Femmes de théâtre et mise en scène aux XVI-XVIII èmes siècles
Pour une histoire des metteuses en scène n° 299 de La Revue d’Histoire du Théâtre, coordination d’Agathe Sanjuan et Joël Huthwohl
Il y eut le rapport de Reine Prat qui a eu l’effet d’une mini-bombe il y a presque vingt ans déjà, sur la place des femmes dans le spectacle; très bien documenté, il a marqué un tournant. « Avec une généralisation de la préoccupation de l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’ensemble des politiques et des actions des pouvoirs publics et donc d’analyser, avant toute prise de décision, les retombées possibles sur les situations respectives des unes et des autres, l’adoption de mesures spécifiques en faveur des femmes visant à corriger les inégalités constatées. »
Cela concernait aussi bien entend toutes les disciplines artistiques du spectacle et tous les types de structure, d’activités, tous les niveaux de responsabilités. Et, en 2006, les chiffres étaient têtus: « Les hommes dirigent 92% des théâtres consacrés à la création dramatique et 59% des centres chorégraphiques nationaux, 97% des musiques que nous entendons dans nos institutions ont été composées par des hommes et ils dirigent 94% des orchestres. 85% des textes sont écrits par des hommes comme 78% des spectacles sont mis en scène et 57% chorégraphiés par un homme. «Depuis 1900, écrivait Marguerite Duras, on n’a pas joué une pièce de femme à la Comédie-Française, ni chez Vilar, au T.N.P., ni à l’Odéon, ni à Villeurbanne, ni à la Schaubühne, ni au Piccolo Teatro de Strehler, pas un auteur femme ni un metteur en scène femme. Et puis Sarraute et moi, nous avons commencé à être jouées chez les Barrault. »
Depuis, on est arrivé à la quasi-parité pour les Centres Dramatiques . Oui, mais… il y a un bémol et de taill Les mieux lotis au niveau budgétaire sont tous dirigés par des hommes, et cinq les 5 moins bien lotis le sont par des femmes. La programmation en terme de parité s’est accentuée: les spectacles mis en scène par des femmes est passé à 53% en 2023/2024.. .Mais pour les Théâtres Nationaux, seule Caroline N’Guyen dirige un Théâtre National, celui de Strasbourg… depuis cette année. Là, c’est assez lamentable: le ministère de la Culture comme l’Elysée! n’ont jamais voulu qu’il en soit autrement.
Et la dernière nomination-à l’Odéon-a été celle de Thomas Jolly… Pourquoi? Les sociologues doivent avoir leur avis là-dessus. Par ailleurs, y-a-t-il peu de candidates? Qui a envie de gérer ce type de maison où le Ministère tire souvent les ficelles et impose les décisions… Et où bien des hommes se sont cassé les dents ou ont regretté après coup d’avoir accepté le poste…
Comme le rappellent dans l’introduction à Pour une Histoire des metteuses en scène, Agathe Sanjuan et Joël Huthwohl, le moins qu’on puisse dire est que la situation actuelle est encore très déséquilibrée et que les metteuses en scène sont le plus souvent aussi directrices d’un lieu. Les autrices et les auteurs de ce gros ouvrage explorent ce qu’a pu être a été la mise en scène en France du XVII ème siècle au début du XXI ème siècle.
Dans la préface, Julie Deliquet, metteuse en scène, directrice du Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, met d’emblée les choses au point… non sans quelque prétention! «Quand on m’a demandé de candidater à une direction, j’ai hésité et j’ai répondu que je savais pas si c’était le bon moment. On m’a fait remarquer qu’un homme avec une carrière comme la mienne, se serait étonné de n’avoir pas été nommé plus tôt. »
Elle fait remarquer qu’elle a « découvert la place capitale des femmes dans le fonctionnement des troupes au XVII ème siècle et dans la façon dont les décisions artistiques étaient prises. Jusque-là je n’avais pas conscience de cette horizontalité, bien réelle avant la Révolution française. Notre prise de conscience est si tardive. Avec un art si ancien, comment peut-on être si en retard ? Cet effacement a encore des conséquences aujourd’hui. On critique les quotas, mais ils ont toujours existé sans que personne ne s’en émeuve. » (….) »
Mais Julie Deliquet, grande apôtre du féminisme, ne fait pas dans la nuance! Oui, cela a toujours été un grave problème dans les écoles de théâtre. Antoine Vitez lui-même était pour un recrutement plus important de jeunes femmes qui, en effet dans les concours, ont toujours plusieurs points d’avance sur les garçons. Plus cultivées, plus motivées, plus justes aussi dans leurs choix esthétiques.
Nous avons aussi régulièrement appliqué ce principe à l’école de Jérôme Savary dans ce même Théâtre national de Chaillot, mais bon, il faut avoir aussi des garçons pour donner la réplique. Une équation difficile à résoudre. Mais les jurys n’ont pas commis d’erreur et des jeunes femmes ont souvent eu des parcours tout à fait remarquables comme les metteuses en scène: Léna Bréban, ou Pauline Bayle et Lucie Berelowitsch, celles-ci actuellement directrices de Centres Dramatiques Nationaux. Par ailleurs, Jérôme Savary a employé beaucoup plus d’élève-actrices à l’Ecole (trois pour des rôles importants), que de garçons…
Suivent dans ce livre une quinzaine de participations sur le thème des femmes de théâtre et de la mise en scène depuis le XVI ème siècle avec notamment La méthode Clairon. Préalables à l’invention de la mise en scène : aux sources de la dramaturgie et de la théorie du jeu par Florence Filippi et Aurélien Poidevin et un bon article de Joël Huthwohl sur Sarah Bernhardt, la première «metteuse en scène ».
Le terme était récent (1883) dit son auteur, et plutôt consacré aux chorégraphes. Mais la grande tragédienne fut reconnue par le critique Jean Lorrain comme metteuse en scène de génie quand elle monta La Samaritaine d’Edmond Rostand. Avec juste raison, Eugénie Martin rappelle l’itinéraire de Louise Lara, une artiste d’avant-garde (1876-1952) qui fut sociétaire de la Comédie-Française ,avec son mari Edouard Autant, fonda en 1919 le laboratoire de théâtre Art et Action, «pour l’affirmation et la défense d’œuvres modernes. »
Il faut signaler, comme le fait Anne-Lise Depoil, qu’à l’époque du Cartel, il y a un siècle, le rôle que tint Simone Jollivet, la «femme-théâtre» de Charles Dullin, laquelle n’a pas été reconnue à sa juste valeur. Et Ludmilla Pitoëff resta dans l’ombre de son mari Georges, grand metteur en scène. Dans Rattraper la balle lancée par Virginia Woolf. Luttes et stratégies des comédiennes pour l’appropriation de la mise en scène dans les années 1970-1980 en France éclaire bien ce moment-charnière dans l’histoire du théâtre français quand des actrices se sont dit qu’elle pouvaient aussi être metteuses en scène comme entre autres, Catherine Monnot ou Catherine Dasté dont le père était Jean Dasté, directeur du Centre Dramatique National de Saint-Etiennne et le grand-père, l’immense Jacques Copeau. Voir l’article Catherine Dasté, femme de théâtre irréductible par Raphaëlle Jolivet-Pignon.
Catherine Dasté- qui a aujourd’hui quatre-vingt quinze ans- fut une formidable éclaireuse quand elle monta en 68 avec un grand succès, aidée par Ariane Mnouchkine qui lui « prêta » quelques acteurs, une pièce magnifique pour enfants: L’Arbre sorcier, Jérôme et la tortue. Avec l’appui de Françoise Dolto, elle créa ensuite le premier Centre dramatique national pour l’enfance et la jeunesse, au théâtre de Sartrouville. On l’a souvent oublié: dans les années cinquante, les directeurs de théâtre privé à Paris étaient… des directrices!
Il y a aussi pour conclure, un bon entretien de Joël Huthwohl et Agathe Sanjuan avec Ariane Mnouchkine. Comme à son habitude, la directrice du Théâtre du Soleil ne mâche pas ses mots et attaque avec raison les institutions, notamment syndicales comme la C.G.T. où un homme à qui elle avait demandé conseil, lui avait dit sèchement : » Si vous n’avez pas d’argent, il ne faut pas faire de théâtre. »
Mais lucide, elle dit aussi n’avoir pas oublié toute la générosité de Gabriel Garran-celui qui fut longtemps le directeur du Théâtre de la Commune à Aubervilliers-qui l’a beaucoup encouragé à créer cette troupe emblématique d’une autre façon de faire du théâtre. Et elle reconnait qu’il y avait de vieux restes patriarcaux, même au Théâtre du Soleil…
Cet ouvrage-trop touffu-de trois cent cinquante pages aurait mérité une mise en page plus aérée et les notes en gris sont dissuasives. Mais on y trouvera nombre d’analyses et d’informations sur un passé qui éclaire souvent le présent du théâtre actuel, à l’heure où de nombreuses femmes dirigent enfin des structures importantes. Et qui sera nommé à la tête de la Comédie-Française? L’Elysée- à qui appartient traditionnellement la décision finale- se risquerait-il à nommer une femme? Cela serait étonnant et de toute façon Emmanuel Macron-qui va rarement au théâtre- a d’autres chats à fouetter mais ce serait un bon signal… Rappelons qu’il y a eu une seule administratrice (Muriel Mayette). Mais juste une directrice au Théâtre National de Chaillot et jamais aucune au T.N.P., à l’Odéon ou à l’Opéra-Comique. Côté théâtre de rue, aucune non plus aux festivals d’Aurillac ou Chalon. Et cela n’a jamais bouleversé les nombreux ministres de la Culture (hommes ou femmes !). Ainsi va la France au XXI ème siècle…
Philippe du Vignal
Société d’histoire du Théâtre BnF. 22 €