p/\rc, un projet d’Éric Minh Cuong Castaing

 

p/\rc,  un projet d’Éric Minh Cuong Castaing

 Au square de la tour Saint-Jacques à Paris, on pouvait assister en ce samedi après-midi, à un étrange ballet. Des danseurs ont invité des enfants handicapés-moteurs à les rejoindre sur les pelouses.
Sortis de leurs fauteuils roulants, les petits corps aux membres souvent inertes, semblent découvrir le plaisir du mouvement dans les bras des danseurs. Pour eux, les artistes se font à la fois prothèses vivantes et sensibles, leur trouvant les appuis nécessaires à la marche mais ils les font aussi sauter, virevolter et éprouver de nouvelles sensations dans l’espace.

 

© Mireille Davidovici

© Mireille Davidovici

Mais ils cessent d’être passifs pour glisser quelques indications à leurs partenaires. Rayonnent alors sourires et rires sur les visages et sont alors lisibles ces ressentis partagés. Un sentiment de liberté. Une apologie de l’effort vital. Autour d’eux, d’étranges véhicules circulent dans les allées: les robots de télé-présence mobiles, longues tiges à roulettes surmontées d’un écran et pilotées à distance par d’autres enfants et visibles sur cet écran.
Ce sont des «beam»: des appareils ultra-connectés équipant les enfants et jeunes adultes atteints d’un handicap physique ou neuro-atypique, rendant leurs déplacements difficiles. En restant chez eux, ils sont quand même présents à l’école ou dans tout autre lieu.

Avec _p/\rc, l’espace public s’anime et les visiteurs assistent à cette performance hors-norme, une belle expérience de partage : corps virtuoses des danseurs et corps empêchés vivent ensemble une réappropriation des mouvements: les «valides» permettent aux autres de retrouver leurs gestes et les «non-valides» impulsent une dynamique à leurs prothèses vivantes. Avec ces interprètes, nous allons à la source du mouvement, ici décomposé et recomposé dans une dynamique commune.

Fondateur de la compagnie Shonen (:adolescent,  en japonais) Eric Minh Cuong Castaing poursuit depuis 2016, un travail auprès de personnes en situation de handicap, en collaboration avec Aloun Marchal et Marine Relinger.
Nous avions découvert Forme(s)de vie, au Carreau du Temple au festival Everybody 2023  où un ancien boxeur et une ancienne danseuse en perte de mobilité, utilisaient des danseurs comme des prothèses humaines pour prolonger les gestes de leur art. La compagnie prépare Vision qui, en 2026 avec des interprètes mal, ou non voyants.

La partition chorégraphique de _ p/\rc___ s’adapte à différents espaces et chaque création demande en amont plusieurs semaines d’atelier pour que les enfants rencontrent la danse, en présence ou non, de soignants ou parents. « A quels désempêchements, notre parc peut-il aboutir?», s’interroge Eric Minh Cuong Castaing. Pour lui : il s’agit de «danser avec, sans prothèses ni fauteuils venant normaliser les corps.»

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 29 septembre  au square de la Tour Saint-Jacques, rue de Rivoli, Paris (Ier) dans le cadre du festival La Place, organisé place du Châtelet par le Théâtre de la Ville et le Théâtre du Châtelet.
Tous les week-ends jusqu’au 15 octobre.

Les 24 et 25 janvier, Lieu Unique, Nantes ( Loire-Atlantiques). https://www. lelieuunique.com/evenement/eric-minh- cuong-castaing-parc

Les 31 janvier et 1er février,  Théâtre National de Bretagne, Rennes (Ile-et Vilaine) . https://www.t-n-b.fr/parc

Le 5 juillet, Opéra de Massy (Essonne), en partenariat avec la Scène Nationale de l’Essonne.

 


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Le théâtre de L’Escapade à Hénin-Beaumont en danger

Le Théâtre de L’Escapade à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) en danger

Le 25 septembre, une centaine d’intermittents: acteurs, metteurs en scène et techniciens du collectif « L’Intruse   sont arrivés sur le plateau lors de la présentation de la saison 2024-2025, avec une banderole: « Théâtre en danger ». En cause : l’attitude menaçante de la municipalité Rassemblement national et de son maire, Steeve Briois envers ce foyer culturel très actif depuis cinquante ans. Il sont inquiets quant à l’avenir de ce lieu: la municipalité actuelle souhaiterait contrôler la programmation de la salle!

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Une convention a été depuis peu  signée entre le président de l’association qui gère le théâtre et la mairie. Pour Anne Conti, porte-parole des intermittents, « cette convention permet à la mairie de programmer ses événements à elle et déprogrammer les spectacles du Théâtre de l’Escapade, jusqu’à quinze jours avant la date de la représentation. Vous imaginez, apprendre que le vôtre est ainsi déprogrammé ? » La municipalité, elle, dénonce des accusations  qui seraient »purement politiques ».

A Hénin-Beaumont (26.000 habitants), fief de Marine Le Pen, les terrils témoignent d’un passé industriel. Dans une commune proche, eut lieu une grève patriotique de cent mille mineurs en mai-juin 1941: un des premiers acte de résistance collective mais cent trente mineurs avaient été fusillés!
Le théâtre de L’Escapade depuis une demi-siècle rayonne dans cette  ville et autour: concerts, théâtre, ateliers de danse, de guitare, expositions, résidence de compagnies. Les choses se compliquent: en effet, les intermittents demandent notamment que Jean-Yves Coffre, le directeur de ce théâtre, actuellement en arrêt maladie « puisse revenir et exercer ses fonctions sereinement. » La municipalité d’Hénin-Beaumont, elle, a porté plainte contre lui pour des faits présumés de harcèlement envers des agents municipaux travaillant au théâtre.

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Christopher Szczurek, chef de la majorité R.N. au conseil municipal et par ailleurs sénateur du Pas-de-Calais,  s’est, lui, défendu de toute pression et dit que la subvention d’environ 300.000 euros versée au théâtre a toujours été reconduite depuis 2014… Oui, mais voilà, nous sommes en 2024 et le paysage politique français a bien changé, surtout depuis la récente dissolution de l’Assemblée Nationale. et du gouvernement…Et la nomination de Michel Barnier, il y a juste un mois.
Marine Tondelier, secrétaire nationale d’Europe-Écologie-Les-Verts et conseillère municipale à Hénin-Beaumont, née en 1986 dans le Pas-de-Calais et a grandi dans cette ville où sa mère est dentiste et son père, médecin, a apporté son soutien aux équipes de l’Escapade. Elle est en conflit ouvert depuis longtemps avec Steeve Briois: « J’arrête de lire les titres de La Voix du Nord Hénin Beaumont, lui avait-il dit.  Marine Tondelier avait répliqué avec  ironie :  »Tant que vous continuez à lire les articles, tout va bien! »

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©x Marine Tondelier

En France, ce genre d’affaires n’est pas nouvelle… Et cela peut aller de la simple et fréquente escarmouche avec les élus locaux. Ceux du Doubs n’avaient guère apprécié qu’Hervée de Lafond à Montbéliard, co-directrice avec Jacques Livchine, du Théâtre de l’Unité en charge de l’organisation de Montbéliard-Capitale de la Culture, se permette de tutoyer Gabriel Attal au motif qu’elle pourrait être sa mère et que Jacques Livchine, en rajoute une couche et lui disant que son frère à lui, était l’employeur de Madame Attal sa maman. Cela reste anodin et vite oublié mais il y a eu plus grave quand certains maires essayaient  carrément d’influencer un jury chargé de recruter un enseignant pour une école d’art. Ou quand un directeur de théâtre voit sa programmation sévèrement critiquée parce que jugée trop élitiste et éloignée du patrimoine… même si les salles sont pleines. L’affaire d’Hénin-Beaumont est à suivre sérieusement : cela pourrait donner des idées aux autres municipalités à majorité R.N…

Bernard Rémy et Philippe du Vignal


Entretien avec Maxime Séchaud, acteur, secrétaire général-adjoint  de la C.G.T. Spectacle

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 -Pourquoi la C.G.T. Spectacle a-t-elle lancé un appel à la grève illimité le 3 octobre?

-Le maire R.N. veut s’approprier L’Escapade. Ce centre culturel extraordinaire rayonne sur la ville et la région, mais pourquoi maintenant,  après des années de rapports normaux avec la mairie ? Depuis les élections législatives, le rapport de forces a changé et  le R.N  est  passé à l’offensive avec un net sentiment de supériorité. Onze millions d’électeurs ont voté pour les candidats de ce parti ! Et cela a libéré des pulsions destructrices…

La municipalité d’Hénin-Beaumont pensait que tout se passerait en catimini. Mais la résistance de  la communauté du Théâtre: acteurs, techniciens, régisseur, administrateur, l’a surprise. Ce n’est pas de gaieté de cœur que les comédiens se mettent en grève. Jouer est leur passion mais ici, l’existence même de leur raison d’être là est remise en question!
La grève pour jouer en toute liberté, la grève pour le public, la grève pour assurer le service public… Je le répète, l’attitude de la municipalité devient un obstacle à l’exercice du service public. Qui soutient le droit à la Culture dans une petite ville de France ? L’Escapade…

-Le Maire veut-il essayer de paralyser les choses?

-Sans doute mais il est paralysé lui-même  et dans ses expressions, il ne parle jamais des travailleurs, de la communauté de production…mais des Partis. C’est de la vieille politique, une suite de calculs lassants! Jean-Luc Dubroeucq, président de l’association qui gère le théâtre, est notoirement proche du R.N.
Sous la pression du R.N., les démissions se sont  succédé, le directeur artistique Jean-Yves Coffre est en arrêt maladie et le sous-effectif s’installe. Et quand on retire les moyens de l’efficacité, on peut donc vous accuser d’inefficacité! Oui, mais voilà, la communauté de travail résiste et surtout s’exprime, en rendant publique cette atteinte au service public.
L’arbitraire cherche souvent une apparence de légalité quand  il  essaye de battre en brèche le droit. Une nouvelle convention, voilà le costume de l’arbitraire…. Le Théâtre  de l’Ecapade conteste la signature d’une nouvelle convention entre le président de l’association qui gère le Théâtre, et la municipalité, cela sans accord du conseil d’administration ni de son directeur. Cette convention prévoit,  entre autres,  que la municipalité puisse reprendre la gestion du lieu,  avec préavis de soixante jours. Bref, le type d’organisation du R.N. et la limitation de la pensée, par ailleurs, nécessaire au culte du chef, est incompatible avec  l’exercice de le libre pensée,  nécessaire à la vie quotidienne d’un Théâtre. 

Propos recueillis par Bernard Rémy, Saint-Maurice, le 4 octobre.

L’Homme qui rit, de Victor Hugo, adaptation et interprétation de Geneviève de Kermabon

©Alejandro Guerrero

©Alejandro Guerrero

L’Homme qui rit de Victor Hugo, adaptation et interprétation de Geneviève de Kermabon

 Ce n’est pas un roman-fleuve, c’est la mer, c’est un monde et le gouffre le plus mystérieux, le plus profond, le plus terrible adjectif hugolien-c’est l’humanité, avec tout ce qu’elle porte d’inhumain. C’est un conte : il était une fois un enfant abandonné, vendu, acheté par les « comprachicos » et mutilé pour faire de lui un monstre de foire. Quelque chose comme le clown de cinéma ou des séries qui fait si peur aujourd’hui. Mais pour faire rire : un nez écrasé, une bouche sculptée en un sourire géant et perpétuel, « masca ridens » jusqu’aux oreilles. Cet enfant, abandonné à dix ans par ses tortionnaires, seul, dans un monde glacé : « la plaine était couverte de neige », rencontre plus abandonné que lui : un bébé, une petite fille trouvée dans les bras de sa mère morte de froid. Elle va grandir, très belle, très délicate mais aveugle, sous la protection d‘Ursus, leur père de tréteaux et d’Homo, le loup, comme son nom l’indique. Ils seront l’un pour l’autre l’amour-même et leur tournée de saltimbanques triomphe devant le peuple. Un jour, un document trouvé dans une bouteille venue de la mer (Victor Hugo en parle au début, mais nous l’avions oublié) révèle que Gwynplaine, l’homme qui rit, est l’héritier d’un des plus grands lords d’Angleterre. Fin du conte et retour fracassant à la réalité sociale : le jeune lord restera dans sa chair l’homme qui fait rire et ses pairs ne l’écouteront pas. Il ne sera pas le grand réformateur, le sauveur des pauvres. Entre temps, Victor Hugo place de longues et très intéressantes pages encyclopédiques sur les quartiers de Londres au XVII ème siècle ou le fonctionnement de la noblesse britannique, toujours dans le sens de la vérité et de la justice : montrer la condition des misérables, premier geste d’indignation qu’on puisse faire en leur faveur.

D’un roman de trois cent pages, Geneviève de Kermabon n’a gardé qu’un dixième, mais sans trahir l’ampleur ni la générosité de Victor Hugo. Son coupé-cousu serré laisse la place aux élans puissants du poète et à ses combats pour la liberté et la justice. Indignation : comment pouvons-nous être si aveugles à la misère ? La vraie aveugle n’est pas la belle Dea, mais vous, moi, tous, et particulièrement les riches : «C’est l’enfer des pauvres qui fait le paradis des riches.» Le poète n’a pas besoin de grands mots et trouve son éloquence-que certains appellent grandiloquence-dans les entrechocs et les antithèses, ne se privant jamais de la simplicité dans toute sa grandeur..

Geneviève de Kermabon a été acrobate et trapéziste. Ella a été invitée en 88 par le festival d’Avignon à mettre en scène en scène avec des artistes handicapés Freaks ou La Monstrueuse parade, d’après le film de Tod Browning (1932). Elle a sans doute trouvé dans L’Homme qui rit un écho, une fraternité mais n’a pas conçu son spectacle comme un retour à la parade ou au cirque. Elle se fait modestement conteuse, et semble se laisser prendre à son récit ou plutôt à celui de Hugo:elle endosse parfois, avec puissance, tel ou tel personnage. Dans la petite salle du théâtre de Poche, tout près du public, presque en confidence, elle nous fait vivre cette histoire énorme. « Je suis un monstre ? Non, je suis le peuple. Je suis l’Homme Qui Rit. Qui rit de quoi ? De vous. De lui. De tout : je pleure ». Ou encore – ce sont les citations choisies par l’artiste et terriblement pertinentes - : « On a déformé le droit, la justice, la vérité, l’intelligence comme moi les yeux, les narines et les oreilles : comme à moi, on lui a mis au cœur un cloaque de colère et de douleur, et sur la face un masque de contentement ». Pas besoin de commentaires : Hugo donne en quelques mots, dans un grand roman, son  credo humaniste. Et joue son rôle de « lanceur d’alerte » sur les injustices et les inégalités. Cela devrait nous dire quelque chose, aujourd’hui. Et la comédienne et metteuse en scène, dans sa petite grotte théâtrale, avec sa toute petite scène… dont elle n’a pas besoin, nous le transmet en toute simplicité et sincérité. Et nous emmène avec elle.

Christine Friedel

Jusqu’au 4 novembre,Théâtre de Poche, 75 boulevard du Montparnasse, Paris (VI ème) T. : 01 45 44 50 21.

 

 

L’Epreuve, adaptation librement inspirée et mise en scène de Robin Ormond

L’Epreuve, adaptation librement inspirée de Marivaux et mise en scène de Robin Ormond
A l’origine, un travail de fin d’année des jeunes académiciens de la Comédie-Française et créé au Studio, en juin l’année dernière. Depuis 2009, la célèbre Maison de Molière accueille chaque saison sept jeunes diplômés des grandes écoles supérieures d’art qui bénéficient ainsi d’un complément de formation: sélection sur audition puis entretien avec l’administrateur général. Et depuis 2015, un metteur ou une metteuse en scène-dramaturge, un auteur ou une autrice-dramaturge ou une scénographe, un costumier ou une costumière, un concepteur ou une conceptrice-son. Sélection sur dossier, puis entretien avec l’administrateur général et le directeur en charge de leur spécialité. Une sorte de stage de onze mois: ils sont immergés dans la vie, la réalité et les techniques d’un grand théâtre. Comme l’étaient déjà les élèves de l’Ecole du Théâtre National de Chaillot sous la direction d’Antoine Vitez et celle de Jérôme Savary, bien avant la mise en place de cette Académie. Curieusement, très peu de ces jeunes interprètes deviennent pensionnaires de la Comédie-Française…

Comment on se fait avoir sur le titre et l’auteur mentionné: Marivaux… Ici, « une adaptation librement inspirée ». En fait, ici, cela se passe dans la cave d’un immeuble parisien où deux filles et trois garçons se retrouvent chaque week-end pour participer à un jeu qu’ils organisent et dont ils déterminent les règles à chaque fois. « Un soir, l’un d’eux a invité une inconnue. Désarçonné, le groupe est pris au piège d’une partie qui lui échappe et où risque de se révéler une histoire commune que la plupart préférerait oublier. « 

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Le texte est donc « librement inspiré » de L’Épreuve (1740). Mais il y a, comme une tromperie sur la marchandise si on se réfère à Marivaux et quand, dans L’Officiel des spectacles, on lit la mention: théâtre classique, là cela ne va plus du tout… Sanda Bourenane, Vincent Breton, Olivier Debbasch, Yasmine Haller et Alexandre Manbon font ce qu’ils peuvent (l’une joue Angélique, un autre Lucidor, son amoureux).
Rien à voir ou si peu, avec les personnages de L’Epreuve ou de La Dispute du célèbre dramaturge, auxquelles fait référence Robin Ormond. Sa « pièce » est parsemée de références philosophiques, entre autres: Claude Lévi-Strauss, et de citations: Alfred de Musset, etc.
« On y trouvera, dit Robin Ormond, des lambeaux de répliques ou même d’articles écrits par Marivaux dans Le Spectateur français ou Le Cabinet du philosophe, de bribes de ses romans, des chutes de mon mentor Simon Stone qui m’a fait plonger dans la réécriture radicale d’œuvres théâtrales, de citations de Malebranche, de Simone Weil, Paul Tomas Anderson. » En tout cas, ce texte assez prétentieux et qui se voudrait à la pointe de la théâtralité contemporaine, est difficilement compréhensible et ennuyeux, même pendant une heure vingt…
Le jeune auteur, dit-il, a volé, vandalisé les autres et il se justifie à bon compte, en disant que Marivaux a volé Lope de Vega pour son Heureux Stratagème! Quant à la mise en scène, elle est truffée de stéréotypes: arrivée d’acteurs par la salle, voix off ponctuant les scènes, fond sonore permanent avec coups sourds de batterie électronique, tulle devant le plateau, sous-éclairage, micros H.F. (cela n’a jamais sauvé une direction d’acteurs médiocre et une diction souvent approximative!), mini-jupe et cuissardes, robe longue pailletée avec très hauts talons de drag-queen, caleçons et marcels blancs en guise de costumes… Cela fait quand même bien trop de choses approximatives!

Ces jeunes interprètes, mal dirigés, méritent sûrement mieux et il faudrait les revoir dans un vrai travail qui tient la route. Mais pas chez Robin Ormond: « Peut-être que tout cela réussira durant quelques instants ou échouera pour la durée entière du spectacle et je m’en réjouis. » (sic). Bref, tant pis pour le public… qui n’a pas spécialement goûté cette libération « de l’aveuglante immédiateté du patrimoine et de son autorité prédéterminée. » (sic: on se croirait chez Les Femmes Savantes!). Que Robin Ormond essaye de voir un enregistrement, ou au moins des extraits, de La Dispute, magistralement mise en scène de Patrice Chéreau et il découvrira ce qu’est une écriture claire et encore très actuelle d’un certain… Marivaux, un des auteurs les plus joués à la Comédie-Française. Allez, une dernière pour la route: « Cette pièce est pour moi un essai, dit-il, une épreuve aussi. » Là, au moins, c’est une réussite indéniable: une épreuve aussi pour le public et le spectacle a été mollement applaudi!
Reste à comprendre pourquoi Eric Ruf, administrateur de la Comédie-Française, a programmé cette « pièce », créée l’année dernière. L’avait-il lue? Même question à Frédéric Biessy, directeur de la Scala. Bref, il serait grand temps, si on aime les œuvres du répertoire comme le prétend Robin Ormond et si veut en faire quelque chose de contemporain, d’avoir un peu plus d’humilité. Ce ne serait pas un luxe.

Philippe du Vignal  

Jusqu’au 29 décembre, La Scala, 13 boulevard de Sébastopol, Paris (X ème). T. : 01 40 03 44 30.

Festival d’Automne Sur tes traces, conçue et réalisée par Gurshad Shaheman et Dany Boudreault

Festival d’Automne

Sur tes traces, conçue et réalisé par Gurshad Shaheman et Dany Boudreault

 Le premier est  né et a vécu, enfant en Iran mais est en France depuis 90: « « Dans la ville où je suis né, Téhéran, j’étais déjà un intrus. » Et  le second, lui vit près du lac Saint-Jean au Québec où le premier est allé le voir.  Ils ont décidé de travailler ensemble et de s’offrir réciproquement la clé d’accès à leurs archives personnelles (notes, carnets de voyage, interviews, etc.)  Le spectacle est donc aussi le récit de cette rencontre entre ces artistes.

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Sur la scène, un beau dispositif scénographique, presque hyperréaliste avec, côté jardin, une salle à manger ou bureau, derrière une petite cuisine et  côté cour une chambre avec un grand lit. Dans le fond  une grande baie vitrée avec vue d’en haut sur un paysage urbain. Côté cour une chambre avec un grand lit. Le tout fermé  par un tulle transparent.
A l’entrée, on nous munit d’un casque audio avec de deux canaux  pour entendre l’une ou l’autre de leur voix, en alternance. Chacun trouve un écho à ses amants, à ses amis mais aussi à ses préoccupations politiques concernant son pays d’origine.

Malheureusement, un seul canal de notre casque fonctionnait, celui de Dany Boudraut et le texte, assez répétitif, devenait vite lassant et comme cette performance durait deux heures, l’ennui s’est  vite installé.  D’autant plus que la mise en scène est assez statique et que le texte entendu avait été visiblement enregistré-comment apprendre un tel monologue  quand il est aussi long-ers la fin, une fois le tulle enlevé, on voyait que les mouvements des lèvres de Dany Boudreault ne correspond pas à la prononciation du texte…
Cette quête identitaire sous forme de performance avec la mise en scène de deux textes en simultané, aurait pu être intéressante mais là, encore une fois, si l’espace était bien assumé, le temps ne l’était pas du tout… Et qu’il s’agisse de théâtre classique, moderne ou  très contemporain, quand les deux ne sont pas au rendez-vous, cela reste décevant et souvent ennuyeux… Dommage.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 4 octobre, Théâtre de la Bastille, 76 Rue de la Roquette, Paris ( XI ème). T. : 01 43 57 42 14.

Cap au pire, de Samuel Beckett, traduction d’Edith Fournier, mise en scène de Jacques Osinski

Cap au pire, de Samuel Beckett, traduction d’Edith Fournier, mise en scène de Jacques Osinski

 Nous retrouvons avec plaisir Denis Lavant dans cette performance hors-norme, reprise cet automne au théâtre 14. Athlète de la langue, il nous attire dans une vertigineuse descente aux enfers du verbe : «Encore. Dire encore. Soit dit encore. Tant mal que pis encore. Jusqu’à plus mèche encore. »

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L’acteur dit jusqu’à plus soif comment: « Essayer encore. Rater encore. Rater mieux encore. Ou mieux plus mal. Rater plus mal encore. Encore plus mal »». Il donne corps à un texte ardu, sans jamais en perdre le fil, immobile sur un rectangle de lumière,avec  dans le dos, un tulle derrière lequel apparaissent et disparaissent de minuscules luminaires, loupiotes têtues dans la pénombre ambiante. La mise en scène suit à la lettre les indications de l’auteur, interprétées ici à la virgule, au hiatus près, tout en faisant surgir un humour latent.

Cap au pire, avant-dernière nouvelle de Samuel Beckett, parue en anglais en 1983, sous le titre Worstward Ho-worst : pire- un jeu de mots à partir de l’expression maritime westward ho ! (cap à l’ouest).
La traduction d’Édith Fournier (1991) restitue avec bonheur cette langue avare en vocabulaire qui suit le cheminement d’une pensée en marche vers la catastrophe, dans un style syncopé, avec peu de phrases complètes, des adverbes souvent seuls, quelques verbes, la plupart à l’infinitif.

Dans ce texte quasi-métaphysique – on pense à Parménide- rien à quoi se raccrocher, sinon la concrétude des mots portés par l’acteur et, ça et là, des espaces où se meuvent de mystérieux personnages voués à la disparition. Et pourtant, nous restons suspendus pendant une heure et demi à la performance de Denis Lavant. Il fouille avec acharnement dans cette histoire d’aller au pire, à la limite, jusqu’à l’effacement même d’une parole, d’une œuvre, d’une existence. Une histoire qui, cependant, n’en finit pas de finir.
Et s’ouvre, comme elle se ferme, page 62, sur le mot 
: encore. «Assez. Soudain assez. Soudain tout loin. Nul mouvement et soudain tout loin. Tout moindre. Trois épingles. Un trou d’épingle. Dans l’obscurissime pénombre. À des vastitudes de distance. Aux limites du vide illimité. D’où pas plus loin. Mieux plus mal pas plus loin. Plus mèche moins. Plus mèche pire. Plus mèche néant. Plus mèche encore. Soit dit plus mèche encore». Denis Lavant nous éclaire ici plus que tout commentaire philosophique… à condition de se laisser porter par son phrasé acrobatique.

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 19 octobre, Théâtre 14, 20 avenue Marc Sangnier Paris (XIV ème). T. : 01 45 45 49 77.

 

La Guerre des pauvres, d’après le roman d’Eric Vuillard, onconception et adaptation d’Olivia Grandville

La Guerre des pauvres, d’après le roman d’Eric Vuillard, conception et adaptation d’Olivia Grandville

On connaît mal aujourd’hui les soulèvements paysans, massifs et sanglants au sud de l’Allemagne au début du XVI ème siècle, immortalisés par Friedrich Engels dans La Guerre des paysans en Allemagne (1850). À peine retient-on encore le nom de Thomas Müntzer (1489-1525), un jeune théologien luthérien en lutte aux côtés des insurgés.
Olivia Grandville s’empare du récit
fiévreux d’Éric Vuillard où le ras-le-bol et la colère populaires se radicalisent en une révolte profonde contre les inégalités, impulsée par la flamboyante et utopique radicalité de Thomas Müntzer.

© Laurent Philippe

© Laurent Philippe

Ce texte épique de quatre-vingt pages est lu d’un seul souffle par Laurent Poitrenaux, immobile sous un plafond ajouré et formé par les cintres, abaissés jusqu’à mi-hauteur du plateau. Dans cet espace de jeu au format panoramique imaginé par Denis Mariotte, des tubes LED et des fanions vibrant sur des hampes mobiles fichées au sol, créent une étrange forêt lumineuse où s’ébattent discrètement les danseurs Samuel Lefeuvre et Windmi Nebie. Jamais illustratif, cela rythme le récit, soutenu par les nappes sonores jouées en continu par Benoît de Villeneuve et Benjamin Morando.

Dans son court roman, centré sur les écrits et paroles de Thomas Müntzer, Éric Vuillard procède par images mais sans jamais négliger le document, source historique. Son écriture serrée d’une grande puissance évocatrice, véhicule de l’émotion, se prête à une interprétation dansée impulsive, à l’image du héros. « Il suit le fil brûlant de son désir. Il a faim et soif, horriblement, et rien ne peut le rassasier, rien ne peut étancher sa soif; il dévorera les vieux os, les branches, les pierres, les boues, le lait, le sang, le feu. Tout. »
« Il faut tuer les souverains impies.» écrit le révolté, au Grand Électeur Frédéric Guillaume de Brandebourg.

Cette fiction historique mise au présent nous précipite dans notre XXIème siècle où les révoltes populaires ont dernièrement ébranlé la société. «Si le soulèvement est une flambée, à coup sûr fugace, dit Olivia Grandville, il n’en reste pas moins l’élan vital nécessaire à tout mouvement. »
Dans cette
chorégraphie, les danseurs, en traçant de vastes déplacements circulaires ou en cassant leur corps avec des gestes saccadés, partagent avec nous les sévices subis par les pauvres et le désir d’un monde plus juste du messianique Thomas Müntzer. Leurs mouvements, la mobilité du décor et les pulsations sonores font écho aux mots de l’acteur.

Olivia Grandville, maintenant à la tête du Centre Chorégraphique National de La Rochelle, nous surprend une fois de plus avec ce travail audacieux, en continuité avec ses créations : Le Cabaret discrépant (2011), inspiré de textes du poète lettriste Isidore Isou au Théâtre de la Colline. Ou le bouillonnant Combat de carnaval et Carême, d’après le tableau de Pieter Brueghel l’Ancien (2017). Et, dernièrement, Klein, réponse  théâtrale, plastique et musicale, à l’aridité et à l’abstraction des propos de l’artiste Yves Klein (voir Le Théâtre du Blog.)

Mireille Davidovici

Spectacle joué du 26 au 29 septembre à la MC93 de Seine-Saint-Denis, 9 boulevard Lénine, Bobigny (Seine-Saint-Denis). T. :0 1 41 60 72 72

Les 4 et 5 février, La Coursive-Scène Nationale de La Rochelle et du 8 au 13 février, Théâtre Vidy-Lausanne (Suisse) .

Luis de Matos

Luis de Matos

À neuf ans, il a intégré un groupe de théâtre dans le petit village portugais où il vivait avec ses parents. L’un des jeunes adultes encadrant ce groupe, Séraphin Alfonso, était guitariste, pianiste, danseur et surtout magicien. Aux yeux de l’enfant qu’était Luis de Matos, il avait des super-pouvoirs et réalisait des tours avec cordes, balles, cartes… Il a commencé à lui apprendre quelques tours et lui a prêté des livres. Le petit Luis a découvert la magie comme passe-temps et ensuite cette passion a envahi sa vie.

« L’apprentissage est pour moi un voyage sans fin. Chaque jour m’offre de nouvelles connaissances. Aujourd’hui, j’ai l’impression d’en savoir un peu plus qu’hier, mais je suis convaincu que, demain, je prendrai conscience de tout ce qui me reste encore à découvrir. Les événements qui m’ont freiné, sont aussi ceux qui m’ont propulsé. A douze ans et pendant longtemps, j’ai écrit plusieurs lettres aux directeurs de la télévision portugaise de l’époque, expliquant que j’étais la personne idéale pour créer une série télévisée sur la magie! Mes lettres sont restées sans réponse et cela m’a d’abord freiné m’mais aussi beaucoup aidé : je n’étais pas prêt à ce moment-là et si j’avais reçu une réponse favorable, j’aurais sans doute échoué. 

Finalement à dix-huit ans, j’ai commencé à faire des apparitions régulières à la télévision,où je présentais des tours chaque semaine. Mais je continuais à nourrir le rêve de créer une série télévisée. En 89, à dix-neuf ans, je me suis enfin lancé dans ma première série. Une petite de vingt-cinq minutes prévue pour dix semaines. Mais avant la fin, on m’a demandé de préparer une suite pour dix semaines…Au total, quarante épisodes de vingt-cinq minutes, avec toujours deux invités par programme, des magiciens que j’avais persuadé de venir. Cette expérience m’a fait grandir professionnellement et j’ai vu que parfois, les obstacles peuvent se transformer en opportunités de succès.
Ma curiosité insatiable me pousse à explorer toujours de nouveaux horizons. C’est passionnant d’apprendre sur des thèmes qui ne sont pas liés à mes connaissances initiales. Ainsi, j’ai en acquis de variées, sur de nombreux sujets et cela me correspond parfaitement. « Ce n’est pas la plus forte des espèces qui survit, dit Darwin, ni la plus intelligente, mais celle qui s’adapte le mieux au changement. »
Un spécialiste peut rencontrer plus de difficultés à s’adapter. Pour moi, la diversité des connaissances est un atout précieux et en magie j’aime m’exprimer à travers le 
close-up, les grandes illusions et les tours interactifs. En musique ou en parlant, chaque prestation est pour moi un nouveau défi. C’est stimulant et cela m’incite à m’adapter,  à toujours innover et enrichir ainsi  mon répertoire. »

©  Ana Dias

© Ana Dias

Luis de Matos a créé des spectacles originaux comme Utopia, Enigma, Chaos, Conectados et plus récemment Impossible sur scène qui va se jouer aux Folies Bergère à Paris en automne. Fort de son expérience dans les séries télévisées, il a vu qu’ il était crucial d’améliorer la perception que le public a de la magie, avec des spectacles d’exception. Dès sa première série télévisée, il a choisi de ne pas s’aventurer seul, pour que le public découvre un art de haute qualité et a un respect pour cet art. Il choisit des magiciens qu’il aime moins personnellement mais étant convaincu qu’ils sauront impressionner. Objectif : créer une synergie avec les artistes et cela l’a guidé pour produire des émissions de télévision, des festivals de magie ou des spectacles comme Impossible sur scène. «Il y a quelques années, j’ai fondé l’Estúdio 33, un espace où on peut répéter dans des conditions similaires à celles d’un théâtre traditionnel. La scène est la même que celle du Théâtre National de Porto, avec une ouverture de douze mètres et une hauteurs équivalente.
Je ne suis pas très nationaliste, donc je ne me préoccupe pas de l’origine de la magie, qu’elle vienne du Portugal, d’Afrique ou d’Australie. Compte seulement l’humanité et  je ne cherche pas à créer quelque chose portant la marque: Portugal, parce que je suis portugais. Je crois qu’en adoptant une perspective globale, on peut être plus exigeant.
Il serait facile de produire la meilleure émission de télévision chz nous mais c’est bien plus complexe de créer un programme qui captive des publics au Japon ou aux États-Unis. J’ai voulu réaliser une chose qui ait une valeur universelle et reste excellente là où elle est diffusée  au Portugal, en Allemagne, etc. Cela me motive. Depuis 98, le festival 
Encontros Mágicos à Coimbra, est surtout destiné au grand public, mais des magiciens y assistent. L’objectif : présenter ce que notre art a de mieux à offrir aujourd’hui avec magiciens de rue, conférences publiques, galas internationaux et close-up.
En 2006, nous avons eu l’occasion d’organiser un événement similaire:
Lisboa Mágica- Street magic world festival. Mais je ne voulais pas reproduire celui de Coimbra: cela risquait de le cannibaliser, vu la proximité. Pendant six jours, il y a uniquement de la magie de rue avec cent-soixante-quinze spectacles dans quatorze lieux à Lisbonne. Cela permet une interaction avec le public au cœur de la ville et de s’adresser à toutes les catégories sociales, pas seulement à ceux qui vont au théâtre ou qui vivent dans la capitale et aussi aux touristes .
Les associations-il en existe deux chez nous: l’une à Porto et l’autre à Lisbonne. et elles ont un rôle essentiel: les passionnés se rencontrent et on peut orienter les magiciens dans leur parcours. Les festivals que nous organisons et les émissions de télévision que nous produisons, contribuent à développer un vrai respect et, dans certains cas, un véritable engouement pour notre art.
Du créneau du mercredi matin quand j’avais dix-neuf ans, je suis passé au samedi matin, puis au samedi soir, et  notre émission est enfin devenue un programme en « prime time». Cela permet de toucher un public beaucoup plus large. »

Luis de Matos a créé à Ansião, l’Estudio 33. Il regroupe un théâtre, un plateau de tournage, des salles pour conférences et ateliers, un centre de documentation et un musée. Depuis 95, il a eu la chance de travailler avec une équipe de neuf personnes. Certains sont là depuis le début, les autres  l’ont rejoint au fil des années.
Quand il a créé Luis De Matos Produções, il y avait, distincts, le bureau, l’atelier et le studio. Mais il lui était impossible d’être présent sur ces trois sites et son rêve était de construire un endroit où ils pourraient être tous être réunis. Ainsi est né Estúdio 33. « Je l’ai imaginé et dessiné en 2002, nous avons commencé sa construction l’année suivante. Puis nous nous y sommes installés six ans plus tard et l’ensemble a été achevé en 2010. Nous y réalisons quotidiennement nos émissions de télévision en direct, la création de tours et  y faisons toutes les tâches administratives. Au cœur d’Estúdio33, il y a aussi ma bibliothèque avec quelque cinq mille ouvrages, du XVI ème siècle à nos jours.
Ma passion pour les livres me pousse à rechercher de nouveaux trésors littéraires à chaque voyage dans une ville voisine ou un pays lointain. Cet espace est avant tout un lieu de travail mais j’ouvre volontiers ses portes à ceux qui le souhaitent, magiciens ou passionnés.
L’excellence me touche profondément. Je peux être submergé par une émotion intense en voyant un athlète finir un marathon aux Jeux Olympiques… J’ai eu la chance de connaître des artistes remarquables qui ne sont plus parmi nous aujourd’hui. C’est incroyable: même après leur départ, leur influence continue à se faire sentir dans ma vie. Bien entendu, il y a aussi des  artistes contemporains qui m’inspirent beaucoup mais j’aimerais rendre hommage à cinq disparus: Tommy Wonder, Paul Daniels, Gary Ouellet, Topper Martin et Max Maven. Chacun m’a profondément influencé. Ils avaient en commun une grande valorisation de l’excellence et du travail acharné et m’ont énormément appris. »

Pour Luis de Matos, tous les styles ont leur beauté et leur valeur, quand ils réussissent à capter l’attention et qu’ils offrent une expérience authentique. Selon lui, chaque performance classique ou moderne, minimaliste ou spectaculaire, peut toucher le public de façon unique et  créer un moment mémorable. Comme Paul Daniels qui a eu une influence majeure sur lui et cela se ressent profondément dans sa manière d’être et de travailler.
De 2013 à 2022, il a voyagé  avec
The Illusionists 2.0 en Australie, Mexique, Nouvelle-Zélande, Émirats arabes unis, Turquie, Chine, Russie, Thaïlande… Pour lui, « La magie est accueillie selon leur culture. Je crois que le dénominateur commun à tous est notre condition humaine. Chacun sait, au fond, ce qui est possible et ce qui ne l’est pas, et notre réaction face au merveilleux, à l’inexplicable, au poétique et émotionnel, est viscérale. Et il n’ a pas de grandes différences entre les publics. »

La passion de Luis de Matos? Il aime découvrir de nouvelles choses-peu importe le domaine-et augmenter sa capacité à apprendre. Explorer, écouter, essayer et s’engager dans des processus, même si le succès n’est pas toujours au rendez-vous, fait partie intégrante de son parcours. Cela, dit-il, l’enrichit chaque jour.

Sébastien Bazou

 Interview réalisée le 25 septembre à Dijon (Côte-d’Or).

 

Omar-Jo, son manège à lui de Guy Zilberstein, mise en scène d’Anne Kessler

Omar-Jo, son manège à lui de Guy Zilberstein, mise en scène d’Anne Kessler

Claire de La Rüe du Can (Adèle), Dominique Parent (Léon), Baptiste Chabaut (Elvis) jouent cette pièce inspirée de LEnfant multiple d’Andrée Chedid. Un jeune jeune garçon mutilé, Omar-Jo, a été victime d’un attentat à Beyrouth en 87 pendant la guerre au Liban. Chrétien par sa mère et musulman par son père, l’enfant a perdu ses parents à ce moment-là et a été recueilli à Paris par son oncle.

© Vincent Pontet

© Vincent Pontet

Cet orphelin va fréquenter assidument le manège de Maxime qui, lui, a été victime de la deuxième guerre mondiale quand il était enfant. «Guy Zilberstein et Anne Kessler imaginent, dit Eric Ruf, administrateur de la Comédie-Française, que cette fiction est un épisode dune série consacrée aux enfants, victimes de guerres.» Cela se déroule devant le public. Une fiction malheureusement dune cruelle actualité, avec la guerre qui frappe encore le Liban aujourd’hui. «Beyrouth mille fois morte et mille fois revécue.», écrit la poétesse Nadia Tuéni. On pense à la destinée de cette ville-martyre mais ce projet a été conçu bien avant les événements actuels.
Derrière une toile transparente où sont projetées des images d’archives, Elvis, le comédien, Adèle, la réalisatrice, et Léon, l’ingénieur du son..“Il faudra bien que notre peuple tout entier remonte sur le même manège”, dit l’un d’eux, citant Andrée Chédid. Quelques mots d’espoir dans notre monde actuel qui n’inspire guère d’enthousiasme.

C’est un théâtre documentaire où l’auteur évoque les horreurs d’un conflit qui ne finit jamais et la mémoire des victimes. On découvre aussi  un reportage sur Beyrouth autrefois bombardée et le témoignage poignant d’un enfant dans un entretien à la télévision avec Mireille Dumas…
Les comédiens sont tous très justes. Mais certaines photos projetées ont été générées par l’intelligence artificielle! Un choix qui nous gêne, surtout pour cette forme de théâtre qui se veut au plus proche de la réalité. Il faut distinguer ici le vrai, du vraisemblable.

Anne Kessler aime la radio et avait déjà surpris le public en mettant en scène Trois hommes dans un salon (2008) où elle reproduisait une interview croisée de Jacques Brel, Georges Brassens et Léo Ferré. Nous ressortons amer, de cette pièce et témoin impuissant de ce que la folie humaine peut produire.

Jean Couturier

Jusqu’au 3 novembre, Studio-Théâtre de la Comédie-Française, galerie du Carrousel du Louvre, 99 rue de Rivoli, Paris (Ier). T : 01 44 58 98 54.

 

Rêche,chorégraphie de Myriam Gourfink

Rêche, chorégraphie de Myriam Gourfink


Au Panthéon, lieu chargé de mémoire, dans une partie consacrée aux soldats de la Grande Guerre, sept danseuses et danseurs vont, une heure et quart durant, fasciner le public. Sous la haute coupole, ils viennent, l’un après l’autre, s’allonger sur le sol de marbre.
Leurs corps enchevêtrés, telles des sculptures de monuments aux morts, font écho aux bas-reliefs de la grande stèle voisine, dédiée «aux héros inconnus, aux martyrs ignorés, morts pour la France».

Sur les côtés de l’aire de jeu, deux œuvres d’Anselm Kieffer évoquant les massacres passés. Mais rien de sinistre dans Rêche. La pièce, contrairement à son titre, est empreinte de douceur. Les interprètes en costume immaculé s’animeront peu à peu avec une lenteur spectrale et cet amas de corps, mu par un souffle commun, se métamorphosera imperceptiblement au gré des postures, chacun prenant appui sur son prochain.

© Patrick Berger

© Patrick Berger

Dans l’imposante verticalité de l’architecture, ces gisants semblent des vermisseaux aspirant à sortir de leur rigidité cadavérique. Membres levés vers le haut, buste se convulsant au ralenti, dans un ondoiement microscopique perpétuel, cet assemblage humain mouvant ne perd jamais de son tropisme vers la lumière. On est loin d’une danse macabre.L’art de Myriam Gourfink est fondé sur les techniques respiratoires du yoga et sur une connaissance approfondie du mouvement des muscles et fascias, ce réseau de membranes enveloppant les organes.
Le prisme de la lenteur est, pour la chorégraphe, un moyen «d’arriver à un endroit de circulation qui rassemble tout le reste du corps, comme une grande toile d’araignée». Une approche exigeant concentration et maîtrise physique chez les danseurs.

Leur gestuelle arachnéenne est soutenue par la musique vibrante du compositeur Kaspar T. Toeplitz. Sa basse électrique émet un bourdonnement continu et Didier Casamitjana tire des sons caverneux de gongs et d’un tambour chamanique tendu d’un morceau de peau de yourte. Pour Baudelaire, «les morts, les pauvres morts, ont de grandes douleurs » mais ils sont ici du côté des vivants et suscitent une émotion recueillie dans le public. Le Panthéon n’est pas un cimetière mais un endroit de l’esprit où l’on honore des hommes et femmes de courage.
La douceur de Rêche s’inscrit à contre-courant du langage guerrier. «Il me semble dit Myriam Gourfink, qu’aujourd’hui, chercher la tendresse est un effort à renouveler tous les jours.» Après cette première mondiale, la pièce ira en tournée, donc ne la manquez pas.

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 28 septembre, au Panthéon, Centre des monuments nationaux, place du Panthéon, Paris (Vème). Dans le cadre de l’Atelier de Paris. T. : 01 41 74 17 07 et du Festival d’Automne à Paris 

 Les 5 et 6 novembre, Théâtre du Beauvaisis-Scène nationale, Beauvais (Oise).

 

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