Le Menhir – Comment toucher

  Les éditions théâtrales viennent de faire paraître deux textes de théâtre inédits. Le premier, Le Menhir, raconte une histoire de famille aussi atroce que douloureuse : un fils, devant le refus obstiné de son père de lui adresser la parole, décide de planter sa tente devant chez lui. Mais, à faire le menhir « en souvenir des vacances de famille en camping en Bretagne », il finit par se pétrifier. Sa mère disparaît avec lui : « avec toi par ici, je pars en morceaux ». Littéralement.
Cette parabole glaçante procède par touches surréalistes et fantastiques. Mais elle affiche également la vulgarité et la violence du quotidien, tant celles faites
au corps qu’à l’esprit. Jean Cagnard, né en 1955, est déjà l’auteur de nombreuses pièces de théâtre, traduites en plusieurs langues.
Celle-ci est une forme courte pour deux personnages, à mi-chemin entre la poésie et la barbarie. Le dramaturge fait preuve d’une implacable lucidité psychologique : « Cet homme, my father, est dépendant de sa peur et de sa violence: un drogué ! ». Françoise Dolto n’a qu’à bien se tenir…


  Le second texte est de Roland Fichet. Comment toucher , troisième pièce du triptyque « Anatomies », dont les deux premières ont été mises en scène au Congo et jouées dans plusieurs villes d’Afrique. Comment toucher ne déroge pas à la règle, puisque l’intrigue démarre à Maty-Ougourou au Congo, avant de se déplacer à Lagos , capitale du Nigeria.
L’auteur met en scène un group
e de rebelles de différentes nationalités,  qui part en quête d’un disparu : Niang Saho, leur chef, dont ils ne savent s’il est mort ou vivant. Cette  quête est le ressort essentiel de l’oeuvre , exploration charnelle autant que spirituelle. Roland Fichet aime s’aventurer dans ce continent très éloigné du nôtre  et, dans ce décalage, il puise une perception originelle et mystérieuse des rapports humains. Une forme longue et 20 personnages pour les adeptes du voyage et de la langue peulh.

Barbara Petit

Jean Cagnard, Le Menhir, éditions théâtrales, 11 euros, 64 pages
Roland Fichet, Comment toucher, éditions théâtrales, 11,50 euros, 64 pages


Archives pour la catégorie analyse de livre

Le nouveau théâtre 1947-1968, un combat au jour le jour de Jacques Lemarchand.

9782070122271.jpgÀ ceux qui rechignent à aller voir un spectacle à cause du mauvais temps, les éditions Gallimard proposent de passer un bon moment en compagnie d’un passionné de théâtre. Vous verrez, c’est un critique hors pair, un défricheur de talents, quelqu’un qui a su sentir l’air du temps.
Si le nom de Jacques Lemarchand (1908-1974) n’est pas très familier à la génération d’après 1968, il a autrefois été fameux. C’est d’ailleurs Albert Camus lui-même (dont nous vous avons parlé récemment) qui l’a recruté pour être critique dramatique à Combat.
Mais, plus qu’un critique, Jacques Lemarchand est un véritable conteur, un poète, dont les articles vous entraînent dans sa fougue, vous donnent à voir la scène et vous convainquent du bien-fondé de son jugement.
Il  a consacré sa vie au théâtre et écrit des milliers de critiques, et  ce volume rassemble celles de Combat, du Figaro littéraire et de la Nouvelle Revue Française de 1947 à 1968.

Durant cette période d’après-guerre, n’appartenir à aucun camp était suspicieux. Et Lemarchand, comme Camus, en fera les frais en termes de calomnies et d’injures. Ce qui n’entachera pas leur indépendance. Viscérale, donc inaliénable. Leur courage est lié à leur éthique, et leur honnêteté intellectuelle est toute naturelle pour eux. Donc, depuis la Libération, l’art dramatique est au cœur du débat intellectuel, artistique et social, et sa critique est primordiale. Cette époque, marquée par une effervescence créatrice, voit la naissance d’un théâtre populaire moderne, dans la lignée d’un Jean Vilar. D’origine provinciale , Jacques Lemarchand sera attaché toute sa vie à la décentralisation . « il n’y a pas de théâtre de distraction. Mais il s’agit de théâtre tout court, et de ce qui peut, et doit, dans le théâtre, toucher l’homme ».
  Ce théâtre émergent, aussi appelé « avant-garde », « théâtre de rupture », « nouveau théâtre », incompris et dénigré par les « perruches », les « autruches », ou les « bavards hautains », nécessitait que l’on se batte pour lui. D’emblée, Jacques Lemarchand en est tombé amoureux, et s’en est fait l’interprète auprès du grand public.
C’est sous sa plume, dans les critiques reproduites dans ce livre que les lecteurs de journaux ont pu découvrir Genet, Beckett, Ionesco, Adamov, Duras, Vinaver, aujourd’hui au panthéon des auteurs classiques, et d’autres aujourd’hui un peu oubliés : Jean Vauthier, Georges Schéhadé, Michel de Ghelderode, Romain Weingarten, Henri Pichette, Jean Duvignaud… Originalité et charme d’un homme qui était aussi proche du public que des gens  de théâtre, et dont les chroniques s’adressaient autant aux uns qu’aux autres.

On aurait aimé être aux Épiphanies d’Henri Pichette au Théâtre des Noctambules à ses côtés, et voir sur la scène Gérard Philippe, Maria Casarès, Roger Blin, Paul Oettly…, assister avec lui à des mises en scène de Jean-Louis Barrault, de Jean Vilar, voir des décors et costumes de Pierre Soulages…
Avec nostalgie, méditons sur ce propos enthousiaste, témoignant d’une époque révolue, au sujet de l’adaptation de J’irai cracher sur vos tombes, de Boris Vian, au Théâtre Verlaine : « Restait cette redoutable masse populaire que le théâtre seul peut atteindre, grâce aux facilités qu’un État compréhensif, doublé d’un fisc indulgent, accorde à qui veut enseigner sur scène ».

Barbara Petit

Textes réunis et présentés par Véronique Hoffmann-Martinot, Préface de Robert Abirached. Collection « Les Cahiers de la NRF », Gallimard, 28,90 euros, 452 pages.

Camus par Virgil Tanase

Camus  par   Virgil Tanase

   Si l’entrée au Panthéon d’Albert Camus a alimenté bien des tempêtes médiatiques, le cinquantième anniversaire de sa mort, lui, suscite de nombreuses éditions et rééditions en tous genres. Parmi les inédits, Virgil Tanase, écrivain et homme de théâtre, réussit une très belle biographie.
Composées dans un style fluide et léger, ces quatre cents pages passionnantes se lisent d’une traite. Virgil Tanase marie une plume alerte à la précision des sources sans s’égarer en détails inutiles. Et il  peint la vie étonnante de Camus, si intrinsèquement liée à l’Histoire, comme son œuvre. Une vie marquée du sceau de la révolte, alternant avec des phases de profond découragement.
Le biographe revient bien sûr sur son lien indéfectible à l’Algérie et à sa mère, ses affinités électives, sa maladie des poumons , ses démêlés avec l’intelligentsia parisienne, le journalisme à Combat, le travail de lecteur chez Gallimard, l’échec de ses relations avec les femmes… Mais surtout la probité, l’indépendance, l’amour des humbles, l’engagement qui l’agitent, viscéralement ancrés en lui.
Et pour ce qui nous rassemble autour de ce blog:  la passion du théâtre, Virgil Tanase offre des pages savoureuses, intenses. Sur  ses pièces (Le Malentendu, Caligula, Les Justes),  les  mises en scènes et les critiques qu’elles reçoivent, l’auteur nous immerge dans une scène théâtrale aujourd’hui disparue et, pour nous,  souvent déroutante. Cela se passe au Théâtre Hébertot, au Théâtre Récamier, et  au Palais-Royal. Camus et le théâtre, c’est une histoire d’amour incommensurable et pérenne. Car « le théâtre est un refuge, la création une façon d’aimer apaisante pour la conscience (…) Le théâtre, à la différence de l’écriture, est un travail concret et protège l’artiste de l’abstraction (…) C’est aussi un travail qui préserve de la solitude : il s’effectue dans la solidarité d’un groupe où fonctionnent émulations et engagements réciproques. ».
Pour Camus, le théâtre est avant tout populaire, dans la lignée de Romain Rolland, Firmin Gémier, et surtout de Jacques Copeau qu’il admire beaucoup, ou politique à l’instar d’Erwin Piscator à Berlin. « Militant et homme de lettres, Camus trouve dans le théâtre un moyen d’être les deux à la fois ». Ce qu’il souhaite ? « La victoire du théâtre de participation sur celui de la distanciation ». À la demande de Malraux, il écrira  un texte sur un projet qui lui est cher, celui d’un nouveau Théâtre pour « glaner le public populaire ».
À Alger, déjà, où il œuvre au Théâtre du Travail, il monte Gorki, Machiavel, Fernando de Rojas, adapte Balzac. Les adaptations, Camus les affectionne et les entreprendra toute sa vie : Les Esprits de Pierre de Larivey, Requiem pour une nonne de Faulkner, Lope de Vega, Buzzati, Dostoïevski et à Paris, il rencontre Jean-Louis Barrault, Pierre Brasseur, Madeleine Renaud, Gérard Philipe, et surtout Maria Casarès, sa sœur en exil, miroir d’une réussite, avec laquelle il entretient une liaison aussi passionnée que tumultueuse pendant des années. Pour elle, il compose une adaptation de La Dévotion à la croix de Calderon, « taillée sur mesure ».
800px20041113002lourmarintombstonealbertcamus.jpgSartre, qui le trahira plus d’une fois, il  lui propose de monter Huis-Clos puis se rétracte. Certains spectacles l’inspirent : « Suréna de Corneille jouée à la Comédie Française lui donne des pistes pour son travail de dramaturge à la recherche d’une tragédie moderne capable d’émouvoir sans tomber dans le vérisme du théâtre bourgeois ». D’autres non : « Claudel. Esprit vulgaire ». Avec des amis, il lit Le Diable attrapé par la queue de Picasso.
  Une biographie très intéressante qui appelle  quelques réserves. Virgil Tanase fait parfois preuve de mauvaise foi ou d’aveuglement, lorsqu’il écrit : « Catherine (la mère de Camus) aime tendrement ses enfants, mais lorsque leur grand-mère leur donne le fouet, elle ne les défend pas, murée dans son silence qui d’une obéissance est devenue une résignation, puis une façon de vivre (…) Albert Camus est un enfant heureux. Son père ne lui manque pas car, ne l’ayant jamais connu, il n’imagine pas ce qu’il a perdu. La pauvreté ne le gêne pas parce qu’autour de lui tout le monde est logé à la même enseigne ». Est-il à ce point ignorant en psychologie ? D’autant que les faits qu’il rapporte contredisent  quelques pages plus loin ses propos…
 On lui serait gré également de nous épargner ses jugements de valeur concernant ses semblables : « Dans l’hôtel minable de Montmartre, Camus côtoie des putes, des maquereaux, des artistes ratés et des paumés de toutes sortes. » Tanase aimerait-il que l’on parle de lui de la sorte ? Enfin, comment peut-il prétendre : «  Camus exagère sans doute mais il est sincère dans son exagération » ? Qu’en sait-il ?
Ces réserves mises à part, ce petit livre permet de traverser la vie incroyable et douloureuse d’un grand homme, qui n’était d’aucun parti, excepté celui de l’Homme. Une invite à redécouvrir son œuvre autrement…
Barbara Petit
Camus Par Virgil Tanase, folio biographies, Gallimard, 416 pages, 8,20 euros.

Mouvements de vie

Mouvements de vie d’Anna Halprin, traduit par Elise Aragaud et Denise Luccioni.

    Anna Halprin est sans doute  doute mieux connue aux Etats-Unis qu’en Europe , même si elle y a souvent séjourné. L’édition originale de ce livre date de 1994 et c’est avec son assistante Nelly Kaplan qu’elle a réuni de nombreux textes, articles et interviews  qui couvre  plusieurs décennies- où elle explique sa démarche créatrice et pédagogique; Anna Halprin habite en Californie du Nord dont la nature, dit-elle , a joué un grand rôle dans son travail; elle pense en effet que  l’être humain ne fait qu’un avec la danse.
Il y a beaucoup à lire et à réfléchir dans dans ce volume important,par ailleurs  bien illustré qui est, en somme le parcours artistique et personnel d’une femme énergique qui a résisté à deux cancers et qui a eu une influence décisive sur la danse mais aussi sur l’art contemporain en général. Notamment -on ne  peut citer chaque chapitre mais ceux relatifs aux pratiques Art/ vie de Anna Halprin où l’on trouve des textes très différents dans leur approche mais tout aussi passionnants pour qui s’intéresse à la danse mais aussi aux multiples facettes de l’art contemporain.
Comme ces expérimentations de rituels de mouvement, une des pratiques artistiques préférées, dans un texte qui date de 75 , ou l’excellent entretien avec Yvonne Rainer, l’une des plus connues parmi ses nombreux élèves qui fut l’une des fondatrices de la fameuse Judson Dance Theatre. Il y a aussi dans ce même chapitre l’histoire retracée du San Francisco Dancers’ Workshop (1973) et un court mais très intense article sur ce qu’Anna Halprin a appelé Citydanse où elle avait associé des danseurs de haut niveau à des amateurs de tout âge et de tout milieu. Et après l’improvisation( 1987 ) témoigne de l’expérience la chorégraphe qui, après avoir étudié la modern dance avec,entre autres,  Martha Graham  a essayé et réussi à se dégager de son influence. Il y a aussi un bel entretien: Une vie de rituel, (1990) avec le metteur en scène Richard Schechner où elle explique qu’elle a rencontré beaucoup moins de préjugés sur son travail dans le monde du théâtre que dans celui de la danse, et où elle explique qu’elle se sent assez proche de Jerzy Grotowski et d’Eugenio Barba.
 » Il nous est resté, dit-elle, le matériau brut de nos existences pour produire notre art. Ainsi a été mise en branle une force plus puissante, qui tien selon moi aux origines ancestrales de la danse et à son importance cruciale pour les être humains ». Et ce livre n’intéressera pas seulement les spécialistes et praticiens de la danse contemporaine mais tous ceux qui ont besoin de repère dans un domaine où les livres théoriques ne sont pas si nombreux. les textes sont de plus d’une grande clarté et l’on ne peut qu’en remercier cette dame de 89 ans.. qui continue encore , dit-on,  à danser et à enseigner,  pour cet ensemble de textes tout à fait passionnant.

 Philippe du Vignal

Editions Contredanse, 345 pages; 28 €

 

 

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Extérieur danse

Extérieur danse, Essai sur la danse dans l’espace public  par Sylvie Clidière et Alix de Morant

   arton2937c2373.jpgLe titre de cet essai  paraît à première vue restrictif, pour  annoncer un ouvrage qui traite de diverses formes chorégraphiques conçues pour un espace extérieur, urbain et entrant dans la catégorie des arts de la rue. Mais les auteurs prennent soin de nous avertir de l’enjeu de leur travail : esquisser des lignes conductrices et surtout tenter de composer, à l’intersection des disciplines, un paysage, dresser, à travers les choix des formes et des artistes représentatifs, une sorte d’état des lieux de ce foisonnement incessant « en dégageant un ensemble de situations impliquant la présence des danseurs dans une relation privilégiée à l’environnement dans des configurations parfois voulues comme non spectaculaires. »

  Le champ de la danse ne cesse en effet de repousser ses frontières. Sylvie Clidière et Alix de Morant l’abordent dans sa dynamique permanente et dans la transversalité des pratiques mêlant cirque, théâtre, danse et arts plastiques. « Si la danse en extérieur n’est pas un genre en soi, elle n’a plus à négocier sa place car elle se loge partout. Au-delà de la dialectique dedans – dehors et des oppositions entre vivant et virtuel, dans un rapport inventif au site la danse s’affirme de nouvelles qualités de présence. La danse n’est pas le fait d’artistes en mal de lieux, ni de spectacles en souffrance de diffusion mais participe d’une dilatation des cadres dans un mouvement général de redéfinition des formes qui fait réapparaître des termes tels que » work in progress », chantier, performance. » Les auteurs appuient leur approche sur de solides  connaissances théoriques, des repères historiques, et leur propre expérience de spectatrices,  en prenant des exemples concrets s’insérant  dans le corps du texte, ce qui  rend la lecture de cet essai plus vivante. Par exemple des « flashs » sur des inventions particulières comme « la danse verticale » sur un mur ou encore  des formes de structuration du paysage, de brefs focus sur le Festival Paris Quartiers d’Été ou sur le réseau international « Ciudades que danzan ».

  La première partie de l’essai retrace l’historique de la danse en extérieur depuis les années 1920 : le mouvement moderniste, les groupes de danse chorale, l’apport d’Albrecht Knust à Hambourg etc., en passant par le temps des ruptures et de l’effervescence des années 1960, 1970, l’influence du situationnisme, jusqu’à l’évolution contemporaine avec la conception de la ville comme une scène et la mise en question de la danse.

  Dans la deuxième partie : « L’expérience extérieure » les auteurs analysent les quêtes de nouvelles sensations, le corps aérien, le corps aquatique, la danse d’asphalte. La dynamique des lieux est abordée à travers, entre autres,  les notions de la ville comme scène et du non-lieu. Suit le questionnement du danseur tout-terrain, de l’évolution de la performance, de l’appropriation par la danse de lieux de travail (l’usine), du patrimoine (les musées, les châteaux). Un chapitre est consacré à l’extension de la danse sur les territoires de l’image : jeu d’écran, danseur dans l’image, migration vers le virtuel.

  Où va la danse aujourd’hui ? Vers quelles nouvelles conquêtes ? La fin de l’essai de Sylvie Clidière et d’Alix de Morant, laissé ouvert, témoigne de la diversité des expériences chorégraphiques menées dans l’espace public et des potentialités inépuisables de cette confrontation. Un ouvrage passionnant qui circonscrit bien ce territoire des arts inclassables, en constante effervescence et dont l’approche conjugue la réflexion et le regard sensible. Abondamment illustré de très belles photos, le livre est accompagné par un DVD édité par Hors les Murs avec une quarantaine d’extraits de spectacles de compagnies et de chorégraphes avec un index  et une bibliographie qui complètent cet essai qui constitue un remarquable guide dans le labyrinthe de la danse en extérieur.

Irène Sadowska Guillon

Extérieur danse
Essai sur la danse dans l’espace public
par Sylvie Clidière et Alix de Morant
Éditions l’Entretemps, co-édité avec HorsLesMurs, Montpellier 2009
Collection Carnets de rue
192 pages, prix 29 €

Encyclopédie mondiale des arts de la marionnette

Encyclopédie mondiale des arts de la marionnette dirigée par Henryk Jurkowski et Thieri Foulc

encyclopdiemondialedesartsdelamarionnette.jpgIl s’agit d’une première encyclopédie mondiale des arts de la marionnette, une étude gigantesque et fouillée des traditions, des styles, des techniques, du travail de création, couvrant le vaste  champ   des formes de la marionnette depuis la simple cuillère en bois à qui on donne des yeux jusqu’à la plus raffinée des sculptures de  Klee ou aux robots marionnettes commandés à distance de Zaven Paré dans Le théâtre des oreilles.  

  Depuis ses origines rituelles,  la marionnette ne cesse de conquérir de nouveaux territoires artistiques, se réinventant sous des formes et dans des expressions toujours nouvelles, sa capacité d’appropriation des inventions technologiques les plus sophistiquées et des nouveaux moyens semble inépuisable, illimitée.

  Le projet de l’Encyclopédie, initiée en 1978 par l’UNIMA (Union Internationale de la Marionnette) a été mis en œuvre en 1994 sous la direction d’Henryk Jurkowski, historien, chercheur et  professeur à l’École Supérieure de Théâtre à Varsovie et à l’École Nationale Supérieure des Arts de la Marionnette, et Thieri Foulc, éditeur qui ont réuni une équipe de chercheurs, d’historiens, de spécialistes des traditions populaires, des gens des musées, des artistes et des professionnels de la marionnette de tous les continents, ainsi que les traducteurs. Leur travail a abouti à cette gigantesque compilation des arts propres au théâtre de la marionnette défini comme l’art de donner vie à l’inanimé.  

  L’Encyclopédie propose plus de 1000 articles classés dans l’ordre alphabétique. L’ensemble étant structuré selon les critères géo-culturels des grandes aires : Afrique, Amérique latine, Amérique du Nord, Asie, Europe, Océanie, et des entrées par pays forment la colonne vertébrale de l’ouvrage qui retrace l’histoire des la marionnette dans chaque pays et décrit la situation contemporaine : enjeux artistiques, publics, festivals, musées, institutions, marionnettistes, organisation et formation professionnelle. De nombreuses notes plus brèves sont consacrées à des compagnies et à des artistes de tous les pays qui ont marqué l’histoire de la marionnette ou qui ont innové dans leur art et qui bénéficient d’une large reconnaissance internationale.

  D’autres notes sont  consacrées à des artistes d’autres disciplines dont l’apport a été considérable :  écrivains ( Maurice Maëterlinck, Federico Garcia Lorca…),  ou artistes (Paul Klee, Alexander Calder, Enrico Baj), ou spécialistes comme Hans Richard Purschke, Henryk Jurkowski. Mais aussi à des musées, des institutions ou organismes  qui ont  joué ou qui jouent un rôle clé dans le monde de la marionnette. Le répertoire  est décrit, soit par le biais des articles consacrés aux personnages récurrents traditionnels (Pulcinella, Guignol, Karagöz turc, Roi des singes chinois, etc.) ou modernes (Père Ubu) soit avec des entrées d’œuvres comme La tentation de Saint Antoine, etc.

  Des articles transversaux, parfois sous forme d’essais, offrent des approches synthétiques sur l’espace scénique, la manipulation, la voix et les esthétiques de la marionnette en Orient et en Occident. D’autres textes  sont consacrés à des genres, à des techniques et à des termes spéciaux. Les théâtres fixes, les compagnies, les institutions, les musées, les écoles sont classés par  nom de ville  et de nombreux renvois facilitent la recherche. De très belles photos de spectacles et de travail de création illustrent abondamment cet ouvrage qui comprend aussi plusieurs annexes très soignées: répertoire des collections et des musées dans le monde entier – Écoles Supérieures de la Marionnette en France et à l’étranger – répertoire des festivals dans le monde entier – importante bibliographie générale et sélective comprenant ouvrages généraux et de référence, essais d’histoire générale et particulière des marionnettes populaires et contemporaines en Occident et en Orient, relations de la  marionnettes avec d’autres arts, sites Internet-clefs – programmateurs spécialisés en France – liste des articles thématiques  et des noms d’organismes faisant l’objet d’un article – index des noms des personnes.

  Un ouvrage d’une exceptionnelle qualité: traitement d’une matière  très riche, présentation et système de repérage. Il faut saluer le travail colossal des rédacteurs et de l’éditeur de cet ouvrage qui proposent une description encyclopédique, historique, culturelle et technique de la marionnette dans le monde, sous une forme accessible. C’est dire que le livre s’adresse aussi bien à un public avisé, intéressé par le sujet,  qu’aux seuls spécialistes…

 

Irène Sadowska Guillon

Encyclopédie mondiale des arts de la marionnettes ous la direction d’Henryk Jurkowski et Thieri Foulc Éditions l’Entretemps, Montpellier, 2009,  862 pages,  80 €

Quarante ans d’art de la rue

Quarante ans d’art de la rue et Comment ça commença Les arts de la rue dans le contexte des années 70 de Floriane Gaber.

Quarante ans ans d’art de la rue

    rue.jpgFloriane Gaber, grande spécialiste des arts de la rue a, depuis quelque vingt ans , à peu près tout vu des expériences et évènements divers et variés, tous genres confondus  qui ont fleuri  dans l’Hexagone et hors des frontières. Le coup d’envoi, comme elle rappelle justement,  ayant été mai 68 avec cette formidable réappropriation de la rue puis quelques années avant,  en 63,  la véritable déferlante du Festival de Nancy créé par Jack Lang qui fit venir des troupes comme le célébrissime Bread and Puppet dirigé par un jeune sculpeur allemand devenu américain Peter Schumann dont l’influence a été considérable et sur le théâtre de rue et sur l’art de la marionnette en France.

 

  Mais Lang invita aussi  bien d’autres metteurs en scène comme l’allemand Hans-Peter Clos, le Teatro Campesino de Luis Miguel Valdez , théâtre d’intervention des Chicanos mais aussi le Théâtre Arena du Brésilien Augusto Boal, sans oublier évidemment l’immense  Tadeusz Kantor à qui la rue n’était pas étrangère, puisqu’il fit nombre d’interventions/ performances  dans les rues polonaises,  et encore  Bob Wilson le Texan qui créa un théâtre d’images silencieux , ce qui  influença aussi les artistes pour qui  la rue ou le plein air était devneu leur lieu de travail privilégié.
  Le militantisme de la plupart de ces troupes , rappelle justement Floriane Gaber,  colora le paysage culturel français qui était resté jusque là assez coincé. Ce ne fut  pas immédiat mais, comme toutes les évolutions importantes,  cela mit plusieurs  années  et  opéra  un bouleversement profond de l’art et la manière de concevoir la représentation dramatique, même si l’on a depuis des siècles pratiqué le théâtre dans la rue, que ce soit en France, en Suisse, en Allemagne ou en Espagne

 

Le Théâtre du Soleil lui aussi ira jouer dans des quartiers populaires en Avignon ou,  par exemple,  devant les usines  Renault à Boulogne-Billancourt avec un petit spectacle d’agit-prop de quatre minutes  sur l’injustice sociale sur le thème de « Qui vole un oeuf va en prison , qui vole un boeuf va au Palais-Bourbon ».
  C’était l’époque où jouer dans la rue valait souvent quelques soucis avec les flics comme pourrait en témoigner Jules Cordière et son Palais des Merveilles où il faisait de la corde molle entre deux arbres à saint-Germain des Prés en compagnie de Ratapuce ( alias Caroline Simonds) une jeune et belle amércaine flûtiste-acrobate devenue depuis directrice du Rire médecin, qui , avec ses clowns, apporte joie et réconfort à des  milliers d’enfants hospitalisés.ccagaber27.jpg

 

  Il y a aussi un long chapitre sur Aix, ville ouverte aux saltimbanques, opération  que créa , en 73, Jean Digne avec beaucoup d’intelligence et de flair,  avec un formidable succès. Le livre de Floriane Gaber est riche et il est impossible de tout citer mais signalons, parmi les plus connus  quand même,  au fil des pages  et en vrac: Le Grand magic Circus de Jérôme Savary, le Théâtre de l’Unité, Le Living Theater , le Teatracide de Binoche ( le papa de Juliette) et de Crespin qui deviendra le créateur du festival d’Aurillac ,la compagnie espagnole Fura del baus, l’Odin Teatr danois , Luca Ronconi l’italien et son  célèbre Orlando Furioso, le Royal de Luxe, Annibal et ses éléphants, Les Grooms,  et ces deux Festivals qui sont devenus incontournables et emblématiques du théâtre de rue : celui d’Aurillac qui a déjà plus de vingt cinq ans ( le temps passe!)  et celui de Chalon. 

 

40agaberunite.jpgC’est une formidable promenade qu’offre Floriane Gaber, celle d’une époque où la France accueillit nombre d’artistes étrangers,  et ce fut un grand bonheur et un vrai souffle de liberté que nous ont offert  tous ces gens d’âge et de culture très différent; époque  un peu empreinte de nostalgie-puisque les nous avons tous connus -certains sont décédés depuis déjà longtemps comme Julian Beck le directeur du Living, ou Augusto Boal. La plupart de ces noms ne diront pas grand chose aux jeunes gens d’aujourd’hui mais  ce livre pourrait se comparer à un très  bon lexique de tous ces créateurs qui  font maintenant partie intégrante de l’histoire du théâtre . Et c’est en cela que le livre de Floriane est particulièrement précieux.

 

Comment ça commença
  20091028commentcacommenca.jpgLe second opus de Floriane Gaber est plus théorique  mais tout aussi intéressant, et il y a un bon chapitre consacré au développement culturel en France où l’auteur rappelle avec raison , que les interventions des compagnies hors des théâtres ont surtout servi, dans un premier temps à faire connaître les spectacles présentés par les pionniers de la décentralisation théâtrale mais furent très vite teintées de revendications politiques et sociales, comme le droit à la contraception et à l’avortement, ou à une gestion intelligente de la culture. Comme ce magnifique enterrement de la Liberté d’expression en 72 qui stigmatisait l’attitude imbécile de Maurice Druon , ministre de la Culture, qui avait réuni à la fois Le Théâtre du Soleil, la Compagnie  Jourdheuil et Vincent, le Théâtre de l’aquarium , le Théâtre de la Trempête et l’ Action pour le jeune Théâtre.# Floriane Gaber poursuit son tour d’horizon avec ce théâtre militant  qui alla , avec des succés variés, à la rencontre d’un public qui, faut-il le rappeler ne fréquentait jamais une salle de spectacle et pour qui le mot théâtre signifiait Au théâtre ce soir à la télévision en noir et blanc souvent reçu dans la campagne française à la limite de la visibilité et en voir et blanc.

 

  Ce qui n’était pas du tout du goût de nombreuses municipalités comme celle de Bordeaux dont le maire Chaban-Delmas offrait pourtant chaque année un festival comme Sigma , porteur des meilleurs avant-gardes, ou comme Paris qui demandait  à ses flics de verbaliser les compagnies de rue. Mais le phénomène s’amplifia vite et le Théâtre de l’Unité joua Le Fantoche lusitanien de Peter Weiss, fable politique sur le Portugal de Salazar,  jouées dans des lycées ou universités en grève ou le Théâtre Populaire de Lorraine avec La Farce du Graully  qu’il représenta dans des usines occupées contribuèrent  par leur action à faire sortir le théâtre du ghetto parisien où il était resté enfermé.

 

  Les chapitres suivants reprennent un peu  les histoires de ces compagnies qui, comme Le Grand Magic Circus  ou le Théâtre du Soleil qui sont devenus le symbole d’un théâtre libéré des nombreuses contraintes que les pouvoirs publics leur imposaient. Le Grand Magic Circus a disparu depuis longtemps mais Savary a bousculé les codes jusque là obligatoires: on oublie trop souvent qu’ à la suite de Jean Dasté le formidable créateur de la Comédie de Saint-Etienne, il s’obstina longtemps à jouer  dans des chapiteaux, parce que cela lui convenait mieux.

 

Un dernier chapitre du livre traite de ce phénomène que sont devenus en été dans de nombreuses villes de France ceux que l’on pourrait appeler des saltimbanques qui, malgré ce que peut avoir de péjoratif cette étiquette, font souvent preuve d’un solide métier; Jouer dans la rue, rappelle en substance Floriane Gaber, n’est pas tout repos, et il y faut de sérieuses motivations si l’on veut tenir dans un environnement parfois hostile, même si de nombreuses municipalités voient aujourd’hui dans les festivals qu’elles créent un excellent alibi culturel, pas trop cher et qui rapporte souvent gros à l’économie locale. Que deviendra le théâtre de rue (qui est le plus souvent de plein air) , vu la crise financière qui secoue nombre de villes ?

 

  En tout cas, le dernier festival d’Aurillac devenu  pléthorique, et capable du meilleur comme du pire, se porte comme un charme. Les deux livres de Floriane Gaber sont une excellente  synthèse, parfois un peu  rapide, mais comment faire autrement, de ces pages du théâtre en France qui, si souvent décriées, font maintenant l’objet de nombreuses maîtrises et thèses universitaires… Ainsi va le monde!

 

Philippe du Vignal

Editions Ici et là; 17 € et 22 €

 

L’Age d’or du théâtre polonais

L’Age d’or du théâtre polonais
De Mickiewicz à Wyspianski, Grotowski, Kantor, Lupa, Warlikowski…
Dirigé par Agnieszka Grudzinska et Michel Maslowski

vbook250.jpg Publié dans le cadre des travaux du Centre de recherche sur les cultures et les littératures de l’Europe centrale, orientale et balkanique à l’Université de la Sorbonne Paris-IV, cet ouvrage rassemble un certain nombre de contributions au colloque organisé en 2006 autour du rituel dans le théâtre polonais. Il aborde à travers les articles des spécialistes du sujet polonais, français, italiens et slovaques, les divers aspects de la ritualité et ses manifestations dans les courants esthétiques qui ont marqué la création théâtrale polonaise depuis le XIXe siècle.
Faisant remonter, quelque peu arbitrairement, l’origine du théâtre polonais à la première moitié du XIXe siècle, et notamment à l’œuvre patriotique Les aïeux d’Adam Mickiewicz, poète et écrivain, émigré à Paris après l’échec de l’insurrection de 1830 contre l’occupant russe, on inscrit ainsi d’emblée ici les principales et les plus marquants créateurs du théâtre polonais dans l’héritage ou dans le sillage du drame romantique mickiewiczien.
« Tout est parti des Aïeux, quant au développement original du théâtre polonais, sans parler de son poids dans la culture et la spiritualité. » déclare Michel Maslowski, codirecteur de l’ouvrage. Ainsi le théâtre polonais sortirait-ils Des Aïeux, telle Athéna de la cuisse de Jupiter.
Structuré en sept parties, l’ouvrage aborde d’abord les questions de la méthodologie et de la tradition à travers des articles de Leszek Kolankiewicz sur l’approche du rituel, de Jean-Marie Pradier analysant le rituel dans le contexte de l’ethnoscenologie et de Michel Maslowski donnant en quelque sorte, à partir de son étude de la structure rituelle Des Aïeux et de ses conséquences esthétiques, une grille de lecture du théâtre polonais. De sorte que Les Aïeux serait à la fois l’équivalent de la « structure œdipienne » littéraire et la scène primitive du théâtre polonais.
Le point de vu ainsi orienté, on passe dans la deuxième partie de l’ouvrage à l’exploration de la mise en scène du drame romantique, prise en charge par Jacek Popiel, Marina Fabbri et Malgorzata Dziewulska.
Suive en troisième partie « Constellation Grotowski » les réflexions de Ludwik Flaszen sur les bases théoriques du travail de Grotowski, la mise en relation de l’acte de théâtre total de Grotowski et d’Artaud par Monique Borie, enfin un regard sur l’enseignement de Grotowski au Collège de France par Grzegorz Ziolkowski.
Au chapitre quatre « Constellation Kantor » Zbigniew Osinski enquête sur les postures de Kantor et de Grotowski face au théâtre symboliste de Stanislaw Wyspianski, Amos Fergombé questionne le rituel kantorien comme poïetique de dépassement de la mort et Gérard Conio brosse un pertinent tableau de la scène plastique polonaise comme métaphore du futur antérieur depuis Witkiewicz à Kantor et à Znorko.
La partie suivante regroupe diverses recherches rituelles dont celle de Leszek Madzik, avec sa compagnie Scena Plastyczna (par Dominika Larionow), les divers traitements scéniques de la ritualité dans Le Dibbouk (par Agnieszka Grudzinska), la démarche, entre anthropologie et art, de la compagnie Gardzienica (par Joanna Pawelczyk), le parathéâtre de Rena Mirecka, issue du théâtre laboratoire de Grotowski (par Magdalena Dos).
On enchaîne dans la partie suivante avec les approches des rapports au rituel et de ses formes dans la création actuelle chez Krystian Lupa et les créateurs dits « Brutalistes » : théâtre comme lieu de connaissance pour Krystian Lupa (par Grzegorz Niziolek) théâtre rimbaldien de Krzysztof Warlikowski (par Georges Banu), quête du rituel aujourd’hui (par Piotr Gruzczynski), le rituel de la mémoire au théâtre (par Mateusz Borowski et Malgorzata Sugiera).
En guise de conclusion, quelques témoignages français de Pierre Guicheney sur l’héritage de Jerzy Grotowski, de Katharina Seyferth, ancienne élève de Grotowski et de Charles Tordjman qui, affirmant que « le rituel est un jeu » met le point final à cet ouvrage apportant des analyses percutantes de certaines démarches et de leurs liens avec la ritualité mais aussi irritant par moments par la tendance coutumière des Polonais a s’auto admirer et à dresser des piédestaux aux grands génies de la patrie. L’importance attribuée à Mickiewicz et à son héritage me semble exagérée, tout comme la célébration de son génie et de son œuvre.
Cela me rappelle le « catéchisme littéraire » seriné aux écoliers polonais, les enjoignant d’admirer le grand poète polonais Adam Mickiewicz qui est grand puisque nous l’admirons, cela va de soi. Witold Gombrowicz, qui lui aussi curieusement se trouve ici inclu parmi les héritiers de Mickiewicz, met justement en dérision cette dévotion patriotique vouée au grand poète dans son roman Ferdydurke.
Parmi les héritiers « paradoxaux » des Aïeux de Mickiewicz figurent aussi Witkiewicz (sa révolte contre la tradition romantique étant considérée comme une forme de continuité), les metteurs en scène Jerzy Grzegorzewski, Krystian Lupa (pour la spiritualité qui imprègne ses spectacles), Krzysztof Warlikowski abordant l’homosexualité et les pulsions morbides de l’homme, Jan Klata montrant, dans une esthétique néoréaliste, la misère humaine dans les bas-fonds de la société.
La conception de l’acte théâtral comme « messe esthétique », la recherche de la ritualité seraient une spécificité du théâtre polonais selon Maslowski qui reconnaît tout de même que les Polonais n’en ont pas le monopole. Ils se distinguent en revanche par l’esprit mystique voire messianique, la religiosité exacerbée et un catholicisme sclérosé, obscurantiste, qui reprend d’ailleurs aujourd’hui du poil de la bête.
La spiritualité imprègne profondément le théâtre polonais, souligne à gros traits Maslowski, qui ne peut s’empêcher d’évoquer à cet égard les exploits théâtraux d’un certain Karol Wojtyla, alias Jean-Paul II, lui aussi évidemment héritier de Mickiewicz.
Et ce n’est pas tout. Rappelant la célèbre mise en scène des Aïeux par Kazimierz Dejmek en 1967 qui stigmatisait l’oppression soviétique et dont l’interdiction par le pouvoir communiste a provoqué des émeutes d’étudiants et les protestations des intellectuels, Maslowski fait remonter à cet événement la création du Comité de Défense des Ouvriers puis en 1980 le syndicat « Solidarnosc ».
De là on pourrait dire que les vers des Aïeux retentissants tels les trompettes qui ont fait tomber les murs de Jéricho, ont fait choir le mur de Berlin. Bref, il est grand temps de couper ce cordon ombilical enchaînant le théâtre polonais au poète, père de la nation et aux Aïeux.
Si le théâtre tire son origine du rite, du rituel, celui-ci n’est pas pour autant sa finalité.
« Dans le monde moderne, la ritualité apparaît de plus en plus comme un refuge de la vérité humaine face au mensonge du discours. Et au temps de la mort de Dieu elle est le lieu de la présence du sacré » dit Maslowski. Et si au lieu de se réfugier dans le rite on allait affronter, combattre, le mensonge du discours politique, idéologique, économique mais aussi celui des pseudo intellectuels et des guides spirituels, qui empoisonnent le monde dans lequel nous vivons ? Amen.

Quatre cahiers de photos intégrés dans le livre retracent l’histoire scénique de certaines œuvres fondamentales du théâtre polonais. Ainsi diverses mises en scène des Aïeux de Mickiewicz, de Libération et des Noces de Wyspianski, de Tango de Mrozek, du Mariage de Gombrowicz, plusieurs photos de spectacles de Grotowski, Kantor, Lupa, Warlikowski, etc.
Pas d’index qui serait pourtant utile, en revanche on y trouve d’amples notes biographiques des participants au colloque et des auteurs des articles avec une longue liste de leurs publications, titres et décorations.

Irène Sadowska Guillon

L’âge d’or du théâtre polonais de Mickiewicz à Wyspianski, Grotowski, Kantor, Lupa, Warlikowski…
Sous la direction d’Agnieszka Grudzinska et Michel Maslowski
Éditions de l’Amandier, Paris 2009
452 pages, prix 20 €

Revue Frictions n° 15

Revue Frictions n°  15 automne 2009

  Le dernier numéro de Frictions s’ouvre par un éditorial de son rédacteur en chef Jean-Pierre  Han qui s’attriste de voir une autre revue de théâtre bien connue Théâtre Public disparaître après 35 ans de bons et loyaux service, du moins opérer une » suspension de parution »; Théâtre Public était liée à Bernard Sobel et au Centre Dramatique National de Gennevilliers et n’aura tenu que deux ans après le changement de directeur…Longévité effectivement hors du commun et disparition qui tient sans doute à de multiples raisons sur lesquelles il faudra revenir: paysage théâtral bouleversé depuis une dizaine d’années, difficulté de la presse imprimée tous genres confondus, manque d’intérêt des différentes instances ministérielles pour ce qui touche à la recherche et à la réflexion esthétique, apparition de publications sur Internet dont le Théâtre du Blog… impensable il y a encore quinze ans, etc…
  Mais, comme le souligne lucidement Jean-Pierre Han, le paysage des revues théâtrales est devenu un désert mais il  pense compter y camper encore un peu…Dans ce numéro- sans doute un des plus solides de la revue,-une belle réflexion sur le son au théâtre de Thierry Besche, à propos d’Ode maritime de Fernando Pessoa mis en scène par Claude Régy au dernier Festival d’Avignon  qui demanda à Philippe Cacha un travail sonore.Il y a aussi une analyse très pointue de Jean Jourdheuil intitulée Chacun pour soi dans les eaux tièdes du management européen ; le titre qui résume bien la situation du théâtre contemporain  qui a changé, et de propos et de lieux, la prépondérance des Festivals étant devenue une chose acquise comme le raccourcissement de la saison théâtrale pour cause de … surenchère festivalère , puisqu’il faut bien préparer les dits festivals . Et Jourdheuil souligne justement la déviation des politiques dites culturelles vers la communication, le paraître politique; il épingle au passage les deux reprsentants du spectacle allemand à l’étranger que sont devenus Thomas Ostermeier et Sasha Waltz.
  Au sommaire encore de ce même numéro , deux longs articles analytiques sur le texte du Philoctète d’ Heiner Muller par Rainer Nägele,  et Jean-Pierre Morel , ainsi que plusieurs textes de l’auteur italien Ascanio Celestini qui ,on le sait peu dans l’hexagone,  occupe une place singulière dans le paysage théâtral italien d’aujourd’hui dont Fabricca va être montée dans quelques jours à Montpellier par Charles Tordjmann….
  Donc,  si vous avez 13 euros à consacrer à l’achat de ce numéro de Frictions, vous ne le regretterez pas. Vous pouvez aussi vous abonner, et ce n’est pas nous qui vous le déconseillerons.

Philippe du Vignal

Passion Théâtre de Micheline Boudet

Passion Théâtre de Micheline Boudet

     34262.jpgCe ne sont pas à proprement parler des souvenirs mais plutôt le parcours d’un petit rat de l’Opéra qui y rencontre un autre petit rat, nommée Marie Bellon qui deviendra par la suite Marie Bell dont elle retrace la vie, en même temps que la sienne. Comme les temps de sa jeunesse furent, disons, troublés: la guerre,la débâcle de 40 et l’occupation allemande avec les premier bruits de botte de l’armée du Reich sur les Champs-Elysées, l’antisémitisme avec le départ contraint vers l’étranger de Vera Korène , d’Henri Bernstein et de combien d’autres,  et enfin l’épuration , avec ses règlements de compte pas toujours très propres. Micheline Boudet raconte leur entrée dans le petit univers du théâtre où elle firent une longue et brillante carrière, notamment à la Comédie-Française où elle furent toutes deux sociétaires: Micheline Boudet y joua beaucoup, entre autres : Feydeau , Musset, Molière et Marivaux. Marie Bell, décédée en 85,  y créera le rôle de Dona Prouhèze dans Le Soulier de satin, jouera magnifiquement Phèdre et accueillera Peter Brook avec Le Balcon de Genet dans son Théâtre du Gymnase qui porte aussi maintenant son nom. On croise au fil des pages nombre d’acteurs célèbres et reconnus comme Raimu, Jouvet, Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault, Gérard Philipe, Pierre Dux, Arletty, Robert Hirsch, Jeanne Moreau mais aussi des écrivains comme Céline.

  Micheline Boudet rappelle que c’est grâce à Marie Bell qui intervint auprès de Nordling, consul général de Suède, que Céline put rentrer d’un exil de sept ans, lequel Raoul Nordling avait aussi agi auprès de Von Choltilz pour qu’il ne mette pas à exécution l’ordre d’ Hitler de détruire Paris. Elle évoque  aussi les hommes politiques de l’époque qui, ne dédaignaient pas  de choisir une amoureuse parmi les actrices de théâtre, comme Georges Mandel avec Béatrice Bretty, Mandel qui sera  assassiné par la milice , ou Edouard Herriot. Micheline Boudet dit les choses simplement, ne parle que de ce qu’elle a vécu, avec beaucoup de fraîcheur et d’humilité, ce qui n’est pas si fréquent chez les comédiens , et, comme comme cette petite chronique du théâtre français des années 50, plutôt bien écrite, est aussi un peu celle de la vie politique française de ces années-là, ces deux cent pages se lisent très vite, et l’ on en redemanderait bien une petite louche…

  Même si les noms évoqués, si familiers à Micheline Boudet et à ceux de la génération qui suivit, sont maintenant presque tous inscrits sur des pierres tombales, et risquent de ne rien évoquer aux jeunes gens d’aujourd’hui, ce livre contribue très utilement à la mémoire du théâtre français.

Philippe du Vignal

Editions Robert Laffont; prix : 18 euros

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