Festival d’Alba-la-Romaine 2023 ( suite et fin ) Les Josianes, Stek, À tiroirs ouverts, Voyage sur place

Festival d’Alba-la-Romaine 2023 ( suite et fin)

Les Josianes

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Les Josianes © M.D.

Chez Josiane, un café-restaurant avec une façade provençale, c’est gag à gogo. A l’étage, quatre filles courent d’une chambre à l’autre et se montrent aux fenêtres, tels des pantins surgis d’un castelet.
Elles dansent sur La Valse à mille temps de Jacques Brel et s’échappent de la maison en escaladant le mur en rappel…. Elles n’ont pas froid aux yeux et Nuit d’une demoiselle, une chanson coquine de Colette Renard devient leur credo face à l’oppression masculine qu’elles dénoncent comme les premières féministes: leur modèle. Elles nous font rire avec les déclarations machistes d’un avocat, tout en grimpant à la corde lisse, en se tenant en équilibre sur une main et en voltigeant.

Cette « création circo-dansée pour quatre artistes de confession féminine » se décline au pluriel. Dans leurs disciplines respectives, mais avec un brin de nostalgie pour les suffragettes historiques et un regard aigu sur les luttes d’aujourd’hui qu’exprime leur dernière chanson : Canción sin miedo (La chanson sans peur) de Vivir Quintana, une apologie des femmes qui se soulèvent au Mexique… Des filles de Sonora aux femmes armées du Chiapas, contre les viols et féminicides. « Soy Claudia, soy Esther y soy Teresa. Soy Ingrid, soy Fabiola y soy Valeria. Soy la niña que subiste por la fuerza. Soy la madre que ahora llora por sus muertas. Y soy esta que te hará pagar las cuentas. Justicia ! Justicia ! Justicia ! (…) NOS QUEREMOS VIVAS ! Que caiga con fuerza, el feminicida » (Moi, je suis Claudia, je suis Esther, et Thérésa. Je suis Ingrid, Fabiola, et Valeria. Je suis la jeune fille bat. Je suis la mère qui pleure ses mortes. Je suis celle qui te fera payer la facture. Justice ! Justice ! Justice ! Nous voulons vivre: A bas les féminicides.)
La compagnie Josianes est née en 2020, quand le cirque croisa le chemin de la danseuse Julia Spiesser. Elle réunit des artistes, venues chacune d’un pays différent et qui, intrépides, se battent pour leurs idées
en affirmant leur féminité.

Stek par le collectif Intrepidus

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Les clowns sont souvent tristes mais ceux-ci n’ont pas de vague à l’âme. Clochards célestes tout droit surgis d’une grande poubelle, en beaux diables multicolores, ils n’ont pas peur de se cogner à la vie.
Et quand ils tombent, ils se relèvent illico pour mieux s’étaler ou se prendre dans la figure, le couvercle d’une poubelle qu’ils trimballent partout comme une malle aux trésors, à la recherche du stek.
Ce graal est  à griller sur un barbecue trouvé dans une décharge, décor de cette comédie foutraque qui finit par des glissades carnavalesques sur le plateau inondé par maladresse. Pantalons trop courts et vêtements trop longs en haillons ne les empêchent pas de se bagarrer  ou d’être complices quand il s’agit de partager la nourriture.
Analia Vincent, la seule fille du clan, n’a pas froid aux yeux face aux jongleurs Ottavio Stazio et Mario De Jesus Barragan et au clown Léo Morala. Intrépidus, ce nom de collectif va comme un gant à cette fine équipe de cascadeurs sortis de l’école du Lido à Toulouse. Rire garanti. Et petite émotion, quand ils enterrent leur costume de clown, comme une relique d’un autre âge….

Comedia Bonita de et par le duo Bonito

Un spectacle musical nous entraine dans l’intimité d’un couple où l’amour à la longue dérape en petits agacements mutuels. Lui s’énerve quand, avec son accent espagnol, elle déforme les mots.
Et elle est dépitée quand il refuse de répondre à ses câlins en public… Qui aura le dessus? Ces petits différends scellent une complicité inoxydable entre la dynamique Raquel Esteve Mora qui, après l’école Jacques Lecoq, a rejoint Les Nouveaux Nez et l’imperturbable Nicolas Bernard, un des fondateurs de cette compagnie de clowns. Avec des chansons écrites sur mesure aux paroles agiles à la Raymond Devos, un chien savant rigolo et patient tiraillé entre ses deux maîtres, le duo Bonito expert en gags physiques et verbaux, nous amuse et nous émeut. Du clown comme on aime.

 

A Tiroirs ouverts, de et avec Quentin Brevet, mise en scène de Johan Lescop

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A tiroirs ouverts © Patricia Lopez

Quelques planches, une table, des tabourets. L’artiste examine, dubitatif, ce décor de fortune planté sur une petite estrade. Un mobilier qu’il déplacera au gré de ses jongleries, pour infléchir les trajectoires et rebonds des balles capricieuses.

Les objets ne lui obéissent pas toujours et le plateau regorge de chausse-trappes. Maladroit de nature, il trébuche mais se rattrape… En fond sonore, quelques notes qu’il joue sur une clarinette pas toujours obéissante, elle aussi. Mais pour finir, ce solo jonglé et burlesque nous réserve la surprise d’un équilibre précaire parfaitement réussi…

Quentin Brevet compose un personnage de rêveur éveillé poétique et séduisant, mais sous ses airs benêts d’une grande dextérité

 

Voyage sur place de et par Alain Reynaud, mise en scène d’Alain Simon

Dans ce « solo théâtral et autobiographique », l’acteur-clown quitte Félix Tampon, son personnage de scène, pour nous raconter ses souvenirs d’enfance à Bourg Saint-Andéol dont il est parti pour y revenir avec, «d’un côté, avec la casquette de directeur de la Cascade et de l’autre,  avec un chapeau de clown».

Ici, il se fait conteur et nous fait partage la saveur d’une enfance heureuse à l’ombre bienveillante de ses parents qui tiennent une menuiserie au quartier de Tourne et qui ont ouvert un cinéma pour meubler leurs loisirs. »
« C’était avant l’invention de la pédagogie, avant l’ère Dolto », dit-il, en évoquant la sévérité du père, la rigueur des instituteurs… Attiré depuis toujours par les flonflons de la fanfare et les paillettes des majorettes, il devient tambour dans l’harmonie municipale et éprouve son premier  « grand trac » avant de jouer « le roulement des morts », à la cérémonie du 11 novembre. Il se voit déjà en clown : « Je voulais être un personnage. » Et il le deviendra.
Sans effets de manche mais avec malice, Alain Reynaud nous emmène dans la France profonde des années soixante-dix, avec ses souvenirs où chacun trouvera une part d’enfance…

Mireille Davidovici

Comedia Bonita  le 30 juillet, Un dimanche en été, à Porcieu-Amblagnieu (Isère).

Festival d’Alba-la-Romaine, du 11 au 16 juillet.

La Cascade, Pôle national-Cirque, 9 avenue Marc Pradelle, Bourg Saint-Andéol. T. : 04 75 54 40 46.


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Festival d’Alba-la-Romaine 2023 : Brèves Tempêtes et Furieuse Tendresse

Festival d’Alba-la-Romaine : Brèves Tempêtes et Furieuse Tendresse

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Brèves Tempêtes © Daniel Michelon

 Toujours aussi assidu, le public revient chaque année, nombreux et ravi des propositions atypiques qu’offre cet événement voué depuis 2009 aux arts du cirque, sous la gouverne des Nouveaux Nez, une compagnie qui venait alors d’ouvrir La Cascade- Pôle national des arts du cirque, à Bourg- Saint-Andéol.

«Ce festival s’écrit au fil des ans comme un scénario qui met en scène les humains dans un paysage… » dit Alain Reynaud, le directeur du festival et de la Cascade. Les spectacles ont investi les ruines bucoliques du théâtre romain et, au cœur du village, la salle des fêtes, la cour d’école, les places publiques, une prairie au bord de l’eau, jusqu’aux contreforts d’un pic volcanique… « On prend les lieux comme ils sont, avec le moins d’éclairages et de technique possibles», dit Marie-Odile Roux, la secrétaire générale.
Le public peut déambuler d’un lieu à l’autre à la découverte d’Alba-la-Romaine. Parmi ses 1.200 habitants, près de 170 bénévoles, travaillent  à l’entrée du parking, à la billetterie, au bar, à la cuisine, ou à l’accueil des artistes et des journalistes qu’ils accueillent chez eux… Ils viennent en appui des équipes professionnelles mobilisées pour une quinzaine de spectacles pendant une semaine, du matin au soir. ».
Ce
festival, c’est aussi des spectacles gratuits, (deux par jour)  des initiations au trapèze, à la danse, aux échasses, dans un espace convivial: Le Carbunica sous de grands arbres. Au bar, ou à la roulotte des glaces, on paye en carbus, une monnaie du nom d’un antique cépage local.

La programmation s’articule autour du clown, dans le sillage des Nouveaux Nez. « On n’est pas dans l’événementiel mais dans le résultat du travail de territoire à l’année que mène La Cascade, dit Alain Reynaud. Au cirque, il n’y a pas de vedette, et cela touche tout le monde. »
Nous avons pu voir en deux jours neuf spectacles, certains en création mais tous à guichet fermé. Petites formes ou grandes fresques ont tous une dose d’humour. Et si certaines abordent les versants sombres de notre humanité, la bonne humeur reste au rendez-vous. À commencer par les spectacles grand format sous le chapiteau et au théâtre antique.

Brèves tempêtes, mise en scène d’Alain Reynaud et Eric Louis, par le collectif T.B.T.F.

 Une création in situ, issue d’une résidence de ce collectif à La Cascade. Du sur-mesure pour le théâtre antique, avec vingt artistes qui ont élu domicile à Bourg Saint-Andéol, sous l’aile protectrice d’Alain Reynaud. Il vient d’ouvrir un espace d’entraînement dans une ancienne chapelle (voir Le Théâtre du blog), dans ce Pôle national-Cirque.

Les artistes se présentent et racontent comment ils se sont rencontrés dans leur quartier, au collège, ou dans des écoles ce cirque, et comment, de fil en aiguille, ils se sont rassemblés pour faire ce spectacle qui scelle leur collaboration. Un historique mis en scène avec grâce, comme une ronde ininterrompue.
Suivront, en une heure vingt, des numéros qui s’enchaînent, se superposent en un mouvement perpétuel. Figures au mât chinois, en solo, à deux ou à trois, avec Mahé Nithardt, Bernadette Favre, Rémi De Carvalho. Se succèdent au cerceau aérien Inès Arabi, et  Elisa Bitschnau au trapèze fixe, Mara Procacci ou Réhane Arabi à la corde lisse. Aïna Duc sur tissu est aussi clown à ses heures….
Yannis Gilbert, Justin Collas, Arthur Amouroux et Timothée Aïna Meiffren se propulsent dans les airs et d’autres comme Sophie Nusbaumer, Xavier Mermod, Calou Raisse se livrent à des acrobaties en cascades, mains-à-mains et jeux icariens.
Ambroise Donnier tourne sur son mono-cycle et Timothée Vincent dans sa roue Cyr. L’élégant Ricardo S.Mendes jongle avec ses balles jaunes et l’amusant Juri Bisegna Minder avec ses chapeaux dont il coiffera ses camarades.

Ici, personne ne cherche à tirer son épingle du jeu et tous échangent leurs pratiques, dansent, chantent, se succèdent au piano ou à la batterie… Il se passe toujours quelque chose de joyeux et poétique sur le plateau construit en format panoramique le long du mur d’enceinte romain. Pendant que certains travaillent, d’autres prennent du repos en composant de jolies scènes d’ensemble, attablés en fond de scène ou assis sur un canapé.

Ces chassés-croisés, solos, duos, trios et scènes de groupes dans une grande fluidité, sont portés par une énergie commune revendiquée : « Nous nous réunissons avec l’envie d’explorer les arts vivants. De culture, disciplines et formations différentes, nous mettons en commun nos connaissances et parcours au profit de la création. »Au sein du collectif T.B.T.F., existent plusieurs entités avec différents projets artistiques. Ces brèves tempêtes soulèvent un vent prometteur.

Furieuse Tendresse, mise en scène de Sara Desprez et Angelos Matsakis, par le Cirque Exalté

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Furieuse Tendress © Cirque exalté

Portés acrobatiques, danse, BMX flat-land, jonglerie, trapèze ballant:    annonce la nouvelle création du Cirque Exalté. Sous la houlette d’un cycliste déguisé en coyote sur une B.M.X. (Bicycle Moto Cross), une meute tourne autour du chapiteau, au dos des spectateurs, sur une coursive spécialement conçue…
Ce mouvement circulaire imprègnera tout le spectacle. En piste, l’homme-coyote sur sa monture fait des équilibres, sauts et retournements sur des repose-pieds à l’arrière du vélo et sur la fourche avant. Et ses partenaires se rassemblent pour des portés acrobatiques très audacieux. Sarah Desprez et Maria Jesus Penjean Puig s’envolent sur les épaules de leurs porteurs, avec sauts et  puissants mains-à-mains… Angelos Marsakis jongle avec grâce, tout en tournoyant, jupe et cheveux au vent.

Une voix demande : « Connectez-vous au sauvage qui est en vous. » Placé sous le totem ambivalent du coyote, ce spectacle, accompagné par la musique répétitive de Romain Dubois veut être «un rituel inventé de toutes pièces par des gens qui prennent le temps de fêter leur vulnérabilité, pour toujours se souvenir qu’elle fait partie de leur humanité.»
L’animal souvent appelé chien sacré par les premières nations d’Amérique est, selon la mythologie, rusé et farceur. Il a mis la pagaille dans les étoiles au moment de la création du monde et est aussi un puissant sorcier et guérisseur.

Foutoir Céleste porte bien son titre: Sara Desprez sur son trapèze ballant s’envole au firmament du chapiteau. Toujours plus haut, toujours plus risqué. « J’ai peur d’avoir peur d’avoir peur d’avoir peur.», dit-elle après cette performance qui nous a donné des frissons.

Une cérémonie giratoire où s’enflamment les énergies jusqu’au paroxysme et qui célèbre un cirque où chacun affronte le danger et ensemble le partage, entre artistes et avec public.

Le Cirque Exalté, fondé en 2009 par Sara Desprez et Angelos Matsakis est installée au Mans et ici, c’est leur quatrième création, après Complètement Swing ! (2010) Furieuse Tendresse (2014) Coyote ( 2018) et Amants (2020).  Àne pas manquer.

Mireille Davidovici

Festival d’Alba-la-Romaine du 11 au  16 juillet.

Foutoir Céleste
, les 15 et 22 septembre, Village de cirque, Pelouse de Reuilly, Paris (XII ème)

La Cascade, Pôle national Cirque, 9 avenue Marc Pradelle, Bourg Saint-Andéol. T. : 04 75 54 40 46

Escapade, soirée théâtrale hors-les-murs par Bonlieu -Scène nationale d’Annecy

Escapade, soirée théâtrale hors-les-murs par Bonlieu-Scène nationale d’Annecy

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Manolo Théâtre du Centaure © M. D.

Une échappée belle au bord du lac, imaginée par l’équipe de Bonlieu et Les Jardins EnChantés dirigés par Blaise Merlin.  Avec une trentaine d’artistes, musiciens, circassiens, chanteurs… dans les vastes jardins de l’Europe, face au lac. Sur les pelouses et sous les lampions suspendus aux arbres centenaires, des tables accueillent les familles en pique-nique.
Plus de six mille personnes ont assisté à cette soirée gratuite qui clôt la saison théâtrale et ouvre l’exposition d’œuvres contemporaines en plein air Annecy Paysage, tout l’été dans les parcs.

Cette version plus modeste de La Grande Balade du Semnoz en 2020 (voir Le Théâtre du blog), se déroule en partie dans les frondaisons où des musiciens perchés sur des nacelles, donnent un concert. Hissés dans les branches avec cordes et poulies, ils jouent à tour de rôle pour éviter la cacophonie et nous emmènent dans des univers sonores contrastés :les étonnantes polyphonies, chants, et percussions des Pygmées Aka  du Congo alternent avec les solos lancinants de kora du Sénégalais Abdou Kouyaté, et les airs soufis du Palestinien Abo Gabi.

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Chant pygmées Aka © Yannick Perrin

Mais aussi le Trio Unio de Grenoble avec Armande Ferry-Wilczek (chant), Juliette Rillard (chant) et violon), Elise Kusmeruck (chant et violon).
Les mélodies grecques et orientales de Dafné Kritharas et Paul Barreyre, les chants flamenco de Paloma Pradal (Espagne), le duo occitan Duò Lavoà Lapò  de Manu Théron et Damien Toumi, les chants d’Italie du Sud par Eléonora Petrulli, et le chanteur basque Julen Achiary..

Nous avons aussi vu Manolo, l’acteur-centaure sur son cheval noir au bord du lac, suivi par le public surpris et par Anwar Khan, le percussionniste du Rajahstan qui l’accompagnait dans son récent spectacle Animal.

 

Nous avons aussi retrouvé aussi Les Filles du Renard Pâle, cette fois pas sur un fil mais dans une roue giratoire où Noa Aubry tourne élégamment, accompagnée par Johann Guillon à la guitare.

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Les filles du renard pâle© Yannick Perrin

Cet agrès fait partie du prochain spectacle de la compagnie en résidence de création à Annecy, troisième volet de la trilogie de la funambule Johanne Humblet, artiste associée à Bonlieu depuis 2021. Après Résiste et RespireRévolte ou Tentatives de l’échec, mettra en scène cinq artistes, circassiennes, danseuses et musiciennes : elles iront jusqu’au bout quitte à échouer, et à recommencer inlassablement pour suivre le fil de la liberté « face à la déraison, gangrène sociale, y a-t-il d’autres possibilités ? Et si elles vont jusqu’à l’effondrement, ce sera le poing levé ! »

 

Nous assistons aussi à Desorden, une performance de dix-huit minutes duo pour patins à roulettes batterie. Justine Berthillot, juchée sur des rollers luminsecents élégante sous des éclairages violets, se lance, après quelques tours de pistes apaisants, dans des figures acrobatiques et équilibres précaires. Elle glisse, chute après de grands écarts périlleux, mais se relève avec grâce, sous l’impérieux diktat du batteur Xavier Roumagnac. Révolte et soumission se succèdent chez Justine Berthillot sous l’emprise de la musique, mais elle aura le dernier mot, quand les sons et mouvements se fondent en une commune énergie. Une artiste à suivre.

 Ce menu de qualité invitera-t-il les gens à entrer dans la Scène Nationale ? La prochaine saison a été programmée par Salvador Garcia, avant de quitter Bonlieu après vingt-six ans à sa tête, et par Géraldine Garin qui en assure la direction par intérim. En attendant une nouvelle nomination l’année prochaine….

 Mireille Davidovici

 Le 8 juillet, dans le cadre d’Annecy-Paysage.

Bonlieu-Scène nationale, 1 rue Jean Jaurès, Annecy (Haute-Savoie) T. : 04 50 33 44 11.

Le Petit Garde rouge de Chen Hiang Hong, mise en scène de François Orsoni

 Le Petit Garde rouge de Chen Hiang Hong, mise en scène de François Orsoni

L’auteur est avant tout peintre, et c’est un bonheur de le voir illustrer le récit de son enfance, porté par un comédien et deux danseuses. Une enfance en Chine, dans une famille fruste mais heureuse, jusqu’au moment où survient la Révolution culturelle (1971). Il a huit ans  et, à l’école, il arbore un foulard rouge et brandit le petit livre rouge de Mao Tse Dong. Mais sa vie va être bouleversée : son père est envoyé en camp de rééducation, à la grande tristesse de sa mère et de ses grands-parents…

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Alban Guyon raconte avec sobriété cette autobiographie aux anecdotes familières mais sans jugement sur l’Histoire. Et les dessins de Chen Hiang en disent plus que le texte. Sur grand écran, maisons, arbres, oiseaux, fleurs, chat, sœurs, écoliers, grands-parents et parents naissent par petites touches de pinceau ou grand traits d’encre de Chine, noire ou de couleur. Lili Chen et Namkyung Kim, sœurs de l’auteur, avec une chorégraphie évocatrice, nous transportent dans l’Empire du Milieu vers les années soixante-dix avec ses opéras révolutionnaires, hymnes patriotiques, sons et odeurs. Grâce aux bruitages d’Éléonore Mallo, nous suivons le jeune garçon dans la rue, à l’école, dans un parc ou parmi les poules de la grand-mère, égorgées par les gardes rouges…

Sans prétention, cette adaptation au théâtre du livre Petit garde rouge doit sa saveur à la simplicité du texte et à la pureté des calligraphies. Ici, aucun misérabilisme, ni parti-pris idéologique. Une histoire fluide qui finit par un moment poignant où l’artiste, après le  comédien, prend modestement la parole pour dire la suite : le collège, l’Académie centrale des Beaux-Arts à Pékin ; puis, en 1987, l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. Ce peintre est aujourd’hui reconnu et son œuvre a fait l’objet de nombreuses expositions. Parallèlement, il écrit et illustre à l’encre de Chine sur papier de riz, des albums pour la jeunesse publiés à l’École des loisirs. François Orsoni a découvert l’artiste en 2008 et mis en scène, avec lui et selon les mêmes principes, Contes chinois.

«J’ai envisagé le projet comme un moment de partage, dit Chen Hiang Hong. Je crois qu’il est de mon devoir de transmettre ce récit aux jeunes générations, afin qu’elles puissent mieux comprendre la Chine d’aujourd’hui et cet épisode qui a durablement marqué le XX ème siècle. Je vois aujourd’hui cela comme une mission à la fois politique et humaniste et le théâtre permet cela, bien au-delà du livre.»
Il ne faut pas s’attendre à une fresque sur la Révolution culturelle mais petits et grands auront le plaisir d’entendre, et surtout de voir, une belle histoire.

Mireille Davidovici

Jusqu’au 18 juin, Théâtre du Rond Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, Paris (VIII ème). T. :01 44 95 98 21.

Le 3 juin : ateliers parents/enfants à partir de cinq ans. Bruitage animé et danse traditionnelle chinoise… Et le 6 juin, rencontre avec l’historienne Annette Wieviorka, autrice de Mes années chinoises.

Circusnext : lauréats 2023

 Circusnext : les lauréats 2023

Sous la direction à Paris de Cécile Provôt, ce dispositif international fête Circusnext fête ses vingt ans. Anciennement Jeunes Talents Cirque fondé par Fred Cardon et labélisé par la Commission européenne, il a été mis en place pour soutenir le cirque contemporain en effervescence… Deux décennies à accompagner des artistes venus de partout et incontournables comme Baro d’Evel, Camille Boitel, Galaktik Ensemble, Alexander Vantournhout… Et bien d’autres qui ont conquis les pistes de cet art hors classe. Circusnext  doit bientôt s’installer à la Ferme Montsouris, un nouveau lieu de la Ville de Paris consacré au cirque. Une promesse de belles découvertes.

Un jury de professionnels et artistes des nations partenaires a, en février 2022, sélectionné sur dossier parmi cent dix-neuf artistes, trente-six qui ont bénéficié de laboratoires dans cinq pays d’Europe. Parmi eux, douze finalistes ont eu droit à une coproduction et à des résidences dans les lieux membres de Circusnext Plateforme en Europe. A l’arrivée, quatre projets de spectacles sont présentés sous un format de vingt minutes: des travaux en devenir mais suffisamment aboutis. Dans leur singularité, ils témoignent de l’être au monde des artistes. Poétiques, politiques, drôles ou étranges, ils ont tous un fort potentiel qui convaincra sans doute les lieux de résidence ou diffusion de les accueillir pour peaufiner leur travail,  et pour ensuite les programmer.

Cá entre nós par la compagnie Doisacordes

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© Christophe Reynaud de Lage

Encordés, accordés, désaccordés, le Chilien Roberto Willcock et le Brésilien Thiago Souza se livrent à un jeu de pouvoir avec pour accessoire de longues cordes: qui entravera l’autre ou lui échappera ? L’un veut dominer mais l’autre réussit à s’esquiver. Par de savantes manipulations de leurs agrès, avec des nœuds qui se font, se défont ou coulissent, ils sont d’une grande précision au sol comme dans les airs.

De violent à ludique, ce numéro dit les rapports de force mais aussi un essai d’équilibre pour nouer des relations autres… Cá entre nós : une expression brésilienne impliquant une confiance, que l’on peut traduire par : « cela reste entre nous”. Ces artistes qui se sont connus à l’École nationale de cirque du Brésil, ont installé leur compagnie à Barcelone en 2022 : cette première création sera finalisée dans deux ans. Avec un savant jeu de lumières, une sobriété gestuelle, une construction cohérente et une solide maîtrise corporelle, un beau duo en perspective…

Masha par la compagnie Palimsesta

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© Christophe Reynaud de Lage

 Étrange dispositif : une étroite piste revêtue de graisse où deux silhouettes, torse nu et se font face. L’homme massif, la femme frêle, à genoux ou assis sur le sol luisant d’une scène bi-frontale, glissent l’un vers l’autre puis reculent ou pivotent. Nous les voyons donc de profil. Cette progression lubrifiée semble d’abord aisée, voire agréable, mais quelques difficultés surviennent rendant alors toute avancée impossible. «La graisse glisse de nos corps sur le sol : faire un pas en avant implique le risque de glisser» disent Andrea Rodriguez de Liébana chercheuse circassienne, enseignante et architecte et Sergio González, à la fois travailleur social et artiste.

Avec cette première collaboration commencée en 2021 et au résultat prévu pour 2024 ils veulent:« Fournir une histoire critique sur l’annulation du sujet, à travers les nouvelles formes de capitalisme. ».Masha, construit sur la tension entre burlesque, et tragique, met en évidence de façon très fine, dans cette proximité, les tactiques de corps adverses pour rester debout et continuer. En faisant observer de près ses tentatives pour aller vers l’autre et dépasser les difficultés, Masha exprime la force vitale qui anime les individus.

 Fora d’Alice Rende

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Christophe Reynaud de Lage

 Enfermée dans une haute et étroite cage de verre face à un miroir, la contorsionniste va essayer d’en sortir. « Fora » signifie dehors, en portugais, catalan, occitan, sarde… Comment échapper à cette prison aux murs lisses ? Colère, rage et désespoir n’y feront rien. Alice Rende avec des reptations spectaculaires apprivoise l’espace et se hisse après plusieurs glissades hors de ce cercueil transparent, métaphore de la condition féminine et de l’aspiration à en sortir.

Encore faudra-t-il s’habituer à la liberté et une fois dehors rejeter l’aliénation qui habite encore son corps. Ce que nous réserve la seconde partie de cette puissante et élégante narration corporelle. Fora verra le jour à la B.I.A.M., à Marseille, l’hiver prochain. Ce sera le deuxième solo d’Alice Rende, italo-brésilienne formée à l’Ecole Nationale de Cirque du Brésil, puis à l’Ecole Supérieure des Arts du Cirque de Toulouse où elle avait créé son premier solo: Passages.

 Le Repos du guerrier d’Édouard Peurichard

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© Christophe Reynaud de Lage

Ce Français, acrobate, jongleur et lanceur de couteaux, va nous parler de son parcours lié à ses spectacles mais aussi de ses expériences en « cirque adapté», une pratique utilisant le cirque comme moyen pédagogique ou thérapeutique. Né en milieu hospitalier pour aider les handicapés, cette pratique s’ouvre aujourd’hui à un public plus large dont des jeunes en rupture. Son but : retisser les liens sociaux.
Petite démonstration avec un spectateur, ici un adolescent souriant. Édouard Peurichard montre, comment établir des liens de confiance à partir de situations déstabilisantes… Mais rien de pédagogique dans ce solo humoristique où son auteur nous fait voir le cirque sous un jour nouveau. Le repos du guerrier  sera finalisé le 1er octobre prochain à la Grainerie à Toulouse.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 25 mai au Théâtre de la Cité Internationale, 17 boulevard Jourdan, Paris (XIV ème) T. : 01 85 53 53 85.

www.circusnext.eu

Le Périmètre de Denver, de et par Vimala Pons

Le Périmètre de Denver, de et par Vimala Pons

Dans ce solo insolite apparaissent une demi douzaine de personnages, convoqués par l’artiste comme témoins d’un crime commis dans un hôtel de thalassothérapie. Un défilé surréaliste d’individus, joués par une Vimala Pons aux multiples visages. Masquée et costumée avec prothèses et postiches, elle contrefait sa voix, ses postures, son langage pour incarner des suspects, présents le jour du meurtre. Leurs dépositions n’ont souvent rien à voir avec les faits et brouillent les pistes. Un occasion d’envisager le rapport de chacun à la vérité et d‘explorer ce que l’autrice appelle le Périmètre de Denver :  «Un espace d’incertitude créé par un mensonge. »

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Sur un plateau encombré d’accessoires hétéroclites dont chacun servira par la suite à la reconstitution du crime, on se surprend à reconnaître l’accent et la démarche d’Angela Merkel. Elle ouvre le bal des témoins et nous raconte un amour impossible avec une conseillère d’orientation qui la désorientée et par chagrin, elle s’est tournée  vers une carrière politique. Cette carrière, lourde à porter est matérialisée ici  par un empilement de rochers juché sur sa tête. Une image inouïe.

Vimala Pons, coiffée de cette sculpture en équilibre précaire, se défait lentement des innombrables couches de vêtements qui l’enveloppent, comme autant de mensonges propres à ce Périmètre de Denver. Mise à nu, elle dépose avec tendresse la dépouille de son personnage pour fabriquer le prochain appelé, à l’aide de nouveaux artifices.

Ce sera un homme louche se disant attaché de presse et « intervenant numérique» c’est à dire « troll» payé pour ses commentaires sur les réseaux sociaux : il aurait eu rendez vous avec la victime. En équilibre sur la tête de l’artiste: un escalier… Suivront d’autres personnes plus ou moins glauques, avec leurs histoires, leurs obsessions et le poids de leurs mensonges sur la tête. Dont une table de réunion, une voiture, un tableau… S’extirpant des oripeaux de ses créatures, Vimala Pons les installe soigneusement aux quatre coins du plateau, comme pour prolonger leur présence.  

La jeune femme, aussi bonne autrice qu’actrice, vient du cirque, un art où le corps ne ment pas. « L’équilibre est une notion propre au cirque, dit-elle, je me pose des questions philosophiques mais simples et fondamentales: pourquoi ça tombe et pourquoi je marche? En tirer les fils permet de se demander ce qu’est le déséquilibre dans sa propre vie. Mentir, c’est aussi rééquilibrer le réel dans ce qu’il a d’insatisfaisant.»

Elle a imaginé ce spectacle surréaliste, un peu fou, avec son complice de longue date, Tsirihaka Harrivel et une équipe de costumiers et créateurs de prothèses… Il ne faut pas manquer ce Périmètre de Denver créé en 2021. Espérons qu’il sera repris et suivi d’autres performances aussi inoubliables.

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 23 avril, Centre Pompidou, Place Georges Pompidou, Paris (IV ème) . T. : 01 44 78 12 33

Les 1er et 2 juin, Festival Utopistes, Maison de la Danse, Lyon (Rhône)

Nagasaki, d’après le roman d’Eric Faye, adaptation et mise en scène d’Olivier Cruveiller

Nagasaki, d’après le roman d’Eric Faye, adaptation et mise en scène d’Olivier Cruveiller

Quelque chose cloche dans l’appartement de monsieur Shimura, modeste employé du service de météorologie à Nagasaki. Célibataire maniaque, à l’existence réglée comme du papier à musique, il constate la disparition de certains aliments. Qui a bu la moitié de son jus de fruit? Qui a subtilisé ses yaourts? Porte et fenêtre closes et aucune trace d’effraction. Jusqu’au jour où il installe une caméra pour espionner son domicile depuis le bureau…
Une intruse s’est glissée chez lui. Comment? La police, alertée, fera la clarté. Chômeuse de longue durée et sans domicile, cette inconnue se cache depuis plus d’un an dans un placard et prend possession des lieux, une fois leur propriétaire parti au travail.

© Eva Gardenne

© Eva Gardenne

De ce fait divers paru dans la presse japonais, Erik Faye a tiré un roman délicat qui lui a valut le prix de l’Académie française en 2010. Du Pays du soleil levant qu’il  a parcouru et dont  il a publié des récits de voyage, il emprunte le style dépouillé pour évoquer ces personnages ordinaires. Ces vies minuscules, faites de solitude, que le hasard met en présence, sans qu’elles se rencontrent vraiment.

Au récit de Shimura, déstabilisé par cette affaire, succède celui de son « intruse » comme il la nomme: des déménagements successifs ont marqué la vie de cette femme comme autant d’arrachements. La maison de Shimura -où elle vécut jadis et dont elle avait conservé la clef- est son ultime refuge. Mais elle en sera une fois de plus délogée et sera mise quelques mois en prison. Sans le rencontrer, elle a pénétré dans l’intimité de son hôte malgré lui, en explorant les recoins de la demeure… Rien chez lui ne l’attire particulièrement, sinon le vide, la solitude et la banalité qu’ils ont en partage.

Olivier Cruveiller incarne un Monsieur tout le monde plutôt sympathique qui fait part de son trouble au public, ici pris à témoin. Le récit de la femme est plus retenu, introspectif… Natalie Akoun ( Elle, plus âgée) raconte comment elle en est arrivée là, sur le mode du « je », et relayée dans son histoire par Nina Cruveiller (Elle jeune) à la troisième personne du singulier. Un dialogue à deux voix, entre le présent chaotique de la femme mûre et l’évocation par la plus jeune, d’un passé fracturé: enfance bouleversée par la destruction de la maison familiale, ralliement au groupuscule radical de l’armée rouge, petits boulots, licenciements…

La force du spectacle est bien aussi dans la simplicité et la densité du texte. Eric Faye, sans effet de plume, nous plonge dans une douce mélancolie soulignée par le violon et le bandonéon de Laurent Valéro. Deux châssis mobiles tendus de tissu figurent les lieux du récit et, selon les éclairages, présentent les personnages en ombres chinoises. Images fugaces de ces êtres de solitude, rendus invisibles par une société sans pitié et dont le passage sur terre ne laissera aucune trace. Des ombres qui planent sur l’anéantissement nucléaire par les Etats-Unis, d’Hiroshima et Nagasaki, évoqué ici en filigrane.

La mise en scène, par des jeux d’ombre et lumière rend avec justesse l’atmosphère en demi-teinte du roman et nous incite à lire cet auteur dont les titres des romans font écho aux thématiques de Nagasaki comme L’Homme sans empreintes, Le Général Solitude, Le Syndicat des pauvres types

Mireille Davidovici

Jusqu’au 8 avril, au100, 100 rue de Charenton, Paris (Xll ème).

Nagasaki est publié chez Stock.

 

23 Fragments de ces derniers jours, circographie de Maroussia Diaz-Verbèke

 23 Fragments de ces derniers jours, circographie de Maroussia Diaz-Verbèke

© Maira Moraes

Maira Moraes © João Saenge

Metteuse en scène et acrobate sur corde, dans son solo en forme de manifeste, Circus Remix en 2017, elle revendiquait déjà le cirque comme un langage en soi, en se baptisant «circographe ». Nous avons découvert son travail avec FIQ ! (Réveille toi !) au dernier festival d’Alba (voir Le Théâtre du blog) avec le Groupe Acrobatique de Tanger. Un spectacle brillant créé en même temps qu’elle montait, au Brésil, ce projet avec trois femmes artistes d’Instrumento de Ver, un collectif de Brasilia, et avec trois danseurs de Rio, Recife et Salvador de Bahia.

Avec l’arrivée de Jair Bolsonaro au pouvoir, les initiatives culturelles ont été à l’arrêt mais Maroussia Diaz Verbèke va réaliser 23 Fragments de ces derniers jours en France, en y invitant des artistes. La casse sociale et environnementale infligée au Brésil pendant les années Bolsonaro ((2019-2022) traverse donc, jusqu’à son titre, ce spectacle. En forme de journal de bord, il présente « souvenirs, problèmes ou pensées »  éclatés en fragments pour «  rassembler le puzzle et ne pas oublier ce carnaval de cristal ». Un foisonnement de numéros livrés dans le désordre et à géométrie variable.

 Sur une musique de carnaval, les artistes investissent la scène, chargés d’objets disparates : jouets, bouteilles, tabourets, branches de céleri, parapluie de taille diverse, cafards, ballons gonflables, ampoules électriques, bougies… Entassés autour du plateau circulaire, ils serviront d’accessoires pour des fragments successifs, annoncés au micro, en brésilien et en français, par titre ou date, et parfois commentés. Un travail de bruitage accompagne les numéros enchaînés au rythme trépidant de la bande sonore réalisée   Loïc Diaz Ronda et Cícero Fraga. Difficile d’énumérer ces  morceaux, (devenus trente-six!),  interrompus par des saynètes clownesques de rencontres ratées…

23 Fragments de ces derniers jours, circographie de Maroussia Diaz-Verbèke dans actualites julia-henning

Julia Henning © ©João Saenge

 D’innombrables bouteilles à usage multiple jalonnent ce « carnaval de cristal », et nous offre grâce à des éclairages rasants, une transparence lumineuse et une fragilité. L’acrobate Julia Henning marche dessus, en équilibre, ou s’y accroche, suspendue à un filin. Brisées au marteau, ces carafes deviennent un tapis coupant où évolue, pieds nus, Maïra Moraes, aussi naturellement qu’elle foule un amas de legos ou de véritables cafards… Béatrice Martins, acrobate et ancienne gymnaste de l’équipe nationale du Brésil, danse et se contorsionne. Il y a aussi les trois garçons de la bande. André Oliveira Db et ses brillantes démonstrations de passinho carioca, mâtinées de danses urbaines afro-brésiliennes. Lucas Cabral Maciel, souple et puissant dans ses parodies de danses populaires ou des tours de magie. Marco Motta, lui, danse capoeira et break dance (b-boying) aussi bien qu’il se contorsionne au bout de sangles…

 Pas de démonstration spectaculaire, ici on ne fait pas étal d’exploits mais, avec des agrès de fortune, ces artistes virtuoses manient sans en avoir l’air, humour, sarcasme et poésie. Maroussia Diaz Verbèke signe ici une œuvre à son image et tisse avec ses interprètes une réjouissante fresque brésilienne. Parfois un peu bavarde mais profondément politique, renouant avec les débuts méconnus du cirque qui, interdit de répertoire, s’inspirait de l’actualité. Avec sa compagnie, le Troisième cirque, elle prépare actuellement Circus Remake (inspiré de Circus Remix) avec deux interprètes féminines. Une circographe à suivre.

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 18 février, Le Monfort, 106 Rue Brancion, Paris (XV ème) T. 01 56 08 33 88

Le 2 mars, Cirque Jules Verne, Amiens (Somme).

Du 3 au 21 juin CoOp, Maison des Métallos, Paris (XI ème). 

Du 9 au 19 août, Festival Multi-pistes, Le Sirque, Nexon (Haute-Vienne).

Le Théâtre du Centaure

Le Théâtre du Centaure 

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© Emmanuel Dautant

 Nous avons découvert cette compagnie avec Animal*, rencontre entre l’univers de la danseuse japonaise Kaori Ito et celui du circassien Manolo (voir Le Théâtre du Blog). A Marseille, pour ce théâtre équestre, Le Centaure est une entité à deux têtes. Manolo se définit comme «acteur centaure  et l’a fondé en 1989 en Bourgogne, dans le sillage d’un rêve d’enfant: «Quand je serai grand, je serai centaure et on construira un château avec des artistes et des chevaux.» Camille, à ses côtés depuis vingt-cinq ans, est à la source d’une éthique holistique, mettant en relation le Centaure avec le vivant dans son ensemble. Ils conçoivent ce projet comme une hétérotopie, un  concept forgé par  Michel Foucault qui la définit comme une localisation physique de  l’utopie.

En 2016, vingt ans après leur arrivée dans la cité phocéenne, les artistes ont dressé un «chapiteau-volcan», réalisé avec l’architecte Patrick Bouchain en fonction des besoins des chevaux, sur une ancienne zone maraichère, dans les Hauts de Mazargue. Entre les calanques et la prison des Baumettes, un secteur à la fois résidentiel et classé en « politique de la ville« . 

Soucieux de préserver cet environnement, ils y ont construit des bâtiments en teck recyclé, façonnés, sculptés par des artisans d’Indonésie, pays cher à Camille et dont elle parle la langue. Écuries, logements, salon de thé, administration, pavillon de répétition sont ornés de frises en bois ajouré et assemblés sans clous et démontables, au cas où… Pas un arbre n’a été coupé et sur ce vaste terrain attribué par la Ville, quarante amandiers ont été plantés : leurs fruits servent à la confection de plats méditerranéens par les habitants du quartier pour des fêtes et rencontres. Sur les conseils d’un vannier, trois mille pieds de saule s’entrecroisent autour du chapiteau pour le ceindre d’une corbeille vivante… 

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© Francesca Todde

Autour du cheval, Camille et Manolo entendent marier Nature et Culture en ouvrant le site à des expériences de permaculture où ils invitent des spécialistes à former des apprentis-jardiniers… Et des experts en botanique élaborent des traitements de phytothérapie équine, notamment à base de consoude, une plante aux actions cicatrisantes qui, chez les hommes et les chevaux, aide à réduire les fractures, soigne les entorses, les bleus et l’arthrose. Le jardin compte aujourd’hui trois cent-cinquante espèces comestibles vivaces.

Dans ce quartier difficile de Marseille, le Centaure travaille en lien avec les milieux empêchés ou éloignés. «Quand l’homme-cheval surgit, les imaginaires s’éveillent » dit Manolo. Ainsi, la poésie pénètre à cheval dans la prison des Baumettes voisine. Et, dans huit écoles du secteur, une «biblio-calèche » apporte des livres aux enfants… «Les Centaures, on est une créature impossible, leur dit Manolo, alors, comme nous, écrivez vos rêves, vos utopies, fabriquez vos livres. » En une dizaine d’années, a été créée une collection de livres rédigés, illustrés et façonnés par les élèves de classes élémentaires… Une bibliothèque colorée aux titres évocateurs :  Si on plantait des mots! ou L’Ecole se rebelle…

Les Centaures campent sur le territoire marseillais et diffusent leurs pièces équestres mais peuvent aussi surgir dans une chapelle, sur une autoroute, un centre commercial, une gare, devant une maison de retraite… Ou créer des événements spectaculaires, comme une gigantesque transhumance avec 4.000 animaux et 400.000 personnes convergeant de plusieurs villes de Provence vers Marseille, à l’occasion de Marseille-Capitale européenne de la culture… Ils vont aussi avec d’autres cavaliers, dessiner en procession sur les plages du Maroc et sur la Piazza di popolo à Rome, des «animaglyphes » seulement visibles du ciel.

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Pour prendre l’avion, monter dans un ascenseur, entrer dans une prison ou danser au milieu de la foule d’une boîte de nuit, il faut mettre les animaux en confiance, Cette symbiose homme/animal est l’essence même du Centaure. Manolo et Camille en sont convaincus : « Le XXI ème siècle sera en symbiose avec l’ensemble du vivant ou ne sera pas!» Au cœur de toutes ces actions, une quinzaine de chevaux. Graal, Darwin, Silence, Sombre, Gaya et West, de puissants frisons originaires des Pays-Bas, sont les partenaires de piste de Camille. Manolo, lui, évolue plutôt sur des montures venues du monde arabe et ibérique, agiles et souples comme Nuno,Toshiro, Bhima, Yudishtira, Sahadeva, Indra. Et un troisième centaure, Bertrand B. travaille avec Arjuna, Akira et Escarabajo. Il y a aussi Tao, un percheron d’une tonne et Koko, un baudet du Poitou, aux tresses tombantes… Tous les mercredis, on peut venir les voir travailler ou répéter avec les artistes, ils sont le trait-d’union entre Nature et Culture. Il y a aussi dans ce lieu de vie, des cours de théâtre, tai-chi, yoga et une chorale…

Le dramaturge Fabrice Melquiot, leur partenaire de longue date, a écrit et mis en scène un spectacle pour les artistes de ce théâtre équestre et sur eux, Centaure quand nous étions enfants**. Et il en a tiré une livre: «Le centaure est une promesse./Je rêve d’un galop pour ma moitié humaine, je rêve d’une parole pour ma moitié animale: le centaure espère l’impossible, de toutes ses forces rassemblées ; il interroge l’animal humain, déplaçant les frontières de soi aux frontières de l’autre : le centaure est un franchissement. »

Mireille Davidovici

Animal Le 5 mai, Quai 9, Lanester (Morbihan). Les 7 et 8 mai, Haras d’Hennebont (Morbihan); les 13 et 14 mai, Baie du Mont Saint-Michel (Manche).

 ** Centaure, quand nous étions enfants est publié à L’Ecole des loisirs.

BIAC Marseille-Provence-Alpes-Côte d’Azur, cinquième édition

Biennale Internationale des Arts du Cirque Marseille-Provence-Alpes-Côte d’Azur (BIAC), cinquième édition

Codirigé par Raquel de Andrade, Guy et Simon Carrara, Archaos a créé ses premiers spectacles il y a trente ans (Chapiteau de Cordes, Somewhere and Nowhere, Métal Clown…) et a joué dans le monde entier, avant de s’implanter à Marseille depuis 2001 où il est devenu Pôle national cirque. Archaos a initié cette B.I.A.C., dans la foulée du projet Cirque en Capitales, mis en place pour Marseille Capitale Européenne de la Culture en 2013. Cette Biennale de création propose, les années impaires, au cœur de l’hiver une programmation avec des structures culturelles sur tout le territoire de la Région Sud-Provence-Alpes-Côte d’Azur.Et les années paires, un festival plus réduit, L’Entre2 B.I.A.C. sur Marseille Métropole. Cette année, quarante-cinq lieux culturels offrent plus de soixante-dix spectacles avec deux-cent cinquante représentations. A Marseille, le Village Chapiteaux, non loin des plages du Prado, sert de quartier général dans un Magic Mirror convivial.

Désobérire
En une soirée, nous avons pu voir trois événements dont une amusante conférence philosophico-circacienne Désobérire où l’acteur Guillaume Clayssen en s’appuyant sur la présence de l’acrobate Roberto Stellino, essaye de répondre à la question : Obéir ou désobéir? Malgré son habileté rhétorique, le comédien a du mal à intégrer dans ses raisonnements les performances de son partenaire dont saillies et pirouettes ne nous ont pas convaincus.
Mais nous suivrons volontiers les prochaines créations de cet agrégé de philo car il instaure une complicité avec le public et démontre textes à l’appui, qu’il est plus facile d’obéir que de se révolter, surtout en démocratie « où la désobéissance est moins légitime que dans une tyrannie ».Mais parfois, « la désobéissance  démocratise la démocratie », comme le prônait en son temps Henry David Thoreau et comme l’a montré Rosa Parks en 1955, en refusant de céder sa place à un passager blanc dans un autobus à Montgomery (Alabama). Exemple récent : les multiples actions de Cédric Herrou, agriculteur militant pour la défense des migrants, a permis d’abolir -mais dans certaines conditions- du «délit de solidarité ».

I Love You Two by Circus I Love You

© Minga Kaukoniemi

 

I love you two
Tout commence en musique et ces artistes forment un excellent orchestre, avant de se lancer dans leurs performances. Trois duos d’acrobatie se succèdent, organisés autour de la notion de tendresse. Un homme et une femme rivalisent en virtuosité au bout d’une perche et au trapèze volant, se portant tour à tour l’un l’autre avec la même vigueur mais toujours en douceur.Suit un étonnant numéro musical entre l’accordéoniste et le violoncelliste. Les voilà alternant sur les épaules l’un de l’autre, tout en continuant à jouer. En inventant des combinaisons virtuoses et les plus invraisemblables et finissent par tourner avec grâce dans des roues Cyr…

Enfin, deux funambules dansent sur le fil, y roulent à bicyclette… Des équilibres périlleux qui nous tiennent en haleine. Pour finir dans de vertigineuses envolées en bascule. Du très grand art servi par une équipe joyeuse et souriante : Sade Kamppila, Julien Auger, Oskar Rask, Benoît Fauchier, Felix Greif, Philomène Perrenoud, Thibaud Rancoeur, Périklis Dazy, Thomas Fabien, Julia Simon, Pelle Tillö, Elisabeth Künkele ou Emma Laule. La compagnie Circus I love you a été créée par Sade Kamppila et Julien Auger pour réaliser leur rêve : fabriquer un cirque et aller jouer en Europe… Tout le monde met à main à la pâte et se partage la conduite du camion, le montage du chapiteau et des gradins, la création des costumes. Et le cuisinier fait quelquefois partie du spectacle ! Ils partagent aussi la même approche de leur art : « l’amour du cirque comme outil d’épandage massif d’amour! »

Les Fauves -

Ea eo © Florence Huet

 

Les Fauves, direction artistique d’Eric Longequel et Johan Swartvagher

Nous pénétrons sous un chapiteau « cousu main », nous dit-on, et conçu pour ce spectacle de jonglage grand format, par le collectif d’architectes Dynamorphe: «Plus que jamais, les spectacles de jonglage ont besoin de se détacher des formes existantes, telles que la boîte noire ou la piste de cirque », affirme la compagnie Ea Eo qui a créé Fauves à l’Espace-Cirque d’Antony l’an passé. Nous visitons la ménagerie, guidés par les instructions et commentaires de la chanteuse et musicienne Solène Garnier dont les compositions accompagnent le spectacle. Elle chauffe l’ambiance pour une déambulation de quarante minutes, dans les espaces où les cinq jongleurs se livrent à des numéros solitaires. Éric Longequel évolue sous l’eau dans un aquarium, jouant avec des objets bizarres. Neta Oren jongle avec ses balles blanches dans une cage de verre, au rythme infernal d’une voix impérieuse, diffusée dans notre casque. Plus loin, Emilia Taurisano, gracieuse, fait rebondir ses balles d’un pied à l’autre, suspendue à un fil telle une araignée. Elle ouvrira aussi de petites balles transparentes d’où jaillissent confettis et plumes.
Au centre du chapiteau, Wes Peden évolue sur des cothurnes faites de massues assemblées et se défait lentement de tricots de corps enfilés les uns sur les autres et portant des mots humoristiques. Johan Swartvagher, lui, nous attire à l’extérieur et, surgi des buissons, lance ses massues phosphorescentes haut dans le nuit venteuse.

En seconde partie du spectacle, le public se rassemble sur des gradins en tri-rontal. Sur la piste triangulaire, Wes Peden, star du jonglage sur les réseaux sociaux, n’en finit pas de lancer ses massues roses, avant que les fauves au grand complet se déchaînent pour une équipée sauvage et poétique sous les ordres de Johan Swartvagher, le Monsieur loyal de ce cirque où chacun joue en boucle, espérant atteindre son « meilleur jonglage». Et bientôt une pluie de confettis viendra clore ces deux fois quarante minutes. On aurait souhaité ce moment collectif plus dense, plus collectif, et moins long le solo de Wes Peden, par ailleurs excellent performeur.

Mireille Davidovici

Spectacles vus le 28 janvier.

BIAC jusqu’au au 12 février T. :04 91 55 62 41.

Les Fauves

16 au 19 ma La Coursive, La Rochelle (Charente Maritime) ;  du 31 au 2 avril Les Passerelles, scène/La Ferme Du Buisson (Seine-et-Marne ;  du 14 au 16 avril, CirquEvolution /Théâtre De Chelles (Seine-et-Marne) ; du 5 au 7 mai, Le Manège de Reims (Marne) ; du 20 au 25 juin Le Mans fait son cirque (Sarthe) ; décembre Le Tandem Douai (Nord) –

 I love you two

Du 2 au 5 juin,400 år jubileum Göteborg (Suède) ; du 22 au 24 septembre  Atoll Festival Karlsruhe (Allemagne )  ; du 29 septembre au 1er octobre,  Théâtre national Bourg en Bresse (Ain) ; du 6 au 8 octobre, Théâtres en Dracénie, Draguignan (Var) ; du 12 au 15 octobre La Seyne-sur-Mer (Var) ; du 17 – 25 novembre,  La Saison Jeune Public, Le Pôle Hérouville Saint-Clair (Calvados)

 

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