Exposition au Musée Français de la Carte à jouer d’Issy-les-Moulineaux

Exposition au Musée Français de la Carte à jouer d’Issy-les-Moulineaux

 

 

©© Musée Français de la Carte à Jouer Ville d’Issy-les-Moulineaux - David Cochard

© Musée Français de la Carte à jouer Ville d’Issy-les-Moulineaux – David Cochard

Une exposition à l’initiative de son directeur, Denis Butaye, grand passionné de magie, avec une partie de la collection personnelle de Georges Proust qui en assure le commissariat : objets, accessoires, affiches, jouets optiques, automates, matériels de grandes illusions…Serge Dubuc a signé une scénographie volontairement mystérieuse et nimbée de rouge pour les faire ressortir.
Les espaces sont organisés par thématiques et certaines grandes illusions sont accompagnées de leur démonstration en vidéo par leur créateur : Thurston, Harbin… sur trois écrans . Un bonimenteur (l’acteur et magicien Sylvain Solustri, ce jour-là) guide les visiteurs en évoquant les histoires d’Howard Thurston, J.E. Robert-Houdin, Houdini… et présente l’entresort » de La Femme fleur en réalisant avec elle un numéro de divination d’une carte choisie par un visiteur.

 Georges Proust (soixante-dix neuf ans) né à Constantine, se passionna enfant pour la magie et les arts du cirque. Quelques années plus tard, il achète son premier tour au marché à Annecy. Il débute ainsi une exceptionnelle collection. En 71, il fonda le Ring 191, la branche française de l’International Brotherhood of Magicians, réunissant amateurs et professionnels autour de leur passion commune.
Parallèlement, il commence à se produire, accumulant une expérience de scène, tout en développant son style. Il rassemble aussi livres, objets anciens, accessoires de prestidigitation et affiches. En 78, il fait l’acquisition d’une importante collection en Bretagne : objets rares, automates et accessoires d’illusions. C’est le début d’une série d’expositions itinérantes en France et en Europe pour faire partager sa passion.

 À partir de 78, le producteur de cinéma et collectionneur Christian Fechner transforme sa vision de la magie, devenant éditeur et gardien du patrimoine, avec plusieurs ouvrages consacrés à J.E. Robert-Houdin, contribuant ainsi à sa reconnaissance internationale. Sa bibliothèque personnelle compte plus de 68.000 ouvrages, ce qui en fait l’une des plus grandes collections de littérature magique au monde. En 81, Georges Proust fonde l’Académie de la Magie, 47 rue Notre-Dame-de-Lorette à Paris et l’année suivante crée les éditions Georges Proust qui ont publié plus de 150 livres. En 84, son exposition Le Monde Merveilleux des Magiciens présentée à Boulogne-Billancourt, connaît un succès retentissant. Il sera invité en 89 par le KaDeWe grand magasin berlinois,pour y présenter une exposition de 1.500 m2, attirant des milliers de visiteurs et consacrant sa renommée internationale. En 93, Georges Proust crée le Musée de la curiosité et de la magie à Paris, un espace unique en son genre avec une partie de sa collection d’objets et d’automates. En parallèle, il s’investit dans la création de la Maison de la magie Robert-Houdin à Blois, un musée consacré au célèbre illusionniste français, père de la magie moderne.

 

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Personnalité incontournable, Georges Proust continue à enrichir sa collection et à promouvoir cet art avec le Musée de la Magie et ses publications. Son parcours témoigne d’une vie animée par la passion de transmettre. Grâce à lui la magie est reconnue comme un divertissement mais aussi comme un art à part entière, avec une histoire, un héritage précieux à préserver et un langage universel, capable de rassembler et faire rêver. Robert Houdin (1805-1871) opéra une révolution : en 1845, il ouvre au Palais-Royal à Paris, le Théâtre des soirées fantastiques, avec des numéros inédits comme La Bouteille inépuisable ou la Suspension éthéréenne. Après avoir fait fortune en quelques années, Il se retire à Blois. Parallèlement, le Théâtre Robert Houdin s’installe en 1853, boulevard des Italiens. Son dernier directeur, Georges Méliès, peintre, magicien et pionnier du cinéma, y montra ses premiers films. Haut-lieu de la prestidigitation, le lieu vit passer les meilleurs illusionnistes français.
Et ensuite des festivals ponctuels attirent le public vers des plateaux de manipulateurs, ventriloques, créateurs de numéros de « double vue », etc.. En France, parmi tant d’autres : Jean Valton pour les cartes  et Marc Albert, Odips, Li King Si, Dany Ray, Keith Clarck, Freddy Fah. Sous des chapiteaux, Yanco, Mireldo, Mir et Myroska, De Rocroy, Al Rex…Aux États-Unis, un jeune magicien prend le nom d’Harry Houdini (1874-1926) en référence à Houdin. Avec sa réputation d’évadé perpétuel, il devient en quelques années le plus célèbre de son pays. L’arrivée du chemin de fer permet à Alexander Herrmann, Chung Ling Soo, Harry Kellar, Howard Thurston, puis Charles Carter, Dante, George, Harry Blackstone… d’aller de ville en ville. Ils se rendront célèbres avec de fastueux spectacles
En Angleterre, la famille Maskelyne, présente dans son Egyptian Hall, des spectacles inventifs jusqu’en 49 avec Jasper, le dernier des Maskelyne. Pendant la seconde guerre mondiale, étaient nés des cabarets où des artistes étonnants présentaient avec un matériel restreint, des numéros de manipulation. L’Anglais Cardini en fut le plus représentatif. Au XIX ème siècle, avec la lithographie, l’affiche se développe et devient le principal support publicitaire et cela jusqu’au milieu du XX ème siècle où radio et télévision s’imposent. De grands imprimeurs et graphistes conçoivent des affiches avec portraits et images de spectacles. Ils suggèrent le merveilleux et s’efforcent de faire rêver le public comme les Français Charles Lévy (1880) Parrot et Cie (1889), Émile Levy, Louis Galice (1900), Harfort (1940). Et Pepermans et Marcy en Belgique, James Hupton en Angleterre, Mercy en Autriche et Adolph Friedlander en Allemagne ont aussi créé de splendides affiches.

 

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A Paris, il y a plusieurs fabricants chez qui se fournissent les professionnels, et les riches amateurs de « physique amusante », toujours à la recherche d’appareils coûteux, somptueusement décorés et souvent fabriqués à la pièce.  Crée en 1808!  la maison Aubert  8,rue des Carmes, Paris (Vème), maintenant Mayette (de la famille de Muriel Mayette, actrice et metteuse en scène) proposait dans son catalogue vers 1853 outre les classiques objets en bois tourné, de nombreux appareils en métal. Ceux de son concurrent Voisin, lui-même magicien, furent aussi très recherchés pour leur raffinement luxueux. A Paris, aussi, il y avait Roujol, Fournay, Devaux, Delion et Couthier et la maison Giroux pour laquelle Robert Houdin fabriqua des automates. Certains en métal peint  typiques du Second Empire  et reconnaissables à leurs décors dorés sur fond rouge ou noir.

 Dans cette exposition, les objets sont regroupés par époque. Come celle de Robert-Houdin  Dictionnaire encyclopédique des récréations et amusements scientifiques (éditions Pancoucke, (1972) Bouteille inépuisable – Quille au verre bleu – Vase à la tabatière – Plateau à apparition – Pistolet, cible et montre par Voisin. La physique amusante : Sacs à apparitions-Boîtes de Physique amusante dont une par Jullien éditeur à Paris, avec tours, coquetiers, gobelets et autres accessoires de magiciens en buis et métal – couvercle de boîte de magie Nouvel apparat d’escamoteur Allemagne – Gravure L’Arracheur de dents.

 La magie en 1900 : La Boule aux foulards – La Cage à apparition – Gobelet à production – Trépied à la carte – Quêteuse – Casserole aux tourterelles – Présentoir à boules – Éventail à apparition de cartes – Miroir représentant un escamoteur – Baguette en métal à apparition de foulards – Vase au millet. Il y a aussi deux formidables «tubes de production» d’Howard Thurston (1869-1936). Peints en noir avec anneaux en laiton à chaque extrémité sécurisant les couvertures en soie noire, et merveilleusement brochées en fil d’or avec dragons et nuages. L’un d’eux, grâce à une illusion d’optique, semble parfaitement vide alors qu’une cache y a été aménagée pour y dissimuler, entre autres, d’innombrables foulards qu’on pourras sortir comme par enchantement.

Les Grandes illusions appartiennent à la magie de scène. Développées au XIXème siècle, elles utilisent un matériel plus imposant et exigent une ou plusieurs personnes aux côtés de l’artiste. Les effets impressionnants, sont faits pour être visibles par un large public. En 1847, Robert-Houdin inaugure La Suspension éthéréenne avec son fils Émile, une grande illusion ingénieuse où le corps humain semble flotter en l’air.
Une chaise, inventée en 1886 par Joseph Buatier de Kolta, fait disparaître instantanément une jeune femme assise et couverte d’un tissu. Vers 1910, Charles de Vere fait apparaître sa fille, lonia l’Enchanteresse, dans un très grand vase qui se transforme en splendide buisson de fleurs.
Le célèbre tour de La Femme sciée est réalisé pour la première fois par le Britannique P.T. Selbit, en 1921 à Londres, avant d’être perfectionné par l’Américain Horace Goldin.  Georges Proust possède une version richement décorée (1923) de La Femme coupée en deux du célèbre Américain Howard Thurston. Une seconde version, plus élaborée, se sépare en deux parties.

 Ici, parmi les Grandes illusions présentées, L’Égyptienne d’après Wolfgang von Kempelen (1734-1804). Le magicien fait apporter, sur un socle semblant avoir un mécanisme compliqué, le buste d’une énigmatique Egyptienne. Chacune des deux parties de cet étrange appareil est trop petite pour contenir une personne vivante. Aussitôt le buste posé sur son socle, on en ouvre les portes : rien à l’intérieur sinon le mécanisme. Dès les portes closes, l’automate s’anime et deux mains sortent du buste et rédigent horoscopes et réponses aux questions posées par le public. L’appareil dissimulant un assistant est dérivé du célèbre Joueur d’échecs, imaginé par von Kempelen.

Clémentine de Vère (1888-1973), fille du grand artiste anglais Charles de Vère qui avait ouvert en France un magasin d’articles de magie réputé pour leur qualité, débuta en 1910. Son Vase aux fleurs, de style égyptien, se caractérise par son luxe et son élégance. Des assistants y versent de nombreux seaux d’eau puis elle tire un coup de pistolet sur le vase qui se disloque aussitôt, laissant apparaître des centaines de fleurs et une jolie jeune femme.
La Femme-Fleurde Yanco de Jean-Louis Conte (1928-1990). Dans les métiers de la fête foraine, les entresorts sont des baraques où, attirés par un bonimenteur, les gens venaientt découvrir un phénomène unique ou un personnage hors du commun. La Femme-fleur est dérivé du Décapité parlant montré pour la première fois en France vers 1900.
Les goûts du public moderne, les conditions économiques ont fait disparaître ces courts spectacles au profit des manèges, Grand-huit, etc. Le Chaudron de Steens (Fernand Brisbarre (1881-1939) est un numéro dérivé du Pot à lait d’Houdini : on met l’artiste dans un chaudron. Ses assistants et des spectateurs le remplissent d’eau et y fixent un couvercle en métal avec de solides cadenas. Ce chaudron est masqué quelques secondes par un rideau et qui une fois  relevé, laisse  voir Steens assis sur le couvercle du chaudron.

© Sébastien Bazou)

© Sébastien Bazou

 La Chaise à porteurs d’Howard Thurston (1869-1936). Succédant au célèbre Américain Harry Kellar (1849-1922) et connu jusque-là pour être un manipulateur exceptionnel,il présentera un spectacle de grandes illusions : La Femme coupée en deux, La Corde indienne…). Au cours de son fastueux spectacle, Thurston arrive sur une chaise à porteurs. Il descend ,s’avance et se retourne vers la chaise. Le rideau qui l’entourait est levé. L’actrice sort de la chaise vide et s’avance vers le public et fait sa révérence.
Dans son fabuleux spectacle de grandes illusions, il avait intégré Le Panier hindou,un tour  créé en 1865 par l’Anglais John Jack Alfred Inglis (1831-1866). Il enfermait une jeune femme dans un panier qu’il transperçait avec des sabres. Il en ôtait le couvercle et poait un voile sur l’ouverture. Il y montait, entraînant le voile à l’intérieur : la jeune femme s’était volatilisée. Le magicien sortait du panier et enlevait les sabres. Il faisait un geste et le voile se gonflait comme animé par un fantôme. Jack Alfred Inglis arrachait alors le voile et la jeune femme était là, indemne.
Le Sarcophage de Dicksonn (Paul-Alfred de Saint-Génois de Saint-Breucq (1857-1939). Le directeur du théâtre Robert-Houdin, créa ensuite son propre lieu où il présenta ce numéro. Une assistante, costumée en Egyptienne, était enfermée dans un sarcophage et il tirait un coup de pistolet. Aussitôt, il était montré vide et l’Egyptienne réapparaissait parmi les spectateurs

La Femme Zig Zag de Robert Harbin (1908-1978), un de premiers à présenter des numéros à la télévision anglaise, fut un grand créateur. Cette illusion, créé en 53, a été  unee des plus copiées. Tous les professionnels furent mystifiés par cette femme coupée en trois dont la partie centrale se décalait de façon impossible.
Les Tonneaux de Selbit (Percy Thomas Tibbles (1879-1938). Magicien inventif et directeur du périodique mensuel The Wizard (1905-1910), il créa Par le chas d’une aiguille. Il faisait passer son assistante d’un tonneau à un autre, alors qu’ils étaient séparés par une plaque métallique percée d’un trou minuscule.
Ce tour énigmatique, créé en 1924 à New York, bluffa le public et les magiciens de l’époque. Howard Thurston le reprit pendant de nombreuses années dans son grand spectacle d’illusions.

Sébastien Bazou

 

Exposition Magique ! Musée français de la carte à jouer, Issy-les Moulineaux ( Hauts-de Seine) jusqu’au 14 août.


 

 

 

 

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Archives pour la catégorie exposition

Exposition Piste ! Clowns, pitres et saltimbanques

Exposition Piste! Clowns, pitres et saltimbanques, commissaires: Vincent Giovannoni, conservateur en chef, responsable du pôle Arts du spectacle au Mucem et Macha Makeïeff, metteuse en scène et créatrice

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Clowns,  saltimbanques, jongleurs… dompteurs d’autrefois, mais aussi de magnifiques costumes, objets, accessoires, toiles peintes, affiches, photos  et roulottes d’habitation. Une exposition à la recherche des circassiens et de leurs spectacles disparus. Nous avons connue Macha Makeïeff, autrice, metteuse en scène, réalisatrice et artiste, peu après 78 quand elle fonda avec Jérôme Deschamps, la compagnie Makeïeff et Deschamps et créa Les Précipitations, puis en 81 : En avant et dix ans après, le célèbre Lapin chasseur au Théâtre National de Chaillot. Elle a fait personnellement visiter aux critiques cette exposition qui a pour thème, le monde fabuleux du cirque où chacun a des souvenirs. Pour nous, cela a été à huit ans, dans un pauvre petit chapiteau à Houilles (Yvelines) avec quelques chevaux et surtout une merveilleuse boule à facettes qui nous avait fait tous rêver, gamins de la proche école communale.  Ici, c’est une vaste et riche exposition avec œuvres et objets appartenant au MUCEM ou à d’autres grands musées (Orsay, Clermont-Ferrand)  ou prêtés par des collectionneurs.

 

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Evocation des Ballets russes,  sculptures dont une Acrobate de Niki de Saint-Phalle mais sans grand intérêt),  des tableaux  de Georges Rouault, Fernand Léger, Marc Chagall… Et surtout Les Saltimbanques (ou L’Enfant blessé), une grande huile sur toile de 224 × 184 cms (1874) de Gustave Doré : de pauvres saltimbanques avec leur enfant mortellement blessé lors d’un numéro de funambule..  Et de Lucien Simon, une belle toile: Bigoudènes devant les tréteaux (1935-1940)Exposition Piste ! Clowns, pitres et saltimbanques dans actualites Et surtout une magnifique collection de costumes, instruments, objets … Comme ces vingt-quatre somptueux manteaux à paillettes de clowns sur des mannequins. Et juste à côté, une magnifique collection tout à fait émouvante de leurs chaussures démesurées -comme celles de Littel Tich- que des circassiens ont offert au docteur Alain Frère. Il a prêté au Mucem quelque cent soixante-dix œuvres de sa prestigieuse collection…

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Et les superbes photos en noir et blanc d’un cirque implanté à Marseille jusque dans les années cinquante. Ou celles en noir et blanc de François Tuffierd Albert et François Fratellini dans leur loge ( 1943). Ou encore  cette merveilleuse image de la trapéziste Pinito del Oro au Madison Square Garden (1954).Il y a aussi l’âne et le tigre-depuis naturalisés-qui jouèrent dans Au hasard Balthazar, un film de Robert Bresson avec, à côté, un extrait où on voit ces animaux se regarder comme des humains,  les yeux dans les yeux.


Modestes mais tout aussi émouvants, sont aussi exposés de véritables instruments de travail comme un sifflet et un tabouret de clown, des trapèzes aux cordes usées, d’anciennes malles à costumes. Et une vraie petite roulotte achetée par Macha Makeïeff.
La République n’a jamais été tendre avec les saltimbanques! Pour preuve  l’affiche (fin  XIX ème siècle) d’un arrêté préfectoral très menaçant envers les saltimbanques qui devaient respecter lieux où se produire et horaires différents l’été et l’hiver. Jules Cordière, ex-élève de Normale Sup qui avait créé en 75 avec Ratapuce-Le Palais des Merveilles, une petite compagnie de rue très souvent verbalisée, avec amende à la clé. Alors qu’il était seulement en équilibre sur une corde molle attachée entre deux arbres du boulevard Saint-Germain à Paris…(Ratapuce, alias Carolyn Simmonds,  fonda ensuite Le Rire Médecin). Plus-que-passé? Passé antérieur? Non, juste après 68, sous le règne du sinistre Raymond Marcellin, alors ministre de l’Intérieur, partisan de l’ordre musclé et devenu célèbre pour avoir fait installer des micros au Le Canard enchaîné!

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Ici, tout sonne juste dans ce parcours. Vincent Giovannoni, le conservateur responsable du pôle Arts du spectacle du Mucem répond avec précision à toutes nos questions et Macha Makeïeff qui, on le voit facilement, a travaillé avec passion et exigence depuis deux ans, explique pourquoi elle a imaginé une sorte de spectacle de théâtre. Sous les belles lumières de Jean Bellorini et les sons de Sébastien Trouvé.  Une sorte de voyage exceptionnel dans les souvenirs et ce qui fait tout le plaisir de  voir toutes ces œuvres, soit issues de grands musées soit-et souvent plus émouvantes- prêtées par des collectionneurs comme Macha Makeïeff ou le docteur Alain Frère…
« J’ai fui, dit-elle avec raison, la simple juxtaposition d’objets pour une zone qui tient du théâtre (comment faire autrement !), du spectacle forain, de ses attractions éphémères. C’est une fois que la fête est passée. M’obsède jusqu’à l’effroi : où vont les spectacles disparus, dans quels limbes ? Mon parti-pris assez maniaque est de ne pas tout montrer, ne pas expliciter le paysage pour laisser opérer la fiction. Avec comme règle du jeu, une géométrie de couleurs et des traces fantomatiques. Les images muettes du cinéma comme art forain. Je mise sur l’intelligence sensible du public, du regardeur, son plaisir à être désorienté dans ces espaces. (…) Une fois le spectacle fini, défait, nous attrape cette forme d’exil, de perdition, corps et bien. Quelle dérive, une fois le plateau vide, une fois que la danseuse de corde a quitté le fil, que le dernier music-hall a fermé, que le clown fait son sac? Quel est ce vertige qui nous prend et ce vide de l’âme, quand la scène, la piste, la loge sont désertées ? Cet après qui me hante, je veux le raconter. Pour qu’il me quitte. Les Choses et les Bêtes qui habiteront l’exposition savent le déclassement, le destin de l’artiste, sa grâce et sa misère toutes liées. Les accessoires poussés dans la coulisse, l’attirail dans une caisse, remisés, éparpillés, hors jeu, ces sublimes objets misérables se prêtent à une autre célébration, après naufrage. »

© Agnès Varda

© Agnès Varda

Et il y a encore de magnifiques images (1952) sur le Cirque de Montreuil et, inédites, du Cirque chinois faites par Agnès Varda

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© François Tuefferd Pinto de Oro

(1928-2019) qui devint la photographe officielle du Théâtre National Populaire. Mais le cirque a été une source d’inspiration fréquente pour le cinéma. Ici, des extraits de films de Buster Keaton qui, on l’oublie souvent, a aussi présenté des numéros en 47 au Cirque Medrano, au Cirque Royal à Bruxelles, de Laurel et Hardy, de Jacques Tati, petit- cousin de Jérôme Deschamps mais aussi un extrait des Ailes du Désir de Wim Wenders quand Damiel découvre Marion, une jeune exilée (fascinante Solveig Dommartin, hélas, tôt disparue), devenue trapéziste dans un cirque.

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©x Farid Chopel

Mais on peut aussi voir Charlie Chaplin, les clowns de Federico Fellini, Toto au cirque de Pier Paolo Pasolini, et cet extrait du Septième sceau d’Ingmar Bergman où il joue aux échecs contre la mort, pour que les saltimbanques échappent à son regard… Macha Makeïeff ratisse large (après tout, pourquoi pas?) et a aussi exposé une grande et belle toile de son fils mais aussi des photos de Jérôme Deschamps et de Farid Chopel: un clin d’œil à ce merveilleux acteur burlesque, disparu en 2008 qui écrivait et jouait avec grand succès dans les années quatre-vingt, ses spectacles comme Chopelia, ou Les Aviateurs avec Ged Marlon. Aussi connu pour avoir joué dans les publicités de Perrier.


Vous avez encore un peu de temps mais surtout ne ratez pas cette formidable exposition. « Une expérience intérieure, dit aussi Macha Makeïeff que je veux partager. Il faut à tout ce chaos, une règle du jeu, un tempo, une géométrie des couleurs et une fantaisie insolente sans laquelle tout resterait inerte. » Pari gagné.  Encore une fois, ne ratez pas cette exposition, une de celles-et c’est rare-qu’on a envie très envie de revoir…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 12 mai, Mucem, Promenade Robert Laffont Marseille (II ème) .  T. : 04 84 35 13 13.

 
   
   

 

L’exposition Allez hop, au travail !

L’exposition Allez hop, au travail !

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Cela se passe à l’hôtel Gaillard place du Général Catroux (XVIIème arrondissement de Paris-toits élancés, tourelles et murs de briques-et qui a été conçu à la fin du XIXème siècle pour Émile Gaillard. Il en confia l’édification à l’architecte Jules Février et celle  de deux autres, aujourd’hui réunis. L’hôtel Gaillard répondait à trois besoins : loger une famille, recevoir avec faste, et mettre en valeur une collection exceptionnelle: faïences de Bernard Palissy, tapisseries des Flandres, statues et coffres Renaissance. Construit entre 1878 et 1884, ce chef d’œuvre de l’architecture néo-Renaissance, inspiré des châteaux de Blois et Gien… avait coûté onze millions de francs. Soit environ 41 millions d’euros!!!!

© Philippe du Vignal

© Philippe du Vignal

Les valeurs artistiques-émail peint, sculpture sur bois,  verre polychrome, carrelage raffiné- de la Renaissance correspondaient  à celles de la grande bourgeoisie d’affaires.  Puis de 1923 à 2006 l’hôtel Gaillard devient une succursale  de la Banque de France à un prix bradé: deux millions de francs. Le transformer en succursale bancaire nécessitera des travaux importants, de 1919 à 1923 confiés à Alphonse Defrasse et au décorateur Jean-Henri Jansen. L’architecte crée enter autres, un hall du public grâce à une structure en béton armé avec voûte en bois et verrières. Un ensemble monumental… Et il y introduit des motifs décoratifs empruntés à la façade : murs en briques polychromes, corbeaux en pierre sculptée (moulés sur les originaux)…. Mais cette succursale bancaire fermera ses portes en 2006.

Cette exposition, dont le commissaire est Albert David, professeur de management à l’Université Paris-Dauphine qui a cofondé le Dauphine Musée du Management, est conçue comme une véritable plongée au cœur du management moderne. Ici, on  a retracé à grandes lignes, comment le management a façonné le monde professionnel, surtout celui de l’industrie. Mais il est partout et on aurait bien aimé que soit aussi évoqué celui  du milieu de l’art et des musées. Lequel n’échappe pas aux dérives du management! Un régisseur du FRAC Champagne-Ardennes s’est suicidé en 2021. Et autrefois, un cadre important du Ministère de la Culture, avait viré sans ménagement (et sans jeux de mots) par André Malraux… Il ne l’avait pas supporté et succomba quelques heures plus tard.  Et, sans doute mal conseillé, en 68 André Malraux licencie Henri Langlois, immense fondateur et directeur de la Cinémathèque, avant de rétropédaler vite fait, devant la pétition signée de réalisateurs inconnus… entre autres  Federico Fellini, Charlie Chaplin, Stanley Kubrick, Orson Welles, Luis Buñuel, et, en France François Truffaut, Alain Resnais, Jean-Luc Godard, Jacques Rivette….
Histoire de rappeler qu’un management bien conçu, est aussi fondé sur des enjeux philosophiques et moraux, et comme cette exposition le prouve, et lié l’organisation de la société d’un pays et à l’organisation optimale d’un travail en équipe, pour qu’il  soit efficace  sur le plan de la rentabilité mais aussi en termes de vie collective et personnelle dans une entreprise. Ce que l’on peut voir sur les panneaux richement illustrés et il
y a aussi sur une table, un jeu de rôles interactif où on peut incarner plusieurs rôles : chef d’entreprise, employé dans un restaurant, une start-up, ou une grande firme internationale…

Le management est fondé sur trois fonctions: organiser gérer et administrer. Après 1850 , les grandes entreprises prospèrent grâce aux progrès des techniques et au développement des transports donnant accès à des marchés plus importants. But : rationaliser les ressources, améliorer la coordination et redonner le contrôle à la Direction. Et être efficace avec des  règles de gestion rigoureuses Principaux artisans de ce mouvement sur lequel se fonde le management actuel: l’Américain Frederik Taylor, le Français Henry Fayol et l’Allemand Max Weber. Il leur faut créer et maintenir un juste équilibre entre contrôle direct, avec procédures et valeurs à respecter mais aussi sens des responsabilités. Contrôle de la qualité de production, du bon avancement des projets, et respect des normes éthiques..

Et ont été alors mises en œuvre, les méthodes et outils pour rationaliser la gestion des organisations publiques ou privée comme la recherche systématique de performance, avec au bout: profit, valeur actionnariale, bien-être des collaborateurs, effets sociaux et environnementaux. Pour Chester Barnard, chef d’entreprise américain, en 1938: « Manager, c’est cultiver la responsabilité chez les autres ». Être responsable, signifierait donc être dans la nécessité de répondre de ses actes pour être efficace…

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©x Lilian Gilbrecht

Comme ailleurs, les femmes sont les grande oubliées du management comme Lillian Gilbreth et Mary Parker Follett, figures incontournables du management. Elles ont pourtant joué un rôle fondamental dans les avancées théoriques, la conception et la mise en œuvre de méthodes pratiques.
Sont ici retracées trois séries d’expériences, celle du  célèbre Taylor, pionnier de l’organisation scientifique du travail, de Mayo à la Western Electric sur l’importance du facteur humain et Lewin sur les avantages d’un fonctionnement démocratique.Mais les dérives sont aussi au rendez-vous: domination et manipulation, violence physiques et/ou sexuelles du patronat et/ou de ses collaborateurs des subordonnés. Jusqu’à l’épuisement, l’ennui, et le mal-être  par suite de comportements déplacés et harcèlement moral. D’où la nécessité de structures et procédures pour prévenir  et…  réparer les fréquents abus  du management.

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©x Mary Parker Follett

Il y a aussi des panneaux consacrés au futur. Sera-t-il une déclinaison ou y aura-t-il une rupture avec le management actuel, vu les enjeux écologiques? Probablement, un savant cocktail des deux. Comment gérera-t-on une entreprise en conciliant rationalité et responsabilité, en augmentant la valorisation des personnels qui la font vivre. L’exposition se conclut sur quatre métiers imaginés du futur qui traduiraient cette approche…

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On peut aussi aller faire un tour à l’exposition permanente où sont remarquablement montrés et expliqués sur des écrans par des experts-comme entre autres, Christine Lagarde-les grands enjeux économiques. Mais aussi la crise monétaire puis économique de 1929 avec un court extrait de  La Ruée ( 1932) un remarquable film de  Frank Capra où il montre une ruée vers les banques après le krach boursier américain… Une crise, issue de la guerre de 14-18 et expliquée par le célèbre économiste britannique John Maynard Keynes dans sa Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie. Il faut parfois s’accrocher et mieux vaut avoir déjà acquis les fondamentaux de l’économie mondiale… dont les experts se contredisent, tout en étant souvent d’accord… Allez-donc vous y retrouver…

Un bémol? Oui, ici  les prix d’entrée ne sont pas donnés! Et la Banque de France à qui appartient Citéco pourrait faire un sérieux effort, même s’il y a des tarifs réduits. Les gouvernements successifs n’ont jamais voulu que les Français aient vraiment le le droit d’apprendre au collège ou au lycée, les bases solides de l’économie… Et en cette période de vaches maigres et où même le Bayrou de service, agrégé des lettres mais pas grand expert financier, se mélange les pinceaux et confond dette et déficit national. Faciliter vraiment  l’accès pour tous à l’économie, ne serait pas un luxe. Qu’en pense le gouverneur de la Banque de France, laquelle appartient jusqu’à nouvel ordre à tous les citoyens de notre pays?

Philippe du Vignal

Jusqu’au 1er juin, Citéco, 1 Place du Général Catroux, Paris ( XVII ème).

 

La Route des étoiles, un défilé de mode hors-normes

La Route des étoiles, un défilé de mode hors-normes 

Le Xi’an ALT Rehabilitation Medical Center est le premier hôpital pour enfants autistes de l’Ouest de la Chine. Il combine médecine traditionnelle chinoise et occidentale, conditionnement bidirectionnel et régulation de la flore intestinale.Membre fondatrice du projet de la fondation ALT, sa présidente, la styliste  chinoise Bei Chen a présenté  ce  défilé en soutien à la neurodiversité et à l‘inclusion, dans le cadre du 60 ème anniversaire des relations France-Chine. Diplômée de l’Académie des Beaux Arts  Tsinghua à Pékin et de l’Atelier Chardon Savard à Pariselle a ouvert son enseigne  dans le quartier du Marais.

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Membre fondatrice du projet de la fondation ALT, sa présidente, la styliste  chinoise Bei Chen a présenté  ce  défilé en soutien à la neurodiversité et à l‘inclusion, dans le cadre du 60 ème anniversaire des relations France-Chine.
Diplômée de l’Académie des Beaux Arts  Tsinghua à Pékin et de l’Atelier Chardon Savard à Pariselle a ouvert son enseigne  dans le quartier du Marais.

Bei Chen a créé une plate-forme pour que ces enfants autistes accroissent leur confiance en eux et s’impliquent dans la société.

Ce défilé de mode suivait les mêmes principes que les autres. Dans la grande salle des fêtes de la mairie du XVI ème arrondissement de Paris, avec une scénographie bifrontale, sur un beau parquet en chêne à chevrons qui agrandit encore cette superbe salle de fêtes, éclairée par cinq lustres 1900, de beaux mannequins, souvent africaines ont défilé vingt-cinq minutes dans des robes longues ou ultra-courtes, ou en shorts, parfois enveloppées dans de grandes capes. Le tout en tissu imprimé d’après les cartons réalisés par ces enfants autistes sur le thème de l’océan. Des cartons que les mannequins portaient devant elles avec grâce et générosité.
« J’aime peindre, dit Wang zeyu, un garçon de treize ans, la peinture peut montrer l’interprétation de mon cœur car je ne peux pas dire de mots. Quand je peins, je suis très calme et concentré. J’apprécie vraiment la sensation après avoir fini de peindre. C’est étonnant! Quand je ne peux pas exprimer mes idées avec des mots, la peinture le fera. Cela me rend aussi plus confiant. »
Tout est dit.

Philippe du Vignal

Défilé vu le 18 décembre à la Mairie du XVIème arrondissement de Paris, avenue Henri Martin.

Richard Peduzzi : Perspective

Richard Peduzzi : Perspective

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Cet artiste, peintre d’origine, s’orienta ensuite vers la scénographie et le design. Il a été longtemps directeur de l’École nationale supérieure des arts décoratifs,  puis de la villa Médicis à Rome. Dans la  Galerie des Gobelins, cette exposition en forme de ballade non exhaustive dont Hervé Lemoine, président du Mobilier national, est le commissaire général, comprend de très nombreuses maquettes, aquarelles, dessins, personnels, croquis qui ont toujours précédé (ou pas) les scénographies qu’il a imaginées pour le théâtre  (entre autres pour le  théâtre et l’opéra, les plans d’architecture intérieure et extérieure pour des chais, les créations de mobilier: chaises, fauteuils, tables basses et hautes,  méridiennes, luminaires, tapis, lampes de chevet, tapisseries… « Mais il ne s’agit pas d’une rétrospective, nous a dit avec ironie, Richard Peduzzi,  je n’ ai pas encore l’âge! »

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Patrice Chéreau, mort il y a dix ans déjà, avait commencé à travailler avec lui en 68, quand il avait mis en scène Dom Juan de Molière. Et sans le travail artistique de Richard Peduzzi, son théâtre comme ses opéras n’auraient jamais pu être ce qu’ils ont été. Les couples metteur en scène/scénographe mais aussi peintres, rarement sculpteurs, ne sont pas si fréquents mais la collaboration est alors le plus souvent exemplaire. Comme il y a déjà un siècle, Gaston Baty à ses débuts avec Charles Sanlaville, Louis Jouvet et Christian Bérard, Charles Dullin et André Barsacq, Georges Pitoeff… avec lui-même, puisqu’il était architecte d’origine! Et plus récemment, Georges Lavaudant et Jean-Pierre Vergier, Jean-Pierre Vincent et Jean-Paul Chambas, Ariane Mnouchkine et Guy-Claude François, hélas, lui aussi disparu, qui dirigea avec une pédagogie intelligente et efficace la section: scénographie à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Déco. Des scénographies très construites mais aussi picturales, comme si Richard Peduzzi avait donné naissance grâce à sa peinture, à un univers théâtral. Comment dire les choses:  à la fois à l’opposé de tout réalisme mais fondé sur le réel inspiré, entre autres, par d’anciens murs de hauts bâtiments industriels, une constance dans son œuvre, comme les remarquables scénographies de La Dispute (1973) de Marivaux ou de Massacre à Paris de Marlowe avec un sol couvert d’eau noire..

A partir de 1980, Richard Peduzzi dessina aussi de nombreux prototypes de mobilier et, en 89, reçut sa première commande pour le Mobilier national… Scénographiée par lui-même assisté par sa fllle Antonine Peduzzi  et Alizée David, l’exposition comprend une impressionnante sélection d’œuvres représentatives de son travail de 1972 à 2024.

© Nicolas Treat

© Nicolas Treat

On ne peut tout énumérer mais il y a, dans une petite salle ronde, dix maquettes de décors pour le théâtre et l’opéra, dont une des plus belles est celle qu’il avait conçue pour Comme il vous plaira de William Shakespeare avec deux gradins en bi-frontal et au milieu, sur un sol nu, un arbre mais entre temps, Patrice Chéreau avait, hélas, disparu. Mais les cartels sont tous ensemble à l’entrée: dommage. Comme nous le voyons tous les jours au théâtre, et Richard Peduzzi lui-même en a bien conscience, depuis une dizaine d’années, de telles scénographies à la remarquable picturalité sont  coûteuses en châssis et toiles peintes et beaucoup de mises en scène sont réalisées sur un plateau nu, avec quelques châssis et accessoires. Comme si la scénographie du XX ème et du début du XXI ème avait vécu son âge d’or.

 

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Au rez-de-chaussée, à l’entrée, son iconique chaise-bascule et posées sur des praticables bleu nuit légèrement inclinés, ou suspendues par des fils invisibles, de « simples » chaises à mi-chemin entre des œuvres d’art sophistiquées  et d’une de très haute qualité, réalisées par des artisans français auquel Richard Peduzzi ne cesse de rendre hommage.

Le dessin est ici inséparable d’un ensemble de pratiques de matières : cuivre, tiges de fer lisse ou à béton aux soudures invisibles et peintes en noir mat pour une chaise. Il y a aussi des fauteuils, poufs cubiques, assemblés ou non, des méridiennes (mais peut-être plus belles, que vraiment confortables), un grand lustre rectangulaire avec à la fois, de vraies bougies et des ampoules électriques, réglable en hauteur par une tirette comme dans les suspensions à abat-jour en tôle de notre enfance et qu’il a imaginé pour l’appartement d’un ami à Vienne, des luminaires, tables basses, rocking-chair, lampes de chevet, vases…Au rez-de-chaussée et au premier étage, un curieux bureau avec tablette réglable, inspiré par un tableau de Carpaccio mais pas en bois plein. Et une tapisserie de toute beauté, composée de trois hauts châssis rectangulaires en paille tissée par une réalisatrice lyonnaise.

 

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Manque à l’appel le célèbre banc en bois dont le Musée du Louvre avait acheté quatre exemplaires qui, depuis, auraient été revendus. L’un d’eux figure pourtant dans les collections du mobilier national. Deux étudiantes assises au sol, prenaient des notes et faisaient des croquis. Et cela a réjoui, non sans raison, Richard Peduzzi de voir que le travail de toute une vie ici exposé en partie, soit aussi l’occasion d’une transmission de savoir, d’art et compétences originales. Ne ratez pas cette exposition dans ce lieu très silencieux, et si vous êtes enseignant, emmenez-y vos élèves ou étudiants (entrée gratuite), cela fait du bien de voir autant de créations aussi intelligentes que sensibles… 

Philippe du Vignal

Jusqu’au 31 décembre, Galerie des Gobelins, 42 avenue des Gobelins, Paris (XIII ème).

RésoNance à l’abbaye de Noirlac

RésoNance à l’abbaye de Noirlac

Abbaye de Noirlac

© Yannick Pirot

 Du cloître, aux dortoirs, du chauffoir, au réfectoire, la vieille abbaye bruit de toute part et ses pierres re- sonnent avec les musiques et paroles d’aujourd’hui, fruits de rencontres d’artistes avec ces lieux millénaires. Le Lac noir, qui donne son nom à cet ancien couvent cistercien, n’est plus qu’une légende. Reste l’édifice du XII ème siècle, l’un des ensembles monastiques les mieux conservés, au bord du Cher, dans le bocage berrichon vallonné, cher à George Sand, une voisine. Devenu Centre Culturel de Rencontre neuf siècle après sa fondation, au terme d’une histoire riche et souvent tourmentée.

Noirlac a choisi de se développer autour du : « fait sonore ». Pour Elisabeth Sanson qui a pris la direction de l’établissement en 2022, ce lieu dépouillé sans être austère est propice à l’écoute : « Bernard de Clairvaux, fondateur de l’ordre cistercien prônait un rigoureux ascétisme et aucune représentation visuelle. Pour lui, l‘ouïe est supérieure à la vue pour l’écoute de la parole sacrée. » Les moines étaient voués au silence : seuls leurs chants et leurs prières faisaient vibrer les murs de la clôture. Un parcours sonore, orchestré par Luc Martinez, nous invite à les écouter, chargés du passé et pleins d’une énergie artistique contemporaine.

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Miroir du ciel le jardin du cloitre © Abbayedenoirlac

 La visite nous ouvre les oreilles aux bruissements feutrés des frocs et du chuchotis des prières, dans le jardin du cloître, planté de buissons et de fleurs bleus en forme de nuages, œuvre du paysagiste Gilles Clément : Miroir du ciel. C’est la seul vue que les moines avaient de l’extérieur. Au seuil du réfectoire un glouglou rappelle la présence d’une fontaine disparue : le lavabo, dédié aux ablutions.

Recto tono, composé par Bernard Fort et Pierre-Marie Chemla (chant et basson) emplit la vaste salle à manger d’un chant monocorde auquel se mêlent les stridulations de la locustelle, des sermons en latin, Le Cantique des Cantiques en hébreux… Les parois réverbèrent ces lectures psalmodiées qui accompagnaient les repas des moines. On s’y croirait.

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l’abbatiale © Abbaye de Noirlac

Sous les hautes arcades de l’abbatiale, à la lumière filtrée par les vitraux opalescents cernés de noir de Jean-Pierre Raynaud (1975), s’insinuent de brefs solos de chanteurs et instrumentistes de haute volée, invités à jouer avec l’acoustique conçue pour la prière et les chants grégoriens. On entend ainsi diffusées les voix ou musiques d’artistes familier de ces lieux: Samuel Cattiau (haute-contre), Isabelle Courroy ( flûte Kaval), Anna-Maria Hefele (chant diphonique) Michel Godard (serpent), Akihito Obama (shakuhachi), Thomas Savy (clarinette basse ) Sonia Wieder-Atherton (violoncelle) et Luc Martinez (chœur virtuel).

La Nature s’invite au fil des saisons au dortoir des frères convers, sous l’impressionnante charpente en berceau plein cintre, seul endroit où le son reste «droit». La sonothèque réalisée par l’audio-naturaliste Fernand Deroussen, grand arpenteur du bocage de Noirlac en toutes saisons, est recomposée avec un certain humour par Thierry Besche: coucous, pics, merles, corbeaux, grenouilles, vaches, insectes, bruissement de feuilles dans le vent… Les frères convers connaissaient bien ces sons de la nature: ils faisaient tous les travaux des champs, au bénéfice des moines qui, eux, restaient cloîtrés dans la prière et les écritures.

On en apprendra plus sur la vie de ces reclus en s’arrêtant, dans le chauffoir et scriptorum, sur les bancs qui diffusent en quadriphonie leurs paroles intérieures. Dans cette pièce, la seule avec cheminée, on pouvait se réchauffer et s’adonner à des travaux d’écriture. Quelquefois se parler mais la réverbération est telle sous ces basses voûtes qu’on ne peut le faire, qu’en chuchotant. L’autrice Lola Molina a composé Poème dramatique pour quatre voix masculines après une longue immersion à Noirlac. Elle a appris, du jardinier, les noms des arbres, des fleurs et des oiseaux, a compulsé les règlements du couvent et les préceptes de Bernard Clairvaux pour l’édification de l’abbaye… Puis elle a confié la mise en espace sonore de son texte à Lélio Plotton, appartenant comme elle à  la compagnie Lela 

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dortoir des convers ©Abbaye de Noirlac

Les voix contrastées d’Adama Diop, Jean-Quentin Chatelain, Philippe Girard et Laurent Sauvage nous font revivre les impressions de ces hommes de prière, leur goût pour les encres colorées, les règles strictes régissant leur existence et leurs échappées belles en contemplant les oiseaux…. « Il convient que tu chantes d’une voix virile. N’imite pas les chants lascifs des histrions par des sons aigus à la façon des femmes. (…) / Psalmodie, chante. Garde un ton modéré/ Chante avec gravité, crainte et tremblement. / Considère que tu es sous les regards. (…)/ Laudes, prime, tierce, sexte, none, vêpres, complies. Sept fois le jour, adresser une prière.»

Ils guettent aussi l’arrivée du printemps dans leur vie monotone: « Oui. Un nid est là, proche du tronc et je ne l’avais pas vu jusqu’à maintenant. /Je ne pouvais pas le voir avec toutes ces fleurs et ces feuilles qui le cachaient et l’abritaient. Et maintenant, c’est ce nid qui semble tenir chaud à l’arbre. Et je peux le regarder chaque jour de l’hiver. Le printemps va venir. Bientôt. Bientôt. »

D’autres surprises nous attendent, à condition de rester tout ouïe. RésoNance ouvre une parenthèse dans notre vie quotidienne bruyante : les sons font naître images mentales et sensations. On en sort l’oreille aiguisée à écouter le silence, à lire les messages les plus infimes portés par les ondes… Cette installation sonore, appelée à rester quelque temps, donne un avant-goût des projets à venir.

À Noirlac, dans cette acoustique si particulière, de nombreuses résidences d’artistes, donnent naissance à des créations musicales in situ et des éditions sonores, grâce à de remarquables studios d’enregistrement. Mais Elisabeth Sanson qui a dirigé à Bordeaux, Chahut, un festival des arts de la parole, veut aussi faire entendre l’histoire de ces lieux voués à l’écoute, à travers des contes, poésies, récits… 

L’abbaye a accueilli des réfugiés pendant la guerre civile en Espagne et a aussi été témoin des terribles affrontements entre les Résistants et la Milice à l’été 1944, à Saint-Amand-Montrond, un paisible bourg, au centre géographique de la France… Un épisode peu connu, relaté par Tzvetan Todorov dans Une Tragédie française (Le Seuil). Le collecteur et «raconteur d’histoires» Fred Billy nous rafraîchira la mémoire sur ces événements: après une enquête auprès des habitants du bocage, il restituera leurs paroles avec Seconde Guerre mondiale en plein cœur de France, présenté au festival Les Nouvelles Traversées*.

À suivre.

 Mireille Davidovici

 Noirlac, Centre culturel de rencontre, Bruère-Allichamps (Cher). T. : 02 48 62 01 01.

 *Les Nouvelles Traversées, à Noirlac, du 20 juin au 7 juillet.

 Pour aller à Noirlac: en train, gare de Saint-Amand-Montrond, puis à pied ou à vélo par une voie nouvellement ouverte de cinq kilomètres. En voiture : D 2144, à quarante minutes au sud de Bourges et cinquante minutes au nord de Montluçon. Autoroute A71, sortie n° 8 : Saint-Amand-Montrond-Orval, à dix minutes. de l’abbaye, direction : Bourges.

Dans le cadre de l’exposition Naples à Paris Les Fantômes de Naples, mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota

LesFantomesDeNaples©JeanLouisFernandez 026

Devant La Flagellation du  Caravage :  Les Fantômes de Naples©JeanLouisFernandez 


Dans le cadre de l’exposition Naples à Paris

 Les Fantômes de Naples, mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota

Pour le première fois, le Louvre s’associe à deux institutions : le théâtre de la Ville à Paris et le Teatro della Pergola de Florence, pour un spectacle autour d’une exposition. «Un musée, dit Laurence des Cars, présidente-directrice du Louvre, est un lieu qui doit aussi parler de musique, théâtre, danse… Et cette maison est faite pour cette polyphonie. »
Luc Bouniol-Laffont a été nommé directeur de l’Auditorium et des spectacles, pour retrouver un public de proximité : «Cet été, le spectacle vivant sera partout présent avec  Les Étés du Louvre, sous la Pyramide, dans les cours, et dans le jardin des Tuileries.» Et en plus des événements autour de Naples à Paris, il y aura un vaste programme de cinéma, musique, etc.

Le Musée Capodimonte a été invité à exposer ses chefs-d’œuvre, aux côtés de ceux déjà présents dans les galeries italiennes du Louvre. Comme les portraits d’Il Parmigianino, La Flagellation du Caravage.

On pourra découvrir la surprenante composition géométrique d’Atalante et Hippomène de Guido Reni. Et aussi la férocité de cette Judith décapitant Holopherne d’Artemisia Gentileschi, une peintre admirée par les  féministes.Violée par son précepteur  et marquée par le procès qui s’ensuivit, elle dénonce dans ce tableau, comme dans nombre de ses œuvres, la violence masculine exercée sur les femmes.

Les Fantômes de Naples

Emmanuel Demarcy-Mota a imaginé une soirée en deux temps, avec d’abord une «déambulation poétique», où des comédiens italiens et français disent aux visiteurs de la Grande Galerie du Louvre de courts poèmes en lien avec les peintures… Ensuite un spectacle dans la cour Lefuel, autour d’Eduardo De Filippo (1900 1984)  dont il a récemment mis en scène La Grande Magie (voir Le Théâtre du Blog). Le « Molière italien », auteur, comédien et metteur en scène, a signé plus d’une trentaine de pièces, films et poèmes , la plupart en napolitain.

Cette cour du Louvre, exceptionnellement ouverte au public, est un décor prédestiné au spectacle et accueillera bientôt le Ballet de Lorraine avec Static Shot de Maud Le Pladec (voir Le Théâtre du Blog). Edifiée sous le Second Empire, elle s’appelait Cour des écuries et servait d’accès à la Salle du manège avec une double rampe majestueuse en fer à cheval et des sculptures en bronze d’un chien, d’un sanglier et deux loups.

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Les Fantôme de Naples  ©Jean- Louis Fernandez

Parfait écrin pour ces Nuits de Naples où des interprètes français et italiens, jouent des extraits de pièces d’Eduardo De Filippo, de La Tempête de William Shakespeare traduit par lui en napolitain. Mais aussi un extrait de Six personnages en quête d’auteur de Luigi Pirandello dont Eduardo De Filippo fut l’ami.

Filippo d’Allio, Arman Méliès et Aniello Palomba accompagnent à la guitare des airs napolitains chantés par Ernsto Lama et Lina Sastri et Francesca Maria Cordella, comédiennes qui travaillèrent toutes les deux avec Eduardo De Filippo. Francesco Cordella, en Pulcinella, fait une démonstration de commedia dell’arte. 

Parmi les acteurs du Théâtre de la Ville, Marie-France Alvarez, Valérie Dashwood, Philippe Demarle, Sarah Karbasnikoff, Serge Maggiani …

En musique, avec les bruits de la mer et de la ville en fond sonore, cette invitation poétique au voyage, en français et en napolitain, bien qu’un peu laborieuse, ouvre les festivités autour de Naples à Paris, qui se poursuivront à l’automne avec théâtre, danse, cinéma et concerts…

 Mireille Davidovici

Les Fantômes de Naples, jusqu’au 3 juillet, Musée de Louvre, Paris ( Ier).

Static Shot 10 et 11 juillet 22 h Et 23 h 

Les Etés du Louvre,  jusqu‘au 20 juillet, Pyramide du Louvre. T. : 01 40 20 53 17.

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