Shakespeare et le désordre du monde

Shakespeare et le désordre du monde  par   Richard Marienstras, avant-propos d’Élise Marienstras, textes édités et présentés par Dominique Goy-Blanquet..

 

Shakespeare et le désordre du monde dans analyse de livre 9782070138890-191x300Spécialiste de la littérature élisabéthaine, Richard Marienstras a publié sur Shakespeare des essais fameux, Le Proche et le Lointain (1981) et Shakespeare au XXI ème siècle (2000). Paraît aujourd’hui Shakespeare et le désordre du monde,un recueil posthume de l’auteur disparu en 2011, ouvrage poursuivi par  son épouse  et Dominique Goy-Blanquet.
Selon elle, les tragédies du grand Will parlent « du désordre du monde dont le mal qui est tapi en l’homme est responsable, de la Fortune et de l’Histoire qui font de l’homme leur jouet. » Toutefois, nulle complaisance dans la noirceur ou le cynisme total n’incline à la désespérance ni au désenchantement absolu, pense Richard Marienstras.
L’œuvre de Shakespeare ne cesse de fasciner son public – hier, aujourd’hui et demain – à travers des thèmes universels qui sont le lot de chacun : l’amour, le désir, la tromperie, la jalousie, la volonté de puissance, la peur de la mort, la fraternité virile, le courage, le crime et son châtiment.
Selon Marienstras, des motifs plus troublants encore, avec le temps, viennent s’ajouter à la séduction des thèmes initiaux, à travers des analyses plus directement contemporaines : la fonction du rêve, le cheminement du désir, l’obsession du pouvoir, la mise en cause du sacré par l’histoire et de l’histoire par la tragédie, de la tragédie par l’absurde et le grotesque. « Et encore : la situation de l’individu dans un monde où tout se dérobe, où les certitudes du passé sont battues en brèche par la modernité… »
Cette vision du monde est déjà largement politique à l’heure où le sacré, l’individuel, le naturel et le social sont appréhendés ensemble, sans le moindre ordonnancement. Comme le dit Peter Brook, l’œuvre shakespearienne ne propose pas une vision du monde, mais « est » simplement le monde. De là, la multiplication des discours contradictoires – marxistes, freudiens, démocrates, extrémistes, mystiques et matérialistes – concernant ces intrigues historiques engagées dans leur temps et que tous veulent s’approprier.
Shakespeare est à la fois éternel et…contemporain à l’extrême, dépasse le clivage des générations et  sait mettre en scène  l’homme aux prises avec les événements qui font l’Histoire, les passions, les violences et les malheurs. C’est une mise à l’épreuve existentielle, à travers laquelle l’homme rompt ou se plie pour renaître ailleurs, autre ou lui-même encore.
Aujourd’hui, les temps sont  difficiles – toujours et à jamais -, si l’on observe les crises et les guerres qui surgissent dans nombre de  pays. L’écart entre l’espoir et la déception est douloureux. Marienstras souligne qu’il ne faut surtout pas baisser la tête devant la difficulté d’un présent semé d’embûches.
Shakespeare  enseigne à nous émouvoir profondément de la souffrance comme à nous émerveiller de la grandeur : il nous rappelle ce que l’on peut exiger de l’homme et du monde, et ce que l‘on peut exiger de soi : sentiment des valeurs, pitié, passion et clairvoyance. Revisitons sans nous lasser Richard II, Timon d’Athènes, Le Roi Lear, La Tempête…
Tentons de suivre la roue de l’Histoire sur laquelle nous roulons. Elle ne mène pas forcément au malheur mais à la recomposition, pour le meilleur, de soi et du monde

Véronique Hotte

Éditions Gallimard

 

 


Archives pour la catégorie analyse de livre

Frictions n° 19

Lectures

Le nouveau numéro (19) de la revue Frictions  s’ouvre par un édito de son rédacteur en chef, Jean-Pierre Han . Il y analyse finement les enjeux du théâtre actuel en brossant un « bref tableau de la situation du moment ». Il met le doigt où cela fait mal: en effet il y a souvent un fossé entre les difficultés d’une machine théâtrale qui se prétend à bout de souffle si l’on en croit les principaux protagonistes, riches ou pauvres mais englués dans le même système… et les luxueuses brochures de saison qui sont envoyées à plusieurs milliers d’exemplaires, bel exemple écologique!
Mais, comme le dit Jean-Pierre Han, la communication n’a pas de prix  dans  microcosme où tout le monde se félicite sans arrêt, dans les festivals célèbres comme dans les jeunes compagnies,  des résultats obtenus, quitte à tordre un peu le cou aux statistiques… Alors que l’on sait bien que le théâtre, tous genres confondus, ne se porte pas aussi brillamment que cela!
Il y a, entre autres,  au sommaire de ce numéro de Frictions particulièrement riche, une longue et belle conversation de Marie-José Malis avec Alexis Forestier qui s’était tenue au 104 dans le cadre du cycle Dix-neuf. Le metteur en scène y parle notamment de son travail sur La Divine Comédie de Dante et sur des textes de Kafka , pré-texte, dit-il,  » en ce sens  qu’il précède la venue d’une écriture scénique, dans lequel le texte intervient mais comme un élément parmi d’autres ».
Il y a aussi un petit glossaire Peer Gyntien, tout à fait savoureux d’Eugène Durif où l’écrivain parle à la fois des personnages d’Ibsen comme Ase  ou Anitra mais aussi de Lugné-Poé qui créa la pièce en France en 1896 et  de Jarry qui joua le rôle du Vieux de Dovre (le roi des Trolls).
Béatrice Hamidi-Kim, elle, analyse les raisons  pour lesquelles elle n’aime guère La Chambre froide de Joël Pommerat ni sa réception par le public. Affaire de goût et de politique. Le spectacle, selon elle, serait  de droite, ce qui reste à prouver.  » Parce qu’il postule, sans l’historiciser la banalité du mal comme condition de l’homme, et quand il la contextualise socialement, il en vient à entériner les hiérarchies et à justifier l’inégalité de l’ordre économique et social en place ».  Son principal reproche est que les personnages existent comme « des êtres flottants, hors sol social, culturel et politique ». Sic! Malgré ce verbiage, ceci n’est sans doute pas entièrement faux, et c’est une des faiblesses de la pièce. Mais, bon soyons sérieux, le but de Pommerat n’était sans doute pas de se livrer à une analyse sociologique de l’aliénation mais plutôt d’écrire comme une sorte de parabole théâtrale sur le pouvoir et le triomphe du mal…
Il y a aussi une réflexion quelque peu austère mais très dense  du philosophe et écrivain Alain Badiou sur les rapports entre les mathématiques et les arts, fondée sur une relecture de Platon et d’Aristote mais aussi de Wittgenstein. Badiou  évoque ainsi le mouvement vertigineux qui avant la guerre de 14 gagna aussi bien la peinture que l’algèbre , la physique que la musique, l’axiomatique que le roman, la logique formelle que la poésie.
Il faudrait aussi citer Les Paroles de Jean Vilar dont  on a fêté le centenaire de la naissance avec deux textes : celui d’une séance de travail que le Syndicat de la critique avait organisé en 1960, et de la même année , celui d’un colloque  dirigé par Georges Lerminier et André Boll où Jean Vilar, avec beaucoup de lucidité, parle de son expérience de « théâtre pour le peuple », comme il le disait, avec ses limites et ses contraintes techniques et administratives quand il faut remplir une salle de 2.500 places. Une belle leçon d’humilité…
D’un jeune comédien-auteur,  Xavier Carrar, signalons son deuxième texte paru aux Editions Lansman, La Bande, lauréat de l’inédi’Théâtre, une pièce courte mais très dense, aux dialogues finement ciselés sur le monde contemporain, du moins  tel que le vivent les jeunes gens. Il y a ainsi Tom, la vingtaine, plus adolescent mais pas vraiment adulte, qui traîne son mal-être et son obésité, Lilas une jeune femme, elle aussi, assez paumée et très agressive, JB, un petit chef de bande, et  un « interrogateur », ni vraiment flic ni vraiment éducateur… Bref, tout est dans l’axe pour ce genre de fait divers tragique, comme en connaissent les banlieues et dont la France n’a pas l’exclusivité. La langue de Carrar, sans doute influencée par Durrringer, est précise et cinglante et on ne peut lui souhaiter qu’un metteur en scène s’ intéresse à cette pièce.
A noter aussi, Histoires d’un vaurien, Fragments d’une Odyssée européenne de notre collaborateur Marc Tamet qui a récemment ait l’objet d’une lecture à la Bibliothèque polonaise de Paris, pièce parue récemment aux éditions Passage d’encres.

Philippe du Vignal

Le Monde de Jean Vilar n° 113 des Cahiers Jean Vilar

Le Monde de Jean Vilar n° 113 des Cahiers Jean Vilar (1).

  Le Monde de Jean Vilar n° 113 des Cahiers Jean Vilar  dans actualites Capture-d%E2%80%99%C3%A9cran-2012-07-09-%C3%A0-13.46.35Le Festival d’Avignon, ce n’est pas seulement des spectacles de  théâtre et de danse mais aussi depuis toujours des expositions. La Semaine d’art en Avignon en 1947, premier nom du festival,  proposée par Christian et Yvonne Zervos, comportait déjà une exposition d’art moderne ( Giacometti, Arp, Chagall, Gris, Léger, entre autres…, et on se souvient de celle de Picasso au Palais des Papes en 74. Cette année sera marquée par  l’installation/performance de Sophie Calle cette année dans l’église des Célestins, d’une grande beauté mais, à la limite du supportable, dont vous rendra compte Jean Couturier. Et surtout celle consacrée à Jean Vilar pour la centième anniversaire de sa naissance à l’Hôtel de Mons devenu Maison Jean Vilar.
Agnès Varda en 67 avait déjà présenté une belle exposition dans la chapelle Saint-Charles d’Avignon avec des photos des spectacles et de la vie de ce que fut le Théâtre National Populaire à Chaillot. Dont les fameuses lettres T.N.P. , créées par  le grand graphiste Jacno- qui, on le sait moins fut aussi le créateur du célèbre paquet des Gauloises bleues lui avaient inspirées par  celles des affiches de la Révolution française et qui étaient la marque de la maison. Nous avions retrouvé – quelle émotion!- traînant, poussiéreuse mais intacte, sur une étagère d’un sous-sol du théâtre, une petite bande plastique- sans valeur marchande mais témoignage émouvant- qui servait à marquer les caisses et les malles des tournées… Avant lesquelles, en patron lucide et prévoyant, il avertissait ceux qui partaient avec lui: « Noubliez pas que, là-ba, vous allez représenter la France ».
  En préalable logique à  celle d’Avignon, un exposition  se tient aussi à Sète au  premier étage de la maison qui l’a vu naître au 13 rue Gambetta et qui abritait la boutique de mercerie de ses parents, avec de très nombreuses photos et des vidéos des spectacles du T.N.P. Son père qui n’avait pas pu faire d’études  secondaires car il avait dû servir de commis à la boutique, qui acheta de nombreux livres pour lire en autodidacte les classiques dont il avait été frustré.
  A la Maison Jean Vilar, en fait, c’est tout le parcours du jeune homme sétois, pauvre, seul  et un peu désemparé quand, à vingt ans, il débarque de Sète  à Paris et devint pion au collège Sainte-Barbe. Sète qu’il ne reniera jamais… Il ne ne se destinait pas à l’origine au théâtre. Passionné d’écriture, il écrivit quand même une pièce Dans le plus beau pays  du monde quand il avait 27 ans, mais qu’il ne monta jamais mais à laquelle il travaillait encore quelques mois avant sa mort en 71.
Il y a quelques véritables éléments de décor du T.N.P. dans un salle, et 18 oriflammes, ceux du T.N.P., isnpirés de ceux des fêtes de Sète pour évoquer les personnalités de ceux qui l’entourèrent: Charls Dullin son maître, René Char, Gérard Philipe, Maurice Béjart, Maria Casrès, Georges Wilson…  de grands panneaux avec  de nombreuses photos et vidéos, mais aussi  toute une  correspondance, notamment celle inédite avec son épouse André Schlegel, et de formidables documents, comme ces notes de service où il manifestait selon les jours les colères ou les enthousiastes du patron d’un grand théâtre, véritablement obsédé par la présence du public.
 Comme Savary qui, à ses débuts, joua tout ému dans les collants noirs de Vilar donnés au Grand Magic Circus; il lui succèda quelque quarante ans plus tard et  quotidiennement, jetait un œil sur l’ordinateur pour voir où l’état des réservations. C’est une chose que l’on oublie souvent mais quand la grande Jeanne Laurent lui confia la direction de Chaillot, c’était plus de deux mille places qu’il fallait remplir, et par une de ces aberrations dont l’Etat français a le monopole, Vilar était responsable sur ses biens propres… Lui qui ne possédait qu’un modeste appartement ! Et ce n’est qu’en 69 que l’Etat accordera enfin des statuts dignes de ce nom au T.N.P.!
Chaillot, c’était aussi une grande équipe de techniciens dirigée par Maurice Coussonneau et Camille Demangeat qui faisaient marcher cette énorme boutique et qui ne comptaient ni leur temps ni leur énergie. Et c’est Pierre Saveron dont il y a un beau témoignage qui inventa les fameux éclairages blancs des spectacles de Vilar, ce qui était révolutionnaire à l’époque et qui dirigea une importante équipe , dont ce vieil électricien qui, devenu veuf, travaillait encore un peu dans les années 90, attaché qu’il était à sa maison; il lui avait inventé, sans déposer aucun brevet, un projecteur à volets, donc capable de faire brutalement le noir… invention ensuite copiée dans le monde entier! Et le chef-accessoiriste de Vilar nous racontait que les veilles de générale,quand les répétitions finissaient trop tard pour reprendre le métro, nombre d’entre eux dormaient dans les loges. C’était aussi cela le  Chaillot des années 50, doté aussi d’une équipe administrative exceptionnelle dont Jean Vilar sut s’entourer: Jean Rouvet, ancien instituteur et inspecteur de la jeunesse et des sports,  Robert Doizon, Chrystel d’Ornjehlm et Sonia Debauvais… et indispensable, sans laquelle le T.N.P. n’aurait jamais pu fonctionner. Ce que montre bien l’expo, c’est un Vilar à la fois solitaire et avide de rencontres et d’amitiés, « doutant de tout et de lui-même, sauf de la légitimité de son action  » comme l’écrit Jacques Lassalle dans la belle préface  dans ce numéro des Cahiers Jean Vilar.
 C’est un numéro exceptionnel de qualité dont le rédacteur en chef est Rodolphe Fouano et le directeur de rédaction Jacques Téphany qui  retrace les années de Vilar à l’école de Charles Dullin où il fut le condisciple de Jean-Louis Barrault,  d’Alain Cuny,  Madeleine Robinson, Marguerite Jamois. Il rappelle-t-il, que Dullin fut l’un des premiers, en 1938, à fournir à Daladier un projet sur la décentralisation. Téphany, dans un autre article, souligne aussi, et avec raison l’importance de l’amitié qu’eut René Char pour la mise en place du festival. Comme celle de Georges Pons, maire communiste élu en 45, homme exceptionnel qui dut reconstruire sa ville bombardée, et  qui fit voter par sa conseil municipal les indispensables subventions pour équilibrer le budget du festival qui n’était pourtant pas à l’époque l’énorme machine qu’il est devenu…
Il y a aussi un article important écrit par Marion Denizot consacré à la  visionnaire Jeanne Laurent, sous-directrice aux Beaux-Arts, inconnue du grand public,  qui nomma Vilar à la tête de Chaillot en 51. Décision absolument capitale dans l’histoire du théâtre français et européen. Nous nous souvenons que dans les années 70, il y avait eu une sorte de débat au Théâtre de l’Odéon avec tout le gratin de la profession. Et une dame pas très jeune avait fait remarquer à l’un des intervenants qu’il commettait une erreur. Et comme elle avait l’air de bien savoir de quoi elle parlait, le modérateur lui avait demandé qui elle était. Et elle avait répondu: « Je suis Jeanne Laurent ». Et toute la salle s’était alors levée et l’avait longuement applaudie.
 La précédente livraison des Cahiers Jean Vilar (n°112 de mars 2012) comprenait déjà les lettre à son épouse. Ici, on trouve celles de l’époque 1948-71 année de sa mort qui ne sont pas publiées dans leur intégralité quand elle sont trop intimes. C’est un autre Vilar, que l’on découvre, grâce à ses deux fils Stéphane et Christophe, père attentif à la scolarité de ses trois enfants. » Stef, je t »en supplie, je n’accepterai jamais que tu retournes en sixième! J’aurais honte! « 
 Il y a des photos émouvantes de la famille à Sète dont ne restent que ses deux fils Mais il parle aussi de ses tournées dans le monde avec ses comédiens, au Québec comme à Berlin, Prague, Zagreb, ou dans  la Grèce d’Epidaure et de Delphes où il découvre, « à travers la terre et le ciel » son cinquième siècle.. ou encore en Italie au Piccolo. Datée de 60, une lettre, Vilar parle de des ennuis financiers quand  Malraux, alors Ministre de la Culture, se montre plutôt pingre avec le T.NP. et Vilar de conclure:  » Un théâtre populaire? A la vérité, ça les ennuie. ou alors il leur faut des idées mirobolantes ». Il faudrait tout citer de cette correspondance passionnante.
Il y a aussi des articles sur les grandes figures du T.N.P.: Gérard Philippe, Maria Casarès, Georges Wilson  qui succéda à Vilar à Chaillot et Paul Puaux au Festival d’Avignon.
  Le numéro se termine par deux articles de Rodolphe Fouano: Un écrivain contrarié où il parle notamment de sa pièce Dans le plus beau pays du monde (2),  mais aussi  de ses autre écrits théoriques comme De la Tradition théâtrale paru à l’Arche en 55. Jacques Lassalle dit avec juste raison que l’on y découvre »un Vilar avant d’avant Vilar ». Ce n’est sans doute pas une grande pièce mais l’on sent aussi que ce n’est pas la pièce de n’importe qui Il aurait passionnément voulu devenir écrivain et surtout dramaturge et c’est vrai qu’il adapta de nombreux textes, comme La Paix d’Aristophane, Le Prix des ânes d’après Plaute, etc… Et qu’il se mit en tête de trouver des auteurs contemporains, dès qu’il commença à faire de la mise en scène. Sans jamais vraiment y arriver, mais diriger Chaillot, dans des conditions souvent dures et le Festival d’Avignon ne lui en laissaient guère de temps. Mais il n’a pas non plus délégué cette charge à l’un de ses collaboorateurs! Comprenne qui pourra
Il y a enfin un court article de Rodolphe Fouano sur Bref, le journal  du T.N.P. (3)qui était la courroie de liaison avec les spectateurs, indispensable pour l’époque, et qui , encore aujourd’hui, est une mine de renseignements sur la vie d’un grand théâtre et sur la sociologie de son  public.

Philippe du Vignal

1) Le Monde de Jean Vilar: l’exposition qui a été présentée à la Maison Jean Vilar sera aussi visible dans le grand Foyer du Théâtre National de Chaillot du 10 octobre au 13 décembre (Entrée libre).
 Le  N° 113 des Cahiers Jean Vilar est disponible en librairie: 7,50 euros.
2) Publiée à l’Avant-Scène Théâtre.
3) De nombreux numéros sont encore disponibles à la vente auprès de l’Association Jean Vilar. Maison Jean Vilar Montée Paul Puaux 8 rue de Mons 84000 Avignon T: 04-90-86-59-64.

Des théâtres populaires. Afrique, Amérique, Asie, Europe

Des théâtres populaires. Afrique, Amérique, Asie, Europe – Horizons/Théâtre n° 01

Directeur de la publication : Omar Fertat – Rédacteur en chef : Pierre Katuszewski

Textes de Catherine Capdeville-Zeng, Nathalie Coutelet, Marion Denizot, Omar Fertat, Pierre Katuszewski, Sélom Komlan Gbanou, Dominique Paquet, Baptiste Pizzinat, Zane Purmale, Hélène Rannou, Joubert Satyre.

 

Des théâtres populaires. Afrique, Amérique, Asie, Europe  dans analyse de livre 1157C’est une revue nouvelle-née, portée par un collectif, à partir des échanges qui s’étaient noués autour d’André-Gilles Bourassa, universitaire canadien aujourd’hui disparu, engagé dans la défense de la langue française et créateur du site Théârales, en 95.

La définition de cette aventure intellectuelle et éditoriale, selon Omar Fertat, directeur de la publication, repose sur l’interculturalité et le métissage. Elle vise à dépasser l’eurocentrisme qui souvent enferme et propose décloisonnement et transversalité. Les numéros se construisent autour d’une thématique. Le coup d’envoi est donné avec Des Théâtres populaires, qui nous font voyager dans le temps, à partir de l’expérience française et sur tous les continents.

De France, plusieurs entrées de réflexion : un point de départ fin XIXè, avec Maurice Pottecher qui crée son Théâtre du Peuple à Bussang et Copeau, qui travaille avec sa troupe des Copiaus en Bourgogne ; les débuts du TNP de Vilar dans les années 50, l’institutionnalisation du théâtre public et la manière dont la culture cimente la Nation. La définition donnée du théâtre populaire et du théâtre prolétarien souligne la confusion entre les deux notions : « Le théâtre populaire se veut une école de civisme et de culture, le théâtre prolétarien tente de propager un credo politique, au sens restreint du terme. Tous deux, néanmoins, assument leurs aspects didactiques, liés à leurs aspirations politiques ».

Deux expériences de théâtre sont ensuite présentées, qui illustrent la démarche de démocratisation culturelle, mise en œuvre sur le terrain : Le Théâtre du Peuple au Havre, un théâtre d’art social ou comment instruire en se distrayant, avec la création d’une Maison du Peuple en 1907, projet proche du syndicalisme révolutionnaire qui s’éteindra avec la première guerre mondiale ; Le Théâtre sur la Place, à Bordeaux de 1962 à 1972, créé dans l’esprit de l’éducation populaire et animé par Raymond Paquet.

La suite de l’ouvrage met le projecteur sur les expressions théâtrales singulières de certains pays, démontrant la subversion du théâtre, lieu de résistance et de contre pouvoir. Toutes sont basées sur la notion de collectif, cherchent de nouvelles formes et de nouveaux langages, vont à la rencontre des publics et au plus près des gens, conquièrent leur liberté de parole et d’expression.

Ainsi en Argentine, le Libre Teatro Libre, créé en 1969 par Maria Escudero que rejoint Pepe Robledo et auquel s’associera plus tard Pippo Delbono, se fait le porte-parole de revendications économiques et sociales, avant de se trouver dans la spirale du coup d’Etat militaire, début 76, de connaitre l’exil, puis de se dissoudre après ces années de résistance et d’utopie.

Le théâtre Haïtien, qui joue de toutes les clôtures (importé de France au début du XIXè siècle, réservé à une petite élite de Port-au-Prince, espace scénique fermé et public captif, le français pour langue d’expression) eut du mal à dépasser ces barrières symboliques et retrouver ses racines. C’est au début du XXè siècle qu’il commence à s’imprégner des mythes et de la vie quotidienne d’Haïti, à mettre le créole sur scène et puiser dans le vaudou, donnant naissance au théâtre populaire, dans le sillage du mouvement littéraire nommé Indigénisme. Le carnaval, considéré comme une des formes du théâtre populaire, lui emboite le pas, dont le rara, un carnaval rural.

En Côte d’Ivoire, l’influence de Césaire, avec La Tragédie du Roi Christophe et la figure du rebelle qu’il développe dans son oeuvre, donne libre cours à l’invention de Gohou, personnage inspiré du Guignol lyonnais « archétype de cette nouvelle figure charismatique de l’Afrique postcoloniale tel que l’actualité politique le laisse transparaître », présenté dans une création téléthéâtrale, Abidjan, coup d’Etat.

Les mutations du théâtre populaire au Maroc sont ensuite évoquées : formes traditionnelles pratiquées par les populations locales tout d’abord ; apports de l’Occident ensuite, avec André Voisin comme médiateur, essayant de « faire que la technique théâtrale importée vienne féconder un folklore marocain qui paraissait être sa source » ; enfin, dans les années 80, un théâtre de farce ou plutôt de boulevard, pièces en dialecte marocain, de qualité très moyenne. L’auteur met ensuite l ‘accent sur deux formes traditionnelles spécifiquesqu’il présente : Le lbsat, rite spectaculaire et satirique du XVIIIè siècle, proche des cortèges carnavalesques. Les souverains marocains s’y intéressaient de près car « il constituait une sorte de thermomètre de la situation économique, politique, sociale et culturelle de la société ». La halqa ou théâtre de rue, pour certains « berceau du théâtre marocain » dont il existe plusieurs formes, l’une étant qualifiée de théâtre populaire : le public forme cercle autour de l’artiste aux multiples talents (conteur, musicien, danseur, acrobate, magicien) qui l’apostrophe et le fait participer.

Côté Asie, la Chine, traditionnellement, séparait l’espace officiel de l’espace du peuple, deux sources de légitimité qui ont toujours oscillé « entre attirance et répulsion, soutien et interdiction, contrôle et ouverture ». Le théâtre appartient à l’espace du peuple, lié aux communautés. Trois sortes de troupes indépendantes, donc non officielles, dans trois provinces distinctes du pays, sont présentées. Elles ont sillonné les campagnes pour jouer, bien loin des troupes officielles des grandes villes : Les troupes-flambeaux huoba jutuan de la province de Sichuan, jouant clandestinement les pièces interdites du répertoire traditionnel, pendant la révolution culturelle ; La troupe Fleuve Jaune Puju de la ville de Ruicheng, province de Shanxi qui donne des représentations pendant les temps morts agricoles ; la troupe de théâtre d’ombres de Yutian, province du Hebei, qui donnait des spectacles pour accompagner les événements de la vie (mariage, enterrements, remerciements, demande de pluie, maladie etc.). Le théâtre d’ombres avait un aspect exorciste, prophylactique et religieux, mais la technique s’est dégradée avec la modernisation et notamment par l’arrivée du cinéma.

Le théâtre populaire Yiddish d’Europe de l’Est, premier du genre en langue yiddish, créé par Avrom Goldfaden, voit le jour à Iasi, Roumanie, à la fin du XIXè. Il puise son inspiration dans la culture commune de nombreuses sources : textes de la tradition, du folklore, récits hassidiques, mais aussi airs d’opéra, chansons, danses etc. Il re-pose la fonction du théâtre par le biais de la métathéâtralité, avec notamment la présence de fantômes, comme personnages.

En Lettonie, longtemps restée société paysanne, les Théâtres du peuple (Tautas teatris), phénomène spécifiquement national, voient le jour. Ce sont des théâtres amateurs dirigés par un metteur en scène professionnel, si féconds qu’ils concurencent parfois le théâtre professionnel. La parole y est donnée à l’homme ordinaire, permettant au public, identification et catharsis. Le théâtre fut, en Lettonie, un lieu de résistance silencieuse face à l’occupation soviétique.

Ce tour du monde des formes théâtrales populaires inscrites dans le n°1 de la revue Horizons, qui porte bien son nom, aiguise la curiosité. L’éclectisme qui s’en dégage, dû à l’Histoire de chacun des pays, aux traditions ancestrales, aux combats menés pour la liberté d’expression et la justice sociale, donne à l’ensemble une belle énergie.

Qu’elles utilisent la satire ou la ruse, la provocation ou la résistance silencieuse, la parole politique travestie ou la harangue, ces formes théâtrales, ancrées dans la réalité du quotidien, osent tout. Archétypes, elles portent le collectif, se structurent et se régénèrent, s’enrichissent au fil du temps et des libertés gagnées. La parole donnée à travers ces articles, participe de ce « besoin douloureux et muet d’une réorganisation de toute la figure du monde » comme le dit si justement Michel Butor, dans son Génie du lieu.

Brigitte Rémer

Revue d’Etudes Théâtrales éditée par les Presses Universitaires de Bordeaux, Université Michel de Montaigne, Bordeaux 3, en collaboration avec le Théâtre National de Bordeaux en Aquitaine, Mars-Septembre 2012.

Théâtres politiques (en) Mouvement (s)

Théâtres politiques (en) Mouvement (s), Textes édités par Christine Douxami, de Daniela Maria Amoroso, Christophe Annoussamy, Marine Bachelot, Marion Denizot, Christine Douxami, Julie de Faramond, Michel Fartzoff, Clare Finburgh, Silvana Garcia, Laure Garrabé, Marjorie Gaudemer, Bérénice Hamidi-Kim, Stéphane Hervé, Philippe Ivernel, Shwan Jaffar, Brigitte Joinnault, Héliane Kohler, Jean-Marc Lachaud, Ophélie Landrin, Martine Maleval, Anne Monfort et Serge Nail, Olivier Neveux, Eleni Papalexiou, Dominique Traoré.

Théâtres politiques (en) Mouvement (s) dans analyse de livre 1ere-Couv-Theatres-petiteCet ouvrage présente  de nombreux  concepts et  réalités, des géographies diverses, et cherche ses définitions : théâtre engagé, militant, ethnique, populaire, de résistance ou de dénonciation. Christine Douxami, maître de conférences en Arts du spectacle à l’Université de Franche Comté et chercheuse à l’EHESS s’intéresse particulièrement aux théâtres noirs du Brésil, des Afrique(s), de la diaspora ainsi qu’aux théâtres populaires du monde lusophone, une vingtaine de chercheurs donnent leur angle de vue sur le lien entre théâtre et politique.

La première partie De l’expérience passée aux concepts actuels, traverse le temps. Elle a pour point de départ la tragédie grecque qui, par sa mise à distance de la politique permet « une réflexion sur le politique et sa valeur dans la vie des hommes ».

Puis le XXè siècle déroule ses étapes les plus significatives : sous la IIIè République, le théâtre est outil de propagande pour les militants révolutionnaires qui détournent la censure, avec habileté. Dans les années vingt, en France comme à Weimar, l’agit-prop construit son vocabulaire, l’allégorie en fait partie. Oswald de Andrade, chef de file de la philosophie anthropophage au Brésil, s’en empare.
L’impact de mai 68 sur la création théâtrale en France, qui investit la rue, les usines, les places et les cafés, est ensuite au cœur du sujet. L’après 68 ouvre sur les expressions militantes de groupes amateurs, sur le théâtre d’intervention. La notion d’engagement et l’insertion du vécu y priment.
La dépolitisation du champ social et théâtral transforme ensuite les « dramaturgies du combat » en « dramaturgies du constat » avec l’émergence de nouvelles formes, comme le théâtre du témoignage ou le théâtre documentaire.
Placés sous le signe de la fascination et de la défiance réciproques, les termes de l’échange entre théâtre et politique se déclinent en trois temps : le refus de l’intervention publique au XIXè ; l’appel à l’Etat avec Romain Rolland qui accompagne la naissance du théâtre populaire ; la réconciliation, et l’émergence du concept de théâtre public sous l’égide de Jeanne Laurent qui structure l’intervention publique, dans le respect de la liberté de l’artiste.
La seconde partie, Nouvelles revendications et enjeux artistiques du théâtre politique propose un tour du monde des théâtres engagés et politiques. L’exil, la quête identitaire, la voix des minorités, les revendications, le multiculturalisme, en sont les mots clés.
Les chicanos mexicains, s’inspirent du célèbre théâtre d’intervention El Campesino et développent les méthodes du théâtre spontané, les performances et installations ; ils font revivre les figures légendaires mexicaines et explorent les relations entre Mexique et Etats-Unis. Les formes populaires du Brésil, comme le cavalo-marinho de l’Etat du Pernambuco, au nord-est dont Recife est capitale, témoignent de la tradition spectaculaire jouée par les travailleurs de la canne à sucre qui associent danse, jeu d’acteur et musique ; comme celle de la Samba-de-Roda, de la région de Bahia qui mêle les notions de diaspora africaine et de modernité ou encore comme la démarche du Théâtre du Vertige, qui inscrit ses spectacles dans la topographie de Sao Paulo. La problématique des émigrés indo-pakistanais dans leur recherche d’identité, en Grande-Bretagne et le reflet qu’ils donnent de la société anglaise est évoquée, ainsi que la représentation du terrorisme dont se sont emparés les artistes, en écho au 11 septembre. Le théâtre kurde d’Irak, – hérité du Tazieh, forme rituelle et religieuse – bien ancré dans une tradition théâtrale en mouvement, mène ses combats. Les enjeux des dramaturgies africaines et la question de l’engagement sont posés. Enfin, l’influence du théâtre grec dans la parole pasolinienne, forme rituelle idéale, provocatrice et radicale, sont autant d’éléments rassemblés et nourrissent la réflexion sur le concept du politique dans le théâtre.
De nombreux exemples de pièces, expressions théâtrales et compagnies engagées dans l’énonciation et la dénonciation des oppressions, la défense des libertés, des minorités, des exilés, maillent cet ouvrage de référence qui couvre un champ des plus vastes. Cette belle somme de travail, interroge la subversion et témoigne d’alliances et mésalliances entre l’art théâtral et le politique, dont Piscator et Meyerhold furent les précurseurs. La diversité des formes populaires dont elle témoigne, urbaines et rurales, issues d’espaces géographiques, historiques, politiques et poétiques si différents, parle de démocratisation culturelle. Les périodes agitées sont propices, comme le dit Jacques Rancière, à « une forme de circulation entre les pratiques de la performance artistique et celles de l’action politique ».
Un DVD accompagne la publication : lectures, petites formes et performances sont les traces des travaux présentés lors du Colloque international de l’Université de Franche-Comté qui s’était tenu en avril 2007, sur le thème Théâtres politiques.

 

Brigitte Rémer

Ouvrage publié avec le concours du Centre Jacques-Petit, du Pôle Arts de l’Université de Franche-Comté, du Conseil Régional de Franche-Comté. Editions Presses universitaires de Franche-Comté, Les Cahiers de la MSHE Ledoux,
Collection Normes, Pratiques et Savoirs n°6, et DVD réalisé par Philippe Degaille.

 

Le Chasseur et le gibier

Le Chasseur et le gibier, Notes sur le théâtre de David Mamet, traduction de l’anglais de Marie Pecorari.

 

Le Chasseur et le gibier dans analyse de livre 41hVtBlZQqL._SL500_AA300_

Dans ce petit livre iconoclaste, Mamet nous met  en garde : « Un certain nombre d’observations et de suggestions présentées dans cet ouvrage pourraient passer pour hérétiques ».
Vingt-six chapitres, séquences, ou articles, appelés
essais, indépendants les uns des autres évoquent d’emblée, le théâtre (Le foyer des artistes, Mettre en scène au théâtre, La culture théâtrale, Le metteur en scène comme illusion), ou sont plus opaques  (La Vrille fatale, Instincts de Chasse, La Cabine de bains). Décodage à la libre appréciation du lecteur…


Russe, Mamet  est venu  étudier et travailler aux Etats-Unis, mais  se réfère à  Stanislavski et sa méthode, ainsi qu’à Meyerhold, et  Tchekov dont il s’est nourri. Il cite aussi son professeur américain Sandford Meisner du Group Theatre, évoque Broadway  dont le public va au théâtre comme on va au parc d’attraction. Pour lui, « L’acteur stanislavskien, l’acteur meisnerien ou l’acteur de la Méthode n’existent pas. Il y a des acteurs (plus ou moins doués) et des non-acteurs ». Il survole en cent dix huit pages l’écriture, la formation, l’acteur, la mise en scène et les publics, sa pensée est dispersée, voire pointilliste. S’il insiste sur la notion de plaisir que recherche le spectateur, il milite pour l’appel à l’imagination, démonte les mécanismes de la construction dramatique, de l’apprentissage, du jeu, du spectacle, sans grande révélation ni véritable argumentation.
Ainsi le parallèle assez nébuleux qu’il fait avec la chasse : « C’est là le paradoxe évident de l’écriture dramatique. Il ne s’agit pas de communiquer des idées, mais plutôt d’inculquer au public les instincts de chasse. Ces instincts précèdent et, dans les moments de stress, se substituent au processus verbal ; ils sont spontanés et plus puissants que l’assimilation d’une idée ». Pour lui, la fable est essentielle et le dramaturge « doit faire en sorte que le public se demande ce qui va arriver ensuite ».

Plus intéressante, sa réflexion sur les liens entre théâtre et tendances totalitaires: il rappelle que Stanislavski vécut sous la dictature du Tsar  puis des Bolcheviks et que « sa capacité à mettre en scène des œuvres douées d’un véritable contenu – c’est-à-dire des œuvres traitant des fondations de la vie humaine : la perte, le désir, la peur, l’avidité, et de leurs conséquences – était limitée par les interventions à la fois réelles et potentielles de la censure ».
Le théâtre doit-il être politique? « Absolument pas, dit-il,  le travail du théâtre, c’est d’enquêter sur la condition humaine. Celle-ci est tragique : nous sommes condamnés par notre nature même ; et comique, nous sommes condamnés par notre nature même, mais la grâce existe ». Sa recension des grandes pièces américaines « qui ont aussi en commun un attachement à la forme dramatique » est bien courte,  ce qui lui permet un mouvement de balancier entre poésies dramatiques et chefs-d’œuvre poétiques.


Pour Mamet, le thème de la formation tourne en boucle : « Au-delà des conseils prodigués à l’acteur (corriger sa diction et sa posture, se tenir tranquille, dire son texte, éviter de gesticuler, et avoir une idée générale de la nature de la scène), un professeur ne peut rien faire et un metteur en scène pas beaucoup plus. Le professeur de l’acteur, après, c’est le public, qui dispensera des leçons rapides, brutales et sans appel ».
Et il insiste : «la majorité des apprentis-acteurs n’apprendra jamais à jouer ». L’acteur sera inné ou ne sera pas. Il reçoit un don « qu’il faut respecter et que, dans une large mesure, il ne contrôle pas ». Son vrai talent et vrai travail « c’est d’habiter – quel que soit le sens qu’ait l’expression pour lui – le rôle. Rester tranquille et dire le texte afin de parvenir à s’approcher de l’objectif indiqué par l’auteur. C’est tout ». L’art de la scène ne s’apprend donc « que sur scène, face à (devant) un public payant ». Le pédagogue conseille aux acteurs « d’enchaîner », de « ne jamais s’excuser lors des saluts », de « ne pas rire, ne pas pleurer », et de…« toujours avoir son portefeuille sur soi ».

Puis c’est au tour du metteur en scène d’être haché menu : « Les acteurs laissés à eux-mêmes sont généralement des metteurs en scène supérieurs à ceux dont c’est le métier, à quelques exceptions près. Pourquoi ? Parce que les acteurs n’oublient jamais ce dont la plupart des metteurs en scène ne prennent jamais conscience : que le but de la mise en scène est d’attirer l’attention du public sur celui qui parle ». La tâche du bon metteur en scène, dit-il, « revient alors à diriger l’attention du public à l’aide de la disposition des acteurs, de la vitesse et du rythme de la présentation ».

Le metteur en scène ressemble davantage à un entraîneur qu’à un chorégraphe, « un malaise autodestructeur s’emparera de l’acteur s’il se lance dans un discours théorique ou alambiqué », et il parle de l’inutilité générale des répétitions. « Telle qu’elle est généralement pratiquée en Occident, la répétition est une forme accoutumante de thérapie de groupe », qui renvoie à la confession collective, aspect essentiel du Parti Communiste américain ». C.q.f.d. : « Je crois que la mise en scène ressemble beaucoup à l’écriture : il s’agit de raconter une histoire. Quand on écrit, on se sert des mots. Quand on met en scène, on se sert des acteurs qui se servent des mots ».


Le public lui : « ne demande qu’à être diverti ». Et Mamet évoque deux conditions qu’il doit remplir pour qu’il y ait échange théâtral réel : (1) venir pour son plaisir (2) payer sa place. Si le public est corrompu (c’est-à-dire influencé par autre chose que sa recherche de plaisir), il n’est pas en mesure de participer à l’échange ». 

Un public d’abonnés est donc  « un public épouvantable. Il est presque toujours sinistre. Pourquoi ? On l’a traîné hors de chez lui, ce qui exclut toute aventure et toute histoire d’amour ».
Quant aux subventions, « logiquement monopolisées par les structures artistiques qui ont une tradition de succès artistique (critère subjectif) et de longévité (critère objectif) », elles « ne sont donc pas attribuées (et ne
peuvent pas l’être) dans les moments de véritable besoin, la période des débuts de la vie productive d’un individu ou d’une structure », elles sont distribuées « par des comités et les membres du comité sont choisis par des comités. Il faut donc trouver un consensus, c’est-à-dire un compromis lié à des choix ».
Mamet parle aussi des équipes d’organisation : « L’argent, aux yeux de l’administrateur et de ses partisans, a été obtenu non pas grâce à l’excellence des spectacles mais grâce aux efforts de l’équipe d’administrateurs. Les fonds attendus serviront donc évidemment à agrandir l’équipe d’administrateurs… En ce moment, dans le monde du spectacle, on assiste à la naissance et au développement de différentes actions : auprès du jeune public, en faveur de la diversité, accompagnement, école de théâtre, etc. Quel rôle est laissé au directeur artistique » ?


Bref, Mamet livre
ses vérités : « L’objectif du théâtre n’est pas d’instruire, de rendre meilleur, de disserter. C’est de divertir ». Fort en arabesques, il tire  très vite la porte sur lui avec une volonté d’originalité radicale qui se transforme, pour le lecteur, en déconvenue et ennui. Et quand il dit que « les prévenances et les manipulations de ces seconds couteaux, les théoriciens – parmi lesquels je m’inclus – qui sont les conducteurs du train mais croient en être les ingénieurs, ne servent à rien », on referme la page et on passe à autre chose.

Brigitte Rémer.

 

Editions de l’Arche, avec le soutien du CNL, mai 2012.

Klaus Michael Grüber

 

Klaus Michael Grüber – Ouvrage publié par le Théâtre National de Strasbourg.

Klaus Michael Grüber  dans analyse de livre Klaus-Michael-Grueber_illustrationAprès la soirée d’inauguration de l’Espace Klaus-Michael Grüber le 17 octobre 2010 à Strasbourg, Julie Brochen, directrice du TNS et Fanny Mentré, metteuse en scène, avec toute l’équipe du Théâtre, décident de publier un ouvrage accompagné d’un CD, illustré par les photos de Ruth Walz, consacré au grand metteur en scène allemand trop tôt disparu (1941- 2008). Lors de l’inauguration, nombre des amis artistes de Grüber se réunissent dans ce lieu portant désormais son nom; une occasion rêvée d’évoquer son travail, ou simplement d’être là pour la soirée de mémoire. Les interventions sont multiples et pertinentes, qu’il s’agisse de théâtre ou bien d’opéra. Que dire de Grüber, si ce n’est qu’il est l’un des grands metteurs en scène de la fin du vingtième siècle européen et du tout début vingt-et-unième, ses mises en scène faisant définitivement référence dans l’histoire du théâtre ? En France, on se souvient avec émotion de Bérénice de Racine avec la mystérieuse Ludmila Mikaël, avec Richard Fontana et Marcel Bozonnet, à la Comédie –Française (1984). Les images inoubliables sont revivifiées par les propos de Jean-Pierre Vincent, de Muriel Mayette, d’Éric Vigner et de Jean-Pierre Thibaudat. On se souvient également du Récit de la servante Zerline d’après Les Irresponsables de Hermann Broch aux Bouffes du Nord (1986) avec l’énigmatique Jeanne Moreau, en petite robe noire, coiffe et tablier blancs. André Marcon joue dans La Mort de Danton de Büchner au Théâtre des Amandiers de Nanterre (1989). Et André Wilms également, qui nous aide à retrouver le temps perdu dans le Faust Salpêtrière d’après Goethe à la Chapelle Saint-Louis de la Salpêtrière (1975) et dans Le Pôle de Nabokov à la Schaubühne de Berlin (1996). Michel Piccoli quant à lui, a travaillé avec Grüber sur À propos des Géants de la montagne d’après Les Géants de la montagne de Pirandello au CNAD (1998). Les peintres Eduardo Arroyo et Francis Biras évoquent aussi leurs nombreuses collaborations avec Grüber ; de même, le scénographe et costumier Rudy Sabounghi. Quant à Luc Bondy, entre autres collaborations, il a co-produit Roberto Zucco de Bernard-Marie Koltès à l’Akademietheater de Vienne (2001). Et l’acteur allemand Bruno Ganz est un interprète privilégié dans les mises en scène de théâtre et d’opéra : Les Légendes de la forêt viennoise de Ödön von Horvath (1972), Les Bacchantes d’Euripide (1974), Mère blafarde, tendre soeur de Semprun (1995), Le Pôle de Nabokov (1996) et Oedipe à Colone de Sophocle (2003). Peter Stein encore, directeur de la Shaubühne de Berlin de 1970 à 1987, invite Grüber au sein de son équipe artistique, accompagnant les dramaturges Dieter Sturm et Botho Strauss, les comédiens Bruno Ganz, Edith Clever et Jutta Lampe. Enfin, Stéphane Lissner, directeur de la Scala de Milan, invite le metteur en scène allemand au Châtelet de Paris qu’il dirige pour y créer La Traviata, opéra de Verdi, sous la direction de Antonio Papano (1993). On peut lire encore les propos passionnés de Ellen Hammer, metteur en scène, longtemps assistante et dramaturge de Grüber. Pour illustrer l’ouvrage, des photos de Hannah Schygulla, de Angela Winkler, quelques musiques du violoniste et compositeur Ami Flammer, une lettre manuscrite du comédien Otto Sander et de Bruno Ganz. Avec le théâtre pour seul bagage, Grüber va de l’Italie à l’Allemagne en passant par la France où il s’arrêtera enfin, habitant de Belle-Ile-en-Mer, en proximité avec les mouvements de l’océan, les mouvements naturels de l’âme. Son monde est aussi celui de ses amis, les comédiens et les chanteurs, tous humbles mais serviteurs magistraux de la peinture, de la littérature, de la musique, de la philosophie et du théâtre. Un précieux compte-rendu de l’esprit et de l’art vivant d’un maître.

Véronique hotte

Le théâtre de Kossi Efoui

Le théâtre de Kossi Efoui: Une poétique du marronnage sous la direction de Sylvie Chalaye
«la question de l’espace vide n’est pas une question moderne, elle nous renvoie au corps du conteur». Kossi Efoui

 

Le lancement de cLe théâtre de Kossi Efoui dans analyse de livre Bre numéro spécial de la revue Africultures consacrée au théâtre de Kossi Efoui, a réuni chercheurs et praticiens pour une table ronde autour de l’auteur, au Musée Dapper,
Voisins anonymes, présenté par Le Théâtre inutile (mise en scène de Nicolas Saelens, avec  Ludovic Darras) précédait  un dialogue entre participants. La projection du film Io à Lubumbashi (réalisatio
n : Pénélope Dechaufour et Jeanne Lachèze), l’a  clôturé.
A la base de l’ouvrage, un colloque organisé par Sylvie Chalaye, en février 2010, avec le Laboratoire Scènes francophones et écritures de l’altérité.
Le théâtre de Kossi Efoui : une poétique du marronnage est pour elle une « réflexion autour de l’œuvre du dramaturge togolais, l’occasion d’interroger ce concept de « maronnage créateur«  formulé en particulier par Edouard Glissant, et de revenir sur les débuts des nouvelles dramaturgies d’Afrique et des diasporas ».
Kossi Efoui vit en France depuis vingt ans. Il a écrit quatre romans (dont Solo d’un revenant en 2008, qui obtient l’année suivante le Prix des Cinq Continents et L’ombre des choses, en 2011), des nouvelles et une quinzaine de pièces (dont Le corps liquide en 1998, Volatiles en 2006, Le choix des ancêtres, en 2011). Il obtient le Prix RFI en 1990 pour Le Carrefour. « Le théâtre de Kossi Efoui est une réinvention constante. Les lieux à la fois repliés s
ur eux-mêmes et ouverts à tous les possibles constituent une mise en abîme théâtrale que les processus de ré-écriture viennent accentuer » écrit Bassidiki Kamagaté (Université de Bouaké).
Kossi Efoui définit le « marronnage » comme « la ruse de la raison et la persistance de l’inattaquable en l’homme », comme « un moyen de résistance qui permet de s’évader, de faire la belle, corporellement ». Et il met en parallèle le blues : « Comment se fait-il que le blues, rit ? »
A l’intersection des mondes romanesque, dramaturgique et cinématographique, le ton  de Kossi Efoui frappe. « Le roman est comme un poème », dit Boniface Mongo-Mboussa. Pour Ramcy Kabuya, l’auteur travaille sur la notion de rupture et de « violence en creux ». Il parle de « marronnage institutionnel » car on ne le trouve pas là où on l’attend, sur les thèmes de la pauvreté, la misère, l’exotisme ou la violence, il utilise plutôt la ruse. La violence est feutrée. Il y a de la bonhomie dans son écriture. Son travail sur l’espace théâtral touche au concret, au scénique autant qu’au mental, aux limites. « Rien n’est acquis dit Paul Balagué, il questionne l’espace, le lieu et le récit ».
La référence donnée est celle de Sony Labou Tansi, « une écriture de la désillusion ». L’influence de ce grand auteur congolais est telle qu’on parle d’avant et d’après Labou Tansi. Les deux sont dramaturges. Chez Kossi Efoui, les mémoires sont écartelées, « on est dans des carrefours, des ruines, des endroits défaits » note Mongo-Mboussa.
Les Africains, dans le théâtre, cherchent le message, et la question de la réception est entière. Pour Nicolas Saelens, se pose la question de la représentation. Il y répond, dans le spectacle qu’il a présenté, en introduisant l’objet, la marionnette, la sculpture, en l’occurrence, un manteau sculpture, véritable partenaire pour le comédien. « La réinvention des formes et le déplacement des enjeux qui s’opèrent au sein des œuvres de Kossi Efoui posent avec acuité le problème de la réception des drames africains. Il ressort des différentes problématiques que soulèvent ses œuvres, le besoin pressant de donner d’autres marques aux théâtres africains » dit Edwige Gbouablé, (Université de Cocody-Abidjan).
Sylvie Chalaye parle de la question du corps et de l’espace, du « marronnage » au sens premier, quand l’esclave quitte l’espace de la protection, pour l’ailleurs, pour construire un territoire rêvé. « Le théâtre, dit-elle, permet de convoquer les âmes mortes, les rêves fantasmés, et de vivre ensemble ».
Quatre parties dans cet ouvrage : « Rupture et Subversion, Exil et Errance, Rythme corps et voix, Un théâtre de l’envol » et de très intéressantes photos des pièces  de Kossi Efoui montées en Afrique comme en France. C’est un voyage, une somme de travail, la confrontation de points de vue, et l’entrée dans un univers magique, poétique, subversif et humain.

Brigitte Rémer

La table ronde du 12 mai  était animée par Pénélope Dechaufour, en présence de Kossi Efoui, Nicolas Saelens (metteur en scène), Paul Balagué  et Sylvie-Chalaye( Paris 3-Sorbonne Nouvelle), , Ramcy Kabuya (Université de Lorraine, Université de Lubumbashi), Boniface Mongo-Mboussa (Africultures).

*Africultures n° 86, mai 2012; Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle – Laboratoire SeFeA/Institut de Recherches en études théâtrales, éditions de L’Harmattan.

Quoi quoi et Quoique de François Joxe

Quoi quoi et Quoique de François Joxe dans analyse de livre JoxeQuoi quoi et Quoique de François Joxe.

 9782296562912j dans analyse de livreIl y a trois ans, François Joxe avait joué en solo Avant-dernières Salutations où il racontait avec beaucoup de finesse et d’humour son parcours atypique,  notamment comme comédien au Théâtre du Soleil et dans la compagnie Renaud-Barrault puis comme metteur en scène et directeur du Festival de Gavarnie; le spectacle avait connu le succès et  lui avait valu une belle reconnaissance. François Joxe publie aujourd’hui une sorte de dialogue en trois épisodes entre un homme et une femme à trois moments  de la vie: d’abord, à l’âge qu’on disait  mûr autrefois, elle a 45 ans et lui 50.
Ni jeunes ni vieux donc mais avec pas mal d’années de couple derrière eux. Ils ne se sont pas vus  vieillir comme on dit, se comprennent à demi-mots,  se taquinent, se chamaillent. Alors le ton monte et les mots les plus crus volent en escadrille, parfois même assez cyniques. Toujours à propos des mêmes choses mais surtout  des relations homme/femme.

 On les retrouve tous les deux pour le second épisode dansa chambrette à lui; mais flash-back comme on dit en français, ils ont tous les deux vingt ans et déjà percent chez lui les premier symptôme d’une bonne crise de jalousie. Quant au troisième épisode, c’est évidemment le plus grinçant: ils ont tous les deux 70 ans et donc un demi-siècle de vie commune. C’est incontestable mais ils n’arrivent pas vraiment à y croire,  ces parents d’Anne, Justine et Corinne, et d’ un garçon. Cela finit sur un adagio de Schubert, peut-être un peu convenu.
 Reste à mettre en scène ce dialogue à la fois si dénué de prétentions et si raffiné dans l’expression, mais là, François Joxe ne donne aucune recette… Prendre les mêmes acteurs? C’est à la fois plus simple, et terriblement compliqué,  si on ne veut pas tomber dans la caricature, surtout quand il faut passer de 20 ans, que les acteurs n’ont pas  à 70 ans.. Mais l’inverse n’est pas non plus possible.. Ou bien, prendre trois couples à l’âge précisément indiqué dans les didascalies: ce qui n’est pas très évident sur le plan dramaturgique et , en ces temps de rigueur budgétaire, c’est du domaine du pari impossible, surtout quand il s’agit d’une pièce assez courte.
 Pour Quoique, ce monologue pour un acteur reprend le thème de la conférence-souvent utilisé au théâtre- prononcé par un universitaire sur le thème du couple et de la parité homme/femme qui revient aujourd’hui comme un vieux leit-motiv inusable, jusque dans le débat politique. Provocations, cynisme, sarcasmes déclinés en tout genre, l’écriture de ce monologue est du genre plutôt brillant. Ce ne sont pas Les méfaits du tabac évoqués par Tchekov mais ceux issus des malentendus dans les relations homme/femme. On pense à ce fameux dessin de Claire Brétécher où une jeune femme préfère tabasser un beau jeune homme qui vient de lui dépanner gentiment sa voiture, au motif qu’elle le trouve trop exceptionnel pour qu’une autre puisse en profiter. Ce monologue à la Dubillard, un peu long et appuyé parfois,  devrait tout de même faire le bonheur de nombreux apprentis-comédiens…

Philippe du Vignal

Théâtres L’Harmattan. 60 pages.Prix: 10 €

Culture(s) forces et défis du 21ème siècle

 Culture(s) forces et défis du 21ème siècle sous la direction de François Adibi et Christophe Galent

Culture(s) forces et défis du 21ème siècle  dans analyse de livre logoRéinventer un monde habitable: Les acteurs du secteur culturel dont plusieurs collectifs, tous statuts réunis, ont planché sur la refondation des politiques culturelles, en ces temps de rupture, alors que notre système de valeurs et nos expériences, lentement sédimentées, s’effritent.

La première partie, « Des forces de la création… », interroge les filières des industries culturelles (cinéma, musique, audiovisuel, livre et édition) et des biens culturels (spectacle vivant, arts plastiques, arts numériques et patrimoine). Le champ des industries culturelles, entre économie et art, est porteur d’emplois, un certain nombre d’études l’ont démontré. Il demande ajustements et nouvelles régulations pour s’adapter à l’ère du numérique (dont la révision de la Loi Hadopi). Du côté du cinéma, les modes de financements du film français et son soutien aux cinématographies du monde, l’engagement des réalisateurs et producteurs, le cinéma d’auteur, en font sa force et sa fragilité. Le CNC a valeur d’exemple pour la création d’un Centre National de la Musique, contrant la crise de la filière musicale.

Le collectif qui s’exprime pour l’audiovisuel reconnaît le flou des missions et la crise d’identité, dénonce la nomination des PDG par le pouvoir politique et le peu de place laissé au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, parle de redéfinition des missions.

Quant au domaine du livre et de l’édition, les auteurs relèvent le manque de vision stratégique et énoncent cinq grands défis : la pédagogie, l’indépendance (avec une focale sur l’avenir des librairies), l’innovation (et la promotion des partenariats public-privé), les droits d’auteurs, la préservation des œuvres par leur numérisation.

Comme pour les industries culturelles, le recensement des biens culturels entraîne questions et propositions. Le spectacle vivant a longtemps vécu sur l’actif des années Lang, mais sa vitalité s’est tassée, (remise en cause du statut de l’intermittence, baisse des revenus, précarisation de l’emploi). Les mots clés: mutualisation des savoirs, des expériences et des moyens, formation et qualification des acteurs, développement à l’international, financements croisés Etat-collectivités territoriales. La nécessité d’une loi de programmation pluri-annuelle devient indispensable, note le collectif, pour donner aux lieux et aux compagnies, un horizon.

Et, au-delà de la question des méthodes et de l’infrastructure, celle du sens est récurrente : redonner du sens aux actions, c’est-à-dire re-fonder le dialogue entre les artistes et la société, aller vers, travailler hors-les murs, élargir les publics, notamment dans le contexte rural et péri-urbain, dans l’espace scolaire (10% de la population fréquente les salles de spectacle), et se poser de manière permanente, la question, vitale, de la place de l’artiste dans la société.

La consultation lancée au printemps 2011 dans le domaine des arts plastiques, parent pauvre du ministère de la Culture note le collectif interrogé, avait donné espoir aux intervenants de la filière (artistes, directeurs d’institutions, commissaires d’expositions, critiques d’art, galeristes). Elle fut suivie de peu d’effets en termes de propositions, alors même que la demande des publics augmente. Le collectif demande le renforcement de l’action en région par, notamment, la création d’ateliers logements, la promotion des artistes, l’appui sur les acteurs privés, le soutien aux galeries, le développement de l’import-export, tout en remarquant l’absence d’une structure souple à la manière du British Council, pour les échanges internationaux.

Le constat d’une nécessaire évolution des pratiques culturelles due au développement des nouvelles technologies, la notion de création dans tous les domaines, majeurs et mineurs, dont les jeux vidéo, l’art des flux, l’art en réseau (internet et mobiles) qui font aussi partie de la vie quotidienne depuis une quinzaine d’années, l’effacement des frontières entre réel et virtuel, les droits d’auteurs sont  autant de thèmes énoncés dans ce tour d’horizon.

L’ouvrage pose aussi la question de la pertinence, dans le domaine du patrimoine (matériel et immatériel) et celui de la validité scientifique de la restauration. Secteur porteur d’identité et de mémoire, il est difficile à médiatiser et pèse en termes financiers. Ses auteurs proposent de revisiter la répartition des compétences entre Etat, collectivités locales, particuliers, de revoir les niveaux de protection, dans un contexte de développement durable et d’écologie et compte-tenu des enjeux du tourisme.

Une seconde partie… »Aux défis du XXIème siècle… » pose la question du sens, du goût du vivre ensemble et se fait l’écho d’une fraternité retrouvée  : « Un art de la relation émerge, le onzième art , avec une référence à l’éducation populaire, à la société plurielle, au respect des cultures urbaines, à ceux que l’on n’entend pas :gens ordinaires, publics défavorisés, en souffrance. Les auteurs tablent sur le degré d’inventivité des artistes, le travail à l’échelle du quartier, la recherche de nouveaux liens, pour réinventer un espace public et « compenser par le tissage ce que l’économie déchire ».Ils proposent de mettre l’accent sur ce qu’ils appellent une troisième voie qui renvoie aux collectifs d’artistes, aux coopératives.

Une soixantaine d’acteurs culturels ont signé ces « Scénarios de refondations pour une République culturelle et la reconnaissance d’un tiers secteur culturel ». Prise en charge de micro-projets culturels d’initiative citoyenne, reconnaissance d’un espace public où s’ancre le spectacle vivant, prise en compte de l’expérience de terrain par les politiques et dans les instances représentatives, définition d’un minimum social pour les acteurs de la vie culturelle dont le postulat est « de ne pas perdre sa vie à la gagner mais plutôt produire du symbolique pour ne pas mourir », attention des pouvoirs publics au terreau que fabrique la société et ré-orientation des institutions face à la crise, telles sont les propositions les plus fortes…

Les relations Nord-Sud- et Sud-Nord enfin sont envisagées sous l’angle de la conversation des cultures. La diversité deviendrait la question centrale d’un nouvel imaginaire politique dont la clé repose sur la vérité et la réconciliation suite aux colonisations, sur l’équilibre des dispositifs et des actions,. Franz Fanon, Edouard Glissant, font figure de référence dans cette invitation à réfléchir sur une société, la nôtre, dans laquelle la laïcité est ré-affirmée.

Le dernier chapitre, « Une aventure commune », reconnaissant l’héritage de Malraux en son temps, énonce, à partir des éléments collectés par les différents groupes de réflexion, treize mesures dont une loi de programmation pour une action inscrite dans la durée, véritable chemin de fer pour une intervention publique revisitée, un manifeste.
Culture(s) forces et défis du 21ème siècle est un plaidoyer pour la culture, une interpellation pour construire une autre gouvernance et restaurer le lien social, un profil de poste pour le/la prochain/e ministre de la Culture, et des outils pour restaurer notre société fragmentée au sens où Michel Wievorka l’entend, le liant à la crise de l’Etat-Nation. Nous ne sommes pas dans le discours scientifique mais sur le terrain, recentrant le débat sur le sens, le prix des choses sans prix selon Jean Duvignaud, sociologue et poète. Pas d’unité de ton comme l’annonçait la préface, un assemblage où tout est vital, une fierté retrouvée. « Mon Art serait de vivre », disait Marcel Duchamp.

Brigitte Rémer

Editions Altaïr Think Tank cultures médias, coordination éditoriale Le Publieur

 

 

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