Pauvre Bitos ou le dîner de têtes de Jean Anouilh

 Pauvre Bitos ou le dîner de têtes de Jean Anouilh, mis en scène de Thierry Harcourt

Les pièces de ce dramaturge et scénariste (1910-1987) ont disparu des théâtres. Et pourtant, surtout celles du début et quelques autres ensuite sont loin d’être négligeables et il a su s’entourer d’acteurs, metteurs en scène et  compositeurs remarquables… A vingt-six ans, il écrit Le Voyageur sans bagage auquel Louis Jouvet s’intéresse mais qu’il ne monte finalement pas. Georges Pitoëff, lui, crée la pièce et la joue avec sa femme Ludmilla: 190 représentations! Jean Anouilh ne niera jamais sa dette à son ami Roger Vitrac et s’est inspiré, quand il écrit une comédie, Ardèle ou la Marguerite, de sa  remarquable pièce Victor ou les Enfants au pouvoir créée par Antonin Artaud en 1927.

Jean Anouilh écrira aussi une autre bonne comédie: Le Rendez-vous de Senlis, créée au théâtre de l’Atelier par André Barsacq qui montera aussi Léocadia : chacune avec 170 représentations. Puis il y eut Eurydice en 41 et Antigone en 44, toujours au théâtre de l’Atelier et toujours mises en scène par André Barsacq. Puis, il écrit des  pièces qu’il nomme «brillantes» avec un recours au théâtre dans le théâtre, maintenant devenu un procédé comme La Répétition ou l’Amour puni,  Colombe.
Et d’autres, celles-là nommées « historiques » comme L’Alouette (1953) avec le personnage de Jeanne d’Arc ou Becket ou l’honneur de Dieu (1959) avec celui de Thomas Becket, mise en scène de Roland Piétri et lui-même, avec Daniel Ivernel et Bruno Crémer. Un triomphe…

Roméo et Jeannette est mise en scène par André Barsacq et y débute le jeune Michel Bouquet qui deviendra l’acteur-fétiche de Jean Anouilh mais aussi avec, excusez du peu:  Jean Vilar, Suzanne Flon et Maria Casarès! Là encore avec 160 représentations au compteur. L’auteur a été aussi metteur en scène au premier Centre National Dramatique, celui de Colmar inauguré en 47… avec Les Folies amoureuses de Jean-François Regnard  et Le Misanthrope de Molière. En 57, il écrit et mettra en scène avec succès Ornifle ou le Courant d’air inspirée de Don Juan, avec Louis de Funès: 198 fois représentations! Presque deux ans à l’affiche, avec reprises, tournées et créations en Angleterre et aux États-Unis. Une pièce entrée en 71 au répertoire de la Comédie-Française. On aura connu des carrières d’auteur moins réussies…

Et en 54, au théâtre Montparnasse-Gaston Baty, encore mise en scène par Roland Piétri et  Jean Anouilh avec Michel Bouquet, Pierre Mondy et Bruno Cremer, ce fut Pauvre Bitos ou le Dîner de têtes. Dans une petite ville de la province française non nommée, un dîner de bourgeois en province, (des hommes bien sûr, et seulement deux femmes, les invités vaguement déguisés avec perruques blanches, en Danton, Saint-Just, Mirabeau, Desmoulins mais aussi Marie-Antoinette. Robespierre, lui, est joué par un ancien camarade de classe issu d’une faille pauvre (comme le Bordelais Jean Anouilh) mais qui glanait tous les premiers prix. Devenu ensuite substitut du Procureur de la République, il n’avait pas fait de cadeaux après la guerre aux collaborateurs, ou présumés tels… Bref, il y a de la rancune et de la vengeance dans l’air. Les bourgeois cherchent, en le rendant ivre, à amener Bitos à dire-alors qu’il ne boit jamais-ce qu’il pense de l’ordre public pour l’humilier et le détruire, .
Jean Anouilh ici règle ses comptes et dénonce les excès de la Terreur révolutionnaire mais surtout ceux qui, après-guerre, l’accusaient d’avoir collaboré. Là encore, grand succès public avec 308 représentations. Mais certains y ont vu  un pamphlet contre la Résistance à cause de certaines tirades, assez ambigües. En fait, il était une sorte d’anarchiste de droite, se tenant à l’écart des honneurs, refusant d’entrer à l’Académie Française… Un homme, par ailleurs cultivé et fin connaisseur du théâtre contemporain mais loin d’être bienveillant et chaleureux…Alors qu’en 70, encore jeune critique nous lui demandions très poliment une interview, la réponse fut cinglante: «Monsieur, vous saurez que je déteste l’avion, la télévision et les interviews.» A peine le temps de lui dire qu’au moins, c’était clair, il était déjà parti…Bon vent et nous ne l’avons jamais revu.

Thierry Harcourt qui avait déjà monté Léocadia et Le Bal des Voleurs, s’attaque à cette longue pièce qu’il a, heureusement, bien élaguée. Sur le plateau nu, juste une grande table nappée de blanc avec flûtes à champagne, cloches en inox, chaises et fauteuils, et une petite table roulante chargée de whisky et apéros. Les invités, en queue-de-pie noir ont le visage maquillé et les perruques blanches de Saint-Just, Mirabeau, Danton, Camille Desmoulins. Marie-Antoinette est en longue robe de soirée, Lucile Desmoulins, elle, en robe rouge décolletée… Bitos, le dernier arrivé (Maxime d’Aboville) est lui, vraiment costumé en Robespierre. Plus petit que les autres, il a quelque chose d’un peu ridicule et on voit tout de suite que ses anciens amis le méprisent. Et à un moement exaspéré, il veut quitter le dîner.

Puis, dans un gros souffle de fumigènes (une fois de plus et sans commentaires!) et avec projecteurs éblouissants : changement de décor…  Nous sommes grâce à une belle toile peinte en fond de scène, à la Révolution française, pendant la Terreur. Un parallèle avec l’épuration vers 1946 qui a été souvent l’occasion de virulents règlements de comptes et auxquels a participé Bitos, à l’image de Robespierre.
Ses anciens copains se moquent de ses origines prolétaires: sa mère lavait le linge des riches, comme on le lui rappellera gentiment. Même s’il a été brillant élève, il est resté un paria. Mais, grâce à un travail obstiné,  devenu substitut du procureur de La République et après la Libération, il fait condamner à mort un milicien et obtient la peine maximum contre un malfrat dont le père était un collaborateur. Et ses anciens camarades qui, eux, savent parler haut et fort, le lui reprocheront. Il faudrait selon eux, tuer les pauvres, c’est à dire les faibles qui voudraient bien un morceau du pouvoir, mais  inutiles quand il faut construire une république. 

Jean Anouilh joue habilement d’une langue souvent facile-à base de sarcasmes et mots d’auteur, genre boulevard comique-parfois misogynes mais efficaces, du moins à l’époque, même si cela ne vole pas bien haut: «On trouve toujours un général pour refuser une grâce. » Claire allusion à de Gaulle refusant de l’accorder à Robert Brasillach, le collabo qui sera fusillé… Mais qui sait encore qui était cet écrivain très antisémite et fascisant?Alors que Jean Anouilh et entre autres, Jean Paulhan, Paul Valéry, Albert Camus, Colette, François Mauriac, Paul Claudel et Jean-Louis Barrault avaient signé une pétition en sa faveur. Ou encore: «Les femmes ont toujours pitié des blessures qu’elles n’ont pas faites elles-mêmes.» «Si les hommes se donnaient pour oublier le mal qu’ils se donnent pour se souvenir, je suis certain que le monde serait depuis longtemps en paix.» « Il est très difficile de s’élever au dessus de certains médiocres et de conserver leur estime.» Entre Marivaux et Labiche… mais beaucoup moins convaincant.

Thierry Harcourt a réduit cette pièce (à l’origine de trois heures!) à quatre-vingt minutes… qui sont encore longuettes, vu le peu de matière. Les acteurs bien dirigés font le boulot, les actrices, elles, ont peu de texte et font presque de la figuration intelligente. Mais les personnages masculins sont aussi seulement esquissés et on ne voit pas bien l’intérêt de monter un texte assez faible, où pas une scène n’accroche vraiment l’attention.
A sa création, cette pièce bavarde attirait quand même le public, grâce à un parallèle entre la Terreur et une image de l’épuration après guerre encore assez récente (dix ans seulement !) pour frapper les esprits: toutes les familles ou presque, au moins dans les villes françaises, étaient concernées! Jean Anouilh avait osé évoquer cet épisode peu glorieux (mais tabou) de notre Histoire, avec ce qu’il avait pu engendrer de malheurs,vengeances familiales ou sociales…

 

© Bernard Richebe

© Bernard Richebe

Mais maintenant?  Les dialogues sont loin d’être inoubliables.  Reste comme souvent, quelques belles images surtout au début, mais ce Pauvre Bitos est bien… pauvre, et il n’y avait aucun jeune dans la salle pour assister à ce théâtre-dîner de têtes assez poussiéreux. Bertrand Poirot-Delpech, l’excellent critique du Monde écrivait lucidement quand la pièce fut reprise en 67: «Le succès allait au pamphlet de circonstance, plus qu’à l’œuvre de théâtre. Les spectateurs réagissaient essentiellement aux sarcasmes contre l’épuration de 1945, comme d’autres ont fait un sort par la suite, aux férocités du Vicaire et des Paravents. Jean Anouilh l’avait d’ailleurs cherché. Sa vengeance apparaît d’autant mieux, que les années l’ont refroidie. Il a écrit la pièce, c’est l’évidence, comme on règle rageusement un compte. » Bien analysé : tout est dit.
A voir ce Pauvre Bitos? A titre exotique peut-être, et/ou pour les acteurs! Mais ce spectacle n’a rien d’attirant et nous sommes restés sur notre faim. Mieux vaut voir en vidéo 1789 et 1790 mise en scène d’Ariane Mnouchkine. Ces spectacle, plus de cinquante ans parès leurs créations, n’ont pas pris une ride; ou relire La Mort de Danton de Georg Büchner.
Tiens, une série de coïncidences assez drôles dans le temps et dans l’espace: il y a juste un siècle Jean Anouilh était élève au lycée Chaptal… situé en face du Théâtre Hébertot où on joue ce Pauvre Bitos ! Et il y rencontra le futur acteur et metteur en scène Jean-Louis Barrault.  Comme disait Macron avec sa fameuse gaffe, il suffit de traverser la rue du trouver du travail… Même cent après!

Philippe du Vignal

Théâtre Hébertot, 78 bis boulevard des Batignolles, Paris (XVII ème). T. : 01 42 93 13 04.


Archives pour la catégorie analyse de livre

la Comédie-Française et les metteurs en scène, De Copeau, Jouvet… à Bob Wilson, Ostermeier d’Odette Aslan

 

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Livres et revues

La Comédie-Française et les metteurs en scène, De Copeau, Jouvet… à Bob Wilson, Ostermeierd’Odette Aslan

Le ministre de l’Éducation nationale et et des Beaux-Arts, au Gouvernement du Front Populaire, le grand Jean Zay né en 1904 et tué par la milice en 44, réussit en à peine quatre ans à mettre en place le C.N.R.S.  Musée national des arts et traditions populaires, le Musée d’Art moderne, la Réunion des théâtres lyriques nationaux, mais aussi  le festival de Cannes. Impressionnant !
En1936, la Comédie-Française est en crise à la fois morale et financière. Au menu, désordre, manque de discipline, traditions usées, scénographie plus que vieillotte, jeu très conventionnel, public de plus en plus frileux, bref, il était temps d’agir! Et Jean Zay va nommer l’auteur dramatique Édouard Bourdet au poste d’administrateur avec un remarquable décret l’autorisant à faire des distributions sans tenir compte de ce qu’on appelait les «emplois» qui étaient souvent les chasses gardées des sociétaires de la Comédie-Française les plus importants, aux dépens des pensionnaires, plus jeunes…

Une véritable révolution depuis la création en 1680 de cette troupe, soit sept ans après la mort de Molière, et comme le rappelle justement dans sa préface Denis Podalydès, sociétaire, les acteurs choisissait jusque là les pièces et se répartissaient les rôles, non sans difficulté avec les auteurs.
Cette révolution suivit celle où le metteur en scène devint un artiste à part entière à la fin du XIX ème siècle. Avec en Russie, les immenses Stanislavski et Meyerhold, comme en Angleterre, Gordon Craig et en Allemagne, Piscator.  Seul maître à bord, il faisait enfin régner la discipline indispensable à toute création artistique et révolutionnait aussi le jeu,  la scénographie qui avait un rôle moteur dans la mise en scène, et les lumières.

En 36, Edouard Bourdet invita à venir travailler Jacques Copeau mais aussi Louis Jouvet, Charles Dullin et Gaston Baty, les metteurs en scène du célèbre Cartel avec Georges Pitoëff. Mais sans ce dernier qui n’était pas naturalisé français depuis assez longtemps! Il y eut alors un avant et un après… avec cette décision historique mais dont parlent très peu les histoires du théâtre. Avec un choix des textes contemporains ( pas toujours convaincants quatre-vingt après) mais qui avaient le mérite d’apporter un grand vent d’air frais dans une tribu d’acteurs assez refermée sur elle-même. Ce que montre bien Odette Aslan.

C’est à cette période que commence cette étude consacrés aux metteurs en scène français et étrangers qui ont travaillé à la Comédie-Française. Si la chose est maintenant courante, les acteurs comme les spectateurs abonnés n’appréciaient pas du tout à l’époque ce virage à 180 °. Odette Aslan étudie avec une grande précision douze réalisations. Des classiques comme Georges Dandin de Molière bousculé par Charles Dullin et qui fut assez  discuté, comme son mariage de Figaro qui recueillit des avis partagés de la critique.Mais aussi des pièces comme Un Chapeau de paille d’Italie d’Eugène Labiche par Gaston Baty, Asmodée de François Mauriac, mise en scène de Jacques Copeau ou Le Cantique des Cantiques de Jean Giraudoux mis en scène de Louis Jouvet…

Puis furent invités et c’est l’objet de la seconde partie de ce livre des metteurs en scène étrangers: l’Anglais Terry Hands, les trois immenses Italiens Giorgio Strehler, Luca Ronconi et Dario Fo, les Russes Anatoli Vassiliev et Piotr Fiomenko, les Américains Bob Wilson avec une mise en scène mémorable d’un texte non dramatique, Les Fables de Jean de La Fontaine, le plus français de nos auteurs et Frédérick Wiseman, le Belge Ivo van Hove, l’Espagnol Andres Lima, les Allemands Klaus Michael Grüber qui mit en scène avec succès Bérénice en 84, Lukas Hemleb, Matthias Langhoff puis récemment Thomas Ostermeier, les Grecs Michel Cacoyannis avec Les Bacchantes d’Euripide et Yannis Kokhos avec Iphigénie de Racine, le Bulgare Galin Stoev, maintenant artiste-directeur du Théâtre de la Cité à Toulouse avec Marivaux, le Suisse Claude Stratz…
Bref, une collaboration de metteurs en scène étrangers d’envergure avec un choix de textes classique et actuels. Mais dans ce panel, un seul Africain ! le réalisateur burkinabé Idrissa Ouedraogo qui monta La Tragédie du Roi Christophe d’Aimé Césaire. Et sauf erreur de notre part, une seule femme ! Katharina Thalbach,  quand une autre femme, Muriel Mayette dirigeait la célèbre maison…  Même après tant d’années, la célèbre Maison n’échappe visiblement pas à un certain conservatisme.

Bien entendu, toutes ces réalisations, dont nous avons vu la majeure partie, n’ont pas la même force et sont vraiement réussies quand il y a une réelle adéquation entre l’auteur choisi, le metteur en scène et les acteurs du Français. Mais quand Thomas Ostermeier monte La Nuit des Rois dans une mise en scène qui se voulait novatrice et provocante avec force gags et acteurs en sous-vêtements, il n’a convaincu ni le public ni la critique. Comme son prétentieux Opéra de Quat’sous
Odette Aslan, en très bonne historienne, reste prudente dans ses jugements mais on lit entre les lignes qu’elle est parfois réticente quand à la qualité des spectacles. les metteurs en scène étrangers invités n’ont pas en effet tous conscience que la salle Richelieu a ses qualités mais qu’elle correspond rarement aux scénographies qu’il exigent et qu’ils doivent faire avec les acteurs disponibles à ce moment-là. Bref, les règles ne sont pas tout à fait les mêmes.

Et Odette Aslan a raison de pointer le doigt là où cela fait mal. Une seconde salle du genre Ateliers Berthier a toujours été souhaitée par les administrateurs mais projet après projet, les choses en sont restées là…
Ce livre de trois cent pages, solide, bien écrit et d’une clarté exemplaire, témoigne de l’histoire récente du théâtre en France. Mais les quelques illustrations choisies rendent mal compte pour les générations d’étudiants et de chercheurs, des mises en scène étudiées. Donc mieux vaut avoir sous la main les DVD qui offrent une meilleure vison du jeu de l’acteur et des analyses Et un catalogue en annexe aurait été le bienvenu mais bon… cette étude reste passionnante à plus d’un titre.

Philippe du Vignal

Presses universitaires de la Méditerranée, 360 pages. 35 €.

Athéna Panagoulis (Αθηνάς Παναγούλη Επιτάφιος) de Yannis Soldatos, mise en scène de Kostis Kapelonis

Athéna Panagoulis (Αθηνάς Παναγούλη Επιτάφιος) de Yannis Soldatos, mise en scène de Kostis Kapelonis

Ce spectacle fait partie du projet: Mon fils… où sont mis en scène des monologues de mères de personnages grecs importants comme ici, Alexandros Panagoulis (1939-1976), figure de proue de la lutte contre la dictature, à travers les souvenirs de sa mère, avec, en commentaire, les événements les plus importants de notre histoire récente.

©Panagoyli

©Panagoyli

Le texte de Yannis Soldatos est un récit fort et riche en informations, à l’émotion maîtrisée et sans facilités ou didactisme. Les matériaux (documents et photos de la famille Panagoulis) ont été tirés du livre de Kostas Mardas. Kostis Kapelonis a enrichi le spectacle de photos, images de films et autres documents précieux qui en renforcent l’esprit politique. Il faut signaler l’efficacité de la musique de Stavros Siolas sur les vers de Panagoulis. Mania Papadimitriou, cette très grande actrice, crée ici un personnage exceptionnel: la mère de Panagoulis et elle sait nous toucher profondément. Un spectacle à ne pas manquer ! 

Nektarios-Georgios Konstantinidis

Théâtre Vault, 26 rue Melenikou, Athènes. T. : 0030 213 0356472.

Le texte de Yannis Soldatos est publié aux éditions Aigokerws.

 

 

Zébrures d’automne 2022 à Limoges

Zébrures d’automne 2022 à Limoges: Les Francophonies des écritures à la scène à l’heure d’Haïti

Le festival a établi son quartier général Place de la République avec une grande librairie sous chapiteau et, à quelques encablures de là, au foyer de l’Opéra, rebaptisé pour l’occasion : Archipel.  Coup de projecteur donné cette année, aux artistes issus de territoires insulaires ou ultra-marins. Notamment Haïti, avec une journée consacrée aux cultures de cette île, avec le lancement d’une anthologie: Nouvelles Dramaturgies d’Haïti. Avec en deux volumes, douze pièces d’auteurs dont aucun d’eux n’a encore deux fois vingt ans, dit Guy Régis Jr, à l’origine du projet avec sa complice Hélène Lacroix. Directeur du festival des Quatre Chemins à Port-au-Prince (voir Le Théâtre du Blog), il se réjouit de ce «qu’avec ce festival, on puisse parler d’un renouveau du théâtre haïtien. Il faillait rendre visible ce travail. » 

On retrouve publiés par Edisyon Chimen en Haïti, Gaëlle Bien-Aimé, lauréate du Prix R.F.I. Théâtre 2.022, avec Port-au-Prince et sa douce nuit. Dans Que ton règne viennedeux hommes qui ne se connaissent pas et réfugiés au coin d’une rue, cernés par le chaos d’une manifestation, se découvrent mutuellement, se rassurent. Leurs voix s’entrechoquent et disent au masculin les mécanismes de la violence des hommes sur les femmes, l’injustice des pouvoirs. En contrepoint de leurs courtes répliques, un chœur s’élève dans une langue ample pour donner voix au silence des femmes.

  Dans Avilir les ténèbres, Jean D’Amérique offre la parole à une femme dont les figures se démultiplient en un chant poétique pour dire son insolente résistance aux violences subies. « Je suis toujours en révolte, dit Jean d’Amérique, les personnages qui traversent mes textes sont dans cette mouvance.» « Je me sers de mes blessures pour écrire le monde » dit Rolaphton Mercure, auteur de Fuck dieu, fuck le vodou Je ne crois qu’en mon index où deux frères, bandits, militants politiques et amoureux de la même femme, s’affrontent verbalement. Ce texte, à la musicalité d’un rap, dénonce une société en proie au banditisme, à la corruption, à l’incurie politique: « Ici, on meurt jeune. Pas besoin de répandre le vent, la tempête est là. » 

  »On rit beaucoup, on fait de l’autodérision», dit Naïza Fadianie Saint-Germain, qui dans Purgatoire, n’a pas froid aux yeux: la présumée virginale Juliette Capulet de William Shakespeare y côtoie des femmes scandaleuses comme Linda Lovelace, star du porno et héroïne de Gorge profonde, Lili Elbe, première transsexuelle opérée connue  et Tamar, figure biblique de la vengeresse, bafouée et répudiée. Ici, pas de biographies savantes mais des prétextes à tisser une comédie irrévérencieuse sur la sexualité féminine.

Comme cette jeune autrice, Djevens Fransaint, qui, avec Bal de l’incontinence développe un style loufoque, héritier de l’absurde d’Eugène Ionesco, sur fond de famille déchirée. Le père apparaît comme un tyran dérisoire dans un univers sombre où le rêve, la mort ou encore la mémoire, seraient les seules échappatoires. Une gaie et salutaire désespérance avec laquelle Djevens Fransaint tisse un théâtre contre l’oubli. 

Tout aussi déjantée, Des Fous en apothicaires étales de Ducarmel Alcius. Sur une place publique, trois fous en blouse de médecin et trois folles avec des poupées dans les bras. Il y a Marx, Mona Lisa, Mona Lisa sans fard et une faiseuse de rêves… Des récits et impressions en vrac racontent la misère, les viols et les meurtres… Dans la veine absurde aussi avec  Un an, un jour après la mort, James Saint-Félix montre devant un cercueil vide, deux amis d’enfance que leurs idées séparent, face aux politiques violentes et aux d’affrontements entre civils et policiersSont-ils morts? Condamnés Seront-ils un jour apaisés? Qu’attendent-ils? Sont-ils une seule et même personne? La question reste ouverte.

D’autres pièces empruntent davantage à la tragédie comme Vidé mon ventre du sang de mon fils d’Andrise Pierre où une mère pleure la mort de son fils. Telle Antigone, elle se fait l’adversaire du silence mais, à l’inverse de l’héroïne de Sophocle exécutée pour avoir donné une sépulture à son frère, cette mère veut retrouver et déterrer le corps de son fils qu’ on a fait disparaître pour cacher la vérité et protéger les assassins.

Avec Gouvernance de France, Medeley Guillou nous emmène aussi dans le chaos d’un pays et d’une famille sans pilote père dans la tourmente, mère en plein désarroi, et enfant qui erre faute d’avoir pu naître. Esprit pur et corps inachevé, il devient une âme rebelle. Dans Pour que le monde s’en souvienne d’Erikon Jeudy, il y a aussi un fils  assassiné : la mère, le père et la belle-fille doivent trouver des voies pour relier les vivants et les morts. Et devant certains deuils, la raison doit céder la place aux forces occultes comme consolation.

Dans ces pièces, la plume est ici une arme pour vaincre le silence et trouver des espaces de liberté : «Le pays d’où je viens, dit Guy Régis Jr. , leur mentor, est complètement en ruines mais chacun peut écrire dans son coin. Au-delà d’une esthétique du délabrement, répondent par l’urgence l’ici et le maintenant de la beauté. »

Parmi cette anthologie, deux textes en créole non traduit: «Une des langues francophones parlée par quinze millions de personnes entre les Caraïbes et la Réunion. Et seulement 10% de la population haïtienne maîtrise le français. Ce qui a fait débat, lors une rencontre sur Le mouvement de la créolité. «Ni Européens, ni Africains, ni Asiatiques, nous nous proclamons Créoles. », écrivaient déjà en 1989, Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau et Raphaël Constant dans Eloge de la Créolité. Ce manifeste controversé invitait à regarder le monde autrement qu’avec les yeux de l’Occident ou de l’Afrique. Qu’en est-il aujourd’hui? Pour l’artiste guadeloupéenne Stéphanie Melyon-Reinette:  «Chez nous, être créole est considéré comme une insulte et renvoie à l’esclavage et à la créolisation de l’Africain dans la plantation : «On écrit et parle créole, mais je ne le suis pas. ». Selon Guy Régis Jr., les Haïtiens se réclament aujourd’hui de la «mondialité» :« Ils écrivent pour se faire entendre par le reste du monde, car plus de la moitié de la population vit à l’extérieur de l’îme, principalement en Amérique. » 

Joan Monga, historien du marronnage et de la créolisation à la Réunion, introduit des nuances historiques et pense que la créolité est l’expression complexe d’une culture en mutation : «Edouard Glissant la pensait à partir de la Martinique dans le contexte historique de la décolonisation, comme à l’époque, le Parti communiste réunionnais. Aujourd’hui, il faut plutôt considérer comment les processus de créolisation évoluent ou s’enrayent. On pourrait aussi parler de créolisation en Seine-Saint-Denis.» 

Le concept de négritude s’oppose-t-il aujourd’hui à celui de créolisation, en cela que ce dernier exclut l’Afrique ? » demande l’animateur du débat, Jean-Erian Samson, rédacteur en chef de la revue haïtienne des cultures créoles DO-KRE-I-S… Une vaste question qui appelle des réponses multiples selon le lieu d’où l’on parle… Nous reviendrons sur les spectacles des Zébrures d’automne, en particulier la création remarquée de L’Amour, telle une cathédrale ensevelie de Guy Régis Jr. Une pièce reprise en novembre au Théâtre de l’Aquarium à Paris.

Mireille Davidovici

Les Zébrures d’automne ont eu lieu du 21 septembre au 1 er octobre. 

Les Francophonies des écritures à la scène,11 avenue du Général de Gaulle, Limoges (Haute-Vienne). T. : 05 55 33 33 67.

 

Livres et revues : Steens de Hjalmar, Frictions, Ubu, Jeu

Livres et revues

Steens, l’Homme qui s’amuse avec la mort de Hjalmar

 L’auteur de cette biographie est un magicien reconnu qui, avec son épouse, a présenté ses spectacles dans le monde entier et a exposé une partie de sa collection en 95-96 au Musée d’Orsay. Il a écrit de nombreux articles techniques et historiques sur la prestidigitation. Né en 1881 à Moutiers-Saint-Jean (Côte d’Or), Charles-Louis-Fernand Brisbarre fut mouleur en cuivre à Paris, puis on ne sait comment il en vint vers 1906, sous le nom de Steens, à l’illusionnisme, en particulier à cet art de l’évasion, maintenant dit escapologie.   Le magicien doit en un temps record -il doit toujours y avoir une impression d’urgence pour le public- sortir d’un coffre solidement cadenassé, se débarrasser de cordes, chaînes…etc..

©xCela exige à la fois souplesse, endurance, force mais aussi sang-froid et un excellent savoir-faire… Le grand spécialiste vers 1900 en était le célèbre Harry Houdini: Ehrich Weisz (1874-1926) prit ce pseudonyme en hommage au grand magicien français Jean-Eugène Robert Houdin (1805-1871). Il pouvait s’évader d’une malle remplie d’eau fermée par des chaînes ou d’un cercueil bien enterré. Steens commença sa carrière en 1906 avec ce qu’on appelle techniquement le double empalmage de cartes à jouer: faire disparaître des cartes derrière une main puis les faire réapparaître. Un des autres tours était le Petit paravent aux apparitions ou dit Paravent japonais. Composé de trois éléments d’un centimètre d’épaisseur et montés sur six pieds articulés entre eux, dont Steens faisait sortir cages,lanterne allumée, saucisses, fleurs… Puis, le premier en France, il se consacra à l’escapologie en se jetant enchaîné dans la Marne pour réapparaître libre quelques instants plus tard. Et il s’évadera facilement d’une marmite fermée où il est immergé ou d’une grande caisse soigneusement ficelée et contrôlée par des spectateurs. Steens devenu célèbre fut ensuite invité dans le monde entier… Puis il se retira dans son village où il buvait beaucoup trop d’absinthe, vendit tout son matériel en 1938 avant de disparaître, assez oublié, l’année suivante…

Ce livre est riche de documents historiques: remarquables affiches, photos de spectacles, cartes postales… et trop ? nombreuses notes en bas de page. Et son auteur a bien su mettre en lumière la vie professionnelle de cet artiste disparu. Mais cette biographie qui a sans doute demandé un gros travail de recherche, aurait mérité une maquette solide et une meilleure relecture. Pourquoi ce doublon de quelques pages et cette absence systématique de justification en fin de ligne qui gêne la lecture? Dommage! Mais que cela ne vous empêche pas de faire connaissance avec ce célèbre mais bien oublié magicien français qui fut un peu le David Copperfield de son temps…

Philippe du Vignal

Frictions n° 33

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 «Nous y voilà donc, transformés en peuple de fantômes dans un monde égal à lui-même, c’est-à-dire en pleine déliquescence (…) soudainement révélé aux yeux de tous », écrit Jean-Pierre Han dans son éditorial. Ce numéro de la revue revient sur l’après Covid avec, en couverture, une seringue… Piqûre de rappel, annonçant les courtes et fines analyses d’Edward Bond sur la crise du Covid.

 Le dramaturge britannique voit la pandémie comme un révélateur. Dans La crise du coronavirus et la réalité démasquée, il démontre brillamment que « le système capitaliste fait marcher le monde sur la tête » : « L’origine du virus se trouve en Chine parce que c’est une nouvelle société au capitalisme débridé ». Dans la post-face à sa pièce Le Voleur de Chaussures, il démontre que les crises, sanitaires et climatiques, sont liées car ce système « pille la terre, déforme la réalité non seulement pour augmenter ses profits mais pour contrôler et séduire l’ancien prolétariat maintenant devenu classe consommatrice ». Le capitalisme « façonne la culture qui permet l’existence même de ce système » et pour Edward Bond : « Notre théâtre est aussi paralysé que le reste de la culture du divertissement. Nous avons de bons dramaturges qui écrivent de bonnes pièces à propos des maux de la société. Mais leurs pièces n’ont qu’un effet cosmétique. » Au terme de son implacable démonstration, il entrevoit une solution : «Une démocratie juste », difficile à créer, «parce que nous n’essayons même pas ». Ces Corona Papers sont introduits par Jérôme Hankins qui analyse les thématiques bondiennes en concluant avec l’écrivain, qu’il traduit et met en scène depuis des années : « Nous devons de nouveau faire confiance au théâtre ».

L’écrivain et metteur en scène Jean Lambert-Wild revient sur la fonction de l’artiste dans la société qui en est venue à distinguer ces derniers temps l’inessentiel , de l’essentiel. Reprenant  ce vocabulaire : « cette notification qu’on ne sert à rien », Pas de gilets de sauvetage pour les poètes file la métaphore du naufrage : « le bateau coule, je n’ai pas de gilet de sauvetage, mes camarades non plus » pour appeler à la résistance : « la bonne nouvelle, cela nous laisse encore une chance de flotter. »

Simon Capelle lui fait écho : « Dans le bataille contre le virus, nous ne servons à rien, peut-être parce qu’auparavant déjà, nous ne servions plus à grand chose ». Mais il se réfère à Antonin Artaud pour affirmer avec lui l’essentialité du théâtre : « Du point de vue humain, l’action du théâtre comme celle de la peste est bienfaisante, car elle pousse les hommes à se voir tels qu’ils sont ». Il consacre à l’auteur du Théâtre de la cruauté un article très argumenté portant notamment sur son projet Prophétie, qui le mena en Irlande sur les pas de William Butler Yeats en 1937, avant neuf années d’asile, notamment à Rodez… Simon Capelle a refait ce voyage d’île en île et nous en livre un récit à la fois documentaire et poétique..

Olivier Neveux, lui, en fin chercheur en histoire et esthétique du théâtre, pose la question paradoxale du politique dans le théâtre de Jean Genet. Ses réponses nous étonneront : « Si on l’étudie, soucieux quelques uns des aspects attestés du théâtre politique, on est bien décontenancé… »

Dans ce numéro superbement illustré par les images en pleine page de John de La Canne, l’étonnant portfolio de Bruno Boëglin qui révèle les talents de peintre de ce comédien et metteur en scène. L’association des amis de Bruno Boëglin a publié des reproductions de ses œuvres dans Bruno Boëglin, une vie dans le désordre des esprits, et organisé une exposition à Grenoble qu’on pourra aussi voir au Palais Bondy à Lyon en janvier prochain. On lira aussi dans ce numéro un Michel Simonot poète, avec Même arrachée, une évocation épique des cris de ceux que l’on torture, déchire, mêlés aux siens… « Même arrachée/ il vous restera l’écho de ma langue (…) en naitront des mots (…) vous ne pouvez enfermer mon silence (…) les sons que vous croyiez barbares/ sont devenus poèmes »… .

Comme en écho, Ça ne passe pas de Claudine Galea : dans ce texte en forme de déploration, la phrase du titre revient en leitmotiv. Quand elle ferme les yeux, l’autrice voit, sous le soleil tant chanté de la Méditerranée, « des corps vivants qui, chaque jour, passent par dessus bord », et, pour elle « ÇA NE PASSE PAS ». « 25.000 corps sombrent à Lampedusa le 4 octobre 2013/ 5.773 corps morts et 11.089 disparus entre le 1er janvier 2014 et le 30 juillet 2018 «  (…) « Combien de morts non comptabilisés ? » (…) ça ne passe pas/ ça ne peut pas passer / le droit maritime n’est pas respecté / le droit humain n’est pas respecté…  » Pour conclure : « LA MÉDITERRANÉE EST UN MUR ». La revue, dont les articles sont autant d’alertes adressées à notre intellect et/ou à notre sensibilité, se clôt sur ce terrible constat…

Mireille Davidovici

Frictions, 27 rue Beaunier Paris ( XIV ème). T. : 01 45 43 48 95. Ce numéro 15€. Abonnement à quatre numéros: 50 €.

Jeu n° 179

La revue québécoise de théâtre Jeu publie son numéro 179. Toujours excellement maquettée et riches de belles photos significatives. Das son éditiorial, Raymond Bertin remarque avec raison que partout dans le monde, après la crise du covid qui est encore loin d’être vraiment derrière nous, « les artistes trépignent, les institutions font des prouesses pour offrir des expériences artistiques squi ne soient pas que des succédanés ou sous-produits. »

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Au sommaire, un dossier sur le travail de la metteuse en scène Brigitte Haentjens formée à ‘Ecole Jacques Lecoq, qui a notamment monté Hamlet-Machine d’Heiner Muller mais aussi L’Opéra de Quat’Sous de Bertolt Brecht en 2021 et des créations collectives comme Strip ( 1983) et Nickel l’année suivante deux textes qu’elle a écrites. Deux mises en scène où elle témoigne d’un engament féministe et qui ont fait date au Québec par leux exigence et la qualité de leur direction d’acteurs..

A noter aussi dans ce riche numéro un remarquable texte de l’auteur haïtien  Richard Régis Jr, sur le théâtre tel qu’il est actuellement et sur le point crucial qu’est l’illusion scénique. Il essaye de voir comment le théâtre peut aider à réconcilier les habitants d’une planète bouleversée par l’arrivée de cette pandémie. Il ya aussi un entretien avec la scénographe Odile Gamache: pour elle, est essentiel le dialogue avec l’auteur et elle estime que tout travail scénique est le résultat d’un travail à deux.  » J’essaye, dit-elle, de proposer une direction et qu’on y aille ensemble. »  La remarquable photo de sa scénographie pour Les Larmes amères de Petra von Kant de Rainer Werner Fassbinder donne envie de mieuxconnaître le travail de cette scénographe qui, comme Brigitte Haentjens, est radicalement pour un travail associatif.  A lire ce numéro, même si on a peu l’occasion d’en voir des exemples en France, le théâtre québécois,  se porte bien…

Ph. du V.

 

Ubu n° 70/71

 

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Cette revue fête ses vingt-cinq ans avec un double numéro ! Deux cents pages qui s’ouvrent sur le festival d’Avignon. Celui de 2021, mais aussi tel que Gilles Costaz l’a vécu tout au long de ses années de critique amoureux du théâtre. Avec Avignon 75e année / Les Spirales de la ville close, il revient sur son fondateur: «Les grandes lignes sont dessinées d’une main ferme et ambitieuse par Jean Vilar. Ce qui va se modifier au fil des ans, c’est la dimension, l’échelle. »lI se souvient aussi de ces lieux qu’il a parcourus en vélo, encore hantés par tant d’auteurs, metteurs en scène, comédiens : « Avignon est une conque en spirale dont les souvenirs coulent en spirale sans fin où les grandes productions fracassantes comptent moins que les soirées modestes et secrètes… » Odile Quirot s’entretient avec Valère Novarina qui y fut programmé à plusieurs reprises et Jean-Pierre Thibaudat recueille les impressions de Nathalie Béasse qui y vient pour la première fois.Tiago Rodrigues qui va prendre la tête du festival fait le point avec Marina da Silva sur son engagement antifasciste et ses projets futurs..

Quant aux festivals européens, Hughes Le Tanneur constate que, sous le choc du covid, les programmateurs s’interrogent tous sur le monde d’après. Le besoin de tourner la page s’impose à Paris, Marseille comme à Vienne, Bruxelles… Chacun voit venir le monde d’après à l’aune de cette crise. Crise que Maïa Bouteiller évoque avec trois directeurs récemmement nommés en Ile-de-France, qui ont vécu leur baptême du feu en pleine pandémie, jonglant entre confinements et couvre -feu : Julie Deliquet au Théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis, Jeanne Candel, au théâtre de l’Aquarium et Mathieu Touzé au Théâtre 14 . Face à la tristesse, la solidarité s’impose à eux…

Le chorégraphe Rachid Ouramdane, directeur du Théâtre national de Chaillot confie à Chantal Boiron qu’ « il faut lutter pour que la rivière soit capable de changer de lit ». Héritier du hip hop, il entend sortir la danse des seules salles du théâtre pour investir tout le bâtiment, jusqu’à l’extérieur « du parvis à la coulée verte » avec « des promenades chorégraphiques, des performances de foule, des spectacles en plein air…»

 Après un focus sur la résistance de l’Université de théâtre et de cinéma à Budapest, place à la littérature dramatique : Ivre de mots, une pièce de Frank Siera traduite du néerlandais et présentée par Mike Sens. Les auteurs de ce double numéro sous titré Allons-y !/Let’s go !, largement illustrés et traduits en anglais, rebattent les cartes du paysage théâtral et, après être revenus sur la crise sanitaire, font place à l’actualité et regardent vers l’avenir…

M. D.

Ubu Scènes d’Europe, 217 boulevard Péreire, Paris (XVII ème). Ce numéro double : 30 €.

 

 

 

 

 

 

 

 

Les auteurs à l’honneur pendant le confinement ? Kelly Rivière, Michel Deguy…

 

Les auteurs à l’honneur  pendant le confinement ? Kelly Rivière, Michel Deguy, des auteurs de Théâtre Ouverts

Au prétexte de «circonstances particulières», la mise en ligne gratuité de la mise en ligne  de films, captation de spectacles et concerts, inquiète l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle. Et la S.A.C.D. (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) a signalé à Franck Riester, ministre de la Culture, le tort que pouvait faire aux professionnels du secteur, les offres mises en ligne sur le nouveau site : Culture chez nous ! `

Interrogés sur la question des rémunérations des auteurs, interprètes et réalisateurs, la S.A.C.D. comme l’A.D.A.M.I qui perçoit les droits de suite des artistes-interprètes ne nous ont pas encore répondu…  Les théâtres, cinémas, salles de spectacle et de concert sont toujours fermées et de nombreuses offres continuent à être proposées gratuitement sur la Toile: on nage donc en plein brouillard quant aux dates de réouverture et à la tenue ou non des festivals cet été… Mais  on apprend que la Fête de la musique est maintenue le 21 juin… Un véritable camouflet pour le théâtre de rue et de cirque dont les artistes se voient, eux, voient exclus de l’espace public !

En attendant, saluons quelques initiatives d’auteurs comme cette mini-série de Kelly Rivière pendant son confinement en Poitou-Charentes, une lecture de Michel Deguy et les initiatives de Théâtre Ouvert, centre des dramaturgies contemporaines qui nous permettent de lire des pièces…

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Kelly Rivière dans An Irish Story

 Pleuville de David Jungman et Kelly Rivière

Cette chronique filmée au jour le jour avec les moyens du bord (appareil photo et smartphone) nous fait entrer dans l’intimité d’une comédienne dont la tournée de An Irish Story  s’est brusquement arrêtée en mars, alors que cette création a depuis deux ans, toujours autant de succès. (voir Le Théâtre du Blog)

Pleuville  (Charente): 342 habitants: aucun commerce, un bureau de poste qui fait aussi dépôt de pain, un stade, une église et un cimetière.  Recluse  dans ce petit village, la comédienne doit faire face à l’isolement et s’occuper de ses enfants, Paul et Thomas ( huit et cinq ans).  Les théâtres ont fermé, tout le monde est confiné, les garçons doivent faire leurs devoirs et la maison rester en état… Elle déprime. Et pour ne pas dépérir Kelly fait son cinéma .

La maison familiale devient le décor de cette chronique et les trésors d’un autre temps qu’elle abrite, serviront d’accessoires. La famille fournira les acteurs de ces journées particulières. « Pleuville est notre premier film de famille ensemble », dit Kelly Rivière, « c’est un kaléidoscope de petits riens que le cinéma permet de célébrer et partager pour faire un pas de côté et dédramatiser un tant soit peu une situation oppressante dont l’issue reste à ce jour encore incertaine. » Pleuville retrace, en quatre épisodes réalisés par David Jungman, les tentatives de la jeune femme pour traverser ces temps difficiles avec humour et tendresse.

« Le cinéma, dit Jean-Luc Godard, est « un oubli de la réalité ». Mais comment oublier le réel lorsqu’il se fait aussi présent ? Pendant cette période, nous ne pouvions pas échapper au temps présent , dit la comédienne. Dans les aventures quotidiennes de Kelly Rivière et des siens, ses tentatives de remettre un cadre, de trouver du sens à ces journées qui se répètent, chacun reconnaîtra un peu de sa propre expérience. Rions avec ces quatre épisodes Hissons-nous, Papillon, Des droits et des devoirs et Se débarrasser des cadavres… Tout un programme !

 https://vimeo.com/showcase/7084037?fbclid=IwAR3dU46ubSehW8HOM4_8yF0Tuq4qymEfEYkSJ9agGxGxKd4d3IOToa_-5YI

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Michel Deguy

Coronation de Michel Deguy

Pour fermer la marche du palmarès des prix Goncourt 2020,  celui-ci proclamé le 11 mai a été attribué à Michel Deguy, poète, essayiste, philosophe et créateur de la revue Po&sie. Il se voit couronné pour l’ensemble de son œuvre. Toujours en prise sur l’actualité, l’écrivain   n’a pas la plume dans sa poche : avec l’humour qu’on lui connaît (voir Théâtre du Blog Ode au bus 29) il propose sur le net la lecture d’un inédit : Coronation : « Le coronavirus »… déjà un hémistiche !/ L’épigramme peut cadencer ! / La contamination descend des Contamines /Tes confins mes confins se confinent / Mais nos confins débordent le confinement /Nous nous se contamine/ J’entends l’économie décroître dans les bourses/Dix millions de Chinois auront perdu la face/ Masques et vidéos se toisent en chiens de faciès … »

https://www.youtube.com/watch?v=2YkBISS8M5k

Des auteurs à lire par Théâtre Ouvert :

 Faute d’avoir pu présenter les événements programmés chez son partenaire la MC93, Théâtre Ouvert-centre des dramaturgies contemporaines, pendant les travaux dans son nouveau lieu l’ex-Tarmac, nous offre de la lecture. Les quatre derniers tapuscrits peuvent vous être envoyés en format pdf sur simple demande par courriel ou par Messenger. Il sera possible de dialoguer avec chaque auteur/trice et avec l’équipe de Théâtre Ouvert, en  envoyant des retours, écrits, sonores ou vidéo !

A Parté  de Françoise Dô

Nicole est de retour dans la région. Elle refait sa vie avec son nouvel amant, Chat. Mais Stéphane, son mari dont elle est séparée depuis quelques mois, voit en ce retour l’occasion de la reconquérir. Il commence à la suivre à son insu.

 Pour ton bien (Per il tuo bene)  de Pier Lorenzo Pisano (en édition bilingue français/italien)

Le fils aîné a depuis longtemps quitté la maison. La mère l’appelle pour qu’il revienne: « Papa ne va pas bien ». Le cercle familial : mère, fils et frère, grands-mères et tonton, se reconstitue temporairement…

 Les Inamovibles de Sédjro Giovanni Houansou

Prix R.F.I. 2019  (voir Le Théâtre du Blog) cette pièce de l’écrivain béninois retrace l’histoire de Malik qui s’est jeté sous un train, pour ne pas rentrer la tête basse au pays où l’attend son père, en compagnie d’autres parents de jeunes exilés. En sept mouvements, la pièce nous transporte dans un espace collectif incertain… tout en pénétrant dans l’intimité des personnages. Ceux qui sont partis et ceux qui restent.

 La Truite de Baptiste Amann

C’est dimanche. Un couple proche de la retraite a invité ses trois filles pour fêter les soixante ans du père. Les filles débarquent avec leurs conjoints et enfants…  Le repas familial devient la scène de règlements de compte.

L’Araignée
de Charlotte Lagrange

Elle travaille toujours dans l’Aide sociale à l’enfance. Mais on préfère que ce ne soit plus avec des mineurs non accompagnés au motif qu’elle devait s’appliquer et non s’impliquer.

 nl@theatreouvert.com

 

Mireille Davidovici

 

 

 

 

Pièces secrètes et Pièces costumées, Pièces secrètes, Pièces costumées de Jean Anouilh,

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Théâtre de Jean Anouilh: Pièces secrètes et Pièces costumées,Pièces secrètes, volume contenant Tu étais si gentil quand tu étais petit, L’Arrestation et Le Scénario. Pièces costumées,volume contenant L’Alouette, Becket ou L’honneur de Dieu et  La Foire d’Empoigne.

Cet auteur dramatique ( 1910-1987) aura été, pendant plus d’une trentaine d’années, l’écrivain le plus représentatif et le mieux accueilli d’une classe sociale, la bourgeoisie d’après-guerre, cultivée et sceptique. En anarchiste de droite, il n’a cessé de la poursuivre de ses sarcasmes, dit Michel Corvin, dans son Dictionnaire encyclopédique du théâtre. Il commença encore très jeune à lire des auteurs dramatiques aussi différents que Paul Claudel, Luigi Pirandello, George Bernard Shaw  et Jean Giraudoux avec Siegfried en 1928. Il commencera à écrire des comédies comme Le Bal des Voleurs  (1938).

Et plus tard, il devient l’auteur pendant l’occupation allemande, Jean Anouilh fait jouer deux de ses Pièces noires, Eurydice, en 1941 puis Antigone en 44 , au Théâtre de l’Atelier dans une mise en scène, un décor et des costumes d’André Barsacq, une pièce devenue célèbre. Mal accueillie lors de sa première, elle aura un beau succès et sera considérée comme l’un des sommets de son œuvre. Roméo et Jeannette fut aussi créé l’année suivante par ce même metteur en scène et dans ce même théâtre avec Michel Bouquet qui deviendra lune des acteurs-fétiches, Jean Vilar, Suzanne Flon et Maria Casarès!


I23671 - copieAux éditions de la Table ronde, paraissent cette année dans une nouvelle édition, ses Pièces secrètes et les Pièces costumées. Dans Tu étais si gentil quand tu étais petit, L’Arrestation et Le Scénario, les intrigues,  lieux et époques sont différentes. Chacune de ces œuvres reflète son auteur,  comme un miroir renvoie, selon les heures et les saisons, es images changeantes d’un même visage. Elles sont répertoriées comme étant secrètes.Jean Anouilh se révèle ici presque dépouillé des masques comiques ou tragiques derrière lesquels il tente de protéger sa vérité : ces Pièces secrètes doivent être déchiffrées dans le silence et la solitude. Aussi l’auteur a-t-il parlé d’elles avec un rire gentil : Mes fours…

Cet auteur sarcastique écrit des comédies bourgeoises aux figures grotesques et caricaturales. Ainsi, dans les Pièces costumées, L’Alouette (1952), créée par Suzanne Flon et Becket ou l’Honneur de Dieu (1959) où le roi Becket ne peut plus rien pour sauver son ami: deux chefs-d’œuvre avec L’Arrestation (1975) qui, elle, se trouve dans les Pièces secrètes.

I23670 - copiePour les Pièces costumées, l L’Alouette (1953) a été créée au Théâtre Montparnasse-Gaston Baty en 1953, mise en scène par l’auteur et Roland Piétri, avec les décors et costumes de Jean-Denis Malclès, une « reprise de Jeanne d’Arc » avec, entre autres, Suzanne Flon, Michel Etcheverry, Roland Piétri, Michel Bouquet… Becket ou l’Honneur de Dieu (1959) a été créée  dans ce même théâtre dans une mise en scène de Jean Anouilh et Roland Piétri, avec, entre autres, Daniel Ivernel, Bruno Crémer, Henry Darbrey, Charles Nissar.

La Foire d’Empoigne (1960) fut jouée pour la première fois  en 1962 à la Comédie des Champs-Elysées, dans la mise en scène de l’auteur et Roland Piétri, avec Paul Meurisse, Henri Virlojeux…Pour les Pièces secrètes, Tu étais si gentil quand tu étais petit (1969) a été créée au Théâtre Antoine en 1972 dans une mise en scène de Jean Anouilh et Roland Piétri. Entre autres figures de la tragédie antique, on découvre Oreste (Hervé Bellon), Electre (Danièle Lebrun), Clytemnestre (Francine Bergé), le Chœur (Maud Rayer) et le pianiste (Hubert Deschamps)…

L’Arrestation (1971), la pièce a d’abord été créée en 1974 à Bristol à Londres, sous le titre The Arrest. Puis  à Paris, au Théâtre de l’Athénée en 1975 dans une mise en scène de Jean Anouilh et Roland Piétri , avec, entre autres, Raymond Bussières et Claude Dauphin… Et Le Scénario (1974)  au Théâtre de l’Oeuvre en 1976 dans une mise en scène de Jean Anouilh et Roland Piétri avec Daniel Gélin, Jacques Fabbri, Jean Amos, Sabine Azéma Florence Blin…

A l’époque, nulle saison sans que ne soit montée une ou plusieurs pièces de Jean Anouilh. Mais il était aussi metteur en scène et a révélé en 1962 au  public Victor ou les enfants au pouvoir de Roger Vitrac, une pièce créée par Antonin Artaud en 1929. Et elle a été depuis constamment montée souvent par de jeunes compagnies.  Pour Michel Corvin, le ton grinçant de l’auteur, un mélange détonant de rire et d’amertume, de hargne et de fantaisie, ne le fait jamais « poser » : « Il est maître en pirouettes et roi de l’esquive. Il est aussi, en tant qu’écrivain de théâtre, l’inventeur d’un dialogue rapide, contrasté, taillé dans le marbre d’une prose forte, aux veines colorées et chatoyantes. » Héritier en cela de Pirandello, et plus lointainement de Molière et de Shakespeare, capable de bâtir des œuvres à multiples fonds, avec surimpression des temps, des espaces et des langages comme dans L’Alouette.

Avec le savoir-faire d’un professionnel qui fait mouche sur un public sensible aux prouesses d’acteur : Suzanne Flon, L. Pitoëff,  François Périer, Jean-Louis Barrault, Bernard Blier, Michel Bouquet, Jean Anouilh a réussi à écrire des pièces à lire ou à redécouvrir: un demi-siècle après, voire plus, elles nous parlent encore et toujours de notre temps. Il écrivit aussi un recueil de fables, quelques récits, plusieurs livrets d’opéra ainsi que de nombreux scénarios et adaptations cinématographiques et télévisuelles. Il créa de la revue La Nouvelle saison avec Jean-Louis Barrault et René Barjavel en 1939

 Véronique Hotte

Brève et savoureuse rencontre avec un jeune critique avec Jean Anouilh dans le hall de la Comédie des Champs-Elysées vers 1970: « -Monsieur, pourriez-vous m’accorder une interview? -Monsieur, vous êtes bien gentil mais vous saurez que j’ai trois choses en horreur: la télévision, les voyages en avion et les interviews. -Merci, monsieur, j’en prends bonne note et au revoir. »

Philippe du Vignal

Pièces secrètes et Pièces costumées de Jean Anouilh, éditions de La Table ronde, collection La Petite Vermillon.

Pièces secrètes de Jean Anouilh, nouvelle édition 2020. avec Tu étais si gentil quand tu étais petit, L’Arrestation et Le Scénario, 320 p, 8,90 €.

Pièces costumées de Jean Anouilh, nouvelle édition 2020, avec L’Alouette, Becket ou L’Honneur de Dieu et La Foire d’Empoigne, 320 p, 8,90 €.

Livres et revues

Livres et revues

Frictions : hors série vingt ans

648C1D11-38FE-4EB3-B944-8B33250746D3Vingt ans d’existence… Rare voire très rare pour une revue surtout quand  on parle de mises en scène ou  théorie,  et qu’on publie aussi des textes théâtraux. Le tout de façon impertinente, c’est à dire en y regardant de plus près:  tout à fait pertinente. Et avec de petits cahiers de photos sans titre et d’une belle qualité plastique. En relation avec les textes? Non pas du tout mais finalement si, même si c’est de façon, disons souterraine… Et cela, pourrait-on dire, constitue aussi la signature de cette revue dirigée par Jean-Pierre Han… Discrète mais présente partout; chaque numéro est tiré à trois cent exemplaires et les abonnés en gardent jalousement la collection entière… quand ils ne s’en font pas comme nous, en emprunter sans espoir de retour un numéro convoité… .

  «En deux décennies, dit Jean- Pierre Han, quel tableau s’impose à nos yeux ? Est-ce l’inventaire du travail théâtral de ces années auquel mes textes donnés ci-après font écho ? Peut-être s’agit-il simplement de poursuivre le combat. »  Des phrases qui font écho  au premier de l’ensemble de trente éditos rassemblés ici dans ce numéro hors série : «Ni journal, ni magazine, Frictions se situe délibérément dans la mouvance des revues de réflexion. Elle entend réinstaurer le débat, depuis si longtemps disparu dans le monde du théâtre, sans craindre la polémique, mais sans la rechercher artificiellement. » (…) Le fonction de l’art est de prendre parti ; Frictions prendra parti pour une certaine idée du théâtre. »

Et ce n’est sans doute pas un hasard si le numéro s’ouvre sur la photo de deux yeux ouverts puis de deux yeux fermés, suivi quelques pages plus loin de celles d’un manège d’une vingtaine d’autos-tamponneuses soigneusement alignées… mais prêtes à l’action. Une belle métaphore de l’exercice  pratiqué au quotidien par la petite tribu de la critique théâtrale. Il y a comme cela rassemblés ici trente et un éditos où son auteur  fait le point et avec la plus grande lucidité sur la situation du paysage théâtral dix ans après la création de Frictions. Non sans moult raisons mais parfois avec un certain pessimisme. Mais qu’il se rassure, s’impose la grande qualité des textes, notamment ceux de Marie-José Mondzain, d’Eugène Durif mais aussi de la maquette signée Jean-Michel Diaz, et des illustrations. Et numéro après numéro, la revue offre un éclairage précis, lucide et sans complaisance aucune sur la scène contemporaine et bien entendu, sur ses dérives actuelles… Jean-Pierre Han s’est toujours refusé à une facilité : constituer des dossiers qui sont toujours « vendeurs ».
C’est sans doute aussi le prix à payer pour rester indépendant et donc à la seule merci de ses lecteurs qu’ils soient abonnés ou non.  On souhaite longue vie à Frictions : les revues qui dépendent  ni de grandes ou de petites institutions se font rares. Mais on ne dira jamais assez que c’est un indispensable outil de réflexion…

Philippe du Vignal

Rédaction, abonnement : 27 rue Bannier, 75014 Paris. T. : 01 45 43 48 95. frictions@revue-frictions.net www.revue-frictions.net

 

092A1D91-F947-4A3D-B380-8131B8396147Les Mémoires des Géants Royal de Luxe s’invite chez les spectateurs de Hee-Kyung Lee

Le Royal de la fameuse compagnie de théâtre dit de rue a une longue histoire…nous lui avions offert des habits 1900quand elle fut  fondée en 1979 par Jean-Luc Courcoult, Véronique Loève et Didier Gallot-Lavallée, alors encore notre élève aux Beaux-Arts d’Orléans et basée à Nantes dix ans plus tard. On se souvient entre autres de  Parfum d’Amnésium-Roman photo tournage,  1985. Puis sans doute le plus connu,  La véritable Histoire de France, créé en Avignon devant le Palais des papes en 1990, Le Tréteau des ménestrels : Soldes ! Deux spectacles pour le prix d’un,  (2003)  et cette parodie de western assez réussie Rue de la Chute qui fit les beaux-jours du festival d’Aurillac en 2012. Mais aussi devenus célèbres, les Géants à Nantes avec, entre autres: Le Grand Géant en 93, La Grande Girafe en 2000, Le Géant en colère en 2007
Hee-Kyung Lee, une sociologue coréenne vit en France et est passionnée par les arts de la rue. Au Havre où le premier de ces Géants a été montré au public, elle a rencontré en particulier des résidents de la ville haute, quartiers plus populaires que ceux de la ville d’en bas et elle a recueilli leurs témoignages. C’est souvent brut de décoffrage, écrit au fil de l’ordinateur et aurait mérité d’être plus resserré mais comme il est rare de connaître l’appréciation des habitants des villes où Royal de Luxe est passé, on ne va pas faire la fine bouche…

Plus intéressant:  toutes les lettres adressées à la fameuse compagnie et venue parfois de l’étranger. Les spectateurs ont vécu différemment cette rencontre mais cela a été un moment important de leur vie et ils le disent souvent de façon très émouvante. « On trouve, dit l’auteure,  une équation entre la structure du spectacle et la manière dont cette saga se monte, se déroule et les caractéristiques de sa réception.”  Et Hee-Kyung Lee analyse finement les éléments communs qui permettent à Royal de Luxe d’agir comme une sorte de conteur  et de faire se rencontrer les Géants qui ne font pas grand chose avec les habitants de la ville où cela se passe.. Et ils sont très présents, comme cette fourchette surdimensionnée plantée dans une voiture…

Et l’auteure a raison d’insister sur la « sublime technicité » grâce à laquelle ces Géants peuvent se déplacer et sur la grande qualité des images ainsi produites : la marque de fabrique des spectacles de Royal de Luxe dont les spectacles sont autant de sculptures très réussies: on insiste rarement là-dessus. Et il y a une remarquable post-face de Jean-Pierre Marcos,  le président d’Artcena, le Centre national des arts du cirque, de la rue et du théâtre. Que demande le peuple ?
Un livre un peu cher! mais qui complète utilement les nombreux articles et publications consacrées à Royal de Luxe devenue LA compagnie emblématique du théâtre de rue français, grâce notamment à ceux qui lui ont fait confiance dont Jean Digne, à l’époque directeur de l’opération Aix-en-Provence, ville ouverte aux saltimbanques.

Ph. du V.

Le livre est publié aux éditions de L’Harmattan. 236 pages. Prix : 24, 50 €.

  

 

 

 

Livres et revues

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Jeu n° 169

3B4BA439-BBB2-4670-98F0-06B4B7B59E0CFondée en 1976 et publiée quatre fois  par an, cette revue québécoise est la seule francophone en Amérique du Nord consacrée aux arts du spectacle. Avec toujours de bons articles et documents sur la mise en scène et l’interprétation au théâtre mais aussi sur la chorégraphie ou le cirque…
Au sommaire de ce numéro paru en décembre, un texte sur la pratique chorégraphique d’Andrew Tay par Laurane Van Branteghem.  La dernière création  de cet artiste né en Ontario  Fame Prayer / EATING, a été présentée au Théâtre la Chapelle en avril dernier. En collaboration avec François Lalumière, artiste visuel de Montréal et Katarzyna Szugajew photographe polonaise mais aussi sculptrice et performeuse. Intérêt commun : leur intérêt pour le corps nu, le corps comme matière.

Ils se sont rencontrés en dansant pour la chorégraphe viennoise Doris Uhlich dans la pièce More Than Naked avec vingt interprètes dont une DJ, tous nus sur scène. Avec Fame Prayer / EATING, Andrew Tay  veut, dit-il, explorer le domaine de la spiritualité et de l’esthétique queer.  Il y aussi un texte sur le chorégraphe et interprète Raimund Hoghe qu’on avait pu en Avignon cet été (voir Le Théâtre du Blog).

Sous la direction de Raymond Bertin, il y aussi un le dossier très complet sur la formation de l’acteur. Que ce soit dans les écoles mais aussi dans les formations continues (ateliers, stages, classes de maître) . Et il y a aussi un article de Lise Roy qui parle des visites qu’elle a faites dans les écoles de théâtre de Stockholm.

Ralph Elawani signe lui, une enquête sur l’affaire Sicotte qui a secoué le Québec il y a un an  et sur les leçons que l’on a pu en tirer. Il s’agit de la mise en cause d’un comédien et enseignant qui n’a pas été accusé de crimes de nature sexuelle mais un reportage de Radio-Canada, très controversé, révéla que la direction du Conservatoire venait de suspendre un de ses professeurs Gilbert Sicotte. Quelques-uns parmi ses anciens élèves témoignent de ses méthodes d’enseignement selon eux «excessives et abusives». Par ailleurs, trente-deux élèves le défendirent alors dans une lettre, mais il sera licencié en février. L’affaire amènera les écoles de théâtre à  faire leur auto-critique et à prévoir  des mesures, pour éviter, par l’entremise d’une « ombudsperson », tout harcèlement ou comportement inapproprié. Bref, la question demeure en filigrane: qu’est-ce qu’un bon pédagogue? Il ne peut sûrement plus avoir le profil de ceux qui exerçaient, il y a une vingtaine d’années, que ce soit dans un lycée, ou une école de théâtre ? Mais les Québécois se demandent avec juste raison si Gilbert Siccote n’a pas été dans toute cette histoire à rallonges, une sorte de bouc émissaire?

La Gravité
de Steve Paxton, traduction de Denise Luccioni

FBE0931B-C07F-4AF5-8A2C-329A7CD44205Ce danseur, chorégraphe, et surtout pédagogue  américain de  soixante-dix neuf ans, a travaillé avec Merce Cunningham dès 1961. Il aborda la pratique de l’aïkido en 65 à Tokyo et a été un des membres fondateurs du fameux Judson ChurchTheater l’année suivante avec Trisha Brown. Il travailla avec elle mais aussi excusez du peu avec Yvonne Rainer, Robert Rauschenberg, et Lucinda Childs. Il fondera avec Anne Kilcoine en 86, Touchdown, une structure en Angleterre qui offre aux mal-voyants la possibilité de danser.

Il enseigne le contact improvisation, une danse improvisée qui s’est beaucoup développée en Europe, surtout aux Pays-Bas et en Angleterre.  Avec comme principes fondamentaux pour les mouvements du corps en contact avec d’autres corps: fluidité dans la transmission et la réception du poids, prise d’initiative,  réflexes et empathie physique innée. Avec une grande importance accordée à la colonne vertébrale et aux mouvements du bassin. Et à la conscience de l’effet de gravité sur nos tissus. « La gravité, dit-il, est une force, une force naturelle. » Il y a de belles phrases qui ressemblent à un haïku comme : « Que fait mon corps, lorsque je n’en suis pas conscient. » Ou cet hommage à la marche : « Nous apprenons à marcher seuls. «  (…) « Elle devient ensuite le fondement de tous nos mouvements, la source d’une grande part de la danse. » Mais Steve Paxton n’aura cessé  d’expérimenter et de montrer dans ses spectacles « la fragmentation du mouvement dans le temps en particules d’expérience qui peut atteindre l’infinitésimal. »
Ce petit livre de 80 pages qui rassemble différents textes qu’il a écrits entre 2005 et 2008 et qui témoignent d’une bel essai de compréhension et d’une recherche intransigeante sur la déconstruction en chorégraphie. Et Steve Paxton, on l’oublie souvent, a eu une influence considérable sur toute la danse contemporaine.

Editions Contredanse, Bruxelles 2018. 12€

Frictions n° 30

A0590A5A-A224-4D15-878C-CEC8B41050BCEn introduction, un très bon édito de Jean-Pierre Han : Nos petites lâchetés, où il parle  de la fonction de metteur en scène qui, dit-il non sans raison, commence à être remise en cause, alors qu’elle a connu son heure de gloire depuis une cinquantaine d’années avec, notamment une relecture des classiques (Roger Planchon puis Patrice Chéreau…. Au profit des collectifs (on  parlait souvent après 1968 de « création collective » sans qu’on sache mieux ce que cela recouvrait en termes d’autorité ni en méthodes de travail.
Jean-Pierre Han a aussi raison quand il s’en prend à une partie de la critique  qui  «se pâme souvent devant ce qui n’est que poudre aux yeux». On l’a vu encore récemment avec cette pathétique Ecole des Femmes montée par Stéphane Braunschweig et trop souvent encensée. On ne dira jamais assez les effets pervers du snobisme dans l’accueil d’un spectacle. Et tout se passe trop souvent comme s’il y avait des metteurs en scène sanctuarisés et comme la critique avait peur d’un possible retour de manivelle. Mais, grand Dieux, de qui et lequel ?

 Au sommaire de ce nouveau numéro, un texte d’André S. Labarthe disparu cette année, un article de la philosophe Marie-José Mondzain, très riche comme comme toujours, sur la relation de l’être humain aux images  et sur la relation de demande qu’établit l’industrie de fabrication des images. En lien direct, bien entendu, précise-t-elle, avec l’économie de marché. Et comment les flux télévisuels provoquent un saccage subjectif. Une analyse, pas toujours facile à lire en l’absence de paragraphes mais des plus lucides.

Signalons aussi une sorte de confession sur son métier de clown et jongleur Nikolaus, et sur l’école de cirque de Châlons-en-Champagne. Et enfin, des extraits d’un beau texte d’Eugène Durif  La Danse arrêtée de Lucia Joyce : cette pièce a été créée  ce mois-ci à Villeneuve-d’Ascq avec Nadège Prugnard.

Frictions n° 30 . 14 €

 Philippe du Vignal

 

Akaji Maro, Danser avec l’invisible, présentation et entretiens d’Aya Soejima

Livres et revues:

Akaji Maro, Danser avec l’invisible, présentation et entretiens d’Aya Soejima, photos de Nobuyoshi Araki

(C)Jean  Couturier

(C)Jean Couturier

Un beau titre pour un livre qui explore la vie et l’art d’Akaji Maro dont le travail a été présenté cet hiver à la Maison de la Culture du Japon. La photo de couverture et celles qui accompagnent ces entretiens sont du célèbre Nobuyoshi Araki, photographe officiel d’Akaji Maro et de sa compagnie Dairakudakan. Ils se sont rencontrés à la fin des années 1960 dans le studio de Tatsumi Hijikata, créateur de la danse butô, décédé en 1986.

A force d’accompagner le maître dans ses interviews parisiens depuis plusieurs années et de se rendre deux fois par an dans son studio à Tokyo, Aya Soejima a eu l’idée de ces entretiens. La première partie du livre révèle la vie d’Akaji Maro depuis sa naissance à Nara en 1943, jusqu’à son travail, ces dernières années avec sa compagnie. Un long parcours, riche en rencontres artistiques: Yuko Mishima, les danseurs Ushio Amagatsu et Carlotta Ikeda, les cinéastes Takeshi Kitano ou Quentin Tarantino… D’abord engagé dans les milieux  culturels alternatifs de Tokyo, en marge d’une société japonaise strictement réglée, le chorégraphe s’intéresse au théâtre dès son adolescence et, en 1964, rencontre Jūrō Kara et participe à la création du Jôkyô Gekijô, compagnie-phare du théâtre underground. Le maître est devenu avec le temps, une institution mais mieux reconnue à l’étranger que chez lui.

La deuxième partie du livre, consacrée à sa vision de la danse et du monde, révèle les codes et orientations de ses créations et sa belle philosophie de l’existence. «Je joue au théâtre, je danse, dit-il. Mais je ne fais que mettre l’humain en scène.» Comment interpréter une existence, par le théâtre ou la danse? Jūrō Kara mettait en avant les errements de l’amour, ses fêlures et aberrations. Les textes, fondés sur le sens caché des mots et la polysémie, ont influencé le jeu des acteurs en qui il avait confiance. Il les questionnait beaucoup sur leur vie, puis insufflait une partie de leur vécu dans leur personnage. «J’ai changé de manières de m’exprimer, en passant du théâtre à la danse, mais je me dis que la danse représente aussi la vie de chacun. Le théâtre, pour moi, est un art raffiné. Ma danse, elle, relève plus du rituel. C’est plus primitif.».

Un livre passionnant et à découvrir.

Jean Couturier

Akaji Maro, Danser avec l’invisible, présentation et entretiens d’Aya Soejima. Riveneuve Archambaud éditeur.

        

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