectacle.
Donc ce Robert Plankett,  metteur en scène contemporain, vient de mourir brutalement d’un  AVC, comme on dit maintenant de façon pudique.  Et ses amis, sa compagne et une cousine germaine se retrouvent dans sa maison qu’il faut vider. Ils sont tous là, un peu désemparés, avec une tonne de livres et de revues à trier, un poulet congelé que certains devaient manger avec lui, et que sa compagne ne se résout ni à cuire ni à jeter et  dont l’évocation revient en boucle, comme une métaphore de Robert Plankett, lui aussi mort mais trop présent comme ce poulet dont ils ne savent que faire et qu’ ils décideront finalement de jeter.
Le début est assez étonnant: devant un rideau tendu de papier kraft, une jeune femme demande comme d’habitude de penser à éteindre les portables; en fait, ce n’est pas une ouvreuse mais un des personnages qui se lance, en guise de préambule, dans une série d’interrogations sur le fait théâtral: « Qu’est- ce qui fait qu’un spectacle commence? Est-ce que cela commence pour tout le monde en même temps? Si je vous dis que je suis née d’un père ambassadeur et d’une mère gymnaste, vous me croyez? Est-ce qu’il y a ici des gens qui n’ont jamais été au théâtre? Puis un homme découpe au cutter des fenêtres dans le papier kraft qui laisse apercevoir la tête d’une jeune femme lisant un livre d’art sur Le Titien, ou deux jeunes femmes triant des livres et les mettant en caisse. Elle est ans cette fenêtre ( voir photo)  comme encadrée; elle raconte l’histoire d’amour qu’elle a eu autrefois avec Robert en montrant-pudiquement- quelques endroit de son corps: une épaule, un cheville… Les gestes sont lents et précis, la plupart du temps en décalage avec la réalité environnante.Puis le grand rideau de papier kraft tombe d’un seul coup, pour laisser apparaître une scène vide avec quelques objets  bien réels qui ont appartenu à Robert: un vieux fauteuil en cuir, des cartons de livres , des livres alignés des rayonnages en bois, quelques chaises tubulaires, un grand tapis, bref, la vie qui continue un peu après la vie de Robert qui a cessé d’un seul coup.  Mais,  en même temps,  l’on sent une sorte de délire  s’emparer  des personnages, même quand elles boivent du thé toutes ensemble devant un garçon aux lunettes noires qui penser à Jean-Luc Godard et qui ne dira pas un mot, s’exprimant juste par quelques gestes ennuyés… . « C’ est, dit justement Jeanne Candel,  un théâtre qui circule entre concept et métaphore ». Pas mal vu comme classement,  à mi-chemin entre ce que l’on a coutume d’appeler « performance » en arts plastiques et théâtre.
Collage sans doute, d’abord d’images , de musiques,  collage de bribes de dialogues vrais  ou inventés,  de conversations décousues agrémentées  quelques disputes comme toujours au moment de l’inventaire après décès où chacun , subitement , et par pur motif sentimental ou revanchard,  revendique parfois ce dont l’autre a envie. Et cela a rarement à voir avec la valeur réelle de l’objet.
Le spectacle est bourré d’idées visuelles comme  la présence tout à fait dérangeante de cette cervelle de veau ( au fait, pourquoi dit-on : cervelle pour les animaux et cerveau pour les êtres humains. curieuse pudeur! ). Une des filles commence à décrire le fonctionnement du cerveau et à expliquer comment et pourquoi s’est produit l’AVC de Robert Plankektt convoqué justement pour montrer in vivo sa chute en ramassant des pommes , et il refait les gestes avec de vraies pommes. C’est aussi juste que poignant. Il y a aussi un formidable moment dont il faut parler: un des trois garçons emporte la masse de papier kraft  qu’il essaye de faire passer par une porte: cela fait un énorme bruit qui recouvre petit à petit la parole d’une des filles. Et puis tourne un  petit jouet/ vélo lumineux qui tourne autour des pieds des acteurs, comme le fameux petit grain imaginé par Strehler pour sa fabuleuse Cerisaie, pendant qu’ils mangent tous leur pomme en silence au moment du salut final.
On l’aura compris: le spectacle doit beaucoup à la très intelligente  scénographie de Lisa Navarro; cela ne parait rien mais  il y a des idées aussi intelligentes que  soigneusement réalisées , comme cette idée géniale de  faire découper au centimètre près ces petites fenêtres pour faire apparaître des visages et des petites scènes, ou cette dispersion des cendres de Robert sur le corps d’une des filles : quand elle se relève , on voit par terre l’empreinte en négatif d’un  corps qui pourrait être aussi celui de Robert.
Cette scénographie exemplaire- ce qui est loin d’être le cas dans le théâtre contemporain! -est en parfaite adéquation avec la mise en scène de Jeanne Candel qui est, par ailleurs, une bonne directrice d’acteurs.  Pas de cris, pas d’effets gratuits ou de minauderies, mais une gestuelle  précise et une très bonne utilisation du plateau par les comédiens ou plutôt les six comédiennes, puisque les garçons ne sont que trois!
C’est aussi une idée formidable dans un monde théâtral où les acteurs comme les directeurs ,sont toujours beaucoup plus nombreux.( Saluons au passage l’arrivée de Macha Makeieff au Théâtre de la Criée à Marseille mais cela ne fait toujours que trois directrices ….  Les comédiens se déplacent tous un peu comme dans une chorégraphie sur des musiques  de Rossini,  Bach , Schubert mais aussi de The Coasters, le fameux groupe de Los Angeles fondé en 57 … Pina Bausch  mais aussi Antoine Vitez avec son idée de pouvoir faire de faire du théâtre de tout, et Tadeusz Kantor ne sont jamais très loin: ces trois phares du théâtre contemporain  auraient sûrement aimé ce spectacle qui met en abyme la notion de spectacle, sans refaire du théâtre dans le théâtre, thème usé jusqu’à la corde et que Jeanne Candel a évité de justesse. Et c’est un spectacle qui peut parler à tous.
Mais il faudrait  que cette écriture collective ( cela revient à la mode et nous rajeunit! ), fasse l’objet d’une véritable dramaturgie: il y a beaucoup trop de longueurs,de temps morts mal gérés, trop de clichés habituels aux groupes d’anciens élèves d’école  comme ces morceaux de tirades classiques, et il faudrait que ce travail en cours fasse l’objet d’une révision par endroits drastique. Ce que ,visiblement, on ne leur a pas appris au Conservatoire national! En tout cas,  Jeanne Candel prouve qu’elle a su réunir autour d’un projet  de jeunes acteurs au métier solide, une créatrice lumière comme Sylvie Mélis et une directrice de la musique comme Jeanne Sicre: quand on sait quelles difficultés il y a à construire une véritable équipe de travail, c’est assez remarquable et  Jeanne Candel doit aller  plus loin, avec plus d’audace, si elle est   financièrement aidée. Alors à voir ? Oui, malgré les défaut signalés plus haut, ce n’est pas tous les jours que l’on assiste à la naissance d’une compagnie aussi inventive et capable d’un véritable travail scénique, à mi-chemin on l’a dit, entre la performance et le théâtre-théâtre.

Philippe du Vignal

Théâtre de la Cité Internationale jusqu’au 29 janvier.

Le Vrai sang

Le Vrai sang de & mise en scène de Valère Novarina.

 

vraisang.jpgDans le Prologue de son livre, Valère Novarina nous livre quelques pistes: « Quelque chose de l’action à vif du langage pouvant être saisi: le langage capturé vivant. Gestes des logoclastes. dans la forêt des rébus: un geste est exécuté, l’autre est dit. Aucune scène, mais seulement des faits et figures du drame. Sans lieu, sans récit, car c’est le vide qui raconte. Ecartèlement du langage dans l’espace, semé. Répétition libre de volutes libératrices (…) Le lancer du langage dans l’espace a lieu à l’aide de tous nos couteaux. Tout exécuter. Utilisation divinatoire d’une machine. jouer les maximes d’entrer-sortir. (…) La pensée respire. chanter beaucoup. Même chanter bref… Et des danses pour bien voir la chair à chacun. »
Ces quelques phrases  de  Novarina ne peuvent, bien entendu, rendre tout le foisonnement et toute la richesse d’une pièce tirée par lui du texte intégral mais donnent bien le ton du spectacle qui oscille constamment entre le comique, le délire total et la réflexion philosophique. D’autant plus que l’ensemble de châssis picturaux fonctionne bien , comme en rythme avec le langage, comme chez Kantor, ce qui n’a pas toujours été le cas dans ses spectacles précédents mais, sur un grand plateau comme celui de l’Odéon, Philippe Marioge, en vieux complice, a su lui donner une scénographie exemplaire qui constitue un véritable espace de jeu avec des accessoires, aussi loufoques qu’imprévisibles, qui savent traduire l’écriture  de Novarina.
Comme il le dit finement, la perception des couleurs change la perception du langage. Et les costumes rouges,  comme le sang justement, imaginés par Renato Bianci sont tout à fait justes, et provoquent une sorte de fascination dès qu’un comédien entre en scène. On retrouve Le Vrai sang toutes les déclinaisons poétiques de l’auteur: entre autres: ces listes  de quelque 60 noms  comme ceux  de bestioles appartenant au monde animal et dont la plupart nous sont inconnues, comme la tipule-sorte de moustique , ou l’ophiure, voisin des étoiles de mer qui a la très aimable  particularité de ne pas avoir d’anus et qui rejette ses excréments par  la bouche.Visiblement, Novarina s’est renseigné! Délicieux, non? Merci, mon Dieu, de nous avoir fait à votre image… comme il le dit aussi.
On retrouve dans Le Vrai sang les thèmes qui lui sont chers: la naissance, le corps humain, le sang, l’animalité sous toutes ses formes, l’écriture et l’espace scénique, L’Ancien comme le Nouveau testament, mais aussi les informations à la radio, la fascination pour l’accumulation de noms et de titres: Monsieur du Chiffre, L’Ange numérique, la Femme à l’Etalage, L’Enfant d’Outre-Bref, L’Animal d’Autrui, etc… mais aussi, et de façon récurrente, cette passion qu’a Novarina pour tout ce que le langage peut nous apporter, « hormone et substance chimique », dit-il; et il précise:  » si Dieu nous l’a laissé, c’est simplement pour régler nos comportements animaux ». On a beau connaître depuis  longtemps mais c’est une langue dont on ne s’en lasse pas…
Pour lui,  » la langage vient ici nous ouvrir, opérer devant nous le théâtre de la cruauté comique. Entrons dans le mélodrome ». Novarina adore les noms de famille qui ont quelque similitude comme  » Jean-François Charpin qui habite rue Jean-Charle-Potain au Vésinet ». Ou bien les énumérations par dizaines de termes techniques comme ceux de la danse classique: « pirouettes sautillées à la grande seconde, sissonne fermée, etc… que Manuel Le Lièvre ( le danseur en perdition ) tente de réaliser avec une étonnante drôlerie, un peu Chaplin, un peu Buster Keaton, avec une précision gestuelle tout à fait remarquable.
Il y a aussi, dans ce texte aussi brillant que merveilleusement poétique, des phrases absurdes que n’auraient  renié ni les surréalistes ni Pierre Dac, du genre: « L’Age légal de la mort vient d’être reculé de trois ans. Croissance: la zone euro doit faire face à un manque de visibilité inédit ».Ou « La France osera-t-elle menacer ses voisins de se retirer de l’Hexagone?  se demande ce matin dans Pensée-Magazine le philosophe Régis Gallibert ». Quant à la mise en scène, que Novarina ne maîtrisait pas toujours très bien comme beaucoup d’auteurs, il a, cette fois, bien réussi son coup avec  des  comédiens exceptionnels comme Agnès Sourdillon que l’on avait déjà vue dans ses spectacles, Nora Krief ou Nicolas Struve qui sont tout à fait à l’aise dans cet univers si particulier où Novarina s’empare du langage  mais aussi de la peinture qui sert aussi fortement le  spectacle, grâce encore une fois à Philippe Marioge.
Et les parties chantées bien maîtrisées, conçues par Christian Paccoud, un autre vieux complice à l’accordéon, sont un véritable délice. Petit bémol: Novarina aurait sans doute encore pu aller plus loin dans la folie de ses personnages qui n’en sont pas vraiment. Cela peut encore venir quand le spectacle évoluera. La version scénique ne comprend qu’une partie seulement du Vrai sang; malgré tout, le spectacle qui dure quand même deux heures vingt! Et c’est beaucoup trop long,au bout d’une heure et demi, l’on commence à décrocher. C’est un peu dommage, d’autant plus que le spectacle reste d’une fantaisie et d’une poésie exceptionnelle. Nous n’avons  en France qu’un seul Novarina…
Alors à voir? Oui, trois fois oui quand même! Mais mieux vaut y aller de bon cœur si l’on veut se laisser entraîner par ce torrent poétique, même si l’on sait qu’il y a bien, disons, cinquante minutes de trop !
Voilà, ne venez pas râler, vous êtes prévenus… Et comme l’on imagine assez mal Novarina pratiquant maintenant des coupes dans un spectacle aussi construit, il faudra faire avec…

 

Philippe du Vignal

 

Théâtre de l’Odéon jusqu’au 30 janvier.
Puis à Valenciennes le 8 février, du 15 au 18 février à Villeneuve-d’Asq; à Cherbourg, les 22 et 23 fév; à Evreux le 17 mars et à Louviers les 24 et 25 mars: à Reims ; au Forum Meyrin ( Suisse) les 29 et 30 mars: à Villeurbanne du 12 au 16 avril ; à Clermont-Ferrand du 19 au 21 avril et enfin à Saint-Denis de la réunion du 19 au 21 mai.

 

Le Vrai sang est publié aux éditions P.O.L. 301 pages, 18, 50 euros.

Claire Lasne-Darcueil quitte la direction du Centre dramatique de Poitou-Charentes.

Claire Lasne-Darcueil quitte la direction du Centre dramatique de Poitou-Charentes.

   Cela fait plus de dix ans que Claire Lasne-Darcueil avait pris en main ce centre dramatique basé à Poitiers mais  elle avait réussi à étendre son action dans toute la région; elle va maintenant  diriger la Maison du comédien, maison que Maria Casarès avait léguée au petit village d’Alloue.
 Et c’est Yves Beaunesne qui lui succèdera en janvier prochain. Non sans quelques difficultés à prévoir avec l’équipe actuelle du centre dramatique, dans la mesure où, effectivement, on ne voit pas très bien Yves Beaunesne poursuivre la politique de Claire Lasne-Darcueil , attachée, elle,  à un travail de terrain. Alors que le nouveau directeur, qui est plutôt un bon metteur en scène,  a des projets artistiques un peu partout, mais pas nécessairement en Poitou-Charentes.
Reste à savoir si cette nomination, attendue  par le microcosme théâtral français , semble avoir bien avoir été décidée par le Ministre lui-même. .. Il y avait d’autre prétendants à cette succession comme Véronique Bellegarde, par exemple mais, en fin de compte, on a  l’impression une fois de plus – et cela ne date pas d’hier-que tout se fait selon un esprit de cour qui n’ a pas grand chose à voir avec les règles démocratiques.
 Les coups tordus et le manque de transparence des décisions  de la DGCA  direction générale de la création artistique( ex DMDTS), on les connaît depuis longtemps, et parmi les exemples récents:  l’éviction en dernière minute (malgré les dénégations d’un des Inspecteurs) de Guy Freixe pourtant choisi par une commission,  pour diriger le Centre Dramatique de Vire, puis la lamentable OPA de la Comédie-Française sur la MC 93 de Bobigny, sans même que son directeur Patrick Sommier en ait été averti… Les Comédiens français  s’étaient réveillés et avaient quand même trouvé un peu gros, le coup préparé par Muriel Mayette et la maire de Bobigny , en collaboration  avec le cabinet de la  Ministre. Devant  leur indignation, et celle de la profession comme du public de Bobigny, la Ministre de l’époque avait donc  rétropédalé en vitesse  avec des explications des plus confuses, et s’était empressée d’étouffer l’affaire. Depuis, bien entendu, le dossier  a  été « classé » comme on dit pudiquement.
  Il y a aussi- c’était en décembre 2009- la nomination de Jean-Marie Besset à le tête du Centre Dramatique de Montpellier qui avait  fait pas mal de vagues. Alors que la candidature de Georges Lavaudant (qui n’est quand même pas n’importe qui dans le paysage théâtral français! ) était soutenu par la Région Midi-Pyrénées. Lettres ouvertes au ministre, protestation du Syndeac qui parlait de « procédure simplifiée, précipitée et et inéquitable »,  et d’une partie des autres directeurs de centres dramatiques: rien n’y avait fait et Frédéric Mitterrand n’était pas revenu sur sa décision.
Décision d’autant plus curieuse – et c’était sûrement une coïncidence-que  le directeur adjoint de Besset n’est autre  que Gilbert Desveaux qui dirigea  à Tripoli les grandes fêtes en l’honneur des quarante ans de pouvoir de Kadhafi…Comme si la  décision  de Fredo, grand ami de la Carlita, ne ne lui avait pas complètement appartenu!
  Mais non, du Vignal, vous êtes complètement parano!
Il y a eu depuis  l’annonce discrète par la DGCA que la troupe du Puddding succèderait à celle du Théâtre de l’Unité à Audincourt. Là aussi, bien entendu sans concertation des intéressés. Petite cerise sur le pudding: on ne voit pas du tout de quoi se mêle la DGCA, puisque Audincourt est un lieu municipal! Cela n’a pas l’air de bouleverser Jacques Livchine, directeur avec Hervée de Lafond du Théâtre de l’Unité. Avec son pessimisme optimiste, il reste d’une lucidité dont le Ministère de la Culture  pourrait prendre de la graine:  » Mais rien ne se passe comme prévu, écrit-il , le 10 septembre 2001, qui aurait pu prévoir que cela allait péter le lendemain ».
En fait,  c’est tout le système des nominations qui manque singulièrement de transparence qui devrait être revu. Mais à partir du moment où l’Etat participe ua financement des centres dramatiques à hauteur de 50%, toutes les dérives sont permises En d’autres termes, faites ce que je dis, mais ne faites pas ce que je fais… Il serait bon que Frédéric Mitterrand veuille bien prendre la parole et s’explique mais il semble, de ce côté-là,  aussi  avare
de conférences de presse que notre cher Président de la République, … Bien entendu, nous vous tiendrons au courant.

Philippe du Vignal

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