L’Illusion comique de Pierre Corneille, mise en scène de Galin Stoev.
Corneille n’a que 29 ans ,quand il écrit cet » étrange monstre« , pour reprendre sa propre expression mais il a déjà écrit plusieurs comédies et tragédies mais pas encore Le Cid.
Pridamante a sans doute fait trop de reproches à son fils qui, comme tous les fils, a envie de prendre sa liberté, et disparait. Le magicien Alcandre va, en bon magicien qu’il est, lui montrer la vie que mène ce Clindor, devenu valet de Matamore, une espèce de vantard. Clindor est amoureux d’Isabelle , et tue son rival Adraste. Isabelle,désespérée, arrive à le faire sortir de prison…A Pridamante, soulagé, le magicien Alcandre va lui montrer ce que devient son fils deux ans après.
Et le pauvre père voit son fils déclarer son amour à Isabelle… qu’il prend pour une princesse. Des hommes de main tuent Clindor et Isabelle est amenée auprès d’un prince amoureux d’elle. Mais Pridamante , effondré, voit son fils et d’autres garçons se partager de l’argent. En fait, tout cela n’est que fiction du théâtre, puisqu’en réalité Clindor est devenu comédien. La pièce, ici rapidement résumée( qui comporte nombre d’actions secondaires), se finit par l’apologie du théâtre et du métier de comédien.
L’Illusion comique est d’une grande virtuosité: pas d’unité de lieu: nous sommes à en Touraine, puis à Bordeaux et enfin à Paris; Pas d’unité de temps non plus, puisque entre les deux derniers actes, il y a deux ans qui passent mais la construction de la pièce est exemplaire et Corneille se révèle être un excellent dialoguiste. La pièce est à la fois simple comme une bulle de savon, et très compliquée dans ses multiples chatoiements de scènes secondaires. A côté des histoires d’amour, il y a aussi l’ombre de la mort qui plane sans cesse: » Je veux perdre la vie en perdant mon amour, dit Isabelle. Comme écho, » Je meurs trop glorieux, puisque je meurs pour vous, déclare Clindor. » La peur de la mort me fait déjà mourir »…Cela pourrait être dans Le Cid. La pièce tient à la fois de la pastorale avec ses scènes de séduction , de disparitions, de brouilles et de retrouvailles mais Corneille est allé aussi butiner du côté de la commedia del arte avec ce personnage haut en couleurs qu’est Matamore, personnage vantard et vivant dans ses fantasmes.
Fiction/ illusion/ réalité de la vie quotidienne: Corneille sait brouiller les pistes avec une maîtrise exceptionnelle et se révèle être un scénariste hors pair: il y a déjà dans l’action de cette pièce un côté bande dessinée qui fascine souvent les apprentis comédiens. Probablement, autant que la gamme incroyable des sentiments des personnages qu’en fin psychologue et connaisseur de l’âme humaine, Corneille sait faire vivre devant nous. Cherchez l’erreur: pas la peine, il n’y en a pas
Et les dialogues laissent présager ceux des tragédies qui suivront: tout y est dit: goût du pouvoir, intelligence, sarcasme, impatience, ironie, duplicité et inconstance de l’amour, prise de conscience que l’on commence à aimer, insensibilité, séduction, jalousie, sympathie et amitié,chaînes du mariage ( souvent forcé à l’époque), regrets sur quoi l’enfer se fonde ( comme disait Apollinaire) , plaisirs de l’amour libre mais aussi peur de la mort qui vient nous chatouiller régulièrement avec, pour finir, une petite piqûre de rappel: l’argent existe bien comme réalité sociale, et personne ne peut y échapper semble nous dire Corneille…
Le dernier grand thème de L’Illusion comique est l’amour du théâtre et de la fiction comme lieu poétique, et son corollaire: le théâtre dans le théâtre qui était déjà un thème connu à l’époque mais qu’il traite avec beaucoup d’humour. Bref, tout y est: le texte est à la fois, pétillant et drôle, et écrit dans une langue savoureuse et magnifique…
Maintenant, venons en à la mise en scène de Galin Stoev, metteur en scène bulgare, qui a déjà beaucoup sévi en France et à la Comédie-Française. On comprend bien ce qu’il a voulu faire au départ: renoncer au décor de la grotte traditionnel et couper une bonne partie du texte pour que cela dure deux heures sans entracte au lieu de trois avec entracte. Pour ce faire, Il a commencé par faire une belle erreur: encombrer le plateau d’une scénographie qui semble avoir déjà servi pour une pièce de Botho Strauss et qui oblige les comédiens à de bizarres déplacements. C’est une sorte de cage, éclairée le plus souvent par des tubes fluorescents,assez laide, en contre-plaqué noir et en verre, avec quelques portes , et un escalier en tubes inox qui ne sert pas jamais… Les costumes sont contemporains: complets cravate, pantalons gris et tee-shirts, deux robes rouges identiques pour Isabelle et Lyse sa suivante, et le magicien est lui, en pantalon de cuir noir..
Quant à la direction d’acteurs, elle est du genre faiblard pour ne pas dire plus: le pauvre Hervé Pierre ( par ailleurs, excellent acteur) qu’on entend souvent à peine, semble s’ennuyer et les autres comédiens, laissés à eux-même, souvent face public ( Galin Staev doit penser que cela fait moderne) , débitent leur texte plus qu’ils ne l’interprètent vraiment , sans le savoureux phrasé de la langue cornélienne et ont donc bien du mal à être convaincants. Seul, s’en tire Denis Podalydès dans Matamore: brillant, drôle, énergique, il s’empare du texte de Corneille avec beaucoup d’intelligence et d’ humour , et ce sont bien les rares moments réussis d’une mise en scène qui n’en est pas autre chose qu’un habillage de pacotille. Quand on repense à la fabuleuse mise en scène de Strehler, ce n’est pas sombrer dans la nostalgie mais on se dit que vraiment,ici,il y a eu une erreur de tir… Décidément, Muriel Mayette, l’administratrice de la Comédie-Française n’aura pas eu de chance ces derniers mois: après la lamentable affaire de Bobigny, une bien triste Illusion comique…
En fait ,tout se passe comme si Galin Staev s’était amusé, sans scrupule aucun, à décaper cet immense texte et à fabriquer une sorte de maquette pour son seul plaisir à lui, sans trop penser au public; au final, cela donne un spectacle assez prétentieux ( du genre, vous allez voir ce que vous allez voir quand je modernise ce pauvre Corneille) ,un peu branchouille ( Lyse nettoie les baies vitrées, Matamore grille une cigarette,etc.. ) et assez insipide, puisqu’on entend mal le texte de Corneille. La moindre des choses aurait été au moins de diriger les acteurs et de donner toute sa puissance d’évocation poétique à cette langue formidable. Mais, comme il y a quand même une justice en ce bas monde, Corneille, a résisté à l’entreprise de ce jeune metteur en scène qui a voulu faire joujou avec sa pièce, et c’est bien comme cela. Tant pis pour la Comédie-Française mais c’est vraiment dommage pour le public….
A voir : oui, si vous voulez vraiment que votre fils ou votre fille adolescent prenne en grippe le théâtre, et en particulier celui de Corneille, sinon ce n’est vraiment pas la peine de perdre une soirée, la vie est courte surtout quand il fait froid.
Philippe du Vignal
Comédie-Française, salle Richelieu, jusqu’au 21 juin 2009 ( en alternance)