L’Homme fatal d’Etcha Dvornik

L’Homme fatal  d’Etcha Dvornik

Ses précédentes pièces s’inspiraient de textes qui n’étaient pas d’elle : de la correspondance entre Grisélidis Real et Jean-Luc Hennig pour La Passe imaginaire, adaptée à Paris à la Comédie-Saint Michel en 2018. Hole, présenté au Festival International des Arts à Paris en 2023, avait pour base Le Livre des jouissances, de Jean Philippe Domecq. Dans le cas de L’Homme fatal, il n’en va pas de même. Il s’agit d’un solo de l’auteure, « un travail très personnel, d’après une expérience personnelle », nous dit-elle. Le sous-titre en est Emprise et le spectacle traite de cette question : l’emprise d’un homme sur une femme, la comédienne elle-même. Etcha Dvornik entre côté jardin et appréhende le clair-obscur. Elle porte une longue robe noire.

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Elle arpente la scène à pas sinueux. Tout son corps est en mouvement, avec de gracieux portés de bras et des poignets serpentins. Dvornik vient de la danse autant que du théâtre. Dans L’Homme fatal, elle hybride les deux formes d’art. Sa voix, enregistrée ou proférée, mezzo voce, avec un très léger accent, rappelle un récit passé, celui d’une rencontre. Fortuite, dans l’anonymat d’une ville. D’abord un heureux hasard. L’homme s’appelle Célestin. Elle n’a pas de nom. L’homme fatal n’a pas de visage, il n’est qu’une voix que l’on perçoit en off.Le propos est érotique, le langage vert. Lorsque Célestin n’est pas à la hauteur (le terme employé est « bander »), il se croit obligé de lui introduire un pénis en bois dans le vagin. À cela s’ajoute son obsession pour la posture du photographe qui décide seul de la position du sujet à photographier.Sans qu’elle ne se l’avoue, la jouissance passe chez elle par la transgression, celle de la bienséance comme de la défiance envers »malegaze.
« L’histoire est racontée par une victime consentante. Célestin est-il un si mauvais bougre ? A-t-il d’autres préoccupations ? Femme et enfants à dos ? Toujours est-il qu’elle projette sur lui la figure du tortionnaire.Le supplice le plus efficace que lui inflige ce mufle – un Sade au petit pied – est l’éloignement, sans plus d’explication. La disparition. Il se défile. Elle agonise. Elle geint, gémit, hurle : « Sacré masochisme !». Elle attend des jours entiers ses appels téléphoniques, s’accuse plutôt qu’elle ne l’accuse, va jusqu’au se reprocher d’être étrangère. Elle souffre de ce que l’on nommait jadis passion ou dépendance amoureuse et que, par la bouche de la Phèdre de Racine, le classicisme français a le mieux traduit : « C’est Vénus tout entière à sa proie attachée ». Ces affres, ces tourments, Etcha Dvornik les danse admirablement, avec une grande présence et un engagement physique total. Elle est l’héritière de l’ »ausdrucktanz », telle qu’elle lui a été transmise par Jacqueline Robinson, elle-même disciple de Mary Wigman. Elle s’exprime par une gesticulation qui se moque de l’esthétique, faite de positions à genoux, à plat ventre, à croupetons, de mouvements de reptation.

 Le salut viendra d’un livre que la danseuse montre au public : Les Perversions narcissiques de Paul-Claude Racamier. Le psychanalyste, après une première approche de la perversion narcissique, en distingue deux versions. L’une est voisine de la paranoïa et de la psychose passionnelle et s’observe surtout chez les femmes, la seconde proche du narcissisme glorieux se constate plus chez les hommes. Célestin et la dame sans nom s’étaient bien trouvés. À la fin de la pièce, la comédienne et danseuse est assise à son bureau, le stylo à la main. Elle a retrouvé sa maîtrise, un mot qui rime avec emprise et qui a un double sens : la maîtrise de soi et le travail universitaire que l’on rédige en Master, cursus qu’a suivi Edcha Dvornik à l’Université de Vincennes.

 Nicole Gabriel

Spectacle joué du 30  octobre  au 2  novembre, au Local des autrices, 18  rue  d’Orillon Paris (XVIII ème) ,. T. : : 01 46 3611 89
 
Du 6  mars  au 3  juillet, Comédie Saint-Michel, 95  boulevard Saint-Michel,  Paris ( V ème) .  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Archives pour la catégorie Danse

Graham 100, par la Martha Graham Dance Company et Aurélie Dupont

Graham 100, par la Martha Graham Dance Company et Aurélie Dupont

Nous avons suivi cette compagnie américaine historique fondée en 1926, et elle avait ouvert en 2018 la saison Danse à l’Opéra de Paris, à l’invitation d’Aurélie Dupont. Nous retrouvons aujourdhui comme danseuse, lancienne directrice de la danse dans le programme A qui célèbre les manifestations des 100 ans de cette troupe. Les cent ans de la compagnie seront célébrés à New York en avril prochain. Quatre pièces à découvrir: soit un voyage dans le passé pour les deux premières et, dans le présent pour les suivantes. Le tableau avec Aurélie Dupont a été chorégraphié par Virginie Mécène cette année, à partir d’une photographie en noir et blanc de Martha Graham en 1926.

© M Sherwood

© M Sherwood

Nous l’avions rencontrée quand elle avait collaboré à deux pièces pour célébrer les quatre-vingt-dix ans de cette compagnie à New York, puis à l’Opéra-Garnier pour la reprise du solo Ekstasis en 2018. Il y a quelques mois Janet Eiber, directrice artistique, avait invité Aurélie Dupont à venir danser à Paris pour Graham 100.
« Cela fait quatre ans, dit-elle, que je nai pas dansé. » Pendant trois mois elle a repris des cours de danse classique et de pilates. Connaissant Virginie Mécène, elle décide de créer avec elle Désir, un solo ».
Elles ont travaillé sur dix jours,
à raison de cinq heures. SelonAurélie Dupont, Virginie Mécène  a donné du mouvement a une image pour finir par faire naître un solo de cinq minutes ». Pendant les répétitions ,« Revenir devant un miroir pour la première fois était surprenant, puis jai retrouvé peu à peu mes sensations davant. »
Elles ont commandé une robe rouge un peu élastique et près du corps à Anne-Marie Legrand, cheffe d’atelier de couture à l’Opéra de Paris.« Parfois, dit-elle, me manquent le plateau et cette petite bulle artistique appartenant seulement à celles et ceux qui arrivent des coulisses. Un moment de no mans land, où l’on devient quelqu’un d’autre. »

Errand into the maze (1947) est inspiré du mythe du labyrinthe avec Ariane et le Minotaure. Isamu Noguchi a réalisé décors et costumes et la musique de Menotti est très cinématographique. Et le tout comme souvent chez Martha Graham, d’un expressionnisme théâtral

Dans Cave of the heart ( 1946), Médée utilise la magie pour semparer de la Toison dor pour l’offrir à son amant Jason. La musique de Samuel Barber accompagne ce moment dont lesthétique appartient à un autre temps. Il faut voir ces pièces comme un témoignage du passé mais très novateur pour l’époque. Pour Cave, Hofesh Shechter s’est inspiré de la danse et des musiques des « rave » parties nées dans les années quatre-vingt. En, anglais « rave » :délire.Il a monté cette pièce avec la compagnie après la pandémie. Un exemple récent et douloureux de rave partie surgit dans la réalité sombre actuelle, comme le massacre au festival Nova le 7 octobre 2023 ne peut s’effacer de cet instant scénique.
A son habitude, Hofesh Schechter a composé musique et lumières pour  une débauche d’énergie vitale salutaire. La troupe prend un réel plaisir à danser et, aux mouvements de groupe, succèdent quelques performances individuelles. Nous sommes conquis. A Paris, cette soirée contrastée lance parfaitement la célébration des cent ans de cette compagnie mythique.

Jean Couturier

Jusqu’au 14 novembre, Théâtre du Châtelet 1 place du Châtelet, Paris ( Ier). T. : 01 40 28 28 40.

Dance marathon express de Kaori Ito

Dance marathon express de Kaori Ito (à partir de neuf ans)

 Dans une temporalité à rebours de 2.010 à 1.930, cette artiste japonaise invite le public à la découverte de son pays: Surprenant, tout en mouvements et chansons ! le projet commencé en 2.020 a été achevé  deux ans après, en collaboration avec le Kanagawa Art Theater à Yokohama. Il se poursuivra avec des résidences en France et au Japon jusqu’à cet été…  Kaori Ito. nous offre une vision aux multiples facettes, aussi historique que culturelle, en mettant en lumière les influences de la danse et de la musique occidentale sur la culture japonaise au siècle dernier.

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Un spectacle en deux parties, chacune dans un espace esthétique différent : le premier celui d’un marathon de danse et l’autre, littéraire, avec un conte, Les pieds nus de lumière. Ainsi la structure remarquable, révèle grâce à une construction en deux volets, les visages contraires du Japon : moderne et ancestral. Et impose des espaces opposés et/ou complémentaires: l’extériorité par le biais du marathon et l’intériorité avec l’histoire tragique du petit Narao. Le langage de l’onomatopée a été pour cette chorégraphe, une base rythmique fondatrice pour créer Dance marathon express. Au pays du Soleil levant, les enfants apprennent d’abord à parler par onomatopées, avant de construire des phrases avec des mots. Phrases qui ont une forte dimension esthétique qui n’existe pas dans notre culture linguistique et littéraire : « Ce sont, dit Kaori Ito, des sons liés à la qualité des matières, à la météo ou aux émotions. » 

En proférant sons brefs et saccadés, cri et en martelant le sol de leurs pieds, les interprètes envahissent tour à tour le plateau, comme autant de figures issues de contes de fées, mangas, ou plus concrètement, du show-biz ou du sport… Dans les marathons de danse créés aux Etats-Unis pendant la grande crise des années trente, des couples s’affrontaient pour gagner le Prix en dansant le plus longtemps possible. Comme dans On achève bien les chevaux d’Horace Mac Coy,  adapté au cinéma par  Sydney Pollack. Mais ici, les danses en tout genre dépassent la compétition…

La chorégraphie jubilatoire, émouvante, et documentée de met avec fougue en harmonie ou/et en lutte les corps, au rythme de chansons emblématiques de 2010 à 1930. À cette remontée dans le temps, d’une décennie à l’autre, se joignent les événements gravés à jamais dans l’histoire du Japon et la mémoire de Kaori Ito. Pris dans un mouvement frénétique, nous entrons dans la danse folle, d’abord  classique ensuite hip-hop, twist et butô, entraînés avec enthousiasme par ces huit interprètes venus du monde entier.Costumes colorés et à la mode de chaque époque, bande-son variée et populaire dont I will always love you de Whitney Houston et nombreux autres tubes dont une célèbre chanson d’Édith Piaf en version japonaise, ressuscitent nos souvenirs et nous charment. Emotion et plaisir chez les jeunes spectateurs enchantés par ce bouillonnement de couleurs, gestes et musique. Une féérie traverse le spectacle dont la richesse réside dans le geste artistique brillant d’intelligence et de créativité de Kaori Ito et son évocation spirituelle du Japon. La puissance positive ou négative du collectif et le sentiment de solitude, prennent corps avec finesse.

Dans le premier volet, à cour, des toilettes sont un endroit capital pour l’évolution de l’histoire. Dans cet ultime refuge où se précipitent à bout de souffle les interprètes du marathon, arrive -coup de théâtre- une révélation! Un des personnages y découvre un récit de nouvelles de Kenji Miyazawa, poète renommé (1896-1933). Ce moment surprenant et épiphanique provoque une rupture et un bouleversant changement d’espace/temps.
Et dans le second volet, le spectacle cèdera la place au conte avec mots poétiques et pensées philosophiques. Autre support dramaturgique, autre rythme… apaisant. Succèdent alors aux impressionnants mouvements des corps et aux chansons pop et variétés, un climat et une scénographie plus intériorisés, moins spectaculaires. Mais toujours avec une forte tension et une grande sensibilité. La danse devient alors récit et casse les barrières du langage. Les Pieds nus de lumière, transmis en voix off et en japonais résonne aux oreilles de tous et le langage universel de la danse et de la musique, comme celui de la poésie traversent avec grâce le Japon de Kaori Ito!

Elisabeth Naud

Spectacle vu le 10 octobre au Théâtre Jeune Public-Centre Dramatique National de Strasbourg-Grand-Est ( Bas-Rhin).

Les Producteurs de Mel Brooks et Thomas Meehan, mise en scène d’Alexis Michalik

Les Producteurs de Mel Brooks et Thomas Meehan, mise en scène d’Alexis Michalik

©x Mel Brooks sur le tournage des Producteurs

© x Mel Brooks sur le tournage des Producteurs

Avec Le Porteur d’histoire il y a déjà treize ans, le spectacle qui l’avait fait connaître,  Le Cercle des illusionnistes, 2014, Edmond, 2016, Passeport, 2024 (voir Le Théâtre du Blog),  le metteur en scène est maintenant reconnu et a su fidéliser un public qui n’allait pas beaucoup au théâtre. Le célèbre film satirique (1967) de Mel Brooks deviendra ensuite un spectacle joué 2. 500 fois à Broadway, avec  douze Tony Awards au compteur. Les Producteurs avait été adapté et mi en scène  pour la première fois en France il y a quatre ans par Alexis Michalik. Une grosse machine dont il remet le couvert avec une nouvelle troupe de seize artistes et sept musiciens, autant de techniciens sur scène et d’invisibles mais nécessaires habilleuses en coulisse…

C’est une adaptation du film de Mel Brooks qui a fêté son quatre-vingt-dix neuvième anniversaire cette année… Max Bialystock (Florent Peyre) était le roi de Broadway mais ses derniers spectacles ont fait un bide complet et qui l’ont presque ruiné. Il mène pourtant une vie luxueuse, grâce à l’argent de vieilles dames très riches…et portées sur le sexe. Un jour, un expert comptable du fisc, Leopold Bloom (Alexandre Faitrouni) vient vérifier les comptes du théâtre. Il manque 2.0 00 $! que le producteur reconnait avoir dépensés pour son usage personnel et il lui demande de truquer les chiffres.
Leopold Bloom accepte mais lui dit que 
monter la plus médiocre comédie musicale possible et ensuite tout faire pour qu’elle fasse un bide,  serait bien plus rentable qu’un succès.…Cela permettrait en effet de garder le maximum d’argent pas investi. Séduit, Max Bialystock n’a pas trop de scrupules et va essayer de trouver une pièce qui mènerait à un échec complet et embarque avec lui, ce Léopold  timide, mal dans sa peau et un peu affolé… C’est totalement foldingue mais très drôle. Même si on ne comprend pas très bien cette stratégie géniale mais qu’importe, c’est le moteur de l’intrigue.. 

© Alessandro Pina

© Alessandro Pina

Max Bialystock et Léo Bloom cherchent donc un livret écrasant de nullité et finissent par en trouver un, Des fleurs pour Hitler, un texte glorifiant le Führer et le troisième Reich, écrit par Franz Liebkind, un ancien nazi bavarois en culotte de cuir auquel tient compagnie une dizaine de pigeons… Le producteur obtient vite de ses chères vieilles dames au moins un million de dollars. L’argent coule à flots et il fait repeindre son bureau et engage une secrétaire suédoise en mini robe blanche très sexy,  recrute Roger de Bris, un metteur en scène inconnu mais garanti sans aucun talent et fait passer des auditions. Lorenzo Saint Dubois, dit LSD, un acteur qui s’était trompé de théâtre, est choisi pour incarner Hitler. Quelques mois plus tard, a lieu une avant-première avec d’abord, un semblant de comédie musicale dont le thème -la glorification d’Hitler- évidemment, choque le public. Mais cela ne se passera pas comme prévu.  Quand LSD entre  en scène, les rires fusent dans le public !Roger de Bris a transformé sa pièce en une satire très efficace. Franz Liebkind, absolument furieux, va essayer mais en vain, d’interrompre les représentations. Et ce succès commercial ruinera Max et Leopold.
Et l’ auteur 
 veut les tuer. Max le persuade qu’à trois, ils pourront arrêter le désastre. Ils essayeront de faire exploser le théâtre mais finissent sous les décombres! Arrêté et jugé coupable, Leopold expliquera à la Juge que Max a changé sa vie et celles de beaucoup de gens. L’ancien producteur, lui, estime avoir retenu la leçon. En taule, Max, Leo et Franz, ce trio de bras cassés, travaillent à une nouvelle pièce Prisonniers de l’amour qu’ils espèrent, cette fois, être un succès. Mais incorrigibles, ils se remettent à vendre plus d’actions que nécessaire, aux prisonniers et aux gardiens….

© Alessandro Pina

© Alessandro Pina

Ce spectacle a été élu Molière 2022 du meilleur spectacle musical mais ici, comme souvent, Alexis Michalik ne fait pas dans le léger:  les vieilles dames richissimes sont jouées par de jeunes actrices emperruquées de blanc et marchant avec un déambulateur, la nouvelle secrétaire est d’une bêtise crasse mais ultra-sexy, les danseurs recrutés, homos et ridicules, se tortillent et adorent se faire remarquer, en poussant de grands cris. Un artiste noir arbore sous son collant vert un sexe énorme. Tous aux abris… Le début où les sept musiciens jouent sur scène avant de disparaître dans des loges vitrées, côté jardin et côté cour, fêtent l’anniversaire d’une des jeunes actrice, en jouant Happy birthday to you et font chauffer la salle et applaudir le public. C’est du genre pénible et l’ensemble avec dix-sept interprètes a bien du mal à prendre son envol !
Surjeu permanent, manque de rythme, chansons trop souvent criées avec l’aide de micros H.F., et sur le plateau nu, nombreux décors descendant souvent pour quelques minutes, incessants déménagements de canapé, bureau, escaliers… manipulés à vue par les techniciens et les acteurs (la marque de fabrique d’Alexis Michalik!). Et on ne sait jamais si on est au deuxième degré, voire au troisième. On n’échappe pas non plus à un clin d’œil à Charlie Chaplin avec un gros globe terrestre, comme celui du
 Dictateur. Il y a heureusement, assez exceptionnels et toujours justes: Florent Peyre, Alexandre Faitrouni presque toujours en scène et Roxane Le Texier, dans le rôle de Ulla Inga Hansen, la jeune secrétaire suédoise.
Mais bien entendu, rassurez-vous, braves gens, il y a des jets de fumigène à gogo! Et à la fin, des bombes à paillettes envoyées vers le public, comme dans les cabarets minables! Mel Brooks savait être beaucoup plus raffiné et inventif en loufoqueries, que cet encore jeune metteur en scène. On s’ennuie ? Oui, un peu… Comme il se passe toujours quelque chose, on regarde mais ces deux heures sont longues (le film dure lui quatre vingt-dix minutes).
Malgré la réelle maîtrise du plateau dont fait preuve Alexis Michalik, l’ensemble ne fonctionne pas bien, et son 
Edmond (voir Le Théâtre du Blog) avait une autre force… Il y a ici quelque chose de vulgaire, sec et facile, sans une once de véritable poésie dans la mise en scène, la scénographie et les costumes. Malgré le prix des places :c
arré Or: 80 €, cat. 1: 65 € , cat 2:45 €), la salle est pleine…
Chose rassurante : les applaudissements manquaient de chaleur. Un bon spectacle? Pas vraiment et nous n’avons pas été convaincus… Même si, « en France, dit -assez prétentieusement- Alexis Michalik, on n’a pas de Broadway, mais on a des idées. Nous tâcherons de les employer à amener un public français à découvrir ce classique de la comédie musicale américaine, pour son divertissement et, j’espère, son émerveillement.» Et cette production lourdingue a un vrai succès! Ainsi va la vie du spectacle contemporain. A voir? Peut-être mais soyons clairs: à condition de n’être vraiment pas exigeant sur le plan artistique. Encore une fois, Edmond était d’une autre veine et d’une autre qualité…. Dommage.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 11 janvier, Théâtre de Paris, 15 rue Blanche, Paris (IX ème). T. : 01 86 47 72 49.

 

Thikra : Night of Remembering, chorégraphie d’Akram Khan, concept narratif de Manal AlDowayan et Akram Khan

Thikra : Night of Remembering, chorégraphie d’Akram Khan, concept narratif de Manal AlDowayan et Akram Khan

Ce spectacle a été créé sur le site archéologique Madā’īn Ṣāliḥ (I er siècle av J. C.) à vingt-trois kms d’Al-Ula en Arabie Saoudite. Classé au patrimoine mondial par l’Unesco, il abrite des vestiges d’époques lihyanitedadanitenabatéenne puis romaine. Le prince Mohammed ben Salmane, veut y créer un parc naturel, touristique, archéologique et culturel d’une superficie équivalente à la Belgique et une annexe du Centre Pompidou ouvrira en 2028 à Al-Ula.
Pour ce spectacle
qui a ouvert la quarante-cinquième édition du festival Montpellier-Danse, le chorégraphe a travaillé avec une artiste saoudienne et les quatorze danseuses évoluent dans un décor suggérant Madā’īn Ṣāliḥ où on peut voir des tombeaux taillés dans la roche, les ruelles de la vieille ville et les montagnes. La scénographie de Manal Al Dowayan suggère ce désert avec une formation rocheuse, une grotte et les amples costumes permettent de vastes mouvements.
Parmi les danseuses, Azusa Seyama, du Tanztheater de Wuppertal et Ching-Ying Chien, que nous avions vue dans Room de James Thierrée et dans Outwitting the Devil, chef-d’œuvre du chorégraphe, présenté au festival d’Avignon 2019 (voir Le Théâtre du Blog). Avec Thikra (en arabe : souvenir), Akram Khan représente ici un passé révolu.

© AKC_Thikra

© AKC_Thikra

Les mouvements de groupe sont d’une grande beauté et les gestes précis et harmonieux. Mais la grotte, trop imposante, limite la mobilité des danseuses aux deux tiers de la profondeur du plateau! Azusa Seyama joue une sorte de prêtresse en robe pourpre apparaissant en haut du rocher. Ching-Ying Chien, vêtue de blanc, semble être le symbole de l’innocence et de la pureté. Deux danseuses en costume noir interprètent des sorcières mais la chorégraphie manque de lisibilité et il n’est pas facile de comprendre les liens unissant ces personnages, notamment les danseuses en sari. Chaque déplacement de cette communauté est rythmé par une musique assourdissante d’Aditya Prakash. (Prudence : mettre les protections d’oreille distribuées à l’entrée). Un très beau jeu unit les danseuses aux  longues chevelures dans des postures sophistiquées mais les tableaux se succèdent de façon inégale et hypnotique en une heure. Nous sommes ressortis déçus par cette chorégraphie qui nous a laissé un peu perdu dans ce lointain désert…

Jean Couturier

Jusqu’au 18 octobre, Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, 2 place du Châtelet, Paris (IVème). T. : 01 42 74 22 77.

Adieu Bernard Rémy


Adieu Bernard Rémy

 

© C. Colmant

© Corinne. et Dimitra Colmant

Il est mort dans son sommeil à soixante-dix-neuf ans après une grave maladie… Nous nous souviendrons de son regard pétillant quand il parlait avec humour et intelligence des choses qu’il aimait, de sa vaste culture en danse contemporaine et en cinéma, de sa passion pour les écrits de Gilles Deleuze qu’il citait souvent et brillamment, de sa gentillesse et de son contact facile avec des gens loin de son monde et qu’il n’avait pourtant jusque là, jamais rencontrés…Comme ces ingénieurs qui ont conçu le désormais célèbre cheval ailé sur la Seine pour les J.O.  , ou comme cet ancien éleveur cantalien qui lui avait offert une solide canne de marche fabriqué de ses mains et qu’il garda toujours ensuite avec lui… Ou Marine Tondelier, la patronne des Ecologistes, qu’il avait réussi, à force d’insister, à accepter d’être interviewée par lui, au téléphone!

Nous sommes heureux de lui avoir fait savourer, plusieurs années, de bonnes vacances dans ce hameau du Cantal qu’il aimait tant et où il regardait avec la curiosité qui était la sienne, les amours et les conflits des poules et canards élevés en liberté dans les vertes prairies où broutent aussi les vaches limousines.
Adieu Bernard, et merci pour ta collaboration au Théâtre du Blog. Le livre sur son amie Laurence Louppe, critique et historienne de la danse, qu’il avait projeté d’écrire avec nous, et pour lequel il avait déjà réuni de nombreux textes et documents, est resté en rade à cause de sa maladie. Bernard, tu y tenais beaucoup mais ne t’en fais pas, nous ferons l’impossible  pour que le gros travail que tu avais entrepris soit enfin achevé et publié sous une forme ou sous une autre. Nous sommes de tout cœur avec Elizabeth Schwartz, son épouse, sa fille et son fils.


Philippe du Vignal

Les obsèques de Bernard auront lieu le samedi 20 septembre à 10 h, au cimetière du Père Lachaise, Paris (XX ème). Métro : Gambetta.  

Dans le creuset de quelques années de sa vie.

© Nicolas Villodre

© Nicolas Villodre

Ce qui (se) mure (peut-être sans savoir…) La « vie » sait-elle lire, se lier à une écriture pour se comprendre elle-même et saisir les forces qui, pour certaines, lui sont d’une fidélité proprement inouïe, s’ouvrant à ce qui excède le malentendu et le malheur ? Aux heures matinales (quand le jour se lève, progressif), ce 8 septembre, Bernard a cessé de vivre, dans le cœur, le creux et le corps d’un long endormissement. Il avait encore une étrange respiration, laineuse et sèche, veillant à ce que l’irrespirable tienne compte d’une vie résistante n’ayant jamais pu tolérer que l’on « mure » des forces de vie aussi riches et créatives, calmes, d’une patience utopique et en attente de l’innocence de ce qui devient, en fonction d’une loi meurtrière ou assassine, serrant les gorges et les cœurs, brisant les gestes et les mouvements dès leur amorce, « occupant » les pensées en les noircissant avant même qu’elles laissent naître leur teneur de lumière.

 

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En 1975, Bernard publie aux éditions François Maspero, L’Homme des casernes, un texte que l’expérience de la désertion, après quelques jours de casernement) a produit et « composé », en fonction d’une lucidité et d’une puissance d’analyse de ce qu’était l’institution militaire, de ce qu’elle infligeait aux « appelés » et à leurs corps ou comportements induits par un « temps de guerre incessible ».
Michel Foucault en avait loué la pénétration dans un article du Monde. Bernard ponctuait deux années de militantisme non doctrinal, liées à la création du G.I.A.  (Groupe Information Armée) conçu sur le modèle du Groupe Information Prisons de Michel Foucault. L’écriture en était si souple et si efficiente qu’elle semblait pouvoir desceller les écrous des états réels qu’elle révélait. Sans défense mais précise comme le courage de la pensée, quand elle est distillée par l’intimité libre de toute intimation, elle déséquilibrait les fixités instituées et voilait leurs rouages.

 Bernard est jugé pour désertion le 6 juin 1975 par le T.P.F.A. de Bordeaux et condamné à dix-huit mois d’emprisonnement. Mais sa santé en sera atteinte. Il commença à tenir en 75 un Journal de prison ( qui sera publié chez Hachette deux ans plus tard, avec, en exergue, une Lettre liminaire de Michèle Montrelay, psychanalyste et auteure de L’Ombre et le nom qu’il faut citer. Elle saisit au plus juste, au plus inconnu et inaliénable, ce qui était et sera le mouvement d’être de Bernard tout au long de sa vie : «Vous parlez de Proust. Assurément, c’est avec La Recherche  que votre Journal entretient -me semble-t-il- les plus fortes affinités. Puisqu’il est aux dimensions du Temps, dont vous avez, plus que tout peut-être, le sens et la passion. Mais Proust ignore les silences. Autrement dit, son génie du corps demeure lié à la mondanité. Le vôtre saisit, vous le savez, par sa force de dénuement. Je n’avais jamais lu aucun texte à la fois masculin de structure, voire de «vertus», et «féminin» , saisissant le temps là où le corps le fabrique, dans ses élans, son silence, ses inspirations, ses misères. J’en demeure saisie et au plus profond, touchée. Quelle puissance d’attention et de veille, quel courage, quelle intuition de la mort et du bonheur conjugués. » En toute sympathie. Michèle Montrelay, 10 mars 1977.

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©x Centre Pénitentiaire de Gradignan

Dès les premières pages, Bernard écrit comment des lettres reçues,  entre autres, de Paul Virilio, Claude Mauriac… le décidèrent silencieusement à passer à l’écriture, en prison, de ce Journal. Lettres qui, aurait dit Jacques Derrida, arrivent toujours à destination (et non «volées ») . Et c’en est une, écrite en janvier 1975 à la maison d’arrêt de Gradignan (Gironde), qui se plie et se déploie aux souffles d’une écriture d’un être pour lequel la solitude est poreuse : pore qui fait respirer les phrases au rythme de ce que le corps (détenu) laisse transparaître comme de «sa lettre» secrète, ouverte aux lignes du monde…

« Au sein de l’attente- une attente active qui sans y penser, par moments, reçoit et développe les points d’attaque de la stratégie du procès, qui tombent peut à peu, coupant, tranchant, venus non du ressentiment, de la maladie de leur objet, mais des rencontres dans la douceur du jour, venus de la santé des couleurs qui le matin aèrent chaque chose d’une majestueuse et simple poussée vers le ciel : la terre brûle en silence de couleurs silencieuses – je perds la présence de la prison : pour que l’autorité agisse, il faut encore être compris, être présent, occuper une présence au sein de son apparition, il faut donc entretenir une quelconque commune mesure, une égalité avec elle ; il faut être présent à l’intérieur à l’intérieur de cette présence, apparaître au milieu, encerclé par cette apparition. Un mouvement heureux de disparition s’est opéré et c’est à partir de là que s’élanceront les gestes de riposte, c’est-à-dire les gestes d’effacement : la construction en soi de forces d’oubli annonce le moment de leur diffusion. »
Ligne de crête, de risque, de lucidité et de mise en abyme, plus troublante que la distanciation brechtienne : Bernard fut en grande amitié avec Philippe Ivernel (1933-2016), traducteur, entre autres, du Journal de Bertolt Brecht, où le pire, par certains aspects, vole en éclats, mais que menace une puissance peu contrôlable, étrangère à toute stratégie, procès, finalité politique ou sociale, ou psychique : un retour de «dépression» dont les cours humains sont aussi les jouets.

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Le mouvement de vie et pensée de Bernard a consisté à faire front et, en même temps, à détourer ce « mur» dressé dont ne sait où, et même par qui. Vincent Van Gogh, dans une lettre à son frère, disait devoir «limer », avec une patience et une endurance folles. Plusieurs mois de détention plus tard, Bernard écrit : « Mercredi 7 janvier. Émission sur Nietzsche à France Culture,  Il y a des dieux dans l’air. Mais l’air n’est-il pas divin ? L’air ne nous désigne-t-il pas toutes les formes comme un jeu à remanier sans cesse, dans la perspective de l’air qui nous projette sur la face des formes et nous grandit et nous abaisse dans l’entre-forme; le sens d’une légèreté à même les choses, se dégage dans l’air quand il nous fait, caresse: il n’y a pas de non-sens plus dur que la dureté qu’il doit protéger. De chaque chose, de chaque forme, l’air tire une force de plasticité, un appel à la modification, à l’apparence : aucune matière n’est assez dure pour sembler se refermer sur une dureté éternelle ; la consistance, la tangibilité ou l’opacité d’un mur ne tient jamais par elle-même ; elle est toujours espacée, écartée de ce qu’elle veut montrer, par le fait même qu’elle s’expose. »
« En effet, cette exposition baignée de vie, de lumière, de nuit, d’air et cette vie palpitante de multiplicités immatérielles citent le mur comme forme tendue vers une autre forme, elles le séparent de la mémoire vouée à lui donner un sens de durée sur sa propre matière, et le brassent d’oubli : si l’œil s’associe à ces courants de vie qui entourent, enveloppent ce mur, celui apparaît dans la vérité de toute apparition, le tremblement : toute apparition tend vers une autre apparition de la puissance qi constitue le milieu de l’apparition. Aussi la dureté du mur qu’on propose à nos regards de prisonniers ne gît-elle pas en lui… le pouvoir n’est jamais sûr de ses propres instruments de contrôle et de répression, aussi est-ce une perpétuelle autosurveillance qui le maintient, mais dans le déséquilibre de cette incertitude qui est la faille de l’avenir. Cette proximité dangereuse d’une forme à ses possibilités de transformation, à son mouvement de forme – chacune se fond dans une série de formes – et de nos mains à celles-ci en ce lieu, ce sont des hommes armés qui l’interceptent, la cisaillent et s’y interposent comme police de la forme, de la matière… »
Et un soir, dit Bernard, «Ma vie se dédouble et c’est quelqu’un d’autre qui vit la journée carcérale : à côté d’elle, à côté du temps qui doit nous user en cellule, mon absence m’a porté aux remous du temps. Chaque journée maintenant est double, avec le vide et l’absence. » 

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Il est libéré en mars 1976 et dans les mois qui suivent, il se joint, d’évidence, à nous. Patrick Bensard, Hervé Gauville, Jean-Luc Poivret et moi-même, créons Empreintes, écrits sur la danse dont le premier numéro paraît en 77. Une secrète et irrésistible inflexion oriente sa vie (il travaillera longtemps auprès de Patrick qui créa la Cinémathèque de la Danse. Et, la danse, celle née dans le dernier tiers du XIX ème siècle, ne pouvant être -art inouï- ni armée ni dure mais aimantée par la seule chance d’une plasticité qui ne se referme pas sur le corps et son génie du mouvement. Elle lui ouvrira ses bras et ses mains (non cisaillées par un policier de la forme).

Il rencontre alors et aime à jamais Élisabeth, danseuse-interprète des nuances infinies de la pensée et de l’art non gainés d’Isadora Duncan.  En U.R.S.S., un Commissaire du peuple lui expliqua que les temps, les urgences militaires et policières révolutionnaires doivent d’abord régler, par un mouvement armé, la situation et le sort de ses opposants. Le sens du mouvement d’Elisabeth n’était donc ni approprié, ni utilisable et d’aucune utilité pour les jeunesses combattantes, il ne pourra se transmettre que plus tard…

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©x Elisabeth Schwartz

Bernard l’a pressenti et son écriture a inscrit le cours de cette prescience que la mort ne pouvait être de mise, même sous les traits d’une perversion des états d’être, dans une existence qui, à tout moment, peut se voir contrainte d’en passer par une structure cellulaire… (nécessairement exposée au répressif).
Qu’est-ce qu’un corps de déserteur? Non pas déserté et désertique, mais, au contraire, un corps «plein», traversé d’intensités,  sensations, associations libres. Bernard aura eu le soutien de Michèle et Boris Vian qui, dans sa chanson Le Déserteur. écrit une lettre à son Président… Toujours cette circulation, envoi et réception d’une lettre ouverte; décachetée, elle déplace les positions, les expose à d’autres «gestes» (pensées glissant entre les boîtes d’étranges mouvements frôlant tous les sens du mot: déposition ). Le texte lu par Bernard au tribunal, d’une longueur considérable  et exaspérant la patience des juges… est tout, sauf celui d’une descente de croix ou d’une capitulation…

 

©x Gilles Deleuze

©x Gilles Deleuze

C’est une très impressionnante profession de foi  où il rassemble les forces les plus vives qui s’offrent et se donnent à lui: Gilles Deleuze, Michel Foucault, Henri  Bergson, Baruch Spinoza, Jean-Pierre Faye, Paul Virilio et Robert Antelme. Comme les jours et les nuits de mai 68, en signeraient les lectures et les intensités inespérées -sachant que demeure au-devant de tout effort de désaliénation, le mur de la cruauté psychique, (telle que Jacques  Derrida l’a comme mise à nu) -fuyante et dure, paralysante et froide comme une aire sans aube, durcissant l’air qui se donne à respirer.
Or la pensée, l’écriture et le sens de la vie de Bernard tendent à cette respiration qui, interne et aérienne, est aussi celle qu’il faudrait comme « insuffler » à l’adversaire (à toute forme ou figure représentant l’adversité). C’est une des visions les plus extraordinaires de la teneur de ses interventions pendant son procès : le « jeu », tout sauf naïf, qu’il déplie -avec un humour sous-jacent, toujours prêt à s’accorder un effet de surprise imprévisible-est toujours orienté par ce désir de faire qu’une partie peut changer de règles et de fins, de telle sorte que les opposants se découvrent partenaires d’une partie tierce, très beckettienne dans sa facture (sans note à payer).

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©x Buster Keaton

Il écrira aussi sur Samuel Beckett, Buster Keaton… et sur nombre autres lignes de vie, dessinant des attentes aussi justes et vivantes, que déconcertantes et heureuses. À la fin d’un des textes-manifestes réunis dans L’Homme des Casernes, il signe: Bernard Rémy; profession: déserteur. Il nous faudrait entendre cette apposition comme le Profession: Reporter de Michangelo Antonioni : on voyage, divague, rencontre, change d’état et traverse les puissances du Cri, du Brouillard, du Désert (rouge ou d’une blancheur brûlée) et des Passions tristes. Sa force merveilleuse consistait à faire d’une éclipse, une lumière… et à en inventer le mouvement de regard et d’égard.

Daniel Dobbels, danseur, chorégraphe, écrivain et critique d’art.

 

 

Festival Le Temps d’aimer la danse La Chambre d’amour, chorégraphie de Thierry Malandain avec le Ballet de Biarritz

Festival Le Temps d’aimer la danse à Birarritz

La Chambre d’amour, chorégraphie de Thierry Malandain

Thierry Malandain va quitter le Centre chorégraphique National de Biarritz et reprend le premier ballet qu’il créa ici en 2.000. Homme de fidélité à cette région,ce qui est assez rare aujourd’hui dans un monde qui privilégie le « zapping »: la partition symphonique originale de Peio Çabalette, créée par l’orchestre régional de Bayonne-Côte Basque est l’écrin musical de cette pièce d’une heure: «Mon premier programme pour ce festival, dit-il, est un hommage à la terre qui m’accueille. »
Fidélité aussi à ce Centre Chorégraphique National qu’il a dirigé pendant vingt-sept ans, depuis 98. Fidélité à Jorge Gallardo, son créateur de décors et costumes qui travailla déjà à cette première pièce.  Et  à toute son équipe, Richard Coudray,  maître de ballet et Yves Cordian, administrateur…

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©Olivier Houeix

Un parfum de nostalgie, style: Je me souviens de Georges Perec plane donc sur cette re-création. Thierry Malandain a été qualifié de maître du néo-classique mais nous assistons ici à une pièce résolument contemporaine rappelant la liberté des années quatre-vingt dix. Sur le thème d’un histoire d’amour triste: « Si elles finissaient bien, dit le chorégraphe, nous n’en ferions pas des livres, des films ou des pièces. » (…) Chantée par la légende, la Chambre d’amour est une grotte de la Côte d’Argent que les flots envahissaient jadis à marée montante, et qui est, depuis le XVIII ème siècle, le théâtre d’une tragédie. Ici, Ura et Ederra Eau et Beauté (en basque),  à l’instant précis où ils jouissaient le plus de la vie, sont engloutis par l’océan. Le lendemain, leurs corps, retrouvés noués ensemble sur le sable, ajoutèrent une page à la littérature des amants au bonheur brisé par le destin. »
En parallèle, le chorégraphe évoque aussi les destinées funestes bien connues : celles d’Adam et Ève, Abel et Caïn, Othello et Desdémone, Roméo et Juliette, Didon et Énée, Orphée et Eurydice… Une occasion ici, de voir les beaux duos sensuels et parfois cruels, avec sept couples, comme toujours parfaitement interprétés par les solistes. Avec eux, les huit danseurs du chœur maîtrisent ce grand plateau.
La partition, aux tonalités de musique de film, souligne des tableaux souvent dramatiques. Comme toujours chez lui, elle lui inspire une chorégraphie, même si, à la création, il n’avait pas encore celle du final.Thierry Malandain aime à dire qu’il a travaillé comme Marius Petipa, avec la musique de Tchaïkovski. En 2000, l’Orchestre régional de Bayonne-Côte Basque était déjà là, avec la pianiste Marina Pacowski qui avait vingt ans à l’époque, et présente ce soir. Mais cette fois, la musique était enregistrée.
Thierry Malandain et sa troupe ont été longuement applaudis. Ce chorégraphe sensible et discret a réussi à nous enchanter avec plus de quatre-vingt dix ballets ! Le croiser, à Biarritz comme à Chaillot à Paris, est une source d’énergie positive, tant sa bienveillance est communicatrice…

Jean Couturier

Spectacle présenté le 5 et 6 septembre, au Théâtre de la Gare du Midi,  23 avenue du maréchal Foch, Biarritz (Pyrénées-Atlantiques).

Le 16 septembre, festival Cadences, Arcachon (Gironde).

Les 27 et 28 décembre,Théâtre de la Gare du Midi, Biarritz.

 

Flâneries nocturnes du Clos Lucé Lascia ch’io pianga et Le Sacre du printemps, chorégraphies de Marie Chouinard

Flâneries nocturnes du Clos Lucé

Lascia ch’io pianga et Le Sacre du printemps, chorégraphies de Marie Chouinard

Splendide programme dans le parc Leonardo da Vinci, château du Clos Lucé à Amboise, avec deux œuvres du répertoire de la compagnie Marie Chouinard, Lascia ch’io pianga (2018) et Le Sacre du printemps (1993). Le duo de cinq minutes Lascia ch’io pianga, interprété par Adrian W.S. Batt et Valeria Galluccio sur l’air éponyme de Georg Friedrich Haendel, tiré de son opéra Rinaldo (1711), vise à mettre en valeur la danseuse d’exception Valeria Galluccio.

 ©V. Gallucio

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Son partenaire, qu’on le veuille ou non, passe au second plan, réduit au rôle traditionnel des danseurs de ballet, celui du porteur. Le corps athlétique et démesuré de la ballerine efface littéralement l’interprète masculin.La pièce est, somme toute, féministe, l’homme étant à son tour « invisibilisé ». N’étaient les portés émaillant la monstration -l’un sur l’épaule du jeune gens, l’autre, la danseuse courbée vers l’arrière, posée sur le dos de celui-ci, ou bien simplement soulevée à bout de bras- Adrian W.S. Batt aurait peu de grain à moudre. Et le pas de deux serait un solo. Une variation sur pointes des plus ardues, souvenirs de la formation classique de Marie Chouinard.

 Quoique le contraste physique soit frappant et rappelle les couples du cinéma burlesque, opposés par leur corpulence : Charlie Chaplin/Eric Campbell dans The Rink (1916), Buster Keaton/«Fatty » Roscoe Arbuckle dans The Cook (1918), Laurel et Hardy/James Finlayson dans Big Business (1929). Ou opposés par leur taille, comme Karl Valentin/Liesl Karlstadt. Mais ici, nous ne sommes ni dans le comique ni dans le tragi-comique. Si pastiche il y a, il vise à contester par les seuls moyens de la danse, le ballet romantique du temps jadis, mais nullement le contenu dramatique de l’aria de Haendel. En français : « Laisse-moi pleurer sur mon triste sort et soupirer pour la liberté. Que la douleur brise les chaînes de mon martyre. » Pour que pastiche il y ait, il faut que le niveau technique soit au moins égal à celui de son objet. Et c’est ici, le cas.

 Dans sa présentation de la soirée, François Saint- Bris a fait le lien entre l’art et la technique sans faille de la compagnie québécoise et le goût du polymathe Léonard pour le mouvement : pour lui « source de toute vie ». Après la performance époustouflante de Valeria Galluccio, nous avons eu droit à la version maison du Sacre du printemps, musique d’Igor Stravinski qui, selon nous, plus que la chorégraphie originale de Vaslav Nijinski, fit scandale en 1913. On doit aussi au compositeur, ainsi qu’au peintre Nicolas Roerich, l’argument de ce ballet en deux parties et une douzaine de thèmes : danses des adolescentes, jeu du rapt, rondes printanières, jeux des cités rivales, cortège du Sage, adoration de la Terre, danse de la Terre, cercles mystérieux des adolescentes, glorification de l’Élue, action rituelle des ancêtres, danse sacrale. L’œuvre avait pour sous-titre : Tableaux de la Russie païenne. Le hasard a voulu que ce Sacre, peu orthodoxe, ait été présenté à Amboise, un soir d’Assomption. Incarné par treize officiants, comme autant d’apôtres dans La Cène de Léonard de Vinci à Milan.

 

© Marie Chouinard

© Marie Chouinard

 La mi-août correspond aussi au repos d’Auguste et les Italiens appellent encore «ferragosto», un temps propice à l’escapade, à l’excursion, au congé payé. Et Pagliacci (1892), un opéra de Ruggero Leoncavallo se déroule un jour de « ferragosto ». Marie Chouinard a créé et dansé elle-même sa version de L’Après-midi d’un faune en 87, en partant du ballet de Nijinski qui indigna les bien-pensants en 1912 en raison de ses allusions sexuelles. Elle s’attaqua ensuite au morceau de bravoure du Sacre qui a inspiré Martha Graham, Israel Galván, en passant par Mary Wigman, Maurice Béjart et Pina Bausch. «Il n’y a pas d’histoire dans mon Sacre, dit-elle, pas de déroulement, pas de cause à effet. Seulement de la synchronicité. C’est comme si j’avais abordé la première seconde suivant l’instant de l’apparition de la vie dans la matière. » Le peu de narration de l’original est esquivé, à savoir le sacrifice de l’Élue.

La prestation des danseurs est prodigieuse et il faut tous les citer : Michael Baboolal, Adrian W.S. Batt, Justin Calvadores, Rose Gagnol, Valeria Galluccio, Béatrice Larouche, Luigi Luna, Carol Prieur, Sophie Qin, Celeste Robbins, Clémentine Schindler, Ana Van Tendeloo et Jérôme Zerges. Ils se sont dépensés sans compter. Tous vêtus, ou plutôt dévêtus, ce qu’il faut et comme il faut, par Liz Vandal. Hommes et femmes torse-nu, pieds-nus, maquillés par Jacques-Lee Pelletier, coiffés par Daniel Éthier.
En son temps, Raphaël de Gubernatis avait dit l’essentiel, et fort bien, sur ce chef d’œuvre de la compagnie canadienne. Il parlait de «gestuelle vigoureuse, sauvage, teintée d’un primitivisme exceptionnellement éloquent, quelque chose de fort et de terrien qui vous frappe directement aux entrailles. » La chorégraphie de Marie Chouinard et la partition de Stravinski n’ont  pris aucune ride. Les conditions de diffusion sonores étaient idéales et nous avons pu capter la moindre nuance de la musique-enregistrée-de Pierre Boulez dirigeant le Cleveland Orchestra. Nombreux ont été les rappels.

 Nicolas Villodre

 Spectacle vu le 15 août dans le parc Leonardo da Vinci, château du Clos Lucé, Amboise (Indre-et-Loire).

Festival d’Avignon Delirious night de Mette Ingvartsen

Festival d’Avignon

Delirious night
de Mette Ingvartsen

Nous sommes impatients de participer à cette folle nuit ! Dans la cour du lycée Saint-Joseph, toute éclairée, la fête va commencer ! Scénographie simple : côté jardin, une tribune avec une batterie et, à cour, en fond de scène, un praticable et un grand carré nu, posé au sol. Et quelques banderoles aux inscriptions délavées, une colonne métallique, des guirlandes lumineuses…

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage


La nuit est tombée. Dans cet espace pour rave-partie en pleine campagne, surgissent derrière un muret, performeurs et danseurs, suivis de Will Guthrie, batteur. La plupart tatoués, à moitié nus ou en swits à capuche, portent des masques de mort, d’animaux et autres figures extravagantes. Tous claquent des mains et tapent des pieds, en cadence. Nous sommes plus proches d’un rituel sans saveur. Mais il y a la forte présence des neufs interprètes : les corps habités se regroupent, puis s’écartent et se croisent. La tension monte avec une batterie au maximum de décibels mais rien à faire, l’univers de la nuit- délires et dangers- se fait attendre! Courses sur le plateau, gesticulations en tout genre, grimaces forcées, cris, danses endiablées, musique poussée à fond, chants… Nous sommes accablés par ces répétitions gestuelles dans  tous les sens: règnent ici une confusion générale et une absence d’esthétique!
Nous avons l’impression d’assister aux nuits d’excès, révolte et liberté des années soixante-dix et quatre-vingt ! Seule, la jeune génération dont le futur manque terriblement de ciel bleu, pourrait être ici touchée -à la rigueur- par ce tumulte cauchemardesque qui se voudrait contemporain.
Ennui, attente sans fin d’un éblouissement s’emparent du public vite agacé. Ce rituel inspiré des manies dansantes du Moyen-âge, des bacchanales -comme annoncé dans le programme- se limite en réalité  à une chorégraphie-performance peau de chagrin, proche d’un spectacle amateur… Sans début ni fin, cette Delirious Night  tient plus d’exercices chorégraphiques…
Faire vivre le chaos au théâtre exige une grande maîtrise et doit faire appel à une solide créativité pour mettre en lumière et en poésie, la perte de tout repère, l’angoisse et l’ivresse du chaos. Malheureusement, nous en sommes bien loin et ce spectacle est très décevant. La chorégraphe danoise se réfère aux danses de Saint-Guy moyenâgeuses et veut nous offrir une vision de la société occidentale contemporaine à bout de souffle, en pleine perdition morale et politique. Pour l’exprimer, elle choisit l’excès, l’hystérie, la folie mais cette Delirious Night manque d’une véritable transfiguration dionysiaque. Autant peut-être aller à une rave-partie plus enivrante.

Elisabeth Naud

Spectacle joué du 7 au 12 juillet à la cour du lycée Saint-Joseph, Avignon.

Les 1er et 2 octobre, Viervernulvier, Gand (Belgique). Le 4 octobre, Feeling Curious Festival Theater, Rotterdam (Pays-Bas). Du 9 au 11 octobre, Festival Transforme, Théâtre de la Cité Internationale, Paris. Le 18 octobre, Biennale de Charleroi-Danse (Belgique).

Le 13 novembre, Next Festival Leietheater (Belgique).

Festival d’Avignon Palingénésie, chorégraphie de Po-Hsiang Chuang

Festival d’Avignon

Palingénésie, chorégraphie de Po-Hsiang Chuang

Le Centre Culturel de Taïwan nous donne rendez-vous ici chaque année pour des découvertes souvent surprenantes. Palingénésie signifiant retour à la vie et régénération. Dans une  remarquable esthétique, Ong Kuan Ying, Kuan-Ling Lee et Chien-Yao Liao naissent en groupe et ne cessent de se métamorphoser pendant quarante minutes.

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En culotte lycra couleur chair et masque en latex, ils ressemblent à un Alien à sa naissance. Une danse très animale… où les corps glissent les uns contre les autres; cette masse au sol mouvante  se dissocie puis se reconstruit en permanence.U ne sorte de renouvellement après la mort et ces corps inertes au début, finissent de même. Dans une faible lumière, ces excellents interprètes sont presque irréels. A la fois monstrueuses et belles, leurs figures demandent un grand talent de danseur et d’acrobate. Ils frappent le sol ou essayent de se soustraire à la pesanteur. Pour le chorégraphe, la mort n’est qu’un passage dans un long cycle évolutif et cette Palingénésie est une danse de mort. Aux saluts, quand ils retirent leur masque, les sourires des interprètes nous ramènent en quelque sorte à la vie.

Cette courte pièce est une des belles surprises du off.

Jean Couturier

Le spectacle a été joué du 4 au 26 juillet à la Condition des soies, Avignon.

 

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