Zébrures d’automne 2022 à Limoges

Zébrures d’automne 2022 à Limoges: Les Francophonies des écritures à la scène à l’heure d’Haïti

Le festival a établi son quartier général Place de la République avec une grande librairie sous chapiteau et, à quelques encablures de là, au foyer de l’Opéra, rebaptisé pour l’occasion : Archipel.  Coup de projecteur donné cette année, aux artistes issus de territoires insulaires ou ultra-marins. Notamment Haïti, avec une journée consacrée aux cultures de cette île, avec le lancement d’une anthologie: Nouvelles Dramaturgies d’Haïti. Avec en deux volumes, douze pièces d’auteurs dont aucun d’eux n’a encore deux fois vingt ans, dit Guy Régis Jr, à l’origine du projet avec sa complice Hélène Lacroix. Directeur du festival des Quatre Chemins à Port-au-Prince (voir Le Théâtre du Blog), il se réjouit de ce «qu’avec ce festival, on puisse parler d’un renouveau du théâtre haïtien. Il faillait rendre visible ce travail. » 

On retrouve publiés par Edisyon Chimen en Haïti, Gaëlle Bien-Aimé, lauréate du Prix R.F.I. Théâtre 2.022, avec Port-au-Prince et sa douce nuit. Dans Que ton règne viennedeux hommes qui ne se connaissent pas et réfugiés au coin d’une rue, cernés par le chaos d’une manifestation, se découvrent mutuellement, se rassurent. Leurs voix s’entrechoquent et disent au masculin les mécanismes de la violence des hommes sur les femmes, l’injustice des pouvoirs. En contrepoint de leurs courtes répliques, un chœur s’élève dans une langue ample pour donner voix au silence des femmes.

  Dans Avilir les ténèbres, Jean D’Amérique offre la parole à une femme dont les figures se démultiplient en un chant poétique pour dire son insolente résistance aux violences subies. « Je suis toujours en révolte, dit Jean d’Amérique, les personnages qui traversent mes textes sont dans cette mouvance.» « Je me sers de mes blessures pour écrire le monde » dit Rolaphton Mercure, auteur de Fuck dieu, fuck le vodou Je ne crois qu’en mon index où deux frères, bandits, militants politiques et amoureux de la même femme, s’affrontent verbalement. Ce texte, à la musicalité d’un rap, dénonce une société en proie au banditisme, à la corruption, à l’incurie politique: « Ici, on meurt jeune. Pas besoin de répandre le vent, la tempête est là. » 

  »On rit beaucoup, on fait de l’autodérision», dit Naïza Fadianie Saint-Germain, qui dans Purgatoire, n’a pas froid aux yeux: la présumée virginale Juliette Capulet de William Shakespeare y côtoie des femmes scandaleuses comme Linda Lovelace, star du porno et héroïne de Gorge profonde, Lili Elbe, première transsexuelle opérée connue  et Tamar, figure biblique de la vengeresse, bafouée et répudiée. Ici, pas de biographies savantes mais des prétextes à tisser une comédie irrévérencieuse sur la sexualité féminine.

Comme cette jeune autrice, Djevens Fransaint, qui, avec Bal de l’incontinence développe un style loufoque, héritier de l’absurde d’Eugène Ionesco, sur fond de famille déchirée. Le père apparaît comme un tyran dérisoire dans un univers sombre où le rêve, la mort ou encore la mémoire, seraient les seules échappatoires. Une gaie et salutaire désespérance avec laquelle Djevens Fransaint tisse un théâtre contre l’oubli. 

Tout aussi déjantée, Des Fous en apothicaires étales de Ducarmel Alcius. Sur une place publique, trois fous en blouse de médecin et trois folles avec des poupées dans les bras. Il y a Marx, Mona Lisa, Mona Lisa sans fard et une faiseuse de rêves… Des récits et impressions en vrac racontent la misère, les viols et les meurtres… Dans la veine absurde aussi avec  Un an, un jour après la mort, James Saint-Félix montre devant un cercueil vide, deux amis d’enfance que leurs idées séparent, face aux politiques violentes et aux d’affrontements entre civils et policiersSont-ils morts? Condamnés Seront-ils un jour apaisés? Qu’attendent-ils? Sont-ils une seule et même personne? La question reste ouverte.

D’autres pièces empruntent davantage à la tragédie comme Vidé mon ventre du sang de mon fils d’Andrise Pierre où une mère pleure la mort de son fils. Telle Antigone, elle se fait l’adversaire du silence mais, à l’inverse de l’héroïne de Sophocle exécutée pour avoir donné une sépulture à son frère, cette mère veut retrouver et déterrer le corps de son fils qu’ on a fait disparaître pour cacher la vérité et protéger les assassins.

Avec Gouvernance de France, Medeley Guillou nous emmène aussi dans le chaos d’un pays et d’une famille sans pilote père dans la tourmente, mère en plein désarroi, et enfant qui erre faute d’avoir pu naître. Esprit pur et corps inachevé, il devient une âme rebelle. Dans Pour que le monde s’en souvienne d’Erikon Jeudy, il y a aussi un fils  assassiné : la mère, le père et la belle-fille doivent trouver des voies pour relier les vivants et les morts. Et devant certains deuils, la raison doit céder la place aux forces occultes comme consolation.

Dans ces pièces, la plume est ici une arme pour vaincre le silence et trouver des espaces de liberté : «Le pays d’où je viens, dit Guy Régis Jr. , leur mentor, est complètement en ruines mais chacun peut écrire dans son coin. Au-delà d’une esthétique du délabrement, répondent par l’urgence l’ici et le maintenant de la beauté. »

Parmi cette anthologie, deux textes en créole non traduit: «Une des langues francophones parlée par quinze millions de personnes entre les Caraïbes et la Réunion. Et seulement 10% de la population haïtienne maîtrise le français. Ce qui a fait débat, lors une rencontre sur Le mouvement de la créolité. «Ni Européens, ni Africains, ni Asiatiques, nous nous proclamons Créoles. », écrivaient déjà en 1989, Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau et Raphaël Constant dans Eloge de la Créolité. Ce manifeste controversé invitait à regarder le monde autrement qu’avec les yeux de l’Occident ou de l’Afrique. Qu’en est-il aujourd’hui? Pour l’artiste guadeloupéenne Stéphanie Melyon-Reinette:  «Chez nous, être créole est considéré comme une insulte et renvoie à l’esclavage et à la créolisation de l’Africain dans la plantation : «On écrit et parle créole, mais je ne le suis pas. ». Selon Guy Régis Jr., les Haïtiens se réclament aujourd’hui de la «mondialité» :« Ils écrivent pour se faire entendre par le reste du monde, car plus de la moitié de la population vit à l’extérieur de l’îme, principalement en Amérique. » 

Joan Monga, historien du marronnage et de la créolisation à la Réunion, introduit des nuances historiques et pense que la créolité est l’expression complexe d’une culture en mutation : «Edouard Glissant la pensait à partir de la Martinique dans le contexte historique de la décolonisation, comme à l’époque, le Parti communiste réunionnais. Aujourd’hui, il faut plutôt considérer comment les processus de créolisation évoluent ou s’enrayent. On pourrait aussi parler de créolisation en Seine-Saint-Denis.» 

Le concept de négritude s’oppose-t-il aujourd’hui à celui de créolisation, en cela que ce dernier exclut l’Afrique ? » demande l’animateur du débat, Jean-Erian Samson, rédacteur en chef de la revue haïtienne des cultures créoles DO-KRE-I-S… Une vaste question qui appelle des réponses multiples selon le lieu d’où l’on parle… Nous reviendrons sur les spectacles des Zébrures d’automne, en particulier la création remarquée de L’Amour, telle une cathédrale ensevelie de Guy Régis Jr. Une pièce reprise en novembre au Théâtre de l’Aquarium à Paris.

Mireille Davidovici

Les Zébrures d’automne ont eu lieu du 21 septembre au 1 er octobre. 

Les Francophonies des écritures à la scène,11 avenue du Général de Gaulle, Limoges (Haute-Vienne). T. : 05 55 33 33 67.

 


Archives pour la catégorie analyse de livre

Livres et revues : Steens de Hjalmar, Frictions, Ubu, Jeu

Livres et revues

Steens, l’Homme qui s’amuse avec la mort de Hjalmar

 L’auteur de cette biographie est un magicien reconnu qui, avec son épouse, a présenté ses spectacles dans le monde entier et a exposé une partie de sa collection en 95-96 au Musée d’Orsay. Il a écrit de nombreux articles techniques et historiques sur la prestidigitation. Né en 1881 à Moutiers-Saint-Jean (Côte d’Or), Charles-Louis-Fernand Brisbarre fut mouleur en cuivre à Paris, puis on ne sait comment il en vint vers 1906, sous le nom de Steens, à l’illusionnisme, en particulier à cet art de l’évasion, maintenant dit escapologie.   Le magicien doit en un temps record -il doit toujours y avoir une impression d’urgence pour le public- sortir d’un coffre solidement cadenassé, se débarrasser de cordes, chaînes…etc..

©xCela exige à la fois souplesse, endurance, force mais aussi sang-froid et un excellent savoir-faire… Le grand spécialiste vers 1900 en était le célèbre Harry Houdini: Ehrich Weisz (1874-1926) prit ce pseudonyme en hommage au grand magicien français Jean-Eugène Robert Houdin (1805-1871). Il pouvait s’évader d’une malle remplie d’eau fermée par des chaînes ou d’un cercueil bien enterré. Steens commença sa carrière en 1906 avec ce qu’on appelle techniquement le double empalmage de cartes à jouer: faire disparaître des cartes derrière une main puis les faire réapparaître. Un des autres tours était le Petit paravent aux apparitions ou dit Paravent japonais. Composé de trois éléments d’un centimètre d’épaisseur et montés sur six pieds articulés entre eux, dont Steens faisait sortir cages,lanterne allumée, saucisses, fleurs… Puis, le premier en France, il se consacra à l’escapologie en se jetant enchaîné dans la Marne pour réapparaître libre quelques instants plus tard. Et il s’évadera facilement d’une marmite fermée où il est immergé ou d’une grande caisse soigneusement ficelée et contrôlée par des spectateurs. Steens devenu célèbre fut ensuite invité dans le monde entier… Puis il se retira dans son village où il buvait beaucoup trop d’absinthe, vendit tout son matériel en 1938 avant de disparaître, assez oublié, l’année suivante…

Ce livre est riche de documents historiques: remarquables affiches, photos de spectacles, cartes postales… et trop ? nombreuses notes en bas de page. Et son auteur a bien su mettre en lumière la vie professionnelle de cet artiste disparu. Mais cette biographie qui a sans doute demandé un gros travail de recherche, aurait mérité une maquette solide et une meilleure relecture. Pourquoi ce doublon de quelques pages et cette absence systématique de justification en fin de ligne qui gêne la lecture? Dommage! Mais que cela ne vous empêche pas de faire connaissance avec ce célèbre mais bien oublié magicien français qui fut un peu le David Copperfield de son temps…

Philippe du Vignal

Frictions n° 33

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 «Nous y voilà donc, transformés en peuple de fantômes dans un monde égal à lui-même, c’est-à-dire en pleine déliquescence (…) soudainement révélé aux yeux de tous », écrit Jean-Pierre Han dans son éditorial. Ce numéro de la revue revient sur l’après Covid avec, en couverture, une seringue… Piqûre de rappel, annonçant les courtes et fines analyses d’Edward Bond sur la crise du Covid.

 Le dramaturge britannique voit la pandémie comme un révélateur. Dans La crise du coronavirus et la réalité démasquée, il démontre brillamment que « le système capitaliste fait marcher le monde sur la tête » : « L’origine du virus se trouve en Chine parce que c’est une nouvelle société au capitalisme débridé ». Dans la post-face à sa pièce Le Voleur de Chaussures, il démontre que les crises, sanitaires et climatiques, sont liées car ce système « pille la terre, déforme la réalité non seulement pour augmenter ses profits mais pour contrôler et séduire l’ancien prolétariat maintenant devenu classe consommatrice ». Le capitalisme « façonne la culture qui permet l’existence même de ce système » et pour Edward Bond : « Notre théâtre est aussi paralysé que le reste de la culture du divertissement. Nous avons de bons dramaturges qui écrivent de bonnes pièces à propos des maux de la société. Mais leurs pièces n’ont qu’un effet cosmétique. » Au terme de son implacable démonstration, il entrevoit une solution : «Une démocratie juste », difficile à créer, «parce que nous n’essayons même pas ». Ces Corona Papers sont introduits par Jérôme Hankins qui analyse les thématiques bondiennes en concluant avec l’écrivain, qu’il traduit et met en scène depuis des années : « Nous devons de nouveau faire confiance au théâtre ».

L’écrivain et metteur en scène Jean Lambert-Wild revient sur la fonction de l’artiste dans la société qui en est venue à distinguer ces derniers temps l’inessentiel , de l’essentiel. Reprenant  ce vocabulaire : « cette notification qu’on ne sert à rien », Pas de gilets de sauvetage pour les poètes file la métaphore du naufrage : « le bateau coule, je n’ai pas de gilet de sauvetage, mes camarades non plus » pour appeler à la résistance : « la bonne nouvelle, cela nous laisse encore une chance de flotter. »

Simon Capelle lui fait écho : « Dans le bataille contre le virus, nous ne servons à rien, peut-être parce qu’auparavant déjà, nous ne servions plus à grand chose ». Mais il se réfère à Antonin Artaud pour affirmer avec lui l’essentialité du théâtre : « Du point de vue humain, l’action du théâtre comme celle de la peste est bienfaisante, car elle pousse les hommes à se voir tels qu’ils sont ». Il consacre à l’auteur du Théâtre de la cruauté un article très argumenté portant notamment sur son projet Prophétie, qui le mena en Irlande sur les pas de William Butler Yeats en 1937, avant neuf années d’asile, notamment à Rodez… Simon Capelle a refait ce voyage d’île en île et nous en livre un récit à la fois documentaire et poétique..

Olivier Neveux, lui, en fin chercheur en histoire et esthétique du théâtre, pose la question paradoxale du politique dans le théâtre de Jean Genet. Ses réponses nous étonneront : « Si on l’étudie, soucieux quelques uns des aspects attestés du théâtre politique, on est bien décontenancé… »

Dans ce numéro superbement illustré par les images en pleine page de John de La Canne, l’étonnant portfolio de Bruno Boëglin qui révèle les talents de peintre de ce comédien et metteur en scène. L’association des amis de Bruno Boëglin a publié des reproductions de ses œuvres dans Bruno Boëglin, une vie dans le désordre des esprits, et organisé une exposition à Grenoble qu’on pourra aussi voir au Palais Bondy à Lyon en janvier prochain. On lira aussi dans ce numéro un Michel Simonot poète, avec Même arrachée, une évocation épique des cris de ceux que l’on torture, déchire, mêlés aux siens… « Même arrachée/ il vous restera l’écho de ma langue (…) en naitront des mots (…) vous ne pouvez enfermer mon silence (…) les sons que vous croyiez barbares/ sont devenus poèmes »… .

Comme en écho, Ça ne passe pas de Claudine Galea : dans ce texte en forme de déploration, la phrase du titre revient en leitmotiv. Quand elle ferme les yeux, l’autrice voit, sous le soleil tant chanté de la Méditerranée, « des corps vivants qui, chaque jour, passent par dessus bord », et, pour elle « ÇA NE PASSE PAS ». « 25.000 corps sombrent à Lampedusa le 4 octobre 2013/ 5.773 corps morts et 11.089 disparus entre le 1er janvier 2014 et le 30 juillet 2018 «  (…) « Combien de morts non comptabilisés ? » (…) ça ne passe pas/ ça ne peut pas passer / le droit maritime n’est pas respecté / le droit humain n’est pas respecté…  » Pour conclure : « LA MÉDITERRANÉE EST UN MUR ». La revue, dont les articles sont autant d’alertes adressées à notre intellect et/ou à notre sensibilité, se clôt sur ce terrible constat…

Mireille Davidovici

Frictions, 27 rue Beaunier Paris ( XIV ème). T. : 01 45 43 48 95. Ce numéro 15€. Abonnement à quatre numéros: 50 €.

Jeu n° 179

La revue québécoise de théâtre Jeu publie son numéro 179. Toujours excellement maquettée et riches de belles photos significatives. Das son éditiorial, Raymond Bertin remarque avec raison que partout dans le monde, après la crise du covid qui est encore loin d’être vraiment derrière nous, « les artistes trépignent, les institutions font des prouesses pour offrir des expériences artistiques squi ne soient pas que des succédanés ou sous-produits. »

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Au sommaire, un dossier sur le travail de la metteuse en scène Brigitte Haentjens formée à ‘Ecole Jacques Lecoq, qui a notamment monté Hamlet-Machine d’Heiner Muller mais aussi L’Opéra de Quat’Sous de Bertolt Brecht en 2021 et des créations collectives comme Strip ( 1983) et Nickel l’année suivante deux textes qu’elle a écrites. Deux mises en scène où elle témoigne d’un engament féministe et qui ont fait date au Québec par leux exigence et la qualité de leur direction d’acteurs..

A noter aussi dans ce riche numéro un remarquable texte de l’auteur haïtien  Richard Régis Jr, sur le théâtre tel qu’il est actuellement et sur le point crucial qu’est l’illusion scénique. Il essaye de voir comment le théâtre peut aider à réconcilier les habitants d’une planète bouleversée par l’arrivée de cette pandémie. Il ya aussi un entretien avec la scénographe Odile Gamache: pour elle, est essentiel le dialogue avec l’auteur et elle estime que tout travail scénique est le résultat d’un travail à deux.  » J’essaye, dit-elle, de proposer une direction et qu’on y aille ensemble. »  La remarquable photo de sa scénographie pour Les Larmes amères de Petra von Kant de Rainer Werner Fassbinder donne envie de mieuxconnaître le travail de cette scénographe qui, comme Brigitte Haentjens, est radicalement pour un travail associatif.  A lire ce numéro, même si on a peu l’occasion d’en voir des exemples en France, le théâtre québécois,  se porte bien…

Ph. du V.

 

Ubu n° 70/71

 

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Cette revue fête ses vingt-cinq ans avec un double numéro ! Deux cents pages qui s’ouvrent sur le festival d’Avignon. Celui de 2021, mais aussi tel que Gilles Costaz l’a vécu tout au long de ses années de critique amoureux du théâtre. Avec Avignon 75e année / Les Spirales de la ville close, il revient sur son fondateur: «Les grandes lignes sont dessinées d’une main ferme et ambitieuse par Jean Vilar. Ce qui va se modifier au fil des ans, c’est la dimension, l’échelle. »lI se souvient aussi de ces lieux qu’il a parcourus en vélo, encore hantés par tant d’auteurs, metteurs en scène, comédiens : « Avignon est une conque en spirale dont les souvenirs coulent en spirale sans fin où les grandes productions fracassantes comptent moins que les soirées modestes et secrètes… » Odile Quirot s’entretient avec Valère Novarina qui y fut programmé à plusieurs reprises et Jean-Pierre Thibaudat recueille les impressions de Nathalie Béasse qui y vient pour la première fois.Tiago Rodrigues qui va prendre la tête du festival fait le point avec Marina da Silva sur son engagement antifasciste et ses projets futurs..

Quant aux festivals européens, Hughes Le Tanneur constate que, sous le choc du covid, les programmateurs s’interrogent tous sur le monde d’après. Le besoin de tourner la page s’impose à Paris, Marseille comme à Vienne, Bruxelles… Chacun voit venir le monde d’après à l’aune de cette crise. Crise que Maïa Bouteiller évoque avec trois directeurs récemmement nommés en Ile-de-France, qui ont vécu leur baptême du feu en pleine pandémie, jonglant entre confinements et couvre -feu : Julie Deliquet au Théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis, Jeanne Candel, au théâtre de l’Aquarium et Mathieu Touzé au Théâtre 14 . Face à la tristesse, la solidarité s’impose à eux…

Le chorégraphe Rachid Ouramdane, directeur du Théâtre national de Chaillot confie à Chantal Boiron qu’ « il faut lutter pour que la rivière soit capable de changer de lit ». Héritier du hip hop, il entend sortir la danse des seules salles du théâtre pour investir tout le bâtiment, jusqu’à l’extérieur « du parvis à la coulée verte » avec « des promenades chorégraphiques, des performances de foule, des spectacles en plein air…»

 Après un focus sur la résistance de l’Université de théâtre et de cinéma à Budapest, place à la littérature dramatique : Ivre de mots, une pièce de Frank Siera traduite du néerlandais et présentée par Mike Sens. Les auteurs de ce double numéro sous titré Allons-y !/Let’s go !, largement illustrés et traduits en anglais, rebattent les cartes du paysage théâtral et, après être revenus sur la crise sanitaire, font place à l’actualité et regardent vers l’avenir…

M. D.

Ubu Scènes d’Europe, 217 boulevard Péreire, Paris (XVII ème). Ce numéro double : 30 €.

 

 

 

 

 

 

 

 

Les auteurs à l’honneur pendant le confinement ? Kelly Rivière, Michel Deguy…

 

Les auteurs à l’honneur  pendant le confinement ? Kelly Rivière, Michel Deguy, des auteurs de Théâtre Ouverts

Au prétexte de «circonstances particulières», la mise en ligne gratuité de la mise en ligne  de films, captation de spectacles et concerts, inquiète l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle. Et la S.A.C.D. (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) a signalé à Franck Riester, ministre de la Culture, le tort que pouvait faire aux professionnels du secteur, les offres mises en ligne sur le nouveau site : Culture chez nous ! `

Interrogés sur la question des rémunérations des auteurs, interprètes et réalisateurs, la S.A.C.D. comme l’A.D.A.M.I qui perçoit les droits de suite des artistes-interprètes ne nous ont pas encore répondu…  Les théâtres, cinémas, salles de spectacle et de concert sont toujours fermées et de nombreuses offres continuent à être proposées gratuitement sur la Toile: on nage donc en plein brouillard quant aux dates de réouverture et à la tenue ou non des festivals cet été… Mais  on apprend que la Fête de la musique est maintenue le 21 juin… Un véritable camouflet pour le théâtre de rue et de cirque dont les artistes se voient, eux, voient exclus de l’espace public !

En attendant, saluons quelques initiatives d’auteurs comme cette mini-série de Kelly Rivière pendant son confinement en Poitou-Charentes, une lecture de Michel Deguy et les initiatives de Théâtre Ouvert, centre des dramaturgies contemporaines qui nous permettent de lire des pièces…

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Kelly Rivière dans An Irish Story

 Pleuville de David Jungman et Kelly Rivière

Cette chronique filmée au jour le jour avec les moyens du bord (appareil photo et smartphone) nous fait entrer dans l’intimité d’une comédienne dont la tournée de An Irish Story  s’est brusquement arrêtée en mars, alors que cette création a depuis deux ans, toujours autant de succès. (voir Le Théâtre du Blog)

Pleuville  (Charente): 342 habitants: aucun commerce, un bureau de poste qui fait aussi dépôt de pain, un stade, une église et un cimetière.  Recluse  dans ce petit village, la comédienne doit faire face à l’isolement et s’occuper de ses enfants, Paul et Thomas ( huit et cinq ans).  Les théâtres ont fermé, tout le monde est confiné, les garçons doivent faire leurs devoirs et la maison rester en état… Elle déprime. Et pour ne pas dépérir Kelly fait son cinéma .

La maison familiale devient le décor de cette chronique et les trésors d’un autre temps qu’elle abrite, serviront d’accessoires. La famille fournira les acteurs de ces journées particulières. « Pleuville est notre premier film de famille ensemble », dit Kelly Rivière, « c’est un kaléidoscope de petits riens que le cinéma permet de célébrer et partager pour faire un pas de côté et dédramatiser un tant soit peu une situation oppressante dont l’issue reste à ce jour encore incertaine. » Pleuville retrace, en quatre épisodes réalisés par David Jungman, les tentatives de la jeune femme pour traverser ces temps difficiles avec humour et tendresse.

« Le cinéma, dit Jean-Luc Godard, est « un oubli de la réalité ». Mais comment oublier le réel lorsqu’il se fait aussi présent ? Pendant cette période, nous ne pouvions pas échapper au temps présent , dit la comédienne. Dans les aventures quotidiennes de Kelly Rivière et des siens, ses tentatives de remettre un cadre, de trouver du sens à ces journées qui se répètent, chacun reconnaîtra un peu de sa propre expérience. Rions avec ces quatre épisodes Hissons-nous, Papillon, Des droits et des devoirs et Se débarrasser des cadavres… Tout un programme !

 https://vimeo.com/showcase/7084037?fbclid=IwAR3dU46ubSehW8HOM4_8yF0Tuq4qymEfEYkSJ9agGxGxKd4d3IOToa_-5YI

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Michel Deguy

Coronation de Michel Deguy

Pour fermer la marche du palmarès des prix Goncourt 2020,  celui-ci proclamé le 11 mai a été attribué à Michel Deguy, poète, essayiste, philosophe et créateur de la revue Po&sie. Il se voit couronné pour l’ensemble de son œuvre. Toujours en prise sur l’actualité, l’écrivain   n’a pas la plume dans sa poche : avec l’humour qu’on lui connaît (voir Théâtre du Blog Ode au bus 29) il propose sur le net la lecture d’un inédit : Coronation : « Le coronavirus »… déjà un hémistiche !/ L’épigramme peut cadencer ! / La contamination descend des Contamines /Tes confins mes confins se confinent / Mais nos confins débordent le confinement /Nous nous se contamine/ J’entends l’économie décroître dans les bourses/Dix millions de Chinois auront perdu la face/ Masques et vidéos se toisent en chiens de faciès … »

https://www.youtube.com/watch?v=2YkBISS8M5k

Des auteurs à lire par Théâtre Ouvert :

 Faute d’avoir pu présenter les événements programmés chez son partenaire la MC93, Théâtre Ouvert-centre des dramaturgies contemporaines, pendant les travaux dans son nouveau lieu l’ex-Tarmac, nous offre de la lecture. Les quatre derniers tapuscrits peuvent vous être envoyés en format pdf sur simple demande par courriel ou par Messenger. Il sera possible de dialoguer avec chaque auteur/trice et avec l’équipe de Théâtre Ouvert, en  envoyant des retours, écrits, sonores ou vidéo !

A Parté  de Françoise Dô

Nicole est de retour dans la région. Elle refait sa vie avec son nouvel amant, Chat. Mais Stéphane, son mari dont elle est séparée depuis quelques mois, voit en ce retour l’occasion de la reconquérir. Il commence à la suivre à son insu.

 Pour ton bien (Per il tuo bene)  de Pier Lorenzo Pisano (en édition bilingue français/italien)

Le fils aîné a depuis longtemps quitté la maison. La mère l’appelle pour qu’il revienne: « Papa ne va pas bien ». Le cercle familial : mère, fils et frère, grands-mères et tonton, se reconstitue temporairement…

 Les Inamovibles de Sédjro Giovanni Houansou

Prix R.F.I. 2019  (voir Le Théâtre du Blog) cette pièce de l’écrivain béninois retrace l’histoire de Malik qui s’est jeté sous un train, pour ne pas rentrer la tête basse au pays où l’attend son père, en compagnie d’autres parents de jeunes exilés. En sept mouvements, la pièce nous transporte dans un espace collectif incertain… tout en pénétrant dans l’intimité des personnages. Ceux qui sont partis et ceux qui restent.

 La Truite de Baptiste Amann

C’est dimanche. Un couple proche de la retraite a invité ses trois filles pour fêter les soixante ans du père. Les filles débarquent avec leurs conjoints et enfants…  Le repas familial devient la scène de règlements de compte.

L’Araignée
de Charlotte Lagrange

Elle travaille toujours dans l’Aide sociale à l’enfance. Mais on préfère que ce ne soit plus avec des mineurs non accompagnés au motif qu’elle devait s’appliquer et non s’impliquer.

 nl@theatreouvert.com

 

Mireille Davidovici

 

 

 

 

Pièces secrètes et Pièces costumées, Pièces secrètes, Pièces costumées de Jean Anouilh,

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Théâtre de Jean Anouilh: Pièces secrètes et Pièces costumées,Pièces secrètes, volume contenant Tu étais si gentil quand tu étais petit, L’Arrestation et Le Scénario. Pièces costumées,volume contenant L’Alouette, Becket ou L’honneur de Dieu et  La Foire d’Empoigne.

Cet auteur dramatique ( 1910-1987) aura été, pendant plus d’une trentaine d’années, l’écrivain le plus représentatif et le mieux accueilli d’une classe sociale, la bourgeoisie d’après-guerre, cultivée et sceptique. En anarchiste de droite, il n’a cessé de la poursuivre de ses sarcasmes, dit Michel Corvin, dans son Dictionnaire encyclopédique du théâtre. Il commença encore très jeune à lire des auteurs dramatiques aussi différents que Paul Claudel, Luigi Pirandello, George Bernard Shaw  et Jean Giraudoux avec Siegfried en 1928. Il commencera à écrire des comédies comme Le Bal des Voleurs  (1938).

Et plus tard, il devient l’auteur pendant l’occupation allemande, Jean Anouilh fait jouer deux de ses Pièces noires, Eurydice, en 1941 puis Antigone en 44 , au Théâtre de l’Atelier dans une mise en scène, un décor et des costumes d’André Barsacq, une pièce devenue célèbre. Mal accueillie lors de sa première, elle aura un beau succès et sera considérée comme l’un des sommets de son œuvre. Roméo et Jeannette fut aussi créé l’année suivante par ce même metteur en scène et dans ce même théâtre avec Michel Bouquet qui deviendra lune des acteurs-fétiches, Jean Vilar, Suzanne Flon et Maria Casarès!


I23671 - copieAux éditions de la Table ronde, paraissent cette année dans une nouvelle édition, ses Pièces secrètes et les Pièces costumées. Dans Tu étais si gentil quand tu étais petit, L’Arrestation et Le Scénario, les intrigues,  lieux et époques sont différentes. Chacune de ces œuvres reflète son auteur,  comme un miroir renvoie, selon les heures et les saisons, es images changeantes d’un même visage. Elles sont répertoriées comme étant secrètes.Jean Anouilh se révèle ici presque dépouillé des masques comiques ou tragiques derrière lesquels il tente de protéger sa vérité : ces Pièces secrètes doivent être déchiffrées dans le silence et la solitude. Aussi l’auteur a-t-il parlé d’elles avec un rire gentil : Mes fours…

Cet auteur sarcastique écrit des comédies bourgeoises aux figures grotesques et caricaturales. Ainsi, dans les Pièces costumées, L’Alouette (1952), créée par Suzanne Flon et Becket ou l’Honneur de Dieu (1959) où le roi Becket ne peut plus rien pour sauver son ami: deux chefs-d’œuvre avec L’Arrestation (1975) qui, elle, se trouve dans les Pièces secrètes.

I23670 - copiePour les Pièces costumées, l L’Alouette (1953) a été créée au Théâtre Montparnasse-Gaston Baty en 1953, mise en scène par l’auteur et Roland Piétri, avec les décors et costumes de Jean-Denis Malclès, une « reprise de Jeanne d’Arc » avec, entre autres, Suzanne Flon, Michel Etcheverry, Roland Piétri, Michel Bouquet… Becket ou l’Honneur de Dieu (1959) a été créée  dans ce même théâtre dans une mise en scène de Jean Anouilh et Roland Piétri, avec, entre autres, Daniel Ivernel, Bruno Crémer, Henry Darbrey, Charles Nissar.

La Foire d’Empoigne (1960) fut jouée pour la première fois  en 1962 à la Comédie des Champs-Elysées, dans la mise en scène de l’auteur et Roland Piétri, avec Paul Meurisse, Henri Virlojeux…Pour les Pièces secrètes, Tu étais si gentil quand tu étais petit (1969) a été créée au Théâtre Antoine en 1972 dans une mise en scène de Jean Anouilh et Roland Piétri. Entre autres figures de la tragédie antique, on découvre Oreste (Hervé Bellon), Electre (Danièle Lebrun), Clytemnestre (Francine Bergé), le Chœur (Maud Rayer) et le pianiste (Hubert Deschamps)…

L’Arrestation (1971), la pièce a d’abord été créée en 1974 à Bristol à Londres, sous le titre The Arrest. Puis  à Paris, au Théâtre de l’Athénée en 1975 dans une mise en scène de Jean Anouilh et Roland Piétri , avec, entre autres, Raymond Bussières et Claude Dauphin… Et Le Scénario (1974)  au Théâtre de l’Oeuvre en 1976 dans une mise en scène de Jean Anouilh et Roland Piétri avec Daniel Gélin, Jacques Fabbri, Jean Amos, Sabine Azéma Florence Blin…

A l’époque, nulle saison sans que ne soit montée une ou plusieurs pièces de Jean Anouilh. Mais il était aussi metteur en scène et a révélé en 1962 au  public Victor ou les enfants au pouvoir de Roger Vitrac, une pièce créée par Antonin Artaud en 1929. Et elle a été depuis constamment montée souvent par de jeunes compagnies.  Pour Michel Corvin, le ton grinçant de l’auteur, un mélange détonant de rire et d’amertume, de hargne et de fantaisie, ne le fait jamais « poser » : « Il est maître en pirouettes et roi de l’esquive. Il est aussi, en tant qu’écrivain de théâtre, l’inventeur d’un dialogue rapide, contrasté, taillé dans le marbre d’une prose forte, aux veines colorées et chatoyantes. » Héritier en cela de Pirandello, et plus lointainement de Molière et de Shakespeare, capable de bâtir des œuvres à multiples fonds, avec surimpression des temps, des espaces et des langages comme dans L’Alouette.

Avec le savoir-faire d’un professionnel qui fait mouche sur un public sensible aux prouesses d’acteur : Suzanne Flon, L. Pitoëff,  François Périer, Jean-Louis Barrault, Bernard Blier, Michel Bouquet, Jean Anouilh a réussi à écrire des pièces à lire ou à redécouvrir: un demi-siècle après, voire plus, elles nous parlent encore et toujours de notre temps. Il écrivit aussi un recueil de fables, quelques récits, plusieurs livrets d’opéra ainsi que de nombreux scénarios et adaptations cinématographiques et télévisuelles. Il créa de la revue La Nouvelle saison avec Jean-Louis Barrault et René Barjavel en 1939

 Véronique Hotte

Brève et savoureuse rencontre avec un jeune critique avec Jean Anouilh dans le hall de la Comédie des Champs-Elysées vers 1970: « -Monsieur, pourriez-vous m’accorder une interview? -Monsieur, vous êtes bien gentil mais vous saurez que j’ai trois choses en horreur: la télévision, les voyages en avion et les interviews. -Merci, monsieur, j’en prends bonne note et au revoir. »

Philippe du Vignal

Pièces secrètes et Pièces costumées de Jean Anouilh, éditions de La Table ronde, collection La Petite Vermillon.

Pièces secrètes de Jean Anouilh, nouvelle édition 2020. avec Tu étais si gentil quand tu étais petit, L’Arrestation et Le Scénario, 320 p, 8,90 €.

Pièces costumées de Jean Anouilh, nouvelle édition 2020, avec L’Alouette, Becket ou L’Honneur de Dieu et La Foire d’Empoigne, 320 p, 8,90 €.

Livres et revues

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Frictions : hors série vingt ans

648C1D11-38FE-4EB3-B944-8B33250746D3Vingt ans d’existence… Rare voire très rare pour une revue surtout quand  on parle de mises en scène ou  théorie,  et qu’on publie aussi des textes théâtraux. Le tout de façon impertinente, c’est à dire en y regardant de plus près:  tout à fait pertinente. Et avec de petits cahiers de photos sans titre et d’une belle qualité plastique. En relation avec les textes? Non pas du tout mais finalement si, même si c’est de façon, disons souterraine… Et cela, pourrait-on dire, constitue aussi la signature de cette revue dirigée par Jean-Pierre Han… Discrète mais présente partout; chaque numéro est tiré à trois cent exemplaires et les abonnés en gardent jalousement la collection entière… quand ils ne s’en font pas comme nous, en emprunter sans espoir de retour un numéro convoité… .

  «En deux décennies, dit Jean- Pierre Han, quel tableau s’impose à nos yeux ? Est-ce l’inventaire du travail théâtral de ces années auquel mes textes donnés ci-après font écho ? Peut-être s’agit-il simplement de poursuivre le combat. »  Des phrases qui font écho  au premier de l’ensemble de trente éditos rassemblés ici dans ce numéro hors série : «Ni journal, ni magazine, Frictions se situe délibérément dans la mouvance des revues de réflexion. Elle entend réinstaurer le débat, depuis si longtemps disparu dans le monde du théâtre, sans craindre la polémique, mais sans la rechercher artificiellement. » (…) Le fonction de l’art est de prendre parti ; Frictions prendra parti pour une certaine idée du théâtre. »

Et ce n’est sans doute pas un hasard si le numéro s’ouvre sur la photo de deux yeux ouverts puis de deux yeux fermés, suivi quelques pages plus loin de celles d’un manège d’une vingtaine d’autos-tamponneuses soigneusement alignées… mais prêtes à l’action. Une belle métaphore de l’exercice  pratiqué au quotidien par la petite tribu de la critique théâtrale. Il y a comme cela rassemblés ici trente et un éditos où son auteur  fait le point et avec la plus grande lucidité sur la situation du paysage théâtral dix ans après la création de Frictions. Non sans moult raisons mais parfois avec un certain pessimisme. Mais qu’il se rassure, s’impose la grande qualité des textes, notamment ceux de Marie-José Mondzain, d’Eugène Durif mais aussi de la maquette signée Jean-Michel Diaz, et des illustrations. Et numéro après numéro, la revue offre un éclairage précis, lucide et sans complaisance aucune sur la scène contemporaine et bien entendu, sur ses dérives actuelles… Jean-Pierre Han s’est toujours refusé à une facilité : constituer des dossiers qui sont toujours « vendeurs ».
C’est sans doute aussi le prix à payer pour rester indépendant et donc à la seule merci de ses lecteurs qu’ils soient abonnés ou non.  On souhaite longue vie à Frictions : les revues qui dépendent  ni de grandes ou de petites institutions se font rares. Mais on ne dira jamais assez que c’est un indispensable outil de réflexion…

Philippe du Vignal

Rédaction, abonnement : 27 rue Bannier, 75014 Paris. T. : 01 45 43 48 95. frictions@revue-frictions.net www.revue-frictions.net

 

092A1D91-F947-4A3D-B380-8131B8396147Les Mémoires des Géants Royal de Luxe s’invite chez les spectateurs de Hee-Kyung Lee

Le Royal de la fameuse compagnie de théâtre dit de rue a une longue histoire…nous lui avions offert des habits 1900quand elle fut  fondée en 1979 par Jean-Luc Courcoult, Véronique Loève et Didier Gallot-Lavallée, alors encore notre élève aux Beaux-Arts d’Orléans et basée à Nantes dix ans plus tard. On se souvient entre autres de  Parfum d’Amnésium-Roman photo tournage,  1985. Puis sans doute le plus connu,  La véritable Histoire de France, créé en Avignon devant le Palais des papes en 1990, Le Tréteau des ménestrels : Soldes ! Deux spectacles pour le prix d’un,  (2003)  et cette parodie de western assez réussie Rue de la Chute qui fit les beaux-jours du festival d’Aurillac en 2012. Mais aussi devenus célèbres, les Géants à Nantes avec, entre autres: Le Grand Géant en 93, La Grande Girafe en 2000, Le Géant en colère en 2007
Hee-Kyung Lee, une sociologue coréenne vit en France et est passionnée par les arts de la rue. Au Havre où le premier de ces Géants a été montré au public, elle a rencontré en particulier des résidents de la ville haute, quartiers plus populaires que ceux de la ville d’en bas et elle a recueilli leurs témoignages. C’est souvent brut de décoffrage, écrit au fil de l’ordinateur et aurait mérité d’être plus resserré mais comme il est rare de connaître l’appréciation des habitants des villes où Royal de Luxe est passé, on ne va pas faire la fine bouche…

Plus intéressant:  toutes les lettres adressées à la fameuse compagnie et venue parfois de l’étranger. Les spectateurs ont vécu différemment cette rencontre mais cela a été un moment important de leur vie et ils le disent souvent de façon très émouvante. « On trouve, dit l’auteure,  une équation entre la structure du spectacle et la manière dont cette saga se monte, se déroule et les caractéristiques de sa réception.”  Et Hee-Kyung Lee analyse finement les éléments communs qui permettent à Royal de Luxe d’agir comme une sorte de conteur  et de faire se rencontrer les Géants qui ne font pas grand chose avec les habitants de la ville où cela se passe.. Et ils sont très présents, comme cette fourchette surdimensionnée plantée dans une voiture…

Et l’auteure a raison d’insister sur la « sublime technicité » grâce à laquelle ces Géants peuvent se déplacer et sur la grande qualité des images ainsi produites : la marque de fabrique des spectacles de Royal de Luxe dont les spectacles sont autant de sculptures très réussies: on insiste rarement là-dessus. Et il y a une remarquable post-face de Jean-Pierre Marcos,  le président d’Artcena, le Centre national des arts du cirque, de la rue et du théâtre. Que demande le peuple ?
Un livre un peu cher! mais qui complète utilement les nombreux articles et publications consacrées à Royal de Luxe devenue LA compagnie emblématique du théâtre de rue français, grâce notamment à ceux qui lui ont fait confiance dont Jean Digne, à l’époque directeur de l’opération Aix-en-Provence, ville ouverte aux saltimbanques.

Ph. du V.

Le livre est publié aux éditions de L’Harmattan. 236 pages. Prix : 24, 50 €.

  

 

 

 

Livres et revues

Livres et revues

Jeu n° 169

3B4BA439-BBB2-4670-98F0-06B4B7B59E0CFondée en 1976 et publiée quatre fois  par an, cette revue québécoise est la seule francophone en Amérique du Nord consacrée aux arts du spectacle. Avec toujours de bons articles et documents sur la mise en scène et l’interprétation au théâtre mais aussi sur la chorégraphie ou le cirque…
Au sommaire de ce numéro paru en décembre, un texte sur la pratique chorégraphique d’Andrew Tay par Laurane Van Branteghem.  La dernière création  de cet artiste né en Ontario  Fame Prayer / EATING, a été présentée au Théâtre la Chapelle en avril dernier. En collaboration avec François Lalumière, artiste visuel de Montréal et Katarzyna Szugajew photographe polonaise mais aussi sculptrice et performeuse. Intérêt commun : leur intérêt pour le corps nu, le corps comme matière.

Ils se sont rencontrés en dansant pour la chorégraphe viennoise Doris Uhlich dans la pièce More Than Naked avec vingt interprètes dont une DJ, tous nus sur scène. Avec Fame Prayer / EATING, Andrew Tay  veut, dit-il, explorer le domaine de la spiritualité et de l’esthétique queer.  Il y aussi un texte sur le chorégraphe et interprète Raimund Hoghe qu’on avait pu en Avignon cet été (voir Le Théâtre du Blog).

Sous la direction de Raymond Bertin, il y aussi un le dossier très complet sur la formation de l’acteur. Que ce soit dans les écoles mais aussi dans les formations continues (ateliers, stages, classes de maître) . Et il y a aussi un article de Lise Roy qui parle des visites qu’elle a faites dans les écoles de théâtre de Stockholm.

Ralph Elawani signe lui, une enquête sur l’affaire Sicotte qui a secoué le Québec il y a un an  et sur les leçons que l’on a pu en tirer. Il s’agit de la mise en cause d’un comédien et enseignant qui n’a pas été accusé de crimes de nature sexuelle mais un reportage de Radio-Canada, très controversé, révéla que la direction du Conservatoire venait de suspendre un de ses professeurs Gilbert Sicotte. Quelques-uns parmi ses anciens élèves témoignent de ses méthodes d’enseignement selon eux «excessives et abusives». Par ailleurs, trente-deux élèves le défendirent alors dans une lettre, mais il sera licencié en février. L’affaire amènera les écoles de théâtre à  faire leur auto-critique et à prévoir  des mesures, pour éviter, par l’entremise d’une « ombudsperson », tout harcèlement ou comportement inapproprié. Bref, la question demeure en filigrane: qu’est-ce qu’un bon pédagogue? Il ne peut sûrement plus avoir le profil de ceux qui exerçaient, il y a une vingtaine d’années, que ce soit dans un lycée, ou une école de théâtre ? Mais les Québécois se demandent avec juste raison si Gilbert Siccote n’a pas été dans toute cette histoire à rallonges, une sorte de bouc émissaire?

La Gravité
de Steve Paxton, traduction de Denise Luccioni

FBE0931B-C07F-4AF5-8A2C-329A7CD44205Ce danseur, chorégraphe, et surtout pédagogue  américain de  soixante-dix neuf ans, a travaillé avec Merce Cunningham dès 1961. Il aborda la pratique de l’aïkido en 65 à Tokyo et a été un des membres fondateurs du fameux Judson ChurchTheater l’année suivante avec Trisha Brown. Il travailla avec elle mais aussi excusez du peu avec Yvonne Rainer, Robert Rauschenberg, et Lucinda Childs. Il fondera avec Anne Kilcoine en 86, Touchdown, une structure en Angleterre qui offre aux mal-voyants la possibilité de danser.

Il enseigne le contact improvisation, une danse improvisée qui s’est beaucoup développée en Europe, surtout aux Pays-Bas et en Angleterre.  Avec comme principes fondamentaux pour les mouvements du corps en contact avec d’autres corps: fluidité dans la transmission et la réception du poids, prise d’initiative,  réflexes et empathie physique innée. Avec une grande importance accordée à la colonne vertébrale et aux mouvements du bassin. Et à la conscience de l’effet de gravité sur nos tissus. « La gravité, dit-il, est une force, une force naturelle. » Il y a de belles phrases qui ressemblent à un haïku comme : « Que fait mon corps, lorsque je n’en suis pas conscient. » Ou cet hommage à la marche : « Nous apprenons à marcher seuls. «  (…) « Elle devient ensuite le fondement de tous nos mouvements, la source d’une grande part de la danse. » Mais Steve Paxton n’aura cessé  d’expérimenter et de montrer dans ses spectacles « la fragmentation du mouvement dans le temps en particules d’expérience qui peut atteindre l’infinitésimal. »
Ce petit livre de 80 pages qui rassemble différents textes qu’il a écrits entre 2005 et 2008 et qui témoignent d’une bel essai de compréhension et d’une recherche intransigeante sur la déconstruction en chorégraphie. Et Steve Paxton, on l’oublie souvent, a eu une influence considérable sur toute la danse contemporaine.

Editions Contredanse, Bruxelles 2018. 12€

Frictions n° 30

A0590A5A-A224-4D15-878C-CEC8B41050BCEn introduction, un très bon édito de Jean-Pierre Han : Nos petites lâchetés, où il parle  de la fonction de metteur en scène qui, dit-il non sans raison, commence à être remise en cause, alors qu’elle a connu son heure de gloire depuis une cinquantaine d’années avec, notamment une relecture des classiques (Roger Planchon puis Patrice Chéreau…. Au profit des collectifs (on  parlait souvent après 1968 de « création collective » sans qu’on sache mieux ce que cela recouvrait en termes d’autorité ni en méthodes de travail.
Jean-Pierre Han a aussi raison quand il s’en prend à une partie de la critique  qui  «se pâme souvent devant ce qui n’est que poudre aux yeux». On l’a vu encore récemment avec cette pathétique Ecole des Femmes montée par Stéphane Braunschweig et trop souvent encensée. On ne dira jamais assez les effets pervers du snobisme dans l’accueil d’un spectacle. Et tout se passe trop souvent comme s’il y avait des metteurs en scène sanctuarisés et comme la critique avait peur d’un possible retour de manivelle. Mais, grand Dieux, de qui et lequel ?

 Au sommaire de ce nouveau numéro, un texte d’André S. Labarthe disparu cette année, un article de la philosophe Marie-José Mondzain, très riche comme comme toujours, sur la relation de l’être humain aux images  et sur la relation de demande qu’établit l’industrie de fabrication des images. En lien direct, bien entendu, précise-t-elle, avec l’économie de marché. Et comment les flux télévisuels provoquent un saccage subjectif. Une analyse, pas toujours facile à lire en l’absence de paragraphes mais des plus lucides.

Signalons aussi une sorte de confession sur son métier de clown et jongleur Nikolaus, et sur l’école de cirque de Châlons-en-Champagne. Et enfin, des extraits d’un beau texte d’Eugène Durif  La Danse arrêtée de Lucia Joyce : cette pièce a été créée  ce mois-ci à Villeneuve-d’Ascq avec Nadège Prugnard.

Frictions n° 30 . 14 €

 Philippe du Vignal

 

Akaji Maro, Danser avec l’invisible, présentation et entretiens d’Aya Soejima

Livres et revues:

Akaji Maro, Danser avec l’invisible, présentation et entretiens d’Aya Soejima, photos de Nobuyoshi Araki

(C)Jean  Couturier

(C)Jean Couturier

Un beau titre pour un livre qui explore la vie et l’art d’Akaji Maro dont le travail a été présenté cet hiver à la Maison de la Culture du Japon. La photo de couverture et celles qui accompagnent ces entretiens sont du célèbre Nobuyoshi Araki, photographe officiel d’Akaji Maro et de sa compagnie Dairakudakan. Ils se sont rencontrés à la fin des années 1960 dans le studio de Tatsumi Hijikata, créateur de la danse butô, décédé en 1986.

A force d’accompagner le maître dans ses interviews parisiens depuis plusieurs années et de se rendre deux fois par an dans son studio à Tokyo, Aya Soejima a eu l’idée de ces entretiens. La première partie du livre révèle la vie d’Akaji Maro depuis sa naissance à Nara en 1943, jusqu’à son travail, ces dernières années avec sa compagnie. Un long parcours, riche en rencontres artistiques: Yuko Mishima, les danseurs Ushio Amagatsu et Carlotta Ikeda, les cinéastes Takeshi Kitano ou Quentin Tarantino… D’abord engagé dans les milieux  culturels alternatifs de Tokyo, en marge d’une société japonaise strictement réglée, le chorégraphe s’intéresse au théâtre dès son adolescence et, en 1964, rencontre Jūrō Kara et participe à la création du Jôkyô Gekijô, compagnie-phare du théâtre underground. Le maître est devenu avec le temps, une institution mais mieux reconnue à l’étranger que chez lui.

La deuxième partie du livre, consacrée à sa vision de la danse et du monde, révèle les codes et orientations de ses créations et sa belle philosophie de l’existence. «Je joue au théâtre, je danse, dit-il. Mais je ne fais que mettre l’humain en scène.» Comment interpréter une existence, par le théâtre ou la danse? Jūrō Kara mettait en avant les errements de l’amour, ses fêlures et aberrations. Les textes, fondés sur le sens caché des mots et la polysémie, ont influencé le jeu des acteurs en qui il avait confiance. Il les questionnait beaucoup sur leur vie, puis insufflait une partie de leur vécu dans leur personnage. «J’ai changé de manières de m’exprimer, en passant du théâtre à la danse, mais je me dis que la danse représente aussi la vie de chacun. Le théâtre, pour moi, est un art raffiné. Ma danse, elle, relève plus du rituel. C’est plus primitif.».

Un livre passionnant et à découvrir.

Jean Couturier

Akaji Maro, Danser avec l’invisible, présentation et entretiens d’Aya Soejima. Riveneuve Archambaud éditeur.

        

Passagers clandestins et Ecran sensible, performance d’Alain Fleischer

 

Passagers clandestins et Ecran sensible, performance d’Alain Fleischer

 C’est aussi un livre publié à l’occasion de la belle exposition Passagers clandestins/Transferts, Transformations, et Restes,   au Centre des Arts d’Enghien-les-bains dirigé par Dominique Roland qui a présenté sa nouvelle saison d’abord par le biais d’un très remarquable hologramme de lui-même après avoir  serré la main de son double. Brillante saison, avec, entre autres  des spectacles et des films, notamment quelques fabuleux court-métrages de Charlie Chaplin et de Buster Keaton, dans une salle de presque quatre cent places, des ateliers, des conférences et des résidences de création, toujours à la marge entre arts scéniques et plastiques, et nouvelles technologies de l’image et du son. Bienheureux habitants d’Enghien-les-bains…

Le livre reprend avec des textes de Daniel Doebbels et de cet écrivain, cinéaste et artiste multidisciplinaire,avec photos et textes relatif aux quelque trente œuvres ici exposées. Passagers clandestins est aussi le titre de la nouvelle qui ouvre cette sorte de catalogue “En fait, dit-il, c’est la première fois qu’ne œuvre littéraire constitue pour moi la sorte de partition d’une exposition (…) Ici, le texte littéraire tente de parcourir l’exposition, de relier entre elles certaines ouvres, d’annoncer le thème du transfert des formes, de leur transformation, du passage d’un support à un autre, à travers de multiples interfaces.”
De ce long parcours artistique-certaines œuvres remontent à trente ans, voire plus- il y a d’évidence une filiation par le biais de l’image  avec l’art conceptuel mais pas seulement. Comme cette très belle installation avec projection vidéo ( 1979) où on peut voir l’image du visage d’une très jeune femme dont les cheveux volent, et qui est projetée sur les pales d’un ventilateur. L’appareil ayant ici une double fonction poétique: fabriquer un courant d’air provoquant l’envol des cheveux mais aussi servir d’écran, constitué par les pales en mouvement.  Un peu dans la même veine, si on peut dire: Nuage, une vidéo réalisée cette année avec la collaboration de Gaïa Riposati et Massimo di Leone avec des éclairs de lumière à l’intérieur d’un nuage qui sont comme imposés par une voix répétant: “Je ne suis qu’une image.”
Il y a aussi la projection d’une vidéo en noir et blanc (1992) sur très grand écran qui fascine avec raison le public.  Dans cet Homme dans Les Draps, aucun être vivant  sur ce grand lit mais seulement les plis du coton qui, avec une grande lenteur, se forment et se déforment. Libre à nous d’y voir quelque chose comme des visages énigmatiques. En tout cas, pendant une dizaine de minutes, la présence indéniable d’un ou deux personnages dont nous n’apercevrons jamais le corps mais qui ont une formidable présence.  Il y a aussi une installation Premier regard/Dernier regard ( 1991), soit deux séries de dix étagères en verre qui évoquent les péripéties de la vie humaine en deux mots: premier regard/dernier regard, premier mot/dernier mot: premier amour/dernier amour,etc. Soit vingt propositions rigoureusement traitées en verre sérigraphié. Le verre, on le sait, est un matériau exemplaire de pureté mais aussi difficile à traiter en sculpture, mais ici devenu un support remarquable.

 Ces œuvres réalisées par Alain Fleischer en papier argent, vidéo, objets ou appareils existants, papier, verre… posent aussi en filigrane la question du support, souvent nouveau  et sans cesse modifié, réinventé voire emprunté à l’industrie par les artistes mais toujours fragile et voué à la disparition en totalité ou en partie: surtout  la parole enregistrée, l’image projetée, et la lumière. A l’exemple de toute vie humaine, semble nous dire Alain Fleischer.

 Ecran sensible

 La présentation de saison comportait aussi une performance de cet artiste. Un très court-métrage avec scénario est projeté dans la salle. Entrée et sortie interdites et, bien entendu, extinction obligatoire des téléphones portables pendant les vingt minutes que dure la projection! Consigne répétée plusieurs fois et, curieusement, très respectée. Mais à la fin, aucun éclairage dans la salle qui reste noire.
Quelques assistants en combinaison blanche vont ensuite peindre l’écran de cinéma avec un rouleau imprégné de révélateur et une image fixe va apparaître, comme une sorte de mémoire là aussi fragile de la narration du petit film. Avec des manques et des ajouts. Et comme la métaphore et la preuve par neuf de  l’impossibilité de garder vraiment la trace d’un film, c’est à dire du sens d’images en mouvement quand on les reporte sur une image fixe.

Philippe du Vignal

Centre des Arts, Scène conventionnée Ecritures numériques, 12-16 rue de la Libération 95880 Enghien-les-bains. T: 01 30 10 88 91.
Passagers clandestins ( 175 pages) est édité par le Centre des Arts d’Enghien-les-bains. 20€.

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Charlotte Delbo, la vie retrouvée

Charlotte Delbo, la vie retrouvée, rencontre avec Ghislaine Dunant, lecture par Sophie Bourel

 

timthumb.php« C’est, écrivait Charlotte Delbo (1913-1985), parce que tu as tenu un jour encore, que tu reviendras, si un jour tu reviens. » Ghislaine Dunant, sa biographe, a travaillé sept ans à explorer la vie et l’œuvre de celle qui, revenue d’entre les morts, put ainsi témoigner. Elle a fouillé dans les archives nouvellement accessibles et recueilli des témoignages, mais ne s’est pas contentée de mettre en ordre sa documentation, elle est entrée en symbiose avec le texte imagé et rythmé de cette femme qui a su trouver les mots pour dire les camps de la mort et réparer les vivants : «J’ai rencontré dans les livres de Charlotte Delbo une écriture qui crevait la surface protectrice de la vie, pour toucher l’âme, dit-elle. Le trou que faisait dans mon humanité la catastrophe d’Auschwitz, un écrivain me donnait le moyen de le raccommoder avec une œuvre qui en faisait le récit. Elle avait cherché la beauté de la langue dans le terrible des mots, ciselés en arrêtes coupantes.»

 Au cœur de cet ouvrage, prix Fémina 2016 de l’essai, la relation de Charlotte Delbo avec le théâtre et son mentor, Louis Jouvet. Tout au long de sa captivité, le théâtre et ses personnages l’habitent et l’aident à tenir: «Electre et moi seule, savons ce qu’est l’attente (…) Chaque minute était une victoire mais pour si peu d’entre nous (…).  Don Juan était là pour pester contre l’enfer (…) Antigone avait une grandeur qu’elle n’a jamais eu ailleurs…» Son premier livre fut édité dix-neuf ans après sa rédaction (1946) et les suivants trouvèrent leurs lecteurs encore plus tard. Cette biographie tente aussi d’en donner les raisons.

Depuis quelques années, on a mis en scène ses textes. Mais rares sont ceux qui ont trouvé, comme Ghislaine Dunant, le ton juste pour entrer dans la vie de cette résistante communiste qui, pendant l’Occupation, partit en mai 1941 avec Louis Jouvet et la troupe de l’Athénée pour une tournée en Amérique du Sud mais décida de rejoindre Georges Delbach son mari resté en France et d’entrer avec lui dans la Résistance clandestine. Mais elle sera arrêtée avec lui; il sera fusillé au mont Valérien en 1942, et elle, déportée à Ausch­witz puis à Ravensbrück jusqu’en avril 1945.

A travers sa propre écriture, la biographe nous transporte au cœur d’une œuvre magistrale restée trop longtemps confidentielle. Elle nous a transmis son enthousiasme, le temps de cette rencontre, soutenue par la lecture de Sophie Bourel. La Maison de la poésie de la Ville de Paris, lieu de création, de diffusion et de rencontres créé en 1983, consacré initialement à la poésie, s’avère, une fois encore, un lieu privilégié d’écoute et de transmission des textes contemporains.

Mireille Davidovici

Maison de la poésie, 157 Rue Saint-Martin, 75003 Paris T : 01 44 54 53 00, le 7 février.

Charlotte Delbo, La vie retrouvée de Ghislaine Dunant, éditions Grasset, 2016
Aucun de nous ne reviendra de Charlotte Delbo, éditions de Minuit (1ère éd. : 1965.)  

 

Au bord du théâtre d’Eugène Durif

Au bord du théâtre, d’Eugène Durif

au_bord_du_theatre_tome_2_eugene_durif_cover En deux gros volumes-plus de huit cent pages-l’auteur a réuni essais, esquisses, poèmes, premiers jets, ébauches, entrées de clowns et monologues, en regard de la trentaine de pièces, romans, et autres, déjà publiés depuis la fin des années quatre-vingt.
 Au bord du théâtre n’est pas une compilation de paperolles, un recueil des miettes de la création-comme s’il ne fallait rien laisser perdre-mais presque une méthode extensive qu’Eugène Durif nous donne de la lecture de ses textes.
Voilà : même parfois obscurs, mais ni plus ni moins que la vie même, ces  fragments, pourrait-on dire, sont faits de chair-la chair faite verbe-tant le toucher, la peau, la sensibilité y sont présents. Y compris sous leur forme la plus brutale, la violence sociale (voir le premier texte du volume II: Comme un qui parle tout seul), et la violence sexuelle, sans exhibitionnisme.

Eugène Durif pratique l’émotion comme source de connaissance de l’humain, et elle transpire de ses textes, mettant en lumière une vérité importante et mal connue : nous sommes perméables, quoique nous fassions pour nous protéger (enfin, certains n’y parviennent que trop). Cette perméabilité, il la met en pratique, très simplement, en publiant à côté de ses propres textes, quelques-uns de ceux qui ont été écrits en atelier d’écriture avec des comédiens «différents». Eugène Durif a en effet beaucoup travaillé avec des Centres d’Aide par le Travail, et très simplement, prend au sérieux ces productions, qui ont parfois la force et la liberté de l’art brut.

Au bord du théâtre  tient de cette pratique un peu secrète, et aussi des franges d’une écriture plus publique. Et d’une colère contre un théâtre beau et bien fait, bien pensant, mais fermé sur lui-même et sur un public privilégié. «L’œil du prince», mais partout, et pour tous ! « Être au bord du plateau » lui donne aussi la possibilité de s’adresser au public autrement, dans une situation plus intime, plus complice, plus perméable.
Ce bord-là nous remet au centre du théâtre : quand il rencontre un public sans connivence, sans prérequis, directe et disponible. L’art du théâtre, ce sont aussi ses méthode de production, de diffusion : pas d’idéalisme qui justifierait injustices et exclusions ! « Le théâtre pour tous » commence au plus près de quelques-uns.

Le poète Eugène Durif nous parle beaucoup de la mort, obstacle définitif, muet. Mais les morts, eux, sont là, faits comme nous, de l’étoffe des rêves. Quelque chose passe d’eux à nous, ultime forme du toucher, si présent, on l’a vu, dans Au bord du théâtre
Voilà un livre qui ne ressemble à aucun autre, et qui fait plus qu’ouvrir des portes : il les fait disparaître. Et il y a une courageuse maison d’éditions pour se faire complice de cette révolution douce.

Christine Friedel

Editions La Rumeur libre, collection La Bibliothèque. A paraître en 2017, le tome III : Figures de la tragédie. L’ensemble  sera réuni dans un coffret.

 

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