Le Petit Garde rouge de Chen Hiang Hong, mise en scène de François Orsoni

 Le Petit Garde rouge de Chen Hiang Hong, mise en scène de François Orsoni

L’auteur est avant tout peintre, et c’est un bonheur de le voir illustrer le récit de son enfance, porté par un comédien et deux danseuses. Une enfance en Chine, dans une famille fruste mais heureuse, jusqu’au moment où survient la Révolution culturelle (1971). Il a huit ans  et, à l’école, il arbore un foulard rouge et brandit le petit livre rouge de Mao Tse Dong. Mais sa vie va être bouleversée : son père est envoyé en camp de rééducation, à la grande tristesse de sa mère et de ses grands-parents…

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Alban Guyon raconte avec sobriété cette autobiographie aux anecdotes familières mais sans jugement sur l’Histoire. Et les dessins de Chen Hiang en disent plus que le texte. Sur grand écran, maisons, arbres, oiseaux, fleurs, chat, sœurs, écoliers, grands-parents et parents naissent par petites touches de pinceau ou grand traits d’encre de Chine, noire ou de couleur. Lili Chen et Namkyung Kim, sœurs de l’auteur, avec une chorégraphie évocatrice, nous transportent dans l’Empire du Milieu vers les années soixante-dix avec ses opéras révolutionnaires, hymnes patriotiques, sons et odeurs. Grâce aux bruitages d’Éléonore Mallo, nous suivons le jeune garçon dans la rue, à l’école, dans un parc ou parmi les poules de la grand-mère, égorgées par les gardes rouges…

Sans prétention, cette adaptation au théâtre du livre Petit garde rouge doit sa saveur à la simplicité du texte et à la pureté des calligraphies. Ici, aucun misérabilisme, ni parti-pris idéologique. Une histoire fluide qui finit par un moment poignant où l’artiste, après le  comédien, prend modestement la parole pour dire la suite : le collège, l’Académie centrale des Beaux-Arts à Pékin ; puis, en 1987, l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. Ce peintre est aujourd’hui reconnu et son œuvre a fait l’objet de nombreuses expositions. Parallèlement, il écrit et illustre à l’encre de Chine sur papier de riz, des albums pour la jeunesse publiés à l’École des loisirs. François Orsoni a découvert l’artiste en 2008 et mis en scène, avec lui et selon les mêmes principes, Contes chinois.

«J’ai envisagé le projet comme un moment de partage, dit Chen Hiang Hong. Je crois qu’il est de mon devoir de transmettre ce récit aux jeunes générations, afin qu’elles puissent mieux comprendre la Chine d’aujourd’hui et cet épisode qui a durablement marqué le XX ème siècle. Je vois aujourd’hui cela comme une mission à la fois politique et humaniste et le théâtre permet cela, bien au-delà du livre.»
Il ne faut pas s’attendre à une fresque sur la Révolution culturelle mais petits et grands auront le plaisir d’entendre, et surtout de voir, une belle histoire.

Mireille Davidovici

Jusqu’au 18 juin, Théâtre du Rond Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, Paris (VIII ème). T. :01 44 95 98 21.

Le 3 juin : ateliers parents/enfants à partir de cinq ans. Bruitage animé et danse traditionnelle chinoise… Et le 6 juin, rencontre avec l’historienne Annette Wieviorka, autrice de Mes années chinoises.


Archives pour la catégorie cirque

Circusnext : lauréats 2023

 Circusnext : les lauréats 2023

Sous la direction à Paris de Cécile Provôt, ce dispositif international fête Circusnext fête ses vingt ans. Anciennement Jeunes Talents Cirque fondé par Fred Cardon et labélisé par la Commission européenne, il a été mis en place pour soutenir le cirque contemporain en effervescence… Deux décennies à accompagner des artistes venus de partout et incontournables comme Baro d’Evel, Camille Boitel, Galaktik Ensemble, Alexander Vantournhout… Et bien d’autres qui ont conquis les pistes de cet art hors classe. Circusnext  doit bientôt s’installer à la Ferme Montsouris, un nouveau lieu de la Ville de Paris consacré au cirque. Une promesse de belles découvertes.

Un jury de professionnels et artistes des nations partenaires a, en février 2022, sélectionné sur dossier parmi cent dix-neuf artistes, trente-six qui ont bénéficié de laboratoires dans cinq pays d’Europe. Parmi eux, douze finalistes ont eu droit à une coproduction et à des résidences dans les lieux membres de Circusnext Plateforme en Europe. A l’arrivée, quatre projets de spectacles sont présentés sous un format de vingt minutes: des travaux en devenir mais suffisamment aboutis. Dans leur singularité, ils témoignent de l’être au monde des artistes. Poétiques, politiques, drôles ou étranges, ils ont tous un fort potentiel qui convaincra sans doute les lieux de résidence ou diffusion de les accueillir pour peaufiner leur travail,  et pour ensuite les programmer.

Cá entre nós par la compagnie Doisacordes

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© Christophe Reynaud de Lage

Encordés, accordés, désaccordés, le Chilien Roberto Willcock et le Brésilien Thiago Souza se livrent à un jeu de pouvoir avec pour accessoire de longues cordes: qui entravera l’autre ou lui échappera ? L’un veut dominer mais l’autre réussit à s’esquiver. Par de savantes manipulations de leurs agrès, avec des nœuds qui se font, se défont ou coulissent, ils sont d’une grande précision au sol comme dans les airs.

De violent à ludique, ce numéro dit les rapports de force mais aussi un essai d’équilibre pour nouer des relations autres… Cá entre nós : une expression brésilienne impliquant une confiance, que l’on peut traduire par : « cela reste entre nous”. Ces artistes qui se sont connus à l’École nationale de cirque du Brésil, ont installé leur compagnie à Barcelone en 2022 : cette première création sera finalisée dans deux ans. Avec un savant jeu de lumières, une sobriété gestuelle, une construction cohérente et une solide maîtrise corporelle, un beau duo en perspective…

Masha par la compagnie Palimsesta

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© Christophe Reynaud de Lage

 Étrange dispositif : une étroite piste revêtue de graisse où deux silhouettes, torse nu et se font face. L’homme massif, la femme frêle, à genoux ou assis sur le sol luisant d’une scène bi-frontale, glissent l’un vers l’autre puis reculent ou pivotent. Nous les voyons donc de profil. Cette progression lubrifiée semble d’abord aisée, voire agréable, mais quelques difficultés surviennent rendant alors toute avancée impossible. «La graisse glisse de nos corps sur le sol : faire un pas en avant implique le risque de glisser» disent Andrea Rodriguez de Liébana chercheuse circassienne, enseignante et architecte et Sergio González, à la fois travailleur social et artiste.

Avec cette première collaboration commencée en 2021 et au résultat prévu pour 2024 ils veulent:« Fournir une histoire critique sur l’annulation du sujet, à travers les nouvelles formes de capitalisme. ».Masha, construit sur la tension entre burlesque, et tragique, met en évidence de façon très fine, dans cette proximité, les tactiques de corps adverses pour rester debout et continuer. En faisant observer de près ses tentatives pour aller vers l’autre et dépasser les difficultés, Masha exprime la force vitale qui anime les individus.

 Fora d’Alice Rende

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Christophe Reynaud de Lage

 Enfermée dans une haute et étroite cage de verre face à un miroir, la contorsionniste va essayer d’en sortir. « Fora » signifie dehors, en portugais, catalan, occitan, sarde… Comment échapper à cette prison aux murs lisses ? Colère, rage et désespoir n’y feront rien. Alice Rende avec des reptations spectaculaires apprivoise l’espace et se hisse après plusieurs glissades hors de ce cercueil transparent, métaphore de la condition féminine et de l’aspiration à en sortir.

Encore faudra-t-il s’habituer à la liberté et une fois dehors rejeter l’aliénation qui habite encore son corps. Ce que nous réserve la seconde partie de cette puissante et élégante narration corporelle. Fora verra le jour à la B.I.A.M., à Marseille, l’hiver prochain. Ce sera le deuxième solo d’Alice Rende, italo-brésilienne formée à l’Ecole Nationale de Cirque du Brésil, puis à l’Ecole Supérieure des Arts du Cirque de Toulouse où elle avait créé son premier solo: Passages.

 Le Repos du guerrier d’Édouard Peurichard

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© Christophe Reynaud de Lage

Ce Français, acrobate, jongleur et lanceur de couteaux, va nous parler de son parcours lié à ses spectacles mais aussi de ses expériences en « cirque adapté», une pratique utilisant le cirque comme moyen pédagogique ou thérapeutique. Né en milieu hospitalier pour aider les handicapés, cette pratique s’ouvre aujourd’hui à un public plus large dont des jeunes en rupture. Son but : retisser les liens sociaux.
Petite démonstration avec un spectateur, ici un adolescent souriant. Édouard Peurichard montre, comment établir des liens de confiance à partir de situations déstabilisantes… Mais rien de pédagogique dans ce solo humoristique où son auteur nous fait voir le cirque sous un jour nouveau. Le repos du guerrier  sera finalisé le 1er octobre prochain à la Grainerie à Toulouse.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 25 mai au Théâtre de la Cité Internationale, 17 boulevard Jourdan, Paris (XIV ème) T. : 01 85 53 53 85.

www.circusnext.eu

Le Périmètre de Denver, de et par Vimala Pons

Le Périmètre de Denver, de et par Vimala Pons

Dans ce solo insolite apparaissent une demi douzaine de personnages, convoqués par l’artiste comme témoins d’un crime commis dans un hôtel de thalassothérapie. Un défilé surréaliste d’individus, joués par une Vimala Pons aux multiples visages. Masquée et costumée avec prothèses et postiches, elle contrefait sa voix, ses postures, son langage pour incarner des suspects, présents le jour du meurtre. Leurs dépositions n’ont souvent rien à voir avec les faits et brouillent les pistes. Un occasion d’envisager le rapport de chacun à la vérité et d‘explorer ce que l’autrice appelle le Périmètre de Denver :  «Un espace d’incertitude créé par un mensonge. »

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Sur un plateau encombré d’accessoires hétéroclites dont chacun servira par la suite à la reconstitution du crime, on se surprend à reconnaître l’accent et la démarche d’Angela Merkel. Elle ouvre le bal des témoins et nous raconte un amour impossible avec une conseillère d’orientation qui la désorientée et par chagrin, elle s’est tournée  vers une carrière politique. Cette carrière, lourde à porter est matérialisée ici  par un empilement de rochers juché sur sa tête. Une image inouïe.

Vimala Pons, coiffée de cette sculpture en équilibre précaire, se défait lentement des innombrables couches de vêtements qui l’enveloppent, comme autant de mensonges propres à ce Périmètre de Denver. Mise à nu, elle dépose avec tendresse la dépouille de son personnage pour fabriquer le prochain appelé, à l’aide de nouveaux artifices.

Ce sera un homme louche se disant attaché de presse et « intervenant numérique» c’est à dire « troll» payé pour ses commentaires sur les réseaux sociaux : il aurait eu rendez vous avec la victime. En équilibre sur la tête de l’artiste: un escalier… Suivront d’autres personnes plus ou moins glauques, avec leurs histoires, leurs obsessions et le poids de leurs mensonges sur la tête. Dont une table de réunion, une voiture, un tableau… S’extirpant des oripeaux de ses créatures, Vimala Pons les installe soigneusement aux quatre coins du plateau, comme pour prolonger leur présence.  

La jeune femme, aussi bonne autrice qu’actrice, vient du cirque, un art où le corps ne ment pas. « L’équilibre est une notion propre au cirque, dit-elle, je me pose des questions philosophiques mais simples et fondamentales: pourquoi ça tombe et pourquoi je marche? En tirer les fils permet de se demander ce qu’est le déséquilibre dans sa propre vie. Mentir, c’est aussi rééquilibrer le réel dans ce qu’il a d’insatisfaisant.»

Elle a imaginé ce spectacle surréaliste, un peu fou, avec son complice de longue date, Tsirihaka Harrivel et une équipe de costumiers et créateurs de prothèses… Il ne faut pas manquer ce Périmètre de Denver créé en 2021. Espérons qu’il sera repris et suivi d’autres performances aussi inoubliables.

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 23 avril, Centre Pompidou, Place Georges Pompidou, Paris (IV ème) . T. : 01 44 78 12 33

Les 1er et 2 juin, Festival Utopistes, Maison de la Danse, Lyon (Rhône)

Nagasaki, d’après le roman d’Eric Faye, adaptation et mise en scène d’Olivier Cruveiller

Nagasaki, d’après le roman d’Eric Faye, adaptation et mise en scène d’Olivier Cruveiller

Quelque chose cloche dans l’appartement de monsieur Shimura, modeste employé du service de météorologie à Nagasaki. Célibataire maniaque, à l’existence réglée comme du papier à musique, il constate la disparition de certains aliments. Qui a bu la moitié de son jus de fruit? Qui a subtilisé ses yaourts? Porte et fenêtre closes et aucune trace d’effraction. Jusqu’au jour où il installe une caméra pour espionner son domicile depuis le bureau…
Une intruse s’est glissée chez lui. Comment? La police, alertée, fera la clarté. Chômeuse de longue durée et sans domicile, cette inconnue se cache depuis plus d’un an dans un placard et prend possession des lieux, une fois leur propriétaire parti au travail.

© Eva Gardenne

© Eva Gardenne

De ce fait divers paru dans la presse japonais, Erik Faye a tiré un roman délicat qui lui a valut le prix de l’Académie française en 2010. Du Pays du soleil levant qu’il  a parcouru et dont  il a publié des récits de voyage, il emprunte le style dépouillé pour évoquer ces personnages ordinaires. Ces vies minuscules, faites de solitude, que le hasard met en présence, sans qu’elles se rencontrent vraiment.

Au récit de Shimura, déstabilisé par cette affaire, succède celui de son « intruse » comme il la nomme: des déménagements successifs ont marqué la vie de cette femme comme autant d’arrachements. La maison de Shimura -où elle vécut jadis et dont elle avait conservé la clef- est son ultime refuge. Mais elle en sera une fois de plus délogée et sera mise quelques mois en prison. Sans le rencontrer, elle a pénétré dans l’intimité de son hôte malgré lui, en explorant les recoins de la demeure… Rien chez lui ne l’attire particulièrement, sinon le vide, la solitude et la banalité qu’ils ont en partage.

Olivier Cruveiller incarne un Monsieur tout le monde plutôt sympathique qui fait part de son trouble au public, ici pris à témoin. Le récit de la femme est plus retenu, introspectif… Natalie Akoun ( Elle, plus âgée) raconte comment elle en est arrivée là, sur le mode du « je », et relayée dans son histoire par Nina Cruveiller (Elle jeune) à la troisième personne du singulier. Un dialogue à deux voix, entre le présent chaotique de la femme mûre et l’évocation par la plus jeune, d’un passé fracturé: enfance bouleversée par la destruction de la maison familiale, ralliement au groupuscule radical de l’armée rouge, petits boulots, licenciements…

La force du spectacle est bien aussi dans la simplicité et la densité du texte. Eric Faye, sans effet de plume, nous plonge dans une douce mélancolie soulignée par le violon et le bandonéon de Laurent Valéro. Deux châssis mobiles tendus de tissu figurent les lieux du récit et, selon les éclairages, présentent les personnages en ombres chinoises. Images fugaces de ces êtres de solitude, rendus invisibles par une société sans pitié et dont le passage sur terre ne laissera aucune trace. Des ombres qui planent sur l’anéantissement nucléaire par les Etats-Unis, d’Hiroshima et Nagasaki, évoqué ici en filigrane.

La mise en scène, par des jeux d’ombre et lumière rend avec justesse l’atmosphère en demi-teinte du roman et nous incite à lire cet auteur dont les titres des romans font écho aux thématiques de Nagasaki comme L’Homme sans empreintes, Le Général Solitude, Le Syndicat des pauvres types

Mireille Davidovici

Jusqu’au 8 avril, au100, 100 rue de Charenton, Paris (Xll ème).

Nagasaki est publié chez Stock.

 

23 Fragments de ces derniers jours, circographie de Maroussia Diaz-Verbèke

 23 Fragments de ces derniers jours, circographie de Maroussia Diaz-Verbèke

© Maira Moraes

Maira Moraes © João Saenge

Metteuse en scène et acrobate sur corde, dans son solo en forme de manifeste, Circus Remix en 2017, elle revendiquait déjà le cirque comme un langage en soi, en se baptisant «circographe ». Nous avons découvert son travail avec FIQ ! (Réveille toi !) au dernier festival d’Alba (voir Le Théâtre du blog) avec le Groupe Acrobatique de Tanger. Un spectacle brillant créé en même temps qu’elle montait, au Brésil, ce projet avec trois femmes artistes d’Instrumento de Ver, un collectif de Brasilia, et avec trois danseurs de Rio, Recife et Salvador de Bahia.

Avec l’arrivée de Jair Bolsonaro au pouvoir, les initiatives culturelles ont été à l’arrêt mais Maroussia Diaz Verbèke va réaliser 23 Fragments de ces derniers jours en France, en y invitant des artistes. La casse sociale et environnementale infligée au Brésil pendant les années Bolsonaro ((2019-2022) traverse donc, jusqu’à son titre, ce spectacle. En forme de journal de bord, il présente « souvenirs, problèmes ou pensées »  éclatés en fragments pour «  rassembler le puzzle et ne pas oublier ce carnaval de cristal ». Un foisonnement de numéros livrés dans le désordre et à géométrie variable.

 Sur une musique de carnaval, les artistes investissent la scène, chargés d’objets disparates : jouets, bouteilles, tabourets, branches de céleri, parapluie de taille diverse, cafards, ballons gonflables, ampoules électriques, bougies… Entassés autour du plateau circulaire, ils serviront d’accessoires pour des fragments successifs, annoncés au micro, en brésilien et en français, par titre ou date, et parfois commentés. Un travail de bruitage accompagne les numéros enchaînés au rythme trépidant de la bande sonore réalisée   Loïc Diaz Ronda et Cícero Fraga. Difficile d’énumérer ces  morceaux, (devenus trente-six!),  interrompus par des saynètes clownesques de rencontres ratées…

23 Fragments de ces derniers jours, circographie de Maroussia Diaz-Verbèke dans actualites julia-henning

Julia Henning © ©João Saenge

 D’innombrables bouteilles à usage multiple jalonnent ce « carnaval de cristal », et nous offre grâce à des éclairages rasants, une transparence lumineuse et une fragilité. L’acrobate Julia Henning marche dessus, en équilibre, ou s’y accroche, suspendue à un filin. Brisées au marteau, ces carafes deviennent un tapis coupant où évolue, pieds nus, Maïra Moraes, aussi naturellement qu’elle foule un amas de legos ou de véritables cafards… Béatrice Martins, acrobate et ancienne gymnaste de l’équipe nationale du Brésil, danse et se contorsionne. Il y a aussi les trois garçons de la bande. André Oliveira Db et ses brillantes démonstrations de passinho carioca, mâtinées de danses urbaines afro-brésiliennes. Lucas Cabral Maciel, souple et puissant dans ses parodies de danses populaires ou des tours de magie. Marco Motta, lui, danse capoeira et break dance (b-boying) aussi bien qu’il se contorsionne au bout de sangles…

 Pas de démonstration spectaculaire, ici on ne fait pas étal d’exploits mais, avec des agrès de fortune, ces artistes virtuoses manient sans en avoir l’air, humour, sarcasme et poésie. Maroussia Diaz Verbèke signe ici une œuvre à son image et tisse avec ses interprètes une réjouissante fresque brésilienne. Parfois un peu bavarde mais profondément politique, renouant avec les débuts méconnus du cirque qui, interdit de répertoire, s’inspirait de l’actualité. Avec sa compagnie, le Troisième cirque, elle prépare actuellement Circus Remake (inspiré de Circus Remix) avec deux interprètes féminines. Une circographe à suivre.

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 18 février, Le Monfort, 106 Rue Brancion, Paris (XV ème) T. 01 56 08 33 88

Le 2 mars, Cirque Jules Verne, Amiens (Somme).

Du 3 au 21 juin CoOp, Maison des Métallos, Paris (XI ème). 

Du 9 au 19 août, Festival Multi-pistes, Le Sirque, Nexon (Haute-Vienne).

Le Théâtre du Centaure

Le Théâtre du Centaure 

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© Emmanuel Dautant

 Nous avons découvert cette compagnie avec Animal*, rencontre entre l’univers de la danseuse japonaise Kaori Ito et celui du circassien Manolo (voir Le Théâtre du Blog). A Marseille, pour ce théâtre équestre, Le Centaure est une entité à deux têtes. Manolo se définit comme «acteur centaure  et l’a fondé en 1989 en Bourgogne, dans le sillage d’un rêve d’enfant: «Quand je serai grand, je serai centaure et on construira un château avec des artistes et des chevaux.» Camille, à ses côtés depuis vingt-cinq ans, est à la source d’une éthique holistique, mettant en relation le Centaure avec le vivant dans son ensemble. Ils conçoivent ce projet comme une hétérotopie, un  concept forgé par  Michel Foucault qui la définit comme une localisation physique de  l’utopie.

En 2016, vingt ans après leur arrivée dans la cité phocéenne, les artistes ont dressé un «chapiteau-volcan», réalisé avec l’architecte Patrick Bouchain en fonction des besoins des chevaux, sur une ancienne zone maraichère, dans les Hauts de Mazargue. Entre les calanques et la prison des Baumettes, un secteur à la fois résidentiel et classé en « politique de la ville« . 

Soucieux de préserver cet environnement, ils y ont construit des bâtiments en teck recyclé, façonnés, sculptés par des artisans d’Indonésie, pays cher à Camille et dont elle parle la langue. Écuries, logements, salon de thé, administration, pavillon de répétition sont ornés de frises en bois ajouré et assemblés sans clous et démontables, au cas où… Pas un arbre n’a été coupé et sur ce vaste terrain attribué par la Ville, quarante amandiers ont été plantés : leurs fruits servent à la confection de plats méditerranéens par les habitants du quartier pour des fêtes et rencontres. Sur les conseils d’un vannier, trois mille pieds de saule s’entrecroisent autour du chapiteau pour le ceindre d’une corbeille vivante… 

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© Francesca Todde

Autour du cheval, Camille et Manolo entendent marier Nature et Culture en ouvrant le site à des expériences de permaculture où ils invitent des spécialistes à former des apprentis-jardiniers… Et des experts en botanique élaborent des traitements de phytothérapie équine, notamment à base de consoude, une plante aux actions cicatrisantes qui, chez les hommes et les chevaux, aide à réduire les fractures, soigne les entorses, les bleus et l’arthrose. Le jardin compte aujourd’hui trois cent-cinquante espèces comestibles vivaces.

Dans ce quartier difficile de Marseille, le Centaure travaille en lien avec les milieux empêchés ou éloignés. «Quand l’homme-cheval surgit, les imaginaires s’éveillent » dit Manolo. Ainsi, la poésie pénètre à cheval dans la prison des Baumettes voisine. Et, dans huit écoles du secteur, une «biblio-calèche » apporte des livres aux enfants… «Les Centaures, on est une créature impossible, leur dit Manolo, alors, comme nous, écrivez vos rêves, vos utopies, fabriquez vos livres. » En une dizaine d’années, a été créée une collection de livres rédigés, illustrés et façonnés par les élèves de classes élémentaires… Une bibliothèque colorée aux titres évocateurs :  Si on plantait des mots! ou L’Ecole se rebelle…

Les Centaures campent sur le territoire marseillais et diffusent leurs pièces équestres mais peuvent aussi surgir dans une chapelle, sur une autoroute, un centre commercial, une gare, devant une maison de retraite… Ou créer des événements spectaculaires, comme une gigantesque transhumance avec 4.000 animaux et 400.000 personnes convergeant de plusieurs villes de Provence vers Marseille, à l’occasion de Marseille-Capitale européenne de la culture… Ils vont aussi avec d’autres cavaliers, dessiner en procession sur les plages du Maroc et sur la Piazza di popolo à Rome, des «animaglyphes » seulement visibles du ciel.

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Pour prendre l’avion, monter dans un ascenseur, entrer dans une prison ou danser au milieu de la foule d’une boîte de nuit, il faut mettre les animaux en confiance, Cette symbiose homme/animal est l’essence même du Centaure. Manolo et Camille en sont convaincus : « Le XXI ème siècle sera en symbiose avec l’ensemble du vivant ou ne sera pas!» Au cœur de toutes ces actions, une quinzaine de chevaux. Graal, Darwin, Silence, Sombre, Gaya et West, de puissants frisons originaires des Pays-Bas, sont les partenaires de piste de Camille. Manolo, lui, évolue plutôt sur des montures venues du monde arabe et ibérique, agiles et souples comme Nuno,Toshiro, Bhima, Yudishtira, Sahadeva, Indra. Et un troisième centaure, Bertrand B. travaille avec Arjuna, Akira et Escarabajo. Il y a aussi Tao, un percheron d’une tonne et Koko, un baudet du Poitou, aux tresses tombantes… Tous les mercredis, on peut venir les voir travailler ou répéter avec les artistes, ils sont le trait-d’union entre Nature et Culture. Il y a aussi dans ce lieu de vie, des cours de théâtre, tai-chi, yoga et une chorale…

Le dramaturge Fabrice Melquiot, leur partenaire de longue date, a écrit et mis en scène un spectacle pour les artistes de ce théâtre équestre et sur eux, Centaure quand nous étions enfants**. Et il en a tiré une livre: «Le centaure est une promesse./Je rêve d’un galop pour ma moitié humaine, je rêve d’une parole pour ma moitié animale: le centaure espère l’impossible, de toutes ses forces rassemblées ; il interroge l’animal humain, déplaçant les frontières de soi aux frontières de l’autre : le centaure est un franchissement. »

Mireille Davidovici

Animal Le 5 mai, Quai 9, Lanester (Morbihan). Les 7 et 8 mai, Haras d’Hennebont (Morbihan); les 13 et 14 mai, Baie du Mont Saint-Michel (Manche).

 ** Centaure, quand nous étions enfants est publié à L’Ecole des loisirs.

BIAC Marseille-Provence-Alpes-Côte d’Azur, cinquième édition

Biennale Internationale des Arts du Cirque Marseille-Provence-Alpes-Côte d’Azur (BIAC), cinquième édition

Codirigé par Raquel de Andrade, Guy et Simon Carrara, Archaos a créé ses premiers spectacles il y a trente ans (Chapiteau de Cordes, Somewhere and Nowhere, Métal Clown…) et a joué dans le monde entier, avant de s’implanter à Marseille depuis 2001 où il est devenu Pôle national cirque. Archaos a initié cette B.I.A.C., dans la foulée du projet Cirque en Capitales, mis en place pour Marseille Capitale Européenne de la Culture en 2013. Cette Biennale de création propose, les années impaires, au cœur de l’hiver une programmation avec des structures culturelles sur tout le territoire de la Région Sud-Provence-Alpes-Côte d’Azur.Et les années paires, un festival plus réduit, L’Entre2 B.I.A.C. sur Marseille Métropole. Cette année, quarante-cinq lieux culturels offrent plus de soixante-dix spectacles avec deux-cent cinquante représentations. A Marseille, le Village Chapiteaux, non loin des plages du Prado, sert de quartier général dans un Magic Mirror convivial.

Désobérire
En une soirée, nous avons pu voir trois événements dont une amusante conférence philosophico-circacienne Désobérire où l’acteur Guillaume Clayssen en s’appuyant sur la présence de l’acrobate Roberto Stellino, essaye de répondre à la question : Obéir ou désobéir? Malgré son habileté rhétorique, le comédien a du mal à intégrer dans ses raisonnements les performances de son partenaire dont saillies et pirouettes ne nous ont pas convaincus.
Mais nous suivrons volontiers les prochaines créations de cet agrégé de philo car il instaure une complicité avec le public et démontre textes à l’appui, qu’il est plus facile d’obéir que de se révolter, surtout en démocratie « où la désobéissance est moins légitime que dans une tyrannie ».Mais parfois, « la désobéissance  démocratise la démocratie », comme le prônait en son temps Henry David Thoreau et comme l’a montré Rosa Parks en 1955, en refusant de céder sa place à un passager blanc dans un autobus à Montgomery (Alabama). Exemple récent : les multiples actions de Cédric Herrou, agriculteur militant pour la défense des migrants, a permis d’abolir -mais dans certaines conditions- du «délit de solidarité ».

I Love You Two by Circus I Love You

© Minga Kaukoniemi

 

I love you two
Tout commence en musique et ces artistes forment un excellent orchestre, avant de se lancer dans leurs performances. Trois duos d’acrobatie se succèdent, organisés autour de la notion de tendresse. Un homme et une femme rivalisent en virtuosité au bout d’une perche et au trapèze volant, se portant tour à tour l’un l’autre avec la même vigueur mais toujours en douceur.Suit un étonnant numéro musical entre l’accordéoniste et le violoncelliste. Les voilà alternant sur les épaules l’un de l’autre, tout en continuant à jouer. En inventant des combinaisons virtuoses et les plus invraisemblables et finissent par tourner avec grâce dans des roues Cyr…

Enfin, deux funambules dansent sur le fil, y roulent à bicyclette… Des équilibres périlleux qui nous tiennent en haleine. Pour finir dans de vertigineuses envolées en bascule. Du très grand art servi par une équipe joyeuse et souriante : Sade Kamppila, Julien Auger, Oskar Rask, Benoît Fauchier, Felix Greif, Philomène Perrenoud, Thibaud Rancoeur, Périklis Dazy, Thomas Fabien, Julia Simon, Pelle Tillö, Elisabeth Künkele ou Emma Laule. La compagnie Circus I love you a été créée par Sade Kamppila et Julien Auger pour réaliser leur rêve : fabriquer un cirque et aller jouer en Europe… Tout le monde met à main à la pâte et se partage la conduite du camion, le montage du chapiteau et des gradins, la création des costumes. Et le cuisinier fait quelquefois partie du spectacle ! Ils partagent aussi la même approche de leur art : « l’amour du cirque comme outil d’épandage massif d’amour! »

Les Fauves -

Ea eo © Florence Huet

 

Les Fauves, direction artistique d’Eric Longequel et Johan Swartvagher

Nous pénétrons sous un chapiteau « cousu main », nous dit-on, et conçu pour ce spectacle de jonglage grand format, par le collectif d’architectes Dynamorphe: «Plus que jamais, les spectacles de jonglage ont besoin de se détacher des formes existantes, telles que la boîte noire ou la piste de cirque », affirme la compagnie Ea Eo qui a créé Fauves à l’Espace-Cirque d’Antony l’an passé. Nous visitons la ménagerie, guidés par les instructions et commentaires de la chanteuse et musicienne Solène Garnier dont les compositions accompagnent le spectacle. Elle chauffe l’ambiance pour une déambulation de quarante minutes, dans les espaces où les cinq jongleurs se livrent à des numéros solitaires. Éric Longequel évolue sous l’eau dans un aquarium, jouant avec des objets bizarres. Neta Oren jongle avec ses balles blanches dans une cage de verre, au rythme infernal d’une voix impérieuse, diffusée dans notre casque. Plus loin, Emilia Taurisano, gracieuse, fait rebondir ses balles d’un pied à l’autre, suspendue à un fil telle une araignée. Elle ouvrira aussi de petites balles transparentes d’où jaillissent confettis et plumes.
Au centre du chapiteau, Wes Peden évolue sur des cothurnes faites de massues assemblées et se défait lentement de tricots de corps enfilés les uns sur les autres et portant des mots humoristiques. Johan Swartvagher, lui, nous attire à l’extérieur et, surgi des buissons, lance ses massues phosphorescentes haut dans le nuit venteuse.

En seconde partie du spectacle, le public se rassemble sur des gradins en tri-rontal. Sur la piste triangulaire, Wes Peden, star du jonglage sur les réseaux sociaux, n’en finit pas de lancer ses massues roses, avant que les fauves au grand complet se déchaînent pour une équipée sauvage et poétique sous les ordres de Johan Swartvagher, le Monsieur loyal de ce cirque où chacun joue en boucle, espérant atteindre son « meilleur jonglage». Et bientôt une pluie de confettis viendra clore ces deux fois quarante minutes. On aurait souhaité ce moment collectif plus dense, plus collectif, et moins long le solo de Wes Peden, par ailleurs excellent performeur.

Mireille Davidovici

Spectacles vus le 28 janvier.

BIAC jusqu’au au 12 février T. :04 91 55 62 41.

Les Fauves

16 au 19 ma La Coursive, La Rochelle (Charente Maritime) ;  du 31 au 2 avril Les Passerelles, scène/La Ferme Du Buisson (Seine-et-Marne ;  du 14 au 16 avril, CirquEvolution /Théâtre De Chelles (Seine-et-Marne) ; du 5 au 7 mai, Le Manège de Reims (Marne) ; du 20 au 25 juin Le Mans fait son cirque (Sarthe) ; décembre Le Tandem Douai (Nord) –

 I love you two

Du 2 au 5 juin,400 år jubileum Göteborg (Suède) ; du 22 au 24 septembre  Atoll Festival Karlsruhe (Allemagne )  ; du 29 septembre au 1er octobre,  Théâtre national Bourg en Bresse (Ain) ; du 6 au 8 octobre, Théâtres en Dracénie, Draguignan (Var) ; du 12 au 15 octobre La Seyne-sur-Mer (Var) ; du 17 – 25 novembre,  La Saison Jeune Public, Le Pôle Hérouville Saint-Clair (Calvados)

 

M.E.M.M. Au Mauvais Endroit au Mauvais Moment de et par Alice Barraud et Raphaël de Pressigny

M.E.M.M. Au Mauvais Endroit au Mauvais Moment de, et par Alice Barraud et Raphaël de Pressigny

Acrobate et voltigeuse, elle a vu sa carrière voler en éclats à cause d’une balle dans le bras, lors des attentats du 13 novembre 2015. Mais Alice Barraud, avec courage et énergie, a surmonté ce traumatisme et remonte sur les planches. Elle a consigné dans ses carnets son calvaire: la nuit d’effroi, la douleur, les hôpitaux, les opérations… Une longue traversée, entre découragement et rage de vivre. Une bagarre qui la ramène sous la lumière des projecteurs, pour nous restituer avec humour et délicatesse cette lente renaissance.

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© Fabien de Branbandere

Le lit d’hôpital au centre du plateau fait pendant à jardin à l’imposante batterie de Raphaël de Pressigny qui sera le partenaire indéfectible d’un récit entre danse et cirque. Alice Barraud a retrouvé l’usage partiel de son bras et s’est inventé une nouvelle gestuelle : elle évoque ses doutes, les réactions de ses proches ou des médecins et elle éconduit vertement un psychiatre balourd, ou rit aux plaisanteries de son frère parlant d’ «un trou de balle dans le bras ».

 Elle met en scène la réappropriation progressive de son corps et sa maladresse devient un élément du spectacle où les gags interdisent tout pathos : comment se servir du seul bras qui vous reste, quand il est attaché à une perfusion ambulatoire ? Comment attraper le «perroquet», ce triangle placé au-dessus du lit ? Chutes, faux pas et gestes ratés deviennent les éléments d’une chorégraphie amusante. Mais, à la fin, nous assistons à la métamorphose dans un envol poétique, en forme d’apothéose, de ce corps empêché. La légèreté et la pudeur de l’artiste enrayent tout apitoiement mais nous font partager avec émotion ses épreuves qui furent celles de nombreuses victimes. Une belle leçon de vie et de théâtre.

 

Mireille Davidovici

« 

Spectacle vu le 24 septembre au Théâtre de la Cité internationale, 17 boulevard Jourdan, Paris (XIV ème). T. : 01 43 13 50 60.
Dans le cadre du festival Village de cirque #18 organisé par 2r2c (voir Le Théâtre du Blog).

Festival d’Alba (suite)

Festival d’Alba 2022 (suite)

les colporteurs

 © Les Colporteurs

 Cœurs Sauvages par Les Colporteurs, mise en scène d’Antoine Rigot et Agathe Olivier

 Cette compagnie fondée en 1996 est, avec les Nouveaux Nez, à l’origine de La Cascade- Pôle national des Arts du cirque (voir Le Théâtre du Blog). Ses « metteurs en piste » mêlent fil, mât chinois, acrobatie et agrès aériens, conjuguant les talents de nombreux artistes.
Après un grave accident qui l’empêchera de danser sur le fil, Antoine Rigaud continue à se battre pour son métier, comme le montre Salto mortale (2014), un film de Guillaume Kozakiewiez  (voir Le Théâtre du Blog). Aujourd’hui, il transmet sa pratique à de jeunes artistes, comme en témoignent les sept circassiens qu’avec Agathe Olivier 
il a réunis pour cette nouvelle création.

 Sous le chapiteau, dans un maillage de fils, mâts, cordes et tissus, ils se déploient en meute, solo ou duo, de haut en bas et de bas en haut, au ras du sol, sur fil et dans les airs. Inspiré, comme le titre l’indique, de la vie animale, le spectacle dévoile la danse fragile d’un papillon sur un fil mais aussi un magma rampant de bestioles, d’où s’échappent un bras, un pied… Un acrobate cabriole, ’un couple se forme sur les hauteurs… Deux hommes descendent simultanément, tels des araignées, l’un le long d’une corde, l’autre dans les entrelacs d’un tissu. Et une ronde s’organise pour protéger une brebis égarée…

Pour ce spectacle bien rythmé, les compositeurs Damien Levasseur-Fortin, Coline Rigot, Tiziano Scali accompagnent en direct Valentino Martinetti, Manuel Martinez Silva, Riccardo Pedri, Anniina Peltovako, Molly Saudek, Laurence Tremblay-Vu et Marie Tribouilloy. La variété des numéros permet d’apprécier la virtuosité de chacun mais aussi la cohésion et l’esprit d’entr’aide du groupe.

 

Du 3 au 7 décembre , Le Volcan, Le Havre (Seine-Maritime)

Du 20 au 29 janvier, Archaos P.N.C.-Marseille (Bouches-du-Rhône) dans le cadre de la Biennale Internationale des Arts du Cirque.

Du 8 mars au 2 avril, La Villette, Paris (XIX ème).

 

FIQ ! (Réveille-toi !) par le Groupe acrobatique de Tanger, circographie de Maroussia Diaz- Verbèke

fiq!

© Mireille Davidovici

Créée en 2003 par Sanae El Kamouni, la compagnie rassemble de jeunes artistes marocains autour d’écritures acrobatiques contemporaines et invite des metteurs en scène à orchestrer des spectacles, entre tradition et innovation. Ici, quinze hommes et femmes acrobates, danseurs, choisis sur audition au Maroc en 2018, laissent libre cours à une énergie débordante, sous la houlette de la «circographe» et dans les costumes colorés et la scénographie imaginés par le photographe Hassan Hajjaj. Dj DINO est aux platines pour  impulser ses remix entre classique, pop et rap…

Ici, on ne se produit pas pour ne rien dire : les filles réclament leur liberté, leur droit à la parole ou au rêve avec leurs corps et aussi leurs mots. Amine Demnati développe une danse hip-hop endiablée, tandis que Jemma Sneddon, Manon Rouillard et Bouchra El Kayouri volent dans les airs ou se livrent à des équilibres, lancées ou portées par leurs camarades, masculins, tout aussi pugnaces à vilipender le monde – et le Maroc- tel qu’il va: ultra-libéralisme, mondialisation, racisme, inégalités… Des écrans relayent leurs revendications. Juchés sur des caisses de coca-cola en plastique rouge, les quinze brandissent des pancartes et drapeaux couverts de slogans… Puis ils portent DJ DINO en triomphe.

 Une joyeuse suite d’acrobaties, glissades, boutades et cavalcades, mêlant cirque et danses urbaines, citations, inventions verbales, messages. Le nombreux public du Site antique applaudit à tout rompre, emporté par cet ouragan de couleurs et d’énergie communicative. Après une longue tournée en Europe restent deux seules représentations au festival Veranos de la Villa, à Madrid, les 26 et 27 juillet…

Rapprochons-nous par La Mondiale générale

planche

 ©Pierre Barbier

Sur un socle carré de quatre-vingt centimètres de côté, deux hommes s’agrippent l’un à l’autre et vont tenter des équilibres insensés, risquant de quitter cette plateforme à tout moment. Vingt postes de radio, placés parmi le public, relayent ce qu’ils se disent, pendant qu’ils grimpent l’un sur l’autre, se recalent ou relacent une chaussure… Cette « forme courte intimiste et distancée » inclut les spectateurs au cœur de l’action et un.e  perchiste (en alternance : Julien Vadet, Christophe Bruyas, Rebecca Chamouillet) capte les mots des acrobates, jusqu’aux froissements de leurs costumes et crissements de leurs semelles : un sous-texte improvisé pendant qu’ils cherchent à ménager leur espace vital. «Alexandre Denis et moi, dit Frédéric Arsenault, nous faisons des portés depuis dix ans. Nous avons eu envie de parler, de donner cette parole de coulisses .»

Les gestes sont rares minimum et exigeants et l’espace, subjectif. Ce numéro sonore et visuel traite de la cohabitation, de comment on supporte l’autre dans un espace contraint, et de quelle part de liberté il nous reste dans la coercition. C’est drôle, et n’est pas sans rappeler, avec humour et finesse, le confinement qui nous fut imposé…

Rapprochons-nous exprime la solidarité nécessaire entre artistes et la tolérance, autant qu’une intimité partagée avec le public. La Mondiale générale, née en 2012, articule ses projets autour du cirque, des arts plastiques, du théâtre acrobatique, de la création sonore.
« Celui qui regarde est mis au cœur de nos préoccupation », disent les artistes, et en partant de constats simples et pragmatiques, nous avons mis nos corps en situation, sans recherche de dénouement. La proposition doit venir de nous mais la résolution est faite ensemble. » Trente minutes de suspense et partage.

Mireille Davidovici

Spectacle joué du 12 au 17 juillet, Place de la Mairie, Alba-la-Romaine (Ardèche). T. : 04 74 54 40 46.

La Cascade, 9 avenue Marc Pradelle, Bourg-Saint-Andéol (Ardèche) . T. : 04 75 54 40 46.

 

Time to tell , conception et mise en scène de David Gauchard et Martin Palisse

Festival d’Avignon

 Time to tell , conception et mise en scène de David Gauchard et Martin Palisse

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©Christophe Raynaud de Lage

«J’ai appris à jongler à seize ans. (…) Un nouveau départ dans ma vie», dit Martin Palisse. « L’école de cirque, ce n’était pas pour moi, vu mes capacités physiques. » Pourtant, entré au Centre National des Arts du Cirque, il est allé jusqu’au bout de son envie, dans un corps à corps pugnace contre la maladie. Entre jonglerie et confidences, il nous raconte comment il a pu, seul contre tous, grâce au cirque… et à la chimiothérapie, négocier avec la mucovicidose, une maladie génétique incurable.
«C’est un héritage. Je suis delta F 508 homozygote, déformation sur le gène numéro 7. L’altération de la protéine CFTR est à l’origine de la maladie… Il y a deux grands symptômes : pulmonaire et digestif. » Mais pas question de nous tirer des larmes, il met à distance sa maladie qui détermine toute sa vie, en jonglant sobrement, avec de petites balles blanches et noires qui, comme les dés du hasard qui l’a désigné comme malade, tombent du bon, ou du mauvais côté…

Le temps -dans le titre de la pièce- est celui que l’artiste prend à nous raconter, mais aussi celui qu’il a gagné, en faisant reculer l’échéance d’une mort annoncée dès sa naissance, grâce à une bagarre de tous les jours. Ce temps rythme son spectacle : de l’exposé calme de son histoire, à la démonstration jonglée des figures du destin, jusqu’à une course soutenue sur un tempo de plus en plus vif qu’il maîtrise, comme son souffle qu’il a appris à mesurer.

Martin Palisse, qui dirige aujourd’hui le Sirque Pôle National Cirque à Nexon (Corrèze) ne fait ni dans le pathos ni dans le spectaculaire. Proche du public grâce à un dispositif bi-frontal, il conclut sobrement: « Il faut vivre avant de mourir.» Pour lui, le temps est compté mais ne l’est-il pas aussi pour nous tous? En nous renvoyant à de futures incapacités, ce jongleur, philosophe et subtil humoriste, nous donne une belle leçon pour tenir notre propre fin à distance.

Mireille Davidovici

Jusqu’au 24 juillet, navette à 11 h 55 précises à La Manufacture, 2, rue des Ecoles, Avignon, pour aller à la Patinoire. T. : 04 90 85 12 71.

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