L’homme qui donnait à boire aux papillons

 L’homme qui donnait à boire aux papillons par la Compagnie Tetrocinema Jaun Carlos Zagal / Laura Pizzaro.

  lhomme.jpgCette compagnie chilienne avait présenté l’an passé dans ce même théâtre Sin Sangre, adaptation du roman d’Allesandro Baricco qui évoquait les horreurs de la dictature, et les enlèvements d’enfants qui s’ensuivirent. (Voir le Théâtre du Blog *). mais cette fois, les deux créateurs reprennent à leur compte une ancienne légende: au tout dernier instant de sa vie, Filippo ressent le besoin d’accomplir un rite ancestral qui lui a été transmis par le dernier survivant d’un peuple ancien et oublié: donner à boire aux papillons qui sortent de leurs chrysalides pour les aider dans leur migration. Ainsi le vieil homme va disparaître et le papillon est en train de naître; Filippo va aussi faire quelques rencontres comme ce réalisateur de cinéma amoureux d’une femme qui est dans un profond coma , puis Franco et Elisa, comédiens, mais aussi la statue d’un Chevalier et de sa Dame.
  Mais c’est plus, si on a bien compris le scénario volontairement  un peu obscur, une sorte de voyage aussi bien physique que mental à travers des fragments d’existences à la fois réelles et virtuelles des personnages, dont l’un parcourt plusieurs fois un long couloir, métaphore évidente du passage de la vie  à la mort. « Et les histoires surgies de son imagination, disent les metteurs en scène, sont la représentation des infinies possibilités de vie qui existent en chacun d’entre nous et que nous sommes capables ou non de pressentir ». Tours de château qui s’écroulent, milliers de guerriers qui envahissent le très grand écran, immeubles et rues modernes comme dans un jeu vidéo: Jauna Carlos Zigal et Laura Pizzaro sont virtuoses en la matière: flash-back, gros plan, plongée, contre-plongée, incrustations de personnages réels sur scène dans des paysages fantastiques d’images de synthèse.  » Nous évoluons ainsi , précisent-ils, sur un mode vertigineux, instantané, dans le temps et dans l’espace, pas à la façon du cinéma mais comme le font les magiciens. La magie de l’action en direct, avec les outils du cinéma ».
  C’est vrai , au début du moins: nous sommes éblouis par cette espèce d’aller et retour permanent et cette mise en abyme vertigineuse de mondes et de réalités qui s’emboîtent presque à l’infini: mais, très vite, cette virtuosité et ces effets remarquablement imaginés par Mirko Petrovitch finissent par lasser. Ce style narratif, qui était quand même mieux maîtrisé  dans Sin  Sangre, n’ouvre pas la porte à notre subconscient, comme semble-t-il, c’était le but de cette entreprise dramaturgique .
Même si la mise en scène de Zagal est excellente comme les comédiens qui portent un demi-masque sur scène comme à l’écran, et qui font un travail d’une étonnante précision, nous n’avons pas été conquis, et ce PACS théâtre/cinéma ne fonctionne pas vraiment.
Il aurait fallu un scénario qui s’éparpille un peu moins.
Alors à voir? Pas si sûr, sinon pour les images, mais autant vous prévenir,  on est peut-être surpris quelques minutes , mais jamais vraiment émus par une aventure qui, finalement, c’est peut-être le défaut de la cuirasse, appartient davantage au monde du cinéma qu’à celui du théâtre. Qui trop embrasse, mal étreint…

 

Philippe du Vignal

* http://theatredublog.unblog.fr/2009/12/16/sin-sangre/

Théâtre des Abbesses jusqu’au 30 décembre


Archive de l'auteur

Jacqueline de Romilly.

jacquelinederomilly1.jpg En guise d’hommage à Jacqueline de Romilly.

C’est sans doute la dernière de nos  profs de  Sorbonne à nous avoir quittés. Nous la remercions simplement et  du fond du cœur pour ce qu’elle nous aura apporté.
Sans elle, la pensée de la Grèce antique ne serait pas ce qu’elle est . Comme nous ne sommes pas très forts pour les hommages,  nous préférons dédier ces quelques lignes d’elle où elle parle du théâtre grec à tous nos lecteurs.

Philippe du Vignal

 

 » La liberté de s’exprimer est revendiquée par Athènes pour la vie courante. Euripide le dit: « Le faible peut répondre à l’insulte du fort ». Ceci relève, on l’a vu, de la fameuse liberté de parole, ou « parrhésia« , qui se manifeste avant tout à l’Assemblée; mais cette liberté s’étend aussi au-delà. C’est même la seule liberté particulière dont se targue la démocratie athénienne. Elle est,  en fait,  sentie comme le privilège du citoyen, et comme le premier bien que l’on perd en exil. dans les Phéniciennes du même Euripide, Jocaste demande à son fils ce qui lui semble être le plus pénible pour l’exilé; la réponse est alors donnée sans hésitation:  » De tout, le pire est qu’il n’ a pas la liberté de parole »; et Jocaste:  » C’est le fait d’un esclave, que de ne pas dire ce que l’on pense ». ( 391-392)
Dans le cas des œuvres en général et du théâtre en particulier, cette liberté de parole confine à ce qui serait pour nous la liberté de la presse. Or celle-ci existait, à un point rare, dans la comédie. car Aristophane attaque tout: la démocratie, les juges, la politique extérieure, les individus. Et le fait que l’on a là un premier incident relatif à la liberté. Aristophane, en effet, ne cessait d’attaquer le démagogue Célon, avec une extrême violence, il déclare bientôt que sa soumission n’était qu’apparente; et il recommence ses coups de griffe. Sans texte et sans règle, la liberté d’expression se marquait donc dans les faits.

 

La Grèce antique à la découverte de la liberté. Editions de Fallois

Bouvard et Pécuchet

  Bouvard et Pécuchet, Le livre de l’inquiétude, adaptation théâtrale d’après Bouvard et Pécuchet  de Gustave Flaubert par  Brigitte Remer.

9782296128422j.jpg  Comme le dit dans la préface Eduardo Manet, qui lit ce roman de nos jours, à part les élèves des classes secondaires et universitaires? Et il  ajoute, non sans ironie: sauf si le programme l’exige… Effectivement, le texte  reste très ancré dans une époque qui n’est plus du tout la nôtre, malgré des dialogues savoureux qu’avait si bien mis en scène en 1989, le réalisateur Jean-Daniel Verhaeghe avec  Jean-Pierre Marielle et Jean Carmet.
    Ce roman, qui n’en est pas vraiment un,  est l’histoire de Bouvard et Pécuchet qui s’étaient rencontrés un jour de plein été près du canal Saint-Martin et s’étaient vite liés d’amitié. Drôle de couple que ces deux petits employés, copistes, un peu Laurel et Hardy, pas très finauds, dont la vie terne va basculer tout d’un coup: Bouvard  fait un héritage inattendu d’un oncle qui était en fait son véritable père, ce qui va lui permettre de vivre confortablement d’une rente le restant de sa vie!
Il décide alors d’embarquer Pécuchet dans une drôle d’aventure: l’achat d’une ferme dans le Calvados qu’ils vont exploiter , un peu comme Rimbaud et  Verlaine. Comme ils ne connaissent rien à l’agriculture et sont quand même assez prétentieux, ils vont aller d’échec en échec, de désillusion en désillusion, que ce soit pour l’élevage, la culture des melons,les arbres fruitiers, la plantation d’arbres comme Le lilas des Indes ou l’Eucalyptus inadaptés au climat, ou la mise en conserve, la distillation …avec un alambic qui explose! Naïfs, ils ne connaissent aucune limite et vont être la risée des paysans du coin! Ils vont même  jouer aux médecins en prescrivant des traitements farfelus.

   Ce qui ne les empêche pas de discuter sans arrêt politique, sentiments amoureux, spiritisme, religion,éducation et même esthétique: « Le beau est le beau et le sublime est le très beau  » déclare péremptoirement Bouvard.Ils comprendront,  mais un peu tard, que leur grande bêtise continuera à leur jouer des tours, s’ils ne jettent pas l’éponge et ils  décident alors d’aller retrouver leur travail de copiste…
Brigitte Remer s’est emparée du meilleur de ces dialogues et les a installés en dix courts chapitres, à partir du moment où ils se retrouvent à Chavignolles, et elle a bien su rendre le côté baba-cool avant la lettre de ces deux  Parisiens qui se sont aventurés dans un univers  qui n’est pas le leur et qui va leur révéler leur profonde bêtise. Flaubert lui avait déjà mâché le travail en écrivant des dialogues qui demandent un auditoire pour être  perçus à leur juste mesure. Mais elle a su resserrer les boulons d’un texte parfois un peu bavard comme le remarque Eduardo Manet, et les dialogues finement ciselés, deviennent souvent très durs,  à la limite de l’absurde. Et la dernière scène semble déjà préfigurer  En attendant Godot.

  Cette adaptation, qui s’attache à rendre la personnalité de ces deux petits employés assez pathétiques, devrait intéresser plus d’un metteur en scène. Reste à trouver des comédiens , de la trempe d’un François Morel ou d’un Olivier Saladin  ( des Deschiens) par exemple,  capables d’incarner toute cette sottise humaine.
  Petite remarque au passage:les éditions de l’Harmattan devraient faire appel à un relecteur: le texte est bourré de fautes de frappe…Et c’est dommage.

Philippe du Vignal

Editions de L’Harmattan, 11 euros.
 

Le Centaure et l’animal

Le Centaure et l’animal, conception et mise en scène de Bartabas, chorégraphie de Ko Murobushi et Bartabas, musique de Jean Schwarz, texte de Lautréamont extraits des Chants de Maldoror dits par Jean-Luc Debaticce.

 bartabas4.jpg Le grand plateau de la salle Jean Vilar est couvert d’une poudre noire, avec des pendrillons tout aussi noirs, et une longue allée de tissu blanc à l’avant-scène où avance lentement Ko Murobushi, 63 ans ,le grand maître de la danse butô dite « danse des ténèbres » qu’il a fait connaître en France avec Carlotta Ikeda il y a déjà quelque trente ans. Murobushi , d’abors installé sur un piano, absolument immobile comme une statue antique, semble ensuite dérouler son beau corps nu enduit d’un maquillage argenté, rampe ,se redresse avec une précision gestuelle absolue. Sur une musique faite de voix rauques, grognements et autre chants à bouche fermée.
  Et il y aussi les chevaux , que Bartabas, habillé d’une longue cape prolongée par une sorte de grande cagoule tenue par des bâtons, sans rênes, conduit avec une impeccable maîtrise. Ces chevaux, magnifiques, ont pour nom: Horizonte, Soutine, Pollock et Le Tintoret, référence évidente à la peinture que veut être avant tout ce spectacle.
Et il y a en effet des images fabuleuses, comme ce cheval qui tombe par deux fois sur le côté avec son cavalier, ou cet autre cheval, en fond de scène, absolument immobile, comme celui d’une statue équestre. Ou encore ces chutes de sable éclairées d’un pinceau lumineux sur le corps de Murobushi . Le plus souvent dans un silence complet. Rien à dire: la prestation est de toute beauté, et a dû demander un énorme travail…

  Il y a aussi ces extraits des fameux Chants de Maldoror de Lautréamont, dits en voix off,  qui occupent aussi  dans le spectacle une place importante et que l’on aime toujours retrouver, même si on ne les a pas lus depuis longtemps.
Reste maintenant à savoir si le rapport chorégraphie/ art équestre/ musique/ lecture de poème arrive à fonctionner… Sans doute, au début, surtout pour un public qui n’a jamais vu de danse buto, ni de danse butô associée à un spectacle équestre, et qui est visiblement impressionné par ces images poétiques construites avec beaucoup de calme et de sérénité.

  Mais assez vite, on a l’impression que Bartabas ne sait pas très bien où il veut nous emmener et l’ennui s’installe, irrémédiable, à cause de ce placage d’éléments artificiellement réunis.Le public est moins attentif, toussote souvent, bref on voit que cette beauté plastique évidente ne peut  tenir lieu de dramaturgie et le temps parait long , alors que le spectacle ne dure qu’une heure vingt.
  Alors à voir? Si vous êtes un fan absolu de Bartabas, vous y trouverez peut-être votre compte, mais nous sommes ressortis de Chaillot bien déçus…

Philippe du Vignal

Théâtre national de Chaillot jusqu’au 23 décembre inclus.

La folle épopée

La folle épopée de Stan Kokovitch, acteur, écrit et interprété par Renaud Danner, direction Rémi de Voos.

    lafolleepopeedestankokovitchacteur.jpgC’est quelques pages de la vie d’un acteur contemporain qui doit jouer une bactérie dans  Le passager du Théorème, une création de Marc Lucas, metteur en scène très branchouille et adepte du non-jeu. Stan comprend très vite que cela  va le mener droit dans le mur ( on l’aurait deviné!) et il accepte une nouvelle aventure en rejoignant Le Collectif, une petite compagnie de théâtre basée dans le Tarn, où il va donc faire connaissance de  Rémy Martino, le directeur fort en gueule, de Pierre, Paul et Djack, comédiens, et de Rachida, une belle jeune femme qui s’offre à lui dès le premier jour mais qui , en fait, comme il s’en apercevra plus tard , couche aussi avec les autres garçons.
Il comprend  qu’en fait, ici, on s’occupe davantage de cultiver la terre que de faire du théâtre révolutionnaire, comme on le lui avait signifié au départ… Il quittera donc le Tarn et ses illusions, et rencontrera  deux autres metteurs en scène  tout aussi foutracs mais  et satisfaits d’eux-même: Kurt fashioned et Théo Bronx de Van, créateur belge.Et , dégoûté, il repartira dans le Tarn.
Il y a aussi au bout de leurs portables sa mère russe et volubile et son frère qui lui sert de confident. Stan doute de tout, de la vie, des autres et surtout de lui; c’est en fait une victime qui alimente lui-même, par sa naïveté pour ne pas dire sa bêtise, les guet-apens où il va se fourrer. Renaud Danner, semble surtout avoir écrit ce texte qui tient parfois d’une logorrhée pour donner matière à un jeu où il se fait plaisir à interpréter chaque personnage avec son accent, son rythme et ses mimiques. Et, comme c’est un bon comédien, d’une grande précision verbale et gestuelle, on  sourit parfois…
Mais le texte est malheureusement trop facile et fait, sans aucun scrupule d’écriture, la part belle aux facilités et aux stéréotypes! Comment croire un instant , même au second degré, à cette histoire dans le Tarn qui semble dater des années 70, et encore! Reste un bon travail d’acteur qu’on aimerait beaucoup voir, mieux costumé que dans ce collant au graphisme qu’il dit surréaliste mais  vraiment très laid, et  dans un vrai monologue théâtral.  Renaud Danner en a la carrure.
Mais il faut qu’il comprenne que l’exigence, la véritable exigence quant au texte, qu’on le choisisse ou qu’on l’écrive, cela fait partie du travail théâtral, c’en est même un « fondamental », comme on dit maintenant, que l’on apprend dans toutes les bonnes écoles de théâtre. Remi de Voos, très bon dramaturge, qui l’a dirigé, ferait bien de le lui rappeler… Et ce n’est sûrement pas un hasard si Laurence Février, excellente comédienne ,  fait, elle, un tabac chaque soir dans ce même théâtre avec La Passion corsetée* d’après La Princesse de Clèves, un des livres de prédilection, comme chacun sait , de notre cher Président…
Alors à voir? Ces soixante minutes passent vite mais ne sont pas du tout indispensables.

 

Philippe du Vignal

Théâtre du Lucernaire jusqu’au 29 janvier du mardi au samedi à 18h 30.
* Voir Le Théâtre du Blog de novembre:

Phi-Phi

Phi-Phi, opérette d’Henri Christiné, livret d’Albert Willemetz et Fabien Solar, direction musicale Christophe Grapperon, mise en scène de Johanny Bert.

Les Dieux savent si grands-parents et parents nous avaient rebattu les oreilles avec ce très fameux Phi-Phi, créé le 12 novembre 1918- ce genre de date qui ne s’oublie pas, à un moment où la France entière entière sortait d’un cauchemar- mais que nous n’avions jamais vu.
p925449.jpg  L’opérette fut jouée trois années de suite aux Bouffes-Parisiens, ensuite un peu partout des dizaines de milliers de fois et traduite en 12 langues… Donc historiquement ce n’est pas rien.
Cela valait donc le coup d’aller voir comment cette dame presque centenaire se portait, surtout montée par la Compagnie Les Brigands venue jouer dans ce même théâtre Geneviève de Brabant de Jacques Offenbach, et experte en la matière.

  Phi-Phi, c’est une sorte de cocktail assez bien vu ( musique légère comme on dit, livret fondé sur la parodie et le fantasme d’un passé merveilleux en l’occurrence, la Grèce du 5 ème siècle et sur des dialogues truffés de plaisanteries du genre pas toujours légères:  » Comme il manque les bras (de la Vénus de Milo), on vous fait un rabais », et  de jeux de mots faciles du genre « Un homme inverti en vaut deux ». Sans compter ceux sur l’affaire Bettencourt. Bon…
  L’argument en vaut un autre! Le grand Phidias a reçu de l’Etat athénien la  commande d’un groupe « L’Amour et la Vertu fondent le bonheur domestique « et il choisit pour modèle Aspasie qu’il drague sans scrupules, et,pour se défendre , la « gamine charmante » se défend avec son ombrelle, si bien qu’elle casse les bras de la Vénus commandée par M. Milo et la tête de La Victoire commandée elle par un certain M. Samothrace.  D’accord, ce n’est pas dans le genre léger, léger!
Quand arrive madame Phidias , épouse fidèle qui vient d’éconduire un certain Ardimédon que son mari va engager pour modèle de l’Amour.
Périclès arrive et, vous ne le devinerez jamais, tombe amoureux fou d’Aspasie. Si, si! Madame Phidias renvoie alors Aspasie et la remplace comme modèle, après être quand même être allée faire un tour dans son lit avec le bel Ardimédon. Ce que Phidias, au retour d’une nuit avec la belle Aspasie, découvrira… sans grand étonnement quand même!
  Mais Aspasie révèle alors à son Phidias qu’elle vient, vite fait, d’épouser Périclès qui exigera cependant qu’Aspasie fasse partie du groupe sculpté . Elle y représentera l’ Economie,  et l’œuvre s’appellera « L’ Amour et la Vertu, aidés par l’Economie, fondent le bonheur conjugal ». Soit le bonheur à cinq: les deux maris et leurs épouses et, comme petit piment d’Espelette, Ardimédon l’amant qui fera partie du quintette amoureux.
  Johanny Bert a vite compris tout ce que l’on pouvait tirer , et de cet argument , et de la musique, pour peu que l’on veuille bien y mettre toute l’ironie et en même temps la sensualité du livret initial d’ Albert Willemetz. Et le résultat est furieusement intelligent dans la mesure où il fait appel à des techniques du fond des âges, et remis au goût du jour depuis quelque quarante ans, comme le théâtre d’ombres, les marionnettes, le récit, etc….
   Il y a bien,  en effet, cinq chanteurs/ acteurs qui disent le texte et, sur une scène au-dessus, les marionnettes des personnages principaux mais dont les bras, jambes et tête ne sont pas attachés, manipulées à vue chacune comme dans le théâtre bunraku japonais par trois jeunes femmes du chœur en tunique noire. Et parfois, ces cinq chanteurs/acteurs dialoguent entre eux ou s’adressent au public.
   Qu’est-ce qu’ on dit, Johanny Bert,  à Monsieur Bertold Brecht , à madame Mnouchkine, et à M. Recoing le grand marionnettiste? Merci beaucoup  pour ces idées dont nous avons héritées et dont nous avons, avec une grande intelligence scénique, fait un miel digne de celui que devait déguster Phidias après ses nuits avec Aspasie, cette jeune femme qui, selon Plutarque, était prostituée et avait même ouvert un bordel, avant d’être passionnément aimée par Périclès.
   Pourquoi cela marche-t-il si bien? D’abord, Johanny Bert n’a pas cherché à nous refourguer une antiquité de pacotille qui n’aurait jamais pu être crédible  mais , avec l’aide  de la très belle scénographie  d’Audrey Vuong et des marionnettes d’Einat Landais, il a redonné un souffle et une dynamique à quelque chose qui aurait pu assez vite tomber dans un insupportable néo-folklore.
   Au second degré d’ Albert Willemetz et d’Henri Christiné qui, comme Offenbach, avait bien compris tout le parti comique que l’on pouvait tirer des héros et célébrités de la Grèce ancienne*, il a su en rajouter un troisième en jouant à merveille des rapports entre les corps sculptés que l’on devine en ombres, celui des marionnettes et enfin celui des chanteurs/acteurs. Et Johanny Bert sait créer  de formidables images comme cette scène d’amour avec ces membres de corps mélangés sur un canapé ou cet orgasme figuré par un explosion de confettis. Ce sont de belles idées au sens étymologique grec: » eidon  » (voir)
   Il y a aussi  ce chœur de neuf jeunes femmes en collant bleu céruléen qui danse mais qui manipule aussi les marionnettes avec beaucoup, de savoir-faire. Comme l’orchestre dirigé par Christophe Grapperon est aussi excellent et qu’ il s’est emparé avec  drôlerie de ces refrains, même s’il couvre parfois les chants et le récit, on se laisse embarquer, comme des enfants, dans cette histoire farfelue, qui a parfois quelques longueurs.
  Enfin, c’est bizarre qu’il faille, en 2010, aller chercher une une opérette- genre le plus souvent honni par les metteurs en scène contemporains- centenaire ou presque, pour réjouir et faire rire un public mais en tout cas, le résultat est là: un petit cocktail raffiné et savoureux d’images, de chansons et de de dialogues… Que demande le peuple? Et surtout qu’en pense Carlita?

 

Philippe du Vignal

* Un très grand merci au passage , mais on vous en reparlera, plus longuement  à Jacqueline de Romilly qui, hier, a rejoint les enfers et qui nous a si bien conduit sur les chemins d’Homère et de Thucydide.

 

Théâtre de l’Athénée jusqu’au 9 janvier.
 

Sans la gaieté sans les amours tristement vous passez vos jours

Sans la gaieté sans les amours tristement vous passez vos jours,  d’après l’œuvre d’Henry Monnier, mise en scène de Patrice Bigel.

 

sanslagaite183.jpg C’est en tombant par hasard sur les morceaux choisis d’une édition de 1935 que nous avons découvert Henry Monnier ( 1799-1877), dit Patrice Bigel. Plus connu pour ce personnage de Monsieur Prudhomme le bourgeois parisien du milieu du 19ème siècle, à la fois bête et arrogant, (Monnier jouera plus de cent fois à l’Odéon) et par ses caricatures éditées en lithographies et et exposées dans la merveilleuse salle de cette ancienne tannerie/ maroquinerie, au beau plafond de briques, avec une foule de belles plantes vertes, et des bustes de plâtre installés sur une longue étagère, au dessus de la salle de spectacle.
Monnier, caricaturiste a écrit aussi des dizaines de petites pièces et qu’il a été acteur. Pas d’intrigues mais des dialogues ou monologues où il a capté, comme enregistré sur un magnétophone, ce qu’il entendait dans les cafés ou dans la rue. Ce sont des monuments de bêtise affligeante , d’opinions toutes faites , de banalités, de lieux communs qui n’ont sans doute rien à envier à ce que l’on peut entendre dans le métro quand les gens hurlent dans leur téléphone portable.
Bien entendu, au premier degré, cela n’a pas grand intérêt mais cette cascade de petites phrases à la limite de l’absurde, où le langage est parfois malmené, voire torturé, parce que ses personnages ne savent pas parler correctement, et qu’ils parlent pour parler, pour échapper à leur solitude et à leur mal-être, peut devenir savoureuse. Les textes sont d’une valeur très inégale. Mais, comme le remarquait Baudelaire que cite André Gide dans sa préface aux Morceaux choisis d’Henry Monnier: « C’est la froideur, la limpidité du miroir qui ne pense pas et qui se contente de réfléchir les passants ».
Mais Guitry avait  aussi beaucoup d’admiration pour Monnier et a même écrit une pièce sur lui.  Patrice Bigel a choisi  de faire travailler des petites scènes de Monnier  tirées de scène populaires comme l’esprit des campagnes, ou l’Eglise française tirées des Bas fonds de la société par quatre jeunes comédiens issus de son laboratoire de Choisy-le-Roi sur le mode ludique et pas vraiment réaliste. Il y a juste une scène nue avec des parois  et des praticables bleu foncé très intelligemment conçus par Jean-Charles Clair, que les acteurs font coulisser entre chaque scène, avec des musiques diverses ( Chopin, Phil Glass,etc…).     Les scènes n’ont pas toutes un intérêt immédiat et sont souvent connotées dans une époque qui n’est évidemment plus du tout la nôtre et quelques mots disparus de notre vocabulaire auraient gagnés à être traduits. Les quatres jeunes comédiens: Matthieu Beaudin, Mara Bjlejac, Sophie Chauvet et Karl-Ludweig Franciscu se tirent assez bien de cette mise en abyme que Patrice Bigel a, comme d’habitude, orchestré avec beaucoup d’intelligence et de  précision. Le spectacle est encore brut de décoffrage ( les acteurs surtout les filles parlent beaucoup trop fortpour cette petite salle, les interludes sont parfois inutilement longs, ce qui casse le rythme). Et le grand et bel espace de jeu toute en longueur  parait parfois un peu vide mais cela devrait se bonifier.
Alors à voir? Oui, si vous avez envie d’aller goûter ce que ces scènes nous révèlent plus d’un siècle après leur création: l’écoute d’une langue très différente selon les milieux sociaux ( par exemple truffée d’imparfaits du subjonctif pour les bourgeois, et d’une curieuse syntaxe pour les domestiques). Patrice Bigel nous convie à  une sorte de descente inédite dans un monde à jamais disparu mais finalement pas toujours aussi éloigné du nôtre où le langage sert de révélateur. Un monde pas vraiment couvert de bêtise crasse comme on aurait pu le soupçonner quand on entre dans la salle , mais simplement englué dans  un quotidien sordide où ce flux de paroles semble donner un semblant d’identité à tous ces êtres qui ont vécu avant nous et qui nous ressemblent si souvent…

 

Philippe du Vignal

 

 

 

Compagnie La Rumeur Usine Hollander 1 rue du Docteur Roux Choisy-Le Roi jusqu’au 19 décembre et 6 au 30 janvier les jeudi, vendredi samedi à 20 h 30 et le dimanche à 17 heures. T: 01-46-82-19-63

Le Fil à la patte

Le Fil à la patte de Georges Feydeau, mise en scène de Jérôme Deschamps.

unfillapattebrigitteengurandthumb400x26626757.jpg La pièce créée au Théâtre du Palais-Royal en 1994, est souvent brillante mais pas des plus faciles à monter. Il y faut une solide mise en scène pour que la mécanique des nombreuses situations comiques, fondée à la fois sur la surprise , le malentendu et la drôlerie du langage, puisse fonctionner.  Les trois actes se succèdent à un rythme rapide, avec de nombreux personnages.
Difficile de résumer toute la pièce bâtie sur une situation ingérable: les ennuis commencent pour Bois d’Enghien qui  a une maîtresse, Lucette Gautier, chanteuse de café-concert;  il la veut quitter pour un très riche héritière, la fille de la baronne Duverger qui, petit caillou dans les rouages, a justement engagé Lucette pour interpréter quelques chansons à la soirée  qui va suivre dans quelques heures la signature du contrat de mariage. Et Bois d’Enghien doit annoncer sa décision à Lucette après un déjeuner où sont conviés Cheneviette l’ex-mari toujours à court d’argent, Fontanet, un gros bonhomme à l’haleine très chargée, Nini une belle jeune femme qui a réussi à quitter la prostitution mondaine pour devenir comtesse.

Débarque alors, Bouzin, un compositeur et parolier raté et par ailleurs, clerc de notaire; minable, mal habillé et ridicule. Cela dit, il est quand même assez rusé et sans trop de scrupules pour faire croire qu’il qui a offert un luxueuse corbeille de fleurs à Lucette.. Où se trouve aussi une bague magnifique, ce qu’il ignorait, cadeau que le général sud-américain Irrigua, éperdu d’amour, a offerte à Lucette. Cet ex-ministre a été condamné à mort dans son pays pour avoir détourné une énorme somme destinée à acheter des bateaux militaires…
Bref, tous les ingrédients sont réunis pour faire surgir surprises, quiproquos, malentendus variés et rebondissements dans un monde où aucun des personnages de cette grande bourgeoisie n’a rien de sympathique. Et les catastrophes vont se succéder aux catastrophes.

Ils sont entraînés malgré eux dans une spirale infernale où l’argent, les placements et les beaux mariages sont à la fois le nerf de la guerre et le fondement même de l’action principale et des actions secondaires. Bois d’Enghien aime sans doute Lucette, encore que… Mais il n’est pas assez fortuné pour l’épouser. Nini a réussi à s’élever dans la société et à devenir comtesse. Elle n’a aucun scrupule et ici les mariages sont fondés sur un monde où le cynisme laisse peu de place aux sentiments amoureux. Feydeau, en parfait entomologiste, ne nous fait grâce de rien et ses dialogues sont à la mesure de cette loi de l’offre et du marché: « -Elle est jolie? – 64.000 livres de rente. – Même la beauté se vend mal  » …
Nous sommes dans une société marchande où chaque chose a un prix, ce dont les domestiques qui vivent dans un microcosme parallèle sont bien conscients et profitent aussi sans le moindre état d’âme. Quant à Bouzin, il appartient à cette catégorie de personnages burlesques chers à Feydeau, dont l’arrivée sur scène est une source de dérapages garantis. Pauvre hère mal habillé, il est interprété par Christian Hecq, merveilleux comédien dont les parrains sont à la fois Chaplin et Keaton pour la façon inimitable qu’il a de faire jouer son corps, et de Funès pour ses grimaces et roulements d’yeux. Et il y a cette incroyable descente/glissade d’escalier qui va sans doute devenir un moment d’anthologie dans le théâtre contemporain.

Jérôme Dechamps a respecté à la lettre les nombreuses et précises didascalies de Feydeau, et il a eu raison de ne pas tricher: la célèbre mécanique de Feydeau fonctionne à merveille grâce à un choix et à une direction d’acteurs impeccables. Il a compris aussi que ce n’était pas la peine d’accommoder Feydeau à la sauce Deschiens qui, ces derniers temps, n’était plus… de la première fraîcheur. Et, de toute façon, cela n’aurait rien donné. Mais il y a ce mêm grand savoir-faire: précision du jeu et des gags, rythme en crescendo jusqu’à la catastrophe finale: ici, le pauvre Bouzin tombe dans la cage d’escalier dans un bruit infernal et que l’on trouvait déjà dans La Veillée ou Lapin-Chasseur.
Tous les personnages sont justes: entre autres, Thierry Hancisse le général d’opérette, Guillaume Gallienne dans un double rôle: Cheneviette et Miss Betting, Dominique Constanza la baronne. Hervé Pierre ( formidable Bois d’Enghien,) Florence Viala (Lucette). Cela dit, Jérôme Deschamps aurait pu mieux les diriger vocalement, surtout au premier acte, où ils font un peu n’importe quoi et surjouent souvent. Et la diction, à ce moment précis, est loin d’être excellente!
Les trois décors de Laurent Peduzzi (le salon et la chambre pas vraiment réussis) et cet incroyable escalier du troisième acte facilitent les nombreux déplacements des comédiens réglés au cordeau comme toujours chez Jérôme Deschamps… Quelques bémols aussi du côté costumes: assez chargés et souvent luxueux pour les robes des femmes. Comme une bizarre envie de montrer, ce qui n’était pas indispensable. Macha Makeieff aurait sans doute mieux réussi les choses mais bon… .
C’est vraiment de la belle mécanique et du bel ouvrage et l’on se dit que , malgré les réserves indiqués plus haut, Georges Feydeau a bien fait de confier la mise en scène de sa pièce à Jérôme Deschamps: il était le mieux à même de mettre en action et en valeur cette incroyable galerie de personnages. Il y avait bien longtemps que les comédiens du Français n’avaient parus aussi heureux de jouer ensemble,( mention spéciale aux figurants du troisième acte qui sont , chose rare, eux aussi excellents ). Et cela donne unité et solidité au spectacle tout entier.

C’est toujours formidable de voir une troupe de théâtre au mieux de sa forme, et, du coup, l’on oublie le récent et pathétique Dario Fô ou  dans un autre genre, cette Andromaque ratée… Et l’on rit vraiment de bon cœur à cette farce grinçante imaginée par cet écrivain qui, à la fin de sa vie, sans doute bien seul, décida d’aller vivre à l’hôtel, puis mourut, psychiquement très diminué à la suite d’une syphilis…
En tout cas, ne ratez pas ce spectacle…On peut penser ce que l’on veut de la Comédie-Française qui n’est pas avare de spectacles décevants mais celui-ci est vraiment d’une grande qualité.

Philippe du Vignal

 Comédie- Française, Salle Richelieu, Paris ( II ème) en alternance jusqu’au 18 juin.

 

Rêves d’automne

Rêves d’automne de Jon Fosse, traduit du norvégien par Terje Sending, mise en scène de Patrice Chéreau.

  fosse.jpgAprès les avant-premières au Musée du Louvre que nous n’avions pu voir et dont vous avait rendu compte dans ces colonnes Davi Juca(1), nous attendions avec impatience la mise en scène de Patrice Chéreau. Celle  de René Loyon, en partie à cause d’un décor assez peu efficace n’était pas du tout convaincante; mais celle de David Géry au Théâtre de l’Athénée, il y a juste deux ans, possédait une force et une beauté indéniable avec des acteurs de premier ordre… . Il y a en France, les partisans de Jon Fosse et ceux que ses textes ennuient profondément, pourtant montés par des metteurs aussi expérimentés que Claude Régy ou Jacques Lassalle…
La tâche n’est pas aisée: comment en effet faire vivre ces phrases banales sans intérêt immédiat mais qui nous disent le plus intime de nous, un peu comme chez Tchekov ou Ibsen  auquel on pense bien sûr en entendant les dialogues de l’auteur norvégien. Mais il y faut une précision d’orfèvre et une grande sensibilité chez le metteur en scène, et une faculté d’écoute du public, en même temps qu’un plateau approprié: cela fait quand même de nombreux paramètres à prendre en compte. L’histoire est simple; il s’agit d’un homme et d’une femme qui se retrouvent dans un cimetière. Ils ont vécu ensemble autrefois, puis  se sont perdus de vue mais ce n’est sûrement pas innocent que ces  retrouvailles aient lieu dans un cimetière, où il doit venir enterrer sa grand-mère. C’est elle, vieille Ophélia, qui, dès le début, un bouquet de fleurs à la main, en chemise de nuit blanche immaculée et robe de chambre grise, erre d’une salle à l’autre, en silence- magnifiquement interprété par Michelle Marquais,fantôme parmi les fantômes du musée.I
L’Homme y retrouve ses parents qu’il n’avait pas vus depuis des années. Il y a aussi son ex-épouse ( la seule qui porte un prénom: Gry ( très bien jouée par Marie  Bunel) qui a peur de perdre  leur seul enfant qui est entre la vie et la mort à l’hôpital. Plus tard, L’Homme retrouvera encore sa mère pour l’enterrement de son père ( Bernard Verley) et entre temps, leur jeune fils de dix neuf ans lui aussi sera mort. Et, à la fin, absolument sublime, l’on peut voir les corps des trois hommes :père, fils et petit- fils étendus en ligne , tandis que les trois femmes quittent lentement la salle de musée.
Chéreau a en effet préféré concrétiser ce cimetière par une salle de musée ( et la pièce a déjà été présentée en avant-première au salon Denon du Louvre.  voir l’article de Davi Juca dans Le Théâtre du Blog) . Richard Peduzzi,  vieux complice fidèle de Chéreau depuis quelque quarante ans au théâtre  comme au cinéma et qui a su donner une dynamique exemplaire à l’ecole Nationale des Arts Décoratifs a réalisé une magnifique et très impressionnante scénographie.
automne.jpgImaginez une salle au parquet de chêne qui arrive jusqu’au premier rang du public, aux  très hauts murs rouge foncé, avec des entrées aux cadres noirs donnant sur d’autres salles qu’on entrevoit seulement- mais où l’on  peut aller  après le spectacle, comme des visiteurs de musée.Il y a là notamment La Chute d’Icare en deux exemplaires dont l’un est déposé en bas d’un mur. Dans la salle où a lieu l’action, les tableaux ont été décrochés et ne restent que les cartels où l’on peut lire le nom des défunts comme on les lit sur les tombes dans le texte original de Jon Fosse;  les tableaux représentant  des scène mythologiques ou d’histoire romaine sont haut placés, un peu comme au Musée de Chantilly  dont l’accrochage  n’a pas bougé sur ordre testamentaire du duc d’Aumale,  et  on les devine plus qu’on ne les voit vraiment..
Il y a  surtout des  batailles et des scènes de mort  ( et ce thème n’est  pas un hasard chez Chéreau hanté par la disparition de plusieurs de ses proches  et  lui-même fils de peintres: La mort de Sénèque de Luca Giordano, La mort de Roncevaux d’Achille Etna Michallon, ou des paysages assez mélancoliques comme ceux que peignait Théodore Carelle d’Aligny, cet excellent paysagiste du 19 ème ou encore  Charles Le Brun. Les tableaux ne sont en rien des copies, nous a dit Richard Peduzzi mais ils sont encore plus vrais que nature dans cet étonnant espace théâtral.
Il n’y a pas -mais on pourrait la deviner- cette odeur prenante d’encaustique des anciens musées un peu oubliés des grandes villes de province quand on était encore enfant. Il y a aussi une lumière zénithale un peu froide et triste comme souvent en novembre. La mise en scène de Patrice Chéreau  est exemplaire de finesse et de beauté pure, comme dans ces scènes d’amour entre elle et lui ( Pascal Greggory), même si on entend souvent mal Valéria Bruni-Tedeschi, comme cette autre scène où Bulle Ogier, formidable de force et  de vérité ( la Mère ) gifle son fils qu’elle prend encore pour un gamin, ou bavarde avec la nouvelle épouse de son fils…
Qui est mort? Qui va mourir? se demande-t-il dans cette pièce hantée par le désir sexuel  et par la mort que  l’on essaye ,en vain bien sûr, d’apprivoiser . Ce que rend très bien aussi Chéreau et qui est un des thèmes majeurs de Rêves d’automne, c’est l’idée de  transmission et d’unité entre les morts et les vivants chère à l’écrivain  orthodoxe Olivier Clément.
Il sait dire, comme peu de metteurs en scène, son  obsession  du temps (il avait déjà  monté Le Temps et la chambre de Botho Strauss..) et de la mémoire, obsession qui est aussi celle de Jon Fosse. Il n’était pas revenu au Théâtre de la Ville depuis Peer Gynt  il y a presque trente ans., et l’on sent le plaisir  qu’il a eu à disposer d’un aussi beau plateau. Mais, eh! Oui, il y a un mais. Même si les lumières de Dominique Bruguière sont, comme d’habitude de toute beauté, même si la direction d’acteurs est de  premier ordre, on est obligé de dire que ce n’est pas le type de salle vraiment adaptée à l’univers intimiste de Jon Fosse. Et comme Patrice Chéreau traite nombre de scènes un peu comme un cinéaste qu’il est surtout devenu, mieux vaut être dans les premiers rangs si l’on veut partager l’univers de ces êtres déchirés. Mais pour les spectateurs du milieu et du fond de salle, l’esthétique de la mise en scène plombe souvent  le dialogue et même le sens de la pièce. Et c’est d’autant plus dommage que c’est vraiment une mise en scène d’une rare qualité où Chéreau comme l’écrivait déjà Freud au début du 20 ème siècle, semble nous conseiller de renoncer d’une certaine façon à l’amour, de choisir la mort et de nous familiariser avec la mort. Ce qui ne veut pas dire du tout que la mise en scène de Chéreau soit sinistre ,mais plutôt douce et apaisante, et ,même par moments, ludique…
Alors à voir? Oui, bien sûr, que vous connaissiez Jon Fosse ou pas, malgré ces réserves mais conseil d’ami:  faites preuve d’exigence et vraiment insistez pour avoir des places dans les premiers rangs et de préférence au centre… Vous avez le temps ,cela se joue jusqu’à la fin janvier… 


Philippe du Vignal

 

(1)http://theatredublog.unblog.fr/2010/11/16/reve-dautomne/

 

Théâtre de la Ville jusqu’au  25 janvier.

 

Ensuite  au Grand T de Nantes du 2 au 11 février; au de Singel d’Anvers le 1er et 18 février; au Théâtre du Nord de Lille du 8 au 18 mars;   au Stadsschouwburg d’Amsterdam du 24 au 26 mars; au Piccolo Teatro de Milan du 1 er au 11 avril; à la Scène  nationale de Poitiers du 3 au 26 mai; au Théâtre national de Bretagne à Rennes du 11 au 20 mai; au Wiener Festwochen de Vienne du 26 au 29 mai et enfin,  au Théâtre national de la Criée à Marseille du 6 au 11 juin.

Dämonen

Dämonen Démons de Lars Norén, traduction en allemand d’Angelika Gundlach,  mise en scène de Thomas Ostermeier.

Lars Norén, 66 ans est sans aucun doute le dramaturge suédois le plus connu en France, avec des  pièces comme Guerre, La Force de tuer, Kliniken, La Veillée, Munich-Athènes. Sur les quelque file587hddaemonenlarseidingerbrigittehobmeier.jpgdizaines qu’il a écrites. Dämonen  ( 1983)  est une sorte de tranche de vie: un couple, Frank 38 ans- l’âge qu’avait Norén quand il écrivit sa pièce- et Katarina vivent ensemble depuis longtemps mais le couple a quelques difficultés relationnelles dans leur vie quotidienne. Les reproches et les injures se mettent à pleuvoir. Et cela passe, on le sait bien, par des détails qui, accumulés au fil des années, deviennent une bulle prête à exploser avec violence. Un soir, Quand Frank rentre, Katarina est en train de prendre une douche et elle casse un verre, et le verre cassé s’éparpille partout sur le carrelage. Ce qui excède Frank qui  lui rappelle qu’elle avait déjà cassé la plaque de verre du bac à légumes du réfrigérateur il y a quelques années, de celles que l’on ne trouve jamais à acheter. Elle, de son côté, a un peu de mal à accepter que l’urne contenant les cendres de la mère de Frank soit toujours dans le couloir…

L’escalade verbale va commencer du genre: « Ne me regarde pas avec tes petits yeux ridés de cochon ». ou « Ta pute italienne que tu as baisée à Orly »  Qui peur de Virginia Woolf ?  que nous avions vu jeudi a, vingt ans plus tard, évidement inspiré Lars  Norén. … D’autant plus que Frank propose à ses voisins du dessous Jenna et Tomas un jeune couple comme eux mais qui ont deux enfants, dont un bébé Wolfgang qui est malade, de venir prendre un verre. Jenna, un peu enveloppée, mère de famille,  est un peu l’antithèse de Katarina qui a quelque chose de la Vénus de Boticelli. Ils se mettent à boire tous les quatre et dans ce huis-clos, la machine à produire de la cruauté mais aussi à révéler  la vérité de chacun des personnages est programmée de façon irréversible.

Complices et victimes à la fois, Katarina, très séduisante, et Frank mènent le bal, visiblement assoiffés d’échapper à un quotidien qu’ils ne supportent plus, incapables aussi sans doute de ne plus s’aimer.  Jamais sans toi, plus jamais avec toi…: « Ou je te tue ou tu me tues, ou on se sépare ou continue comme çà. Choisis, dit Frank, tout en sachant qu’il n’y a pas de vraie réponse. Et on pouvait s’y attendre: elle se met à draguer Tomas qui ne résiste gère à ses avances. Et comme dans la pièce d’Edward Albee, l’autre couple va vite être contaminé par ce déluge de violence verbale, où l’attirance sexuelle n’est jamais vraiment avouée mais sans arrêt présente. Et Frank a visiblement des penchants homosexuels et se met à draguer Tomas de façon très physique. Dans un moment de grande violence et déjà très imbibé, il versera les cendres de sa mère sur Katerina, pour ensuite  passer l’aspirateur et les remettre dans l’urne…

Ce qui n’empêchera pas Frank, à la fin de partir avec Jenna qui un besoin irrépressible d’amour: « Tomas ne m’a jamais aimé; c’est pour cela que je tombe enceinte tout le temps « . Thomas Ostermeier a repris un dispositif scénographique comparable à celui de Maison de Poupée soit une vaste tournette avec, d’un côté,  un appartement contemporain avec table basse, fauteuils et de l’autre côté, séparé par un box en verre où est placé un vélo d’entraînement, une petite cuisine, le lit d’une chambre et une douche avec lavabo.

Le directeur de la Schaubühne a placé deux projecteurs vidéo qui retransmettent certaines scènes sur les murs de l’appartement, surtout quand elles se passent de l’autre côté. C’est techniquement de grande qualité mais comme d’habitude, cette vidéo- véritable manie du siècle que nous avons souvent dénoncée- ne fonctionne pas très bien; et voir de gros plans de visages ou Frank pisser dans le lavabo quand les trois autres personnages continuent à discuter dans le salon tient de la provocation  de potache et n’apportent strictement rien au spectacle.

Mais avec une pièce mineure, Thomas Ostermeier a réalisé une mise en scène exemplaire, notamment dans sa direction d’acteurs; on connaissait déjà Lars Eidinger  (Frank) qui avait déjà joué  dans son Hamlet mais Brigitte Hobmeier, Eva Meckbach et Timan Straub sont d’une vérité et ont une qualité de jeu tout à fait exceptionnelle. Ce qui frappe le plus, c’est la simplicité apparente de leur interprétation et l’unité de jeu du quatuor.

Alors à voir?  Même si la pièce beaucoup trop longue, (deux heure vingt cinq sans entracte) sur un thème très proche, n’a pas la force d’écriture de Qui a peur de Virginia Woolf?  et si elle n’offre guère d’émotion, on est quand même séduit par la mise  en scène de Thomas Ostermeier. A vous de choisir. Apprentis comédiens, courez y, vous verrez une direction d’acteurs d’une rare qualité.

Philippe du Vignal

Théâtre de l’Odéon, Paris (VIème)  jusqu’au 11 décembre.

 

 

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