Femmes de théâtre et mise en scène aux XVI-XVIII èmes siècles

Pour une histoire des metteuses en scène n° 299 de La Revue d’Histoire du Théâtre, coordination d’Agathe Sanjuan et Joël Huthwohl

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Il y eut le rapport de Reine Prat qui a eu l’effet d’une mini-bombe il y a presque vingt ans déjà, sur la place des femmes dans le spectacle; très bien documenté, il a marqué un tournant. « Avec une généralisation de la préoccupation de l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’ensemble des politiques et des actions des pouvoirs publics et donc d’analyser, avant toute prise de décision, les retombées possibles sur les situations respectives des unes et des autres,  l’adoption de mesures spécifiques en faveur des femmes visant à corriger les inégalités constatées. »
Cela concernait aussi bien entend toutes les disciplines artistiques du spectacle et tous les types de structure, d’activités,  tous les niveaux de responsabilités. Et, en 2006, les chiffres étaient têtus: « Les hommes dirigent 92% des théâtres consacrés à la création dramatique et 59% des centres chorégraphiques nationaux,  97% des musiques que nous entendons dans nos institutions ont été composées par des hommes et ils dirigent  94% des orchestres. 85% des textes sont écrits par des hommes comme 78% des spectacles sont mis en scène et 57% chorégraphiés par un homme. «Depuis 1900, écrivait Marguerite Duras, on n’a pas joué une pièce de femme à la Comédie-Française, ni chez Vilar, au T.N.P., ni à l’Odéon, ni à Villeurbanne, ni à la Schaubühne, ni au Piccolo Teatro de Strehler, pas un auteur femme ni un metteur en scène femme. Et puis Sarraute et moi, nous avons commencé à être jouées chez les Barrault. »
Depuis, on est arrivé à la quasi-parité pour les Centres Dramatiques . Oui, mais… il y a un bémol et de taill Les mieux lotis au niveau budgétaire sont tous dirigés par des hommes, et cinq les 5 moins bien lotis le sont par des femmes.  La programmation en terme de parité s’est  accentuée: les spectacles mis en scène par des femmes est passé à 53% en 2023/2024.. .Mais pour les Théâtres Nationaux, seule Caroline N’Guyen dirige un Théâtre National, celui de Strasbourg… depuis cette année. Là, c’est assez lamentable: le ministère de la Culture comme l’Elysée! n’ont jamais voulu qu’il en soit autrement.
Et la dernière nomination-à l’Odéon-a été celle de Thomas Jolly… Pourquoi? Les sociologues doivent avoir leur avis là-dessus. Par ailleurs, y-a-t-il peu de candidates? Qui a envie de gérer ce type de maison où le Ministère tire souvent les ficelles et impose les décisions… Et où bien des hommes se sont cassé les dents ou ont regretté après coup d’avoir accepté le poste…

©x Caroline Giulia N'Guyen

©x Caroline N’Guyen

Comme le rappellent dans l’introduction à Pour une Histoire des metteuses en scène, Agathe Sanjuan et Joël Huthwohl, le moins qu’on puisse dire est que la situation actuelle est encore très déséquilibrée et que les metteuses en scène sont le plus souvent aussi directrices d’un lieu. Les autrices et les auteurs de ce gros ouvrage explorent ce qu’a pu être a été la mise en scène en France du XVII ème siècle au début du XXI ème siècle.
Dans la préface,
Julie Deliquet, metteuse en scène, directrice du Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, met d’emblée les choses au point… non sans quelque prétention! «Quand on m’a demandé de candidater à une direction, j’ai hésité et j’ai répondu que je savais pas si c’était le bon moment. On m’a fait remarquer qu’un homme avec une carrière comme la mienne, se serait étonné de n’avoir pas été nommé plus tôt.  »
Elle fait remarquer qu’elle a « découvert la place capitale des femmes dans le fonctionnement des troupes au XVII ème siècle et dans la façon dont les décisions artistiques étaient prises. Jusque-là je n’avais pas conscience de cette horizontalité, bien réelle avant la Révolution française. Notre prise de conscience est si tardive. Avec un art si ancien, comment peut-on être si en retard ? Cet effacement a encore des conséquences aujourd’hui. On critique les quotas, mais ils ont toujours existé sans que personne ne s’en émeuve. » (….) »
Mais Julie Deliquet, grande apôtre du féminisme, ne fait pas dans la nuance! Oui, cela a toujours été un grave problème dans les écoles de théâtre. Antoine Vitez lui-même était pour un recrutement plus important de jeunes femmes qui, en effet dans les concours, ont toujours plusieurs points d’avance sur les garçons. Plus cultivées, plus motivées, plus justes aussi dans leurs choix esthétiques.
Nous avons aussi régulièrement appliqué ce principe à l’école de Jérôme Savary dans ce même Théâtre national de Chaillot, mais bon, il faut avoir aussi des garçons pour donner la réplique.  Une équation difficile à résoudre.  Mais  les jurys n’ont pas commis d’erreur et des jeunes femmes ont souvent eu des parcours tout à fait remarquables comme les metteuses en scène: Léna Bréban, ou Pauline Bayle et Lucie Berelowitsch, celles-ci actuellement directrices de Centres Dramatiques Nationaux. Par ailleurs, Jérôme Savary a employé beaucoup plus d’élève-actrices à l’Ecole (trois pour des rôles importants),
que de garçons…

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©xLéna Bréban


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©x Pauline Bayle

 

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©x Lucie Bérélowitsch

Suivent  dans ce livre une quinzaine de participations sur le thème des femmes de théâtre et de la mise en scène  depuis le  XVI ème siècle avec notamment La méthode Clairon. Préalables à l’invention de la mise en scène : aux sources de la dramaturgie et de la théorie du jeu par Florence Filippi et Aurélien Poidevin et un bon article de Joël Huthwohl sur  Sarah Bernhardt, la première «metteuse en scène ».

©x Sarah Bernhardt

©x Sarah Bernhardt

Le terme était récent (1883) dit son auteur, et plutôt consacré aux chorégraphes. Mais la grande tragédienne fut reconnue par le critique Jean Lorrain comme metteuse en scène de génie quand elle monta La Samaritaine d’Edmond Rostand. Avec juste raison, Eugénie Martin rappelle l’itinéraire de Louise Lara, une artiste d’avant-garde (1876-1952)  qui fut sociétaire de la Comédie-Française ,avec son mari Edouard Autant, fonda en 1919 le laboratoire de théâtre Art et Action, «pour l’affirmation et la défense d’œuvres modernes. »

© Louise Lara

© Louise Lara

Il faut signaler, comme le fait Anne-Lise Depoil, qu’à l’époque du Cartel, il y a un siècle, le rôle que tint Simone Jollivet, la «femme-théâtre» de Charles Dullin, laquelle n’a pas été reconnue à sa juste valeur.  Et Ludmilla Pitoëff resta dans l’ombre de son mari Georges, grand metteur en scène. Dans Rattraper la balle lancée par Virginia Woolf. Luttes et stratégies des comédiennes pour l’appropriation de la mise en scène dans les années 1970-1980 en France éclaire bien ce moment-charnière dans l’histoire du théâtre français quand des actrices se sont dit qu’elle pouvaient aussi être metteuses en scène comme entre autres, Catherine Monnot ou  Catherine Dasté dont le père était Jean Dasté, directeur du Centre Dramatique National de Saint-Etiennne et le grand-père, l’immense Jacques Copeau. Voir l’article Catherine Dasté, femme de théâtre irréductible par Raphaëlle Jolivet-Pignon.

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©x Catherine Dasté

Catherine Dasté- qui a aujourd’hui quatre-vingt quinze ans- fut une formidable éclaireuse quand elle monta en 68 avec un grand succès, aidée par Ariane Mnouchkine qui lui « prêta » quelques acteurs, une pièce magnifique pour enfants: L’Arbre sorcier, Jérôme et la tortue. Avec l’appui de Françoise Dolto, elle créa ensuite le premier Centre dramatique national pour l’enfance et la jeunesse, au théâtre de Sartrouville. On l’a souvent oublié: dans les années cinquante, les directeurs de théâtre privé à Paris étaient… des directrices!
Il y a aussi pour conclure, un bon entretien  de Joël Huthwohl et Agathe Sanjuan avec Ariane Mnouchkine. Comme à son habitude, la directrice du Théâtre du Soleil  ne mâche pas ses mots et attaque avec raison les institutions, notamment syndicales comme la C.G.T. où un homme à qui elle avait demandé conseil, lui avait dit sèchement :  » Si vous n’avez pas d’argent, il ne faut pas faire de théâtre. »

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©x Ariane Mnouchkine

Mais lucide, elle dit aussi n’avoir pas oublié toute la générosité de Gabriel Garran-celui qui fut longtemps le directeur du Théâtre de la Commune à Aubervilliers-qui l’a beaucoup encouragé à créer cette troupe emblématique d’une  autre façon de faire du théâtre. Et elle reconnait qu’il y avait de vieux restes patriarcaux, même au Théâtre du Soleil…
Cet ouvrage-trop touffu-de trois cent cinquante pages aurait mérité une mise en page plus aérée et les notes en gris sont dissuasives. Mais on y trouvera nombre d’analyses et d’informations sur un passé qui éclaire souvent le présent du théâtre actuel, à l’heure où de nombreuses femmes dirigent enfin des structures importantes. Et qui sera nommé à la tête de la Comédie-Française? L’Elysée- à qui appartient traditionnellement la décision finale- se risquerait-il à nommer une femme? Cela serait étonnant et de toute façon Emmanuel Macron-qui va rarement au théâtre- a d’autres chats à fouetter mais ce serait un bon signal… Rappelons qu’il y a eu une seule administratrice (Muriel Mayette). Mais juste une directrice au Théâtre National de Chaillot et jamais aucune au T.N.P.,  à l’Odéon ou à l’Opéra-Comique.  Côté théâtre de rue, aucune non plus aux festivals d’Aurillac ou Chalon. Et cela n’a jamais bouleversé les nombreux ministres de la Culture (hommes ou femmes !). Ainsi va la France au XXI ème siècle…

Philippe du Vignal

Société d’histoire du Théâtre BnF. 22 €

 

 

 


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Livres et revues La Gloire de la bêtise Régression et superficialité dans les arts depuis la fin des années 1980 de Morgan Labar

Livres et revues

La Gloire de la bêtise Régression et superficialité dans les arts depuis la fin des années 1980 de Morgan Labar

Un gros volume (quatre cent pages), issu d’une  thèse de doctorat. Historien et critique d’art,  normalien, diplômé en philosophie et docteur en histoire de l’art (2018), Morgan Labar s’intéresse à la manière dont les catégories esthétiques, canons et discours hégémoniques sont construits au sein des mondes de l’art contemporain. Il a enseigné à l’École du Louvre, dans les départements Arts de l’E.N.S. où il anime avec Daria de Beauvais, le séminaire Autochtonie, hybridité, anthropophagie depuis 2020. Il a été nommé directeur de l’École supérieure d’art d’Avignon il y a trois ans et il est maintenant à la tête de celle de Lyon.

©x Morgan Labar et Raphaëlle Mancini administratrice de l'Ecole des Beaux-Arts d'Avignon

©x Morgan Labar et Raphaëlle Mancini, administratrice de l’Ecole des Beaux-Arts d’Avignon

Les relations entre arts plastiques et arts du spectacle ont toujours été fréquentes. Auguste et Louis Lumière dont le père était peintre, empruntent leurs thèmes à Claude Monet, Camille Pissaro: paysage, gares… avec L’Arrivée du train en gare de la Ciotat (1895) ou Les Rochers de la Vierge à Biarritz. Puis les arts plastiques ont, dès les années soixante, influencé les créateurs de théâtre, notamment américains: entre autres, John Vaccaro, Richard Foreman, Meredith Monk, Stuart Sherman, Robert Wilson qui, à ses débuts, s’est inspiré du surréalisme, puis du minimalisme…
En Europe, Tadeusz Kantor, a été proche du futurisme et du dadaïsme. Lui-même avait été  élève scénographe à l’Académie des Beaux-Arts de Cracovie, et le metteur en scène Roméo Castelluci est, lui, diplômé en scénographie et en peinture de l’École des Beaux-arts à Bologne…
Et le théâtre a aussi fourni nombre d’éléments au  happening (le premier dès 52,  associait le peintre Robert Rauschenberg, le compositeur John Cage et le danseur Merce Cunningham… Une intervention artistique gratuite devant un public limité. Puis il y aura aussi cette forme hybride qu’est la performance, notamment en Europe, avec le mouvement Fluxus fondé en Allemagne, entre autres par George Maciunas. En France, dans les années soixante George Brecht, Robert Filliou, Serge Oldenbourg, Ben Vautier et son Théâtre total, Gina Pane, Michel Journiac.. réalisèrent nombre de performances. Certaines sont depuis entrées dans les Centres d’art contemporain. En novembre dernier, au Palais de Tokyo, une trentaine d’œuvres ont été ainsi exposées par Pierre Bal-Blanc…

Morgan Lebar, lui, montre un autre volet de cet échange permanent entre arts plastiques, et arts du spectacle, et comment des artistes se sont inspiré entre autres, du film à grand succès Dumb and Dumber (La Cloche et l’Idiot) des réalisateurs américains Peter et Bobby Farrelly. Leurs protagonistes Harry et Lloyd (sans aucun doute un hommage à Harold Lloyd, le grand acteur/auteur du cinéma muet), privilégient les blagues scatologiques ou idiotes. « L’objet de  cette étude est la gloire de la bêtise, dit Morgan Labar avec des pratiques jusque-là considérées comme infantiles, régressifs et populaires. » Soit pourrait-on dire une bêtise assumée comme telle et hissé au rang de valeur picturale ou sculpturale ou de performance comme chez Mike Kelley, il y a déjà une vingtaine d’années  : « La triade de l’altérité moderne, que représentaient le fou, l’enfant et le primitif, est alors supplantée par la figure de l’adolescent bête. » (…) Le succès de la bêtise compulsive est éclatant. »

Morgan Labar consacre ainsi plusieurs pages au collectif Présence Panchounette… un groupe d’artistes bordelais qui voulait dynamiter  les postures de l’avant-garde: art minimal, art conceptuel, peinture abstraite des mouvements qui « confortaient le goût bourgeois pour une esthétique de l’épure ». En 72, Présence Panchounette exposa au Studio F 4 à Bordeaux, un puits en pneus, de la toile cirée, des jerrycans à mazout. Et ce collectif s’en était pris au groupe Supports/Surfaces qu’il trouvait bourgeois. Cinq ans plus tard pour leur première exposition à la galerie Éric Fabre à Paris, les membres de Présence Panchounette la couvrirent entièrement de papier peint aux motif op’art. «Ce qui est intolérable dans le vulgaire, disaient-ils, c’est son innocence.» Le F.R.A.C. Midi-Pyrénées l’invitera en 86 à mettre en scène des pièces de sa collection, enter autres, celles de Claude Viallat, Philippe Starck, Hervé Di Rosa,  que Présence Panchounette installera dans du mobilier Knoll. Lesquels artistes protesteront… Mission accomplie pour ce collectif qui avait bien atteint son but et quand, il commencera à être respecté, logique avec lui-même, ferma boutique.

L’auteur analyse aussi très finement l’œuvre de l’artiste américain Jeff Koons et son incursion dans le domaine du kitsch, un mot qu’il refuse. Il fera entrer la banalité avec des reproductions à l’identique mais souvent avec « un matériau lisse et froid comme l’acier inoxydable, créant un contraste et un sentiment d’étrangeté ». (…) « Les œuvres de Jeff Koons sont bêtes dans leur refus obstiné de distinction. »
Morgan Labar a raison de  parler d’une question de hiérarchies de valeurs: « Jeff Koons joue donc d’une part le goût prolétarien, d’autre part le travail de l’artisan contre l’art de l’élite culturelle et intellectuelle. (…) Tout en valorisant le goût supposément populaire pour le « bien fait » comme pour le simple et le naïf ». Arriver à brouiller les lignes et à tout faire pour être reconnu: le système a été mis au point par cet artiste qui est aussi un habile homme d’affaires. Quitte à plagier… ce pourquoi, il a été condamné plusieurs fois… mais il a fait fabriquer par des équipes d’ouvriers spécialisés, des œuvres qui sont entrées comme par une porte dérobée, mais avec efficacité, dans les institutions muséales et sur le grand marché de l’art, dans les collections  de riches amateurs..

Suit un chapitre où Morgan Laban analyse l’idéologie de l’économie capitaliste en matière d’art et l’idéologie et les stratégies contre-productivistes employées par les artistes: l’inefficacité, la revendication de l’échec comme Présence Panchounette avant leur auto-dissolution. L’auteur consacre aussi des pages très intéressantes sur Gelitin, un collectif autrichien moins connu du grand public qui occupe pourtant le devant de la scène depuis une vingtaine d’années avec des œuvres et performances aux thèmes scato-urologiques. Comme le travail de l’artiste belge Wim Delvoye avec Cloaca, présentée en 2000 au musée Mukha d’Anvers. Cette machine à caca reproduit la digestion humaine avec  des aliments introduits qu’on retrouve transformés en excréments à l’autre bout de lachaîne. Mais il s’agit ici non plus de bêtise mais d’une mise en abyme d’un phénomène physiologique.
Ainsi dans la Chocolate Factory de Mac Carthy qu’on avait pu voir à l’Hôtel de la Monnaie à Paris, une production des Pères Noël et des sapins… et plugs anaux en chocolat. Cette œuvre qui, un temps, fit scandale, était en décalage entre l’esthétique précieuse du lieu, avec lustres, peintures au plafond, vitrines… Une équipe de performeuses, en tenue rouge et perruque blonde, y moulaient les figurines en chocolat. Soit une attaque contre le mode de production capitaliste. On pouvait voir aussi l
es machines de fabrication et une centrifugeuse, clin d’œil à La Broyeuse de chocolat (1914)  de Marcel Duchamp.

On ne peut tout citer de ce gros ouvrage qui apporte sa pierre de façon magistrale, à l’histoire de quelques tendances de l’art contemporain le plus récent. Mais il y aussi un chapitre sur François Pinault, richissime industriel et financier, et par ailleurs grand collectionneur, qui racheta le Palazzo Grassi à Venise en 2006 et le fit réhabiliter par l’architecte japonais Tadao Ando et l’année suivante un ancien bâtiment des Douanes vénitiennes, pour les transformer en musées d’art contemporain. Il y a réuni des œuvres du sculpteur américain Carl Andre et Donald Judd, des peintures de Mark Rothko mais aussi de Jeff Koons, Damien Hirst…
Puis il imagina un nouveau musée dans l’ancienne Bourse de commerce à Paris il y a trois ans. Avec l’ambition, remarque lucidement Morgan Labar, d’imposer sa vision de l’art actuel, en concurrence avec les grandes institutions culturelles. François Pinault  inaugura aussi il y a neuf ans une résidence d’artistes à Lens ( Nord), à proximité du musée du Louvre-Lens. Un exemple sans doute unique dans l’histoire de l’art moderne et contemporain?  Bien que ce ne  soit pas le thème de ce livre, cette aventure personnelle aurait sans doute mérité une analyse plus complète des relations pour le moins ambigües qu’entretiennent les conservateurs de musées et les directeurs de galerie, avec le monde politique français comme européen…

« Une histoire complète de la bêtise devrait inclure une protohistoire du déballage du refoulé à l’aube des années soixante-dix, écrit Morgan Labar, comme les débuts de Christian Boltanski, quand nous l’avions connu, habitant encore un rez-de-chaussée dans le VII ème arrondissement de Paris, le travail d’Annette Messager brodant des phrases, les sculptures vivantes de Gilbert et George… Des artistes se révoltant d’une façon ou d’une autre contre les spéculations et le marché de l’art. Mais qui tous les trois sont aussi entrés dans l’histoire de l’art contemporain.
Il faut lire ce livre  important. Parfois touffu, il est bien écrit-ce n’est pas incompatible- et très solidement documenté avec de nombreuses photos et passionnant pour toux ceux qui s’intéressent à la vie artistique actuelle. Morgan Labar souligne qu’en Californie, est né une forme de populisme esthétique légitime avec une effacement entre haute culture (moderniste) et culture commerciale. En France, même si la performance a depuis une trentaine d’années, été le fait d’artistes sortis des Écoles d’art, les pratiques en art de la bêtise, ou du moins, de la bêtise assumée, ne sont plus une évidence et ont perdu leur caractère subversif. Reste à savoir quelle sera la prochaine subversion… 
L’auteur indique que » l’âge d’or de l’art bête semble toucher à sa fin » et  quatre ans après qu’il ait soutenu sa thèse, « le caractère hégémonique de ces pratiques n’est plus aussi manifeste en 2024″. Mais en tout cas, ce mouvement et/ou phénomène inédit, avec un succès réel. D’abord au cinéma-très peu dans le domaine du spectacle vivant- mais surtout en peinture, vidéo, sculpture, performance…  Quel que soit son avenir, il a déjà un riche passé et est entré, qu’on le veuille ou non, dans l’histoire de l’art contemporain. Ce que montre avec intelligence et sensibilité, Morgan Labar.

Philippe du Vignal

Les Presses du réel. 28 €.

 

Cinédanse 50 films culte, sous la direction de Dominique rebaud et Nicolas Villodre

Livres et revues

Cinédanse 50 films culte, sous la direction de Dominique Rebaud et Nicolas Villodre

Un panorama de photos de cinquante films réalisés avec des chorégraphies spécialement conçues avec un article. Dans une post-face de ce livre, Patrick Bensard qui a longtemps dirigé la Cinémathèque de la Danse et y avait constitué depuis 83 une collection de films, précise que Cinédanse est une expression empruntée au vocabulaire surréaliste et qu’employait souvent le cinéaste Jean Rouch.
Les nombreux contributeurs sont à la fois des critiques, entre autres: Raphaël de Gubernatis, Nicole Gabriel, Jean-Marc Adolphe, Dominique Frétard, Nicolas Villodre, Bernard Rémy, Marc Lawton, des chorégraphes: Daniel Larrieu, Bernardo Montet, Cécile Proust, Pascale Houbin, Norbert Corsino, Carolyn Carlson qui parle avec admiration de son maître Alwin Nikolaïs qui a été aussi celui de Philippe Découflé, Dominique Boivin.  Odile Cougoule et la chercheuse en danse Dominique Rebaud, un couturier Christian Lacroix, des interprètes comme Elisabeth Schwartz,  des producteurs: Anne Alexandre, Serge Bromberg… Tous ont en commun une véritable passion pour la danse au cinéma et savent la faire partager dans des textes courts mais précis, et bien documentés avec une photo par film. Ce qui donne une belle unité à cet ouvrage…

On ne peut tout citer mais ici sont analysés dans les quatre sections: Capture, pour, entre autres: Danses Gitanes, Récit  Fondamental avec Die Klage der Kaiserin de Pina Bausch,  Expérimental, Actuel, Musical :  avec La Revue des revues (Joséphine Baker),  Sunnyside de Charlie Chaplin ( 1919), Singuin’in the rain avec l’incomparable Gene Kelly (1952), La Mort du cygne dansée par Anna Pavlova et Swing Time, avec Fred Astaire et Ginger Rogers.
D’une autre époque mais tout aussi passionnantes, ces Danses Gitanes filmées en 1905 par Alice Guy (1873-1968), la première cinéaste à créer des films de fiction et dont on a récemment redécouvert l’œuvre… Léon Gaumont publiait il y a juste un siècle, Notice rétrospective sur les établissements Gaumont, mais ne cita pas une fois Alice Guy. Henri Langlois, qui a consacré une soirée en son honneur à la Cinémathèque française en 1957 ne mentionne pas son nom dans le texte qu’il consacra aux pionniers français du cinéma. Elle a pourtant réalisé ou dirigé à la même époque une centaine de «phonoscènes»: ainsi ont été conservées la voix et la gestuelle de chanteurs d’opéra et chansonniers populaires comme Dranem, Félix Mayol…
Citons aussi Bourrées d’Aubrac de Jean-Dominique Lajoux et Francine Lancelot (1965) par Dominique Rebaud: histoire de dire que l’on dansait aussi ailleurs qu’à Paris et peut-être un clin d’œil à cette ancêtre de la danse classique… Et que Laurence  Louppe, historienne de la danse (1938-2012)  aimait beaucoup regarder dans le Cantal… Il y  avait notamment un éleveur gros format qui, pourtant, dansait avec une grâce inimitable…
©x Catherine Deneuve et François Dorléac dans Les Demoiselles de Rochefort

©x Catherine Deneuve et François Dorléac dans Les Demoiselles de Rochefort

Et il y a un bel hommage de la chorégraphe et danseuse Dominique Rebaud qui parle avec admiration du célèbre film Les Demoiselles de Rochefort de Jacques Demy (1967). Une distribution d’enfer:  pour la chorégraphie,  Norman Maen et Gene Kelly qui y danse aussi comme George Chakiris, Michel Legrand, compositeur, les actrices Françoise Dorléac-brûlée vive dans un accident de la route, en allant prendre un avion pour aller à la première des Demoiselles de Rochefort en anglais à Londres-sa sœur Catherine Deneuve, Danielle Darrieux. Et  Michel Piccoli, Jacques Perrin, Christiane Legrand, la sœur de Michel, une interprète des parties chantées.  Il n’y a sans doute pas représentés ici tous les chorégraphes mais l’ensemble sur plus de cent ans, donne une très bonne image de la danse au cinéma jusque aux années 2000. Et pas seulement en Europe mais aussi en Afrique ( Les Maîtres fous de Jean Rouch ou en Asie avec Kazuo Ohno…
A la soirée de présentation du livre, nous avons pu voir un montage de plusieurs extraits de ces films. Comment ne pas être ébloui par le célèbre numéro de danse dite «serpentine», mis au point en 1892 par l’artiste américaine de music-hall Loïe Fuller qui a influencé bien des courants esthétiques du XX ème siècle. Stéphane Mallarmé avait vu chez elle une ivresse d’art»

« Le mouvement, disait-elle en 1908, est un instrument par lequel la danseuse jette dans l’espace  des vibrations et de musiques visuelles. « Ce livre, sous la direction de Dominique Rebaud et Nicolas Villodre, est très bien réalisé, avec un excellent choix de photos et comporte aussi des notes, un index de premier ordre complet, une bibliographie.
Les films de danse sont une sorte de trésor national qu’il faut défendre mais  qui doit être accessible à tout le monde. Cinédanse avec cette large palette d’œuvres en tout genre, donne envie d’aller les voir ou revoir tous, ceux d’anonymes, ou de grands cinéastes: Georges Méliès, Jacques Demy… et  de chorégraphes, eux aussi anonymes, ou célèbres: Joséphine Baker, Alwin Nikolaïs, Merce Cunningham, alors inconnu mais accueilli dans leur studio par Dominique et Françoise Dupuy, Pina Bausch régulièrement invitée au Théâtre de la Ville comme Anne Teresa de Keersmaker.  Lucinda Childs qui travailla avec Bob Wilson, lui-même élève d’Alwin Nikolaïs, notamment sur le très fameux Einstein on the beach, Carolyn Carlson… Des artistes étrangers qui ont tant apporté à la danse en France…

Philippe du Vignal

 Nouvelles éditions Scala, 160 pages. 35 €.

Pauvre Bitos ou le dîner de têtes de Jean Anouilh

 Pauvre Bitos ou le dîner de têtes de Jean Anouilh, mis en scène de Thierry Harcourt

Les pièces de ce dramaturge et scénariste (1910-1987) ont disparu des théâtres. Et pourtant, surtout celles du début et quelques autres ensuite sont loin d’être négligeables et il a su s’entourer d’acteurs, metteurs en scène et  compositeurs remarquables… A vingt-six ans, il écrit Le Voyageur sans bagage auquel Louis Jouvet s’intéresse mais qu’il ne monte finalement pas. Georges Pitoëff, lui, crée la pièce et la joue avec sa femme Ludmilla: 190 représentations! Jean Anouilh ne niera jamais sa dette à son ami Roger Vitrac et s’est inspiré, quand il écrit une comédie, Ardèle ou la Marguerite, de sa  remarquable pièce Victor ou les Enfants au pouvoir créée par Antonin Artaud en 1927.

Jean Anouilh écrira aussi une autre bonne comédie: Le Rendez-vous de Senlis, créée au théâtre de l’Atelier par André Barsacq qui montera aussi Léocadia : chacune avec 170 représentations. Puis il y eut Eurydice en 41 et Antigone en 44, toujours au théâtre de l’Atelier et toujours mises en scène par André Barsacq. Puis, il écrit des  pièces qu’il nomme «brillantes» avec un recours au théâtre dans le théâtre, maintenant devenu un procédé comme La Répétition ou l’Amour puni,  Colombe.
Et d’autres, celles-là nommées « historiques » comme L’Alouette (1953) avec le personnage de Jeanne d’Arc ou Becket ou l’honneur de Dieu (1959) avec celui de Thomas Becket, mise en scène de Roland Piétri et lui-même, avec Daniel Ivernel et Bruno Crémer. Un triomphe…

Roméo et Jeannette est mise en scène par André Barsacq et y débute le jeune Michel Bouquet qui deviendra l’acteur-fétiche de Jean Anouilh mais aussi avec, excusez du peu:  Jean Vilar, Suzanne Flon et Maria Casarès! Là encore avec 160 représentations au compteur. L’auteur a été aussi metteur en scène au premier Centre National Dramatique, celui de Colmar inauguré en 47… avec Les Folies amoureuses de Jean-François Regnard  et Le Misanthrope de Molière. En 57, il écrit et mettra en scène avec succès Ornifle ou le Courant d’air inspirée de Don Juan, avec Louis de Funès: 198 fois représentations! Presque deux ans à l’affiche, avec reprises, tournées et créations en Angleterre et aux États-Unis. Une pièce entrée en 71 au répertoire de la Comédie-Française. On aura connu des carrières d’auteur moins réussies…

Et en 54, au théâtre Montparnasse-Gaston Baty, encore mise en scène par Roland Piétri et  Jean Anouilh avec Michel Bouquet, Pierre Mondy et Bruno Cremer, ce fut Pauvre Bitos ou le Dîner de têtes. Dans une petite ville de la province française non nommée, un dîner de bourgeois en province, (des hommes bien sûr, et seulement deux femmes, les invités vaguement déguisés avec perruques blanches, en Danton, Saint-Just, Mirabeau, Desmoulins mais aussi Marie-Antoinette. Robespierre, lui, est joué par un ancien camarade de classe issu d’une faille pauvre (comme le Bordelais Jean Anouilh) mais qui glanait tous les premiers prix. Devenu ensuite substitut du Procureur de la République, il n’avait pas fait de cadeaux après la guerre aux collaborateurs, ou présumés tels… Bref, il y a de la rancune et de la vengeance dans l’air. Les bourgeois cherchent, en le rendant ivre, à amener Bitos à dire-alors qu’il ne boit jamais-ce qu’il pense de l’ordre public pour l’humilier et le détruire, .
Jean Anouilh ici règle ses comptes et dénonce les excès de la Terreur révolutionnaire mais surtout ceux qui, après-guerre, l’accusaient d’avoir collaboré. Là encore, grand succès public avec 308 représentations. Mais certains y ont vu  un pamphlet contre la Résistance à cause de certaines tirades, assez ambigües. En fait, il était une sorte d’anarchiste de droite, se tenant à l’écart des honneurs, refusant d’entrer à l’Académie Française… Un homme, par ailleurs cultivé et fin connaisseur du théâtre contemporain mais loin d’être bienveillant et chaleureux…Alors qu’en 70, encore jeune critique nous lui demandions très poliment une interview, la réponse fut cinglante: «Monsieur, vous saurez que je déteste l’avion, la télévision et les interviews.» A peine le temps de lui dire qu’au moins, c’était clair, il était déjà parti…Bon vent et nous ne l’avons jamais revu.

Thierry Harcourt qui avait déjà monté Léocadia et Le Bal des Voleurs, s’attaque à cette longue pièce qu’il a, heureusement, bien élaguée. Sur le plateau nu, juste une grande table nappée de blanc avec flûtes à champagne, cloches en inox, chaises et fauteuils, et une petite table roulante chargée de whisky et apéros. Les invités, en queue-de-pie noir ont le visage maquillé et les perruques blanches de Saint-Just, Mirabeau, Danton, Camille Desmoulins. Marie-Antoinette est en longue robe de soirée, Lucile Desmoulins, elle, en robe rouge décolletée… Bitos, le dernier arrivé (Maxime d’Aboville) est lui, vraiment costumé en Robespierre. Plus petit que les autres, il a quelque chose d’un peu ridicule et on voit tout de suite que ses anciens amis le méprisent. Et à un moement exaspéré, il veut quitter le dîner.

Puis, dans un gros souffle de fumigènes (une fois de plus et sans commentaires!) et avec projecteurs éblouissants : changement de décor…  Nous sommes grâce à une belle toile peinte en fond de scène, à la Révolution française, pendant la Terreur. Un parallèle avec l’épuration vers 1946 qui a été souvent l’occasion de virulents règlements de comptes et auxquels a participé Bitos, à l’image de Robespierre.
Ses anciens copains se moquent de ses origines prolétaires: sa mère lavait le linge des riches, comme on le lui rappellera gentiment. Même s’il a été brillant élève, il est resté un paria. Mais, grâce à un travail obstiné,  devenu substitut du procureur de La République et après la Libération, il fait condamner à mort un milicien et obtient la peine maximum contre un malfrat dont le père était un collaborateur. Et ses anciens camarades qui, eux, savent parler haut et fort, le lui reprocheront. Il faudrait selon eux, tuer les pauvres, c’est à dire les faibles qui voudraient bien un morceau du pouvoir, mais  inutiles quand il faut construire une république. 

Jean Anouilh joue habilement d’une langue souvent facile-à base de sarcasmes et mots d’auteur, genre boulevard comique-parfois misogynes mais efficaces, du moins à l’époque, même si cela ne vole pas bien haut: «On trouve toujours un général pour refuser une grâce. » Claire allusion à de Gaulle refusant de l’accorder à Robert Brasillach, le collabo qui sera fusillé… Mais qui sait encore qui était cet écrivain très antisémite et fascisant?Alors que Jean Anouilh et entre autres, Jean Paulhan, Paul Valéry, Albert Camus, Colette, François Mauriac, Paul Claudel et Jean-Louis Barrault avaient signé une pétition en sa faveur. Ou encore: «Les femmes ont toujours pitié des blessures qu’elles n’ont pas faites elles-mêmes.» «Si les hommes se donnaient pour oublier le mal qu’ils se donnent pour se souvenir, je suis certain que le monde serait depuis longtemps en paix.» « Il est très difficile de s’élever au dessus de certains médiocres et de conserver leur estime.» Entre Marivaux et Labiche… mais beaucoup moins convaincant.

Thierry Harcourt a réduit cette pièce (à l’origine de trois heures!) à quatre-vingt minutes… qui sont encore longuettes, vu le peu de matière. Les acteurs bien dirigés font le boulot, les actrices, elles, ont peu de texte et font presque de la figuration intelligente. Mais les personnages masculins sont aussi seulement esquissés et on ne voit pas bien l’intérêt de monter un texte assez faible, où pas une scène n’accroche vraiment l’attention.
A sa création, cette pièce bavarde attirait quand même le public, grâce à un parallèle entre la Terreur et une image de l’épuration après guerre encore assez récente (dix ans seulement !) pour frapper les esprits: toutes les familles ou presque, au moins dans les villes françaises, étaient concernées! Jean Anouilh avait osé évoquer cet épisode peu glorieux (mais tabou) de notre Histoire, avec ce qu’il avait pu engendrer de malheurs,vengeances familiales ou sociales…

 

© Bernard Richebe

© Bernard Richebe

Mais maintenant?  Les dialogues sont loin d’être inoubliables.  Reste comme souvent, quelques belles images surtout au début, mais ce Pauvre Bitos est bien… pauvre, et il n’y avait aucun jeune dans la salle pour assister à ce théâtre-dîner de têtes assez poussiéreux. Bertrand Poirot-Delpech, l’excellent critique du Monde écrivait lucidement quand la pièce fut reprise en 67: «Le succès allait au pamphlet de circonstance, plus qu’à l’œuvre de théâtre. Les spectateurs réagissaient essentiellement aux sarcasmes contre l’épuration de 1945, comme d’autres ont fait un sort par la suite, aux férocités du Vicaire et des Paravents. Jean Anouilh l’avait d’ailleurs cherché. Sa vengeance apparaît d’autant mieux, que les années l’ont refroidie. Il a écrit la pièce, c’est l’évidence, comme on règle rageusement un compte. » Bien analysé : tout est dit.
A voir ce Pauvre Bitos? A titre exotique peut-être, et/ou pour les acteurs! Mais ce spectacle n’a rien d’attirant et nous sommes restés sur notre faim. Mieux vaut voir en vidéo 1789 et 1790 mise en scène d’Ariane Mnouchkine. Ces spectacle, plus de cinquante ans parès leurs créations, n’ont pas pris une ride; ou relire La Mort de Danton de Georg Büchner.
Tiens, une série de coïncidences assez drôles dans le temps et dans l’espace: il y a juste un siècle Jean Anouilh était élève au lycée Chaptal… situé en face du Théâtre Hébertot où on joue ce Pauvre Bitos ! Et il y rencontra le futur acteur et metteur en scène Jean-Louis Barrault.  Comme disait Macron avec sa fameuse gaffe, il suffit de traverser la rue du trouver du travail… Même cent après!

Philippe du Vignal

Théâtre Hébertot, 78 bis boulevard des Batignolles, Paris (XVII ème). T. : 01 42 93 13 04.

la Comédie-Française et les metteurs en scène, De Copeau, Jouvet… à Bob Wilson, Ostermeier d’Odette Aslan

 

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Livres et revues

La Comédie-Française et les metteurs en scène, De Copeau, Jouvet… à Bob Wilson, Ostermeierd’Odette Aslan

Le ministre de l’Éducation nationale et et des Beaux-Arts, au Gouvernement du Front Populaire, le grand Jean Zay né en 1904 et tué par la milice en 44, réussit en à peine quatre ans à mettre en place le C.N.R.S.  Musée national des arts et traditions populaires, le Musée d’Art moderne, la Réunion des théâtres lyriques nationaux, mais aussi  le festival de Cannes. Impressionnant !
En1936, la Comédie-Française est en crise à la fois morale et financière. Au menu, désordre, manque de discipline, traditions usées, scénographie plus que vieillotte, jeu très conventionnel, public de plus en plus frileux, bref, il était temps d’agir! Et Jean Zay va nommer l’auteur dramatique Édouard Bourdet au poste d’administrateur avec un remarquable décret l’autorisant à faire des distributions sans tenir compte de ce qu’on appelait les «emplois» qui étaient souvent les chasses gardées des sociétaires de la Comédie-Française les plus importants, aux dépens des pensionnaires, plus jeunes…

Une véritable révolution depuis la création en 1680 de cette troupe, soit sept ans après la mort de Molière, et comme le rappelle justement dans sa préface Denis Podalydès, sociétaire, les acteurs choisissait jusque là les pièces et se répartissaient les rôles, non sans difficulté avec les auteurs.
Cette révolution suivit celle où le metteur en scène devint un artiste à part entière à la fin du XIX ème siècle. Avec en Russie, les immenses Stanislavski et Meyerhold, comme en Angleterre, Gordon Craig et en Allemagne, Piscator.  Seul maître à bord, il faisait enfin régner la discipline indispensable à toute création artistique et révolutionnait aussi le jeu,  la scénographie qui avait un rôle moteur dans la mise en scène, et les lumières.

En 36, Edouard Bourdet invita à venir travailler Jacques Copeau mais aussi Louis Jouvet, Charles Dullin et Gaston Baty, les metteurs en scène du célèbre Cartel avec Georges Pitoëff. Mais sans ce dernier qui n’était pas naturalisé français depuis assez longtemps! Il y eut alors un avant et un après… avec cette décision historique mais dont parlent très peu les histoires du théâtre. Avec un choix des textes contemporains ( pas toujours convaincants quatre-vingt après) mais qui avaient le mérite d’apporter un grand vent d’air frais dans une tribu d’acteurs assez refermée sur elle-même. Ce que montre bien Odette Aslan.

C’est à cette période que commence cette étude consacrés aux metteurs en scène français et étrangers qui ont travaillé à la Comédie-Française. Si la chose est maintenant courante, les acteurs comme les spectateurs abonnés n’appréciaient pas du tout à l’époque ce virage à 180 °. Odette Aslan étudie avec une grande précision douze réalisations. Des classiques comme Georges Dandin de Molière bousculé par Charles Dullin et qui fut assez  discuté, comme son mariage de Figaro qui recueillit des avis partagés de la critique.Mais aussi des pièces comme Un Chapeau de paille d’Italie d’Eugène Labiche par Gaston Baty, Asmodée de François Mauriac, mise en scène de Jacques Copeau ou Le Cantique des Cantiques de Jean Giraudoux mis en scène de Louis Jouvet…

Puis furent invités et c’est l’objet de la seconde partie de ce livre des metteurs en scène étrangers: l’Anglais Terry Hands, les trois immenses Italiens Giorgio Strehler, Luca Ronconi et Dario Fo, les Russes Anatoli Vassiliev et Piotr Fiomenko, les Américains Bob Wilson avec une mise en scène mémorable d’un texte non dramatique, Les Fables de Jean de La Fontaine, le plus français de nos auteurs et Frédérick Wiseman, le Belge Ivo van Hove, l’Espagnol Andres Lima, les Allemands Klaus Michael Grüber qui mit en scène avec succès Bérénice en 84, Lukas Hemleb, Matthias Langhoff puis récemment Thomas Ostermeier, les Grecs Michel Cacoyannis avec Les Bacchantes d’Euripide et Yannis Kokhos avec Iphigénie de Racine, le Bulgare Galin Stoev, maintenant artiste-directeur du Théâtre de la Cité à Toulouse avec Marivaux, le Suisse Claude Stratz…
Bref, une collaboration de metteurs en scène étrangers d’envergure avec un choix de textes classique et actuels. Mais dans ce panel, un seul Africain ! le réalisateur burkinabé Idrissa Ouedraogo qui monta La Tragédie du Roi Christophe d’Aimé Césaire. Et sauf erreur de notre part, une seule femme ! Katharina Thalbach,  quand une autre femme, Muriel Mayette dirigeait la célèbre maison…  Même après tant d’années, la célèbre Maison n’échappe visiblement pas à un certain conservatisme.

Bien entendu, toutes ces réalisations, dont nous avons vu la majeure partie, n’ont pas la même force et sont vraiement réussies quand il y a une réelle adéquation entre l’auteur choisi, le metteur en scène et les acteurs du Français. Mais quand Thomas Ostermeier monte La Nuit des Rois dans une mise en scène qui se voulait novatrice et provocante avec force gags et acteurs en sous-vêtements, il n’a convaincu ni le public ni la critique. Comme son prétentieux Opéra de Quat’sous
Odette Aslan, en très bonne historienne, reste prudente dans ses jugements mais on lit entre les lignes qu’elle est parfois réticente quand à la qualité des spectacles. les metteurs en scène étrangers invités n’ont pas en effet tous conscience que la salle Richelieu a ses qualités mais qu’elle correspond rarement aux scénographies qu’il exigent et qu’ils doivent faire avec les acteurs disponibles à ce moment-là. Bref, les règles ne sont pas tout à fait les mêmes.

Et Odette Aslan a raison de pointer le doigt là où cela fait mal. Une seconde salle du genre Ateliers Berthier a toujours été souhaitée par les administrateurs mais projet après projet, les choses en sont restées là…
Ce livre de trois cent pages, solide, bien écrit et d’une clarté exemplaire, témoigne de l’histoire récente du théâtre en France. Mais les quelques illustrations choisies rendent mal compte pour les générations d’étudiants et de chercheurs, des mises en scène étudiées. Donc mieux vaut avoir sous la main les DVD qui offrent une meilleure vison du jeu de l’acteur et des analyses Et un catalogue en annexe aurait été le bienvenu mais bon… cette étude reste passionnante à plus d’un titre.

Philippe du Vignal

Presses universitaires de la Méditerranée, 360 pages. 35 €.

Athéna Panagoulis (Αθηνάς Παναγούλη Επιτάφιος) de Yannis Soldatos, mise en scène de Kostis Kapelonis

Athéna Panagoulis (Αθηνάς Παναγούλη Επιτάφιος) de Yannis Soldatos, mise en scène de Kostis Kapelonis

Ce spectacle fait partie du projet: Mon fils… où sont mis en scène des monologues de mères de personnages grecs importants comme ici, Alexandros Panagoulis (1939-1976), figure de proue de la lutte contre la dictature, à travers les souvenirs de sa mère, avec, en commentaire, les événements les plus importants de notre histoire récente.

©Panagoyli

©Panagoyli

Le texte de Yannis Soldatos est un récit fort et riche en informations, à l’émotion maîtrisée et sans facilités ou didactisme. Les matériaux (documents et photos de la famille Panagoulis) ont été tirés du livre de Kostas Mardas. Kostis Kapelonis a enrichi le spectacle de photos, images de films et autres documents précieux qui en renforcent l’esprit politique. Il faut signaler l’efficacité de la musique de Stavros Siolas sur les vers de Panagoulis. Mania Papadimitriou, cette très grande actrice, crée ici un personnage exceptionnel: la mère de Panagoulis et elle sait nous toucher profondément. Un spectacle à ne pas manquer ! 

Nektarios-Georgios Konstantinidis

Théâtre Vault, 26 rue Melenikou, Athènes. T. : 0030 213 0356472.

Le texte de Yannis Soldatos est publié aux éditions Aigokerws.

 

 

Zébrures d’automne 2022 à Limoges

Zébrures d’automne 2022 à Limoges: Les Francophonies des écritures à la scène à l’heure d’Haïti

Le festival a établi son quartier général Place de la République avec une grande librairie sous chapiteau et, à quelques encablures de là, au foyer de l’Opéra, rebaptisé pour l’occasion : Archipel.  Coup de projecteur donné cette année, aux artistes issus de territoires insulaires ou ultra-marins. Notamment Haïti, avec une journée consacrée aux cultures de cette île, avec le lancement d’une anthologie: Nouvelles Dramaturgies d’Haïti. Avec en deux volumes, douze pièces d’auteurs dont aucun d’eux n’a encore deux fois vingt ans, dit Guy Régis Jr, à l’origine du projet avec sa complice Hélène Lacroix. Directeur du festival des Quatre Chemins à Port-au-Prince (voir Le Théâtre du Blog), il se réjouit de ce «qu’avec ce festival, on puisse parler d’un renouveau du théâtre haïtien. Il faillait rendre visible ce travail. » 

On retrouve publiés par Edisyon Chimen en Haïti, Gaëlle Bien-Aimé, lauréate du Prix R.F.I. Théâtre 2.022, avec Port-au-Prince et sa douce nuit. Dans Que ton règne viennedeux hommes qui ne se connaissent pas et réfugiés au coin d’une rue, cernés par le chaos d’une manifestation, se découvrent mutuellement, se rassurent. Leurs voix s’entrechoquent et disent au masculin les mécanismes de la violence des hommes sur les femmes, l’injustice des pouvoirs. En contrepoint de leurs courtes répliques, un chœur s’élève dans une langue ample pour donner voix au silence des femmes.

  Dans Avilir les ténèbres, Jean D’Amérique offre la parole à une femme dont les figures se démultiplient en un chant poétique pour dire son insolente résistance aux violences subies. « Je suis toujours en révolte, dit Jean d’Amérique, les personnages qui traversent mes textes sont dans cette mouvance.» « Je me sers de mes blessures pour écrire le monde » dit Rolaphton Mercure, auteur de Fuck dieu, fuck le vodou Je ne crois qu’en mon index où deux frères, bandits, militants politiques et amoureux de la même femme, s’affrontent verbalement. Ce texte, à la musicalité d’un rap, dénonce une société en proie au banditisme, à la corruption, à l’incurie politique: « Ici, on meurt jeune. Pas besoin de répandre le vent, la tempête est là. » 

  »On rit beaucoup, on fait de l’autodérision», dit Naïza Fadianie Saint-Germain, qui dans Purgatoire, n’a pas froid aux yeux: la présumée virginale Juliette Capulet de William Shakespeare y côtoie des femmes scandaleuses comme Linda Lovelace, star du porno et héroïne de Gorge profonde, Lili Elbe, première transsexuelle opérée connue  et Tamar, figure biblique de la vengeresse, bafouée et répudiée. Ici, pas de biographies savantes mais des prétextes à tisser une comédie irrévérencieuse sur la sexualité féminine.

Comme cette jeune autrice, Djevens Fransaint, qui, avec Bal de l’incontinence développe un style loufoque, héritier de l’absurde d’Eugène Ionesco, sur fond de famille déchirée. Le père apparaît comme un tyran dérisoire dans un univers sombre où le rêve, la mort ou encore la mémoire, seraient les seules échappatoires. Une gaie et salutaire désespérance avec laquelle Djevens Fransaint tisse un théâtre contre l’oubli. 

Tout aussi déjantée, Des Fous en apothicaires étales de Ducarmel Alcius. Sur une place publique, trois fous en blouse de médecin et trois folles avec des poupées dans les bras. Il y a Marx, Mona Lisa, Mona Lisa sans fard et une faiseuse de rêves… Des récits et impressions en vrac racontent la misère, les viols et les meurtres… Dans la veine absurde aussi avec  Un an, un jour après la mort, James Saint-Félix montre devant un cercueil vide, deux amis d’enfance que leurs idées séparent, face aux politiques violentes et aux d’affrontements entre civils et policiersSont-ils morts? Condamnés Seront-ils un jour apaisés? Qu’attendent-ils? Sont-ils une seule et même personne? La question reste ouverte.

D’autres pièces empruntent davantage à la tragédie comme Vidé mon ventre du sang de mon fils d’Andrise Pierre où une mère pleure la mort de son fils. Telle Antigone, elle se fait l’adversaire du silence mais, à l’inverse de l’héroïne de Sophocle exécutée pour avoir donné une sépulture à son frère, cette mère veut retrouver et déterrer le corps de son fils qu’ on a fait disparaître pour cacher la vérité et protéger les assassins.

Avec Gouvernance de France, Medeley Guillou nous emmène aussi dans le chaos d’un pays et d’une famille sans pilote père dans la tourmente, mère en plein désarroi, et enfant qui erre faute d’avoir pu naître. Esprit pur et corps inachevé, il devient une âme rebelle. Dans Pour que le monde s’en souvienne d’Erikon Jeudy, il y a aussi un fils  assassiné : la mère, le père et la belle-fille doivent trouver des voies pour relier les vivants et les morts. Et devant certains deuils, la raison doit céder la place aux forces occultes comme consolation.

Dans ces pièces, la plume est ici une arme pour vaincre le silence et trouver des espaces de liberté : «Le pays d’où je viens, dit Guy Régis Jr. , leur mentor, est complètement en ruines mais chacun peut écrire dans son coin. Au-delà d’une esthétique du délabrement, répondent par l’urgence l’ici et le maintenant de la beauté. »

Parmi cette anthologie, deux textes en créole non traduit: «Une des langues francophones parlée par quinze millions de personnes entre les Caraïbes et la Réunion. Et seulement 10% de la population haïtienne maîtrise le français. Ce qui a fait débat, lors une rencontre sur Le mouvement de la créolité. «Ni Européens, ni Africains, ni Asiatiques, nous nous proclamons Créoles. », écrivaient déjà en 1989, Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau et Raphaël Constant dans Eloge de la Créolité. Ce manifeste controversé invitait à regarder le monde autrement qu’avec les yeux de l’Occident ou de l’Afrique. Qu’en est-il aujourd’hui? Pour l’artiste guadeloupéenne Stéphanie Melyon-Reinette:  «Chez nous, être créole est considéré comme une insulte et renvoie à l’esclavage et à la créolisation de l’Africain dans la plantation : «On écrit et parle créole, mais je ne le suis pas. ». Selon Guy Régis Jr., les Haïtiens se réclament aujourd’hui de la «mondialité» :« Ils écrivent pour se faire entendre par le reste du monde, car plus de la moitié de la population vit à l’extérieur de l’îme, principalement en Amérique. » 

Joan Monga, historien du marronnage et de la créolisation à la Réunion, introduit des nuances historiques et pense que la créolité est l’expression complexe d’une culture en mutation : «Edouard Glissant la pensait à partir de la Martinique dans le contexte historique de la décolonisation, comme à l’époque, le Parti communiste réunionnais. Aujourd’hui, il faut plutôt considérer comment les processus de créolisation évoluent ou s’enrayent. On pourrait aussi parler de créolisation en Seine-Saint-Denis.» 

Le concept de négritude s’oppose-t-il aujourd’hui à celui de créolisation, en cela que ce dernier exclut l’Afrique ? » demande l’animateur du débat, Jean-Erian Samson, rédacteur en chef de la revue haïtienne des cultures créoles DO-KRE-I-S… Une vaste question qui appelle des réponses multiples selon le lieu d’où l’on parle… Nous reviendrons sur les spectacles des Zébrures d’automne, en particulier la création remarquée de L’Amour, telle une cathédrale ensevelie de Guy Régis Jr. Une pièce reprise en novembre au Théâtre de l’Aquarium à Paris.

Mireille Davidovici

Les Zébrures d’automne ont eu lieu du 21 septembre au 1 er octobre. 

Les Francophonies des écritures à la scène,11 avenue du Général de Gaulle, Limoges (Haute-Vienne). T. : 05 55 33 33 67.

 

Livres et revues : Steens de Hjalmar, Frictions, Ubu, Jeu

Livres et revues

Steens, l’Homme qui s’amuse avec la mort de Hjalmar

 L’auteur de cette biographie est un magicien reconnu qui, avec son épouse, a présenté ses spectacles dans le monde entier et a exposé une partie de sa collection en 95-96 au Musée d’Orsay. Il a écrit de nombreux articles techniques et historiques sur la prestidigitation. Né en 1881 à Moutiers-Saint-Jean (Côte d’Or), Charles-Louis-Fernand Brisbarre fut mouleur en cuivre à Paris, puis on ne sait comment il en vint vers 1906, sous le nom de Steens, à l’illusionnisme, en particulier à cet art de l’évasion, maintenant dit escapologie.   Le magicien doit en un temps record -il doit toujours y avoir une impression d’urgence pour le public- sortir d’un coffre solidement cadenassé, se débarrasser de cordes, chaînes…etc..

©xCela exige à la fois souplesse, endurance, force mais aussi sang-froid et un excellent savoir-faire… Le grand spécialiste vers 1900 en était le célèbre Harry Houdini: Ehrich Weisz (1874-1926) prit ce pseudonyme en hommage au grand magicien français Jean-Eugène Robert Houdin (1805-1871). Il pouvait s’évader d’une malle remplie d’eau fermée par des chaînes ou d’un cercueil bien enterré. Steens commença sa carrière en 1906 avec ce qu’on appelle techniquement le double empalmage de cartes à jouer: faire disparaître des cartes derrière une main puis les faire réapparaître. Un des autres tours était le Petit paravent aux apparitions ou dit Paravent japonais. Composé de trois éléments d’un centimètre d’épaisseur et montés sur six pieds articulés entre eux, dont Steens faisait sortir cages,lanterne allumée, saucisses, fleurs… Puis, le premier en France, il se consacra à l’escapologie en se jetant enchaîné dans la Marne pour réapparaître libre quelques instants plus tard. Et il s’évadera facilement d’une marmite fermée où il est immergé ou d’une grande caisse soigneusement ficelée et contrôlée par des spectateurs. Steens devenu célèbre fut ensuite invité dans le monde entier… Puis il se retira dans son village où il buvait beaucoup trop d’absinthe, vendit tout son matériel en 1938 avant de disparaître, assez oublié, l’année suivante…

Ce livre est riche de documents historiques: remarquables affiches, photos de spectacles, cartes postales… et trop ? nombreuses notes en bas de page. Et son auteur a bien su mettre en lumière la vie professionnelle de cet artiste disparu. Mais cette biographie qui a sans doute demandé un gros travail de recherche, aurait mérité une maquette solide et une meilleure relecture. Pourquoi ce doublon de quelques pages et cette absence systématique de justification en fin de ligne qui gêne la lecture? Dommage! Mais que cela ne vous empêche pas de faire connaissance avec ce célèbre mais bien oublié magicien français qui fut un peu le David Copperfield de son temps…

Philippe du Vignal

Frictions n° 33

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 «Nous y voilà donc, transformés en peuple de fantômes dans un monde égal à lui-même, c’est-à-dire en pleine déliquescence (…) soudainement révélé aux yeux de tous », écrit Jean-Pierre Han dans son éditorial. Ce numéro de la revue revient sur l’après Covid avec, en couverture, une seringue… Piqûre de rappel, annonçant les courtes et fines analyses d’Edward Bond sur la crise du Covid.

 Le dramaturge britannique voit la pandémie comme un révélateur. Dans La crise du coronavirus et la réalité démasquée, il démontre brillamment que « le système capitaliste fait marcher le monde sur la tête » : « L’origine du virus se trouve en Chine parce que c’est une nouvelle société au capitalisme débridé ». Dans la post-face à sa pièce Le Voleur de Chaussures, il démontre que les crises, sanitaires et climatiques, sont liées car ce système « pille la terre, déforme la réalité non seulement pour augmenter ses profits mais pour contrôler et séduire l’ancien prolétariat maintenant devenu classe consommatrice ». Le capitalisme « façonne la culture qui permet l’existence même de ce système » et pour Edward Bond : « Notre théâtre est aussi paralysé que le reste de la culture du divertissement. Nous avons de bons dramaturges qui écrivent de bonnes pièces à propos des maux de la société. Mais leurs pièces n’ont qu’un effet cosmétique. » Au terme de son implacable démonstration, il entrevoit une solution : «Une démocratie juste », difficile à créer, «parce que nous n’essayons même pas ». Ces Corona Papers sont introduits par Jérôme Hankins qui analyse les thématiques bondiennes en concluant avec l’écrivain, qu’il traduit et met en scène depuis des années : « Nous devons de nouveau faire confiance au théâtre ».

L’écrivain et metteur en scène Jean Lambert-Wild revient sur la fonction de l’artiste dans la société qui en est venue à distinguer ces derniers temps l’inessentiel , de l’essentiel. Reprenant  ce vocabulaire : « cette notification qu’on ne sert à rien », Pas de gilets de sauvetage pour les poètes file la métaphore du naufrage : « le bateau coule, je n’ai pas de gilet de sauvetage, mes camarades non plus » pour appeler à la résistance : « la bonne nouvelle, cela nous laisse encore une chance de flotter. »

Simon Capelle lui fait écho : « Dans le bataille contre le virus, nous ne servons à rien, peut-être parce qu’auparavant déjà, nous ne servions plus à grand chose ». Mais il se réfère à Antonin Artaud pour affirmer avec lui l’essentialité du théâtre : « Du point de vue humain, l’action du théâtre comme celle de la peste est bienfaisante, car elle pousse les hommes à se voir tels qu’ils sont ». Il consacre à l’auteur du Théâtre de la cruauté un article très argumenté portant notamment sur son projet Prophétie, qui le mena en Irlande sur les pas de William Butler Yeats en 1937, avant neuf années d’asile, notamment à Rodez… Simon Capelle a refait ce voyage d’île en île et nous en livre un récit à la fois documentaire et poétique..

Olivier Neveux, lui, en fin chercheur en histoire et esthétique du théâtre, pose la question paradoxale du politique dans le théâtre de Jean Genet. Ses réponses nous étonneront : « Si on l’étudie, soucieux quelques uns des aspects attestés du théâtre politique, on est bien décontenancé… »

Dans ce numéro superbement illustré par les images en pleine page de John de La Canne, l’étonnant portfolio de Bruno Boëglin qui révèle les talents de peintre de ce comédien et metteur en scène. L’association des amis de Bruno Boëglin a publié des reproductions de ses œuvres dans Bruno Boëglin, une vie dans le désordre des esprits, et organisé une exposition à Grenoble qu’on pourra aussi voir au Palais Bondy à Lyon en janvier prochain. On lira aussi dans ce numéro un Michel Simonot poète, avec Même arrachée, une évocation épique des cris de ceux que l’on torture, déchire, mêlés aux siens… « Même arrachée/ il vous restera l’écho de ma langue (…) en naitront des mots (…) vous ne pouvez enfermer mon silence (…) les sons que vous croyiez barbares/ sont devenus poèmes »… .

Comme en écho, Ça ne passe pas de Claudine Galea : dans ce texte en forme de déploration, la phrase du titre revient en leitmotiv. Quand elle ferme les yeux, l’autrice voit, sous le soleil tant chanté de la Méditerranée, « des corps vivants qui, chaque jour, passent par dessus bord », et, pour elle « ÇA NE PASSE PAS ». « 25.000 corps sombrent à Lampedusa le 4 octobre 2013/ 5.773 corps morts et 11.089 disparus entre le 1er janvier 2014 et le 30 juillet 2018 «  (…) « Combien de morts non comptabilisés ? » (…) ça ne passe pas/ ça ne peut pas passer / le droit maritime n’est pas respecté / le droit humain n’est pas respecté…  » Pour conclure : « LA MÉDITERRANÉE EST UN MUR ». La revue, dont les articles sont autant d’alertes adressées à notre intellect et/ou à notre sensibilité, se clôt sur ce terrible constat…

Mireille Davidovici

Frictions, 27 rue Beaunier Paris ( XIV ème). T. : 01 45 43 48 95. Ce numéro 15€. Abonnement à quatre numéros: 50 €.

Jeu n° 179

La revue québécoise de théâtre Jeu publie son numéro 179. Toujours excellement maquettée et riches de belles photos significatives. Das son éditiorial, Raymond Bertin remarque avec raison que partout dans le monde, après la crise du covid qui est encore loin d’être vraiment derrière nous, « les artistes trépignent, les institutions font des prouesses pour offrir des expériences artistiques squi ne soient pas que des succédanés ou sous-produits. »

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Au sommaire, un dossier sur le travail de la metteuse en scène Brigitte Haentjens formée à ‘Ecole Jacques Lecoq, qui a notamment monté Hamlet-Machine d’Heiner Muller mais aussi L’Opéra de Quat’Sous de Bertolt Brecht en 2021 et des créations collectives comme Strip ( 1983) et Nickel l’année suivante deux textes qu’elle a écrites. Deux mises en scène où elle témoigne d’un engament féministe et qui ont fait date au Québec par leux exigence et la qualité de leur direction d’acteurs..

A noter aussi dans ce riche numéro un remarquable texte de l’auteur haïtien  Richard Régis Jr, sur le théâtre tel qu’il est actuellement et sur le point crucial qu’est l’illusion scénique. Il essaye de voir comment le théâtre peut aider à réconcilier les habitants d’une planète bouleversée par l’arrivée de cette pandémie. Il ya aussi un entretien avec la scénographe Odile Gamache: pour elle, est essentiel le dialogue avec l’auteur et elle estime que tout travail scénique est le résultat d’un travail à deux.  » J’essaye, dit-elle, de proposer une direction et qu’on y aille ensemble. »  La remarquable photo de sa scénographie pour Les Larmes amères de Petra von Kant de Rainer Werner Fassbinder donne envie de mieuxconnaître le travail de cette scénographe qui, comme Brigitte Haentjens, est radicalement pour un travail associatif.  A lire ce numéro, même si on a peu l’occasion d’en voir des exemples en France, le théâtre québécois,  se porte bien…

Ph. du V.

 

Ubu n° 70/71

 

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Cette revue fête ses vingt-cinq ans avec un double numéro ! Deux cents pages qui s’ouvrent sur le festival d’Avignon. Celui de 2021, mais aussi tel que Gilles Costaz l’a vécu tout au long de ses années de critique amoureux du théâtre. Avec Avignon 75e année / Les Spirales de la ville close, il revient sur son fondateur: «Les grandes lignes sont dessinées d’une main ferme et ambitieuse par Jean Vilar. Ce qui va se modifier au fil des ans, c’est la dimension, l’échelle. »lI se souvient aussi de ces lieux qu’il a parcourus en vélo, encore hantés par tant d’auteurs, metteurs en scène, comédiens : « Avignon est une conque en spirale dont les souvenirs coulent en spirale sans fin où les grandes productions fracassantes comptent moins que les soirées modestes et secrètes… » Odile Quirot s’entretient avec Valère Novarina qui y fut programmé à plusieurs reprises et Jean-Pierre Thibaudat recueille les impressions de Nathalie Béasse qui y vient pour la première fois.Tiago Rodrigues qui va prendre la tête du festival fait le point avec Marina da Silva sur son engagement antifasciste et ses projets futurs..

Quant aux festivals européens, Hughes Le Tanneur constate que, sous le choc du covid, les programmateurs s’interrogent tous sur le monde d’après. Le besoin de tourner la page s’impose à Paris, Marseille comme à Vienne, Bruxelles… Chacun voit venir le monde d’après à l’aune de cette crise. Crise que Maïa Bouteiller évoque avec trois directeurs récemmement nommés en Ile-de-France, qui ont vécu leur baptême du feu en pleine pandémie, jonglant entre confinements et couvre -feu : Julie Deliquet au Théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis, Jeanne Candel, au théâtre de l’Aquarium et Mathieu Touzé au Théâtre 14 . Face à la tristesse, la solidarité s’impose à eux…

Le chorégraphe Rachid Ouramdane, directeur du Théâtre national de Chaillot confie à Chantal Boiron qu’ « il faut lutter pour que la rivière soit capable de changer de lit ». Héritier du hip hop, il entend sortir la danse des seules salles du théâtre pour investir tout le bâtiment, jusqu’à l’extérieur « du parvis à la coulée verte » avec « des promenades chorégraphiques, des performances de foule, des spectacles en plein air…»

 Après un focus sur la résistance de l’Université de théâtre et de cinéma à Budapest, place à la littérature dramatique : Ivre de mots, une pièce de Frank Siera traduite du néerlandais et présentée par Mike Sens. Les auteurs de ce double numéro sous titré Allons-y !/Let’s go !, largement illustrés et traduits en anglais, rebattent les cartes du paysage théâtral et, après être revenus sur la crise sanitaire, font place à l’actualité et regardent vers l’avenir…

M. D.

Ubu Scènes d’Europe, 217 boulevard Péreire, Paris (XVII ème). Ce numéro double : 30 €.

 

 

 

 

 

 

 

 

Livres et revues

Livres et revues

 Revue Frictions n° 32

 Covid ou pas covid, ce nouveau numéro est d’une aussi belle qualité picturale et textuelle que les précédents. Avec d’abord  un montage que n’aurait pas renié un graphiste comme Roman Cieslewicz et où on voit Mussolini le point droit levé, avec à l’arrière-plan, une photo de manifestation où une jeune femme brandit un carton avec ces seuls mots: Black lives matter. Juste en dessous de Benito Mussolini, un Donald Trump, le visage et les mains aussi jaunes que son visage crispé. Et visiblement très en colère, brandissant son poing droit. Et sur la page de gauche, la fameuse phrase de Bertolt Brecht en 1941: “Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde.” Et illustrant l’éditorial de Jean-Pierre Han, un fragment de  la non moins fameuse fresque de Michel-Ange où un Dieu barbu  touche du doigt un homme nu mais qui, ici porte un masque anti-covid. Entre ces deux illustrations, une photo d’un troupeau de moutons en noir et blanc avec, en encadré, celle d’une tête de mouton écorchée et sanguinolente. Et sur la page de gauche, un court texte (1888) d’Octave Mirbeau, sur l’électeur “plus bête que les bêtes, plus moutonnier que les moutonniers, qui nomme son boucher et choisit son bourgeois.”

En trois fortes images, tout est dit ou presque de la situation actuelle. Dans un remarquable édito, Jean-Pierre Han dénonce entre autres l’incontournable vidéo qui a tant sévi ces dernieres temps.  François Le Pilllouer, l’ancien directeur du Théâtre National de Bretagne, se méfiait terriblement,  il y a déjà quelque trente ans, de celles que les compagnies lui envoyaient à l’appui d’une proposition de spectacle… Réalisées avec quelques extraits trop bien filmés et ne correspondant  jamais à la réalité, ou mal filmées donc finalement nuisibles au  développement du projet. Dans un cas comme dans l’autre, ces vidéos ne reflétaient en rien l’exacte qualité de la proposition théâtrale. Pour Jean-Pierre Han, le “piège de la captation est un véritable révélateur de ce qui ne devrait jamais l’être, la mort saisissant le vif .” “Nous n’aurons jamais eu, ajoute le rédacteur en chef de Frictions, que des squelettes de spectacle, ce qui, au bout du compte, n’est pas très charitable par ces temps d’épidémie. Pour les autres actions, ce fut un déferlement à nul autre pareil, une débauche d’imagination plus ou moins pertinente, mais enfin l’essentiel était dans le geste, semble-t-il, histoire de s’étourdir. “

Effectivement nous avons été submergés pendant le confinement et après, de vidéos de soi-disant spectacles tournés en appartement avec un ou deux acteurs maximum ou de captations de réalisations présentées dans des jardins ou des cours intérieures dont l’entrée était gratuite. Bien entendu, rien de très intéressant là-dedans à quelques exceptions près comme ce cabaret monté par Léna Bréban devant l’E.P.H.A.D. de Chalon-sur-Saône (voir Le Théâtre du Blog). Comme si les compagnies tenaient absolument à combler le vide actuel et à montrer à leurs clients (pardon: à leur spectateurs!) qu’elles existaient bien encore et qu’il ne fallait surtout pas les oublier…

Ce numéro s‘ouvre sur un cin d’œil : un texte court mais étonnant d’Heiner Müller: Guerre des virus. C’était un projet de dernière scène de Germania 3-Les spectres du Mort Homme qui n’avait pas été retenu dans l’édition en 96 à l’Arche, un an après le décès de l’auteur et représenté au Portugal dans une mise en scène de Jean Jourdeuil. Le texte avait été publié en 2001 dans la revue Théâtre public: “Dieu n’est ni homme ni femme, c’est un virus.” Suit un article de Jean Lambert-wild, metteur en scène et directeur du Centre Dramatique National de Limoges, A la guerre comme à la guerre. Il rappelle cette célèbre et très belle phrase d’Héraclite:” Les hommes dans leur sommeil travaillent fraternellement au devenir du monde” et  souligne les bienfaits dune sieste d’une heure trente selon Winston Churchill. Jean Lambert-wild a une  réflexion lucide sur la guerre qui, dit-il, de par sa nature destructrice, peut nous convaincre que nous pouvons, pour un temps, faire l’impasse de notre conscience en brouillant généreusement les lois de tous et les devoirs de chacun. “

Nous ne pouvons citer tous les articles de ce riche numéro mais il y a une belle réflexion  sur la mise en espace/mise en scène de Thierry Besche, artiste assembleur de son, cofondateur et ancien directeur du Centre national de création musicale d’Albi. L’auteur analyse en particulier de façon très perspicace les rapports d’interdépendance entre son, lumière, image, texte et jeu des acteurs dans Pelléas et Mélisande de Maurice Maeterlink, mise en scène de Julie Duclos et Sous d’autres cieux de Kevin Keiss d’après Virgile, mise en scène de Maëlle Poésy (voir Le Théâtre du Blog) .

 Frictions . 27 rue Beaunier, 75014 Paris. frictions@revue-frictions.net T. : 01 45 43 48 95. Le n°: 15 €.
Les sommaires détaillés de tous les numéros parus sont consultables sur : www.revue.frictions.net

 

 Magie numérique Les arts trompeurs. Machines. Magie. Médias, sous la direction de Miguel Almiron, Sébastien Bazou et Guisy Pisano

03A708AF-9C0F-4B95-AA8B-A40A5108C814 Comme le relèvent dans l’introduction de cet ouvrage touffu mais passionnant écrit par une quinzaine de spécialistes, ceux qui l’ont remarquablement dirigé, accoler le terme: magie au mot numérique peut paraître étrange,  puisque le premier relève de l’illusion visuelle et l’autre de la technologie la plus récente. Mais pourtant l’introduction de ces nouveaux outils numériques a nettement influencé à la fois le processus de création  comme le résultat final. En fait, c’est l’accentuation des effets magiques et non le mode de création que l’on observe ici, la technologie, même sommaire d’autrefois (déjà au Moyen-Age avec des jeux de lumière) puis avec les merveilleux trucages de Georges Méliès, a toujours été partie liée avec l’art du magicien. Mais depuis une dizaine d’années que ce soit dans les spectacles de magie ou de théâtre pur, on a vu ces dispositifs se développer de façon radicale…

  Il y a maintenant un dialogue permanent entre magiciens et praticiens  travaillant dans le domaine du numérique qui a bouleversé la création des effets d’illusion,  que ce soit en réalité virtuelle ou en réalité augmentée, avec des personnages ou des objets sur un plateau. On se souvient encore de l’effet-surprise que provoqua l’apparition d’un hologramme remplaçant Jean-Luc Mélenchon lors d’une tournée électorale…

Dans Maîtrise de la distance, ubiquité et jeux avec le cadre, André Lange retrace le parcours qui des effets d’optique grâce à un miroir ou à une loupe. Et cela ira du tableau défini par Alberti puis aux effets de cadrage chez  Vermeer à l’écran de ciné puis à celui de la télévision il y a presque un siècle, à celui  de l’ordinateur et à l’image ainsi créée et lancée sur grand écran scénique…  Le grand moteur originel étant bien la mise en perspective d’un lieu ou d’un bâtiment, ou comment on est passé d’un univers à deux dimensions à tout un autre espace. L’auteur dans cet article très fouillé met en valeur l’emploi du miroirs magiques capables de modifier en profondeur la notion de réalité. Il rappelle justement l’essai bien connu que Walter Benjamin, L’Oeuvre d’art à l’époque de sa  reproductibilité, même s’il ne parle pas de la transmission des œuvres, ni de la radio ni de la télévision. Paul Valéry comme il le rappelle aussi avait-il sans doute mieux perçu l’importance de de la magie sonore puisqu’on pouvait déjà à son époque reproduire et conserver des sons. Ce qui n’était jamais arrivé dans l’histoire de l’humanité…  En fait c’est toute l’abolition de la distance  pour le son comme pour l’image qui va s’imposer rapidement. Avec comme autre conséquence de l’emploi des technologies numériques, la disparition de la contrainte de l’espace unique d’un écran  et l’échappée belle  du cadre, jusqu’aux images de synthèse diffuses par un casque. Ce qui est devenu monnaie courante  en quelques années. Et souligne l’auteur, les magiciens  ont vite compris tout l’intérêt qu’il pouvaient tirer des effets de réalité augmentée. Y compris en remettant au gout du jour l’effet de théâtre dans le théâtre ou de cinéma dans le le cinéma… un effet  qui remonte au XVI ème siècle! Le domaine chorégraphique semblant y échapper…Refrain connu: c’est (y compris en matière artistique) dans les vieilles casseroles qu’on fait les meilleures soupes. Cela dit, on peut se se demander -et c’est aussi une véritable question philosophique- jusqu’où ira ce développement technologique foudroyante.

Le très riche article qui suit L’Installation miroir comme mise en espace d’un entresort technologique signé Sophie Daste, de l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs et de Karleen Groupierre, de l’Université Savoie Montblanc aborde de façon très technique la scénographie du dispositif miroir  qu’utilise bon nombre d’œuvres d’art actuelles avec des exemples très parlants d’effets d’illusion avec sonorisation spatiale. Les auteurs rappellent que le miroir, notamment en littérature: Lewis Carrroll, le sutio Disney, et plus récemment J.K. Rowling avec Harry Potter comme en art avec la galerie des Glaces, a toujours été un des éléments moteurs de l’illusion.

Roman Lalire, magicien et créateur d’images poétiques, parle très bien de l’association vidéo associée à la technologie. Il travaille avec des compagnies de théâtre pour créer une émotion magique. Grâce notamment à un outil comme l’iPod Touch qui lui permet de manipuler une image, de la grossir ou de la rétrécir. En fait l’auteur analyse très bien le rapport à l’image que nous avons tous avec ce que cela comporte de crédibilité, même si on sait très bien que c’est faux. Comme au théâtre, nous savons que l’assassinat auquel on assiste n’est pas réel mais nous avons envie d’y croire. Il nous souvient d’une de nos étudiantes que j’avais invitée à aller voir un Néron et qui s’est évanouie quand un flot de  sang a jailli du cou de Britannicus percé par le poignard de l’empereur…  

La magie  et la vidéo  donnent comme l’auteur le remarque,  la possibilité de passer très vite d’une réalité à une autre par plusieurs strates sans qu’on sache bien où on en est.  D’où une approche poétique quand on invente un tour de close up (magie de proximité) fondé sur la technologie. On ne peut citer tous les articles de ce vraiment très riche volume mais on retiendra celui très technique, de Chanhtthaboudtdy Somphour sur La Pensée magique des interfaces cerveau ordinateur: l’évolution de cette illusion dans l’art numérique. L’auteur  consacre une vingtaine de pages sur ces interfaces crées par l’art numérique à partir d’un casque. C’est un texte qui demande une certaine attention quand on ne fait partie de la paroisse électronique mais qui a le mérite d’ouvrir  un certain nombre de réflexions quand aux relations entre les ondes transmises par un cerveau humain  et la création d’une musique  comme chez Alvin Lucier.  Ou chez David Rosenbaum . ..
L’auteur commente très clairement l’instalation de Valéry Vermeulen qui propose à un spectateur de composer une performance son et  image grâce à ses émotions. Là il s’agit encore de “magie” mais à base d’interactivité virtuelle. Le tableau virtuel VAnité Interactive s’engage dit l’auteur dans une démarche proche de celle des vanités au XVII ème siècle. Avec une installation à base de crânes mettant en regard la vie et la mort sous un aspect artistique.
On va sans doute encore plus loin dans cette démarche, à laquelle Patrick Modiano l’écrivain de la mémoire personnelle ne serait sans doute pas insensible avec le travail de Fito Segrera qui propose de mettre en images les chutes d’attention qui symbolisent pour lui la perte d’un souvenir. Et grâce à des algorithmes, ces souvenirs sont ensuite rendus sous forme de fragments photographiques.

Ce livre de 240 pages est  parfois difficile d’accès et manque un peu d’illustrations mais quand même pas besoin d’être un spécialiste de la magie, il est à lire et à consulter. Et encore une fois tout à fait passionnant. Il ouvre la porte à un réflexion philosophique sur toutes les interactions possibles entre magie et art numérique, mais aussi sur la réalité virtuelle en général qui, il y a à peine une vingtaine d’années s’est vite invitée chez les créateurs d’illusion, voire dans notre quotidien. Et toutes les écoles d’art devraient mettre à la disposition de leurs élèves cet ouvrage passionnant.

 Philippe du Vignal

Editions Septentrion Collection arts du spectacle. 25 €.
 

  

Les auteurs à l’honneur pendant le confinement ? Kelly Rivière, Michel Deguy…

 

Les auteurs à l’honneur  pendant le confinement ? Kelly Rivière, Michel Deguy, des auteurs de Théâtre Ouverts

Au prétexte de «circonstances particulières», la mise en ligne gratuité de la mise en ligne  de films, captation de spectacles et concerts, inquiète l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle. Et la S.A.C.D. (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) a signalé à Franck Riester, ministre de la Culture, le tort que pouvait faire aux professionnels du secteur, les offres mises en ligne sur le nouveau site : Culture chez nous ! `

Interrogés sur la question des rémunérations des auteurs, interprètes et réalisateurs, la S.A.C.D. comme l’A.D.A.M.I qui perçoit les droits de suite des artistes-interprètes ne nous ont pas encore répondu…  Les théâtres, cinémas, salles de spectacle et de concert sont toujours fermées et de nombreuses offres continuent à être proposées gratuitement sur la Toile: on nage donc en plein brouillard quant aux dates de réouverture et à la tenue ou non des festivals cet été… Mais  on apprend que la Fête de la musique est maintenue le 21 juin… Un véritable camouflet pour le théâtre de rue et de cirque dont les artistes se voient, eux, voient exclus de l’espace public !

En attendant, saluons quelques initiatives d’auteurs comme cette mini-série de Kelly Rivière pendant son confinement en Poitou-Charentes, une lecture de Michel Deguy et les initiatives de Théâtre Ouvert, centre des dramaturgies contemporaines qui nous permettent de lire des pièces…

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Kelly Rivière dans An Irish Story

 Pleuville de David Jungman et Kelly Rivière

Cette chronique filmée au jour le jour avec les moyens du bord (appareil photo et smartphone) nous fait entrer dans l’intimité d’une comédienne dont la tournée de An Irish Story  s’est brusquement arrêtée en mars, alors que cette création a depuis deux ans, toujours autant de succès. (voir Le Théâtre du Blog)

Pleuville  (Charente): 342 habitants: aucun commerce, un bureau de poste qui fait aussi dépôt de pain, un stade, une église et un cimetière.  Recluse  dans ce petit village, la comédienne doit faire face à l’isolement et s’occuper de ses enfants, Paul et Thomas ( huit et cinq ans).  Les théâtres ont fermé, tout le monde est confiné, les garçons doivent faire leurs devoirs et la maison rester en état… Elle déprime. Et pour ne pas dépérir Kelly fait son cinéma .

La maison familiale devient le décor de cette chronique et les trésors d’un autre temps qu’elle abrite, serviront d’accessoires. La famille fournira les acteurs de ces journées particulières. « Pleuville est notre premier film de famille ensemble », dit Kelly Rivière, « c’est un kaléidoscope de petits riens que le cinéma permet de célébrer et partager pour faire un pas de côté et dédramatiser un tant soit peu une situation oppressante dont l’issue reste à ce jour encore incertaine. » Pleuville retrace, en quatre épisodes réalisés par David Jungman, les tentatives de la jeune femme pour traverser ces temps difficiles avec humour et tendresse.

« Le cinéma, dit Jean-Luc Godard, est « un oubli de la réalité ». Mais comment oublier le réel lorsqu’il se fait aussi présent ? Pendant cette période, nous ne pouvions pas échapper au temps présent , dit la comédienne. Dans les aventures quotidiennes de Kelly Rivière et des siens, ses tentatives de remettre un cadre, de trouver du sens à ces journées qui se répètent, chacun reconnaîtra un peu de sa propre expérience. Rions avec ces quatre épisodes Hissons-nous, Papillon, Des droits et des devoirs et Se débarrasser des cadavres… Tout un programme !

 https://vimeo.com/showcase/7084037?fbclid=IwAR3dU46ubSehW8HOM4_8yF0Tuq4qymEfEYkSJ9agGxGxKd4d3IOToa_-5YI

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Michel Deguy

Coronation de Michel Deguy

Pour fermer la marche du palmarès des prix Goncourt 2020,  celui-ci proclamé le 11 mai a été attribué à Michel Deguy, poète, essayiste, philosophe et créateur de la revue Po&sie. Il se voit couronné pour l’ensemble de son œuvre. Toujours en prise sur l’actualité, l’écrivain   n’a pas la plume dans sa poche : avec l’humour qu’on lui connaît (voir Théâtre du Blog Ode au bus 29) il propose sur le net la lecture d’un inédit : Coronation : « Le coronavirus »… déjà un hémistiche !/ L’épigramme peut cadencer ! / La contamination descend des Contamines /Tes confins mes confins se confinent / Mais nos confins débordent le confinement /Nous nous se contamine/ J’entends l’économie décroître dans les bourses/Dix millions de Chinois auront perdu la face/ Masques et vidéos se toisent en chiens de faciès … »

https://www.youtube.com/watch?v=2YkBISS8M5k

Des auteurs à lire par Théâtre Ouvert :

 Faute d’avoir pu présenter les événements programmés chez son partenaire la MC93, Théâtre Ouvert-centre des dramaturgies contemporaines, pendant les travaux dans son nouveau lieu l’ex-Tarmac, nous offre de la lecture. Les quatre derniers tapuscrits peuvent vous être envoyés en format pdf sur simple demande par courriel ou par Messenger. Il sera possible de dialoguer avec chaque auteur/trice et avec l’équipe de Théâtre Ouvert, en  envoyant des retours, écrits, sonores ou vidéo !

A Parté  de Françoise Dô

Nicole est de retour dans la région. Elle refait sa vie avec son nouvel amant, Chat. Mais Stéphane, son mari dont elle est séparée depuis quelques mois, voit en ce retour l’occasion de la reconquérir. Il commence à la suivre à son insu.

 Pour ton bien (Per il tuo bene)  de Pier Lorenzo Pisano (en édition bilingue français/italien)

Le fils aîné a depuis longtemps quitté la maison. La mère l’appelle pour qu’il revienne: « Papa ne va pas bien ». Le cercle familial : mère, fils et frère, grands-mères et tonton, se reconstitue temporairement…

 Les Inamovibles de Sédjro Giovanni Houansou

Prix R.F.I. 2019  (voir Le Théâtre du Blog) cette pièce de l’écrivain béninois retrace l’histoire de Malik qui s’est jeté sous un train, pour ne pas rentrer la tête basse au pays où l’attend son père, en compagnie d’autres parents de jeunes exilés. En sept mouvements, la pièce nous transporte dans un espace collectif incertain… tout en pénétrant dans l’intimité des personnages. Ceux qui sont partis et ceux qui restent.

 La Truite de Baptiste Amann

C’est dimanche. Un couple proche de la retraite a invité ses trois filles pour fêter les soixante ans du père. Les filles débarquent avec leurs conjoints et enfants…  Le repas familial devient la scène de règlements de compte.

L’Araignée
de Charlotte Lagrange

Elle travaille toujours dans l’Aide sociale à l’enfance. Mais on préfère que ce ne soit plus avec des mineurs non accompagnés au motif qu’elle devait s’appliquer et non s’impliquer.

 nl@theatreouvert.com

 

Mireille Davidovici

 

 

 

 

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