Biennale internationale des Arts de la Marionnette Fantine ou le désir coupable,d’après Victor Hugo, mise en scène d’Alain Blanchard

Biennale internationale des Arts de la Marionnette

Fantine ou le désir coupable, d’après Victor Hugo, mise en scène d’Alain Blanchard

Fantine, un des personnages des célèbres Misérables, sans doute moins connu que Jean Cosette, sa fille ou Jean Valjean, Marius, Gavroche… Ici plus ou moins remis dans l’actualité. Après tout, pourquoi pas? Le roman de Victor Hugo où il fait une critique virulente sur la société de son temps en a vu d’autres: adaptations au théâtre films, feuilletons radio,chorégraphies comédies musicales, bandes dessinées…
Fantine, une très belle jeune femme sans argent se retrouve enceinte mais sera abandonnée par son amant, Tholomyès, un bourgeois. Le personnage de Fantine en fait n’apparait que dans le troisième livre des Misérables. Précision pour les jeunes générations: jusque vers les années 1960, la contraception était des plus limitées et la pilule n’existait pas, et encore moins celle du lendemain. Solution : l’avortement pratiqué par « une faiseuse d’anges » dans des conditions abominables. Ou par celles qui en avaient les moyens dans une clinique.. mais en Suisse Et des médicaments faisant expulser le fœtus  et aussi dans les campagnes, la rue: une plante soi-disant abortive connue depuis l’Antiquité par les accoucheuses et guérisseuses.
Et, si la jeune fille, vite sans moyens pour le faire vivre, gardait l’enfant, restait la remise dans la tournette d’un hospice pour qu’on ne voit pas qui l’y avait mis. Ou des expédients comme la vente par Fantine de longs et beaux cheveux et de ses dents, puis très vite le recours inévitable à la prostitution sur le trottoir, très fréquente chez les ouvrières exploitées au temps de Victor Hugo. La belle et pure Fantine accouche de Cosette qu’elle remet aux époux Thénardier qui exigent d’elle toujours de plus en plus d’argent mais exploitent la petite fille.

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Ici, un castelet avec un rideau rouge vif au fond et un table longue et noire de manipulation de l’unique (et tout à fait ratée réalisée par Einat Landais) marionnette de Fantine avec un cou interminable et de grands yeux, tenant en encore pire de la poupée Barbie.
Mélanie Depuiset, en jupe noire et serrée dans une guêpière, la manipule, avec une très bonne diction. Et elle joue aussi les autres personnages féminins comme Sœur Simplice. A côté d’elle, lui aussi en costume noir et chemise blanche, Jérôme Soufflet, lui, raconte l’histoire de Fantine et joue tous les « salauds » comme il dit, du roman  de Victor Hugo. Entre autres, Tholomyès, le bourgeois qui l’a abandonnée, puis le mac qui la prostitue et qui lui aussi, l’abandonnera, quand elle tombera très malade et finira par mourir.

Mais c’est là où cela ne fonctionne pas du tout, le personnage central de Fantine est écrasé par sa manipulatrice et l’acteur. Le texte très faible et avec des références actuelles ! comme la dramaturgie et le jeu, (très conventionnel) ne sont pas au rendez-vous.
Il n’y a vraiment rien à sauver de cette médiocrité -heureusement cela ne dure que cinquante minutes mais déjà trop longues!- sauf la dernière scène où le corps de Fantine est allongé couvert d’un linceul blanc que Mélanie Depuiset déroule avec lenteur.

Cela ne suffit pas à sauver ce spectacle vieillot, laid et sans aucune âme, qui n’arrive pas, comme Victor Hugo savait le faire, à dénoncer la misère du peuple, la condition des ouvrières et l’exploitation féminine: «Tant que les trois problèmes du siècle, la dégradation de l’homme par le prolétariat, la déchéance de la femme par la faim, l’atrophie de l’enfant par la nuit, ne seront pas résolus ; en d’autres termes, et à un point de vue plus étendu encore, tant qu’il y aura sur la terre, ignorance et misère, des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles. »
Nous n’avons sans doute pas eu de chance mais les autres spectacles : Bleu opéra,  Et il mangea, de cette Biennale auxquels  nous avons pu assister (voir Le Théâtre du Blog) étaient bien mauvais et nous reposons la même question : pourquoi et comment ce Fantine ou le désir coupable a-t-il été programmé dans cette Biennale…Thénardier, comme le théâtre? Jean Valjean/M. Madeleine, comme le maire de Montreuil, mais Montreuil-sur-mer dans le roman? Une piste??? !!!

Philippe du Vignal

 Spectacle vu au Théâtre Thénardier, Montreuil (Seine Saint-Denis), le 30 mai.


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Le Petit Garde rouge de Chen Hiang Hong, mise en scène de François Orsoni

 Le Petit Garde rouge de Chen Hiang Hong, mise en scène de François Orsoni

L’auteur est avant tout peintre, et c’est un bonheur de le voir illustrer le récit de son enfance, porté par un comédien et deux danseuses. Une enfance en Chine, dans une famille heureuse, jusqu’au moment où survient la Révolution culturelle (1971). Il a huit ans  et, à l’école, il arbore un foulard rouge et brandit le petit livre rouge de Mao Tse Dong. Mais sa vie va être bouleversée : son père est envoyé en camp de rééducation, à la grande tristesse de sa mère et de ses grands-parents…

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Alban Guyon raconte avec sobriété cette autobiographie aux anecdotes familières mais sans jugement sur l’Histoire. Et les dessins que fait Chen Hiang en disent plus que le texte. Sur grand écran, maisons, arbres, oiseaux, fleurs, chat, sœurs, écoliers, grands-parents et parents naissent par petites touches de pinceau ou avec des traits d’encre de Chine, noire ou de couleur. Lili Chen et Namkyung Kim, sœurs de l’auteur, avec une chorégraphie évocatrice, nous transportent dans l’Empire du Milieu vers les années soixante-dix avec ses opéras dits révolutionnaires, hymnes patriotiques, sons et odeurs. Grâce aux bruitages d’Éléonore Mallo, nous suivons le jeune garçon dans la rue, à l’école, dans un parc ou avec les poules de la grand-mère qui seront égorgées par les gardes rouges…

Sans prétention, cette adaptation au théâtre du livre Petit garde rouge doit sa saveur à la simplicité du texte et à la pureté des calligraphies. Ici, aucun misérabilisme, ni parti-pris idéologique. Une histoire fluide qui finit par un moment poignant où l’artiste prend modestement la parole pour dire la suite : le collège, l’Académie centrale des Beaux-Arts à Pékin ; puis, en 1987, l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. Ce peintre est aujourd’hui reconnu et son œuvre a fait l’objet de nombreuses expositions. Parallèlement, il écrit et illustre à l’encre de Chine sur papier de riz, des albums pour la jeunesse publiés à l’École des loisirs. François Orsoni a découvert l’artiste en 2008 et mis en scène avec lui et selon les mêmes principes, des Contes chinois.

«J’ai envisagé le projet comme un moment de partage, dit Chen Hiang Hong. Je crois qu’il est de mon devoir de transmettre ce récit aux jeunes générations, afin qu’elles puissent mieux comprendre la Chine d’aujourd’hui et cet épisode qui a durablement marqué le XX ème siècle. Je vois aujourd’hui cela comme une mission à la fois politique et humaniste et le théâtre permet cela, bien au-delà du livre.»
Il ne faut pas s’attendre à une fresque sur la Révolution culturelle mais petits et grands auront le plaisir d’entendre, et surtout de voir, une belle histoire.

Mireille Davidovici

Jusqu’au 18 juin, Théâtre du Rond Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, Paris (VIII ème). T. :01 44 95 98 21.

Le 3 juin : ateliers parents/enfants à partir de cinq ans. Bruitage animé et danse traditionnelle chinoise… Et le 6 juin, rencontre avec l’historienne Annette Wieviorka, autrice de Mes années chinoises.

Et il me mangea, texte et mise en scène de Francesca Bettini (tout public à partir de dix ans)

Et il me mangea, texte et mise en scène de Francesca Bettini (tout public à partir de dix ans)

© Christophe Loiseau

© Christophe Loiseau

D’abord un peu d’histoire. 1981: François Mitterrand devient le président de la République et  Tania Castaing et Charlot Lemoine créent leur premier spectacle au festival d’Avignon où Philippe du Vignal les repère aussitôt. Sur un vieux vélo de livraison anglais, ils avaient mis en scène un des premiers, sinon le premier, aussi merveilleux que poétique, théâtre d’objets avec des marionnettes miniatures. Mais depuis nous les avions perdu un peu de vue…
Ce spectacle de référence dans l’histoire de la marionnette donna son nom à la compagnie : le Vélo Théâtre. Depuis vingt ans, cette Scène Scène conventionnée pour le théâtre d’objets et le croisement des arts et des sciences occupe une ancienne usine de fruits confits à Apt (Vaucluse). Et son travail est soutenu par la ville, l’État, la Région, le Département, etc. C’est un lieu de création et d »accueil pour de nombreuses compagnies. Mais Tania Castaing et Charlot Lemoine continuent aussi à jouer leurs spectacles.

Et il me mangea, un spectacle non daté mais qui ne doit pas être récent, appartient au théâtre d’objets; surtout silencieux, il est fondé sur des images et accompagné de quelques paroles et musiques.
Toujours aussi grand et sympathique, Charlot Lemoine a maintenant les cheveux blancs. En costume noir, il raconte une vaste forêt de sapins noirs, symbolisée ici par une maquette avec un arbre et une petite maison blanche. Il est aussi question d’un loup.
Côté cour, une sorte de bureau aux parois en grillage avec un ordinateur et des tas d’objets où règne un assistant et complice (José Lopez) en longue blouse grise comme en avaient autrefois les quincaillers. Il y a aussi de grandes bottes qui avancent comme par magie au rythme de la marche lente de Charlot Lemoine. Suivi ou toujours accompagné par un valet absolument muet qui a aussi comme son maître, une queue de lapin. Il y a ainsi quelques belles images.
Côté jardin, un rétroprojecteur envoyant sur le mur du fond des images de moulin à café, broc en tôle, grand lit en fer forgé, etc. Nostalgie, quand tu nous tiens… Il y a aussi une grand-mère (Tania Castaing) sur son fauteuil rouge à roulettes qui, avec sa petite voix, essaye de trier ses souvenirs. Une histoire sur fond de grand méchant loup et de petit chaperon rouge…
La petite maison, si on a bien compris, aurait été le lieu d’un crime et ces images avec des moyens très simples: papiers déchirés, dessins, petits objets et quelques titres projetés, sur fond de conte à la Charles Perrault, à de rares moments, possèdent  un certain charme. Et Charlot Lemoine a toujours une excellente diction.
Oui, mais voilà! le texte est d’une rare indigence -on se demande ce que les enfants peuvent comprendre- et la mise en scène, assez prétentieuse, n’a aucun intérêt. Bref, ce livre d’images ne fonctionne pas. Dommage! Tania Castaing et Charlot Lemoine auraient sûrement plein de choses à nous dire, comme le fait en ce moment Pierre Louis-Calixte dans son Matériau(x) Molière (voir Le Théâtre du Blog).
Reste à savoir pourquoi Et il me mangea a été programmé à cette Biennale! Là, il y a comme un loup ( excusez l’astuce facile). Quelqu’un du Mouffetard-Théâtre de la marionnette et/ou du Théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis l’avait-il vu avant? Oui, nous sommes en colère. Une après midi ratée pour nous : pas bien grave, même après un Fantine d’une rare  médiocrité  vu la veille à Montreuil et dont nous vous reparleront.
Mais des familles, sûrement pas riches, de Saint-Denis payent-elles pour que leurs jeunes enfants (qui n’ont sûrement pas dix ans comme préconisé) , aillent voir ce genre de choses, alors qu’ils méritent toujours le meilleur? Non!  Un spectacle à éviter absolument.

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 31 mai au Théâtre Gérard Philipe-Centre Dramatique National, Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).
Le 3 juin à 16h.

Le Vélo-Théâtre, Pépinière d’Entreprises, 171 avenue Eugène Baudouin, 84400 Apt (Vaucluse) . T. : 04 90 04 85 25 velos@velotheatre.com

L’Esthétique de la résistance, d’après le roman de Peter Weiss, adaptation et mise en scène de Sylvain Creuzevault

L’Esthétique de la résistance, d’après le roman de Peter Weiss, adaptation et mise en scène de Sylvain Creuzevault

Le  spectre du communisme hantait autrefois l’Europe: comment peut-on être communiste, à l’époque du nazisme et de la seconde guerre mondiale quand, de la Révolution d’octobre, émanent la bureaucratie et la dictature d’Hitler et Staline ? Le pacte germano-soviétique était expliqué aux militants comme nécessaire, puis il fut rompu pour des raisons tout aussi nécessaires… Un petit siècle plus tard, le poids de l’Histoire est toujours là. On nous dira que le communisme est mort et enterré depuis la chute du mur de Berlin en novembre 1989. Voire? Tout le refoulé socio-politique, ce que le spectre agite dans son sommeil, n’est pas résolu et le mérite de ce spectacle est de le réveiller.

Avec Peter Weiss, on ne peut séparer art et politique. Gabriel Garran, fondateur du Théâtre de la Commune d’Aubervilliers récemment disparu avec son maire Jack Ralite lui aussi décédé (voir Le Théâtre du Blog) le fit découvrir en France avec L’Instruction (1966) et Comment Monsieur Mockinpott fut libéré de ses tourments 1970). En 2010, Gwenaël de Gouvello avait mis en scène Monsieur Mockinpott et replacé Peter Weiss dans la lumière. À son tour, Sylvain Creuzevault avec une adaptation de son roman autobiographique L’Esthétique de la résistance, poser la question qui le taraude : celle de la révolution et celle, indissociable, du théâtre et plus largement de l’art.Un objet non essentiel ? Jamais, en tout cas, pour le narrateur de cette histoire. Celle des vaincus, tués, exilés qui ont ouvert la brèche et donnent à penser.
Le Guernica de Picasso remue en eux leur expérience des brigades internationales pendant la guerre d’Espagne, un terrain d’exercice pour les dictatures et l’aviation nazie pour la seconde guerre mondiale. Dans Le Massacre des innocents de Brueghel l’ancien (1585), ils lisent le crime contre l’Humanité et dans la frise du grand autel de Pergame ( II ème sicèle avant J.C.) les corps magnifiques et torturés des hommes dans leur combat avec les Dieux. Et c’est leur regard qui ouvre celui du spectateur d’aujourd’hui.

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Le metteur en scène use de tous les procédés de la distance et pas seulement brechtienne -nous aurons quand même droit à la carriole de Mère Courage- avec numéros de cabaret, projections, adresses au public, éléments d’agit-prop comme ces pancartes suspendues au cou des personnages (surtout Le Narrateur  et Peter Weiss ).
Sylvain Creuzevault donne un rythme parfait au spectacle mais laisse se développer une scène mais parfois avec une rupture de ton, un changement de décor, au moment où la fiction prend trop de pouvoir. Pour aller vers la tragédie finale où chacun des condamnés porte son nom, en l’honneur de tous ceux dont les noms ont été oubliés.

La Halle Gruber, ainsi appelée en hommage au grand metteur en scène, (1941-2008) est un ancien bâtiment industriel début XX ème siècle avec hautes colonnes de fer: un lieu idéal pour ce grand projet avec un espace offrant toute liberté à une scénographie frontale.
Cette Esthétique de la Révolution est un spectacle d’école mais cette Ecole travaille, comme celle de feu l’Ecole de Chaillot,  au cœur d’un théâtre national. Les futurs interprètes y apprennent en vraie grandeur que la mis en scène, le jeu, l’interprétation ne sont pas une affaire individuelle mais une construction réalisée avec plusieurs corps de métiers, et à plusieurs corps. Avec aussi plusieurs générations de femmes et d’hommes aux expériences différentes : Des métiers tout aussi essentielles : construction, couture, mécanique, électronique son et image… Et les élèves ont la chance de travailler avec des professionnels et sur la durée.

Le théâtre est aussi un artisanat… Le T.N.S. a eu cette trouvaille de ne pas appeler ce travail : spectacle de sortie d‘école mais spectacle d’entrée dans la vie professionnelle. Et quelle entrée ! Sylvain Creuzevault a suivi ce Groupe 47 dont il faut citer tous les élèves: Jonathan Bénéteau de Laprairie, Juliette Bialek, Yanis Bouferrache, Gabriel Dahmani, Hameza El Omari, Jade Emmanuel, Felipe Fonseca Nobre, Chalottte Issaly, Vincent Padauc, Naïssa Randrianasolo, Lucie Rouxel, Thomas Stachorsky, Manon Xardel, sur scène. Et à la scénographie, Louise Beauseigneur et Valentine Lê ; aux costumes : Jeanne Daniel Nguyen ; à la lumière : Charlotte Moussié, au son : Lï Waridel, à la vidéo : Simon Anquetil, à la régie plateau :Léa Bonhomme, à la régie générale : Arthur Mandô et, comme assistant à la mise en scène ; Ivan Marquez. Le metteur en scène a travaillé avec eux pendant presque un an et a joint à ce Groupe 47, plusieurs de ses comédiens Boutaïna El Fekkak, Vladislav Galard, Arthur Igual, Frédéric Noaille.

Un grand spectacle qui est à la fois politique et populaire, a besoin d’un collectif fort et de cette importance où tous ces métiers sont aussi représentés. Les jeunes acteurs professionnels ont eu une formidable chance qu’ils n’auront plus de sitôt : participer à une aventure de cette envergure et cela aura au moins placé haut la barre de leurs ambitions et de leurs exigences. C’est toute l’histoire de l’Ecole du T.N.S… Déjà, Sylvain Creuzevault a choisi certains d’entre eux pour jouer dans Edelweiss (France Fascisme), un spectacle où il poursuit une réflexion engagée avec Esthétique de la résistance.

Christine Friedel

Spectacle vu à la Halle Gruber, Théâtre National de Strasbourg.

Les 9 et 10 juin, Printemps des comédiens, Montpellier (Hérault).

Du 9 au 12 novembre, MC 93-Bobigny (Seine-Saint-Denis) dans le cadre du Festival d’automne à Paris.

Edelweiss (France Fascisme), Théâtre national de l’Odéon-Ateliers Berthier, du 21 septembre au 22 octobre, dans le cadre du Festival d’automne à Paris.

La Vie est une fête, mise en scène de Jean-Christophe Meurice

La Vie est une fête, mise en scène de Jean-Christophe Meurice

Comment se portent Les Chiens de Navarre? Pas mal, merci. Mais leur regard sur la francitude (d’où la référence à la Navarre), ou la francité, voire même la franchouillerie, se fait, avec les temps qui ne valent pas mieux, de plus en plus cru… et cruel.
La fête commence dès que les spectateurs ont pris leurs places, par un débat aussi virulent qu’auto-phage (qui se dévore lui-même), à l’Assemblée Nationale –merci, cher public, pour la figuration- sur la retraite à soixante-quatorze ans (pourquoi pas?) dans ce cercle de d’actifs qui rêvent de n’être jamais… à la retraite.

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Les Chiens de Navarre ne se privent de rien : satire à deux balles, calembours du genre : sous-député/député saoul  ou burne-août quand la session parlementaire mord sur les vacances, trituration des idées reçues et lieux communs, au risque de les faire retomber sur leurs pieds, comme de bonne vieilles blagues sexistes… Bref, le ridicule tire sur tout ce qui bouge, ou ne bouge pas,et tue. Ou tuerait, si la folie n’explosait.

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Il faut croire qu’elle était déjà prête…Cela se passe entre dans un service d’urgence psychiatrique-, «l’un des rares endroits à recevoir quiconque à toute heure sans exception d’âge et de sexe», selon le metteur en scène. Là, tout est possible : violence sauvage, animale, confrontée aux efforts d’une sociabilité proprette, scatologie entre innocent caca-boudin  et clystère de Molière, sadisme médical, lent ballet amoureux commencé par des violences entre un C.R.S et un gilet jaune, tandis qu’une manif a lieu derrière les baies vitrées au lointain… Défaite et éjection d’un cadre de la « tech » pour cause d’âge (voir plus haut, la question des retraites) et obsolescence non programmée, du moins le croyait-il. Mais la folie ne fait que changer d’habillage et les tourments de l’actualité sont pris un par un sous le faisceau des projecteurs.
On rit: cela grince, c’est culotté et déculotté, maîtrisé par des acteurs engagés et valeureux: Delphine Baril, Lula Huot, Charlotte Laemmel, Anthony Paliotti, Gaëtan Peau, Ivandros Serodios, Fred Tousch et Bernie. Scénographie efficace de François Gauthier-Lafaye.Bref, du bon travail énergique et désabusé pour un robuste défoulement. Mais qu’on n’en demande pas plus… 

Christine Friedel

Jusqu’au 3 juin, Théâtre des Bouffes du Nord, 37 bis boulevard de la Chapelle, Paris (X ème). T. : 001 46 07 34 50.

 

Molière-matériau(x) de et avec Pierre Louis-Calixte

Molière-matériau(x)   de et avec Pierre Louis-Calixte

«Je t’appellerai Jean-Baptiste»: les premiers mots de ce portrait de Molière qui ressemble aussi aussi une confession intime sur l’influence que le grand dramaturge a pu avoir sur  l’acteur encore enfant, quand il jouait maquillé en Harpagon dans la salle de classe, puis enfin quand il fut appelé par Muriel Mayette pour reprendre le rôle de Cléante dans Tartuffe à, ce qu’on appelle encore et heureusement, la maison de Molière. Adolescent, il y vit ses pièces avec son autre grand-père. Donc une très ancienne et belle complicité avec le plus grand dramaturge français.

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Sur le plateau, une petite table avec une lampe, un fauteuil de salle et un portant avec des costumes. Au sol, quelques livres sur Molière dont il citera quelques extraits. Molière, un dramaturge et un personnage d’exception pour lui comme pour tout Français qui a lu ou au moins entendu quelques répliques. (Nous avions neuf ans seulement quand notre instituteur nous faisait lire les célèbres mots d’ Harpagon : «Ma cassette , ma cassette. »
Molière-matériau(x) est comme une sorte de monologue directement adressé à l’écrivain et acteur qui vécut dans une maison située à l’endroit où se trouve le Studio. «Quelque chose de sa personne privée, dit Pierre-Louis Calixte, que j’aimerais cerner, qui se devine dans ses pièces, comme voilé, entre les lignes, et qui me permettrait d’accéder à celui qu’il était derrière son masque de comédie, à celui qu’il était une fois le rideau tombé. Un rêve donc, une utopie, toujours devant, toujours fuyante, vers laquelle je marche. »

Mais à travers la vie de Molière, que l’acteur tutoie et appelle Jean-Baptiste « comme on le ferait avec un aïeul bienveillant », il a cherché et trouvé des correspondances entre sa vie et la sienne. Et la vie d’un acteur, c’est souvent passionnant. Pierre -Louis Calixte évoque les souvenirs qu’il a de son grand-père, et de sa canne qu’il a sur le plateau. Objets inanimés, avez-vous donc une âme, disait Lamartine. L’acteur raconte comme un signe du destin le canapé qu’il est allé acheter pour meubler sa loge dans un immeuble situé à Auteuil, petit village de campagne à l’endroit même où Molière allait écrire loin des tumultes de la ville. (Au début du XX ème siècle, il y avait encore des vaches place de la Muette ! )

Il raconte aussi qu’Éric Ruf lui avait téléphoné pour lui proposer  de faire un hommage à Molière, au moment où, chez ses parents, il voyait les dégâts de la maladie d’Alzheimer sur son père. Une mémoire qui disparait et une autre qu’il allait faire revivre. Comment ne pas être ému par cette coïncidence… Et nous savons tous que les histoires qui ne se racontent plus ou très peu, basculent vite dans l’oubli et surtout celles concernant le théâtre contemporain très fragiles et les représentations de pièces encore plus vite. Qui est ce Jean Vilar dont on voit le nom et le visage partout, nous demandait l’an passé à Avignon un jeune apprenti-comédien. Même chose à Chaillot quelques années seulement après la mort d’Antoine Vitez !
Pierre-Louis Calixte évoque aussi avec une émotion qui gagne vite le public une soirée où trois acteurs du Français dont le grand Daniel Znyk, jouaient à contrefaire le mort. Mais le soir même, celui-ci s’écroulait, victime d’une crise cardiaque dans le hall de son immeuble. Il avait joué notamment dans L‘Opérette Imaginaire de Valère Novarina, Cléante dans le Tartuffe de Molière, mis en scène par Marcel Bozonnet,  Géronte dans Le Menteur de Pierre Corneille et L’Espace furieux de Valère Novarina. Et  Pierre-Louis Calixte fait aussi le lien avec les mots d’Argan dans Le Malade imaginaire que Molière joua quatre fois seulement avant de mourir: « N’y a-t-il point quelque danger à contrefaire le mort ? » Et l’acteur se souvient sans doute de Louis Jouvet qui avait lu la prière de Willette à la messe du mercredi des Cendres à Saint-Germain-l’Auxerrois pour ceux qui vont mourir dans l’année. Il disparut six mois plus tard…
Et Pierre-Louis Calixte dit aussi avoir rencontré cette fois un personnage: Louis, le narrateur de Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce qui avait monté Le Malade imaginaire de Molière, alors qu’il se savait atteint par le sida. Et l’acteur arrive à faire partager avec le public, une question qui ne cesse de le tarauder. «Quel est l’étrange parcours des mots d’un personnage au-dedans du corps des acteurs ? Qu’est-ce qu’ils y sèment ? Pour engendrer quelles secrètes métamorphoses ?
Ce très bon acteur, sociétaire de la Comédie-Française, a aussi un don merveilleux de conteur et il nous embarque en un peu plus d’une heure dans son aventure humaine et artistique. Et quand il évoque la mort de Daniel Znik juste devant son costume de Cléante et que les couturières ont dû ensuite ajuster pour lui, c’est un grand moment de théâtre.
Mais pourtant cet acteur,  des plus expérimentés, a bizarrement par moments une diction approximative et surtout, au début, adopte un rythme saccadé : au neuvième rang de cette petite salle, on l’entendait très mal. A ces réserves près, ce solo très intense qui sonne toujours juste  (et garanti sans fumigènes et lumières stroboscopiques!) mérite amplement d’être vu.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 11 juin, Comédie-Française, Studio, Galerie du Carrousel du Louvre, place de la Pyramide inversée, 99 rue de Rivoli, Paris (Ier). .T. : 01 44 58 98 41

Le texte est publié aux éditions Actes Sud.

 

Breaking the Waves, d’après le film de Lars von Trier, musique de Missy Mazzoli , livret de Royce Vavrek, direction musicale de Mathieu Romano, mise en scène de Tom Morris `

Breaking the Waves, d’après le film de Lars von Trier, musique de Missy Mazzoli , livret de Royce Vavrek, direction musicale de Mathieu Romano, mise en scène de Tom Morris

5 Breaking the waves

DR S. Brion

Bess aime Jan, un étranger, employé sur une plate-forme pétrolière, mais son comportement amoureux hors-normes ne sied pas aux austères paroissiens. Jusque là, fidèle à son Eglise, elle découvre le plaisir sexuel, anticipant la nuit de noces dans les toilettes du banquet de mariage… Un pacte charnel l’unit à Jan, comme le pacte de bonté instauré avec Dieu, avec qui elle dialogue en faisant les questions et les réponses.
Elle baigne dans la joie physique et mystique… Jusqu’au jour où un hélicoptère rapatrie son homme blessé et désormais infirme. Jan demande à Bess, qui avait ardemment prié Dieu pour son retour, de coucher avec des inconnus afin que, par procuration, lui et leur amour soient sauvés.
Bess, avec toute sa bonté d’âme, se plie à son désir et se sacrifie. En « brisant les vagues » elle agit à contre-courant. Exclue de sa communauté à cause de sa vie jugée scandaleuse, elle finira dans le ruisseau, poignardée. Mais Jan guérira et lui survivra, Lars von Trier a voulu faire de cette bonté, la « force dynamique » de son film. «On confond souvent le bien avec autre chose -quand on ne le méconnaît pas totalement- et parce que c’est une chose tellement rare, des tensions naissent, forcément .»

© S Brion

© S Brion

Royce Vavrek a écrit un livret qui est fidèle au scénario et il essaye d’’expliciter ces tensions. Les paroissiens, la mère de Bess, Dodo sa meilleure amie, le médecin, n’ont pas la même conception qu’elle, de la bonté. Ils ne peuvent la suivre sur le chemin épineux qu’elle emprunte au nom de l’amour suprême.
Ici, un chœur de paroissiens amplifie le conflit entre Bess et les villageois à la doxa puritaine, qui n’entendent rien au dévouement christique de la jeune femme. En contrepoint, un chœur fantomatique incarne le dialogue de l’héroïne avec son Seigneur.  « Cet opéra est une sorte de Passion, dit le metteur en scène, une tragédie aux enjeux opposés où l’entourage de Bess voit bien sa profonde compassion mais ne peut faire autrement que de participer à sa destruction. Au fond, c’est ce thème qui distingue l’opéra, du film. »

Le spectacle n’est pas le brûlot de Lars von Trier et ne cherche pas à imiter l’inimitable. Missy Mazzoli instille dans sa partition, une douceur à la rudesse de cette tragédie. La musique va au plus profond dans la psychologie de l’héroïne. Pour entrer dans la logique de Bess et décentrer le thème -très critiqué à l’époque où le film est sorti- de la salvation masculine à travers un sacrifice féminin, la compositrice donne voix à Bess sous forme de nombreuses arias: une version opératique des gros plans cinématographiques. Solos instrumentaux, moments chantés a cappella ou avec des motifs répétés, traduisent les moments de tendresse ou d’intimité : «J’ai essayé de donner à Bess la faculté de chanter sa propre histoire pour exister, dit Missy Mazzoli. Et, même après le dénouement tragique, la compassion de Bess reste présente dans la musique. »

Sous la baguette de Mathieu Romano, l’orchestre transmet toute la finesse d’une composition qui procède par couches et mêle différents styles, avec parfois des accents de musique populaire. Il y a ici quelque parenté avec Benjamin Britten dans l’ornementation quasi baroque et les lignes vocales et instrumentales. Mais aussi la douceur de Claude Debussy et la grammaire répétitive de John Adams. Les instruments se détachent clairement pour les solos et duos intimes : basson, batterie, guitare électrique mais les amples phrases des cordes soutiennent les scènes tragiques.

Soutra Gilmour a imaginé une scénographie sobre et intelligente avec des colonnades. Sous les lumières de Richard Howell, conjuguées avec les projections vidéo de Will Duke, ces piliers deviennent contreforts d’église, falaise,  plateforme pétrolière… Le décor tourne pour nous emmener au sein de l’église, parmi les ouvriers de la plateforme ou dans les lieux de perdition fréquentés par Bess au troisième acte. Cette mobilité permet une fluidité dans la mise en scène et une liberté de mouvement des artistes.

L’interprétation évite le pathos, mais la scène sanguinolente du meurtre sacrificiel de Bess n’est pas sans rappeler la Crucifixion. Un effet un peu facile contrebalancé par la dernière séquence où Jan fait ses adieux au corps de Bess, qu’il a volé pour le confier à l’océan. La musique reprend les vibrants motifs pour un chant d’amour final.

Sydney Mancasola incarne avec une grande sensualité Bess McNeill. La soprano américaine à la voix chaude a fait ses débuts à l’Opéra de Los Angeles, dans la reprise de Breaking the Waves et interprétera bientôt Eurydice dans Orphée aux Enfers au Komische Oper de Berlin. Ses duos, avec le baryton américain Jarrett Ott (Jan), dans les positions érotiques les plus osées sont d’un grand naturel. Une belle performance partagée avec la mezzo-soprano canadienne, Wallis Giunta, (la confidente, Dodo, qui l’accompagne de ses arias affectueux). Il faut aussi saluer la prestance vocale et physique du chœur avec l’Ensemble Aedes Orchestre de chambre de Paris et les chefs de chant: Nicolas Chesneau et Yoan Héreau. Cette intervention du chœur n’a rien d’ornemental ni d’anecdotique.

Nous sommes entrés lentement mais sûrement dans cette tragédie d’aujourd’hui. La musique coule et l’on en perçoit toutes les subtilités grâce au jeu direct et sans esbroufe des chanteurs, à un livret sobre et à une direction musicale très présente. La teneur théologique de cette œuvre parlera sans doute davantage aux spectateurs anglo-saxons ou américains, plus sensibles au puritanisme. Lars Von Trier, comme Ingmar Bergman ou Carl Theodor Dryer, est travaillé par un mysticisme douloureux, mais dans son film, il montre aussi la pression sociale exercée- encore aujourd’hui- par les ultra-religieux dans les pays protestants.

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DR S. Brion

Il est intéressant de rencontrer une œuvre musicale actuelle qui, une fois n’est pas coutume, est signée d’une femme. A quarante-trois ans, Missy Mazzoli est un compositrice en vue aux Etats-Unis et qui se réjouit de l’essor de l’opéra dans son pays. Et les grandes maisons américaines passent beaucoup de commandes. Elle écrit actuellement pour le Metropolitan Opera de New York une adaptation du roman de George Saunders, Lincoln au bardo, où il y aura cent douze personnages. « Il y a, dit-elle, un grand appétit de musique et de récit, c’est un moment exaltant. »

Mireille Davidovici

 Jusqu’au 31 mai, Théâtre national de l’Opéra-Comique, 1 Place Boieldieu, Paris (II ème). T. : 01 70 23 01 31.

 

Circusnext : lauréats 2023

 Circusnext : les lauréats 2023

Sous la direction à Paris de Cécile Provôt, ce dispositif international fête Circusnext fête ses vingt ans. Anciennement Jeunes Talents Cirque fondé par Fred Cardon et labélisé par la Commission européenne, il a été mis en place pour soutenir le cirque contemporain en effervescence… Deux décennies à accompagner des artistes venus de partout et incontournables comme Baro d’Evel, Camille Boitel, Galaktik Ensemble, Alexander Vantournhout… Et bien d’autres qui ont conquis les pistes de cet art hors classe. Circusnext  doit bientôt s’installer à la Ferme Montsouris, un nouveau lieu de la Ville de Paris consacré au cirque. Une promesse de belles découvertes.

Un jury de professionnels et artistes des nations partenaires a, en février 2022, sélectionné sur dossier parmi cent dix-neuf artistes, trente-six qui ont bénéficié de laboratoires dans cinq pays d’Europe. Parmi eux, douze finalistes ont eu droit à une coproduction et à des résidences dans les lieux membres de Circusnext Plateforme en Europe. A l’arrivée, quatre projets de spectacles sont présentés sous un format de vingt minutes: des travaux en devenir mais suffisamment aboutis. Dans leur singularité, ils témoignent de l’être au monde des artistes. Poétiques, politiques, drôles ou étranges, ils ont tous un fort potentiel qui convaincra sans doute les lieux de résidence ou diffusion de les accueillir pour peaufiner leur travail,  et pour ensuite les programmer.

Cá entre nós par la compagnie Doisacordes

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© Christophe Reynaud de Lage

Encordés, accordés, désaccordés, le Chilien Roberto Willcock et le Brésilien Thiago Souza se livrent à un jeu de pouvoir avec pour accessoire de longues cordes: qui entravera l’autre ou lui échappera ? L’un veut dominer mais l’autre réussit à s’esquiver. Par de savantes manipulations de leurs agrès, avec des nœuds qui se font, se défont ou coulissent, ils sont d’une grande précision au sol comme dans les airs.

De violent à ludique, ce numéro dit les rapports de force mais aussi un essai d’équilibre pour nouer des relations autres… Cá entre nós : une expression brésilienne impliquant une confiance, que l’on peut traduire par : « cela reste entre nous”. Ces artistes qui se sont connus à l’École nationale de cirque du Brésil, ont installé leur compagnie à Barcelone en 2022 : cette première création sera finalisée dans deux ans. Avec un savant jeu de lumières, une sobriété gestuelle, une construction cohérente et une solide maîtrise corporelle, un beau duo en perspective…

Masha par la compagnie Palimsesta

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© Christophe Reynaud de Lage

 Étrange dispositif : une étroite piste revêtue de graisse où deux silhouettes, torse nu et se font face. L’homme massif, la femme frêle, à genoux ou assis sur le sol luisant d’une scène bi-frontale, glissent l’un vers l’autre puis reculent ou pivotent. Nous les voyons donc de profil. Cette progression lubrifiée semble d’abord aisée, voire agréable, mais quelques difficultés surviennent rendant alors toute avancée impossible. «La graisse glisse de nos corps sur le sol : faire un pas en avant implique le risque de glisser» disent Andrea Rodriguez de Liébana chercheuse circassienne, enseignante et architecte et Sergio González, à la fois travailleur social et artiste.

Avec cette première collaboration commencée en 2021 et au résultat prévu pour 2024 ils veulent:« Fournir une histoire critique sur l’annulation du sujet, à travers les nouvelles formes de capitalisme. ».Masha, construit sur la tension entre burlesque, et tragique, met en évidence de façon très fine, dans cette proximité, les tactiques de corps adverses pour rester debout et continuer. En faisant observer de près ses tentatives pour aller vers l’autre et dépasser les difficultés, Masha exprime la force vitale qui anime les individus.

 Fora d’Alice Rende

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Christophe Reynaud de Lage

 Enfermée dans une haute et étroite cage de verre face à un miroir, la contorsionniste va essayer d’en sortir. « Fora » signifie dehors, en portugais, catalan, occitan, sarde… Comment échapper à cette prison aux murs lisses ? Colère, rage et désespoir n’y feront rien. Alice Rende avec des reptations spectaculaires apprivoise l’espace et se hisse après plusieurs glissades hors de ce cercueil transparent, métaphore de la condition féminine et de l’aspiration à en sortir.

Encore faudra-t-il s’habituer à la liberté et une fois dehors rejeter l’aliénation qui habite encore son corps. Ce que nous réserve la seconde partie de cette puissante et élégante narration corporelle. Fora verra le jour à la B.I.A.M., à Marseille, l’hiver prochain. Ce sera le deuxième solo d’Alice Rende, italo-brésilienne formée à l’Ecole Nationale de Cirque du Brésil, puis à l’Ecole Supérieure des Arts du Cirque de Toulouse où elle avait créé son premier solo: Passages.

 Le Repos du guerrier d’Édouard Peurichard

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© Christophe Reynaud de Lage

Ce Français, acrobate, jongleur et lanceur de couteaux, va nous parler de son parcours lié à ses spectacles mais aussi de ses expériences en « cirque adapté», une pratique utilisant le cirque comme moyen pédagogique ou thérapeutique. Né en milieu hospitalier pour aider les handicapés, cette pratique s’ouvre aujourd’hui à un public plus large dont des jeunes en rupture. Son but : retisser les liens sociaux.
Petite démonstration avec un spectateur, ici un adolescent souriant. Édouard Peurichard montre, comment établir des liens de confiance à partir de situations déstabilisantes… Mais rien de pédagogique dans ce solo humoristique où son auteur nous fait voir le cirque sous un jour nouveau. Le repos du guerrier  sera finalisé le 1er octobre prochain à la Grainerie à Toulouse.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 25 mai au Théâtre de la Cité Internationale, 17 boulevard Jourdan, Paris (XIV ème) T. : 01 85 53 53 85.

www.circusnext.eu

In Situ,performance, texte de Patrick Bouvet, mise en scène de Joël Jouanneau

In Situ, performance, texte de Patrick Bouvet, mise en scène de Joël Jouanneau

Un spectacle en co-réalisation avec le Théâtre Nanterre-Amandiers-Centre dramatique national. Il y a plus de vingt ans, Patrick Bouvet, chanteur et compositeur dans un groupe rock, auteur d’installations sonores, publiait ce texte où il convoque habilement en une écriture répétitive: faits de guerre, terrorisme, camps de réfugiés, périphéries de villes, déserts criblés d’obus, frontières et zones de transit, aires de surveillance généralisée et une femme qui « aurait traversé les barrages avec une arme à feu dans son sac.  »
Patrick Bouvet n’est pas un inconnu au théâtre puisque
Shot  et Direct avaient été mis en scène en 2003 par Cyril Teste avec le collectif MxM au festival d’Avignon. «Un texte disait le metteur en scène, est avant tout une parole; le travail musical, que nous avons expérimenté avec les comédiens et le compositeur sous forme de lecture à la table, reste pour nous primordial. À l’installation à partir d’une mise en voix et d’un travail vidéo sur les rouages de l’information télévisuelle et des conséquences que cela peut avoir sur un événement réel… »

 

© Géraldine Astrénai

© Géraldine Aresteanu

Joël Jouanneau met aujourd’hui en scène ce In Situ avec simplicité et très efficacement, avec la très bonne actrice Cécile Garcia Fogel que l’on a souvent vue dans les mises en scène de Christopher Rauck (voir Le Théâtre du Blog), et avec le musicien Pierre Durand. Cet écrivain maintenant confirmé faisait apparaître en 2003 de nombreuses images qui sont maintenant d’une incroyable actualité. »Les grands poètes, les philosophes, les prophètes, disait déjà Charles Baudelaire, sont des êtres qui, par le pur et libre exercice de la volonté, parviennent à un état où ils sont à la fois cause et effet, sujet et objet. 

Sur le plateau, rien que les nombreuses boîtes à pédale pour le son, disposées et une sorte d’aide-mémoire écrit à la craie. Cette performance est rythmée à la fois par les accords de guitare, une partition additionnelle de sons et la langue. Celle que fait brillamment entendre Cécile Garcia Fogel qui dit toute la difficulté qu’ont les pauvres humains à vivre sur une planète où leurs grands-parents, leurs parents et eux-même ont tout fait pour ne plus avoir le contrôle de ce qui se passe et va se passer dans un proche avenir.
« Un désastre esthétique doublé d’un fiasco technique » (…) «Dans un premier temps il faut éviter de jeter de l’huile sur le feu » il faut éviter le général président il peut faire faire fleurir la mort il peut jeter les enfants dans le feu le général président est un arbre mort(…) Du matériel de surveillance a été placé dans un dirigeable publicitaire qui tourne en permanence du matériel publicitaire a été placé du matériel publicitaire qui tourne en permanence la sécurité est à son niveau maximal en permanence du matériel publicitaire à son niveau maximal (…) Les ordinateurs serviront à vendre le site des ordinateurs dans les fonds marins des ordinateurs ivres de requins au centre d’un site sacré. »

Cécile Garcia Fogel, en pantalon noir et chemise blanche, a une gestuelle et diction impeccables et s’empare de ce texte avec la grande maîtrise qu’on lui connait. En une heure et quelque, elle réussit sans difficulté à faire passer ce flux poétique insolite, bien entendu influencé par la musique répétitive qu’a su créer son auteur. Côté mise en scène, nous aurions aimé que Joël Jouanneau la fasse parler de temps en temps sans micro. Quel bonheur d’entendre alors sa belle voix quelques minutes sans ! Et il aurait pu nous épargner ces jets de fumigène inutiles et polluants (pour nous, le quatrième en quatre jours!)
A ces réserves près, une performance chaleureusement applaudie qui mérite d’être reprise.

 Philippe du Vignal

Performance jouée du 23 au 27 mai au Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette. T. : 01 43 57 42 14.

Portrait d’une femme de Michel Vinaver, mise en scène de Matthieu Marie avec les élèves du studio de formation théâtrale à Vitry-sur-Seine

Portrait d’une femme de Michel Vinaver, mise en scène de Matthieu Marie avec les élèves du studio de formation théâtrale à Vitry-sur-Seine

Fondée par des comédiens, cette école assure des formations de trois ans, avec « l’apprentissage des outils essentiels que sont le corps, la voix et l’imaginaire » et cours d’interprétation, diction, chant, danse, histoire du théâtre et dramaturgie. Il prépare aussi aux concours des écoles nationales. Sous la gouverne de Matthieu Marie, les onze élèves de dernière année interprètent cette pièce peu jouée: un travail déjà bien avancé :  en une dizaine de jours, le metteur en scène a réussi à garder la fluidité du texte, éclaté en brèves séquences bousculant la chronologie et l’unité de lieu.

En 1953, un procès défraya la chronique. Celui de Pauline Dubuisson, 26 ans,  jugée et condamnée pour le meurtre de son amant, tué à bout portant à son domicile.  Michel Vinaver, intéressé par l’affaire en collecte tous les comptes-rendus dans le journal Le Monde. A cette époque il a déjà  publié deux romans : Lataume et L’Objecteur, chez Gallimard sous l’impulsion d’Albert Camus mais ne tournera vers le Théâtre que plus tard, avec Les Coréens (1956). Ce n’est que trente ans plus tard qu’il écrira Portrait d’une femme.

 Avec le recul du temps, il reconstitue le procès de la criminelle devenue de l’énigmatique personnage de Sophie. Déclarations de l’accusée, témoignages et plaidoiries se mêlent de courtes scènes : reconstitution du crime, rencontre de son amant et Sophie à la Faculté de médecine, errances sentimentales de la jeune femme et différents avec ses parents… La pièce nous plonge dans la France de l’après-guerre et fouille l’adolescence de Sophie pendant cette période trouble, où elle a perdu ses deux frères et s’est liée avec des occupant allemands. «  Elle ne pouvait pas ne pas être coupable » dit son avocate, dans la pièce.

 

© Hervé Bellamy

© Hervé Bellamy

Rien n’arrête le flux des séquences qui passent rapidement d’un lieu à l’autre et enjambent les époques. Les mots sont précis, les prises de paroles brèves et ce groupe de jeunes comédiens interprète ce texte d’un rythme nerveux, sans décor,  avec quelques accessoires pour changer de personnage. Alexandre Bécourt, Arthur Boucheny, Lou Dubernat, Inès Fakhet, Grégory Gilles, Clémence Henry, Kessy Huebi-Martel, Matéo Nédellec, Julien Ottavi, Joana Rebelo, Emile Rigaud, Malou Vezon s’engagent à fond dans leurs rôles.

Matthieu Marie, un familier de l’œuvre de Michel Vinaver, a notamment mis en scène La Visite du chancelier autrichien, un plaidoyer contre l’extrême-droite où l’auteur dresse le portrait d’une Europe aux prises avec ses démons. Il veut poursuivre ce travail et le dramaturge, qui en avait vu une ébauche quelques jours avant sa disparition, l’avait encouragé.  Souhaitons qu’il y parvienne car nous avons eu  plaisir à découvrir une écriture brillante et la spontanéité des jeunes acteurs.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 25 mai au Théâtre de la Reine blanche, 2 bis passage Ruelle, Paris (XVIII ème).  T. :  01 40 05 06 96.  info@alv-communication.com
Portrait d’une femme de Michel Vinaver est publié chez Actes Sud.,

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