Éloge du théâtre

Éloge du théâtre d’Alain Badiou,  avec Nicolas Truong.

Éloge du théâtre dans analyse de livre 9782081303188fs  « L’ouvrage est né d’un dialogue public entre le philosophe Alain Badiou et Nicolas Truong, journaliste au Monde, en  2012, dans le cadre du Théâtre des idées, au Festival d’Avignon. Comment s’adresser aux gens de façon à ce qu’ils pensent leur vie autrement qu’ils ne le font d’habitude ? C’est à cette question que le théâtre, qui est le plus complet des arts, répond avec une incomparable force, Alain Badiou.
Entre l’immanence des corps sur la scène et la transcendance de l’image, le théâtre accède à l’éternité grâce au texte. Le silence des signes noirs sur la page blanche du lecteur n’est pas comparable à la musique de la voix de l’acteur, proférée sur la scène et ouïe dans la salle.
Dans  cet éloge du théâtre, Badiou cite des créateurs comme  Vitez, Grüber et  Strehler qui montèrent  Faust de Goethe : » Quelle mobilisation spectaculaire, que de moments qui appellent de la musique, de la danse, des apparitions surnaturelles, toute une imagerie en traversée des religions et des passions, des pensées et des voluptés venues de tous les siècles ! « .
L’écrivain fait aussi référence à des metteurs en scène « historiques  » comme Daniel Sorano que Badiou vit  à l’adolescence dans le rôle-titre des Fourberies de Scapin, au Grenier de Toulouse, alors dirigé par Maurice Sarrasin. Sorano était un Scapin triomphant, véloce et sonore que le garçon du lycée Bellevue de Toulouse sollicita pour obtenir des conseils sur le même rôle. L’auteur de théâtre qu’est aussi Badiou, n’oublie pas Christian Schiaretti qui monta sa série des Ahmed Ahmed le subtil en 1994 au Festival d’Avignon, puis Ahmed philosophe, et Ahmed se fâche, enfin Les Citrouilles.
Badiou évoque aussi des metteurs en scène contemporains comme Simon McBurney  avec Le Maître et Marguerite (2012),  inspiré du roman de  Bougalkov : « Ce n’est pas rien de voir à Avignon le mur du Palais des Papes s’écrouler devant nous, comme les ressources technologiques modernes nous en donnent l’illusion ».Mais il parle aussi de Marie-José Malis qui vient d’être nommée directrice  du Théâtre de la Commune à Aubervilliers, et qui a retenu son attention pour sa mise en scène d’On ne sait comment de Pirandello.
La pièce fascinante, est située, dit-il, au croisement épique entre la trivialité des existences et l’interminable obstination de la pensée, une succession de confessions à la Rousseau, dans une langue prodigieuse. Et la mise en scène  de Marie-José Malis a révélé l’enjeu de ce théâtre : » Il s’agit, dit-il,  de faire à chaque spectateur une confidence intime porteuse d’une injonction sévère. »
Le murmure des comédiens et leur regard adressé au spectateur invitent ce dernier à s’orienter dans l’existence et dans la pensée, comme eux sur la scène. Entre immanence et transcendance, la force du théâtre se tient dans son événement immédiat. Le théâtre survit à présent dans un monde confus, où domine le sentiment de la disparition de l’idée, comparable à la mort de Dieu.
Les idéaux politiques du XX ème siècle ont un temps jeté un voile sur l’absence d’idée jusqu’à leurs conclusions négatives. L’idée aujourd’hui manque, et  il  ne reste plus qu’un immédiat à vivre. À cela, s’ajoute une autre confusion, celle de prendre l’intérêt-nos appétits, nos satisfactions-pour des idées! Et la mission du théâtre est justement de montrer la confusion comme confusion : » Le théâtre fait apparaître sur scène l’aliénation de qui ne voit pas que c’est la loi du monde lui-même qui l’égare, et non la malchance ou l’incapacité personnelle – Tchekhov, Ibsen ou Eugène O’Neill … »
À côté de cette « monstration » de la confusion, le théâtre tente de faire émerger une possibilité inédite avec Claudel, Brecht, Pirandello, et même  Beckett, les lumières minimes que recèle sa poésie.
Dans la solitude des champs de coton
de Bernard-Marie Koltès est, pour Badiou, l’œuvre modèle « une théâtralité pure qui oppose celui qui propose à celui qui demande, un jeu théâtral sur la confusion, celle du monde contemporain, entre ce qu’on demande et ce que ce monde propose ».
Si l’on veut rester libre et « ouvrir sa subjectivité à une métamorphose positive« , précise Badiou,  il ne faut pas confondre le désir, et la demande qui se réduirait au choix obtus d’une marchandise sur le marché de la consommation. Il ne faut jamais céder sur son désir ; la principale menace de ce désir est la demande : « C’est théâtralement splendide : le rapport théâtral entre le dealer et le client est la métaphore de quelque chose d’essentiel dans le monde contemporain ». Soutenons, dit-il,  un « théâtre complet qui déplie dans le jeu, dans la clarté fragile de la scène, une proposition sur le sens de l’existence, individuelle et collective, dans le monde contemporain ».
Ce théâtre des hypothèses et des possibilités tire sa force tremblante de l’extrême coïncidence entre les émotions et les pensées rencontrées. Un ouvrage tonique… .

Véronique Hotte

Café Voltaire, Flammarion


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l’odeur des planches de Samira Sédira

L’Odeur des Planches de Samira Sédira.

l'odeur des planches de Samira Sédira dans analyse de livre 31tou1tydsl._sl160_  Formée  à l’école de Saint-Étienne, elle a joué au Théâtre de la Colline, au T.N.P. de Villeurbanne, au Théâtre National de Strasbourg, etc… mais   puis peu à peu, les contrats se sont arrêtés… Et, comme il faut bien vivre, Samira Sédira fait des ménages, vit la fatigue et l’humiliation de devoir pénétrer  chez des inconnus, de nettoyer leurs toilettes, de ramasser leur linge sale.
Dans son livre,  elle met en parallèle son
histoire, celle de ses parents avec sa rencontre avec le théâtre et son besoin de créer. Grâce à une amie, elle avait découvert  le théâtre à l’université;  ses premiers mots sur scènes sont ceux du Roi Lear : »Je ne sais plus quels étaient ces mots, mais je reste à jamais marquée par le silence de mes partenaires, leur incroyable écoute, si dense. Une émotion fiévreuse avait jailli de moi, comme si je n’avais pas parlé depuis des années (…) Alors sous les regards médusés et l’éclairage artificiel que j’absorbais par tous les pores de ma peau, j’ai laissé venir les larmes, la douce, la profonde montée des larmes, des sanglots longs qui venaient de loin.
« J’étais devenue lumière, je me sentais riche, enfin, et cette richesse me servirait tout au long de ma vie. J’avais le pouvoir »
Ses parents n’ont pas tout de suite compris quel était ce métier, cette voie qu’elle choisissait mais ils l’ont soutenue et tout se passait bien dans ce qu’elle croyait être « la grande famille du théâtre ». Quand elle n’a  plus de  travail, elle se renferme, ne sort plus et reste discrète sur son travail. « S’il m’arrive de croiser quelqu’un que je connais, je préfère dire que je ne fais rien pour l’instant, plutôt que d’avouer que je fais des ménages. Ou alors,  je mens, je m’invente des projets, je dis que je donne des cours de théâtre, à des enfants, dans les écoles, je raconte n’importe quoi »
Avec les Tchehkov, elle dit souvent qu’elle « a mal à Platonov », des mots qu’elle comprend parfaitement dans sa situation, quand il devient difficile de s’apprécier et  de vivre avec soi. Mais Samira Sédira se dit qu’elle doit faire quelque chose, elle a cette qualité qu’ont les créateurs, la capacité d’utiliser les arts pour éviter un trop plein, pour partager aussi. Ce qu’elle fait dans ce livre, qui n’est absolument pas porteur de ressentiment, et n’est pas là pour  montrer son c.v. et retrouver des contrats.
C’est simplement une confession courageuse, douce et sincère, crue quand il le faut. Et il n’est pas question que de théâtre: sa vie familiale s’imbrique au fur et à mesure du récit. Elle crée des rapprochements avec sa mère, fil rouge de cette histoire, cette mère, qui a fait un  mariage arrangé avec  son père, sans amour.  Samira Sédira, elle, est consciente de la chance de ne pas avoir eu à subir tout ça, ni le déracinement qu’a vécu sa mère…
Un récit bouleversant où il est question de théâtre et de création, une belle démonstration de courage et d’opiniâtreté. On a beaucoup de plaisir à la lire, et on espère  revoir très vite Samira Sédira sur une scène. Si le théâtre, provisoirement, ne l’aime plus, elle prouve ici son besoin de vivre au théâtre.

Julien Barsan

Editions La Brune au Rouergue 16€


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Ma bio dégradable : j’acte 1

Ma bio dégradable : j'acte 1 dans analyse de livre photo-3Ma bio dégradable : j’acte 1 de Jean-Claude Dreyfus.


Nichée dans la petite rue Marivaux qui longe l’Opéra comique, La Librairie Théâtrale se consacre aux arts du spectacle depuis le milieu du XlX e siècle. On y trouve 10.000 pièces en tout genre, d’hier et d’aujourd’hui, des ouvrages sur le théâtre sous toutes ses formes et un accueil qui permet de naviguer dans ses rayons et d’y trouver son bonheur. Avec une clientèle éclectique: du thésard au directeur de Centre national dramatique, de l’élève comédien au praticien amateur, en passant par le simple curieux qui emprunte cette rue si calme près des Grand Boulevards.
Ce soir de février, la librairie accueillait ce comédien original qu’est Jean-Claude Dreyfus ; il y  signait un livre à son image, pétri de fantaisie, bourré de formules choc et de bons mots mais aussi riche en témoignages sur le théâtre et le cinéma de ces quarante dernières années. « J’aime, dit-il, le thème nombrilique de se raconter de se livrer, mon bouquin fait à peu près une livre, mais mes lèvres livreront bientôt de quoi faire un kilo! Si ce livre était une musique, quelle serait-elle ? – Ce serait du free-jazz avec une tendance très mélodique, sax et  piano, et ma voix off-course….
- Qu’aimeriez-vous partager avec vos lecteurs en priorité ? – Nos intimités, se payer le luxe de se connaître, de nous retrouver comme des amoureux sur un quai de gare avec ce ralenti que l’on aimerait tous réaliser un jour… »
Jean-Claude Dreyfus répondait  ainsi aux questions de son éditeur, ce qui donne  une idée de la tonalité de son livre, une autobiographie qui, sous une apparente légèreté, nous fait partager  son enfance, puis  ses années d’apprentissage chez la grande Tania Balachova, et un itinéraire professionnel atypique qui l’a mené du cabaret au cinéma,  en passant par tous les genres de théâtre.
 » De scènes en Seine, sur les canaux spectraux du spectacle complet, je chorégraphie ma vie de mouvements gracieux et chaleureux. Pour le viager, il faut attendre et, quant à ma vie âgée, cela viendra au second tome. Un voyage à partager, un itinéraire à suivre en attendant le prochain livre.

Mireille Davidovici

Editions Le Cherche-Midi.

Devos -Dreyfus D’Hommage sans interdit(s)  Théâtre du Petit-Hébertot , du 28 février au 27 avril, 78 bd des Batignolles Paris T:  : 01-42-93-13-04.

Le Corps pensant de Mabel Elsworth Todd

Le Corps pensant de Mabel Elsworth Todd, traduction d’Elise Argaud et Denise Luccioni.

Les Editions Contredanse à Bruxelles ont bien fait d’éditer en français ce livre  classique-dont le titre original est  The Thinking Body, A Study of the Balancing Forces of Dynamic Man-que Mabel Todd( 1880-1956) écrivit il y a presque un siècle et qui avait été publié en 1937 mais uniquement en anglais puis récemment en allemand.
Comme le rappelle Baptiste Andrien dans la préface, ce livre exercera une grande influence sur le développement et sur la pédagogie du corps surtout aux Etats-Unis, en particulier sur les pratiques somatiques qui proposent des pratiques « somatiques » qui proposent d’explorer de nouvelles coordinations psychophysiques. Ce qui était évidemment révolutionnaire en Occident au début du 20 ème siècle et qui aura une grande influence sur des danseuses comme Isadora Duncan, Ruth Saint-Denis ou  ensuite sur des théoricien/praticiens comme, entre autres, F. Mathias  Alexander, Moshé Feldenkrais Emile Jaques-Valcroze avec ses méthodes d’éducation rythmique mais aussi sur tout le théâtre contemporain. Mais on sait moins  que cette entité corps/esprit , comme le rappelle justement Andrien, et le changement dans la conception même du mouvement a été initié par François Delsarte, d’abord chanteur puis pédagogue et remarquable théoricien.

Le livre de Mabel Elsworth Todd n’a rien perdu de son actualité même si une indispensable réflexion sur notre corps est aujourd’hui  mieux assimilée par tous ceux pour lesquels ce corps, souvent mal connu, est avant tout un précieux  instrument de travail. Forme et fonction dans la dynamique humaine, forces du corps notamment dans la station debout et ans la marche, importance capitale de la respiration bien analysée: rien n’échappe à l’analyse de cette femme qui avait compris que l’homme occidental et américain en particulier, maltraitait souvent  son plus précieux allié… Alors qu’il  avait la capacité d’avoir une vie où le corps et la pensée, le physique et le mental  pouvaient enfin vivre en harmonie.
Il faudrait aussi mentionner l’influence que la pensée de Mabel Elsworth Todd eut aux Etats-Unis sur des chorégraphes et théoriciens de la danse comme Steve Paxton, Simone Forti ou Yvonne Rainer. C’est dire que cette réflexion sur l’anatomie, le fonctionnement et l’équilibre du  corps humain, à l’opposé de toute démarche puritaine, est encore d’une grande pertinence…
Un livre fort utile pour qui s’intéresse  aux évolutions de  la pensée sur le corps humain.

Philippe du Vignal

Editions Contredanse, 379 pages. 28 euros

Hans-Walter Müller et l’Architecture de la disparition

Hans-Water Müller et l’Architecture de la disparition par Alain Charre.

 Hans-Walter Müller et l'Architecture de la disparition dans analyse de livre 77248475_p« L’air est un corps » ainsi commence Le livre des appareils pneumatiques et des machines hydrauliques, le plus ancien traité de physique qui  nous soit parvenu, écrit par  Philon de Byzance au troisième siècle de notre ère*, rappelle justement Alain Charre, où sont répertoriées des multitudes de combinaisons entre les flux hydrauliques et les dynamiques constructives de l’air.
Cet historien de l’architecture moderne et contemporaine a raison de faire le pont entre les recherches sur la mécanique des fluides qui préoccupait déjà les  savants de l’Antiquité et celles de l’ingénieur anglais, Frederik William Lanchester,  qui inventa la célèbre voiture voiture Daimler mais aussi dès 1917, il y a donc un siècle, les premières structures  gonflables, même si les techniques de l’époque ne permettaient pas encore d’envisager une application pratique en architecture.
Et il faudra attendre les années 40 pour qu’un architecte américain,  Walter Bird crée une société la Birdair Structures qui construisit  le fameux « radôme » destiné à protéger la première antenne de télévision transatlantique dans le village breton de Pleumeur-Bodou en 1962. Suivront d’autres structures gonflables notamment à l’Exposition universelle d’Osaka, à Pontiac dans le Michigan, mais aussi à Nîmes pour couvrir provisoirement les arènes en 88.

Hans-Walter Muller, formé à l’école polytechnique de Darmstadt, est à la fois ingénieur et architecte; nous avions déjà rencontré en 70 où il fréquentait les milieux de l’avant-garde des arts plastiques et  vivait encore à l’époque dans un grand loft à La Plaine Saint-Denis. Mûller comprit  très vite les avantages multiples de ces structures gonflables dont on connaît le succès actuel en termes de salles de spectacle.
H. W. Müller, de façon géniale, se lança dans la conception de volumes qui n’avaient plus besoin de filins ni poutrelles métalliques, juste d’air soufflé  et qui étaient capables en plus d’affronter des vents violents. Volumes fragiles sans doute mais,  comme le souligne très bien Alain Charre, du fait de cette fragilité, retenant sans doute le geste destructeur d’un vandale potentiel.

Alain Charre relève que cette architecture remet en cause et de façon radicale deux paramètres essentiels: l’opposition entre dehors et dedans, mais surtout, et davantage peut-être, l’absence  de murs porteurs ou non qui  « dissipe les certitudes  et relève l’éventualité de la disparition ». Ce que laissait déjà présager des architectures conçues au 19 ème siècle comme le Crystal Palace anglais de Paxton, cet  assemblage de verre et de fer, à la fois léger et lumineux,  comme  ensuite le Grand-Palais à Paris.
 En effet, la civilisation occidentale a toujours construit des maisons, des palais, des cathédrales, et des lieux de spectacles  de forme et d’aspect tout à fait différents mais toujours fondés sur la notion de durée. Le dur en construction- la pierre, le bois, le torchis,la brique, le fer,  et la durée en termes d’années, sont niés ipso facto dans l’ architecture gonflable,  mais cela ne peut pas nous interroger.
Pour Alain Charre, ce recours au gonflable « représente même une étape à méditer, à l’aube de vastes migrations dues aux guerres et au réchauffement climatique ». Il faudrait ajouter comment la mise en place d’une simple membrane peut nous renvoyer à une autre conception de la vie en société, voire à un nomadisme que nous refusons encore mentalement. Entre la tente du bédouin et une structure gonflable comme habite maintenant H.W. Müller près de Paris, où est finalement la différence, sinon dans le mode de vie individuel et en société…

Cela peut faire froid dans le dos que cette nouvelle façon de repenser un modèle de l’habitat mais on est bien obligé de constater  que  nos petits-enfants n’habiteront sans doute plus toujours dans des immeubles comme ceux du centre historique de Paris et des grandes villes, ou dans les tours de  banlieue… Peut-être pas non plus dans des structures gonflables,très gourmandes d’espace au sol mais  dont l’invention laisse quand même présager des changements dans l’habitat, ne serait qu’à titre temporaire…
On ne peut tout détailler de ce  livre très riche où Alain Charre se livre à  un long et patient travail d’analyse de cette nouvelle architecture  et   il y a de nombreuses et bonnes photos.L’enseignant d’histoire de l’architecture, qu’il n’oublie jamais d’être, explique très bien que les architectes/ingénieurs comme H. W. Müller ont toujours dû « trouver la solution juste flatteuse et confortable »,  comme cette merveilleuse et grande bulle blanche du théâtre itinérant  qu’il avait conçue pour la compagnie des Arts Sauts.

  »Qu’est-ce qu’habiter la Terre sans laisser de traces? « Dramatique question,  qui, dit  Charre, avait été déjà  pressentie par Walter Benjamin qui voyait venir « l’homme sans traces ». Cette grande et belle réflexion sur cette architecture de la disparition est un excellent outil de réflexion, même et surtout pour des gens qui n’ont pas une formation d’architecte, comme entre autres, les femmes et les hommes  du spectacle vivant mais aussi les politiques…

Philippe du Vignal

*Consultable en ligne.

Editions Archibooks, collection crossborders sous la direction de Martine Bouchier. 19€

Manifeste Pour la vie d’artiste, de Bartabas

Manifeste pour la Vie d’artiste  de Bartabas  

Manifeste Pour la vie d’artiste, de Bartabas dans analyse de livre centaure-nabilboutros22-pr-1mo

©Nabil Boutros


C’est un livre engagé et généreux, un témoignage de Bartabas, écuyer, metteur en scène et fondateur en 1984 du Théâtre Equestre Zingaro qui, sur cent-quarante pages, en ouvre cent à ses amis, pour parler de leur démarche créatrice, comme le veut la collection.
Il y  parle de sa rencontre avec le cheval, qui a façonné sa vie et lui a donné un matériau de travail exceptionnel, une curieuse  rencontre  au départ, née du besoin de dominer sa peur.
Bartabas cherche, en permanence,  la justesse dans la relation avec le cheval. « L’homme n’impose pas, il propose, et le cheval dispose, dit-il, inversant l’image classique du cavalier qui domine sa monture. « Dresser un cheval, ce n’est pas lui faire acquérir des automatismes, c’est d’abord se construire avec lui un vocabulaire commun, puis une grammaire commune, puis, s’il le veut bien, finir par dire des poèmes ensemble ». Face au cheval, Bartabas parle d’humilité, et reconnaît « qu’après une vie entière auprès d’eux, ils gardent une part de mystère ».
Au quotidien, avec sa troupe, qu’il définit comme une tribu, plus que des longs discours  c’est l’attention  portée aux autres qui prime. Comme lui, ses compagnons de route ont la force des révoltés et partagent la même éthique, autour du cheval, ouvrant sur un même rapport à l’esthétique: « Nous nous sommes tous choisis mutuellement. Symboliquement, notre « allure » est celle de la caravane. Habiter dans une caravane, c’est vivre à échelle humaine. C’est notre étalon-vie, comme d’autres mesurent leur réussite à l’étalon-or ». Avec eux, il invente le concept de cabaret équestre.
Chaque spectacle de Zingaro est une aventure. « Ce sont trois ans de nos vies qui y sont consacrés, trois ans imposés par la survie économique de l’entreprise ». Même si l’aventure théâtrale, comme il le souligne, échappe à la loi du profit. « Une création scénique comme la nôtre n’est pas figée, n’est pas définitive. Elle est forcément une expression en pleine évolution ».
La musique des spectacles, langage parmi les langages, a pour objectif de mettre le spectateur en état de perception. Du Rajasthan ou de la Corée, de la Géorgie ou des Carpates, les musiciens font un bout de route, et repartent, laissant à la compagnie un peu de leur savoir-exister et de leur savoir-aimer. Alors, c’est dans la relation avec le public que le spectacle existe. Bartabas parle de la rue, là où il a commencé, quand les gens s’arrêtent pour regarder le montreur de gestes. » S’ils ne s’arrêtent pas, le « génie »que vous croyez être n’existe pas. C’est l’instant partagé avec les spectateurs, dit-il, qui donne du sens à tout spectacle, une « communion en forme de rituel ».
Le travail qu’il réalise depuis bientôt quatre décennies, au-delà des spectacles présentés (Chimère, Eclipse, Loungta, Battuta, Darshan, Cabaret I, II et III, Le Centaure et l’animal, et Calacas, actuellement, dans son lieu magique d’Aubervilliers), se prolonge dans la transmission : la création de l’Académie du spectacle équestre de Versailles, créée en 2003, est une école d’un genre nouveau, une sorte de compagnie-école, où s’inventerait une philosophie du « vivre ensemble ». « C’est une école lente, dit-il, où j’essaie de leur transmettre une philosophie, une énergie, un état d’esprit ».
Resté fidèle à sa révolte et poursuivant son travail d’artisan, Bartabas reconnaît avec honnêteté qu’il a une position ambiguë face au système, qu’il utilise et qu’il dénonce ne même temps. »Notre place est donc sans doute là, dans cet entre-deux inconfortable : nou sommes à la fois reconnus et maintenus en position de survie, à la fois citoyens et hors-la-norme, à la fois donneurs de bonheur par nos spectacles et empêcheurs de subventionner en rond par notre exigence ».
Cette première partie de l’ouvrage, Chevaucher la vie, acte de foi de Bartabas, son Manifeste, témoigne de l’engagement total de l’artiste et de l’exigence de la création. Dans la seconde partie, Bartabas présente chacun de ses invités, tous, comme lui, artistiquement engagés, et leur demande de s’exprimer : Alain Cavalier, filmeur -Alexandre Tharaud, pianiste -Alain Passard, maître d’une maison de cuisine-Chris Christiansen, jongleur – Ernest Pignon-Ernest, créateur d’images et de collages-Dominique Mercy, LE danseur – Luis Francisco Espla, torero-Ko Murobushi, danseur, spécialiste du Nô – Christophe Soumillon, jockey – Cabu, dessinateur–Jack Ralite, homme politique, fondateur des Etats Généraux de la Culture-Laurent Terzieff, acteur et metteur en scène-Pina Bausch, danseuse, chorégraphe et directrice du Tanztheater de Wuppertal, chacun à leur manière, avec de poèmes, dessins, impressions et réflexions, parlent de création et confirment que la vie et l’œuvre, souvent, se confondent.
Quelques photos de Bartabas, de ses spectacles et de ses invités, complètent, avec simplicité, cette approche sensible d’un homme dans le tourbillon de sa vie, qu’il partage avec nous par la scène et par la trace qu’il veut bien nous livrer. Son Manifeste pour la vie d’artiste, est pour nous, un manifeste pour la vie, tout court.

Brigitte Remer

Editions Autrement, collection Manifeste, en collaboration avec Claude-Henri Buffard.

Les voyages du comédien

Les Voyages du comédien de Georges Banu.

Les voyages du comédien dans analyse de livre 9782070138838-300x300Au film magnifique de Theo Angelopoulos,  Le Voyage des comédiens (1975), fait écho aujourd’hui Les Voyages du comédien, essai de Georges Banu – homme de théâtre français d’origine roumaine pour lequel les arcanes du théâtre d’art de nos dernières décennies ne font pas mystère.
Pour le critique au regard aigu, » L’histoire de la scène moderne s’articule autour de ce Mur de théâtre à jamais intégré dans les esprits, fût-ce pour le défendre ou le combattre. Et cela mènera au dilemme, inlassablement relancé, du jeu  « de dos ou de face« . Comment appréhender l’acteur glissé dans l’enveloppe de son personnage comme dans un gant ?
Ce qui subjugue le spectateur  face à l’acteur sur  scène, c’est la constante liberté de ce dernier à casser et à fissurer le fameux pacte de clôture. C’est un acteur insoumis qui préfère les échanges furtifs avec le public, installant avec audace son « moi », là où on ne l’attendait pas. La loi de la séparation scène/salle n’est pas entièrement abolie mais l’acteur lui désobéit : » Comment rester insensible à ce frémissement d’un « moi » d’acteur qui s’agite et se montre, malgré l’autorité nullement rejetée du caractère à jouer ?  » Le spectateur éprouve un sentiment de complicité avec cette révolte sourde de l’acteur qui s’oblige à goûter à la liberté, quant au rôle, au metteur en scène, au public. Le voyage s’accomplit par étapes, de l’acteur européen à l’acteur oriental en passant par l’acteur étranger.
De Gérard Philipe à Sotigui Kouyaté,  Valérie Dréville ou André Wilms. L’analyse du corps, associé à l’âme de l’acteur, ouvre à un calcul de probabilités considérables. En 68, c’est le corps nu dans les mises en scène du théâtre  d’avant-garde qui surprenait le public, remplacé aujourd’hui par le corps travesti qui déstabilise , avec des interprètes comme Olivier Py, Michel Fau,  et des metteurs en scène comme Warlikowski… Par ailleurs, quand le corps maniériste exacerbe sa virtuosité, cela peut être un récital éblouissant : par exemple, Redjep Mitrovitsa dans Hernani,  mise en scène d’ Antoine Vitez, Isabelle Huppert dans Orlando, mise en scène de  Bob Wilson.
Quant aux corps fatigués d’acteurs mythiques, comme l’allemand Berhnard Minetti  décédé en 97, ou nos Michel Piccoli  et Jeanne Moreau, ils drainent sur le plateau une pléiade de personnages, tout en ressuscitant le passé du spectateur. L’acteur âgé confirme la persistance de la mémoire et le travail du temps dont il est l’allégorie scénique.
Georges Banu se fait le témoin artistique d’une existence qu’il arpente sur les chemins du théâtre, dans cet espace de l’entre-deux de la vie et du rêve, un territoire qui lui sied naturellement, sur les marges de la scène et du plateau, dans la salle encore ou près du foyer ensuite, pour converser avec les interprètes, metteurs en scène, auteurs, scénographes, musiciens ou bien traducteurs. Au service constant de l’art du théâtre.

 

Véronique Hotte

Gallimard. 17€

La Femme et le Travesti

La Femme et le Travesti de Chantal Aubry.

La Femme et le Travesti  dans analyse de livre aubry » Pas pour les machos » dit gentiment la dédicace. Donc, nous voilà prévenus, il va falloir, juste dans l’axe mettre les pieds là où il faut  dans un territoire à priori féministe bon teint . Disons tout de suite que c’est un livre tout à fait solide qui traite à  la fois de la tradition du travestissement dans le spectacle vivant, puis de l’acteur travesti en Occident et enfin, plus près de nous, du travestissement comme mode choisi de création artistique.
Cela signifie nombre d’univers souvent très éloignés les uns des autres avec, au départ, la notion de contrainte. Chantal Aubry, grande féministe,  a raison de souligner que le travestissement dans l’histoire de l’humanité à a commencé par « un clivage masculin/ féminin qui s’exprime par la domination masculine et l’appropriation par l’homme du corps de la femme, » (phénomène ajoute-t-elle,  particulièrement flagrant dans les sociétés désignées par les ethnologues comme patriarcales, soit celles du pourtour méditerranéen, du Moyen-Orient, de l’Inde, de la Chine et du Japon.

Avec comme conséquences, un travestissement à la fois obligatoire quand la femme veut sortir du périmètre qui lui est imposé: guerrière, écrivain…Et pour l’homme chaque fois qu’il lui faudra représenter une femme, que ce soit dans les rituels religieux et bien entendu  ensuite dans les spectacles avec,paradoxalement, une mise en valeur de la sublimation du corps féminin, alors qu’il est à priori exclu: Grèce antique, opéra chinois, danse indienne gotipua de l’Orissa, et bien entendu,  Shakespeare, etc… Ce qui  s’est révélé encore plus flagrant à l’époque moderne jusqu’à devenir une base de la subversion, et un genre qui a envahi le domaine artistique, qu’il s’agisse de spectacle vivant ou d’arts plastiques .
C’est le fil rouge de ce livre où l’auteur traite dans une suite de chapitres de l’histoire de ce travestissement; en particulier,  celle des onnagatas japonais « incarnation d’une féminité repensé par les hommes » selon la belle expression du  metteur en scène japonais Moriaki Watanabe; c’est dans le renouvellement de cette tradition que se situera Kazuo Ohno, un des fondateurs de la danse butô mort en 2004.
Chantal Aubry consacre aussi quelques pages à l’acteur chinois Mei lanfang que l’Occident et l’Amérique-en particulier des metteurs en scène, réalisateurs et théoriciens comme Chaplin, Meyerhold, Eisenstein, Piscator, Brecht et Craig-découvriront avec  délices dans les années 1930.

Chantal Aubry analyse aussi très bien les relations difficiles entres les deux sexes dans la Grèce antique, comme le révèle la mythologie avec ses délirantes histoires de dieux  nés hors mère comme Dionysos ou Athéna, dont on peut percevoir l’écho chez Eschyle  et Euripide. Une lecture féministe, comme le rappelle Chantal Aubry, à propos de celle de Sue Ellen Cas  dans Feminism and Theater,  considère  que,  dans son jugement à la fin de l’Orestie, quand  Athéna acquitte Oreste, elle « consacre la supériorité masculine et la mise en forme officielle de la misogynie, fondé sur la parentalité mâle ».On peut en effet se demander ce qui se serait passé si Oreste avait été du sexe opposé… Mais on n’est encore que dans une démocratie balbutiante, fondée en grande partie sur l’esclavage, et où la femme était avant tout considérée comme la reproductrice de l’espèce et où la prostitution faisait les délices des maris.
Chantal Aubry resitue  bien les choses à propos des Elizabéthains: Skakespeare bien entendu,  et le génial Marlowe: pas de suprises, on n’apprend que ce que  l’on sait déjà mais la relation, même rapidement traitée,  qu’elle établit avec des metteurs en scène contemporains comme Laurence Ollivier, Declan Donnellan ou Krysztof Warlikowski, 9782812604058-212x300 dans analyse de livreest tout à fait intéressante.
Comme l’est l’analyse de ce curieux héritage du travestissement, quand les actrices  ont eu enfin  droit de cité sur la scène européenne et  où les dramaturges comme Tirso de Molina ou Calderon de la Barca se font fait alors un plaisir de construire des intrigues à l’érotisme des plus ambigus.

Les chapitres: Du travesti contraint au travesti émancipateur  et Amazones et Bright Young People retracent  rapidement la vie de quelques unes des amazones qui se sont illustrées à la fin du 19ème siècle et au début du vingtième,  où le style de vêtement glisse   le plus souvent  vers ce que Chantal Aubry  appelle « un style d’élégance aujourd’hui complètement entré dans les mœurs ».
Enfin, pour clore ce livre, l’auteur consacre un chapitre sur le travestissement, qui opéra une belle  révolution dans le théâtre et la danse  des années 70: la matière on peut s’en douter, ne manque pas et faute de temps sans doute, c’est plus un survol des compagnies ou artistes, français ou étrangers qui  ont fait du travestissement un art à part entière comme les Cockettes ou le Theatre of Ridiculous de John Vaccaro à New York, ou en France les fameuses Mirabelles,  Copi, Arias ou Savary et plus tard, dans les années 90, Olivier Py, et Michel Fau.
Et en danse, Pina Bausch,  bien sûr, mais aussi Alain Buffard ou Marc Tompkins. On aurait aimé que ce chapitre,  soit plus fourni, puisque c’est une période que Chantal Aubry a bien connue quand elle était la responsable d’un service culturel au quotidien  La Croix mais bon…
En tout cas, le travestissement  a toujours été et restera, comme elle  le dit, « malgré l’opprobre, un vecteur de créativité qui a porté l’art et la théâtralité à un point d’incandescence », ce dont témoigne très bien  ce livre,  et c’est l’essentiel.  Et l’iconographie, à la fois riche et précise,  dûe à Eve Zheim,  est de tout premier ordre.

Au chapitre des inévitables réserves: des imprécisions dans les références, des orthographes différentes dans les noms propres,voire des constats historiques sans fondement sûr. Et un recours trop systématique aux adverbes de manière,  et dans les citations et  légendes de photos, à des adjectifs quelque peu excessifs. Et les Editions du Rouergue s’honoreraient de ne pas utiliser de police de caractères où le h et le k peuvent être facilement confondus, et où le chiffre zéro est rayé, ce qui est inutile et fatiguant.

Philippe du Vignal

Editions du Rouergue, 2012; ouvrage préparé avec le concours du Centre national du livre. 191 pages

Shakespeare et le désordre du monde

Shakespeare et le désordre du monde  par   Richard Marienstras, avant-propos d’Élise Marienstras, textes édités et présentés par Dominique Goy-Blanquet..

 

Shakespeare et le désordre du monde dans analyse de livre 9782070138890-191x300Spécialiste de la littérature élisabéthaine, Richard Marienstras a publié sur Shakespeare des essais fameux, Le Proche et le Lointain (1981) et Shakespeare au XXI ème siècle (2000). Paraît aujourd’hui Shakespeare et le désordre du monde,un recueil posthume de l’auteur disparu en 2011, ouvrage poursuivi par  son épouse  et Dominique Goy-Blanquet.
Selon elle, les tragédies du grand Will parlent « du désordre du monde dont le mal qui est tapi en l’homme est responsable, de la Fortune et de l’Histoire qui font de l’homme leur jouet. » Toutefois, nulle complaisance dans la noirceur ou le cynisme total n’incline à la désespérance ni au désenchantement absolu, pense Richard Marienstras.
L’œuvre de Shakespeare ne cesse de fasciner son public – hier, aujourd’hui et demain – à travers des thèmes universels qui sont le lot de chacun : l’amour, le désir, la tromperie, la jalousie, la volonté de puissance, la peur de la mort, la fraternité virile, le courage, le crime et son châtiment.
Selon Marienstras, des motifs plus troublants encore, avec le temps, viennent s’ajouter à la séduction des thèmes initiaux, à travers des analyses plus directement contemporaines : la fonction du rêve, le cheminement du désir, l’obsession du pouvoir, la mise en cause du sacré par l’histoire et de l’histoire par la tragédie, de la tragédie par l’absurde et le grotesque. « Et encore : la situation de l’individu dans un monde où tout se dérobe, où les certitudes du passé sont battues en brèche par la modernité… »
Cette vision du monde est déjà largement politique à l’heure où le sacré, l’individuel, le naturel et le social sont appréhendés ensemble, sans le moindre ordonnancement. Comme le dit Peter Brook, l’œuvre shakespearienne ne propose pas une vision du monde, mais « est » simplement le monde. De là, la multiplication des discours contradictoires – marxistes, freudiens, démocrates, extrémistes, mystiques et matérialistes – concernant ces intrigues historiques engagées dans leur temps et que tous veulent s’approprier.
Shakespeare est à la fois éternel et…contemporain à l’extrême, dépasse le clivage des générations et  sait mettre en scène  l’homme aux prises avec les événements qui font l’Histoire, les passions, les violences et les malheurs. C’est une mise à l’épreuve existentielle, à travers laquelle l’homme rompt ou se plie pour renaître ailleurs, autre ou lui-même encore.
Aujourd’hui, les temps sont  difficiles – toujours et à jamais -, si l’on observe les crises et les guerres qui surgissent dans nombre de  pays. L’écart entre l’espoir et la déception est douloureux. Marienstras souligne qu’il ne faut surtout pas baisser la tête devant la difficulté d’un présent semé d’embûches.
Shakespeare  enseigne à nous émouvoir profondément de la souffrance comme à nous émerveiller de la grandeur : il nous rappelle ce que l’on peut exiger de l’homme et du monde, et ce que l‘on peut exiger de soi : sentiment des valeurs, pitié, passion et clairvoyance. Revisitons sans nous lasser Richard II, Timon d’Athènes, Le Roi Lear, La Tempête…
Tentons de suivre la roue de l’Histoire sur laquelle nous roulons. Elle ne mène pas forcément au malheur mais à la recomposition, pour le meilleur, de soi et du monde

Véronique Hotte

Éditions Gallimard

 

 

Frictions n° 19

Lectures

Le nouveau numéro (19) de la revue Frictions  s’ouvre par un édito de son rédacteur en chef, Jean-Pierre Han . Il y analyse finement les enjeux du théâtre actuel en brossant un « bref tableau de la situation du moment ». Il met le doigt où cela fait mal: en effet il y a souvent un fossé entre les difficultés d’une machine théâtrale qui se prétend à bout de souffle si l’on en croit les principaux protagonistes, riches ou pauvres mais englués dans le même système… et les luxueuses brochures de saison qui sont envoyées à plusieurs milliers d’exemplaires, bel exemple écologique!
Mais, comme le dit Jean-Pierre Han, la communication n’a pas de prix  dans  microcosme où tout le monde se félicite sans arrêt, dans les festivals célèbres comme dans les jeunes compagnies,  des résultats obtenus, quitte à tordre un peu le cou aux statistiques… Alors que l’on sait bien que le théâtre, tous genres confondus, ne se porte pas aussi brillamment que cela!
Il y a, entre autres,  au sommaire de ce numéro de Frictions particulièrement riche, une longue et belle conversation de Marie-José Malis avec Alexis Forestier qui s’était tenue au 104 dans le cadre du cycle Dix-neuf. Le metteur en scène y parle notamment de son travail sur La Divine Comédie de Dante et sur des textes de Kafka , pré-texte, dit-il,  » en ce sens  qu’il précède la venue d’une écriture scénique, dans lequel le texte intervient mais comme un élément parmi d’autres ».
Il y a aussi un petit glossaire Peer Gyntien, tout à fait savoureux d’Eugène Durif où l’écrivain parle à la fois des personnages d’Ibsen comme Ase  ou Anitra mais aussi de Lugné-Poé qui créa la pièce en France en 1896 et  de Jarry qui joua le rôle du Vieux de Dovre (le roi des Trolls).
Béatrice Hamidi-Kim, elle, analyse les raisons  pour lesquelles elle n’aime guère La Chambre froide de Joël Pommerat ni sa réception par le public. Affaire de goût et de politique. Le spectacle, selon elle, serait  de droite, ce qui reste à prouver.  » Parce qu’il postule, sans l’historiciser la banalité du mal comme condition de l’homme, et quand il la contextualise socialement, il en vient à entériner les hiérarchies et à justifier l’inégalité de l’ordre économique et social en place ».  Son principal reproche est que les personnages existent comme « des êtres flottants, hors sol social, culturel et politique ». Sic! Malgré ce verbiage, ceci n’est sans doute pas entièrement faux, et c’est une des faiblesses de la pièce. Mais, bon soyons sérieux, le but de Pommerat n’était sans doute pas de se livrer à une analyse sociologique de l’aliénation mais plutôt d’écrire comme une sorte de parabole théâtrale sur le pouvoir et le triomphe du mal…
Il y a aussi une réflexion quelque peu austère mais très dense  du philosophe et écrivain Alain Badiou sur les rapports entre les mathématiques et les arts, fondée sur une relecture de Platon et d’Aristote mais aussi de Wittgenstein. Badiou  évoque ainsi le mouvement vertigineux qui avant la guerre de 14 gagna aussi bien la peinture que l’algèbre , la physique que la musique, l’axiomatique que le roman, la logique formelle que la poésie.
Il faudrait aussi citer Les Paroles de Jean Vilar dont  on a fêté le centenaire de la naissance avec deux textes : celui d’une séance de travail que le Syndicat de la critique avait organisé en 1960, et de la même année , celui d’un colloque  dirigé par Georges Lerminier et André Boll où Jean Vilar, avec beaucoup de lucidité, parle de son expérience de « théâtre pour le peuple », comme il le disait, avec ses limites et ses contraintes techniques et administratives quand il faut remplir une salle de 2.500 places. Une belle leçon d’humilité…
D’un jeune comédien-auteur,  Xavier Carrar, signalons son deuxième texte paru aux Editions Lansman, La Bande, lauréat de l’inédi’Théâtre, une pièce courte mais très dense, aux dialogues finement ciselés sur le monde contemporain, du moins  tel que le vivent les jeunes gens. Il y a ainsi Tom, la vingtaine, plus adolescent mais pas vraiment adulte, qui traîne son mal-être et son obésité, Lilas une jeune femme, elle aussi, assez paumée et très agressive, JB, un petit chef de bande, et  un « interrogateur », ni vraiment flic ni vraiment éducateur… Bref, tout est dans l’axe pour ce genre de fait divers tragique, comme en connaissent les banlieues et dont la France n’a pas l’exclusivité. La langue de Carrar, sans doute influencée par Durrringer, est précise et cinglante et on ne peut lui souhaiter qu’un metteur en scène s’ intéresse à cette pièce.
A noter aussi, Histoires d’un vaurien, Fragments d’une Odyssée européenne de notre collaborateur Marc Tamet qui a récemment ait l’objet d’une lecture à la Bibliothèque polonaise de Paris, pièce parue récemment aux éditions Passage d’encres.

Philippe du Vignal

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