Sunderland

Sunderland de Clément Koch, mise en scène de Stéphane Hillel.

 

  piecegalerie535thumb.jpgCela se passe à Sunderland, une  ville industrielle importante du Royaume-Uni, au bord de la mer du Nord du côté de Newcastle, où Nissan, installée là depuis un quart de siècle a la plus grosse usine automobile du pays, et qui exporte jusqu’au Japon!  Sunderland possède aussi un club de foot important. Sur scène, le rideau est déjà levé et l’on est dans un loft, sans doute un ancien atelier aux murs de brique, avec un escalier menant à une chambre,  et peu éclairé par une petite fenêtre sur cour.   Dans le fond, une gazinière, un gros réfrigérateur sans âge, une table en bois avec trois chaises en stratifié et tube inox, et  devant, un canapé rouge  qui a déjà beaucoup vécu, un écran plat et une grosse chaîne.
C’est là que vivent Ruby, une jeune femme assez exubérante ; elle gagne sa vie avec la messagerie rose et  elle héberge contre un semblant de loyer, Sally et  Jill, sa sœur de 16 ans en proie à une sorte d’autisme. Mais la grippe aviaire est arrivée et l’usine de conditionnement de poulets qui l’employait  a fermé, et Sally  est au chômage.
Par moments, apparaît aussi  en vidéo la mère de Sally et Jill, qui les abandonnées pour devenir chanteuse de music-hall, et qui a fini par se pendre. Cela sent déjà la grisaille et le mélo à vingt mètres! Si, en effet,  Sally ne trouve pas un travail rapidement, l’assistante sociale, en tailleur pied-de-poule blanc et noir, forcément désagréable et butée, va lui faire enlever la garde de sa petite sœur pour la faire soigner dans un hôpital.  Prenez vos mouchoirs!
Mais un grand jeune homme baraqué,un peu frustre,  admirateur du club de foot de Sunderland,  et très amoureux de Sally,  et qui vient souvent chez elles remettre en route le poële à mazout, laisse traîner un magazine où il y a une petite annonce de recrutement de mères porteuses: Sally  n’hésite pas donc à entrer un contact avec un couple homo londonien d’avocats: un petit rondouillard, laid, chauve, et blanc, et un grand, mince et beau, noir. P
ar souci de discrétion, ils ne veulent pas que cela se passe dans une clinique, et ils viennent  donc tous les deux, éjaculer dans des petits flacons que Ruby, prévoyante et généreuse bonne copine, est allée chercher à la pharmacie. Pourquoi tous les deux ? Pour mélanger les spermes et donc ne pas savoir si le futur bébé sera blanc ou noir…. C’est-y pas malin? Mais catastrophe: le grand jeune homme, un peu niais et gaffeur,  révèle aux deux avocats  que la petite Jill a une maladie mentale  d’origine génétique.
Affolés, les deux compères remporteront leurs précieux flacons. Mais Ruby, toujours bonne copine généreuse, ira à Londres les rencontrer pour les persuader de faire une geste financier, de façon à ce que Sally puisse racheter le stock de revues porno d’une librairie spécialisée et se mettre à son compte, et donc gagner de l’argent, et donc récupérer sa petite sœur déjà hospitalisée par la méchante assistante sociale… Si c’est pas du happy end, ça! Tout finit donc bien à Sunderland pour les pauvres jeunes femmes sans travail…
Comme on l’aura déjà compris, le nouveau boulevard, bien camouflé, est arrivé, avec, dans sa sacoche, les bonnes recettes de l’ancien! Décor hyper-réaliste, (même la cuisinière fonctionne et la porte claque vraiment), personnages stéréotypées à la limite de la  caricature et  embringués dans une situation impossible, dialogue ping-pong, souvent assez facile et superficiel, avec mots d’auteur rigolards, scénario  bien ficelé enrobé de mélo (voyez, cher public, le choix cornélien imposé à Sally!).
Mais  les vieilles ficelles ressemblent ici à des cordes. Heureusement, l’interprétation tient la route, et en particulier le trio: Elodie Navarre, Constance Dolé, et Lépoldine Serre, la plus jeune de ces Trois Sœurs  montée récemment au Théâtre de l’Athénée (par son grand frère Volidi et des deux vraies sœurs (voir le Théâtre du Blog) ; les trois actrices sont tout à fait crédibles et  s’en sortent  bien, même si les deux premières, qui boulent souvent leur texte, auraient un sérieux effort de diction à faire. A noter aussi la belle et forte présence de Bénédicte Dessombs dans le rôle de la mère indigne.
La mise en scène de Stéphane Hillel est nette et précise, et le public dans l’ensemble, semble ne pas bouder son plaisir; pendant  90 minutes, il rit souvent de bon cœur à cette  plongée dans l’univers prolétarien de l’Angleterre contemporaine façon Ken Loach. Mais ce regard un peu voyeur, presque ethnologique, met  mal à l’aise. Si Clément Koch avait situé l’action de sa pièce dans la banlieue lilloise, il y a fort à parier qu’il y aurait eu une vague de protestations…Mais à Sunderland!
Alors à voir?  A la rigueur, si vous n’êtes vraiment pas difficile du côté texte, ne vous attendez pas  à quelque chose d’exceptionnel! Comme  les places ne sont pas données ( 43 à 25, 50 euros quand même!), à vous de décider, mais on ose parier que vous n’allez pas encombrer le standard…

 


Philippe du Vignal

 

Petit théâtre de Paris à 21 heures.

 

 

 



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Les Fantoches

Les Fantoches, spectacle de la compagnie Gérard Gérard, avec  la complicité de Denis Péan (groupe Lo’Jo) et de Wladislaw Znorko, mise en scène de Michaël Filler.

 

ff.jpg  C’est la cinquième édition   de l’opération Par les villages-qui reprend le titre de la pièce de Peter Handke- à Trets et Meyrargues, villages de la Communauté du Pays d’Aix-en-Provence.
Avec des spectacles gratuits, en cours de création et joués ici pour la première fois, qui ont été coproduits, après avoir été « choisis par une commission de représentants des organisateurs, d’élus et de techniciens culturels, et de spectateurs fidèles » . C’est ainsi que la Compagnie Gérard Gérard est venue depuis Rivesaltes ( Roussillon)où elle est désormais installée depuis quelque quatre ans.

  Cela se passe à la Maison des colombes de Trets, une salle polyvalente comme il y a en tant mais apte à recevoir des spectacles de théâtre et plutôt correctement équipée, et où officient une équipe de techniciens efficace; des gradins de 150 places mais pas de scène; les Gérard Gérard transportent avec eux, comme autrefois, leur matériel et leur décor: des projecteurs, un tapis de danse noir et ce qu’il faut pour recréer un café des années cinquante:  comptoir  où officie un patron, habillé de noir, le torchon  toujours à la main, et plutôt cérémonieux, quelques tables rondes  du même style, et une vieille enseigne lumineuse de Mützig, bière d’Alsace,surplombant la scène. C’est sobre mais suffisant. Sur le côté, deux musiciens, parfois assis à une table  en train justement de savourer une bière, ou de jouer l’un de la guitare, l’autre de la batterie.
  Endroit  un peu glauque qui  fait penser à certains bars des années 70 à Bruxelles que fréquentaient surtout  des clodos qui venaient boire  quelque chose vers minuit et dormir assis une heure ou deux. Il y a dans Les fantoches une galerie de personnages embarqués dans leurs rêves ou qui jouent à une improbable partie de Master mind, sans trop y croire, juste histoire de passer le temps, ou chantant au micro, ou encore monologuant comme cette jeune femme assise un peu à l’écart.
« Le spectacle , dit Michaël Filler, dont c’est la première mise en scène vient sans doute d’un sentiment de confusion ressenti à des heures tardives dans les bars : lorsque le temps n’existe plus et qu’on devient tout à coup sentimental. Un questionnement métaphysique et une réponse : pataphysique. C’est une fiction de la mort et de l’au-delà défendue par un jeune collectif (trente ans de moyenne d’age… ).
Nous sommes partis du principe que la plupart des bars sont habités la nuit lorsque le rideau de fer tombe (attention, je ne parle pas de ces cafés modernes à écran plat des grandes villes qui ont remplacé les vieux bars!)
Bien sûr, ce ne sont pas les mêmes occupants que le jour ni les mêmes règles. Ceux-là subissent une nuit éternelle… pour certains c’est un paradis pour d’autre l’ennui. Ce soir là : deux intrus ont glissé dans leur monde.Le spectacle fait tour à tour référence au poème d’Apollinaire La maison des morts,ainsi qu’à la fameuse phrase de Jim Morrison sur les portes de la perception  On nous demande souvent si nous avons écrit le texte. Oui… mais sur le plateau, avec le sentiment qu’un silence vaut bien une parole « .
On ne sait trop en effet si les personnages sont encore vivants mais, comme Tchekov  l’avait dit dans une phrase admirable:  » Ce sont les vivants qui ferment les yeux des morts mais ce sont les morts qui ouvrent les yeux des vivants ».  Le spectacle est ainsi constitué de courtes scènes fugitives  se succédant sans à-coup où officient les  sept comédiens avec une gestuelle très précise et une belle présence.

   Les petits textes auraient sans aucun doute besoin d’être retravaillés mais  bon, c’est surtout un théâtre d’ images à dominante surréaliste et poétique auquel on est convié, comme ce petit bateau émergeant  d’une brume épaisse avec, seul à bord, un petit capitaine-endormi ou  mort?-que le patron de bistrot pose délicatement sur le bar avant d’aller essuyer  avec soin, et une fois de plus, les tables de son café. Images influencées-mais ce n’est pas un reproche- par les spectacles de Znorko et par ceux de  l’immense Kantor qui fait partie de leur héritage. dans une sorte de va-et-vient constant entre le monde des trépassés et celui des vivants.
  Le spectacle finit  simplement , et de façon émouvante, sur quelques phrases de Bach jouées par les  deux comédiennes au violoncelle et au violon. Comme l’écrivait Daniel Barenboïm, pianiste et chef d’orchestre:  » La relation entre la vie et la mort est que celle qui existe entre le silence et la musique – le silence précède la musique et lui succède ».  

 

Philippe du Vignal

 

Maison des colombes de Tretz (Bouches-du-Rhône) le 15 octobre.

Cabaret Nono

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Cabaret Nono,  mise en scène de Marion Coutris et Serge Noyelle, textes de Marion Coutris, musiques de Marco Quesada.

 

  dsc3234.jpg Cela fait maintenant quelque quatre ans que Serge Noyelle a émigré et quitté son théâtre de Châtillon,  pour installer sa compagnie, à Marseille, au milieu des pins dans  la Campagne Pastré, une propriété de plusieurs hectares  de garrigue au pied des montagnes et à deux pas de la mer qui appartenait à Lily Pastré, grande amie marseillaise des arts et de la musique qui la légua à la municipalité, sous réserve qu’il n’y ait aucune construction en dur.
  Serge Noyelle a donc fait construire un grand chapiteau de 40 m de long sur  20 m de large et des annexes, en bois ou en toile pour accueillir le public, les artistes et techniciens de son équipe. Il vient d’y  présenter  à nouveau pour une série de représentations le Cabaret Nono qu’il avait créé dans une première version en 2004., puis rejoué ensuite .
Le cabaret est une forme de spectacle qui s’était comme greffée aux quartiers des théâtres, les Boulevards et le Palais-Royal; ces cabarets devinrent ensuite des caf’conc’, où comme leur nom l’indique, le public, sans doute plus hétérogène que celui des théâtres, pouvait à la fois consommer des boissons et regarder des numéros, des chansons et des danses.
Idée qu’a repris Serge Noyelle, avec une scénographie particulièrement bien adaptée: imaginez un ovale avec une piste qui l’entoure et à chaque extrémité, un orchestre  de quelques musiciens et une scène de quelques cinq  mètres d’ouverture. Au milieu, le public-190 personnes un peu serrées autour de tables rondes et convié à déguster un petit dîner de qualité, servi à l’assiette et avec beaucoup d’aisance, ce qui n’est pas évident avec tant de monde, par des garçons en smoking, comédiens de leur état.

  Il ne s’agit pas tout à fait d’un cabaret traditionnel mais plutôt de tableaux vivants avec quelques fragments de texte, des chansons et des numéros dansés en solo ou chœur, le tout dirigé par un maître de cérémonie en queue-de-pie aux couleurs chatoyantes. Les costumes et les maquillages  de chacun des quelque cinquante  personnages incarnés par une vingtaine d’acteurs/chanteurs/danseurs, souvent travestis: hommes/femmes (c’est plus drôle évidemment) et femmes/ hommes sont d’une rare invention, et rappellent le baroque de ceux du Ridiculous Theater new yorkais de John Vaccaro dans les années 70,avec ses strass, ses paillettes.
C’est , comme une galerie de personnages entraînés dans un délire poétique et comique où l’on perçoit parfois des bribes du texte écrit par Marion Coutris. Mais le cabaret Nono, c’est aussi  une suite de formidables images où l’on retrouve parfois l’influence du grand Kantor qui avait tant marqué Noyelle à ses débuts, comme  cette jeune femme au faux long nez , en robe noire qui tire une sorte de chariot où est étendue une autre jeune femme les seins dénudés; un homme au crâne rasé lui verse lentement l’eau d’un arrosoir  vert dans la bouche… Le tout dans la brume traversée de très belles lumières .
On est un peu dans Magritte et le plus souvent dans le surréalisme: Noyelle est autant  peintre, et bon peintre,  que metteur en scène, et il déguste en connaisseur la beauté sculpturale des corps nus ou habillés, filiformes ou obèses comme celui de certaines de ses actrices.

  Comme l’écrit Chantal Jaquet dans Le corps:  » La vue saisit l’existence matérielle des corps ne tant qu’ils se manifestent par la forme et la couleur. Elle est apte à percevoir le beau, non seulement pour des raisons internes à l’œil qui tiennent à la condition de possibilité de la perception visuelle, à savoir la lumière » .
Que le corps soit immobile ou en mouvement, comme dans cette formidable danse rythmée  sur la piste circulaire des acteurs-tous possèdent une maîtrise absolue de leurs corps- qui entrent les uns après les autres par une fente du rideau rouge. Rien que pour cette image fabuleuse à la Pina Bausch, le cabaret Nono mériterait d’être vu.

  Il y a aussi suspendu au milieu du public et éclairé des lumières bleues, et, au dessus d’un bac rond accueillant les bouteilles  de vin, un magnifique lustre de perles de glaces qui fond lentement. Saluons aussi les musiciens  qui sont là en permanence en osmose avec les comédiens, et la performance des serveurs et employés de cuisine qui arrivent à servir correctement une entrée, un plat et un dessert  en harmonie avec le spectacle.         Jacques Livchine, qui a pourtant la dent dure, ne tarissait pas d’éloges sur le spectacle.Le public marseillais, lui aussi est vite conquis , et a très longuement applaudi, après  deux heures et demi avec une petite pause pour seulement,  ceux,  prioritaires, qui ont envie de coke ou d’aller aux toilettes  rappelle Serge Noyelle.
  Des bémols? Pas beaucoup. Le spectacle a tendance à patiner un peu les vingt dernières minutes- fatigue des acteurs et/ou du public moins réceptif-quelques coupes ne seraient pas un luxe-et  même si Noyelle trouve que la place n’est pas chère puisque le repas (sans boissons!) est inclus dans le prix d’entrée: 45 euros(tarif réduit: 35 euros et il y a beaucoup de bénéficiaires).
Ce qui est vrai, mais n’est quand même pas à la portée de nombre de Marseillais, d’autant plus qu’il faut une voiture pour y aller…Et comme les transports en commun s’arrêtent à 21 heures… Sans doute pourrait-on revoir la formule?

   En tout cas, si vous le pouvez, n’hésitez pas: une autre édition de ce Cabaret sortira la saison prochaine à Marseille.

 

Philippe du Vignal

 

 

Théâtre Nono – Campagne Pastré  35 Traverse de Carthage 13008 Marseille.

Jungles


Jungles,
spectacle de Patrice Thibaud, co-mise en scène de Suzy Firth, Michèle Guigon et Patrice Thibaud.

 VOIR LA VIDEO↓

Il y a trois ans, Patrice Thibaud que l’on avait vu dans les derniers spectacles de Jérôme Deschamps, avait créé Cocorico  avec mime et musique, et deux personnages qui inventaient des numéros sur le thème du  Far-west, du ventre d’un lion ou d’un défilé militaire du 14 juillet. Jungles, qu’il avait créé en janvier dernier à Chaillot, c’est aussi bien sûr, un spectacle burlesque,  » pour montrer, dit Patrice Thibaud, l’animalité plus ou moins refoulée qui peut, à tout moment,  prendre le pas sur l’homme civilisé » . Bon, on veut bien…
Sur le plateau, deux  petites baraques qui font penser à celles  des Pieds dans l’eau que Jérôme Deschamps et Macha Makeieff avaient monté, il y a quelque quinze ans, sur cette même scène: l’une qui fait office de maison, avec un  affreux papier mural, l’autre de scène/castelet dotée d’un piano, avec une  porte sur chaque côté dont l’une se prolonge par une passerelle.
Un homme  et sa femme(?) cherchent à défendre leur portion de territoire contre un chien au comportement des plus humains joué par un comédien acrobate et pianiste (Philippe Leygnac) qui s’insinue dans le couple.Il y a aussi un autre homme/chien que l’on verra peu. Aucune parole,   sinon des  borborygmes, chuintements, voire au bout d’un moment quelques pauvres phrases. Il y a, de toute évidence, une sorte de conflit amoureux entre le bonhomme (Patrice Thibaud) et le chien qui voudrait bien goûter aux charmes de sa compagne, la belle Marie Parouty qui reprend le rôle de Lorella Cravoty.
Les coups de matraque (en mousse rouge) et les gags/poursuites se succèdent, et c’est souvent drôle, comme, entre autres, le début quand le bonhomme mange des craque-pains en rythme: c’est la vieille histoire du comique qui naît d’un comportement humain calqué sur du mécanique, bien analysé par Bergson au début du siècle dernier. Il y a aussi une scène remarquable, tout à fait dans la ligne du burlesque américain, où la leçon de piano tourne à l’avantage du chien plus fort que le maître: le spectacle prend alors tout son sens.
Mais tout n’est pas de cette qualité Patrice Thibaud, constamment en scène, en fait beaucoup, trop sans doute, et trop souvent: gesticulations,grimaces, roulements d’yeux, rictus et il y a souvent comme du  Louis de Funès dans l’air auquel le comédien ressemble étonnamment, même s’il est plus grand, mais  le public est ravi.
Marie Parouty  a, elle,  un jeu plus  discret mais singulièrement efficace, même si on a souvent l’impression qu’elle sert parfois de faire-valoir à Patrice Thibaud. Mais, comme les gags sur le thème animal/humain se succèdent, comme en témoignent les rires en cascade de la plus grande partie du public, le spectacle fonctionne quand même.
Mais la  mise en scène- signée à trois, et ceci explique sans doute cela- reste peu convaincante: le rythme  reste souvent lent, voire cahotant, les quelques petits dialogues qui ne sont pas en harmonie avec  l’intrigue, tombent à plat, et les poursuites ne sont pas toujours vraiment maîtrisées.
C’est un spectacle qui manque d’un fil rouge, d’une dramaturgie et d’une véritable direction d’acteurs. Qui dirige qui?
Alors à voir? Oui, si vous n’êtes pas trop exigeant, mais  on reste quand un peu sur sa faim pendant ces 80 minutes, et le spectacle se termine plus qu’il ne finit, comme s’il était encore en rodage… Mais,  encore une fois, le public rit de bon cœur…

 

Philippe du Vignal

Théâtre national de Chaillot, salle Gémier jusqu’au 18 juillet.

http://www.dailymotion.com/video/xix6zi

L’ Ombelle du trépassé

  L’ Ombelle du trépassé, texte et mis en scène de Jean Lambert-wild, accompagné de chants bretons recueillis par Yann-Fañch Kemener.

 

ombel20111003tjv57.jpgComme le dit  Michel Onfray, vieux complice du metteur en scène et directeur de la Comédie de Caen: «   Jean Lambert-wild chante et s’inscrit dans le lignage primitif des poètes de la généalogie du monde: les eddas, les genèses, les sagas. Dans l’Ombelle du Trépassé, il psalmodie un monde celte. pas seulement à cause de la langue bretonne, mais en regard du monde créé: un univers de de genêts jaunes et de mer sombre , d’embruns épais et de géologies grises ».
Rien sur la scène sinon qu’un rocher qui se dresse verticalement comme un menhir où l’on aperçoit, immobile le buste et la tête d’un homme comme s’il en était un peu le prolongement vêtu d’une  cotte de maille brune. C’est, Yann-Fañch Kemener,  le chanteur et ethno-musicologue breton,  qui a contribué depuis une trentaine d’années à la transmission de chants et poèmes bretons qu’il a patiemment collectés.
Le spectacle  est en fait un monologue ; c’est un tissage adroit du texte de Jean Lambert-wild de l’étonnante psalmodie entonnée  en direct soit en différé , au micro ou pas par Yann-Fañch Kemener, et de la musique de Jen-Luc Therminarias. Le chanteur-interprète ne bouge pas, et cette voix forte,grave et rocailleuse,  et  comme venue de la lande profonde, est  impressionnante de vérité, et en parfaite adéquation-monologue/monolithe- avec cette silhouette massive plantée en haut de ce rocher bleu foncé (pas très beau qui sent la résine synthétique à dix mètres)… mais bon.
Cette psalmodie peut faire penser quelque fois à une sorte de récitation  de poème homérique, et si on ne  comprend pas du tout le breton, on est quand même très touché par cette voix, à la fois si dure et si douce, qui sait dire la poésie de chansons populaires bretonnes comme la langue subtile de Jean lambert-wild. Le soir de la première,la balance était encore loin d’être au point et le son dispensé par le micro HF n’était pas très satisfaisant mais cela a du s’arranger depuis.
. Le spectacle n’est pas long (une heure et quelque) mais d’une force poétique indéniable.

 

Philippe du Vignal

 

 

 

Maison de la Poésie Passage Molière, 157, rue Saint Martin  T: 01 44 54 53 00

 

Clôture de l’amour


Clôture de l’amour, texte, conception, réalisation de Pascal Rambert.

 

arton2909761d2.jpgImaginez une salle de répétition aux murs et au plafond blancs avec un petit gradin de deux marches;   vingt rampes fluo  dispensent une lumière blanche qui enlèvent toute ombre dans ce huis-clos au sens strict du terme une porte à double battant de chaque côté, et au fond, une autre porte coupe-feu.
Rien d’autre qu’une brochure de pièce et une bouteille d’eau minérale, pas même une chaise C’est dire que le beau décor conçu par Daniel Jeanneteau pour cette clôture de l’ amour d’un jeune couple est minimal.
Quand le spectacle commence, ils sont là tous les deux, un peu comme deux danseurs ou deux boxeurs, on choisira mais il y a du règlement de comptes dans l’air, et l’on sent dans ce silence lourd et pesant qu’il ne va pas y avoir de cadeaux entre les deux époux mais un territoire mental et affectif à défendre. Lui, c’est Stan un homme encore jeune en jean et t. shirt; elle,  c’est Audrey, la trentaine peut-être un peu plus jeune que lui, les cheveux longs. A quelques mètres l’un de l’autre.
C’est lui qui va commencer: il la quitte et va lui dire sans aucun ménagement, avec même une incroyable brutalité, tout au long du premier des deux monologues jamais interrompus. Il veut lui prouver que leur histoire d’amour est bien finie, en lui détaillant même la suite: il retrouvera d’ici peu, lui dit-il, un autre corps que le sien.
Rien pas une parole d’apaisement; il est en colère contre elle, peut-être moins qu’il ne le dit, on ne sait pas mais il a sans doute envie d’exorciser cette rupture par ce rituel où la parole est précise, dure, voire blessante. Très nerveux, il bouge beaucoup, fait de grands gestes, menace de tout son corps et de sa parole, à la fois précis et cruel .
Audrey ne dira rien pendant une heure, vraiment rien, même pas un murmure; elle reste debout comme lui, digne et recevant les coups les uns après les autres, sans bouger ou si peu, mais les moindres mouvements de son corps disent qu’elle souffre au-delà de ce qu’elle aurait pu imaginer, surtout  quand les accusations viennent de l’homme qu’elle a aimé, le père de ses deux enfants.
On a vite compris qu’elle  attend son heure mais qu’elle va rendre, sans aucune pitié, coup par coup… Mais on n’est pas dans la fameuse pièce Qui a peur de Virginia Woolf? d’Edward Albeef aucun dialogue, comme si la rupture était déjà consommée et qu’il n’y avait plus qu’à la dire et à la proclamer dans l’esprit et dans la chair de l’autre. Aucun espoir: on solde les comptes de cette faillite amoureuse au moyen du langage, arme redoutable.
Et pas un contact entre Stan et Audrey pendant ce duel impitoyable, de monologue contre monologue. Quelqu’un frappe à la porte du fond: c’est une chorale d’une dizaine d’adolescents- surtout des filles et deux garçons- qui ont peut-être l’âge des enfants d’Audrey et Stan .Ils  viennent répéter une chanson parce que, disent-ils, ils ont réservé la salle. Ce sera la seule ouverture de portes avant la fin. Ils s’inclinent devant la demande des enfants, comme pour une trêve finalement bienvenue dans leur douloureux mais nécessaire combat.
La petite chorale chante Happe, une chanson d’Alain Baschung puis s’en va aussi poliment  qu’ elle était arrivée. Cette bouffée de naïveté, même si cette pause dure que quelques minutes sans rien casser, est une belle minute. Audrey et Stan ont maintenant changé de place mais ils sont toujours debout. Puis c’est à elle, Audrey de répondre à Stan et d’engager le combat pour se délivrer d’une histoire qui l’obsède. Et cet exorcisme est sans doute plus violent, plus impitoyable: elle est d’un calme absolu mais ses phrases sont ciselées et n’hésite pas une seconde devant un mot bien vulgaire qu’elle lui balance de temps en temps, sans aucun scrupule.
Elle accepte cette séparation mais lui dit tout le bien qu’elle pense de son attitude. les mots sont durs…Lui est là, un peu minable et découvre quelqu’un qu’il ne connaissait pas, qui a sans doute trop attendu pour lui parler. Mais maintenant qu’elle a commencé, on sent qu’elle  videra son sac de grenades jusqu’au bout. Prostré, le corps plié en deux, il comprend vite qu’il devra encaisser des paroles et un langage qu’il n’attendait chez celle qu’il a autrefois tant aimée…
Le texte de Pascal Rambert est vraiment  d’une rare qualité, même s’il est un peu trop long et  va vite devenir la coqueluche des cours de théâtre. Il a bien fait de diriger lui-même Audrey Bonnet et Stanislas Nordey qui sont absolument exceptionnels. Pas une erreur, une diction impeccable et une incarnation de leur personnage que l’on n’a guère l’habitude de voir sur les scènes françaises.
Au chapitre des inévitables bémols, une gestuelle un peu trop expansive, au début du moins,  de Stanislas Nordey  et la fin, pas très réussie quand ils mettent tous les deux, le torse nu, une coiffe d »indien en plumes bleues. Pas grave,  redisons-le, ce spectacle est d’une rare qualité et le public a applaudi longtemps et à juste titre, les comédiens épuisés après un pareil combat mais heureux d’avoir réussi cette performance, aussi bien mentale que physique..

 Philippe du Vignal

T 2 G Théâtre de Gennevilliers  jusqu’au 22 octobre T: 01 41 32 26 26.

Le Chagrin des ogres

Le Chagrin des ogres, texte et mise en scène de Fabrice Murgia, musique de Maxime Glaude, vidéo de Jean-François Ravagnan.

 Le spectacle a déjà commencé quand on entre dans la salle: une jeune femme en robe de mariée courte, marche  d’un pas rythmé sur la scène enfumée qu’elle traverse de jardin à cour, puis de jardin à cour derrière le décor pour réapparaître en soulevant un rideau de lames  en tissu blanc. Elle prononce en boucle dans un micro qu’elle tient à la main, quelques phrases du commencement d’un conte: « Il était une fois un fils, le fils du Ciel et de la Terre qui voulait être etc…,   tout en continuant à marcher sans arrêt. Chacun de ses passages par l’un ou l’autre rideau qu’elle pousse avec son micro, produit un bruit effrayant de déchirure quand retentit un coup de gong électronique.

Une image fabuleuse qui rappelle dans un tout autre style- mais sans doute Fabrice Murgia ne l’a-t-il jamais vu-le début du fameux Regard du sourd de Bob Wilson, où, seul, il s’avançait, en habit noir et prononçait cette seule phrase, en bégayant de plus en plus: « Ladies and gentlemen, lalaladiesand gentlegentle men », avant que la parole ne disparaisse six heures durant,  de son fabuleux spectacle d’images. Sur la scène du Chagrin des ogres, créé au Festival de Liège en 2009,  rien qu’un mur de fond percé deux grandes vitres comme il y  a dans les studios d’enregistrement; derrière celle de gauche, une jeune femme assise par terre, dont on peut voir le corps et le visage comme celui du jeune homme projeté sur le mur; elle est dans un lit d’hôpital. Elle a essayé de se suicider mais sans doute, traumatisée et  sonnée par les médicaments, elle a des cauchemars, et se voit recluse dans une cave comme Natasha Campusch, cette jeune autrichienne, kidnappée et violée par son ravisseur.  Absolument seule et sans personne à qui parler.

Quant au jeune homme, il est assis devant son écran d’ordinateur, lui aussi très seul et mal dans sa peau; et son personnage a été inspiré par un fait divers qui, il y a quelques années, secoua l’Allemagne: Sebastian Bosse, un lycéen de dix-huit ans, adepte des jeux vidéo, qui avait fait part de ses intentions sur Internet, était allé dans son établissement tirer sur ses enseignants et ses camarades, dont plusieurs furent blessés, avant de se suicider. C’est un peu la version masculine de l’histoire de cette jeune femme.
En robe de mariée, elle écoute en silence et, au besoin, commente, dans un second degré tout empreint d’ironie, les monologues de ces deux jeunes gens face à une caméra qui capte tout d’eux, sans restriction:  par moments, elle nous raconte parfois, en criant, avec la naïveté et la méchanceté des enfants, des bribes de contes qui sont comme enchâssés dans Le Sang des ogres et  elle réussit à provoquer un malaise certain chez nombre de spectateurs.

C’est l’histoire d’une journée dit Fabrice Murgia, où les enfants vont cesser d’être des enfants. Il utilise beaucoup la vidéo, le son-transformé au besoin dans une subtile alchimie-et  la musique électronique comme vecteur dramaturgique: c’est  sans doute, malgré certaines longueurs et un récit volontairement compliqué, un travail exceptionnel de réflexion sur la notion de communication dans un monde où l’on ne supporte plus de ne pas être branché en permanence sur l’information en direct et la réalité la plus immédiate mais où la véritable rencontre avec l’autre s’avère de plus en plus difficile, ce qui est finalement logique.

Et Emilie Hermans, David Murgia et Laura Sépul, magnifiquement dirigés, sont impeccables de vérité.  En particulier, Laura Sépul (la mariée) réussit à faire passer toute l’angoisse et le désarroi qui coulent du cauchemar auquel elle assiste. A la toute fin, désespérée, à bout de souffle et assise par terre, elle dit  avec une voix douce de petite fille accablée : « Je ne veux pas que cela se termine comme çà », on a les yeux humides, et ce n’est pas si fréquent dans le théâtre contemporain..

A vingt-cinq ans, Fabrice Murgia réussit là un coup magistral, sans la moindre esbrouffe, sans la moindre concession -ici la vidéo pour une fois, est justifiée- et avec une connaissance du plateau, une maîtrise du temps et de l’espace et un savoir-faire étonnants. Ce spectacle court (une grande heure) mais d’une étonnante densité, s’arrête juste quand il faut. Attention,  ce conte pour adultes n’est pas -c’est évident!- pour les enfants, mais s’il passe près de chez vous, n’hésitez surtout pas. Il a reçu le prix du jury et celui du public du meilleur spectacle au dernier Festival Impatience, un prix tout à fait mérité.

 Philippe du Vignal


Théâtre de l’ Odéon/Ateliers Berthier,  boulevard Berthier,  Paris (XVII ème).

Et le 26 janvier 2012 à Pessac en scène, Pessac ( Gironde) / le 28 janvier 2012 à La Lucarne – Arradon; le 31 janvier  à la Scène nationale 61 – Alençon.
du 2 au 4 février au Trident, Scène nationale de Cherbourg. les les 7 et 8 février,  Halle aux Grains -Blois; le 10 février, Théâtre de Brétigny, Brétign.
Les 6 et 7 mars, au Château Rouge,Annemasse; le  9 mars l’Allobroges , Cluses; le 15 mars  à l’Arc, Scène nationale du Creusot; le 27 et 28 mars  au Festival Hybrides -Montpellier.
Le 4 avril, Safran, Amiens; du 6 au 8 avril, Festival Mythos, Rennes.Les 12 et 13 avril , Théâtre de Grasse; le 19 avril à La Faïencerie,Théâtre de Creil; du 24 au 28 avril, MC2 Maison de la culture de Grenoble.
Et du 9 au 11 mai, Le Préau, Centre Dramatique Régional de Haute-Normandie , Vire.

 Le Chagrin des Ogres de Fabrice Murgia, éd. Hayez & Lansman, Belgique, 2010.  Vidéo: Image de prévisualisation YouTube d’un extrait du  spectacle, texte et mise en scène de Fabrice Murgia. Production Théâtre National à Bruxelles.)

Théâtre 71 de Malakoff.

40 ans d’existence et  20 ans de label scène nationale, soirée anniversaire du Théâtre 71 de Malakoff.

  jr0.jpgOn a mis un peu de temps mais nous vous avons réservé une petite surprise à la fin de l’article…
« Les années nous viennent sans bruit » comme l’écrivait Ovide dans Les Fastes, et c’est à peine croyable: oui, le Théâtre 71, ainsi baptisé en souvenir de la Commune de Paris, où nous sommes allés si souvent, a bien quarante ans!
Le metteur en scène Guy Kayat qui avait mis en place la Maison de l’Enfance à Malakoff, puis, toujours avec l’appui du maire Léo Figuière, décédé il a quelques mois, reçut du Ministère de la Culture une mission de préfiguration en 69, puis inaugura le Centre d’Action Culturelle.
L’Etat avait enfin mis en place une véritable politique de décentralisation théâtrale à la fois, comme on disait encore, en province mais aussi dans la banlieue immédiate de Paris dont Malakoff fait partie.
En 92, le Théâtre 71 fut parmi les premières structures à recevoir le label « scène nationale », ce qui correspondait à une reconnaissance d’intérêt général et qui lui permettait de bénéficier des subventions du Ministère de la Culture, comme des collectivités locales, en l’occurrence le conseil général des Hauts de Seine.
Pour fêter  cet anniversaire, il y avait tout du beau monde, en particulier la Maire de Malakoff,  l’efficace Catherine Margate, et son adjointe à la Culture, la non moins efficace Dominique Cordesse qui ont beaucoup œuvré toutes les deux pour que le Théâtre 71 occupe une place importante sur le territoire.
Patrick Devedjian, président du Conseil général, s’était fait excuser et  représenter par une des ses adjointes
Guy Kayat resta directeur jusqu’ à sa mort brutale en 83; il  avait, du haut du ciel, délégué son épouse Claire-Lise Charbonnier qui a rappelé qu’à ses débuts, le théâtre avait reçu à deux reprises le grand Tadeusz Kantor. Les directeurs qui lui ont succédé: Edith Rappoport, co-directrice avec Pierre Ascaride, (oui, c’est elle qui signe des articles dans Le Théâtre du Blog) a souligné combien le théâtre  contemporain n’était pas un vain mot: ont été invités Le Royal de Luxe, Ilotopie, Le Théâtre de l’Unité, l’Odin Teatre d’Eugenio Barba.
Ils ont introduit  le théâtre en appartements à Malakoff et  l’option Théâtre au lycée de Montrouge, avec Jeanne Champagne, metteuse en scène  qui habite Malakoff et Denise Bonal, auteur  et dramaturge.
Pierre Ascaride qui fut aux manettes vingt-sept ans durant a souligné  l’importance de la création, et en particulier de la création théâtrale, comme par exemple Wajdi Mouawad ou Anne-Laure Liégeois, tous deux accueillis à plusieurs reprises et avec grand succès. « Nous avons étés attentifs, dit-il,  à articuler les désirs et le cheminement des artistes avec les interrogations du public: nous avons ainsi accueilli le Groupa Secundo cubain, Cesaria Evora ou le  jongleur  Jérôme Thomas. Avec des créateurs présents sur le terrain, attentifs aux autres,  nous avons voulu faire vivre un théâtre  soucieux de transmission, est certainement un lieu d’échanges et de paroles, indispensable dans la Cité pour poser les questionnements sur le devenir de la communauté humaine.
Mais le théâtre 71 est en dehors de Paris et cela a un impact sur les comportements des publics et sur la politique de programmation, comme des spectacles de marionnettes et du théâtre d’objets avec   le festival MAR.T.O qui draine aujourd’hui une grande partie de spectateurs de Malakoff et des environs.»
Pierre-François Roussillon, le nouveau directeur  a souligné qu’il entendait bien ouvrir le théâtre  à toutes les formes d’art contemporain, y compris le cinéma et  la musique.
Ce que montre bien une belle exposition de photos retraçant la vie  riche du Théâtre 71 depuis plus de quarante ans, avec ses affiches nombreuses signées entre autres de Roman Cieslewicz, le grand graphiste polonais qui habita aussi Malakoff. Et il y a eu, venons-y, l’intervention de Jack Ralite. Il a soulevé l’enthousiasme du public qui l’a applaudi pendant de longues minutes. Chaleureux  et généreux -ce qui ne l’a pas empêché de mettre le doigt où cela fait mal avec un humour cinglant-Jack Ralite a relaté  les débuts des théâtres de banlieue à une époque où le Ministère de la Culture, se préoccupait d’autant moins de l’aide qu’il  pouvait donner aux municipalités soucieuses de mettre en place des structures culturelles, que des villes de Saint-Denis, Aubervilliers ou Malakoff qui  étaient communistes. (Malakoff l’est d’ailleurs resté). Ce qui ne plaisait guère au pouvoir alors en place!
Il nous souvient d’avoir entendu à l’époque un énarque égaré au Ministère de la Culture, ignare et borné, qui répétait souvent:  » On voit bien qu’il sont d’extrême gauche: ils jouent du Brecht ». (sic) Rappelons le rôle important qu’eut Jack Ralite, au plan local et national, d’abord comme maire d’Aubervilliers,  puis comme ministre de la Santé sous  Mauroy, et sénateur. Sans lui, on peut dire que  le paysage culturel français n’aurait pas été ce qu’il a été depuis cinquante ans. Voici, grâce à Sandrine Bellonie, quelques extraits de cette remarquable intervention, qui se boit comme un verre d’excellent champagne, loin de la bouillie que nous servent certains ministres de la Culture…

L’allocution de Jack Ralite

  »Sur les vingt-cinq villes indiquées comme ayant une activité culturelle intéressante -dans une enquête du Monde d’août 64- dix-sept étaient communistes ». Pour me limiter à Malakoff et à Aubervilliers, ces théâtres ont été construits sans un sou de l’Etat. Soyons totalement objectifs: pour Malakoff, c’est totalement vrai. Pour Aubervilliers non-puisque c’était sous le temps de Malraux- c’était sous la forme d’un prêt provisoire de soixante projecteurs et deux tables à repasser! Nous avons protesté et sommes allés au Ministère où le prêt est devenu définitif. Je me souviens avoir commenté cette » avancée », vous entendez ces guillemets: « Chez moi comme chez mes voisins, les ampoules grillent! ».  Cette petite anecdote avance à quel point la banlieue était oubliée. Nous étions les « communs de Paris » et rien de ce qui s’y fit, ne tomba du ciel du Pouvoir.
C’est là que j’ai compris le mot « dignité ». On sous estimait en haut-lieu ces pensées fulgurantes de 1920 de l’immense psychologue Vygotski: « L’homme est plein à chaque minute de possibilités non réalisées; les hommes et les femmes peuvent se retrouver une tête au-dessus d’eux-même. Georges Canguilhem disait:  » Je me porte bien dans la mesure où je me sens capable de porter la responsabilité de mes actes, de porter les choses à l’existence et de créer entre les choses des rapports qui n’existeraient pas sans moi ».  »
Pour être plus complet, Yves Clot, chercheur en psychologie au Conservatoire National  des Arts et Métiers a cette pensée lumineuse: « On ne vit pas dans un contexte, on cherche à créer un contexte ». Sans  forfanterie aucune encore, avec un un réel bonheur, la population de Malakoff, avec ses artistes et ses élus, ont décongelé la situation et fait fructifier leur  » pouvoir d’agir..
A réfléchir pour aujourd’hui, même si, en ce temps-là, le Ministère de la Culture, corrigeant son impolitesse à l’égard de la banlieue, nous donna, en tout cas à Aubervilliers, les crédits auxquels la Déclaration des Droits de l’Homme de  1948 dans son article 1:  » Tous les êtres humains naissent libres et égaux en  dignité  et en droit.
Les théâtres de banlieue, notamment des banlieues en friche de leur passé et de leur avenir nous conduisent à être pionniers. « L’homme passe infiniment l’homme »,  disait Pascal et le Théâtre 71 eut sa récompense quand l’immense Kantor est venu ici en 72, Guy Kayat lui  donnant carte blanche pour présenter la pièce de Witkiewicz  Les Cordonniers. (….). Je ressens vivement votre sentiment d’alors. C’est le même que nous avons  ressenti à Aubervilliers quand le Berliner Ensemble est venu interpréter Le Commerce de pain. Sur un souhait de Brecht à la sa femme la Weigel au moment de son grand départ: si tu vis en 71, c’est le 100 ème de anniversaire de la Commune, surtout va jouer à Paris.  (…)
Tout ce vent théâtral de banlieue appartient à la deuxième décentralisation théâtrale;  la première concernait celle des régions qu’on appelait  alors la province, celle de banlieue épousa le propos de Michel Vinaver: « La décentralisation est un esprit. L’esprit consiste à lier le plaisir du théâtre à quelque chose d’ambitieux aux confins du connu dans les matières comme dans les formes, et en même temps à être l’abreuvoir de tous ». (…)
Mais le plaisir de parler de belles choses ne doit pas oblitérer qu’il en est de moins belles et c’est souvent ainsi aujourd’hui où les jours passent et et tout ce qui avait été construit patiemment, se fissure, se casse, va même jusqu’à disparaître.
Le patrimoine dans sa diversité, le spectacle vivant dans sa diversité, le spectacle vivant dans son pluralisme sont en danger. Faute de crédits suffisants, faute de personnel, faute du bouquet de liberté qu’exige la création, faute de temps donné  au traitement de témoignage du temps, faute de négociations, plus généralement de considération et de reconnaissance, faute de transparence, faute d’organisation devenue trop petite pour ceux qui y travaillent.
Comment ne pas voir ou entendre ces malaises qui se répandent chez ceux qui s’entêtent à travailler correctement et récusent la contrainte du ni fait ni à faire, les souffrances qui entament ceux à qui une partie de leur activité est empêchée, les colères de la fonction publique culturelle et artistique, dont les membres ne reçoivent plus leur métier dans ce qu’ils font sur toute la palette de leurs responsabilités.
La R.G.P.P. est devenue la grande tondeuse des services publics. Le Président de la République est devenu le grand éducateur et agit en covoiturage avec les grandes affaires et « nous inflige des désirs qui nous affligent ». Le Ministre de la Culture renonce à être le grand intercesseur entre les artistes et les citoyens . Il répond de moins en moins souvent quand on sonne à sa porte; il a perdu le,pouvoir d’illuminer.
Les collectivités territoriales dont le grand rôle est devenu immense en culture et en art, voient leurs finances brutalisées par Bercy. Le travail dans les grandes entreprises financiarisées, et dans la foulée, malheureusement à l’intérieur des services publics, est tellement livré à la performance  que les personnes se voient ôter la capacité de respiration et de symbolisation..
Tout cela n’est pas tolérable et donne l’impression qu’en haut lieu, beaucoup d’hommes et de femmes de vos métiers sont traités comme s’ils étaient en trop dans la société (…) La politique actuelle chiffre obsessionnellement, elle compte autoritairement, alors que les artistes et les écrivains  déchiffrent et content. Ne tolérons plus que que l’esprit des affaires l’emporte sur les affaires de l’esprit.
J’ai un ami bulgare Predrag Matvejedic et je ne cesse de me répéter ces mots de lui:  » Nous avons tous un héritage et nous devons le défendre mais nous devons nous en défendre. Autrement, nous aurions des retards d’avenir et nous serions inaccomplis ». Et un autre ami Georges Balandier le dit autrement: « Nous sommes obligés de civiliser les « nouveaux mondes » issus de l’œuvre civilisatrice ».

Philippe du Vignal

Décès de Marie-Odile Wald.

rn33354611px470.jpgDécès de Marie-Odile Wald.

 

Marie-Odile Wald, directrice adjointe du Théâtre national de Bretagne depuis 2002 dont a la charge François Le Pillouër,  après avoir lutté courageusement contre un cancer qui la minait depuis quelque temps, s’est éteinte lundi à 57 ans. C’était une femme intelligente et efficace, aussi discrète que brillante, que nous avons bien connue surtout à ses débuts en 83,  quand elle dirigeait avec François Le Pilllouër le festival Nouvelles Scènes à Dijon; elle  le rejoindra ensuite à Rennes, après avoir été l’administratrice de la compagnie de Dominique Pitoiset, directeur du Centre dramatique de Bordeaux.
Marie-Odile Wadl connaissait bien toutes les ramifications  du théâtre contemporain et  avait un jugement exemplaire sur la création et sur les metteurs en scène. Elle aura contribué à l’émergence de nombreuses compagnies et aura joué un rôle important au Théâtre national de Bretagne.
La profession théâtrale perd quelqu’un d’important. Adieu, Marie-Odile.

 

Philippe du Vignal

L’Augmentation

L’Augmentation de Georges Perec, mise en scène d’Anne-Laure Liégeois.

 

  perec.jpgAnne-Laure Liégeois reprend ce texte de Perec qu’elle avait autrefois monté à Chatenay-Malabry , texte devenu non une véritable pièce mais une sorte de performance.  88 pages, sans aucune autre ponctuation que le dernier point, sans majuscules, avec, pour aérer les choses, quelques images: un œuf dans un coquetier,une horloge, une poule, des poissons décrit,  dans la logique implacable qui figure dans l’organigramme présenté au début du livre, Perec  décrit la stratégie utilisée par M. X… pour arriver jusqu’au bureau de son patron et pour lui soutirer une augmentation de salaire. Dans un style aussi brillant et intelligent que volontairement exaspérant,  avec de légères variations à chaque reprise de la même phrase.
Perec sait manier la répétition avec une virtuosité comparable à celle de Phil Glass en musique, du genre: «  Ayant mûrement réfléchi ayant pris votre courage à deux mains vous vous décidez à aller trouver votre chef de service pour lui demander une augmentation vous allez donc trouver votre chef de service disons pour simplifier car il faut toujours simplifier qu’il s’appelle monsieur xavier c’est à dire monsieur ou plutôt Mr x donc vous allez trouver mr x là de deux choses l’une ou bien mr x est dans son bureau ou bien Mr x n’est pas dans son bureau si Mr x était dans son bureau il n’y aurait apparemment pas de problème mais évidemment Mr x n’est pas dans son bureau vous n’avez donc guère qu’une chose à faire guetter dans le couloir son retour ou son arrivée ».    Perec, de toute évidence, s’amuse de ce langage mis en abyme  qu’il a réussi à mettre au point et  qu’il  propose avec un certain cynisme au lecteur: avec une logique absolument infaillible, à la fin,  le serpent semble se mordre  la queue, puisque cette quête du chef de service, dans une inflation qui finit par épuiser le lecteur, semble absolument vaine: nous  sommes comme invités par Perec à retourner au début du texte!
Cette Augmentation a quelque chose de fascinant pour un metteur en scène: il  doit à la fois se soumettre aux contraintes qu’impose le texte de Perec et, en même temps, a toute liberté pour construire son spectacle. Anne-Laure Liégeois,  elle, a choisi, de le faire interpréter par un homme et une femme qui se répartissent cette longue et unique phrase, ce qui suppose à la fois une belle énergie, une diction et une gestuelle impeccables, donc un solide métier.
Olivier Dutilloy et Anne Grouard, d’abord assis devant la table sans bouger, coincés dans l’espace très réduit d’une un petite scène installée sur la grande, sont impeccables. quand ils jouent les employés pas très finauds de la grande entreprise. Même si, au début, le texte est un peu surjoué et si, ensuite, ils criaillent parfois sans nécessité apparente.
Ce qu’Anne-Laure Liégeois aurait pu nous  épargner même si, par ailleurs, elle réalise un   travail d’orfèvre sur la phrase qu’aurait sans doute beaucoup apprécié Perec.
A voir? Le spectacle est peut-être un peu court pour faire une soirée mais c’est quand même un vrai bonheur que de retrouver l’écriture de Perec avec  ses procédés de composition et son incomparable virtuosité à jouer avec la langue française,dans les contraintes qu’il s’impose…  alors que le texte n’avait  pas été conçu pour un plateau de théâtre.

 

Philippe du Vignal

 

 Le spectacle après avoir été joué au cours de la soirée du 40 ème anniversaire du Théâtre 71 de Malakoff, est actuellement au Théâtre du Rond-Point .6 oct. – 6 nov., 21:00 salle Roland Topor dimanche, 18:30 relâche les lundis et les 9 oct. , 13 oct. , 20 oct, 27 oct. et 1 nov.

Georges Perec, L’Art et la manière d’aborder son chef de service pour lui demander une augmentation, postface de Bernard Magné, Hachette Littératures, 105 p., 12 €.

 

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