Quartett d’Heiner Müller, traduction française de Jean Jourdheuil et Béatrice Perregaux mise en scène de Jacques Vincey

Quartett d’Heiner Müller, traduction française de Jean Jourdheuil et Béatrice Perregaux, mise en scène de Jacques Vincey

Cette réécriture des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos a été souvent mise en scène entre autres par Bob Wilson (2006), Patrice Chéreau, Matthias Langhoff et même par la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaecker. La pièce est un condensé du célèbre roman épistolaire: la marquise de Merteuil et le vicomte de Valmont s’affrontent dans un dernier round : le libertinage de ces complices vire à un règlement de compte sans merci. Leur couple a vieilli! Désabusés, au bout du rouleau, ils s’entredévorent, en revivant les épisodes jadis orchestrés par eux et leurs manœuvres amoureuses perverses.
«Nous devrions faire jouer nos rôles par des tigres.», dit Valmont à la Merteuil qui mène encore le bal, désignant à son amant les proies à séduire. Sous la plume d’Heiner Müller, les personnages deviennent interchangeables: la Merteuil se met à jouer Valmont, Valmont se déguise en Présidente de Tourvel mariée et prude, qu’il a réussi à séduire. Et la Merteuil devient Cécile de Volanges, la jeune fille  de quinze ans, elle, séduite aussi par Valmont…

En quatre temps et une heure quinze, Hélène Alexandridis (la Merteuil) et Stanislas Nordey (Valmont) jouent ce quatuor d’amour et de haine, sous l’œil attentif d’Alexandre Meyer ponctuant sur son luth le duel à mort auquel se livrent ces damnés de l’amour soufflant sur les braises de leur passion et de leurs «désirs en décomposition ».
L’auteur n’y va pas par quatre chemins : les mots sont crus et il nomme par leur nom les choses du sexe, détaille les artifices de la jouissance. Mais à la fin, cela sent le cadavre et pue les excréments où les héros se vautrent avec une volupté malsaine et désespérée.

 

 Ch. Raynaud de Lage

Ch. Raynaud de Lage

Ce duel a lieu, selon la didascalie initiale, dans «un salon d’avant la Révolution française et un bunker d’après la Troisième Guerre mondiale». Pour traduire cet espace-temps ouvert et chaotique, Mathieu Lorry-Dupuy a imaginé une scénographie sobre et intemporelle: une boîte blanche et ceinte de rideaux immaculés.
Les comédiens arrivent, emperruqués et poudrés, tels des fantômes de l’Ancien régime
sous les subtiles variations de lumière créées par Dominique Bruguière.  Mais une fois le voile de la bienséance tombé et les rideaux arrachés, les protagonistes se retrouvent sur une terre charbonneuse où suintent les fumeroles de l’enfer. Ils enlèvent leurs oripeaux XVIII ème siècle surdimensionnés imaginés par Anaïs Romand. Elle se défait de sa robe à paniers et de son chapeau à plume interminable et lui, de son élégant manteau cintré satiné: à la fin de ce duel, chacun est exposé dans une semi-nudité.

 Heiner Müller reprend les dispositifs narratifs de Choderlos de Laclos et ne laisse jamais transparaître le point de vue de l’auteur. En dramaturge expérimenté, il utilise les mécanismes de distanciation, effets de masques et travestissements. Le dialogue s’étire et se dilate, grâce à une traduction et à un jeu d’acteurs au cordeau. Le quatuor se dessine dans toute sa musicalité et ce duo est orchestré avec une froide intelligence par Jacques Vincey qui met à nu les ressorts dramatiques, la noirceur de la pièce et déjoue toute psychologie ou paraphrase. Du très bel ouvrage…

 Mireille Davidovici

 Du 4 au 12 octobre, Théâtre de la Commune, 2 rue Edouard Poisson, Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). T. : 01 48 33 16 16.

Les 3 et 4 décembre, Théâtre de Pau (Pyrénées-Atlantiques) ; le 10 décembre, Théâtre de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique).

Le 15 janvier, L’Odyssée, Périgueux (Dordogne).

 La pièce est publiée aux éditions de Minuit (1985).

 


Archive de l'auteur

Le Théâtre de l’Escapade menacé de disparition (suite)

Le Théâtre de l’Escapade menacé de disparition (suite)

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La municipalité d’Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) à majorité Rassemblement National, n’a pas encore, réagi, semble-t-il, à la vague  de protestation des milieux professionnels et syndicaux du spectacle qui a suivi… Ni Marine Le Pen, dont on cite  pourtant cette ville comme son fief et qui y a fait, en septembre dernier, sa rentrée politique. Elle a sans doute bien d’autres chats à fouetter: le Rassemblement National fait actuellement l’objet d’un procès pour «complicité et recel de détournement de fonds publics » pour les contrats d’assistants parlementaires. Selon l’accusation, il y aurait un détournement par vingt-sept prévenus sur une période allant de 2004 à 2016.
Soit au total: 4.503 000 euros…. Menacée de peine de prison mais aussi d’inéligibilité, Marine Le Pen a toujours nié que cet argent versé pour rémunérer les collaborateurs parlementaires, ait en réalité financé le Front national. Depuis, le Parlement européen a prélevé quelques dizaines de milliers d’euros sur son indemnité d’élue. Elle l’a quitté en 2017 et elle a remboursé 330.000 euros…

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Marine Tondelier, diplômée de l’Institut d’études politiques de Lille, est secrétaire nationale d’Europe-Ecologie Les Verts et  conseillère municipale dans l’opposition à Hénin-Beaumont où elle a grandit et habite depuis deux ans.
Conseillère régionale, elle a publié en 2017 Nouvelles du Front, La vie sous le Front national, une élue de l’opposition raconte. Avec des témoignages d’employés municipaux, syndicalistes, militants d’associations…Bref, l’envers du décor et  Elle décrit comment la municipalité a tout fait pour entraver le travail des journalistes de La Voix du Nord. Ce livre a eu une répercussion nationale… L’avis de Marine Tondelier sur la situation actuelle de ce théâtre est claire: « J’ai grandi, nous a-t-elle dit, à Hénin-Beaumont, à deux pas du Théâtre de l’Escapade. C’est un foyer  culturel très actif qui rayonne en ville et en région, avec de multiples actions: pièces, concerts, expositions, cours de danse,  guitare…  Et une institution agissant au cœur même de notre ville.

Les avis de la majorité R.N. au conseil municipal sont très tranchés!  Et si vous n’êtes pas avec elle… vous êtes contre elle! Mais longtemps, à part quelques escarmouches, la municipalité a vu ce théâtre de L’Escapade comme un gendre idéal mais depuis, elle se comporte en vautour. Je soutiens la lutte que mène ce Théâtre pour garder son indépendance, garante du service public et pour maintenir son rapport avec la population. »

Pour le moment, les  salariés du collectif L’Intruse sont en grève. « Nous prenons ce risque car nous refusons de cautionner un contexte de maltraitance institutionnelle où les salariés, en souffrance, sont contraintes ou d’arrêter, ou de sur-travailler. (…) Nous voulons continuer à créer, jouer, et diffuser des spectacles vivants, sans nous sentir constamment menacés par les pouvoirs politiques. Nous revendiquons un théâtre public, indépendant et populaire. Nous appelons à la mobilisation des travailleurs du spectacle, mais aussi des structures, des programmateurs qui pourraient nous soutenir et nous aider à sortir victorieux de cette lutte. Nous resterons mobilisés jusqu’à ce que nous obtenions des réponses satisfaisantes. »

© Tour de chant de L'Intruse

© Tour de chant de L’Intruse  dans la rue avec Camille Candelier

Pour Camille Candelier,  une de ses actrices, les choses sont aussi claires: « J’ai commencé à faire du théâtre à quinze ans, ,ous a-t-elle dit, puis j’ai étudié avec Jacques Lecoq (1921-1990) le grand pédagogue, passionné par le chœur des tragédies antiques.
J’aime le théâtre de rue uniquement tourné vers la création. Ma compagnie est en résidence au théâtre de l’Escapade et je participe à la lutte de ce lieu unique pour son indépendance. Au début, certaines compagnies s’interrogèrent sur les  formes de l’action et sur la grève  votée. Je suis aussi  mère de famille et dois jongler avec mon emploi du temps mais le piquet de grève rend visible notre action aux yeux des habitants de Hénin-Beaumont; nous discutons avec eux et ils nous apportent leur soutien. Ce théâtre qui fait partie de la ville est reconnu par tous, sauf par la mairie. Pourquoi? Nous avons joint les autres théâtres français qui subissent, ou qui vont subir les mêmes menaces… »

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Bruno Lajarra, ancien directeur de l’Escapade de 2017 à 2020, témoignait ainsi avec lucidité, il y a deux ans: « A l’arrivée du Front National, la convention triennale liant le théâtre-au statut associatif- à la Ville a été cassée, pour déboucher sur une convention annuelle avec une baisse de plus de 100.000 euros dès les premiers mois. Menaces, isolement, convocation du bureau de l’association… auront conduit le directeur à ne plus être en mesure de poursuivre sa mission. Certes, il n’y a pas eu de censure directe mais un climat de pression exercé sur le personnel municipal et sur la gouvernance de l’association qui est incessant depuis. Tout le personnel municipal dépendant de la Culture est à bout, que ce soit à l’école de musique ou à l’école d’arts plastiques, sans parler de la médiathèque où (…) les achats de livres sont contrôlés, les dédicaces des auteurs, fliquées. Le théâtre a perdu beaucoup de ses spectateurs lors du passage de la ville aux mains du F.N. (…) En 2019, lors des cinquante ans de l’association, un concert de Sinsemilia avait été programmé. Des émissaires de la mairie ont été envoyés pour filmer le concert et me renvoyer ces films avec une pression menaçante auprès de ma personne qui avait oser programmer un spectacle « de gauchistes ».

Un autre jour, lors d’une action culturelle avec des enfants de la ville, des chansons en berbère étaient programmées pour découvrir d’autres cultures,  quand les élus ayant eu l’information, ont interdit aux enfants de continuer à suivre l’atelier. Et un coup de fil du directeur des affaires  culturelles me demandant d’arrêter mes provocations. Il n’y a jamais eu de politique culturelle sur la ville: hormis un festival: Le Hénin Rock festival, marionnette d’un des adjoints au maire, et le défilé de Miss Héninois.

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Je n’ai jamais vu en quatre  saisons, Marine Le Pen dans la salle et deux fois seulement l’adjoint à la Culture.  Les derniers mois de ma direction, il y a eu une volonté délibérée de m’isoler et ne plus me convier aux réunions avec la Ville.
On ne peut pas discuter avec eux, on est soit avec eux, soit contre eux, il n’y a pas de demi-mesure et si Marine Le Pen arrivait au pouvoir, elle placerait à la tête des D.R.A.C., des théâtres et musées nationaux, des préfectures, tout ce qui pourra contrôler la liberté d’expression qui fait la culture française. Je pourrais aussi m’étendre sur le machisme, le sexisme: ils s’exercent au sein des instances municipales qui sentent bon l’excès de testostérone. Et sur le projet, heureusement avorté: transformer l’Escapade en cabaret au service de la culture française, la non-réouverture du cinéma Espace Lumière, une des rares salles « art et essai » du Pas-de-Calais, les dépenses pharaoniques pour faire venir le « vu à la télé » lors des fêtes nationales : Jenifer, Shy’m et s’attirer les louanges de la population. »
Pour le moment, les choses semblent rester en l’état mais bien entendu, nous vous informerons de la suite des événements…

Bernard Rémy

 Théâtre de l’Escapade, 263 rue de l’Abbaye, Hénin-Beaumont ( Pas-de-Calais).

Face à la mère, Guy Cassiers-Jean-René Lemoine

Face à la mère, Guy Cassiers et Jean-René Lemoine

 Debout, seul au centre de la scène, le visage accompagné par la lumière, Jean-René Lemoine apparaît dans le prisme d’une géométrie stricte et mouvante qu’a dessiné l’artiste et metteur en scène Guy Cassiers. Ici, le poète et acteur est amené et se contraint-à creuser au plus profond de lui-même « face à la mère». En fond de scène, répondant aux miroirs carrés diffusant la lumière sur l’écran répondant, lui, au cadre enfermant un moment l’acteur, les mots se tracent et s’effacent : « souvenir », «dire ». Puis apparait enfin, le visage réconcilié de la mère.

Enfance, adolescence : il va les chercher avec courage, les ramener au jour, en ressentir les tourments. Oui, il a voulu «tuer le père»; oui, il aurait aimé aimer sa mère protectrice autant qu’il l’a haïe, en éducatrice «carcérale». Sa quête ne cessera pas, avant qu’il ait réussi à faire remonter son visage des profondeurs de la mémoire. Ou plus justement du souvenir : c’est au fond, en dessous, dans le noir, on ne veut pas le savoir et puis ça remonte et, encore une fois, il faut avoir le courage de le laisser monter. Face à face. Mais avant tout, sa mère morte assassinée l’appelle sur son île de naissance: Haïti, quittée par ses parents quand il avait deux ans. Il fallait cette cassure tragique pour que les liens se renouent.

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Il dit : «vous» à sa mère et, à ce vous obstiné, nous ne pouvons échapper: il s’adresse aussi à nous qui partageons bon gré mal gré ce cheminement, cette histoire. Il nous les donne, que nous le voulions ou non. Cela ne va pas tout droit, il faut plonger encore et encore, aller y voir de plus près. L’acteur ne joue pas sur l’émotion qui vient du travail musical minutieux réalisé entre celui qui parle, et celui qui nous le donne à voir et à entendre, ou plus encore à écouter. Haïti, la «matrie»: l’assassinat de la mère est l’emblème de ce pays qui ne cesse de retomber dans la violence, se blesser, se détruire. Nous le savons? Et alors? Jean-René Lemoine nous le rappelle du fond de son histoire personnelle et familiale, avec force et lucidité : Haïti, dévorée par la barbarie, appartient encore au monde humain. À nous de le voir, le savoir et y penser.

Jean-René Lemoine avait mis en scène et joué lui-même Face à la Mère (voir Le Théâtre du Blog Il a eu besoin du regard de Guy Cassiers et celui-ci, de se faire le miroir de ce récit. Un miroir éclairant, éblouissant : oui, ami poète et acteur, tu vas encore plus loin que tu ne crois, ne t’arrête pas ! Précisons : nous disons poète : rarement un texte s’est approché d’une pareille vérité, et acteur dans son immobilité, dans sa discipline impeccable à suivre la musicalité et la scansion de chaque «mouvement», Jean-René Lemoine agit sur la sensibilité et l’intelligence du public.
Voilà : ce bras de fer avec la mère, il nous l’impose avec la force de l’élégance.  Une parole vraie, directe, contenue, sans ornements ni commentaires, la vérité qui mène au pardon réciproque, même si la mère n’est plus là pour le dire à haute voix. Mais on l’entend, et c’est la vraie beauté.

Christine Friedel

MC93, 9 boulevard Lénine, Bobigny (Seine-Saint-Denis), jusqu’au 17 octobre. T. : 01 41 60 72 72.

Les 25 et 26 octobre, D-CAF Festival, Le Caire (Egypte).

Les 6 et 7 novembre, Maison de la Culture d’Amiens (Somme); les 12 et 13 novembre, Le Volcan-Scène Nationale du Havre (Seine-Maritime) et le 18 novembre, festival NEXT au Phénix-Scène Nationale de Valenciennes (Hauts-de-France).

Les 5 et 6 février, Centre Dramatique National d’Orléans (Loiret).

Les 20 et 21 mars à l’Agora-Robert Desnos, Scène Nationale de l’Essonne,.

Du 16 au 18 avril à Bonlieu-Scène Nationale d’Annecy (Savoie).

Les 6 et 7 mai, Centre Dramatique National Drôme-Ardèche de Valence (Drôme).

 

Tiens ton cœur, texte et mise en scène de Kouam Tawa

Les Francophonies de Limoges/ Les Zébrures d’automne

Tiens ton cœur, texte et mise en scène de Kouam Tawa

 Une jeune femme, Marianne va devoir quitter une concession : c’est à dire, la propriété de sa belle-famille qui l’accuse d’avoir été responsable de la mort de son mari malade. Elle l’avait emmené à l’hôpital, et non chez un médecin traditionnel africain,comme le voulait ses beaux-parents. Et elle a été répudiée à l’issue d’une palabre, c’est à dire une sorte de réunion où elle n’a pas eu le droit d’assister.

 

© Kouam Tawa

© Kouam Tawa

Cela se passe dans une cour au sol couvert d’une poussière ocre;  une douzaine de grands et pagnes en coton rouge foncé à motifs géométriques  sèchent tout autour sur des fils. Au centre, Marianne interprétée par Ane Lorvo, excellente et radieuse,.
Elle dit la langue française avec une justesse et une diction impeccable et très vivante à la fois, que bien des actrices et acteurs sortis du Conservatoire National peuvent lui envier.

Une langue qui pénètre aussitôt le public souvent habitué à un dire approximatif et peu audible…

Cette jeune veuve revient dans son pays qu’elle avait quitté, pensait-elle, à jamais, et s’explique longuement sur la pénible histoire qui lui est arrivée. Elle dit aussi adieu à Sikali, son Ami, un personnage énigmatique qui pourrait avoir aussi été son mari et elle enfile une combinaison bleue de travail pour incarner celui parti au loin mais revenu au pays, parmi les siens.
Ana Lorvo est bien dirigée et mies en scène par l’auteur. Quand on a vécu en Afrique comme nous, cette cour est d’une vérité absolue. Kouam Tawa parle bien du quotidien au Cameroun, son pays celui des pauvres villages en brousse loin des grandes villes. Et il réussit à «donner à voir, à entendre, mais aussi à sentir, l’ambiance d’une palabre-qui est partout en Afrique-un vecteur essentiel du dialogue social, de sorte que les spectateurs arrivent à la vivre de l’intérieur, à se sentir parties prenantes, à devenir comme dirait Augusto Boal: des « spect-acteurs ». Je souhaite que cette palabre sur la scène puisse être entendue (…) par ceux qui n’ont pas l’habitude des spectacles de théâtre et ceux qui jamais n’ont pris part à une palabre… »

Ce un récit à la première personne est soutenu par la belle musique d’Abraham Neri Kwemy,  mais aussi une sorte de fable, pas si loin des contes de Charles Perrault, avec une jeune épouse trop vite devenue veuve et héroïne, malgré elle d’un drame familial. Aucun doute là-dessus, Ana Larvo est exceptionnelle de vérité, même si vers la fin, la fable a tendance à faire du sur-place. Il faudrait que ce spectacle soit repris et si vous le pouvez, allez-voir ce Tiens ton cœur , une étonnante prise de parole.

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 2 octobre à L’Espace Noriac, Limoges ( Haute-Vienne).

La Grande Ourse de Penda Diouf, mise en scène d’Anthony Thibault

Les Francophonies de Limoges

© Christophe Péan

© Christophe Péan

« Cette année, j’ai voulu montrer la vitalité de la création de la jeunesse africaine », dit son directeur, Hassane Kassi Kouyaté. Grande innovation pour un festival de théâtre important comme celui-ci, le libre prix : 5 , 10, 15 ou 20 €. C’est à choisir et du coup, le public sans doute élargi, va voir plusieurs spectacles… Les salles sont donc pleines. Bien entendu, prix bas ne veut pas dire moindre coût! Il y a un juste rapport financier à trouver.
Mais quelle belle idée dont pourrait s’inspirer Tiago Rodrigues pour le festival d’Avignon où nombre de lieux cette année n’étaient pas pleins et où le public était prié d’attendre parfois un quart d’heure pour que les guichets essayent de vendre les places encore libres! Ce qui anormal. Et à la Carrière Boulbon, haut lieu de cette manifestation, les places étaient à 40 € et la navette à 8 €…  Vous avez dit élitiste?
Les Francophonies sont un service public avec, chaque année, un essai de renouvellement des écritures théâtrales mais aussi chorégraphiques: il y a eu cet automne des spectacles de théâtre d’un bon niveau mais aussi de danse africaine à la fois contemporaine et de rue…

A un moment où le Premier Ministre cherche de l’argent partout, il ne faudrait pas que les Francophonies en payent le prix… Son directeur a déjà eu assez de mal avec ces histoires de visas qui ont empoisonné la vie des  troupes africaines et compliqué l’organisation de ce festival unique en France, à la fois par sa programmation, et son rayonnement. Grâce aussi à des bourses d’écriture, il peut aussi aider les autrices, ce qui n’est jamais un luxe. 

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La Grande Ourse de Penda Diouf, mise en scène d’Anthony Thibault

L’autrice a lu un article de journal sur la création d’une vidéosurveillance parlante à Londres: la municipalité avait demandé à des enfants de réprimander grâce à des haut-parleurs, les personnes  qui commettaient des incivilités dans la rue. Bizarre?
Penda Diouf a aussi lu un essai de Clarissa Pinkola-Estés: Les  Femmes qui courent avec les loups où elle parle de la femme sauvage ou bridée par l’éducation et la société. Elle revendique pour elles, le droit de se libérer des carcans.

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L’autrice  a écrit sous une forme théâtrale, une sorte de conte poétique, loin d’une intrigue au sens traditionnel. Cela se passe dans une famille  apparemment heureuse avec un père, une mère et leur fils qui s’assoient sur un banc, en revenant de l’école. Mais elle a laissé tomber un papier de bonbon sur le trottoir. Un acte gravissime…
Un  policier ou inspecteur de police (Hovnatan Avedikian très just) arrive donc à leur domicile et rappelle que le jet de déchets sur la voie publique est un délit répréhensible et tombe sur le coup de la loi….

Les choses vont commencer à sérieusement basculer: la mère accusera son fils d’avoir laissé tomber cet emballage de bonbon! Il répond que ce n’est pas lui mais il y a la preuve, des caméras de vidéo-surveillance…L’inspecteur de police va alors accabler cette femme exemplaire à plus d’un titre et il lui reproche de n’avoir pas rempli correctement sa mission de mère et d’épouse (un personnage remarquablement interprétée par Armelle Abibou). Il lui  dit aussi que l’emprisonner n’aurait aucune valeur et que seule, vaut l’humiliation. Ici, règnent la honte mais aussi la violence verbale…
Et Maïka Louakairim expédie des ragots, des on-dit, ceux qui font si mal à une personne absolument innocente. Nous repensons à ce brave homme qui, dans notre enfance en banlieue parisienne, avait été soupçonné  d’un double meurtre pendant une longue semaine: il portait un chapeau rond comme le criminel… Et même ses proches commençaient à douter…Mais toute femme peut renaître, comme la nymphe grecque Callisto qui avait été violée par Zeus!
Il y a, souvent à l’avant-scène, un griot âgé: l’ensemble du texte navigue entre Occident et Afrique. Ce spectacle est remarquablement mis en scène par Anthony Thibaut qui a su mettre en valeur la force poétique du texte et créer des images de toute beauté et qui dirige bien ses acteurs. La scénographie de Salma Bordes est tout aussi impeccable.
 Mais vers la fin, cette Grande Ourse  a tendance à patiner et à se perdre dans les labyrinthes où voudrait nous emmener Penda Diouf. Ce spectacle assez touffu, encore une fois loin d’une dramaturgie traditionnelle et proche d’une fable africaine, pourrait être élagué sans dommage: il y a des scènes trop courtes et inutiles mais il mérite largement d’être vu.

A suivre…

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 2 octobre à Maison des Arts et de la Danse à Limoges (Haute-Vienne) et créé le 28 septembre au Théâtre Jean Lurçat-Scène Nationale d’Aubusson (Creuse), dans le cadre des Zébrures d’automne des Francophonies-Des écritures à la scène. 

Théâtre Auditorium-Scène nationale de Poitiers (Vienne) avec Le Méta-Centre Dramatique National, le 26 novembre.
Scènes de Territoire de Bressuire (Deux-Sèvres), le 28 novembre.

Agora-Robert Desnos, Scène Nationale de l’Essonne, à Évry-Courcouronnes, en partenariat avec la Scène Nationale de Sénart, les 3 et 4 décembre.
MC 93, Bobigny (Seine-Saint-Denis),  du 7 au 17 décembre.

L’Avant-Scène, Cognac (Charente), le 10 avril.

Les 3T, Scène conventionnée de Châtellerault (Vienne), le 18 avril.

Le texte est publié aux éditions Quartett.

Les Liaisons dangereuses d’après Pierre Choderlos de Laclos, mise en scène d’Arnaud Denis

 Les Liaisons dangereuses, d’après Pierre Choderlos de Laclos, mise en scène d’Arnaud Denis

Arnaud Denis a réussi son coup, en adaptant et en élaguant avec finesse et honnêteté. Ici, tout est dit, et clairement dit. Ce qui est rare dans une adaptation de roman au théâtre… Celui-ci en 175 lettres, écrit à partir de 1779 et publié trois ans plus tard, il fut   oublié, puis redécouvert au début du XX ème siècle. Et  depuis, très souvent adapté au théâtre et repris par Heiner Muller dans Quartett, avec seulement la marquise de Merteuil et le vicomte de Valmont, nobles manipulateurs et pervers. Et de nombreuses fois au cinéma, surtout l’adaptation de  Stephen Fears (1988) avec Glenn Close et John Malkovich…
Les Liaisons dangereuses reste le chef-d’œuvre absolu du roman épistolaire: deux siècles et demi plus tard, l’intrigue comme les personnages, font merveille au théâtre ( enfin pas toujours et ce n’est pas si facile!) comme dans cette mise en scène d’Arnaud Denis il a respecté cette langue ciselée, étonnante de modernité…

 Rappelons l’intrigue extrêmement bien construite par ce romancier hors-pair. La marquise de Merteuil demande au vicomte de Valmont, son ami et ex-amant, de séduire la jeune Cécile de Volanges, une parente à elle, avant son mariage avec le comte de Gercourt. Son but: se venger de celui-ci. Valmont refuse: il veut séduire la présidente de Tourvel dont le mari est à Dijon…Donc à l’époque, assez loin… Elle réside au château de madame de Rosemonde, la tante (très âgée pour l’époque :quatre-vingt-quatre ans!) de Valmont qui l’aime beaucoup.
© Cédric Vasnier

© Cédric Vasnier

La Merteuil voit que le jeune Danceny  est amoureux de la jeune Cécile à qui il donne des cours de chant. Au château, Valmont va s’occuper de la belle Tourvel mais la mère de Cécile, sa grande amie, lui dit de se méfier de ce grand séducteur. La Merteuil dit à Valmont qu’il est amoureux de la Tourvel. Mais il veut qu’ils refassent l’amour… quand la Tourvel lui aura cédé. Elle est d’accord mais exigera des preuves écrites… Ce séducteur professionnel dit alors à la Tourvel qu’il a eu des torts… et pour se faire mieux voir, il sauve de la misère, une famille. Grosse ficelle mais la Tourvel tombe amoureuse. Valmont lui dit alors qu’il l’aime aussi… mais lui demande de quitter le château:il apprend que madame de Volanges l’a dénoncé à la Tourvel…


Il écrit une lettre d’amour à la Tourvel qui lui répondra, vite prise dans un engrenage! La Merteuil, elle, manipule Danceny dont elle reste l’amante et Cécile, tout en étant leur confidente. Mais elle avertit madame de Volanges que sa fille écrit des lettres à Danceny, et réciproquement. Elle pousse la mère de Cécile à l’éloigner chez madame de Rosemonde, pour aider Valmont à séduire  Cécile, revoir sa Tourvel et faire passer leurs lettres aux jeunes amoureux.

 Valmont, en chemin, réussit à passer la nuit avec une vicomtesse. Puis il va s’occuper à nouveau de la Tourvel et remet à Cécile les lettres de Danceny qui lui a naïvement dit de faire confiance à Valmont. Auquel La Merteuil déclare toute sa supériorité sur lui: « née pour venger mon sexe et maîtriser le vôtre. » Valmont demande à Cécile d’avoir une clef de sa chambre. Soi-disant pour lui remettre les lettres de Danceny et les faire se rencontrer. Cécile refuse d’abord puis obéit. Et, après un premier baiser arraché, il arrivera à ses fins.
Le lendemain, voyant sa fille malade, sa mère veut effacer la promesse de mariage avec Gercourt pour la laisser libre de choisir son mari. Cécile, elle, ferme la porte de sa chambre à son amant deux nuits. La Merteuil  lui conseille de garder Valmont comme amant et lui dit cyniquement que Danceny, une fois marié à elle, profitera de cette éducation sexuelle exemplaire…Cécile refera donc l’amour avec Valmont dans sa chambre à lui. La Merteuil et Valmont lui expliquent tout l’avantage de cette liaison… Et se réjouissent assez cyniquement de l’effet que cela produira, la nuit de noces, sur Gercourt.
 Valmont revoit la Tourvel qui lutte toujours contre ses sentiments et décide de quitter le château. Mais il la fera espionner et saura vite qu’elle est malade d’amour… La Merteuil veut le convaincre d’abandonner son projet de séduction et rentrer à Paris. Mais lui désire la Tourvel et fait croire à sa tante qu’il est aussi malade d’amour et va expier toutes ses fautes. En sachant qu’elle lui dira! Il lui dit vouloir se suicider, si elle n’accepte pas d’être à lui! Encore une grosse ficelle et elle cède enfin à Valmont qui avoue à la Merteuil son amour pour la Tourvel avec laquelle il continuera d’avoir une liaison.
 Il va rappeler à la Merteuil sa promesse: elle accepte malgré le manque de preuves écrites mais le fait patienter et lui demande alors avec perversité de rompre avec la Tourvel mais de continuer avec la jeune Cécile. Elle lui dit que cet amour lui ferait perdre sa réputation de grand séducteur. Mais il hésite à rompre avec la Tourvel… La Merteuil exige alors qu’il lui écrive alors une lettre de rupture, avec justifications blessantes, à chaque fois terminées par un: «Ce n’est pas ma faute.»
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La Tourvel s’effondre en la lisant et désemparée, ira se réfugier dans un couvent. Cécile rentre avec sa mère à Paris mais fait toujours secrètement l’amour avec Valmont. Un soir, elle fait une fausse couche. Lui veut séduire à nouveau la Tourvel mais la Merteuil lui dit qu’il en est toujours amoureux…
Cécile, elle, épousera Danceny. Quant à Valmont il exige toujours le cadeau de la Merteuil qui lui avoue qu’elle a tout essayé pour le faire rompre avec la Tourvel, physiquement et mentalement très malade. La Merteuil rentre à Paris et donne rendez-vous à Danceny pour éloigner Valmont qui veut qu’elle honore sa promesse, sinon, dit-il, ce sera une déclaration de guerre. Ce à quoi, elle répliquera: «Hé bien ! la guerre. » Il forcera Cécile à écrire une lettre à Danceny pour qu’ils se voient et donc blesser ainsi la Merteuil… Cela réussit et Valmont s’en vante auprès d’elle. Danceny, mis au courant de cette tromperie, le provoque en duel et le tue! Avant de mourir, Valmont remercie Danceny et lui donne sa correspondance avec la Merteuil.

La Tourvel, accablée par ces morts brutales, prie pour son amant mais s’éteint le soir même. Madame de Volanges remet à la tante de Valmont, les lettres écrites entre elle et la Tourvel, remises par Valmont. Et Danceny les fait lire au tout Paris qui découvre la Merteuil qui s’en ira de Paris pour échapper à la justice. Effrayée, madame de Rosemonde veut mettre fin à cette histoire et Danceny accepte de lui remettre sa correspondance avec Cécile: écœurée, elle se réfugiera aussi dans un couvent.
Epilogue rapide: Danceny renonce à elle et va rejoindre son ordre militaire à Malte. La Merteuil est huée par ses « amis » à Paris. Les pustules dues à la variole d’origine virale  l’ont défigurée et marquée à vie (le vaccin sera découvert quatorze ans après l’édition du fameux roman) et elle perdra sa fortune lors d’un procès et disparaîtra avec les bijoux que la Justice devait lui confisquer, sans doute aux Pays-Bas.

Cette sorte de feuilleton sulfureux dont nous avons tenu à rappeler l’essentiel (oui, c’est long mais pas quand c’est remarquablement mis en scène). Le texte a gardé tout son piquant et Arnaud Denis a su réaliser un travail d’une rare précision: il suit le roman non à la lettre mais du moins dans l’esprit avec la plupart des scènes rappelées plus haut. Delphine Depardieu (la Marquise), Valentin de Carbonnières (Valmont),  Salomé Villiers ( la Tourvel),  Marjorie Dubus (Cécile), Michèle André (la Tante Tous sont très bien et il y a une réelle unité de jeu.
Plus que rare dans le théâtre public comme privé: il réussit à créer une véritable émotion, entre autres quand Valmont réussit à séduire Cécile, cette Lolita avant la lettre qui a seulement quinze ans!  » Nous ne chercherons pas dit Arnaud Denis, à édulcorer la puissance du récit mais à le rendre palpable. »
Pari gagné et nous sommes pris à ce jeu trouble imaginé par ces aristocrates qui, dit le metteur en scène, s’aiment profondément (ce qui n’est pas si sûr) mais qui ne peuvent résister au plaisir de la séduction, surtout quand en plus cela peut
faire mal. Oui, il y aura des victimes mais cela dépend du jeu. Sexisme  mais aussi  impitoyable combat de la Merteuil pour être l’égale des hommes, séduction, consentement sexuel: où commencent les jeux de l’amour et/ou de la perversité? Le tout est dit dans une langue admirable qui a plus de deux siècles et qui donne à ces dialogues une force théâtrale. Côté bémols, nous n’avons pas été convaincus par ces toiles évoquant l’appartement de la Merteuil ou le château. Mais bon… i
Il faudrait aussi que Delphine Depardieu parle un ton au dessus, comme souvent Valentin de Carbonnières: dans le fond de la salle, on les entend mal. Mais sinon, cette heure quarante passe très (on a envie de dire: presque trop) vite… Allez-y, vous ne regretterez pas.

Philippe du Vignal

Comédie des Champs-Elysées, 15 avenue Montaigne, Paris ( VII ème).

 

p/\rc, un projet d’Éric Minh Cuong Castaing

 

p/\rc,  un projet d’Éric Minh Cuong Castaing

 Au square de la tour Saint-Jacques à Paris, on pouvait assister en ce samedi après-midi, à un étrange ballet. Des danseurs ont invité des enfants handicapés-moteurs à les rejoindre sur les pelouses.
Sortis de leurs fauteuils roulants, les petits corps aux membres souvent inertes, semblent découvrir le plaisir du mouvement dans les bras des danseurs. Pour eux, les artistes se font à la fois prothèses vivantes et sensibles, leur trouvant les appuis nécessaires à la marche mais ils les font aussi sauter, virevolter et éprouver de nouvelles sensations dans l’espace.

 

© Mireille Davidovici

© Mireille Davidovici

Mais ils cessent d’être passifs pour glisser quelques indications à leurs partenaires. Rayonnent alors sourires et rires sur les visages et sont alors lisibles ces ressentis partagés. Un sentiment de liberté. Une apologie de l’effort vital. Autour d’eux, d’étranges véhicules circulent dans les allées: les robots de télé-présence mobiles, longues tiges à roulettes surmontées d’un écran et pilotées à distance par d’autres enfants et visibles sur cet écran.
Ce sont des «beam»: des appareils ultra-connectés équipant les enfants et jeunes adultes atteints d’un handicap physique ou neuro-atypique, rendant leurs déplacements difficiles. En restant chez eux, ils sont quand même présents à l’école ou dans tout autre lieu.

Avec _p/\rc, l’espace public s’anime et les visiteurs assistent à cette performance hors-norme, une belle expérience de partage : corps virtuoses des danseurs et corps empêchés vivent ensemble une réappropriation des mouvements: les «valides» permettent aux autres de retrouver leurs gestes et les «non-valides» impulsent une dynamique à leurs prothèses vivantes. Avec ces interprètes, nous allons à la source du mouvement, ici décomposé et recomposé dans une dynamique commune.

Fondateur de la compagnie Shonen (:adolescent,  en japonais) Eric Minh Cuong Castaing poursuit depuis 2016, un travail auprès de personnes en situation de handicap, en collaboration avec Aloun Marchal et Marine Relinger.
Nous avions découvert Forme(s)de vie, au Carreau du Temple au festival Everybody 2023  où un ancien boxeur et une ancienne danseuse en perte de mobilité, utilisaient des danseurs comme des prothèses humaines pour prolonger les gestes de leur art. La compagnie prépare Vision qui, en 2026 avec des interprètes mal, ou non voyants.

La partition chorégraphique de _ p/\rc___ s’adapte à différents espaces et chaque création demande en amont plusieurs semaines d’atelier pour que les enfants rencontrent la danse, en présence ou non, de soignants ou parents. « A quels désempêchements, notre parc peut-il aboutir?», s’interroge Eric Minh Cuong Castaing. Pour lui : il s’agit de «danser avec, sans prothèses ni fauteuils venant normaliser les corps.»

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 29 septembre  au square de la Tour Saint-Jacques, rue de Rivoli, Paris (Ier) dans le cadre du festival La Place, organisé place du Châtelet par le Théâtre de la Ville et le Théâtre du Châtelet.
Tous les week-ends jusqu’au 15 octobre.

Les 24 et 25 janvier, Lieu Unique, Nantes ( Loire-Atlantiques). https://www. lelieuunique.com/evenement/eric-minh- cuong-castaing-parc

Les 31 janvier et 1er février,  Théâtre National de Bretagne, Rennes (Ile-et Vilaine) . https://www.t-n-b.fr/parc

Le 5 juillet, Opéra de Massy (Essonne), en partenariat avec la Scène Nationale de l’Essonne.

 

Sorcières,(titre provisoire) de Penda Diouf, mise en scène de Lucie Berelowitsch

Sorcières,(titre provisoire) de Penda Diouf, mise en scène de Lucie Berelowitsch

Lucie Berelowitsch, directrice du Préau-Centre Dramatique National de Normandie-Vire, a souhaité à son arrivée en 2019, travailler en lien avec la réalité des terroirs environnants.  Sorcières prend sa source dans une envie d’y explorer les phénomènes paranormaux et pratiques occultes, à la suite de l’ethnologue tunisienne Jeanne Favret-Saada. Dans les années soixante-dix, celle-ci avait mené une enquête remarquable et remarquée sur la sorcellerie paysanne dans le bocage mayennais et publie La Sorcellerie dans le bocage,  dans Les Mots, la mort, les sorts et Corps pour Corps, coécrit avec Josée Contreras.
À son tour, Penda Diouf a battu la campagne autour de Vire, à la recherche de pratiques et pensées magiques et e a construit cette pièce à partir de la démarche de Jeanne Favret-Saada et de témoignages recueillis. Grâce à de petites annonces, ouïe-dire, bouche à oreille, l’autrice a pu rencontrer des hommes et femmes rebouteux, coupeurs de feu, exorcistes mais aussi des personnes se disant envoutées.
Elle a aussi écouté des histoires et légendes transmises d’une génération à l’autre. Cette riche matière lui a permis d’alimenter Sorcières,(titre provisoire). Dans son texte-son titre est un clin d’œil à Sorcières, le livre-culte de Mona Chollet-ellene se réclame pas ouvertement du mouvement féministe des « witches ». Elle convoque des figures de sorcières mais il y a aussi d’autres personnages féminins.

© Simon Gosselin

© Simon Gosselin

Sonia vient de s’installer à la campagne dans la maison d’une grand-tante. Une nuit d’orage, une femme étrange s’invite, suite à une mystérieuse panne de voiture… Après cette visite insolite, Sonia entend des voix et bruits inquiétants. Les voisins racontent que la maison est hantée. Avec l’aide de son amie Jeanne, Sonia va remonter à la source de ces rumeurs. Tout commence donc par une situation banale mais des phénomènes anormaux dans et autour de la maison, exercent une emprise sur Sonia, jusqu’à l’envahir, voire la posséder.

Jeanne essaye d’exorciser les fantasmes de son amie et de comprendre son comportement incongru. Mais elle sera, elle aussi, happée par l’histoire de cette énigmatique aïeule, objet de toutes les rumeurs du voisinage et victime d’un procès en sorcellerie. La scénographie de François Fauvel et Valentine Lê contribue à créer une atmosphère d’étrangeté, avec l’ouverture progressive des entrailles de la maison au décor un peu vieillot, sur un paysage fantasmagorique.
Sonia Bonny fait de Sonia, un personnage impressionnable, un peu médium et Clara Lama-Schmit incarne une enquêtrice rationnelle à l’image de Jeanne Favret-Saada et de l’autrice elle-même. Natalka Halanevych donne à ses différents rôles une touche d’inquiétante étrangeté propre à son groupe Les Dakh Daughters, installé à Vire en 2.022, après l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Sous la houlette de Lucie Berelowitsch, ces actrices créent un univers insolite, proche du cinéma de genre, mais sans emphase, ni pléthore d’effets spéciaux. La mise en scène, sobre et précise, accompagnée par une équipe artistique en phase avec le projet, donne du relief à l’écriture de Panda Diouf qui ne nous a pas entièrement convaincue, surtout dans la dernière partie. Mais, en ce soir de première, le public a été gagné par le jeu des comédiennes et l’atmosphère du théâtre où sont exposés des objets de sorcellerie et une grande tapisserie sur ce thème réalisée par les habitants des environs.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le  1er octobre, au Préau-Centre Dramatique National de Normandie-Vire, 1 place Castel, Vire (Calvados). T. : 02 31 66 16 00.

Le 18 octobre, Théâtre des Halles, Tessy-Bocage (Manche).

Le 14 novembre,Théâtre municipal de Domfront en Poiraie (Orne)  et le 28 novembre, La Halle ô Grains, Bayeux (Calvados).

Les 21 et 22 janvier, Théâtre du Point du jour, Lyon (Vème) ; le 28 janvier, Par le Bocage, Barenton (Manche).

Le 4 février, Théâtre de l’Arsenal, Val-de-Reuil (Eure).

Les 27 et 28 février, Les Franciscaines, Deauville (Calvados).

 

 

 

Le théâtre de L’Escapade à Hénin-Beaumont en danger

Le Théâtre de L’Escapade à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) en danger

Le 25 septembre, une centaine d’intermittents: acteurs, metteurs en scène et techniciens du collectif « L’Intruse   sont arrivés sur le plateau lors de la présentation de la saison 2024-2025, avec une banderole: « Théâtre en danger ». En cause : l’attitude menaçante de la municipalité Rassemblement national et de son maire, Steeve Briois envers ce foyer culturel très actif depuis cinquante ans. Il sont inquiets quant à l’avenir de ce lieu: la municipalité actuelle souhaiterait contrôler la programmation de la salle!

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Une convention a été depuis peu  signée entre le président de l’association qui gère le théâtre et la mairie. Pour Anne Conti, porte-parole des intermittents, « cette convention permet à la mairie de programmer ses événements à elle et déprogrammer les spectacles du Théâtre de l’Escapade, jusqu’à quinze jours avant la date de la représentation. Vous imaginez, apprendre que le vôtre est ainsi déprogrammé ? » La municipalité, elle, dénonce des accusations  qui seraient, dit-elle, « purement politiques ».

A Hénin-Beaumont (26.000 habitants), fief de Marine Le Pen, les terrils témoignent d’un passé industriel. Dans une commune proche, eut lieu une grève patriotique de cent mille mineurs en mai-juin 1941: un des premiers acte de résistance collective mais cent trente mineurs avaient été fusillés!
Le théâtre de L’Escapade depuis une demi-siècle rayonne dans cette  ville et autour: concerts, théâtre, ateliers de danse, de guitare, expositions, résidence de compagnies. Les choses se compliquent: en effet, les intermittents demandent notamment que Jean-Yves Coffre, le directeur de ce théâtre, actuellement en arrêt maladie, « puisse revenir et exercer ses fonctions sereinement. » La municipalité d’Hénin-Beaumont, elle, a porté plainte contre lui, pour des faits présumés de harcèlement envers des agents municipaux travaillant au théâtre.

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Christopher Szczurek, chef de la majorité R.N. au conseil municipal et par ailleurs sénateur du Pas-de-Calais,  s’est, lui, défendu de toute pression et dit que la subvention d’environ 300.000 euros versée au théâtre a toujours été reconduite depuis 2014… Oui, mais voilà, nous sommes en 2024 et le paysage politique français a bien changé, surtout depuis la récente dissolution de l’Assemblée Nationale. et du gouvernement…Et la nomination de Michel Barnier, il y a juste un mois.
Marine Tondelier, secrétaire nationale d’Europe-Écologie-Les-Verts et conseillère municipale à Hénin-Beaumont, née en 1986 dans le Pas-de-Calais et a grandi dans cette ville où sa mère est dentiste et son père, médecin, a apporté son soutien aux équipes de l’Escapade. Elle est en conflit ouvert depuis longtemps avec Steeve Briois: « J’arrête de lire les titres de La Voix du Nord Hénin Beaumont, lui avait-il dit.  Marine Tondelier avait répliqué avec  ironie :  »Tant que vous continuez à lire les articles, tout va bien! »

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©x Marine Tondelier

En France, ce genre d’affaires n’est pas nouvelle… Et cela peut aller de la simple et fréquente escarmouche avec les élus locaux. Ceux du Doubs n’avaient guère apprécié qu’Hervée de Lafond à Montbéliard, co-directrice avec Jacques Livchine, du Théâtre de l’Unité, en charge de l’organisation de Montbéliard-Capitale de la Culture, se permette de tutoyer Gabriel Attal au motif qu’elle pourrait être sa mère et que Jacques Livchine, en rajoute une couche et lui disant que son frère à lui, était l’employeur de Madame Attal sa maman. Cela reste anodin et vite oublié mais il y a eu plus grave quand certains maires essayaient  carrément d’influencer un jury chargé de recruter un enseignant pour une école d’art. Ou quand un directeur de théâtre voit sa programmation sévèrement critiquée parce que jugée trop élitiste et éloignée du patrimoine… même si les salles sont pleines. L’affaire d’Hénin-Beaumont est à suivre sérieusement : cela pourrait donner des idées aux autres municipalités à majorité R.N…

Bernard Rémy et Philippe du Vignal


Entretien avec Maxime Séchaud, acteur, secrétaire général-adjoint  de la C.G.T. Spectacle

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 -Pourquoi la C.G.T. Spectacle a-t-elle lancé un appel à la grève illimité le 3 octobre?

-Le maire R.N. veut s’approprier L’Escapade. Ce centre culturel extraordinaire rayonne sur la ville et la région, mais pourquoi maintenant,  après des années de rapports normaux avec la mairie ? Depuis les élections législatives, le rapport de forces a changé et  le R.N  est  passé à l’offensive avec un net sentiment de supériorité. Onze millions d’électeurs ont voté pour les candidats de ce parti ! Et cela a libéré des pulsions destructrices…

La municipalité d’Hénin-Beaumont pensait que tout se passerait en catimini. Mais la résistance de  la communauté du Théâtre: acteurs, techniciens, régisseur, administrateur, l’a surprise. Ce n’est pas de gaieté de cœur que les comédiens se mettent en grève. Jouer est leur passion mais ici, l’existence même de leur raison d’être là est remise en question!
La grève pour jouer en toute liberté, la grève pour le public, la grève pour assurer le service public… Je le répète, l’attitude de la municipalité devient un obstacle à l’exercice du service public. Qui soutient le droit à la Culture dans une petite ville de France ? L’Escapade…

-Le Maire veut-il essayer de paralyser les choses?

-Sans doute mais il est paralysé lui-même  et dans ses expressions, il ne parle jamais des travailleurs, de la communauté de production…mais des Partis. C’est de la vieille politique, une suite de calculs lassants! Jean-Luc Dubroeucq, président de l’association qui gère le théâtre, est notoirement proche du R.N.
Sous la pression du R.N., les démissions se sont  succédé, le directeur artistique Jean-Yves Coffre est en arrêt maladie et le sous-effectif s’installe. Et quand on retire les moyens de l’efficacité, on peut donc vous accuser d’inefficacité! Oui, mais voilà, la communauté de travail résiste et surtout s’exprime, en rendant publique cette atteinte au service public.
L’arbitraire cherche souvent une apparence de légalité quand  il  essaye de battre en brèche le droit. Une nouvelle convention, voilà le costume de l’arbitraire…. Le Théâtre  de l’Ecapade conteste la signature d’une nouvelle convention entre le président de l’association qui gère le Théâtre, et la municipalité, cela sans accord du conseil d’administration ni de son directeur. Cette convention prévoit,  entre autres,  que la municipalité puisse reprendre la gestion du lieu,  avec préavis de soixante jours. Bref, le type d’organisation du R.N. et la limitation de la pensée, par ailleurs, nécessaire au culte du chef, est incompatible avec  l’exercice de le libre pensée,  nécessaire à la vie quotidienne d’un Théâtre.

Propos recueillis par Bernard Rémy, Saint-Maurice, le 4 octobre.

L’Homme qui rit, de Victor Hugo, adaptation et interprétation de Geneviève de Kermabon

©Alejandro Guerrero

©Alejandro Guerrero

L’Homme qui rit de Victor Hugo, adaptation et interprétation de Geneviève de Kermabon

 Ce n’est pas un roman-fleuve, c’est la mer, c’est un monde et le gouffre le plus mystérieux, le plus profond, le plus terrible adjectif hugolien-c’est l’humanité, avec tout ce qu’elle porte d’inhumain. C’est un conte : il était une fois un enfant abandonné, vendu, acheté par les « comprachicos » et mutilé pour faire de lui un monstre de foire. Quelque chose comme le clown de cinéma ou des séries qui fait si peur aujourd’hui. Mais pour faire rire : un nez écrasé, une bouche sculptée en un sourire géant et perpétuel, « masca ridens » jusqu’aux oreilles. Cet enfant, abandonné à dix ans par ses tortionnaires, seul, dans un monde glacé : « la plaine était couverte de neige », rencontre plus abandonné que lui : un bébé, une petite fille trouvée dans les bras de sa mère morte de froid. Elle va grandir, très belle, très délicate mais aveugle, sous la protection d‘Ursus, leur père de tréteaux et d’Homo, le loup, comme son nom l’indique. Ils seront l’un pour l’autre l’amour-même et leur tournée de saltimbanques triomphe devant le peuple. Un jour, un document trouvé dans une bouteille venue de la mer (Victor Hugo en parle au début, mais nous l’avions oublié) révèle que Gwynplaine, l’homme qui rit, est l’héritier d’un des plus grands lords d’Angleterre. Fin du conte et retour fracassant à la réalité sociale : le jeune lord restera dans sa chair l’homme qui fait rire et ses pairs ne l’écouteront pas. Il ne sera pas le grand réformateur, le sauveur des pauvres. Entre temps, Victor Hugo place de longues et très intéressantes pages encyclopédiques sur les quartiers de Londres au XVII ème siècle ou le fonctionnement de la noblesse britannique, toujours dans le sens de la vérité et de la justice : montrer la condition des misérables, premier geste d’indignation qu’on puisse faire en leur faveur.

D’un roman de trois cent pages, Geneviève de Kermabon n’a gardé qu’un dixième, mais sans trahir l’ampleur ni la générosité de Victor Hugo. Son coupé-cousu serré laisse la place aux élans puissants du poète et à ses combats pour la liberté et la justice. Indignation : comment pouvons-nous être si aveugles à la misère ? La vraie aveugle n’est pas la belle Dea, mais vous, moi, tous, et particulièrement les riches : «C’est l’enfer des pauvres qui fait le paradis des riches.» Le poète n’a pas besoin de grands mots et trouve son éloquence-que certains appellent grandiloquence-dans les entrechocs et les antithèses, ne se privant jamais de la simplicité dans toute sa grandeur..

Geneviève de Kermabon a été acrobate et trapéziste. Elle a été invitée en 88 par le festival d’Avignon à mettre en scène en scène avec des artistes handicapés Freaks ou La Monstrueuse parade, d’après le film de Tod Browning (1932). Elle a sans doute trouvé dans L’Homme qui rit un écho, une fraternité mais n’a pas conçu son spectacle comme un retour à la parade ou au cirque. Elle se fait modestement conteuse, et semble se laisser prendre à son récit ou plutôt à celui de Hugo:elle endosse parfois, avec puissance, tel ou tel personnage. Dans la petite salle du théâtre de Poche, tout près du public, presque en confidence, elle nous fait vivre cette histoire énorme. « Je suis un monstre ? Non, je suis le peuple. Je suis l’Homme Qui Rit. Qui rit de quoi ? De vous. De lui. De tout : je pleure ». Ou encore – ce sont les citations choisies par l’artiste et terriblement pertinentes - : « On a déformé le droit, la justice, la vérité, l’intelligence comme moi les yeux, les narines et les oreilles : comme à moi, on lui a mis au cœur un cloaque de colère et de douleur, et sur la face un masque de contentement ». Pas besoin de commentaires : Hugo donne en quelques mots, dans un grand roman, son  credo humaniste. Et joue son rôle de « lanceur d’alerte » sur les injustices et les inégalités. Cela devrait nous dire quelque chose, aujourd’hui. Et la comédienne et metteuse en scène, dans sa petite grotte théâtrale, avec sa toute petite scène… dont elle n’a pas besoin, nous le transmet en toute simplicité et sincérité. Et nous emmène avec elle.

Christine Friedel

Jusqu’au 4 novembre,Théâtre de Poche, 75 boulevard du Montparnasse, Paris (VI ème) T. : 01 45 44 50 21.

 

 

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