Luis de Matos
À neuf ans, il a intégré un groupe de théâtre dans le petit village portugais où il vivait avec ses parents. L’un des jeunes adultes encadrant ce groupe, Séraphin Alfonso, était guitariste, pianiste, danseur et surtout magicien. Aux yeux de l’enfant qu’était Luis de Matos, il avait des super-pouvoirs et réalisait des tours avec cordes, balles, cartes… Il a commencé à lui apprendre quelques tours et lui a prêté des livres. Le petit Luis a découvert la magie comme passe-temps et ensuite cette passion a envahi sa vie.
« L’apprentissage est pour moi un voyage sans fin. Chaque jour m’offre de nouvelles connaissances. Aujourd’hui, j’ai l’impression d’en savoir un peu plus qu’hier, mais je suis convaincu que, demain, je prendrai conscience de tout ce qui me reste encore à découvrir. Les événements qui m’ont freiné, sont aussi ceux qui m’ont propulsé. A douze ans et pendant longtemps, j’ai écrit plusieurs lettres aux directeurs de la télévision portugaise de l’époque, expliquant que j’étais la personne idéale pour créer une série télévisée sur la magie! Mes lettres sont restées sans réponse et cela m’a d’abord freiné m’mais aussi beaucoup aidé : je n’étais pas prêt à ce moment-là et si j’avais reçu une réponse favorable, j’aurais sans doute échoué.
Finalement à dix-huit ans, j’ai commencé à faire des apparitions régulières à la télévision,où je présentais des tours chaque semaine. Mais je continuais à nourrir le rêve de créer une série télévisée. En 89, à dix-neuf ans, je me suis enfin lancé dans ma première série. Une petite de vingt-cinq minutes prévue pour dix semaines. Mais avant la fin, on m’a demandé de préparer une suite pour dix semaines…Au total, quarante épisodes de vingt-cinq minutes, avec toujours deux invités par programme, des magiciens que j’avais persuadé de venir. Cette expérience m’a fait grandir professionnellement et j’ai vu que parfois, les obstacles peuvent se transformer en opportunités de succès.
Ma curiosité insatiable me pousse à explorer toujours de nouveaux horizons. C’est passionnant d’apprendre sur des thèmes qui ne sont pas liés à mes connaissances initiales. Ainsi, j’ai en acquis de variées, sur de nombreux sujets et cela me correspond parfaitement. « Ce n’est pas la plus forte des espèces qui survit, dit Darwin, ni la plus intelligente, mais celle qui s’adapte le mieux au changement. »
Un spécialiste peut rencontrer plus de difficultés à s’adapter. Pour moi, la diversité des connaissances est un atout précieux et en magie j’aime m’exprimer à travers le close-up, les grandes illusions et les tours interactifs. En musique ou en parlant, chaque prestation est pour moi un nouveau défi. C’est stimulant et cela m’incite à m’adapter, à toujours innover et enrichir ainsi mon répertoire. »
© Ana Dias
Luis de Matos a créé des spectacles originaux comme Utopia, Enigma, Chaos, Conectados et plus récemment Impossible sur scène qui va se jouer aux Folies Bergère à Paris en automne. Fort de son expérience dans les séries télévisées, il a vu qu’ il était crucial d’améliorer la perception que le public a de la magie, avec des spectacles d’exception. Dès sa première série télévisée, il a choisi de ne pas s’aventurer seul, pour que le public découvre un art de haute qualité et a un respect pour cet art. Il choisit des magiciens qu’il aime moins personnellement mais étant convaincu qu’ils sauront impressionner. Objectif : créer une synergie avec les artistes et cela l’a guidé pour produire des émissions de télévision, des festivals de magie ou des spectacles comme Impossible sur scène. «Il y a quelques années, j’ai fondé l’Estúdio 33, un espace où on peut répéter dans des conditions similaires à celles d’un théâtre traditionnel. La scène est la même que celle du Théâtre National de Porto, avec une ouverture de douze mètres et une hauteurs équivalente.
Je ne suis pas très nationaliste, donc je ne me préoccupe pas de l’origine de la magie, qu’elle vienne du Portugal, d’Afrique ou d’Australie. Compte seulement l’humanité et je ne cherche pas à créer quelque chose portant la marque: Portugal, parce que je suis portugais. Je crois qu’en adoptant une perspective globale, on peut être plus exigeant.
Il serait facile de produire la meilleure émission de télévision chz nous mais c’est bien plus complexe de créer un programme qui captive des publics au Japon ou aux États-Unis. J’ai voulu réaliser une chose qui ait une valeur universelle et reste excellente là où elle est diffusée au Portugal, en Allemagne, etc. Cela me motive. Depuis 98, le festival Encontros Mágicos à Coimbra, est surtout destiné au grand public, mais des magiciens y assistent. L’objectif : présenter ce que notre art a de mieux à offrir aujourd’hui avec magiciens de rue, conférences publiques, galas internationaux et close-up.
En 2006, nous avons eu l’occasion d’organiser un événement similaire: Lisboa Mágica- Street magic world festival. Mais je ne voulais pas reproduire celui de Coimbra: cela risquait de le cannibaliser, vu la proximité. Pendant six jours, il y a uniquement de la magie de rue avec cent-soixante-quinze spectacles dans quatorze lieux à Lisbonne. Cela permet une interaction avec le public au cœur de la ville et de s’adresser à toutes les catégories sociales, pas seulement à ceux qui vont au théâtre ou qui vivent dans la capitale et aussi aux touristes .
Les associations-il en existe deux chez nous: l’une à Porto et l’autre à Lisbonne. et elles ont un rôle essentiel: les passionnés se rencontrent et on peut orienter les magiciens dans leur parcours. Les festivals que nous organisons et les émissions de télévision que nous produisons, contribuent à développer un vrai respect et, dans certains cas, un véritable engouement pour notre art.
Du créneau du mercredi matin quand j’avais dix-neuf ans, je suis passé au samedi matin, puis au samedi soir, et notre émission est enfin devenue un programme en « prime time». Cela permet de toucher un public beaucoup plus large. »
Luis de Matos a créé à Ansião, l’Estudio 33. Il regroupe un théâtre, un plateau de tournage, des salles pour conférences et ateliers, un centre de documentation et un musée. Depuis 95, il a eu la chance de travailler avec une équipe de neuf personnes. Certains sont là depuis le début, les autres l’ont rejoint au fil des années.
Quand il a créé Luis De Matos Produções, il y avait, distincts, le bureau, l’atelier et le studio. Mais il lui était impossible d’être présent sur ces trois sites et son rêve était de construire un endroit où ils pourraient être tous être réunis. Ainsi est né Estúdio 33. « Je l’ai imaginé et dessiné en 2002, nous avons commencé sa construction l’année suivante. Puis nous nous y sommes installés six ans plus tard et l’ensemble a été achevé en 2010. Nous y réalisons quotidiennement nos émissions de télévision en direct, la création de tours et y faisons toutes les tâches administratives. Au cœur d’Estúdio33, il y a aussi ma bibliothèque avec quelque cinq mille ouvrages, du XVI ème siècle à nos jours.
Ma passion pour les livres me pousse à rechercher de nouveaux trésors littéraires à chaque voyage dans une ville voisine ou un pays lointain. Cet espace est avant tout un lieu de travail mais j’ouvre volontiers ses portes à ceux qui le souhaitent, magiciens ou passionnés.
L’excellence me touche profondément. Je peux être submergé par une émotion intense en voyant un athlète finir un marathon aux Jeux Olympiques… J’ai eu la chance de connaître des artistes remarquables qui ne sont plus parmi nous aujourd’hui. C’est incroyable: même après leur départ, leur influence continue à se faire sentir dans ma vie. Bien entendu, il y a aussi des artistes contemporains qui m’inspirent beaucoup mais j’aimerais rendre hommage à cinq disparus: Tommy Wonder, Paul Daniels, Gary Ouellet, Topper Martin et Max Maven. Chacun m’a profondément influencé. Ils avaient en commun une grande valorisation de l’excellence et du travail acharné et m’ont énormément appris. »
Pour Luis de Matos, tous les styles ont leur beauté et leur valeur, quand ils réussissent à capter l’attention et qu’ils offrent une expérience authentique. Selon lui, chaque performance classique ou moderne, minimaliste ou spectaculaire, peut toucher le public de façon unique et créer un moment mémorable. Comme Paul Daniels qui a eu une influence majeure sur lui et cela se ressent profondément dans sa manière d’être et de travailler.
De 2013 à 2022, il a voyagé avec The Illusionists 2.0 en Australie, Mexique, Nouvelle-Zélande, Émirats arabes unis, Turquie, Chine, Russie, Thaïlande… Pour lui, « La magie est accueillie selon leur culture. Je crois que le dénominateur commun à tous est notre condition humaine. Chacun sait, au fond, ce qui est possible et ce qui ne l’est pas, et notre réaction face au merveilleux, à l’inexplicable, au poétique et émotionnel, est viscérale. Et il n’ a pas de grandes différences entre les publics. »
La passion de Luis de Matos? Il aime découvrir de nouvelles choses-peu importe le domaine-et augmenter sa capacité à apprendre. Explorer, écouter, essayer et s’engager dans des processus, même si le succès n’est pas toujours au rendez-vous, fait partie intégrante de son parcours. Cela, dit-il, l’enrichit chaque jour.
Sébastien Bazou
Interview réalisée le 25 septembre à Dijon (Côte-d’Or).