Conversations avec ma mère
Conversations avec ma mère, d’après le film Conversaciones con Mama de Santiago Carlos Oves, adaptation théâtrale de Jordi Galeran, traduction de Dyssia Laubatière, espace et mise en scène de Didier Bezace, Laurent Caillon et Dyssia Laubatière.
Cela se passe en Argentine en 2002; qui ne peut absolument faire face à sa dette extérieure; et la situation devient d’autant plus explosive, que le F.M.I. ne veut pas accorder une nouvelle aide et que la Banque Mondiale refuse aussi d’aider le pays considéré comme peu fiable. Cela ira des émeutes urbaines aux pillages, jusqu’à l’attaque de la mairie de Cordoba… Bref, l’Argentine connaît une explosion sociale sans précédent.
C’est dans ce contexte qui va bouleverser les rapports humains que se situent ces Conversations avec ma mère. Mama, elle, a 82 ans mais a le verbe haut et la répartie facile; son fils Jaime, qui a toujours été son petit garçon… en a déjà quand même 55 ! Elle est veuve depuis un bout de temps, et vit seule dans un appartement qui appartient à Jaime et à son épouse. Lui, avait sans doute une bonne situation comme on dit, et possède une grande maison où il habite avec ses enfants , sa femme et et sa belle-mère que Mama n’a jamais supportée.
Quant à ses petits-enfants, elle voit bien qu’elle ne fait pas partie de leur univers et ils ne viennent pas souvent la voir… Son fils, lui, passe, mais ne reste jamais déjeuner. Situation rien de plus banale, oui, mais voilà dans cette Argentine exsangue, tout a basculé: Jaime a été licencié et voudrait revendre l’appartement pour faire face aux dépenses de la vie quotidienne et propose à Mama, pour résoudre la question, de venir habiter avec eux. Refus calme mais déterminé de la vieille dame qui ne voit pas pourquoi elle irait habiter ailleurs. D’autant plus qu’elle finira par avouer à Jaime qu’elle s’est trouvé un amoureux en la personne de Gregorio, d’une bonne dizaine d’années plus jeune qu’elle! Elle l’a recueilli alors qu’il vivait dans la rue… La situation se complique puisque Jaime avouera aussi à sa mère qu’il ne s’entend plus du tout avec son épouse…
Il y a comme cela six séquences/ conversations, à la fois émouvantes et souvent drôles, où cette mère et son fils se parlent comme s’ils ne s’étaient pas parlés depuis bien longtemps. Mama n’a pas la langue dans sa poche, rudoie parfois Jaime qui doit encore avoir quinze ans pour elle, jusqu’à lui faire reconnaître qu’il ne fait plus jamais l’amour avec sa femme! Et, dans la dernière et très belle séquence, Mama qui a fini par décéder, se prépare pour son enterrement et continue à parler calmement des détails de la cérémonie avec Jaime. Et Gregorio, finalement, restera dans l’appartement…
Il y a juste sur le plateau, une grande table et deux chaises et c’est mis en scène avec beaucoup d’intelligence et de sensibilité par Didier Bezace qui incarne Jaime. Et c’est la grande Isabelle Sadoyan que l’on beaucoup vue chez Planchon avec cet autre grand acteur qu’était son mari Jean Bouise, qui joue Mama ; c’est un spectacle extrêmement raffiné dans la moindre expression des sentiments, dans le moindre geste, et d’une extrême pudeur : pas de cris, pas de grandes tirades mais des phrases toutes simples qui parlent à chacun.
Didier Bezace et Isabelle Sadoyan sont vraiment exceptionnels de vérité dans ce spectacle d’une heure et quart, tout à fait passionnant et qui appartient vraiment à un théâtre populaire. Ce jeudi soir était celui de la centième représentation de Conversations avec ma mère, fait rarissime dans le théâtre public et peu fréquent dans le théâtre dit privé, après une longue tournée qui va reprendre après Aubervilliers. » Jouer longtemps, dit Didier Bezace, ce que le public aime, c’est assurément un enjeu de la démocratisation culturelle et un gage de respect des moyens publics mis à notre disposition pour la création ».
Cette centième fut ensuite simplement et amicalement fêtée… N’oublions jamais que sans ces pionniers de la décentralisation comme Jack Ralite, ancien maire et Gabriel Garran, ancien directeur du Théâtre qui étaient là, le Théâtre de la Commune n’aurait peut-être jamais existé. Cela fait du bien de voir aujourd’hui la grande salle bourrée rire à un Labiche mis en scène par Jean-Louis Benoist, et, en même temps, dans la petite salle ces merveilleuses Conversations avec ma mère. Ces acquis, qui furent souvent arrachés et conquis de haute lutte, devront, à tout prix, être préservés.
Philippe du Vignal
Théâtre de la Commune d’ Aubervilliers