Richard Peduzzi : Perspective

Richard Peduzzi : Perspective

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Cet artiste, peintre d’origine, s’orienta ensuite vers la scénographie et le design. Il a été longtemps directeur de l’École nationale supérieure des arts décoratifs,  puis de la villa Médicis à Rome. Dans la  Galerie des Gobelins, cette exposition en forme de ballade non exhaustive dont Hervé Lemoine, président du Mobilier national, est le commissaire général, comprend de très nombreuses maquettes, aquarelles, dessins, personnels, croquis qui ont toujours précédé (ou pas) les scénographies qu’il a imaginées pour le théâtre  (entre autres pour le  théâtre et l’opéra, les plans d’architecture intérieure et extérieure pour des chais, les créations de mobilier: chaises, fauteuils, tables basses et hautes,  méridiennes, luminaires, tapis, lampes de chevet, tapisseries… « Mais il ne s’agit pas d’une rétrospective, nous a dit avec ironie, Richard Peduzzi,  je n’ ai pas encore l’âge! »

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Patrice Chéreau, mort il y a dix ans déjà, avait commencé à travailler avec lui en 68, quand il avait mis en scène Dom Juan de Molière. Et sans le travail artistique de Richard Peduzzi, son théâtre comme ses opéras n’auraient jamais pu être ce qu’ils ont été. Les couples metteur en scène/scénographe mais aussi peintres, rarement sculpteurs, ne sont pas si fréquents mais la collaboration est alors le plus souvent exemplaire. Comme il y a déjà un siècle, Gaston Baty à ses débuts avec Charles Sanlaville, Louis Jouvet et Christian Bérard, Charles Dullin et André Barsacq, Georges Pitoeff… avec lui-même, puisqu’il était architecte d’origine! Et plus récemment, Georges Lavaudant et Jean-Pierre Vergier, Jean-Pierre Vincent et Jean-Paul Chambas, Ariane Mnouchkine et Guy-Claude François, hélas, lui aussi disparu, qui dirigea avec une pédagogie intelligente et efficace la section: scénographie à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Déco. Des scénographies très construites mais aussi picturales, comme si Richard Peduzzi avait donné naissance grâce à sa peinture, à un univers théâtral. Comment dire les choses:  à la fois à l’opposé de tout réalisme mais fondé sur le réel inspiré, entre autres, par d’anciens murs de hauts bâtiments industriels, une constance dans son œuvre, comme les remarquables scénographies de La Dispute (1973) de Marivaux ou de Massacre à Paris de Marlowe avec un sol couvert d’eau noire..

A partir de 1980, Richard Peduzzi dessina aussi de nombreux prototypes de mobilier et, en 89, reçut sa première commande pour le Mobilier national… Scénographiée par lui-même assisté par sa fllle Antonine Peduzzi  et Alizée David, l’exposition comprend une impressionnante sélection d’œuvres représentatives de son travail de 1972 à 2024.

© Nicolas Treat

© Nicolas Treat

On ne peut tout énumérer mais il y a, dans une petite salle ronde, dix maquettes de décors pour le théâtre et l’opéra, dont une des plus belles est celle qu’il avait conçue pour Comme il vous plaira de William Shakespeare avec deux gradins en bi-frontal et au milieu, sur un sol nu, un arbre mais entre temps, Patrice Chéreau avait, hélas, disparu. Mais les cartels sont tous ensemble à l’entrée: dommage. Comme nous le voyons tous les jours au théâtre, et Richard Peduzzi lui-même en a bien conscience, depuis une dizaine d’années, de telles scénographies à la remarquable picturalité sont  coûteuses en châssis et toiles peintes et beaucoup de mises en scène sont réalisées sur un plateau nu, avec quelques châssis et accessoires. Comme si la scénographie du XX ème et du début du XXI ème avait vécu son âge d’or.

 

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Au rez-de-chaussée, à l’entrée, son iconique chaise-bascule et posées sur des praticables bleu nuit légèrement inclinés, ou suspendues par des fils invisibles, de « simples » chaises à mi-chemin entre des œuvres d’art sophistiquées  et d’une de très haute qualité, réalisées par des artisans français auquel Richard Peduzzi ne cesse de rendre hommage.

Le dessin est ici inséparable d’un ensemble de pratiques de matières : cuivre, tiges de fer lisse ou à béton aux soudures invisibles et peintes en noir mat pour une chaise. Il y a aussi des fauteuils, poufs cubiques, assemblés ou non, des méridiennes (mais peut-être plus belles, que vraiment confortables), un grand lustre rectangulaire avec à la fois, de vraies bougies et des ampoules électriques, réglable en hauteur par une tirette comme dans les suspensions à abat-jour en tôle de notre enfance et qu’il a imaginé pour l’appartement d’un ami à Vienne, des luminaires, tables basses, rocking-chair, lampes de chevet, vases…Au rez-de-chaussée et au premier étage, un curieux bureau avec tablette réglable, inspiré par un tableau de Carpaccio mais pas en bois plein. Et une tapisserie de toute beauté, composée de trois hauts châssis rectangulaires en paille tissée par une réalisatrice lyonnaise.

 

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Manque à l’appel le célèbre banc en bois dont le Musée du Louvre avait acheté quatre exemplaires qui, depuis, auraient été revendus. L’un d’eux figure pourtant dans les collections du mobilier national. Deux étudiantes assises au sol, prenaient des notes et faisaient des croquis. Et cela a réjoui, non sans raison, Richard Peduzzi de voir que le travail de toute une vie ici exposé en partie, soit aussi l’occasion d’une transmission de savoir, d’art et compétences originales. Ne ratez pas cette exposition dans ce lieu très silencieux, et si vous êtes enseignant, emmenez-y vos élèves ou étudiants (entrée gratuite), cela fait du bien de voir autant de créations aussi intelligentes que sensibles… 

Philippe du Vignal

Jusqu’au 31 décembre, Galerie des Gobelins, 42 avenue des Gobelins, Paris (XIII ème).


Archives pour la catégorie exposition

RésoNance à l’abbaye de Noirlac

RésoNance à l’abbaye de Noirlac

Abbaye de Noirlac

© Yannick Pirot

 Du cloître, aux dortoirs, du chauffoir, au réfectoire, la vieille abbaye bruit de toute part et ses pierres re- sonnent avec les musiques et paroles d’aujourd’hui, fruits de rencontres d’artistes avec ces lieux millénaires. Le Lac noir, qui donne son nom à cet ancien couvent cistercien, n’est plus qu’une légende. Reste l’édifice du XII ème siècle, l’un des ensembles monastiques les mieux conservés, au bord du Cher, dans le bocage berrichon vallonné, cher à George Sand, une voisine. Devenu Centre Culturel de Rencontre neuf siècle après sa fondation, au terme d’une histoire riche et souvent tourmentée.

Noirlac a choisi de se développer autour du : « fait sonore ». Pour Elisabeth Sanson qui a pris la direction de l’établissement en 2022, ce lieu dépouillé sans être austère est propice à l’écoute : « Bernard de Clairvaux, fondateur de l’ordre cistercien prônait un rigoureux ascétisme et aucune représentation visuelle. Pour lui, l‘ouïe est supérieure à la vue pour l’écoute de la parole sacrée. » Les moines étaient voués au silence : seuls leurs chants et leurs prières faisaient vibrer les murs de la clôture. Un parcours sonore, orchestré par Luc Martinez, nous invite à les écouter, chargés du passé et pleins d’une énergie artistique contemporaine.

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Miroir du ciel le jardin du cloitre © Abbayedenoirlac

 La visite nous ouvre les oreilles aux bruissements feutrés des frocs et du chuchotis des prières, dans le jardin du cloître, planté de buissons et de fleurs bleus en forme de nuages, œuvre du paysagiste Gilles Clément : Miroir du ciel. C’est la seul vue que les moines avaient de l’extérieur. Au seuil du réfectoire un glouglou rappelle la présence d’une fontaine disparue : le lavabo, dédié aux ablutions.

Recto tono, composé par Bernard Fort et Pierre-Marie Chemla (chant et basson) emplit la vaste salle à manger d’un chant monocorde auquel se mêlent les stridulations de la locustelle, des sermons en latin, Le Cantique des Cantiques en hébreux… Les parois réverbèrent ces lectures psalmodiées qui accompagnaient les repas des moines. On s’y croirait.

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l’abbatiale © Abbaye de Noirlac

Sous les hautes arcades de l’abbatiale, à la lumière filtrée par les vitraux opalescents cernés de noir de Jean-Pierre Raynaud (1975), s’insinuent de brefs solos de chanteurs et instrumentistes de haute volée, invités à jouer avec l’acoustique conçue pour la prière et les chants grégoriens. On entend ainsi diffusées les voix ou musiques d’artistes familier de ces lieux: Samuel Cattiau (haute-contre), Isabelle Courroy ( flûte Kaval), Anna-Maria Hefele (chant diphonique) Michel Godard (serpent), Akihito Obama (shakuhachi), Thomas Savy (clarinette basse ) Sonia Wieder-Atherton (violoncelle) et Luc Martinez (chœur virtuel).

La Nature s’invite au fil des saisons au dortoir des frères convers, sous l’impressionnante charpente en berceau plein cintre, seul endroit où le son reste «droit». La sonothèque réalisée par l’audio-naturaliste Fernand Deroussen, grand arpenteur du bocage de Noirlac en toutes saisons, est recomposée avec un certain humour par Thierry Besche: coucous, pics, merles, corbeaux, grenouilles, vaches, insectes, bruissement de feuilles dans le vent… Les frères convers connaissaient bien ces sons de la nature: ils faisaient tous les travaux des champs, au bénéfice des moines qui, eux, restaient cloîtrés dans la prière et les écritures.

On en apprendra plus sur la vie de ces reclus en s’arrêtant, dans le chauffoir et scriptorum, sur les bancs qui diffusent en quadriphonie leurs paroles intérieures. Dans cette pièce, la seule avec cheminée, on pouvait se réchauffer et s’adonner à des travaux d’écriture. Quelquefois se parler mais la réverbération est telle sous ces basses voûtes qu’on ne peut le faire, qu’en chuchotant. L’autrice Lola Molina a composé Poème dramatique pour quatre voix masculines après une longue immersion à Noirlac. Elle a appris, du jardinier, les noms des arbres, des fleurs et des oiseaux, a compulsé les règlements du couvent et les préceptes de Bernard Clairvaux pour l’édification de l’abbaye… Puis elle a confié la mise en espace sonore de son texte à Lélio Plotton, appartenant comme elle à  la compagnie Lela 

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dortoir des convers ©Abbaye de Noirlac

Les voix contrastées d’Adama Diop, Jean-Quentin Chatelain, Philippe Girard et Laurent Sauvage nous font revivre les impressions de ces hommes de prière, leur goût pour les encres colorées, les règles strictes régissant leur existence et leurs échappées belles en contemplant les oiseaux…. « Il convient que tu chantes d’une voix virile. N’imite pas les chants lascifs des histrions par des sons aigus à la façon des femmes. (…) / Psalmodie, chante. Garde un ton modéré/ Chante avec gravité, crainte et tremblement. / Considère que tu es sous les regards. (…)/ Laudes, prime, tierce, sexte, none, vêpres, complies. Sept fois le jour, adresser une prière.»

Ils guettent aussi l’arrivée du printemps dans leur vie monotone: « Oui. Un nid est là, proche du tronc et je ne l’avais pas vu jusqu’à maintenant. /Je ne pouvais pas le voir avec toutes ces fleurs et ces feuilles qui le cachaient et l’abritaient. Et maintenant, c’est ce nid qui semble tenir chaud à l’arbre. Et je peux le regarder chaque jour de l’hiver. Le printemps va venir. Bientôt. Bientôt. »

D’autres surprises nous attendent, à condition de rester tout ouïe. RésoNance ouvre une parenthèse dans notre vie quotidienne bruyante : les sons font naître images mentales et sensations. On en sort l’oreille aiguisée à écouter le silence, à lire les messages les plus infimes portés par les ondes… Cette installation sonore, appelée à rester quelque temps, donne un avant-goût des projets à venir.

À Noirlac, dans cette acoustique si particulière, de nombreuses résidences d’artistes, donnent naissance à des créations musicales in situ et des éditions sonores, grâce à de remarquables studios d’enregistrement. Mais Elisabeth Sanson qui a dirigé à Bordeaux, Chahut, un festival des arts de la parole, veut aussi faire entendre l’histoire de ces lieux voués à l’écoute, à travers des contes, poésies, récits… 

L’abbaye a accueilli des réfugiés pendant la guerre civile en Espagne et a aussi été témoin des terribles affrontements entre les Résistants et la Milice à l’été 1944, à Saint-Amand-Montrond, un paisible bourg, au centre géographique de la France… Un épisode peu connu, relaté par Tzvetan Todorov dans Une Tragédie française (Le Seuil). Le collecteur et «raconteur d’histoires» Fred Billy nous rafraîchira la mémoire sur ces événements: après une enquête auprès des habitants du bocage, il restituera leurs paroles avec Seconde Guerre mondiale en plein cœur de France, présenté au festival Les Nouvelles Traversées*.

À suivre.

 Mireille Davidovici

 Noirlac, Centre culturel de rencontre, Bruère-Allichamps (Cher). T. : 02 48 62 01 01.

 *Les Nouvelles Traversées, à Noirlac, du 20 juin au 7 juillet.

 Pour aller à Noirlac: en train, gare de Saint-Amand-Montrond, puis à pied ou à vélo par une voie nouvellement ouverte de cinq kilomètres. En voiture : D 2144, à quarante minutes au sud de Bourges et cinquante minutes au nord de Montluçon. Autoroute A71, sortie n° 8 : Saint-Amand-Montrond-Orval, à dix minutes. de l’abbaye, direction : Bourges.

Dans le cadre de l’exposition Naples à Paris Les Fantômes de Naples, mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota

LesFantomesDeNaples©JeanLouisFernandez 026

Devant La Flagellation du  Caravage :  Les Fantômes de Naples©JeanLouisFernandez 


Dans le cadre de l’exposition Naples à Paris

 Les Fantômes de Naples, mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota

Pour le première fois, le Louvre s’associe à deux institutions : le théâtre de la Ville à Paris et le Teatro della Pergola de Florence, pour un spectacle autour d’une exposition. «Un musée, dit Laurence des Cars, présidente-directrice du Louvre, est un lieu qui doit aussi parler de musique, théâtre, danse… Et cette maison est faite pour cette polyphonie. »
Luc Bouniol-Laffont a été nommé directeur de l’Auditorium et des spectacles, pour retrouver un public de proximité : «Cet été, le spectacle vivant sera partout présent avec  Les Étés du Louvre, sous la Pyramide, dans les cours, et dans le jardin des Tuileries.» Et en plus des événements autour de Naples à Paris, il y aura un vaste programme de cinéma, musique, etc.

Le Musée Capodimonte a été invité à exposer ses chefs-d’œuvre, aux côtés de ceux déjà présents dans les galeries italiennes du Louvre. Comme les portraits d’Il Parmigianino, La Flagellation du Caravage.

On pourra découvrir la surprenante composition géométrique d’Atalante et Hippomène de Guido Reni. Et aussi la férocité de cette Judith décapitant Holopherne d’Artemisia Gentileschi, une peintre admirée par les  féministes.Violée par son précepteur  et marquée par le procès qui s’ensuivit, elle dénonce dans ce tableau, comme dans nombre de ses œuvres, la violence masculine exercée sur les femmes.

Les Fantômes de Naples

Emmanuel Demarcy-Mota a imaginé une soirée en deux temps, avec d’abord une «déambulation poétique», où des comédiens italiens et français disent aux visiteurs de la Grande Galerie du Louvre de courts poèmes en lien avec les peintures… Ensuite un spectacle dans la cour Lefuel, autour d’Eduardo De Filippo (1900 1984)  dont il a récemment mis en scène La Grande Magie (voir Le Théâtre du Blog). Le « Molière italien », auteur, comédien et metteur en scène, a signé plus d’une trentaine de pièces, films et poèmes , la plupart en napolitain.

Cette cour du Louvre, exceptionnellement ouverte au public, est un décor prédestiné au spectacle et accueillera bientôt le Ballet de Lorraine avec Static Shot de Maud Le Pladec (voir Le Théâtre du Blog). Edifiée sous le Second Empire, elle s’appelait Cour des écuries et servait d’accès à la Salle du manège avec une double rampe majestueuse en fer à cheval et des sculptures en bronze d’un chien, d’un sanglier et deux loups.

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Les Fantôme de Naples  ©Jean- Louis Fernandez

Parfait écrin pour ces Nuits de Naples où des interprètes français et italiens, jouent des extraits de pièces d’Eduardo De Filippo, de La Tempête de William Shakespeare traduit par lui en napolitain. Mais aussi un extrait de Six personnages en quête d’auteur de Luigi Pirandello dont Eduardo De Filippo fut l’ami.

Filippo d’Allio, Arman Méliès et Aniello Palomba accompagnent à la guitare des airs napolitains chantés par Ernsto Lama et Lina Sastri et Francesca Maria Cordella, comédiennes qui travaillèrent toutes les deux avec Eduardo De Filippo. Francesco Cordella, en Pulcinella, fait une démonstration de commedia dell’arte. 

Parmi les acteurs du Théâtre de la Ville, Marie-France Alvarez, Valérie Dashwood, Philippe Demarle, Sarah Karbasnikoff, Serge Maggiani …

En musique, avec les bruits de la mer et de la ville en fond sonore, cette invitation poétique au voyage, en français et en napolitain, bien qu’un peu laborieuse, ouvre les festivités autour de Naples à Paris, qui se poursuivront à l’automne avec théâtre, danse, cinéma et concerts…

 Mireille Davidovici

Les Fantômes de Naples, jusqu’au 3 juillet, Musée de Louvre, Paris ( Ier).

Static Shot 10 et 11 juillet 22 h Et 23 h 

Les Etés du Louvre,  jusqu‘au 20 juillet, Pyramide du Louvre. T. : 01 40 20 53 17.

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