Analyse pragmatique du discours théâtral de Marivaux de Vassiliki Derizioti

Analyse pragmatique du discours théâtral de Marivaux de Vassiliki Derizioti
© Derizioti

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Née à Athènes, l’autrice y a vécu jusqu’à dix-huit ans et a ensuite dans les Cyclades, le Dodécanèse, le nord de la Grèce, à Nicosie mais aussi à Madrid. Elle a étudié les lettres françaises à l’Université d’Athènes et a écrit un D.E.A. sur la linguistique pragmatique avec une analyse de pièces du siècle des Lumières et de Marivaux. Recrutée en 98 comme professeur de français, elle a enseigné dans des établissements d’enseignement publics à Kos, Athènes, Thèbes, Nea Apollonia, Andros. Puis, elle a été directrice du lycée à Syros et est maintenant celle du premier lycée expérimental à Maroussi. Elle parle anglais, français, espagnol et allemand.

 
L’originalité de cette monographie écrite en français par une écrivaine grecque réside dans sa théorie linguistique sur ce dramaturge au style fait d’observations pour arriver à une conclusion générale. Marivaudage et marivauder apparus du vivant même de cet écrivain, indiquent un « mélange bizarre de métaphysique subtile, locutions triviales, sentiments alambiques et dictions populaires». Des mots  péjorativement utilisés dans la première moitié du XVIII ème siècle, par ses adversaires puristes et tenants de la tradition.

Ensuite, le célèbre auteur arriva à la mode et le marivaudage devint synonyme de grâce et tendresse spirituelle. Une autre définition, plus récente, a été proposée par le dictionnaire français Larousse vers 1900, faisant allusion à des afféteries, raffinements et galanteries…Le marivaudage renvoie en effet à un style précis qui n’a rien à voir au «je ne sais quoi» dont parlent certains auteurs. En lisant cet ouvrage, nous redécouvrons la langue magistrale du grand dramaturge. Toutes les œuvres, analysées ici, possèdent un langage codé qui incite les interprètes, comme le public, à un déchiffrage. Il parle en effet «à mots couverts» et ses personnages disent l’explicite pour faire passer l’implicite…

 
Nektarios-Georgios Konstantinidis

Editions ἡδυέπεια, Athènes (2025).


Archives pour la catégorie analyse de livre

Livres et revues

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Frictions n° 39

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Ce beau et nouveau numéro commence avec un éditorial de Jean-Pierre Han, le directeur de cette publication si précieuse : Une bataille politique sur le plan esthétique ? Mais de quelle esthétique, parlons-nous ? où il analyse en profondeur les problématiques idéologiques-genre roman national portées par le Puy du Fou les cérémonies d’ouverture des Jeux Olympiques pilotées par Thomas Jolly ou par le projet au château de Chambord de Patrick Boucheron et Mohamed El Kahtib. Celui-ci, rappelle-t-il, avait conçu Stadium avec cinquante-trois supporters du Racing Club Lens. Jean-Pierre Han rappelle aussi, avec juste raison, que Le Royal de Luxe avait créé un merveilleux spectacle de « théâtre de rue », La Véritable Histoire de France. Et qu’il y a une tendance à «nous imposer un modèle de «festivalisation » du monde théâtral, un phénomène pointé du doigt et décrit par Jean Jourdheuil » Autrement dit, attention aux dérives et à bon entendeur salut.
Suivent plusieurs textes dont un de Jérôme Hankins sur Massacre des innocents : un nouveau paradoxe du comédien selon Edward Bond : des notes prises au cours des stages qu’il dirigea en France : un article tout à fait intéressant. Comme celui où Thierry Besche sur la voix à une époque où les metteurs en scène crient trop souvent que les micros H.F. Font des miracles…
Il y a aussi des textes, l’un de Noëlle Renaude sur Valère Novarina et sur
Théâtre et peinture
et une belle lettre de Gilles Aufray à cette «romancière poétique» qu’était Hélène Bessette (1918-2000). Voilà des lectures intelligentes mais aussi de belles photos, pour vous occuper sur les trajets mouvementés Clermont-Ferrand/Paris ou Brive-Paris ( à l’aller comme au retour) que vous offre généreusement la S.N.C.F…

Le Théâtre du Soleil Les soixante premières années de Béatrice Picon-Vallin

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Avec cette édition revue, l’autrice a complété son précédent opus sur l’histoire des dix dernières années de cette compagnie fondé en 64 par Ariane Mnouchkine et quelques camarades de fac de Sorbonne. Le premier spectacle que nous en avions vu, était Les Petits Bourgeois de Maxime Gorki dans l’ancienne petite salle du théâtre à Sartrouville. Souvenirs, souvenirs…
Le Théâtre du Soleil est la seule troupe avec la Comédie-Française, surtout à ses débuts et contre vents et marées, à avoir eu une une telle longévité et à être reconnue un peu partout dans le monde. Avec un fonctionnement collégial, même si Ariane Mnouchkine en est toujours restée la directrice et à quelques exceptions près, l’unique metteuse en scène.
Le Théâtre du Soleil s’est vite distingué par une approche radicalement différente du texte sous l’influence de Vsevolod Meyerhold mais aussi d’Antonin Artaud pour qui il
ne s’agissait pas « de supprimer la parole au théâtre mais de lui faire changer sa destination, et surtout de réduire sa place, de la considérer comme autre chose qu’un moyen de conduire des caractères humains à leurs fins extérieures(…) Or, changer la destination de la parole au théâtre c’est s’en servir dans un sens concret et spatial, et pour autant qu’elle se combine avec tout ce que le théâtre contient de spatial et de signification dans le domaine concret.
Et le Théâtre du Soleil à ses tout débuts, a toujours joué, par choix et aussi par nécessité, dans des espaces a-théâtraux comme, entre autres, une salle de boxe pour
La Cuisine d’Arnold Wesker, le cirque Médrano proche-il a, aujourd’hui, laissé place à un supermarché!-pour Le Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare…
Avant d’arriver dans les grands ateliers d’une ancienne Cartoucherie à Vincennes devenu depuis LE lieu mythique du théâtre français contemporain. Mais à l’époque encore à l’état de friche et dont la salle était très peu chauffée.  Ce fut la création en 70, juste après Milan, de son célèbre
1789, suivi par 1793. Avec une restructuration totale de l’espace public/scènes comme l’avait fait quelques années avant Luca Ronconi avec son très célèbre Orlando Furioso dans les anciennes halles de Paris: deux architectures du XIX ème siècle A la même époque, le Round House à Londres construit en 1847 par la London and North Western Railway pour abriter une plaque tournante pour locomotives; classé monument historique, il devint en 64 , un lieu de spectacle quand lle dramaturge Arnold Wesker y fonda la compagnie Centre 42.

A la Cartoucherie Robert Moscoso puis Guy-Claude François surent admirablement tirer parti de ce bâtiment industriel aux remarquables fermes Polonceau du nom de cet ingénieur qui imagina ces charpentes en fer et V inversé, capables de résister au vent. Et d’accueillir un très grand espace scénique frontal à l’éclairage zénithal (mais en réalité électrique) qui accueilli, entre autres, les cycle de tragédies grecques et shakespeariennes. On ne dira jamais assez combien le travail de Guy-Claude François-hélas disparu-qui dirigea la section Scénographie à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts déco à Paris- fut exemplaire et partie intégrante de chaque spectacle créé par Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil: «  Chaque chose au théâtre, disait-il, n’a de valeur que dans la mesure où l’on a besoin de l’autre pour s’exprimer. »
C’est tout ce parcours sur soixante ans ! de cette compagnie où ont travaillé des centaines d’acteurs, régisseurs, techniciens, administratifs… que retrace avec une grande précision ce livre de plus de quatre cent pages, très richement illustré de belles photos et complété par toutes les distributions. Un outil précieux pour les chercheurs et les étudiants.
Le Théâtre du Soleil, «l’honneur du théâtre français.» écrivait le grand metteur en scène Jacques Lassalle à Arian Mncouhkine.
Au chapitre des réserves: manquent, sauf erreur de notre part, un spectacle tonique Offenbach monté par des comédiens du Soleil-Ariane Mnouchkine étant malade- et joué dans une pauvre salle à Montparnasse, sans décors mais avec de somptueux costumes. Et un très court spectacle d’agit-prop Je suis le Juge et je fais régner l’ordre conçu et joué par cinq acteurs du Soleil en février 72 devant les usines Renault à Boulogne-Billancourt. Et dommage! le fameux Cortège funèbre pour la liberté d’expression du 13 mars 73 contre les phrases imbéciles de Maurice Druon, alors ministre de la Culture, organisé par le Soleil, L’Aquarium, La Tempête, la compagnie Vincent-Jourdheuil… soit juste évoqué par l’affiche en réduction et il n’y a même pas de photo…
Et on se demande bien pourquoi le texte et pis encore les notes en bas de page sont imprimés en gris; malgré un bon interlignage, une erreur évidente et cela rend la lecture fatigante. Malgré cela, et à un prix: 46 €, dépassant la barrière fatidique des quarante euros, ce livre pourra aussi intéresser les fervents du Théâtre du Soleil mais il leur y faudra de la ténacité…

Philippe du Vignal

Coédition Actes Sud / Théâtre du Soleil (2025).  46 €

 

Livres et revues Un Siècle d’avant-garde, Essai sur le théâtre étasunien d’Emeline Jouve

 

Livres et revues

Un Siècle d’avant-garde, Essai sur le théâtre étasunien d’Emeline Jouve

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Cette professeure à l’université Toulouse-Jean Jaurès dont les recherches portent sur le théâtre d’avant-garde aux Etats-Unis, est l’autrice, entre autres, de Susan Glaspell’s Poetics and Politics of Rebellion (2017), Avignon 1968 et le Living Theatre. Mémoires d’une révolution (2018) et Paradise Now en paradis : une histoire du Living Theatre à Avignon et après,1968-2018 (2022). Elle a aussi codirigé diverses revues et ouvrages collectifs sur des écrivaines comme la célèbre Gertrude Stein et Susan Glaspell, célèbre poète et dramaturge du XX ème siècle mais peu connue en France.  Et des compagnies le Living Theatre
Cette compagnie a été créée à New York en 1951 par Judith Malina et Julian Beck mort en France il y a déjà quarante ans, et elle, il y a dix ans. Leur pratique était fondé sur un mélange fiction et réalité, tout à fait nouveau pour l’époque et étaient influencés par les happenings, le yoga, les exercices de Joseph Chaikin qui, un temps, fut acteur au Living. Ils mettent en avant l’improvisation,  entre autres dans Connexion où les acteurs jouaient avec de vrais drogués ou dans
Misteries and smaller pieces où ils crachaient sur le public… ou plutôt faisaient semblant, un spectacle que nous avions vu à Paris. Ce qui soit-dit en passant, ne scandalisait personne, même pas Francis Blanche qui rigolait… Ils privilégient surtout  un théâtre fondé aussi sur l’expression gestuelle…
Face à la guerre du Viêt nam, le Living monte des spectacles comme The Brig sous l’influence du Théâtre de la cruauté d’Antonin Artaud  où il dénonce les violences dans les prisons. A réécouter les interviews que nous avions faites de Judith Malina et Julian Beck quand ils habitaient à Chatou (Yvelines), ils ont bien été d’avant-garde à New York dans les années cinquante. Ensuite, ils auront surtout pour but de créer un théâtre sans véritables dialogues aux messages révolutionnaires comme  ces remarquables Seven Meditations que nous avions vues au festival Sigma à Bordeaux. Mais on ne touche pas à un cheveu d’un citoyen américain jouant avec sa compagnie dans un pays étranger. Et quand Julian Beck sera mis en taule au Brésil, l’administration des Etats-Unis essayera de faire sortir non l’artiste mais le citoyen.
Tous les membres du Living adopteront un style de vie monacal communautaire et une vie sexuelle libérée. Cela dit, Julian Beck devait bien faire vivre ses acteurs et dirigeait sa troupe comme une entreprise: il acceptait les dons sans état d’âme et savait aussi bien vendre ses spectacles à des festivals  comme Sigam ou celui d’Avignon (encore jeune: vingt-deuxième édition) que dirigeait encore Jean Vilar mais le Living ne jouera finalement pas Paradise Now  à Avignon même mais gardera l’enveloppe des cachets dans un geste qui se voulait contestataire. Il pourra en tout cas se vanter d’avoir mis le feu aux poudres et ensuite Jean Vilar épuisé et sans doute écœuré, démissionnera…
L’ influence du Living qui fera subir une cure de jouvence au théâtre en France comme en Europe, avec surtout la mise en valeur du corps sur la scène et un nouveau regard du public. Avec une scénographie non frontale et souvent aussi ailleurs que dans les théâtres traditionnels… Bref ce que on voit partout maintenant. Il a beaucoup joué en France mais une seule fois à Paris et surtout au festival Sigma à Bordeaux dans les années soixante-dix. L’autrice rappelle  aussi l’importance du Wooster Group dirigé par l’universitaire Richard Schechner qu’il avait créé en 67 et qui utilisait la totalité de l’espace du lieu scénique et voulait faire sortir l’événement théâtral, hors des murs habituels, du côté de la performance et le Big Art Group d’Andrew Schneider.  mais aussi sur la présence du théâtre des Etats-Unis en France.
Cet essai fait la part belle avec intelligence et précision l’histoire du théâtre de cette époque, dit d’avant-garde à New York. Reste, comme dit l’autrice, à «dépasser le concept discriminant d’avant-garde historique et à aborder la création de pièces iconoclastes.» Selon elle, une première vague irait de 1910 à 1940, puis une deuxième jusqu’aux années soixante-dix et une troisième jusqu’à aujourd’hui, avec un théâtre, le plus souvent marginal, à New York. Ce livre peut être une bonne approche à la compréhension du théâtre américain, surtout new yorkais, de ces années-là.

L’analyse de ce pan essentiel de l’histoire du théâtre bien détaillée, ne se veut pas exhaustive.  Mais nous nous étonnons un peu que les projecteurs  soient dirigés sur quelques metteurs en scène et théoriciens, ce qui fausse la vision… Pour importants qu’il soient, d’autres ne l’étaient pas moins, comme ceux que nous avons bien connu: ainsi Richard Foreman, disparu le mois dernier comme John Vaccaro qui monta des spectacles musicaux avec chansons et dialogues très crus (mais non traduits!) comme dans Cockstrong, en slang, l’argot américain et qui influencèrent nombre de metteurs en scène européens, entre autres, Jérôme Savary. Ou encore Stuart Shermann avec ses minuscules spectacles sur des trottoirs de New York et qui avait réussi sur une table pliante et objets des plus banals qu’il appellait: « artefacts bons marché  ». Seul à les manipuler dans un silence absolu mais dans le bruit de la rue, il les associait et remplaçait les mots par des images, arrivant à créer ainsi un langage poétique…
Et, tous souvent accueillis en France comme bien sûr, le merveilleux Peter Schumann qui, avec de grandes marionnettes manipulées à vue dans les rues de New York pour protester contre la guerre menée par les Etats-Unis au Viet nam.   Lui aussi eut une influence considérable et n’en déplaise à Laurent Wauquiez, la France compte maintenant de très bonnes écoles consacrées à cet art. Ou encore, Robert Anton qui, avec de très petites marionnettes et devant une douzaine de spectateurs-un choix artistique clair et assumé créa de remarquables spectacles poétiques d’une cruauté exceptionnelle et étaient interdits aux enfants au festival de Nancy.  Et Meredith Monk, la seule encore vivante avec Peter Schumann et Richard Shechner. Chanteuse, compositrice, auteure et metteuse en scène de spectacles la nuit sur des places publiques mais aussi d’un opéra à l’Houston Grand Opera (Texas). Il y a, à la fin de ce livre, un bon glossaire-bienvenu, une bibliographie sérieuse et un index. Que demande le peuple?  Nous vivons une époque moderne, disait Philippe Meyer…

 Philippe du Vignal

Editions Deuxième époque. 25 €.

 

 

 

Femmes de théâtre et mise en scène aux XVI-XVIII èmes siècles

Pour une histoire des metteuses en scène n° 299 de La Revue d’Histoire du Théâtre, coordination d’Agathe Sanjuan et Joël Huthwohl

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Il y eut le rapport de Reine Prat qui a eu l’effet d’une mini-bombe il y a presque vingt ans déjà, sur la place des femmes dans le spectacle; très bien documenté, il a marqué un tournant. « Avec une généralisation de la préoccupation de l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’ensemble des politiques et des actions des pouvoirs publics et donc d’analyser, avant toute prise de décision, les retombées possibles sur les situations respectives des unes et des autres,  l’adoption de mesures spécifiques en faveur des femmes visant à corriger les inégalités constatées. »
Cela concernait aussi bien entend toutes les disciplines artistiques du spectacle et tous les types de structure, d’activités,  tous les niveaux de responsabilités. Et, en 2006, les chiffres étaient têtus: « Les hommes dirigent 92% des théâtres consacrés à la création dramatique et 59% des centres chorégraphiques nationaux,  97% des musiques que nous entendons dans nos institutions ont été composées par des hommes et ils dirigent  94% des orchestres. 85% des textes sont écrits par des hommes comme 78% des spectacles sont mis en scène et 57% chorégraphiés par un homme. «Depuis 1900, écrivait Marguerite Duras, on n’a pas joué une pièce de femme à la Comédie-Française, ni chez Vilar, au T.N.P., ni à l’Odéon, ni à Villeurbanne, ni à la Schaubühne, ni au Piccolo Teatro de Strehler, pas un auteur femme ni un metteur en scène femme. Et puis Sarraute et moi, nous avons commencé à être jouées chez les Barrault. »
Depuis, on est arrivé à la quasi-parité pour les Centres Dramatiques . Oui, mais… il y a un bémol et de taill Les mieux lotis au niveau budgétaire sont tous dirigés par des hommes, et cinq les 5 moins bien lotis le sont par des femmes.  La programmation en terme de parité s’est  accentuée: les spectacles mis en scène par des femmes est passé à 53% en 2023/2024.. .Mais pour les Théâtres Nationaux, seule Caroline N’Guyen dirige un Théâtre National, celui de Strasbourg… depuis cette année. Là, c’est assez lamentable: le ministère de la Culture comme l’Elysée! n’ont jamais voulu qu’il en soit autrement.
Et la dernière nomination-à l’Odéon-a été celle de Thomas Jolly… Pourquoi? Les sociologues doivent avoir leur avis là-dessus. Par ailleurs, y-a-t-il peu de candidates? Qui a envie de gérer ce type de maison où le Ministère tire souvent les ficelles et impose les décisions… Et où bien des hommes se sont cassé les dents ou ont regretté après coup d’avoir accepté le poste…

©x Caroline Giulia N'Guyen

©x Caroline N’Guyen

Comme le rappellent dans l’introduction à Pour une Histoire des metteuses en scène, Agathe Sanjuan et Joël Huthwohl, le moins qu’on puisse dire est que la situation actuelle est encore très déséquilibrée et que les metteuses en scène sont le plus souvent aussi directrices d’un lieu. Les autrices et les auteurs de ce gros ouvrage explorent ce qu’a pu être a été la mise en scène en France du XVII ème siècle au début du XXI ème siècle.
Dans la préface,
Julie Deliquet, metteuse en scène, directrice du Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, met d’emblée les choses au point… non sans quelque prétention! «Quand on m’a demandé de candidater à une direction, j’ai hésité et j’ai répondu que je savais pas si c’était le bon moment. On m’a fait remarquer qu’un homme avec une carrière comme la mienne, se serait étonné de n’avoir pas été nommé plus tôt.  »
Elle fait remarquer qu’elle a « découvert la place capitale des femmes dans le fonctionnement des troupes au XVII ème siècle et dans la façon dont les décisions artistiques étaient prises. Jusque-là je n’avais pas conscience de cette horizontalité, bien réelle avant la Révolution française. Notre prise de conscience est si tardive. Avec un art si ancien, comment peut-on être si en retard ? Cet effacement a encore des conséquences aujourd’hui. On critique les quotas, mais ils ont toujours existé sans que personne ne s’en émeuve. » (….) »
Mais Julie Deliquet, grande apôtre du féminisme, ne fait pas dans la nuance! Oui, cela a toujours été un grave problème dans les écoles de théâtre. Antoine Vitez lui-même était pour un recrutement plus important de jeunes femmes qui, en effet dans les concours, ont toujours plusieurs points d’avance sur les garçons. Plus cultivées, plus motivées, plus justes aussi dans leurs choix esthétiques.
Nous avons aussi régulièrement appliqué ce principe à l’école de Jérôme Savary dans ce même Théâtre national de Chaillot, mais bon, il faut avoir aussi des garçons pour donner la réplique.  Une équation difficile à résoudre.  Mais  les jurys n’ont pas commis d’erreur et des jeunes femmes ont souvent eu des parcours tout à fait remarquables comme les metteuses en scène: Léna Bréban, ou Pauline Bayle et Lucie Berelowitsch, celles-ci actuellement directrices de Centres Dramatiques Nationaux. Par ailleurs, Jérôme Savary a employé beaucoup plus d’élève-actrices à l’Ecole (trois pour des rôles importants),
que de garçons…

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©xLéna Bréban


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©x Pauline Bayle

 

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©x Lucie Bérélowitsch

Suivent  dans ce livre une quinzaine de participations sur le thème des femmes de théâtre et de la mise en scène  depuis le  XVI ème siècle avec notamment La méthode Clairon. Préalables à l’invention de la mise en scène : aux sources de la dramaturgie et de la théorie du jeu par Florence Filippi et Aurélien Poidevin et un bon article de Joël Huthwohl sur  Sarah Bernhardt, la première «metteuse en scène ».

©x Sarah Bernhardt

©x Sarah Bernhardt

Le terme était récent (1883) dit son auteur, et plutôt consacré aux chorégraphes. Mais la grande tragédienne fut reconnue par le critique Jean Lorrain comme metteuse en scène de génie quand elle monta La Samaritaine d’Edmond Rostand. Avec juste raison, Eugénie Martin rappelle l’itinéraire de Louise Lara, une artiste d’avant-garde (1876-1952)  qui fut sociétaire de la Comédie-Française ,avec son mari Edouard Autant, fonda en 1919 le laboratoire de théâtre Art et Action, «pour l’affirmation et la défense d’œuvres modernes. »

© Louise Lara

© Louise Lara

Il faut signaler, comme le fait Anne-Lise Depoil, qu’à l’époque du Cartel, il y a un siècle, le rôle que tint Simone Jollivet, la «femme-théâtre» de Charles Dullin, laquelle n’a pas été reconnue à sa juste valeur.  Et Ludmilla Pitoëff resta dans l’ombre de son mari Georges, grand metteur en scène. Dans Rattraper la balle lancée par Virginia Woolf. Luttes et stratégies des comédiennes pour l’appropriation de la mise en scène dans les années 1970-1980 en France éclaire bien ce moment-charnière dans l’histoire du théâtre français quand des actrices se sont dit qu’elle pouvaient aussi être metteuses en scène comme entre autres, Catherine Monnot ou  Catherine Dasté dont le père était Jean Dasté, directeur du Centre Dramatique National de Saint-Etiennne et le grand-père, l’immense Jacques Copeau. Voir l’article Catherine Dasté, femme de théâtre irréductible par Raphaëlle Jolivet-Pignon.

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©x Catherine Dasté

Catherine Dasté- qui a aujourd’hui quatre-vingt quinze ans- fut une formidable éclaireuse quand elle monta en 68 avec un grand succès, aidée par Ariane Mnouchkine qui lui « prêta » quelques acteurs, une pièce magnifique pour enfants: L’Arbre sorcier, Jérôme et la tortue. Avec l’appui de Françoise Dolto, elle créa ensuite le premier Centre dramatique national pour l’enfance et la jeunesse, au théâtre de Sartrouville. On l’a souvent oublié: dans les années cinquante, les directeurs de théâtre privé à Paris étaient… des directrices!
Il y a aussi pour conclure, un bon entretien  de Joël Huthwohl et Agathe Sanjuan avec Ariane Mnouchkine. Comme à son habitude, la directrice du Théâtre du Soleil  ne mâche pas ses mots et attaque avec raison les institutions, notamment syndicales comme la C.G.T. où un homme à qui elle avait demandé conseil, lui avait dit sèchement :  » Si vous n’avez pas d’argent, il ne faut pas faire de théâtre. »

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©x Ariane Mnouchkine

Mais lucide, elle dit aussi n’avoir pas oublié toute la générosité de Gabriel Garran-celui qui fut longtemps le directeur du Théâtre de la Commune à Aubervilliers-qui l’a beaucoup encouragé à créer cette troupe emblématique d’une  autre façon de faire du théâtre. Et elle reconnait qu’il y avait de vieux restes patriarcaux, même au Théâtre du Soleil…
Cet ouvrage-trop touffu-de trois cent cinquante pages aurait mérité une mise en page plus aérée et les notes en gris sont dissuasives. Mais on y trouvera nombre d’analyses et d’informations sur un passé qui éclaire souvent le présent du théâtre actuel, à l’heure où de nombreuses femmes dirigent enfin des structures importantes. Et qui sera nommé à la tête de la Comédie-Française? L’Elysée- à qui appartient traditionnellement la décision finale- se risquerait-il à nommer une femme? Cela serait étonnant et de toute façon Emmanuel Macron-qui va rarement au théâtre- a d’autres chats à fouetter mais ce serait un bon signal… Rappelons qu’il y a eu une seule administratrice (Muriel Mayette). Mais juste une directrice au Théâtre National de Chaillot et jamais aucune au T.N.P.,  à l’Odéon ou à l’Opéra-Comique.  Côté théâtre de rue, aucune non plus aux festivals d’Aurillac ou Chalon. Et cela n’a jamais bouleversé les nombreux ministres de la Culture (hommes ou femmes !). Ainsi va la France au XXI ème siècle…

Philippe du Vignal

Société d’histoire du Théâtre BnF. 22 €

 

 

 

Livres et revues La Gloire de la bêtise Régression et superficialité dans les arts depuis la fin des années 1980 de Morgan Labar

Livres et revues

La Gloire de la bêtise Régression et superficialité dans les arts depuis la fin des années 1980 de Morgan Labar

Un gros volume (quatre cent pages), issu d’une  thèse de doctorat. Historien et critique d’art,  normalien, diplômé en philosophie et docteur en histoire de l’art (2018), Morgan Labar s’intéresse à la manière dont les catégories esthétiques, canons et discours hégémoniques sont construits au sein des mondes de l’art contemporain. Il a enseigné à l’École du Louvre, dans les départements Arts de l’E.N.S. où il anime avec Daria de Beauvais, le séminaire Autochtonie, hybridité, anthropophagie depuis 2020. Il a été nommé directeur de l’École supérieure d’art d’Avignon il y a trois ans et il est maintenant à la tête de celle de Lyon.

©x Morgan Labar et Raphaëlle Mancini administratrice de l'Ecole des Beaux-Arts d'Avignon

©x Morgan Labar et Raphaëlle Mancini, administratrice de l’Ecole des Beaux-Arts d’Avignon

Les relations entre arts plastiques et arts du spectacle ont toujours été fréquentes. Auguste et Louis Lumière dont le père était peintre, empruntent leurs thèmes à Claude Monet, Camille Pissaro: paysage, gares… avec L’Arrivée du train en gare de la Ciotat (1895) ou Les Rochers de la Vierge à Biarritz. Puis les arts plastiques ont, dès les années soixante, influencé les créateurs de théâtre, notamment américains: entre autres, John Vaccaro, Richard Foreman, Meredith Monk, Stuart Sherman, Robert Wilson qui, à ses débuts, s’est inspiré du surréalisme, puis du minimalisme…
En Europe, Tadeusz Kantor, a été proche du futurisme et du dadaïsme. Lui-même avait été  élève scénographe à l’Académie des Beaux-Arts de Cracovie, et le metteur en scène Roméo Castelluci est, lui, diplômé en scénographie et en peinture de l’École des Beaux-arts à Bologne…
Et le théâtre a aussi fourni nombre d’éléments au  happening (le premier dès 52,  associait le peintre Robert Rauschenberg, le compositeur John Cage et le danseur Merce Cunningham… Une intervention artistique gratuite devant un public limité. Puis il y aura aussi cette forme hybride qu’est la performance, notamment en Europe, avec le mouvement Fluxus fondé en Allemagne, entre autres par George Maciunas. En France, dans les années soixante George Brecht, Robert Filliou, Serge Oldenbourg, Ben Vautier et son Théâtre total, Gina Pane, Michel Journiac.. réalisèrent nombre de performances. Certaines sont depuis entrées dans les Centres d’art contemporain. En novembre dernier, au Palais de Tokyo, une trentaine d’œuvres ont été ainsi exposées par Pierre Bal-Blanc…

Morgan Lebar, lui, montre un autre volet de cet échange permanent entre arts plastiques, et arts du spectacle, et comment des artistes se sont inspiré entre autres, du film à grand succès Dumb and Dumber (La Cloche et l’Idiot) des réalisateurs américains Peter et Bobby Farrelly. Leurs protagonistes Harry et Lloyd (sans aucun doute un hommage à Harold Lloyd, le grand acteur/auteur du cinéma muet), privilégient les blagues scatologiques ou idiotes. « L’objet de  cette étude est la gloire de la bêtise, dit Morgan Labar avec des pratiques jusque-là considérées comme infantiles, régressifs et populaires. » Soit pourrait-on dire une bêtise assumée comme telle et hissé au rang de valeur picturale ou sculpturale ou de performance comme chez Mike Kelley, il y a déjà une vingtaine d’années  : « La triade de l’altérité moderne, que représentaient le fou, l’enfant et le primitif, est alors supplantée par la figure de l’adolescent bête. » (…) Le succès de la bêtise compulsive est éclatant. »

Morgan Labar consacre ainsi plusieurs pages au collectif Présence Panchounette… un groupe d’artistes bordelais qui voulait dynamiter  les postures de l’avant-garde: art minimal, art conceptuel, peinture abstraite des mouvements qui « confortaient le goût bourgeois pour une esthétique de l’épure ». En 72, Présence Panchounette exposa au Studio F 4 à Bordeaux, un puits en pneus, de la toile cirée, des jerrycans à mazout. Et ce collectif s’en était pris au groupe Supports/Surfaces qu’il trouvait bourgeois. Cinq ans plus tard pour leur première exposition à la galerie Éric Fabre à Paris, les membres de Présence Panchounette la couvrirent entièrement de papier peint aux motif op’art. «Ce qui est intolérable dans le vulgaire, disaient-ils, c’est son innocence.» Le F.R.A.C. Midi-Pyrénées l’invitera en 86 à mettre en scène des pièces de sa collection, enter autres, celles de Claude Viallat, Philippe Starck, Hervé Di Rosa,  que Présence Panchounette installera dans du mobilier Knoll. Lesquels artistes protesteront… Mission accomplie pour ce collectif qui avait bien atteint son but et quand, il commencera à être respecté, logique avec lui-même, ferma boutique.

L’auteur analyse aussi très finement l’œuvre de l’artiste américain Jeff Koons et son incursion dans le domaine du kitsch, un mot qu’il refuse. Il fera entrer la banalité avec des reproductions à l’identique mais souvent avec « un matériau lisse et froid comme l’acier inoxydable, créant un contraste et un sentiment d’étrangeté ». (…) « Les œuvres de Jeff Koons sont bêtes dans leur refus obstiné de distinction. »
Morgan Labar a raison de  parler d’une question de hiérarchies de valeurs: « Jeff Koons joue donc d’une part le goût prolétarien, d’autre part le travail de l’artisan contre l’art de l’élite culturelle et intellectuelle. (…) Tout en valorisant le goût supposément populaire pour le « bien fait » comme pour le simple et le naïf ». Arriver à brouiller les lignes et à tout faire pour être reconnu: le système a été mis au point par cet artiste qui est aussi un habile homme d’affaires. Quitte à plagier… ce pourquoi, il a été condamné plusieurs fois… mais il a fait fabriquer par des équipes d’ouvriers spécialisés, des œuvres qui sont entrées comme par une porte dérobée, mais avec efficacité, dans les institutions muséales et sur le grand marché de l’art, dans les collections  de riches amateurs..

Suit un chapitre où Morgan Laban analyse l’idéologie de l’économie capitaliste en matière d’art et l’idéologie et les stratégies contre-productivistes employées par les artistes: l’inefficacité, la revendication de l’échec comme Présence Panchounette avant leur auto-dissolution. L’auteur consacre aussi des pages très intéressantes sur Gelitin, un collectif autrichien moins connu du grand public qui occupe pourtant le devant de la scène depuis une vingtaine d’années avec des œuvres et performances aux thèmes scato-urologiques. Comme le travail de l’artiste belge Wim Delvoye avec Cloaca, présentée en 2000 au musée Mukha d’Anvers. Cette machine à caca reproduit la digestion humaine avec  des aliments introduits qu’on retrouve transformés en excréments à l’autre bout de lachaîne. Mais il s’agit ici non plus de bêtise mais d’une mise en abyme d’un phénomène physiologique.
Ainsi dans la Chocolate Factory de Mac Carthy qu’on avait pu voir à l’Hôtel de la Monnaie à Paris, une production des Pères Noël et des sapins… et plugs anaux en chocolat. Cette œuvre qui, un temps, fit scandale, était en décalage entre l’esthétique précieuse du lieu, avec lustres, peintures au plafond, vitrines… Une équipe de performeuses, en tenue rouge et perruque blonde, y moulaient les figurines en chocolat. Soit une attaque contre le mode de production capitaliste. On pouvait voir aussi l
es machines de fabrication et une centrifugeuse, clin d’œil à La Broyeuse de chocolat (1914)  de Marcel Duchamp.

On ne peut tout citer de ce gros ouvrage qui apporte sa pierre de façon magistrale, à l’histoire de quelques tendances de l’art contemporain le plus récent. Mais il y aussi un chapitre sur François Pinault, richissime industriel et financier, et par ailleurs grand collectionneur, qui racheta le Palazzo Grassi à Venise en 2006 et le fit réhabiliter par l’architecte japonais Tadao Ando et l’année suivante un ancien bâtiment des Douanes vénitiennes, pour les transformer en musées d’art contemporain. Il y a réuni des œuvres du sculpteur américain Carl Andre et Donald Judd, des peintures de Mark Rothko mais aussi de Jeff Koons, Damien Hirst…
Puis il imagina un nouveau musée dans l’ancienne Bourse de commerce à Paris il y a trois ans. Avec l’ambition, remarque lucidement Morgan Labar, d’imposer sa vision de l’art actuel, en concurrence avec les grandes institutions culturelles. François Pinault  inaugura aussi il y a neuf ans une résidence d’artistes à Lens ( Nord), à proximité du musée du Louvre-Lens. Un exemple sans doute unique dans l’histoire de l’art moderne et contemporain?  Bien que ce ne  soit pas le thème de ce livre, cette aventure personnelle aurait sans doute mérité une analyse plus complète des relations pour le moins ambigües qu’entretiennent les conservateurs de musées et les directeurs de galerie, avec le monde politique français comme européen…

« Une histoire complète de la bêtise devrait inclure une protohistoire du déballage du refoulé à l’aube des années soixante-dix, écrit Morgan Labar, comme les débuts de Christian Boltanski, quand nous l’avions connu, habitant encore un rez-de-chaussée dans le VII ème arrondissement de Paris, le travail d’Annette Messager brodant des phrases, les sculptures vivantes de Gilbert et George… Des artistes se révoltant d’une façon ou d’une autre contre les spéculations et le marché de l’art. Mais qui tous les trois sont aussi entrés dans l’histoire de l’art contemporain.
Il faut lire ce livre  important. Parfois touffu, il est bien écrit-ce n’est pas incompatible- et très solidement documenté avec de nombreuses photos et passionnant pour toux ceux qui s’intéressent à la vie artistique actuelle. Morgan Labar souligne qu’en Californie, est né une forme de populisme esthétique légitime avec une effacement entre haute culture (moderniste) et culture commerciale. En France, même si la performance a depuis une trentaine d’années, été le fait d’artistes sortis des Écoles d’art, les pratiques en art de la bêtise, ou du moins, de la bêtise assumée, ne sont plus une évidence et ont perdu leur caractère subversif. Reste à savoir quelle sera la prochaine subversion… 
L’auteur indique que » l’âge d’or de l’art bête semble toucher à sa fin » et  quatre ans après qu’il ait soutenu sa thèse, « le caractère hégémonique de ces pratiques n’est plus aussi manifeste en 2024″. Mais en tout cas, ce mouvement et/ou phénomène inédit, avec un succès réel. D’abord au cinéma-très peu dans le domaine du spectacle vivant- mais surtout en peinture, vidéo, sculpture, performance…  Quel que soit son avenir, il a déjà un riche passé et est entré, qu’on le veuille ou non, dans l’histoire de l’art contemporain. Ce que montre avec intelligence et sensibilité, Morgan Labar.

Philippe du Vignal

Les Presses du réel. 28 €.

 

Cinédanse 50 films culte, sous la direction de Dominique rebaud et Nicolas Villodre

Livres et revues

Cinédanse 50 films culte, sous la direction de Dominique Rebaud et Nicolas Villodre

Un panorama de photos de cinquante films réalisés avec des chorégraphies spécialement conçues avec un article. Dans une post-face de ce livre, Patrick Bensard qui a longtemps dirigé la Cinémathèque de la Danse et y avait constitué depuis 83 une collection de films, précise que Cinédanse est une expression empruntée au vocabulaire surréaliste et qu’employait souvent le cinéaste Jean Rouch.
Les nombreux contributeurs sont à la fois des critiques, entre autres: Raphaël de Gubernatis, Nicole Gabriel, Jean-Marc Adolphe, Dominique Frétard, Nicolas Villodre, Bernard Rémy, Marc Lawton, des chorégraphes: Daniel Larrieu, Bernardo Montet, Cécile Proust, Pascale Houbin, Norbert Corsino, Carolyn Carlson qui parle avec admiration de son maître Alwin Nikolaïs qui a été aussi celui de Philippe Découflé, Dominique Boivin.  Odile Cougoule et la chercheuse en danse Dominique Rebaud, un couturier Christian Lacroix, des interprètes comme Elisabeth Schwartz,  des producteurs: Anne Alexandre, Serge Bromberg… Tous ont en commun une véritable passion pour la danse au cinéma et savent la faire partager dans des textes courts mais précis, et bien documentés avec une photo par film. Ce qui donne une belle unité à cet ouvrage…

On ne peut tout citer mais ici sont analysés dans les quatre sections: Capture, pour, entre autres: Danses Gitanes, Récit  Fondamental avec Die Klage der Kaiserin de Pina Bausch,  Expérimental, Actuel, Musical :  avec La Revue des revues (Joséphine Baker),  Sunnyside de Charlie Chaplin ( 1919), Singuin’in the rain avec l’incomparable Gene Kelly (1952), La Mort du cygne dansée par Anna Pavlova et Swing Time, avec Fred Astaire et Ginger Rogers.
D’une autre époque mais tout aussi passionnantes, ces Danses Gitanes filmées en 1905 par Alice Guy (1873-1968), la première cinéaste à créer des films de fiction et dont on a récemment redécouvert l’œuvre… Léon Gaumont publiait il y a juste un siècle, Notice rétrospective sur les établissements Gaumont, mais ne cita pas une fois Alice Guy. Henri Langlois, qui a consacré une soirée en son honneur à la Cinémathèque française en 1957 ne mentionne pas son nom dans le texte qu’il consacra aux pionniers français du cinéma. Elle a pourtant réalisé ou dirigé à la même époque une centaine de «phonoscènes»: ainsi ont été conservées la voix et la gestuelle de chanteurs d’opéra et chansonniers populaires comme Dranem, Félix Mayol…
Citons aussi Bourrées d’Aubrac de Jean-Dominique Lajoux et Francine Lancelot (1965) par Dominique Rebaud: histoire de dire que l’on dansait aussi ailleurs qu’à Paris et peut-être un clin d’œil à cette ancêtre de la danse classique… Et que Laurence  Louppe, historienne de la danse (1938-2012)  aimait beaucoup regarder dans le Cantal… Il y  avait notamment un éleveur gros format qui, pourtant, dansait avec une grâce inimitable…
©x Catherine Deneuve et François Dorléac dans Les Demoiselles de Rochefort

©x Catherine Deneuve et François Dorléac dans Les Demoiselles de Rochefort

Et il y a un bel hommage de la chorégraphe et danseuse Dominique Rebaud qui parle avec admiration du célèbre film Les Demoiselles de Rochefort de Jacques Demy (1967). Une distribution d’enfer:  pour la chorégraphie,  Norman Maen et Gene Kelly qui y danse aussi comme George Chakiris, Michel Legrand, compositeur, les actrices Françoise Dorléac-brûlée vive dans un accident de la route, en allant prendre un avion pour aller à la première des Demoiselles de Rochefort en anglais à Londres-sa sœur Catherine Deneuve, Danielle Darrieux. Et  Michel Piccoli, Jacques Perrin, Christiane Legrand, la sœur de Michel, une interprète des parties chantées.  Il n’y a sans doute pas représentés ici tous les chorégraphes mais l’ensemble sur plus de cent ans, donne une très bonne image de la danse au cinéma jusque aux années 2000. Et pas seulement en Europe mais aussi en Afrique ( Les Maîtres fous de Jean Rouch ou en Asie avec Kazuo Ohno…
A la soirée de présentation du livre, nous avons pu voir un montage de plusieurs extraits de ces films. Comment ne pas être ébloui par le célèbre numéro de danse dite «serpentine», mis au point en 1892 par l’artiste américaine de music-hall Loïe Fuller qui a influencé bien des courants esthétiques du XX ème siècle. Stéphane Mallarmé avait vu chez elle une ivresse d’art»

« Le mouvement, disait-elle en 1908, est un instrument par lequel la danseuse jette dans l’espace  des vibrations et de musiques visuelles. « Ce livre, sous la direction de Dominique Rebaud et Nicolas Villodre, est très bien réalisé, avec un excellent choix de photos et comporte aussi des notes, un index de premier ordre complet, une bibliographie.
Les films de danse sont une sorte de trésor national qu’il faut défendre mais  qui doit être accessible à tout le monde. Cinédanse avec cette large palette d’œuvres en tout genre, donne envie d’aller les voir ou revoir tous, ceux d’anonymes, ou de grands cinéastes: Georges Méliès, Jacques Demy… et  de chorégraphes, eux aussi anonymes, ou célèbres: Joséphine Baker, Alwin Nikolaïs, Merce Cunningham, alors inconnu mais accueilli dans leur studio par Dominique et Françoise Dupuy, Pina Bausch régulièrement invitée au Théâtre de la Ville comme Anne Teresa de Keersmaker.  Lucinda Childs qui travailla avec Bob Wilson, lui-même élève d’Alwin Nikolaïs, notamment sur le très fameux Einstein on the beach, Carolyn Carlson… Des artistes étrangers qui ont tant apporté à la danse en France…

Philippe du Vignal

 Nouvelles éditions Scala, 160 pages. 35 €.

Pauvre Bitos ou le dîner de têtes de Jean Anouilh

 Pauvre Bitos ou le dîner de têtes de Jean Anouilh, mis en scène de Thierry Harcourt

Les pièces de ce dramaturge et scénariste (1910-1987) ont disparu des théâtres. Et pourtant, surtout celles du début et quelques autres ensuite sont loin d’être négligeables et il a su s’entourer d’acteurs, metteurs en scène et  compositeurs remarquables… A vingt-six ans, il écrit Le Voyageur sans bagage auquel Louis Jouvet s’intéresse mais qu’il ne monte finalement pas. Georges Pitoëff, lui, crée la pièce et la joue avec sa femme Ludmilla: 190 représentations! Jean Anouilh ne niera jamais sa dette à son ami Roger Vitrac et s’est inspiré, quand il écrit une comédie, Ardèle ou la Marguerite, de sa  remarquable pièce Victor ou les Enfants au pouvoir créée par Antonin Artaud en 1927.

Jean Anouilh écrira aussi une autre bonne comédie: Le Rendez-vous de Senlis, créée au théâtre de l’Atelier par André Barsacq qui montera aussi Léocadia : chacune avec 170 représentations. Puis il y eut Eurydice en 41 et Antigone en 44, toujours au théâtre de l’Atelier et toujours mises en scène par André Barsacq. Puis, il écrit des  pièces qu’il nomme «brillantes» avec un recours au théâtre dans le théâtre, maintenant devenu un procédé comme La Répétition ou l’Amour puni,  Colombe.
Et d’autres, celles-là nommées « historiques » comme L’Alouette (1953) avec le personnage de Jeanne d’Arc ou Becket ou l’honneur de Dieu (1959) avec celui de Thomas Becket, mise en scène de Roland Piétri et lui-même, avec Daniel Ivernel et Bruno Crémer. Un triomphe…

Roméo et Jeannette est mise en scène par André Barsacq et y débute le jeune Michel Bouquet qui deviendra l’acteur-fétiche de Jean Anouilh mais aussi avec, excusez du peu:  Jean Vilar, Suzanne Flon et Maria Casarès! Là encore avec 160 représentations au compteur. L’auteur a été aussi metteur en scène au premier Centre National Dramatique, celui de Colmar inauguré en 47… avec Les Folies amoureuses de Jean-François Regnard  et Le Misanthrope de Molière. En 57, il écrit et mettra en scène avec succès Ornifle ou le Courant d’air inspirée de Don Juan, avec Louis de Funès: 198 fois représentations! Presque deux ans à l’affiche, avec reprises, tournées et créations en Angleterre et aux États-Unis. Une pièce entrée en 71 au répertoire de la Comédie-Française. On aura connu des carrières d’auteur moins réussies…

Et en 54, au théâtre Montparnasse-Gaston Baty, encore mise en scène par Roland Piétri et  Jean Anouilh avec Michel Bouquet, Pierre Mondy et Bruno Cremer, ce fut Pauvre Bitos ou le Dîner de têtes. Dans une petite ville de la province française non nommée, un dîner de bourgeois en province, (des hommes bien sûr, et seulement deux femmes, les invités vaguement déguisés avec perruques blanches, en Danton, Saint-Just, Mirabeau, Desmoulins mais aussi Marie-Antoinette. Robespierre, lui, est joué par un ancien camarade de classe issu d’une faille pauvre (comme le Bordelais Jean Anouilh) mais qui glanait tous les premiers prix. Devenu ensuite substitut du Procureur de la République, il n’avait pas fait de cadeaux après la guerre aux collaborateurs, ou présumés tels… Bref, il y a de la rancune et de la vengeance dans l’air. Les bourgeois cherchent, en le rendant ivre, à amener Bitos à dire-alors qu’il ne boit jamais-ce qu’il pense de l’ordre public pour l’humilier et le détruire, .
Jean Anouilh ici règle ses comptes et dénonce les excès de la Terreur révolutionnaire mais surtout ceux qui, après-guerre, l’accusaient d’avoir collaboré. Là encore, grand succès public avec 308 représentations. Mais certains y ont vu  un pamphlet contre la Résistance à cause de certaines tirades, assez ambigües. En fait, il était une sorte d’anarchiste de droite, se tenant à l’écart des honneurs, refusant d’entrer à l’Académie Française… Un homme, par ailleurs cultivé et fin connaisseur du théâtre contemporain mais loin d’être bienveillant et chaleureux…Alors qu’en 70, encore jeune critique nous lui demandions très poliment une interview, la réponse fut cinglante: «Monsieur, vous saurez que je déteste l’avion, la télévision et les interviews.» A peine le temps de lui dire qu’au moins, c’était clair, il était déjà parti…Bon vent et nous ne l’avons jamais revu.

Thierry Harcourt qui avait déjà monté Léocadia et Le Bal des Voleurs, s’attaque à cette longue pièce qu’il a, heureusement, bien élaguée. Sur le plateau nu, juste une grande table nappée de blanc avec flûtes à champagne, cloches en inox, chaises et fauteuils, et une petite table roulante chargée de whisky et apéros. Les invités, en queue-de-pie noir ont le visage maquillé et les perruques blanches de Saint-Just, Mirabeau, Danton, Camille Desmoulins. Marie-Antoinette est en longue robe de soirée, Lucile Desmoulins, elle, en robe rouge décolletée… Bitos, le dernier arrivé (Maxime d’Aboville) est lui, vraiment costumé en Robespierre. Plus petit que les autres, il a quelque chose d’un peu ridicule et on voit tout de suite que ses anciens amis le méprisent. Et à un moement exaspéré, il veut quitter le dîner.

Puis, dans un gros souffle de fumigènes (une fois de plus et sans commentaires!) et avec projecteurs éblouissants : changement de décor…  Nous sommes grâce à une belle toile peinte en fond de scène, à la Révolution française, pendant la Terreur. Un parallèle avec l’épuration vers 1946 qui a été souvent l’occasion de virulents règlements de comptes et auxquels a participé Bitos, à l’image de Robespierre.
Ses anciens copains se moquent de ses origines prolétaires: sa mère lavait le linge des riches, comme on le lui rappellera gentiment. Même s’il a été brillant élève, il est resté un paria. Mais, grâce à un travail obstiné,  devenu substitut du procureur de La République et après la Libération, il fait condamner à mort un milicien et obtient la peine maximum contre un malfrat dont le père était un collaborateur. Et ses anciens camarades qui, eux, savent parler haut et fort, le lui reprocheront. Il faudrait selon eux, tuer les pauvres, c’est à dire les faibles qui voudraient bien un morceau du pouvoir, mais  inutiles quand il faut construire une république. 

Jean Anouilh joue habilement d’une langue souvent facile-à base de sarcasmes et mots d’auteur, genre boulevard comique-parfois misogynes mais efficaces, du moins à l’époque, même si cela ne vole pas bien haut: «On trouve toujours un général pour refuser une grâce. » Claire allusion à de Gaulle refusant de l’accorder à Robert Brasillach, le collabo qui sera fusillé… Mais qui sait encore qui était cet écrivain très antisémite et fascisant?Alors que Jean Anouilh et entre autres, Jean Paulhan, Paul Valéry, Albert Camus, Colette, François Mauriac, Paul Claudel et Jean-Louis Barrault avaient signé une pétition en sa faveur. Ou encore: «Les femmes ont toujours pitié des blessures qu’elles n’ont pas faites elles-mêmes.» «Si les hommes se donnaient pour oublier le mal qu’ils se donnent pour se souvenir, je suis certain que le monde serait depuis longtemps en paix.» « Il est très difficile de s’élever au dessus de certains médiocres et de conserver leur estime.» Entre Marivaux et Labiche… mais beaucoup moins convaincant.

Thierry Harcourt a réduit cette pièce (à l’origine de trois heures!) à quatre-vingt minutes… qui sont encore longuettes, vu le peu de matière. Les acteurs bien dirigés font le boulot, les actrices, elles, ont peu de texte et font presque de la figuration intelligente. Mais les personnages masculins sont aussi seulement esquissés et on ne voit pas bien l’intérêt de monter un texte assez faible, où pas une scène n’accroche vraiment l’attention.
A sa création, cette pièce bavarde attirait quand même le public, grâce à un parallèle entre la Terreur et une image de l’épuration après guerre encore assez récente (dix ans seulement !) pour frapper les esprits: toutes les familles ou presque, au moins dans les villes françaises, étaient concernées! Jean Anouilh avait osé évoquer cet épisode peu glorieux (mais tabou) de notre Histoire, avec ce qu’il avait pu engendrer de malheurs,vengeances familiales ou sociales…

 

© Bernard Richebe

© Bernard Richebe

Mais maintenant?  Les dialogues sont loin d’être inoubliables.  Reste comme souvent, quelques belles images surtout au début, mais ce Pauvre Bitos est bien… pauvre, et il n’y avait aucun jeune dans la salle pour assister à ce théâtre-dîner de têtes assez poussiéreux. Bertrand Poirot-Delpech, l’excellent critique du Monde écrivait lucidement quand la pièce fut reprise en 67: «Le succès allait au pamphlet de circonstance, plus qu’à l’œuvre de théâtre. Les spectateurs réagissaient essentiellement aux sarcasmes contre l’épuration de 1945, comme d’autres ont fait un sort par la suite, aux férocités du Vicaire et des Paravents. Jean Anouilh l’avait d’ailleurs cherché. Sa vengeance apparaît d’autant mieux, que les années l’ont refroidie. Il a écrit la pièce, c’est l’évidence, comme on règle rageusement un compte. » Bien analysé : tout est dit.
A voir ce Pauvre Bitos? A titre exotique peut-être, et/ou pour les acteurs! Mais ce spectacle n’a rien d’attirant et nous sommes restés sur notre faim. Mieux vaut voir en vidéo 1789 et 1790 mise en scène d’Ariane Mnouchkine. Ces spectacle, plus de cinquante ans parès leurs créations, n’ont pas pris une ride; ou relire La Mort de Danton de Georg Büchner.
Tiens, une série de coïncidences assez drôles dans le temps et dans l’espace: il y a juste un siècle Jean Anouilh était élève au lycée Chaptal… situé en face du Théâtre Hébertot où on joue ce Pauvre Bitos ! Et il y rencontra le futur acteur et metteur en scène Jean-Louis Barrault.  Comme disait Macron avec sa fameuse gaffe, il suffit de traverser la rue du trouver du travail… Même cent après!

Philippe du Vignal

Théâtre Hébertot, 78 bis boulevard des Batignolles, Paris (XVII ème). T. : 01 42 93 13 04.

la Comédie-Française et les metteurs en scène, De Copeau, Jouvet… à Bob Wilson, Ostermeier d’Odette Aslan

 

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Livres et revues

La Comédie-Française et les metteurs en scène, De Copeau, Jouvet… à Bob Wilson, Ostermeierd’Odette Aslan

Le ministre de l’Éducation nationale et et des Beaux-Arts, au Gouvernement du Front Populaire, le grand Jean Zay né en 1904 et tué par la milice en 44, réussit en à peine quatre ans à mettre en place le C.N.R.S.  Musée national des arts et traditions populaires, le Musée d’Art moderne, la Réunion des théâtres lyriques nationaux, mais aussi  le festival de Cannes. Impressionnant !
En1936, la Comédie-Française est en crise à la fois morale et financière. Au menu, désordre, manque de discipline, traditions usées, scénographie plus que vieillotte, jeu très conventionnel, public de plus en plus frileux, bref, il était temps d’agir! Et Jean Zay va nommer l’auteur dramatique Édouard Bourdet au poste d’administrateur avec un remarquable décret l’autorisant à faire des distributions sans tenir compte de ce qu’on appelait les «emplois» qui étaient souvent les chasses gardées des sociétaires de la Comédie-Française les plus importants, aux dépens des pensionnaires, plus jeunes…

Une véritable révolution depuis la création en 1680 de cette troupe, soit sept ans après la mort de Molière, et comme le rappelle justement dans sa préface Denis Podalydès, sociétaire, les acteurs choisissait jusque là les pièces et se répartissaient les rôles, non sans difficulté avec les auteurs.
Cette révolution suivit celle où le metteur en scène devint un artiste à part entière à la fin du XIX ème siècle. Avec en Russie, les immenses Stanislavski et Meyerhold, comme en Angleterre, Gordon Craig et en Allemagne, Piscator.  Seul maître à bord, il faisait enfin régner la discipline indispensable à toute création artistique et révolutionnait aussi le jeu,  la scénographie qui avait un rôle moteur dans la mise en scène, et les lumières.

En 36, Edouard Bourdet invita à venir travailler Jacques Copeau mais aussi Louis Jouvet, Charles Dullin et Gaston Baty, les metteurs en scène du célèbre Cartel avec Georges Pitoëff. Mais sans ce dernier qui n’était pas naturalisé français depuis assez longtemps! Il y eut alors un avant et un après… avec cette décision historique mais dont parlent très peu les histoires du théâtre. Avec un choix des textes contemporains ( pas toujours convaincants quatre-vingt après) mais qui avaient le mérite d’apporter un grand vent d’air frais dans une tribu d’acteurs assez refermée sur elle-même. Ce que montre bien Odette Aslan.

C’est à cette période que commence cette étude consacrés aux metteurs en scène français et étrangers qui ont travaillé à la Comédie-Française. Si la chose est maintenant courante, les acteurs comme les spectateurs abonnés n’appréciaient pas du tout à l’époque ce virage à 180 °. Odette Aslan étudie avec une grande précision douze réalisations. Des classiques comme Georges Dandin de Molière bousculé par Charles Dullin et qui fut assez  discuté, comme son mariage de Figaro qui recueillit des avis partagés de la critique.Mais aussi des pièces comme Un Chapeau de paille d’Italie d’Eugène Labiche par Gaston Baty, Asmodée de François Mauriac, mise en scène de Jacques Copeau ou Le Cantique des Cantiques de Jean Giraudoux mis en scène de Louis Jouvet…

Puis furent invités et c’est l’objet de la seconde partie de ce livre des metteurs en scène étrangers: l’Anglais Terry Hands, les trois immenses Italiens Giorgio Strehler, Luca Ronconi et Dario Fo, les Russes Anatoli Vassiliev et Piotr Fiomenko, les Américains Bob Wilson avec une mise en scène mémorable d’un texte non dramatique, Les Fables de Jean de La Fontaine, le plus français de nos auteurs et Frédérick Wiseman, le Belge Ivo van Hove, l’Espagnol Andres Lima, les Allemands Klaus Michael Grüber qui mit en scène avec succès Bérénice en 84, Lukas Hemleb, Matthias Langhoff puis récemment Thomas Ostermeier, les Grecs Michel Cacoyannis avec Les Bacchantes d’Euripide et Yannis Kokhos avec Iphigénie de Racine, le Bulgare Galin Stoev, maintenant artiste-directeur du Théâtre de la Cité à Toulouse avec Marivaux, le Suisse Claude Stratz…
Bref, une collaboration de metteurs en scène étrangers d’envergure avec un choix de textes classique et actuels. Mais dans ce panel, un seul Africain ! le réalisateur burkinabé Idrissa Ouedraogo qui monta La Tragédie du Roi Christophe d’Aimé Césaire. Et sauf erreur de notre part, une seule femme ! Katharina Thalbach,  quand une autre femme, Muriel Mayette dirigeait la célèbre maison…  Même après tant d’années, la célèbre Maison n’échappe visiblement pas à un certain conservatisme.

Bien entendu, toutes ces réalisations, dont nous avons vu la majeure partie, n’ont pas la même force et sont vraiement réussies quand il y a une réelle adéquation entre l’auteur choisi, le metteur en scène et les acteurs du Français. Mais quand Thomas Ostermeier monte La Nuit des Rois dans une mise en scène qui se voulait novatrice et provocante avec force gags et acteurs en sous-vêtements, il n’a convaincu ni le public ni la critique. Comme son prétentieux Opéra de Quat’sous
Odette Aslan, en très bonne historienne, reste prudente dans ses jugements mais on lit entre les lignes qu’elle est parfois réticente quand à la qualité des spectacles. les metteurs en scène étrangers invités n’ont pas en effet tous conscience que la salle Richelieu a ses qualités mais qu’elle correspond rarement aux scénographies qu’il exigent et qu’ils doivent faire avec les acteurs disponibles à ce moment-là. Bref, les règles ne sont pas tout à fait les mêmes.

Et Odette Aslan a raison de pointer le doigt là où cela fait mal. Une seconde salle du genre Ateliers Berthier a toujours été souhaitée par les administrateurs mais projet après projet, les choses en sont restées là…
Ce livre de trois cent pages, solide, bien écrit et d’une clarté exemplaire, témoigne de l’histoire récente du théâtre en France. Mais les quelques illustrations choisies rendent mal compte pour les générations d’étudiants et de chercheurs, des mises en scène étudiées. Donc mieux vaut avoir sous la main les DVD qui offrent une meilleure vison du jeu de l’acteur et des analyses Et un catalogue en annexe aurait été le bienvenu mais bon… cette étude reste passionnante à plus d’un titre.

Philippe du Vignal

Presses universitaires de la Méditerranée, 360 pages. 35 €.

Athéna Panagoulis (Αθηνάς Παναγούλη Επιτάφιος) de Yannis Soldatos, mise en scène de Kostis Kapelonis

Athéna Panagoulis (Αθηνάς Παναγούλη Επιτάφιος) de Yannis Soldatos, mise en scène de Kostis Kapelonis

Ce spectacle fait partie du projet: Mon fils… où sont mis en scène des monologues de mères de personnages grecs importants comme ici, Alexandros Panagoulis (1939-1976), figure de proue de la lutte contre la dictature, à travers les souvenirs de sa mère, avec, en commentaire, les événements les plus importants de notre histoire récente.

©Panagoyli

©Panagoyli

Le texte de Yannis Soldatos est un récit fort et riche en informations, à l’émotion maîtrisée et sans facilités ou didactisme. Les matériaux (documents et photos de la famille Panagoulis) ont été tirés du livre de Kostas Mardas. Kostis Kapelonis a enrichi le spectacle de photos, images de films et autres documents précieux qui en renforcent l’esprit politique. Il faut signaler l’efficacité de la musique de Stavros Siolas sur les vers de Panagoulis. Mania Papadimitriou, cette très grande actrice, crée ici un personnage exceptionnel: la mère de Panagoulis et elle sait nous toucher profondément. Un spectacle à ne pas manquer ! 

Nektarios-Georgios Konstantinidis

Théâtre Vault, 26 rue Melenikou, Athènes. T. : 0030 213 0356472.

Le texte de Yannis Soldatos est publié aux éditions Aigokerws.

 

 

Zébrures d’automne 2022 à Limoges

Zébrures d’automne 2022 à Limoges: Les Francophonies des écritures à la scène à l’heure d’Haïti

Le festival a établi son quartier général Place de la République avec une grande librairie sous chapiteau et, à quelques encablures de là, au foyer de l’Opéra, rebaptisé pour l’occasion : Archipel.  Coup de projecteur donné cette année, aux artistes issus de territoires insulaires ou ultra-marins. Notamment Haïti, avec une journée consacrée aux cultures de cette île, avec le lancement d’une anthologie: Nouvelles Dramaturgies d’Haïti. Avec en deux volumes, douze pièces d’auteurs dont aucun d’eux n’a encore deux fois vingt ans, dit Guy Régis Jr, à l’origine du projet avec sa complice Hélène Lacroix. Directeur du festival des Quatre Chemins à Port-au-Prince (voir Le Théâtre du Blog), il se réjouit de ce «qu’avec ce festival, on puisse parler d’un renouveau du théâtre haïtien. Il faillait rendre visible ce travail. » 

On retrouve publiés par Edisyon Chimen en Haïti, Gaëlle Bien-Aimé, lauréate du Prix R.F.I. Théâtre 2.022, avec Port-au-Prince et sa douce nuit. Dans Que ton règne viennedeux hommes qui ne se connaissent pas et réfugiés au coin d’une rue, cernés par le chaos d’une manifestation, se découvrent mutuellement, se rassurent. Leurs voix s’entrechoquent et disent au masculin les mécanismes de la violence des hommes sur les femmes, l’injustice des pouvoirs. En contrepoint de leurs courtes répliques, un chœur s’élève dans une langue ample pour donner voix au silence des femmes.

  Dans Avilir les ténèbres, Jean D’Amérique offre la parole à une femme dont les figures se démultiplient en un chant poétique pour dire son insolente résistance aux violences subies. « Je suis toujours en révolte, dit Jean d’Amérique, les personnages qui traversent mes textes sont dans cette mouvance.» « Je me sers de mes blessures pour écrire le monde » dit Rolaphton Mercure, auteur de Fuck dieu, fuck le vodou Je ne crois qu’en mon index où deux frères, bandits, militants politiques et amoureux de la même femme, s’affrontent verbalement. Ce texte, à la musicalité d’un rap, dénonce une société en proie au banditisme, à la corruption, à l’incurie politique: « Ici, on meurt jeune. Pas besoin de répandre le vent, la tempête est là. » 

  »On rit beaucoup, on fait de l’autodérision», dit Naïza Fadianie Saint-Germain, qui dans Purgatoire, n’a pas froid aux yeux: la présumée virginale Juliette Capulet de William Shakespeare y côtoie des femmes scandaleuses comme Linda Lovelace, star du porno et héroïne de Gorge profonde, Lili Elbe, première transsexuelle opérée connue  et Tamar, figure biblique de la vengeresse, bafouée et répudiée. Ici, pas de biographies savantes mais des prétextes à tisser une comédie irrévérencieuse sur la sexualité féminine.

Comme cette jeune autrice, Djevens Fransaint, qui, avec Bal de l’incontinence développe un style loufoque, héritier de l’absurde d’Eugène Ionesco, sur fond de famille déchirée. Le père apparaît comme un tyran dérisoire dans un univers sombre où le rêve, la mort ou encore la mémoire, seraient les seules échappatoires. Une gaie et salutaire désespérance avec laquelle Djevens Fransaint tisse un théâtre contre l’oubli. 

Tout aussi déjantée, Des Fous en apothicaires étales de Ducarmel Alcius. Sur une place publique, trois fous en blouse de médecin et trois folles avec des poupées dans les bras. Il y a Marx, Mona Lisa, Mona Lisa sans fard et une faiseuse de rêves… Des récits et impressions en vrac racontent la misère, les viols et les meurtres… Dans la veine absurde aussi avec  Un an, un jour après la mort, James Saint-Félix montre devant un cercueil vide, deux amis d’enfance que leurs idées séparent, face aux politiques violentes et aux d’affrontements entre civils et policiersSont-ils morts? Condamnés Seront-ils un jour apaisés? Qu’attendent-ils? Sont-ils une seule et même personne? La question reste ouverte.

D’autres pièces empruntent davantage à la tragédie comme Vidé mon ventre du sang de mon fils d’Andrise Pierre où une mère pleure la mort de son fils. Telle Antigone, elle se fait l’adversaire du silence mais, à l’inverse de l’héroïne de Sophocle exécutée pour avoir donné une sépulture à son frère, cette mère veut retrouver et déterrer le corps de son fils qu’ on a fait disparaître pour cacher la vérité et protéger les assassins.

Avec Gouvernance de France, Medeley Guillou nous emmène aussi dans le chaos d’un pays et d’une famille sans pilote père dans la tourmente, mère en plein désarroi, et enfant qui erre faute d’avoir pu naître. Esprit pur et corps inachevé, il devient une âme rebelle. Dans Pour que le monde s’en souvienne d’Erikon Jeudy, il y a aussi un fils  assassiné : la mère, le père et la belle-fille doivent trouver des voies pour relier les vivants et les morts. Et devant certains deuils, la raison doit céder la place aux forces occultes comme consolation.

Dans ces pièces, la plume est ici une arme pour vaincre le silence et trouver des espaces de liberté : «Le pays d’où je viens, dit Guy Régis Jr. , leur mentor, est complètement en ruines mais chacun peut écrire dans son coin. Au-delà d’une esthétique du délabrement, répondent par l’urgence l’ici et le maintenant de la beauté. »

Parmi cette anthologie, deux textes en créole non traduit: «Une des langues francophones parlée par quinze millions de personnes entre les Caraïbes et la Réunion. Et seulement 10% de la population haïtienne maîtrise le français. Ce qui a fait débat, lors une rencontre sur Le mouvement de la créolité. «Ni Européens, ni Africains, ni Asiatiques, nous nous proclamons Créoles. », écrivaient déjà en 1989, Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau et Raphaël Constant dans Eloge de la Créolité. Ce manifeste controversé invitait à regarder le monde autrement qu’avec les yeux de l’Occident ou de l’Afrique. Qu’en est-il aujourd’hui? Pour l’artiste guadeloupéenne Stéphanie Melyon-Reinette:  «Chez nous, être créole est considéré comme une insulte et renvoie à l’esclavage et à la créolisation de l’Africain dans la plantation : «On écrit et parle créole, mais je ne le suis pas. ». Selon Guy Régis Jr., les Haïtiens se réclament aujourd’hui de la «mondialité» :« Ils écrivent pour se faire entendre par le reste du monde, car plus de la moitié de la population vit à l’extérieur de l’îme, principalement en Amérique. » 

Joan Monga, historien du marronnage et de la créolisation à la Réunion, introduit des nuances historiques et pense que la créolité est l’expression complexe d’une culture en mutation : «Edouard Glissant la pensait à partir de la Martinique dans le contexte historique de la décolonisation, comme à l’époque, le Parti communiste réunionnais. Aujourd’hui, il faut plutôt considérer comment les processus de créolisation évoluent ou s’enrayent. On pourrait aussi parler de créolisation en Seine-Saint-Denis.» 

Le concept de négritude s’oppose-t-il aujourd’hui à celui de créolisation, en cela que ce dernier exclut l’Afrique ? » demande l’animateur du débat, Jean-Erian Samson, rédacteur en chef de la revue haïtienne des cultures créoles DO-KRE-I-S… Une vaste question qui appelle des réponses multiples selon le lieu d’où l’on parle… Nous reviendrons sur les spectacles des Zébrures d’automne, en particulier la création remarquée de L’Amour, telle une cathédrale ensevelie de Guy Régis Jr. Une pièce reprise en novembre au Théâtre de l’Aquarium à Paris.

Mireille Davidovici

Les Zébrures d’automne ont eu lieu du 21 septembre au 1 er octobre. 

Les Francophonies des écritures à la scène,11 avenue du Général de Gaulle, Limoges (Haute-Vienne). T. : 05 55 33 33 67.

 

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