Valère Novarina en scène de Claude Buchvald.
Claude Buchvald est metteuse en scène et comédienne mais aussi maître de conférences à l’Université Paris 8. Elle est bien connue pour avoir monté de façon remarquable de nombreuses pièces de Valère Novarina comme Vous qui habitez le temps, Le Repas, L’Avant-dernier des hommes, L’Opérette imaginaire... Avec une équipe de comédiens au solide métier, comme, entre autres, le regretté Daniel Znyk, Laurence Mayor, Valérie Vinci, Elisabeth Mazev, Nicolas Struve, Claude Merlin… et l’accordéoniste Christian Paccoud. Sans doute la réussite de ces mises en scènes leur doit-elle beaucoup mais c’est Claude Buchvald qui les a convaincus de travailler avec elle.
“Au théâtre, écrit elle, c’est avec les spectateurs que ce destin s’accomplit. Nous ne sommes pas là devant eux pour leur démontrer quoi que ce soit, pour “leur faire la leçon”, les étourdir, les épater, les imiter ou les agresser ; au contraire, nous voulons les porter dans le mouvement, les “sortir d’homme”, comme dit Novarina, pour les “démultiplier”.
Ce qu’elle explique très bien à propos de Vous qui habitez le temps, Claude Buchvald le fait aussi dans les analyses de ses autres mises en scène de Novarina. C’est d’une belle précision, rien n’est oublié : elle a visiblement trouvé, dans l’univers de l’auteur, l’aboutissement exemplaire d’un travail d’acteur qu’elle dirige tout en s’effaçant discrètement. Pour parvenir à l’état de grâce souhaité, elle fait preuve d’un solide maîtrise du temps et de l’espace, non seulement nécessaires à tout metteur en scène mais indispensables à qui veut s’emparer du verbe de Novarina. « Le texte de théâtre, dit-elle, à propos du Repas, s’écrit avec le vide, le vertige, avec un grand désir et appel d’air, avec de pauvres accessoires pleins de souvenirs (par exemple, les huit serviettes confectionnées en chutes de toiles à matelas par mon grand-père tapissier il y a plus de cinquante ans) ».
On sent Claude Buchvald, pleine de foi dans son travail, attentive, bosseuse et très exigeante quant au moindre détail scénique, au plus petit silence indispensable dans une réplique, heureuse d’aboutir enfin au tissu scénique désiré, élaboré après tant de répétitions ; heureuse aussi, quand elle réussit à emmener le public dans les méandres du langage d’une intense poésie mais d‘une exigence absolue de Valère Novarina.
Dans ce livre très sérieux, indispensable à celui qui veut mieux comprendre comment on arrive à mettre en scène Novarina mais un peu «estouffadou», et parfois proche d’une thèse universitaire, on trouve aussi des réflexions éclairantes de Claude Merlin sur le travail d’acteur. Bref, ce Valère Novarina en scène est de la belle ouvrage que l’on aurait aimé parfois un peu plus légère, (bon, on n’a rien sans rien !). Il y a aussi des photos tout à fait révélatrices des mises en scènes de Claude Buchvald et une solide bibliographie.
Philippe du Vignal.
Presses universitaires de Vincennes. 25 €
La Fleur au fusil, chroniques de la guerre de 14-18, spectacle écrit par Alain Goyard, mise en scène et interprétation de François Bourcier.
A l’origine donc de ce livre /CD, un spectacle écrit d’après des textes et témoignages authentiques et interprété par François Bourcier et créé au Nouveau Théâtre de Beaulieu à Saint Etienne. C’est en treize moments, dans le livre comme sur le plateau, la mémoire retrouvés d’épisodes: La mobilisation générale, Le baptême du feu, les Tranchées, Folie,La Révolte, Armistice… d’une interminable guerre qui ravagea l’Europe, avec, en conclusion la défaire de l’Allemagne, et quelque vingt cinq ans plus tard la seconde guerre mondiale comme un immense suicide collectif.
On n’est pas au Moyen-Age mais il y a tout juste cent ans, et cette guerre a atteint les familles de Français comme d’ Allemands par dizaines de millions. Incompréhensible, sans doute mais les faits sont là, têtus Les mots claquent durs, impitoyables à propos de la peur physique des jeunes appelés qui en deviennent fous, ou boivent pour oublier. Il y a des mutilations involontaires :“On enviait le gars qui venait d’avoir une jambe arrachée par une mine” ou volontaires: on se fait arracher un bras par une grenade en protégeant le reste du corps ou on va voir voir une putain syphilitique, “vérolée jusqu’à l’os”: tous les trucs sont bons pour essayer d’échapper à cette boucherie au quotidien! Le pire sans doute: les fusillés pour l’exemple grâce à un état-major dépassé par les événements qui ne sait plus juguler les dizaines de révoltes qui ont commencé à naître. Et un armistice dont les poilus ont bien conscience qu’il ne règle rien: “ Ce n’est pas la guerre qui est finie, c’est la paix qui est morte, et pour toujours”.
Et François Bourcier ,avec juste quelques accessoires, est impressionnant de vérité; il a vite pris l’identité d’un de ces hommes, paysans ou ouvriers qui par dizaine de milliers sont morts au front, ou quand ils en sont ressortis vivants, ont vu leurs vie brisée. En ces temps de célébration, ce livre/CD est un document formidable pour faire entendre au présent ce qu’a pu être cette guerre dont il ne reste aujourd’hui aucun survivant. Même si bien des spectacles comme les remarquables Ah! Dieu que la guerre est jolie de Pierre Debauche, et Noël au front de Jérôme Savary ont eu pour thème cette première guerre mondiale, ce monologue théâtral bien servi par François Bourcier fera aussi vite référence.
Ph. du V.
Texte d’Alain Guyard et CD du spectacle. Editions Carmino Verde 82 rue du Chemin vert 75011 Paris. 20 €
Chronique de l’ère mortifère, roman de Frédéric Baal.
Frédéric Baal avait fondé et animé à Bruxelles depuis 1970, avec son frère Frédéric Flamand, devenu ensuite chorégraphe et directeur du Ballet National de Marseille, et quelques acteurs dont Anne West, le Théâtre Laboratoire Vicinal qui fut, en Europe, et avec une rigueur exemplaire, à la pointe des recherches théâtrales,.
Frédéric Baal avait écrit de nombreux textes dont ceux des spectacles du Vicinal et des Portraits mais Chronique de l’ère mortifère, qui n’est pas en fait du tout un roman, participe plutôt d’une sorte de monologue intérieur où il s’en prend avec une rare et efficace violence au monde d’aujourd’hui.
La moulinette bruxello-parisienne fonctionne à plein régime, dans une langue française des plus cinglantes, influencée par Céline sans doute mais aussi par Pierre Guyotat, et d’une belle oralité. Et c’est aussi brillant qu’efficace … Frédéric Baal n’épargne personne et tire à balles réelles sur les institutions censées nous apporter bonheur et prospérité.
Et, comme il a le don de la formule et possède une sacrée maîtrise de la langue française, il ose même s’amuser et employer, uniquement pour se faire plaisir des subjonctifs pontifiants: “Se dussent-ils montrés plus conciliants, au lieu d’essuyer leurs rebuffades, je les eusse corrompus… ils ont la langue bien affilée et me font un crime de mes vertus…”
Avec de jeux de mots incendiaires (cela tourne parfois au procédé quand il s’agit de noms propres!) et des clins d’œil littéraires, voire des proverbes en latin. Aucun paragraphe mais seulement parfois un blanc quand il change de thématique. Et il y a, dans cette impitoyable logorrhée, savoureuse à lire, avec nombre de phrases sans verbe,et anaphores en rafales où l’auteur tire sur tout ce qui bouge et qu’il ne supporte pas (et la liste est longue!), des moments des plus formidables: “La faillite d’un système?… vous exagérez!… il ne s’agit que d’une petite crise financière dont le souvenir se perd déjà dans les sables des paradis fiscaux… ce fut un mauvais moment à passer… un incident fortuit!… un accident de parcours!.. une erreur de jaunisse!”
Une vraie pièce de théâtre en solo et on attend avec impatience, le jeune comédien, belge ou français, en tout cas francophone, qui s’emparera des meilleurs morceaux de ce texte hors-normes, à la fois subversif et jubilatoire, et toujours d’une théâtralité évidente. Cela sort du four, c’est encore bien chaud, et ce serait dommage de s’en priver. Frédéric Baal ne pourrait que s’en réjouir…L’entreprise demandera un gros travail: l’acteur devra sélectionner puis se mettre en bouche les drôles de phrases de ce drôle de texte, mais cela vaut largement le coup…
Avis aux amateurs…
Ph. du V.
Editions de la Différence. 18 €.
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Mises en scène d’Allemagne, sous la direction de Didier Plassard.
“Aujourd’hui, écrivait le cher et grand Bernard Dort (disparu il y a vingt ans déjà du sida! – et qui nous aura tant apporté ainsi qu’à de nombreux étudiants entre autres, Novarina, Chéreau ou Vincent - le théâtre allemand est pour nous un objet d’admiration: son organisation, sa stabilité, sa richesse en font moins un modèle (nous n’osons même pas espérer en être là un jour) qu’une sorte d’Eldorado dont on rêve sans jamais essayer d’y aborder”.
Bernard Dort avait bien résumé les choses et le dernier et gros opus des Voies de la création théâtrale, dirigé par Didier Plassard, nous offre un remarquable panorama de de tout ce qui a pu se créer en République Fédérale et Démocratique.
Il y a eu chez nous, il y a un siècle, de grands créateurs comme Antoine, Gémier ou Copeau qui voulaient réformer la scène et le répertoire pour un nouveau public, puis plus tard le Cartel. Mais l’Allemagne, elle, avait déjà, et depuis le 18 ème siècle, une tradition théâtrale, des méthodes de travail et des metteurs en scène de tout premier ordre comme Max Reinhardt ou Erwin Piscator, puis ensuite Bertold Brecht, longtemps absent puisqu’il dut subir, on l’oublie souvent, quinze ans d’exil…
Et plus récemment, comme le remarque bien Didier Plassard dans sa préface, on permit à une nouvelle génération de faire ses preuves avec, entre autres et d’abord, Brecht à la tête du Berliner, puis Peter Zadek, Peter Stein à la Schaubühne, Claus Peyman, Jürgen Gosch, ou Klaus Michael Grüber, Mathias Langhoff pour ne citer que les plus connus en France, qui modifièrent rapidement le paysage théâtral de langue allemande.
Ce que l’on appelle outre-Rhin le “Regietheater,” où les metteurs en scène devenaient des créateurs à part entière, avec une lecture des plus originales des textes classiques et une modification profonde des rapports entre scène et salle…
Mais avec aussi, ce que nous n’avions pas en France, sauf et dans une moindre mesure, avec Vilar à la tête du T.N.P. , et Roger Planchon à Villeurbanne, une organisation parfaite, où le metteur en scène et directeur avait un rôle prépondérant. Et il faut absolument le souligner, grâce à des moyens financiers hors pair. Mais on se souviendra que Jean Vilar, pas bien riche et possesseur d’un petit appartement, était aux yeux de l’Etat français, responsable sur ses biens propres en cas de faillite éventuelle de l’entreprise qu’il dirigeait! Chose qui n’émouvait guère le personnel politique de la chère vieille France et sans doute inimaginable en Allemagne! Le redoutable Debû-Bridel, sénateur, avait même osé s’en prendre, avec une violence inouïe, à Jean Vilar qu’il accusait de propagande…
L’Allemagne, et bien avant la réunification et des deux côtés du Mur, avait, elle avec plus de lucidité, beaucoup investi et à long terme, dans l’éducation et la création dramatiques. En particulier, avec de nombreux lieux de création dans les RDA, y compris dans de petites villes… Et avec une planification et une volonté politique exemplaires. On ne peut énumérer tous les chapitres de ce livre mais il y a d’abord un excellent examen du paysage théâtral allemand et de ses conditions de production, par Hennning Röper qui montre bien toutes les spécificités des quelque 133 théâtres qui ont une programmation régulière dans un pays où la culture et le gestion des théâtres est exclusivement de la compétence des Lander et des municipalités, ce qui change beaucoup les choses… Avec aussi un nombreux personnel artistique et technique bien formé, et une association fréquente sous un même toit du théâtre dramatique, de la danse et de l’opéra.
Alors que le Ministère de la Culture français exerce encore un pouvoir régalien en ce qui concerne les budgets et les nominations de directeurs, qu’il s’agisse de théâtres nationaux ou régionaux, avec, comme on l’a encore vu récemment, nombre de dérives, quelle que soit la couleur du gouvernement. Tout n’est pourtant pas rose, et l’auteur pense « que le le choc de la réunification a posé la question des limites d’un système théâtral qui ne sortira sans doute pas indemne de cette confrontation Est/Ouest”.
Mais vingt ans après la réunification du pays, les choses semblent s’être passées en douceur et la santé de l’ensemble du théâtre allemand reste insolente. Comme en témoignent les études consacrés au travail de metteurs en scène comme Peter Zadek , Heiner Müller, Peter Stein, Klaus Michaël Grüber, Klaus Peyman, Mathias Langhoff et son frère Thomas moins connu en France, Franck Castorf, et le Suisse Francois Marthaler, sans oublier Thomas Ostermeier, maintenant très connu en France d’un large public.
Quel pays occidental peut se vanter de posséder, une pareille brochette? (Sans doute l’Allemagne actuelle compte quelque 80 millions d’habitants, même si le nombre d’Allemands diminue). Mais on l’a encore vu récemment chez Thomas Ostermeier, ( voir Le Théâtre du Blog) des comédiens, très bien formés et souvent d’une exceptionnelle personnalité, capables de jouer Skakespeare comme Sophocle ou Labiche, et toujours remarquablement dirigés. Autre constante de tous ces spectacles: la scénographie généralement conçue avec de gros moyens mais d’une vraie beauté plastique, le plus souvent novatrice et d’une grande efficacité. Et toujours au service des comédiens.
Le livre comprend aussi un chapitre sur les formes marginales du théâtre allemand dit “Freies Theater : théâtre libre, qui, depuis une vingtaine d’années surtout , a tenté de se libérer des institutions et si on a pu voir certaines compagnies au festival d’Automne, on aurait aimé en savoir plus sur des créations qui usent d’autres codes scéniques avec une mise en relation de plus en fréquente du dialogue ou du texte non théâtral avec la musique ou la danse, et toujours là aussi dans un espace scénographique reconfiguré.
Au total, ces Mises en scène d’Allemagne est un livre très bien fait, tout à fait passionnant et, ce qui ne gâte rien, un solide outil de travail.
Pas donné: 59 €… mais c’est un bon investissement.
Philippe du Vignal
CNRS éditions. Prix: 59 €