Journée de noces chez les Cromagnons, texte et mise en scène de Wajdi Mouawad (en libanais, surtitré en français )

Journée de noces chez les Cromagnons, texte et mise en scène de Wajdi Mouawad (en libanais, surtitré en français)

Cette comédie qui finit mal avait été jouée au Printemps des comédiens à Montpellier. Sa création à Beyrouth avait été annulée «en raison de pressions inadmissibles et de menaces sérieuses par certains activistes». Wajdi Mouawad avait signé un texte prônant la réconciliation entre Israéliens et Palestiniens!
C’est sa deuxième pièce (1991) qu’il dédie «à tous ceux qui n’ont pas existé parce que leurs parents n’avaient pas fait l’amour cette nuit-là ; pour m’avoir si souvent donné raison d’espérer ». Un texte qu’il a plusieurs fois revu et corrigé qu’il avait écrit à partir de ce qu’il a subi à Beyrouth, quand la guerre civile a commencé en 75. A dix ans, il a assisté à des scènes traumatisantes dans ce pays qui commençait à n’en être plus un, comme nous le disait un vieux diplomate libanais réfugié à Paris.

© Simon Gosselin

© Simon Gosselin Après avoir tué le mouton…

Wajdi Mouawad raconte le quotidien d’une famille. Avec l’aide de leur voisine (Bernadette Houdeib) une mère très envahissante (Aïda Sabra) prépare le mariage de sa fille aînée Nelly (Layal Ghossain) qui  reste dans sa chambre, figurée ici par un grand caisson translucide où on la voit en silhouette.On l’entend seulement dire très souvent vouloir «aller à Berdawné pour manger du knefé.» Cette mère parle beaucoup, dirige les opérations et au passage, engueule régulièrement son fils Neel en proie à une instabilité psychique (Aly Harkous). Néyif, le père (Fadi Abi Samra) va tuer un gros mouton et le préparer. Au fond du plateau, à travers une fenêtre haute, Jean, un double de Wajdi Mouawad (Jean Destrem) qui est au Québec, la neige tombe!  Et on le voit derrière une fenêtre haute, téléphoner à sa famille restée au Liban et taper à la machine un texte sur le thème de cette pièce. A la fin, arrive le fiancé endimanché de la fille aînée.

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©Simon Gosselin

Dans cette maison-cocon chaleureuse, toute en bois clair avec plafond, imaginée par Emmanuel Clolus,  cette famille essaye d’oublier la guerre civile avec ses francs-tireurs, le bruit presque permanent de tirs à la mitraillette, les bombardements et le tonnerre de l’orage (remarquable travail sonore d’Annabelle Maillard). Mais la fin sera tragique : Neel mourra d’une balle perdue sur la table du festin prévu couverte de pétales rouges et la nappe lui servira de linceul!
« Voulant écrire une pièce sur Kafka, j’ai fini par écrire une pièce sur ma propre famille libanaise écrivait Wajdi Mouawad dans la préface de la pièce éditée en 2010. Quelque chose dans cette contorsion a déterminé ma position au monde et mon rapport à l’autre, quelque chose dans cette courbature m’a permis de m’arracher à la rancune que le monde de mes parents a nourrie envers tous ceux qui n’étaient pas du même village, de la même confession, de la même pensée. Faisant le lien intellectuel entre les trois mondes, il n’y avait plus d’Ancien ni de Nouveau, il y avait simplement l’arrachement à une partie de mes délires, l’arrachement à l’idée du « même », à l’idée même du «pas comme ». « Celui-ci est le même que nous, celui-là n’est pas comme nous ».
Les douleurs et les rancunes de mes parents, aussi légitimes soient-elles, n’ont pas à être les miennes et ceux-là même qu’ils honnissent, sont ceux et celles qui m’ont permis de comprendre mon monde et m’ont apporté éveil et joie. Le malheur ne m’intéresse pas. La vie est faite pour parler infiniment avec ses amis et n’avoir qu’une ou deux conversations avec ses parents. »

C’est un travail de mise en scène très précis réalisé par l’auteur lui-même dans sa langue maternelle et la pièce est remarquablement jouée et très bien sur-titrées mais les petites scènes de ce texte inégal et sans doute trop long (deux heures!) se succèdent sans beaucoup de rythme, surtout au début. Et attend-t-on trop longtemps le frère, Walter qui ne revient pas et les invités! Le spectacle piétine et aurait gagné à être élagué.
Comme dans toute son œuvre, le pays qui est resté le sien, est bien là: «Les artistes encore présents et les autres comme moi, sommes un résumé de Libanais, ceux qui ont quitté le pays durant la guerre et ceux qui y sont restés. Et pourtant, chacun de nous n’avait pas le choix. Il le lui a été dicté, nous sommes les jouets du destin, mais nous portons en nous, à travers notre expression artistique, la responsabilité de la mémoire. »
C’est aux meilleurs moments de cette re-création, ce que l’on ressent. Et dans les temps incertains que nous vivons, personne ne peut rester insensible à ce que nous dit Wajdi Mouawad avec cette fable contemporaine…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 22 juin, Théâtre de la Colline, rue Malte-Brun. Paris (XX ème). 

Journée de noces chez les Cromagnons, éditions Leméac. Actes Sud‐Papiers.

 


Archives pour la catégorie actualites

Ce que j’ai dans la tête par Jacques Livchine, codirecteur avec Hervée de Lafond, du Théâtre de l’Unité à Audincourt ( Doubs).

 Ce que j’ai dans la tête

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Ma cousine Nadine, quatre-vingt dix ans, a vu sa mère partir, quand elle avait huit ans et ne plus jamais revenir! S’il y avait un scanner du cerveau capable de lire toutes les pensées, voilà ce qu’il trouverait dans le mien:  affamer volontairement dix millions d’humains et qu’à cent-quatre vingt dix pays dans le monde, on ne soit pas capable d’arrêter ce qui semble être un vrai génocide, occupe une bonne part de mes pensées.
Franchement, on monterait une coalition internationale pour faire passer à Gaza les 2.000 camions humanitaires chargés de vivres qui attendent, je m’inscrirai. Je viens de voir Fanon, un film sur la colonisation française en Algérie qui retrace le parcours de Frantz Fanon, psychiatre martiniquais et chef de service à l’hôpital de Blida en 1953. Les Français, massacreurs et tortionnaires, considéraient les Algériens comme des sous-hommes. En filigrane, je voyais Israël.
Il reste terrifiant qu’un groupe de Juifs mène cette opération d’effacement de la carte, d’humains, quasiment tous innocents, et on ne m’empêchera jamais de penser que ma grand-mère Betty et ma tante Ketty ont été assassinées à Sobibor le 25 mars 1943. Elles n’avaient commis aucun crime pour qu’on abrège leur vie de la sorte. Et que certains de mes compatriotes soient encore capables de justifier ou de nier ces agissements, me navre.

Par-dessus le marché, Donald Trump qui se dit si soucieux de la vie humaine, continue ostensiblement d’alimenter Tsahal en dollars et en armes. Et le qualitatif d’antisémite est décerné sans vergogne à celles et ceux qui s’opposent à  cette politique injustifiable.

Jacques Livchine, codirecteur avec Hervée de Lafond, du Théâtre de l’Unité à Audincourt ( Doubs).

 

L’Hôtel du Libre-Echange de Georges Feydeau en collaboration avec Maurice Desvallières, mise en scène de Stanislas Nordey

L’Hôtel du Libre-Echange de Georges Feydeau, en collaboration avec Maurice Desvallières, mise en scène de Stanislas Nordey

Créée à Paris en 1894 au Théâtre des Nouveautés, ce vaudeville connait un succès considérable et est l’une des œuvres les plus célèbres de l’auteur. Et souvent mise en scène, entre autres, à la Comédie Française par Isabelle Nanty, ou adaptée pour la télévision.
Pinglet, entrepreneur en bâtiment, marié à une femme peu séduisante, est amoureux de l’épouse de son ami et associé, l’architecte Paillardin. Celui-ci devant s’absenter, elle accepte un rendez-vous secret avec Pinglet dans un hôtel minable: « Sécurité et discrétion ! Hôtel du Libre-échange, 220 rue de Provence! Recommandé aux gens mariés… Ensemble ou séparément! » dit un curieux prospectus. Mais personne ne sait que Paillardin se trouve aussi dans cet hôtel de passe où ont aussi rendez-vous la domestique de Pinglet et le neveu de Paillardin. Et encore Mathieu, un ami de province venu à Paris avec ses quatre filles qui vont aussi atterrir dans ce fameux hôtel. D’où mensonges et quiproquos en série…

Stanislas Nordey avait déjà remarquablement mis en scène La Puce à l’oreille en 2002 et revient à Georges Feydeau avec des acteurs confirmés: Claude Duparfait (Paillardin), Marie Cariès (Marcelle) Cyril Bothorel (Pinglet) et Hélène Alexandridis (l’épouse  de Pinglet). Stanislas Nordey nous avait dit il y a quelques mois son envie de monter cette pièce en lui redonnant une certaine fraîcheur, mais sans suivre les didascalies de cette pièce-culte.

©Jean-Louis Fernandez

©Jean-Louis Fernandez

Emmanuel Clolus a imaginé pour cet atelier d’architecte,  de hauts murs avec juste une fenêtre haute et trois portes, couverts de phrases en gris caractères et issues des didascalies initiales répétées (ce qui bouffe le jeu des acteurs) : » Deuxième plan, en pan coupé, grande table-bureau porte ouvrant sur l’antichambre,  baie vitrée. À gauche, deuxième plan, autre porte en pan coupé. Un fauteuil et trois chaises, etc.
L’hôtel minable est représenté par une grand couloir central avec deux chambres en longueur… pas très commodes pour le jeu. Et il y a, par deux fois, un grand châssis avec une  tête d’autruche grand format: en deux parties, il s’ouvre,  à la fin, pour laisser passer les personnages. Comprenne qui pourra.  Et on a vu ce scénographe mieux inspiré.

© Jean-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez


Raoul Fernandez a, lui,  conçu des costumes à la fois actuels mais aussi début vingtième siècle pour les agents de police,  et des jupettes blanches en tulle moussant identiques pour les femmes et les hommes séjournant provisoirement dans cet Hôtel du Libre-Echange. Là aussi, sans doute à la demande Stanislas Nordey mais bon?
Le spectacle est mis en scène avec une grande précision avec quatorze interprètes, mais  sur ce vaste plateau, ils semblent un peu perdus. Alors que le théâtre de Georges Feydeau exige une espèce de huis-clos où sont enfermés ces hommes et ses femmes, pas plus bêtes que d’autres, mais pris au piège de leurs envies. Nous n’avons pas bien saisi les intentions du metteur en scène qui fait basculer la pièce vers un no mans’ land surréaliste où le comique n’est pas au rendez-vous.
« Il a su, dit Stanislas Nordey, peut-être le mieux au cours du siècle précédent, explorer la vie du cauchemar éveillé, de la fantaisie inquiétante, sans limites de vraisemblance. J’aime beaucoup le rythme de sa langue écrite avec une précision fascinante. Ce sont le démontage et l’assemblage de ces mécanismes qui m’intéressent. »  Oui, mais ici on n’en retrouve guère la trace.


© Jean-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez

La faute aussi à une direction d’acteurs approximative. Pourquoi faire toujours crier la petite bonne, et trop souvent les protagonistes? Pourquoi faire du patron de l’hôtel, une espèce de grande folle mais sans vraiment aller jusqu’au bout dans le délire? Et Stanislas Nordey aurait dû faire mieux entendre le texte, souvent boulé par les acteurs: le public au balcon, tendait l’oreille, ce qui n’est pas normal. D’autant que les éclairages pas très réussis   étaient parcimonieux et empêchaient de bien voir les visages des acteurs.
Le spectacle (trois heures, entracte compris, ce qui est trop long) fonctionne au ralenti, et sans le rythme et l’énergie nécessaires à ce vaudeville. Stanislas Nordey aurait dû accélérer la fin: pas la meilleure de l’auteur qui ne sait pas trop comment conclure… Le public rit parfois mais il y a eu de nombreuses désertions après l’entracte et les applaudissements n’ont guère été chaleureux. « Les pièces de Feydeau, écrivait Marcel Achard (1899-1874) , un auteur bien oublié aujourd’hui mais lucide, ont la progression, la force et la violence des tragédies. Elles en ont l’inéluctable fatalité. »
C’est aussi cela qui manque cruellement ici. Et, à relire la pièce, on ne sent pas non plus le rapport obsessionnel aux objets qui caractérise ces personnages. Tout se passe comme si Stanislas Nordey avait voulu tirer le texte vers une imagerie, sans avoir la maîtrise du temps et de l’espace indispensables quand on met en scène une pièce de Georges Feydeau. Bref, malgré de bonnes intentions, l’ensemble ne fonctionne pas comme dans La Puce à l’oreille recréée avec simplicité et qui était un régal.  Dommage.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 13 juin, Odéon-Théâtre de l’Europe, place de l’Odéon, Paris (VI ème).
T. :  01 44 85 40 40.

Que d’espoir ! Cabaret théâtral d’Hanokh Levin, textes français de Laurence Sendrowicz, mise en scène de Valérie Lesort

Que d’espoir ! Cabaret théâtral d’Hanokh Levin, textes français de Laurence Sendrowicz, mise en scène de Valérie Lesort

A la base, un montage de textes issus de différents cabarets d’Hanokh Levin, dramaturge israélien (1943-1999) bien connu en France où il est souvent joué (voir Le Théâtre du Blog). Valérie Lesort avait en 2016, signé l’adaptation et une mise en scène fabuleuse avec Christian Hecq de Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne.Elle a aussi écrit, mis en scène et joué entre autres Le Cabaret horrifique à l’Opéra-Comique. Et en 2019, Petite balade aux enfers, adaptée d’Orphée et Eurydice de Gluck. Toujours avec Christian Hecq elle en scène Ercole amante de Cavalli à l’Opéra Comique en 2019.  Un an après, Christian Hecq et Valérie Lesort mettent en scène Le Bourgeois gentilhomme de Molière à la Comédie Française.
Elle signe la mise en scène de 
La Périchole d’Offenbach à l’Opéra-Comique il y a trois ans et la même année crée un merveilleux Voyage de Gulliver. Tous ces formidables spectacles (voir Le Théâtre du Blog ) ont reçu de nombreux prix.
Avec cinquante-deux pièces au titre souvent incendiaire comme celui de sa dernière: Toi, moi et la prochaine guerre,  Hanokh Levin a, sa courte vie durant, toujours fait une critique virulente de la réalité socio-politique de l’État d’Israël et a souvent lutté contre la censure; ses dialogues sont pleins d’humour et ses personnages hors norme et volontiers exubérants mais aussi pleins de tendresse. « 
L’universalité du sujet, la diversité des âges et des milieux sociaux des protagonistes,dit Valérie Lesort, ce constat que nous sommes, finalement, tous égaux face à la mort, a éveillé en moi une idée :je voudrais que les personnages se transforment à vue, qu’ils échangent certaines parties de leurs corps et de
leurs visages.  »

Et sur le plateau? Cela commence par une belle mais courte scène avec l’arrivée par la porte du rideau de fer abaissé d’un grand homme chauve aux grosses lunettes, cravate raide et  tennis bleu, parfaitement ridicule. Puis Charly Voodoo, du cabaret de Madame Arthur à Paris joue superbement au piano les chansons qu’il a écrites. Aucun autre décor autre qu’un rideau de perles noir et quelques accessoires et le spectacle est surtout fondé sur le jeu des acteurs. Céline Milliat-Baumgartner, Hugo Baron, David Migeot et Charly Voodoo, tous très expérimentés, font un boulot d’une remarquable précision.
Puis les sketches ou plus exactement des extraits, se succèdent. Ainsi une femme est coiffée d’un chapeau-sac de courses à roulettes qu’un homme voudrait absolument se procurer. Un client attend à la réception d’un hôtel et exige des services qui lui sont dus. Il y a aussi un violent conflit entre une épouse et son mari qui lui a demandé de lui passer le sel; elle entre en colère et l’accuse d’être impuissant.
Un homme (un travesti) encombré d’un caddie cherche à passer dans une rangée de spectateurs pour rejoindre la scène. Une femme aux seins et fesses provocants veut se faire offrir par le vendeur un hot-dog et en souligne la connotation sexuelle évidente pour rêver un peu… Une autre femme (en fait, un travesti)  plusieurs fois parle de ses boutons aux pieds, allant jusqu’à se déshabiller et laisser entrevoir un slip taché de merde. Ou encore une femme vient nettoyer la tombe de son mari et fait quelques commentaires…

 

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Carole Allemand a conçu des costumes avec prothèses d’énormes hanches et seins, des perruques en plastique dur noir, gris, jaune, de sombres moustaches, le tout impeccablement réalisé. Mais ce travail signé par une metteuse en scène aussi expérimentée que Valérie Lesort ne fonctionne pas.
Il y a d’abord une question de dramaturgie et ces courts extraits de plusieurs textes mis bout à bout ne font pas et ne feront jamais un cabaret, même avec quelques chansons accompagnées au piano par son auteur.

Par ailleurs, les interprètes qui jouent de nombreux personnages, ont plus l’allure de figurines-jouets en plastique rigide type poupée Barbie mais ne sont en rien des femmes et des hommes auxquels on pourrait s’attacher, même quelques minutes.  Et leurs petites histoires tombent à plat. Donc, on ne rit pas et on n’est pas ému un instant. Enfin, comme les acteurs doivent sans cesser changer de costumes et de prothèses, il leur faut du temps et il y a un cruel manque de rythme.
Cela fait quand même beaucoup d’erreurs et ce
Que d’espoir est long comme un jour à New York sans hot-dog… Et on est loin d’un véritable cabaret. Un 8 mai avec pont, la salle n’était pas très pleine, ce qui n’arrangeait rien. Vous aurez compris que nous ne pouvons vous conseiller ce « cabaret théâtral »: une forme hybride  et malgré des aspects provocants, qui reste assez timorée. Ce n’est ni vraiment du cabaret ni du théâtre. Et très loin des « cabarets satiriques » d’Hanokh Levin. Dommage…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 13 juillet, Théâtre de l’Atelier, place Charles Dullin, Paris (XVIII ème). T. : 01 46 06 49 24.

Les textes français de Laurence Sendrowicz sont parus aux éditions Théâtrales.

 

Médecine générale d’Olivier Cadiot, mise en scène de Ludovic Lagarde

 Médecine générale d’Olivier Cadiot, mise en scène de Ludovic Lagarde

L’aventure théâtrale de ces compères est singulière: pour Ludovic Lagarde, une vingtaine de mises en scène des pièces de l’auteur et pour Laurent Poitrenaux, une dizaine de spectacles comme acteur. L’extraordinaire Colonel des zouaves, créé en 97, premiers temps de leur complicité à Lorient, est toujours en tournée !
Un texte de cet auteur suscite la curiosité et révèle un esprit ouvert à la poésie. Ces artistes se connaissent depuis plus de trente ans et nous surprennent encore dans leur recherche d’un langage littéraire et théâtral hors du commun. Leurs spectacles, tous originaux, nous ont souvent ébloui ou laissé perplexe, mais jamais indifférent !
Médecine générale publié en 2021 aux éditions P.O.L., a été créé en 2023, à la MC 93 à Bobigny. Le titre de ce roman-fleuve interpelle déjà. Et comment réussir à adapter au théâtre, ces quatre cents pages en une heure quarante?
C’est tout l’art de la prose d’Olivier Cadiot et de la mise en scène de Ludovic Lagarde. Écriture, adaptation et musique forment aussi un trio indissociable dans leurs créations. Le Credo d’une messe de Joseph Haydn, interprété ici par l’acteur et musicien Alvise Sinivia qui en a aussi créé le son et la musique, ouvre le spectacle : élégance et douce mélancolie s’emparent de l’espace gris et sobre, avec, seul sur le plateau, un piano à queue

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© Mariano Barrientos

Closure (Laurent Poitrenaux), écrivain-artiste qui a perdu son demi-frère, Mathilde (Valérie Dashwood), anthropologue revenue dans son pays après des années de terrain chez les Indiens d’Amazonie, Pierre (Alvise Sinivia) orphelin et musicien et prêt à toutes les expériences, sont en souffrance. Solitaires, ils décident de repartir à zéro! Utopie ? Pour mener à bien cette expérience existentielle, ils vont habiter une maison isolée et à l’abandon, celle de l’enfance de Mathilde.
L’écrivain offre au spectateur et/ou au lecteur, un vaste et singulier horizon sur le sens des choses et de l’existence: récit romanesque et poésie s’entrelacent. Abstraction et détails concrets, matérialité finissent par construire un paysage imprévu, drôle et à la fois étrange dans le cheminement des personnages. Cette construction esthétique peu banale  et ici mise en scène, s’avère quelquefois déroutante mais c’est parfait! Le théâtre ne doit pas offrir aux spectateurs ce qu’ils connaissent d’avance. C’est là, chose accomplie !
Le texte fragmenté est en effet déconcertant et on peut s’y perdre mais laisse advenir un réel qui s’apparente à une œuvre picturale, sonore et poétique. Dense avec une théâtralité sous-jacente, la langue d’Olivier Cadiot avec ses couleurs réussit à faire vibrer la grisaille, la morosité et le manque d’audace de notre temps! Elle appartient à la philosophie et à la politique, indispensable à la profondeur de l’art théâtral.
De ce roman-fleuve sophistiqué, le metteur en scène a su, avec cette adaptation, agencer subtilement dans l’espace, monologue introspectif en voix off, narration et dialogue souvent subjectif, avec le jeu et la corporalité des interprètes.
Il nous met avec finesse en contact avec le thème majeur de cette œuvre : la quête du sens des choses et de la vie. Par bonheur, cette poursuite ardue entreprise par les  personnages ne manque pas d’ironie, d’humour… et de vague à l’âme. Des êtres marqués par la vie : «Une trinité à la fois unie et divisée, dit Ludovic Lagarde, un triangle dont chaque sommet ne cesse de se repositionner par rapport aux deux autres: la possibilité d’une figure, comme la possibilité d’un écart. »

Géométrie et musique : les mots sonnent bien au regard de l’esthétique d’Olivier Cadiot. Le rythme et le dessin se tracent au fil de sa prose et les images sont ici remarquablement mises en mouvement grâce, entre autres, à la scénographie claire et évocatrice d’Antoine Vasseur. Et les belles vidéos de la campagne crées par Jérôme Tuncer, figurent le voyage en train. Au milieu de nulle part, dans cette maison de famille désertée, les personnages sont en costume noir et chemise blanche: une référence au deuil? A la fois perdus, marqués par la tristesse, et aussi fantasques avec leurs préoccupations scientifiques et métaphysico-philosophiques, ils donnent vie à un spectacle étonnant.
’L’émotion peine à naître et l’humour du texte n’est pas toujours assez mis en éclat… Mais nous sommes fascinés par la gestuelle et le phrasé exceptionnels de Laurent Poitrenaux, comme par le jeu sensible d’Alvise Sinivia. Autre point fort: l’esprit vif et sans détour sur notre contemporanéité de Médecine générale.
Un spectacle à découvrir comme une expérience théâtrale dont, comme toute recherche, on ne connaît pas l’issue: «Quelles traces, laissera-t-elle? dit le metteur en scène. Peut-on dire de la pièce qu’elle en est le résultat? Ou bien qu’elle est précisément l’expérience en train de se faire ? » Ce à quoi, nous invite Médecine générale et à chacun, d’en saisir ou non, l’opportunité. Mais cette expérience met en lumière un objet audacieux et inventif, avec des moments d’une grande beauté poétique.

Elisabeth Naud

Jusqu’au 13 mai, Théâtre de la Ville-Les Abesses, 31 rue des Abbesses, Paris (XVIII ème). T : 01 42 74 22 77.

Le roman est édité aux éditions P.O.L.

La Tendresse, conception et mise en scène de Julie Berès, écriture et dramaturgie de Kevin Keiss, Lisa Guez et Julie Berès, avec la collaboration d’Alice Zeniter

La Tendresse, conception et mise en scène de Julie Berès, écriture et dramaturgie de Kevin Keiss, Lisa Guez et Julie Berès, avec la collaboration d’Alice Zeniter

Explosion de sauts, pas frappés, piétinements, élans: une bande de garçons prend possession du dispositif scénique a priori casse-gueule (un «parkour» échafaudé par Goury). Ils en explorent toutes les possibilités acrobatiques à un rythme effréné, sur les constructions musicales de Juliette Jacquemont.
D’abord la danse (chorégraphie de Jessica Noira), toutes les danses: Krump, Hip-hop, Break, Ballet Classique… chacune avec sa majuscule car c’est le nom propre et la fierté de chaque groupe, de chaque individu.
Julie Bérès, avec Désobéir, avait observé comment les filles de seconde et troisième génération de l’émigration trouvent les «non» qui leur permettent de se construire une vie et une identité. Ici, avec une équipe de choc, elle a exploré, à l’ère de Me too, comment les garçons se trouvent aux prises avec la masculinité. «Ils se débattent entre les clichés du masculin, les injonctions de la société, les volontés de la tradition et les assises du patriarcat.» Contraints peu à peu de découvrir et d’accepter leur fragilité, s’ils ne veulent pas se prendre un mur, ce qu’ils font, du reste, physiquement en un défi métaphorique sidérant.

On comprend la démarche des auteurs : en bons sociologues, avec un «travail documentaire immersif», ils ont accumulé les enquêtes en direct auprès d’un panel de garçons d’une vraie diversité. Et on retrouve la même richesse sur scène. En prologue, les danseurs grafitent à la craie leurs prénoms sur le décor couleur d’ardoise : Alexandre, Djamil, Saïd, Guillaume, Tigran… Ils sont combien ? Quinze, vingt, en alternance, tous ensemble et chacun dans sa fonction, enragés, joyeux, en surpression. Et puis la danse s’apaise, le poids du groupe se détend et chacun raconte sa « première fois», sa peur du continent noir qu’est la femme, s’interroge sur l’image qu’il a de son père et sur le peu d’envie qu’il a, de lui ressembler. Pas plus, d’ailleurs que d’être «déconstruit», avant de s’être construit. Surprise : au milieu du groupe, se cache, avant de se dévoiler dans le dernier mouvement (car il s’agit bien de musique), une passagère clandestine, une fille. Comme une Anita Conti au milieu de ses marins, venue se mesurer avec un monde masculin, en messagère d’égalité .

© Axelle de Russé

© Axelle de Russé

Le propos semble, et il l’est parfois, trop didactique, rappelant entre autres, que la pornographie est l’une des premières sources d’information sexuelle pour les garçons, et aussi de leurs difficultés avec les filles que les performances fantasmées n’intéressent pas ou que rebute un comportement machiste, de plus joué  et forcé.
Le spectacle montre aussi  que la domination du «mâle traditionnel» s’exerce sur les plus faibles, femmes et enfants mais aussi sur «les hommes dont la masculinité est disqualifiée ». Mais le risque de «pédagogisme est écarté avec ce qu’on pourrait appeler un lyrisme physique: danses, battles, prises à partie… Ce corps collectif se fait et se défait sans cesse, jusqu’à la découverte de soi-même, une fois les couches de masculinité obligatoires, décapées jusqu’à l’apaisement.
Ballet ultra-contemporain, comédie musicale musclée avec chœurs, solos et duos: «quelque chose de l’exemplarité masculine et en train de s’éroder». C’est ici réalisé avec une folle énergie et une rigueur infernale mais aussi avec humour. Le public jeune (et nombreux) a applaudi debout. On n’a pas envie d’en dire plus. Allez-y.

Christine Friedel

Jusqu’au 11 mai, puis du 24 mai au 20 juillet, Théâtre des Bouffes-Parisiens, 4 rue Monsigny, Paris (II ème). T. : 01 42 96 92 32.

 

 

 

 

La Guerre de l’eau, texte de Rémi De Vos, mise en scène d’Arthur Radiguet

La Guerre de l’eau, texte de Rémi De Vos, mise en scène d’Arthur Radiguet

L’argument: de jeunes acteurs veulent essayer de sauver le monde en montant une pièce de théâtre en moins de vingt-quatre heures. « Ce projet artistique est leur réponse à une problématique globale et locale à la fois qu’ils souhaitent aborder par le biais de l’art pour transformer les spectateurs en « spect-acteurs ». Sur un mode comique, La Guerre de l’Eau propose une réflexion sur les enjeux cruciaux de notre époque (écologie, féminisme, racisme…) en interrogeant notre manque de vision vis-à-vis de l’avenir. »

« Arthur, dit Rémi de Vos, je le connais depuis des années. Je donne parfois des cours de théâtre et il a été mon élève. Il arrivait de Nouvelle-Calédonie. Je ne me souviens pas l’avoir vu monter sur la scène. Il regardait, c’est tout. Il était plutôt du genre calme et tranquille.(…) Quelques années plus tard, il m’a téléphoné pour m’interviewer à propos d’un livre qu’il écrivait. Il venait de terminer un tour du monde ou il avait interviewé des comédiens, des auteurs et des metteurs en scènes. Il donnait des cours de théâtre et avait commencé à mettre en scène. Quand il m’a proposé de travailler sur le projet qu’il avait en tête, j’ai répondu: oui. À partir de son idée, nous avons mis au point une trame assez précise de ce qui devait se passer dans la pièce. Nous avons inventé l’histoire et les personnages. Arthur a trouvé les comédiens et nous avons commencé à travailler les situations par improvisations. Après quelques semaines, j’ai écrit le texte et la pièce a vu le jour. « 

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Arthur Radiguet semble découvrir le « théâtre dans le théâtre » comme lieu de quiproquos, voire d’engueulades  sinon il n’y aurait pas de spectacle et il a clairement l’intention de faire entrer quelques spectateurs dans l’action, en  leur confiant de petites figurations. Et de nombreuses  chaussettes en boule nous attendent sous les sièges. Vous aurez sûrement deviné la fin assez potache…
Rien sur le plateau qu’une chaise et un escabeau en métal. Il y a une belle énergie  chez ces jeunes acteurs qui ont un réel sens du comique mais de là à « susciter chez le public une réflexion sur la nature humaine, sur nos aspirations et nos limites. » il y un fossé. Et Arthur Radiguet laisse trop crier ses acteurs, ce qui devient vite insupportable.
On a connu Rémi De Vos, auteur bien connu et très joué (voir Le Théâtre du Blog), mieux inspiré et l’écriture de plateau (l’expression fait plus mode qu’ improvisations) a encore frappé… Et oui, il y a quelques jets de fumigène, les Dieux savent pourquoiBref, il n’y a pas le compte et cette heure et demi est bien longuette. Refrain connu : ce qui aurait pu être un sketch assez drôle, ici, ne tient pas la distance… Il faudra revoir ces deux actrices et ces deux acteurs dans un projet plus solide.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 31 mai, Théâtre de Belleville, passage Piver, Paris (XX ème).  T. : 01 48 06 72 34 16.

 

Léviathan conception et mise en scène de Lorraine de Sagazan, texte inspiré de faits réels de Guillaume Poix

Léviathan, conception et mise en scène de Lorraine de Sagazan, texte inspiré de faits réels de Guillaume Poix

Léviathan, troisième volet d’un cycle conçu par Lorraine de Sagazan et Guillaume Poix à partir de questionnements soulevés au cours d’une série de trois cents entretiens. Après La Vie invisible et Un Sacre ( voir Le Théâtre du Blog) Léviathan est fondé sur une mise en cause du fonctionnement judiciaire avec ce qu’on nomme la comparution immédiate. «Comment, dit la metteuse en scène, la notion de réparation résonne-t-elle dans vos vies ? Les gens nous ont majoritairement parlé de deux sujets : l’absence de prise en charge de la mort dans un pays comme la France, et la difficulté de l’institution judiciaire à générer un sentiment de justice. Loin de toute démarche documentaire, thérapeutique ou évangélique. (…) Il ne s’agissait plus de représenter le réel mais de créer du réel. De penser le théâtre comme un contre-espace-une hétérotopie, comme l’a conceptualisé Michel Foucault dans les années 1970 et l’œuvre comme un acte qui a la force originelle de l’action.
Je suis entrée en immersion dans les tribunaux français. Cette longue expérience a pris la forme d’une investigation critique sur nos manières de considérer l’organisation et l’application du droit moderne, interrogeant nos pulsions de jugement et de répression, et confrontant notre idéal de justice aux béances du système pénal contemporain..(…) Léviathan s’intéresse, à l’intérieur du système pénal, à l’une de ses composantes les plus choquantes : la comparution immédiate. «Il n’y a pas de justice dans un tribunal de comparution immédiate. » C’est la phrase que j’ai la plus entendue de la part des avocats que j’ai côtoyés pendant plusieurs mois. »

Cette procédure simplifiée est faite uniquement pour certains délits punis de prison et pour juger l’auteur présumé d’une infraction, à la sortie d’une garde à vue. Mais celui-ci peut aussi obtenir un délai pour préparer sa défense. L’audition dure une vingtaine de minutes (récemment à Marseille six minutes!) et souvent les auditions se prolongent  tard dans la nuit. La peine de prison doit être inférieure à deux ans.
En Norvège, c’est juste une privation de liberté mais les détenus peuvent voter, avoir accès à l’école, aux soins de santé et ont les mêmes droits que tout citoyen. Ils  travaillent et ne sont pas enfermés avant vingt heure trente… La prison exemplaire de Halden a été conçue pour minimiser le sentiment d’incarcération, en harmonie avec la nature environnante. Chaque détenu a sa cellule avec toilettes, douche, réfrigérateur, bureau, écran plat et vue sur la forêt. Inutile de dire qu’en France, on est loin de ce modèle connu dans toute l’Europe…avec un politique ultra-sécuritaire: les prévenus souvent s.d.f. et qui n’ont aucune famille proche sont jugés en comparution immédiate pour délits mineurs ou pas vraiment tout à fait.
Mais le commerçant qui se fait voler vêtements ou biens alimentaires, la vieille dame fragile à qui des jeunes gens piquent la carte bancaire avec le code pour se payer un bon restaurant et d’autres achats, doivent aussi être protégés. Mais au lieu d’une répression, école de la récidive  la France, très en retard pour lutter contre la petite délinquance, n’a jamais imaginé un véritable système de réinsertion efficace.
Ce que la Norvège a réussi, la France veut-elle se donner les moyens de le faire? Comparaison n’est pas raison mais les chiffres parlent : il y a là-bas 4.000 détenus pour cinq millions deux cent mille habitants, soit 0,01 % avec un taux de récidive de 20 %. En France pour quelque 69 millions d’habitants, 82. 000 prisonniers, soit environ 0,12 % dont quelque 20.000 en détention provisoire! pour quelque 62. 000 places. Et en un an, le nombre de détenus a augmenté de 7 % ! Taux de récidive : 38% !
Le mal perdure, avec, comme le souligne le dernier numéro de Politis: «surpopulation chronique, retour des peines courtes fermes, suppression de droits civiques, attaques contre les activités de réinsertion et criminalisation des plus précaires. (…) La surpopulation relève d’un choix politique. Selon Jean-Claude Mas, directeur de l’Observatoire International des Prisons. « La surpopulation relève d’un choix politique, la source principale en reste la sur-incarcération. (…) On estime ne pas avoir assez puni tant qu’il n’y a pas eu incarcération, sans se demander si cette peine est proportionnée, ni quel impact elle a sur les personnes détenues et leurs proches .»
Ce que dénonce aussi ce spectacle: en France, l’intendance des prisons est gérée par de grands groupes privés et dit Lorraine de Sagazan «à l’origine du droit pénal, on trouve la croyance selon laquelle il serait possible de trouver une équivalence entre dommages et douleur. En administrant une douleur à un tiers, on cherche un substitut au passé en infligeant une souffrance au présent. Il existe une économie de la cruauté et de la souffrance dans nos sociétés, qui fonctionne par confort et habitude. »

Comment représenter toute cette violence des comparutions immédiates sur un plateau? En 81, le grand Jean-Pierre Vincent avait mis en scène Palais de Justice avec une grande sobriété et un certain réalisme, la  journée ordinaire d’un  de justice où sont jugés les auteurs de petits délits. Un spectacle fondé sur une observation de la compagnie sur le terrain et essentiellement sur le jeu des acteurs dont Evelyne Didi, impressionnante en Procureure de la République.

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Lorraine de Sagazan a, elle, privilégié une autre approche en essayant de trouver, dit-elle, «un équivalent du réel qui puisse concerner les spectateurs.» Avec la comparution immédiate de trois prévenus: un jeune homme assez paumé jugé pour conduite sans casque et sans permis d’une moto, un SDF récidiviste qui profère des menaces contre un agent de l’autorité publique, puis une jeune mère de famille qui a volé des vêtements d’enfant seront condamnés en quelque vingt minutes à plusieurs mois de prison ferme. La première audition est sans doute la plus juste mais ensuite la mise en scène est très chargée sur le plan sonore avec des ronflements de basse électroniques, images vidéo inutiles et couches de fumigènes sur sol de tourbe marron: des stéréotypes scéniques actuels que la metteuse en scène aurait pu nous épargner…
Mais ce travail est  remarquable de précision, bien rodé et joué à la perfection. Loin de tout réalisme mais mais sans trop de nuances plus proche d’une certaine distanciation brechtienne: parlé-chanté de la Présidente, magistrats et avocats avec un masque lisse en résine assez étrange et prévenus juste un avec un tissu élastique blanc translucide couvrant leur visage. Les uns et les autres jouant parfois depuis la salle.
La scénographie en tissu orange pâle d’Anouk Maugein, évoque un chapiteau de cirque avec une vingtaine de chaises en bois dépareillées; le dôme, par moments, se soulève comme une respiration. Arrive aussi vers la fin un beau cheval gris-une image visiblement provocante et de toute beauté! Il semble faire ce qu’il veut mais sans doute dressé à cet effet, il va chaque soir manger les pages du code pénal sur le bureau de la Présidente du tribunal et ressortir ensuite aussi calmement… Etonnant !
Bref, une démarche proche d’une performance où sont privilégiées l’action et l’image, comme celles de vidéos en fond de scène avec le visage en gros plan des personnages dialoguant, ou vivant dans un autre contexte comme sur une balançoire de jardin public, ou un visage de Christ issu d’une peinture de la Renaissance. Ou encore une pendule marquant le temps sur écran en minutes et secondes dans la pénombre et le silence le plus total, avant l’extrême fin du spectacle. là aussi on est plus près des arts plastiques que du théâtre-théâtre mais pourquoi pas? Et pour accentuer la réalité de ce tribunal, Khallaf Baraho, un ancien détenu abonné à ces comparutions immédiates amateur-le seul qui ne soit pas masqué-témoigne de leur violence mais dit un texte trop écrit et assez pléonastique de ce qui se passe sur la scène.
Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Dominique Simonnot, ancienne chroniqueuse du Canard enchaîné a signalé récemment à France Inter, le manque de courage des femmes et hommes politiques face à la surpopulation carcérale, suite en partie à ces comparutions immédiates si souvent dénoncées… Ce que semblent aussi dire Maxime Poix et Lorraine de Sagazan mais mezzo voce, comme s’ils n’avaient quand même pas voulu aller trop loin dans la dénonciation de cette justice expéditive. Et c’est dommage.
Encore une fois, c’est un spectacle bien fait, un peu long qui a été salué par le public, même s’il semblait partagé. Au moins, Léviathan joué dans un théâtre national, a le grand mérite de rafraîchir la mémoire des Français sur ce scandale dans la patrie des Droits de l’homme. Au même moment et à quelques dizaines de mètres, dans le nouveau Palais de Justice, a sans doute lieu une autre pièce, celle des véritables comparutions immédiates dont nous vous parlerons…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 23 mai, Odéon-Théâtre de l’Europe, Ateliers Berthier, 1 rue André Suarès, Paris ( XVII ème) relâches exceptionnelle, les dimanches 11 et 18 mai; représentations surtitrées en anglais les vendredis 9, 16 et 23 mai. T. : 01 44 85 40 40.

Couples, etc. texte et mise en scène de Susana Lastreto Prieto

Couples, etc. texte et mise en scène de Susana Lastreto Prieto

 Rien de nouveau : on sait bien que le quotidien tue l’amour, comme mal fermer le tube de dentifrice, faire du bruit en avalant son café au lait, ne pas répondre à une question de son conjoint ou pire à côté, tout cela peut détruire la plus belle histoire d’amour. Et pourtant le couple dure, comme dans la chanson des Vieux amants de Jacques Brel ou La Femme cachée,des nouvelles de Colette.  Le couple, ce troisième personnage qui n’est pas l’addition d’Elle et Lui, traverse le temps, à moins qu’il ne craque sur le tard, à la surprise générale.

L’autrice et metteuse en scène a choisi une configuration à cinq: un couple, une adolescente qui les observe sans savoir grand-chose quant à ses propres désirs et cherchant à tout hasard du côté du poly-amour et autres tentations, dont celle exercée par l’Ami (Tibor Radvanyi). Cet homme plus âgé  n’est pas attiré par les jeunes filles et pleure son amour mort durant les années sida. Avec eux, veillant sur tous et dépositaire de leurs secrets, la Vieille dame des plis (Susana Lastreto Prieto).

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La mise en scène, minimale par nécessité et par défi relevé avec panache, est fondée sur l’infatigable et savoureux duo Nathalie Jeannet et François Frappier, un couple aussi ferme qu’élastique, et sur la fraîcheur de Marieva Jaime-Cortez.
La trouvaille: les costumes, tous blancs… Elle gardant au fil du temps sa robe de mariée -eh ! oui, le plus beau jour de la vie, dure toute la vie…Et Lui, en complet dont on tombe la veste dans la vie courante.
L’adolescente, en éternel pyjama, proclame à sa façon qu’elle renâcle à entrer dans la vraie vie, et la robe à plis d’ange gardien pour la vieille dame qui semble récupérer les plumes perdues par les autres. Des anges, vous dis-je, mais très humaines et humains.

La ou le critique, toujours gourmand et en appétit, aurait aimé un peu plus de ceci ou de cela. Mais la compagnie GRRR n’est plus une jeune troupe émergente et n’a pas droit aux aides qui lui donneraient le juste temps de son travail. Et le théâtre de l’Epée de bois ne pourrait les lui offrir. Déjà bien beau: il héberge les compagnies (à quel prix ?) dans ses trois belles salles (ici, au premier étage, le Studio avec ses boiseries, elles-mêmes de précieux décors. «Laisse faire le temps, ta vaillance et ton roi.» disait Don Fernand à Don Rodrigue dans Le Cid de Corneille: aux mains de cette équipe-là, le spectacle se musclera et prendra du mordant au fil des représentations.

Christine Friedel

Jusqu’au 25 mai, Théâtre de l’Epée de bois, Cartoucherie de Vincennes, route du champ de manœuvre. Métro : Château de Vincennes+ navette gratuite.) T. : 01 48 08 39 74

 

 

 

 

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Le Rêve et la plainte de Nicole Genovese, mise en scène de Claude Vanessa

Le Rêve et la plainte de Nicole Genovese, mise en scène de Claude Vanessa

 Qui rêve, qui se plaint ? Tout le monde, les gens, nous, enfin le petit monde qui fait la françitude d’aujourd’hui. Sentant un parfum de fin de règne, aggravée par une fin du monde-les glaciers fondent-, l’autrice a été traversée par la figure de Marie-Antoinette et son statut d’icône ambigüe qui représenterait à Trianon, le plaisir de vivre tel que le regrettait Talleyrand : « Qui n’a pas vécu avant la Révolution ne connaît pas le plaisir de vivre. » Une citation apocryphe: il écrivait plus simplement, et avec moins de force:« avant 1780 ». Donc le rêve, avec les somptueux et délicats chiffons de la Reine.

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Là-dessus, faisons confiance à Julie Dhomps : elle a créé pour Marie-Antoinette et la princesse de Lamballe des robes ironiques volumineuses, aux couleurs de B.D. et motifs vitaminés citron et orange,. En hommage à une Côte-d’Azur de rêve plutôt qu’aux orangeries royales.
Non, pour cette Marie-Antoinette-Madame-tout-le-Monde, le rêve, réalisé-c’est se voir offrir une cuisine avec îlot central. Cela mérite qu’on s’y arrête: un « îlot central » encombre le milieu d’une cuisine pour qu’on puisse tourner la sauce, sans… tourner le dos à ses hôtes. Et avec des rangements, s.v.p. Surtout un signe : c’est «classe» et dit bien ce que cela veut dire, chacun au centre de ce monde incertain et décevant, sauvé du naufrage par cet îlot. Mais on ne cuisine pas tant que ça et on se fait livrer par des sans-papiers à vélo. Mais n’épiloguons pas : la couleur des rêves peut être douteuse….

Et la plainte ? Louis XVI, le comte d’Artois et celui de Tilly (un petit zeugma en passant), imperturbablement XVIII ème, se plaignent des « mesures ». Inutile de savoir lesquelles: évidemment gouvernementales, nuisibles, voire inacceptables. Une récréation : le pique-nique où déboulent Fred et Déborah, nos contemporains de la classe moyenne. Le spectacle joue sur les anachronismes, la dérision, le kitsch, une fausse naïveté obstinée, le tout illustré par une succession rapide de jolies toiles peintes. Cela n’interdit pas la quête d’une vraie mélancolie, annoncée d’entrée par la viole de gambe de Francisco Manalich.
L’autrice ne cache pas son ambition pascalienne : rendre compte du profond vide existentiel qui nous fait rechercher le « divertissement ». Et la metteuse en scène travaille beaucoup sur des silences surprenants : cela ressemble à première vue à une comédie fantaisiste qui, selon la loi du genre, devrait faire preuve de rythme. Eh ! Bien non, il faudra y renoncer. Diastoles et systoles, entre silences et moments de comédie, s’étirent, en nous plaçant dans un inconfort sans nous emmener assez loin. Entre divertissement, potache et talentueux, et vertige du vide. Nous restons entre deux chaises: formica et Louis XVI. Ce spectacle ne ressemble à rien mais nous laisse dans une intéressante insatisfaction et il résonne.

 Christine Friedel

 Jusqu’au 25 mai, Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de manœuvre. ( Métro: Château de Vincennes + navette). T. : 01 43 28 36 36.

 

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