Biennale internationale des arts du cirque à Marseille et en région Sud

Biennale internationale des arts du cirque à Marseille et en région Sud

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©x A La Belle de mai

Sixième édition de ce festival  hivernal  Archaos, Pôle National Cirque, implanté à Marseille depuis 2001, accompagne la création, la diffusion et la pratique des arts du cirque contemporain. Dirigé par Raquel Rache de Andrade, Guy et Simon Carrara, le Pôle national cirque Archaos a créé  il y a dix ans cette Biennale qui a lieu les années impaires en janvier et février, avec un programme réparti sur cinquante structures culturelles de la région Sud, Côte d’Azur et à Marseille.
Une belle initiative, avec une mutualisation des ressources pour mettre en lumière la création circassienne aux différentes expressions.  Cette année Archaos a  voulu privilégier les artistes femmes, connues ou moins connues. Le tout sous la houlette des élus, entre autres, Benoît Payan, maire de Marseille.

Un ensemble de spectacles  à l’organisation impressionnante mais aussi des Rencontres professionnelles réunissant des centaines d’artistes internationaux. Les chapiteaux abritent des spectacles, à la fois exigeants et populaires, notamment sur la grande plage du Prado à Marseille. Pour maintenir le lien avec le public et assurer une présence continue du cirque tout au long de l’année, le Pôle national Cirque Archaos a lancé en 2016 l’Entre 2 BIAC sur un mois entre janvier et février, les années paires, avec une version ciblée sur le seul territoire de Marseille-Métropole. Devenus événements essentiels, la BIAC et l’Entre 2 BIAC contribuent au rayonnement culturel de cette immense ville mais aussi de cette région très peuplée.

Présentation du riche programme  de la BIAC par la directrice Rachel Rache de Andrade dans le beau petit chapiteau  du Magic Miror,  en toile rouge et aux colonnes plaquées de longs miroirs. Sur le parquet, une colonne carrée en verre synthétique d’environ quatre mètres de hauteur et ouverte au sommet.

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Alice Rende,  une jeune acrobate brésilienne, va y entrer par une trappe en bas. Pendant les vingt minutes de Passages, nous allons la voir de près confinée dans cet espace étroit. Elle va réaliser ascension et descente des parois en se contorsionnant mains et pieds nus, sans aucun accessoire.
Montant jusqu’à une barre en haut puis se laissant couler jusqu’en bas, elle réalise  aussi des figures acrobatiques en pliant et dépliant son corps, comme le ferait un pantin. manipulé. Alice Rende arrive même à se maintenir à mi-hauteur, comme suspendue.  Puis elle chute, se rétablit gracieusement et rechute… Cet exploit physique étant bien entendu préparé avec le plus grand soin. Et cette-apparente-imperturbabilité a des  côtés philosophiques. « La suspension, écrivait Sextus  Empiricus ( II ème siècle après J.C.) est l’état de la pensée où nous ne nions ni n’affirmons rien. Quiétude, c’est la tranquillité et la sérénité de l’âme. »
Ici, aucun art de l’illusion: la performance d’Alice Rende, bien réelle, est à la fois physique mais aussi sonore: on entend, bien sûr amplifiées, le bruit des mains et de pieds contre le plexiglas. Les risques pris sont limités mais cette exercice anti-gravité et d’une rare beauté, a quelque chose de merveilleusement fascinant

Biennale internationale des arts du cirque à Marseille et en région Sud dans actualites
Yongoyély, création collective du Baobab Circus, direction artistique de Kerfalla Camara, mise en cirque et scénographie de Yann Ecauvre

Ce spectacle  a été coproduit par le Centre culturel franco-guinéen, avec le soutien du Fond de développement des arts et de la Culture en Guinée. Avec Kadiatou Camara, Mamadama Camara, Yarie Camara, Sira Conde, Mariama Ciré Soumah, M’Mah Soumah, Djibril Coumbassa, Amara Tambassa, Mohamed Touré. Soit six acrobates-danseuses et chanteuses, deux porteurs et un voltigeur, tous remarquables…

 

© Thomas O'Brien

© Thomas O’Brien

Après  Yé !  qui avait connu un triomphe exceptionnel à la Scala à Paris et en Europe, ce cirque revient avec ce nouveau spectacle où la virtuosité acrobatique est mise au service d’une œuvre qui se veut féministe. Yongoyély a pour thème l’indépendance de toutes les Africaines. 
Jean-Marc Coppola, adjoint à la Culture de Marseille, dit quelques mots de bienvenue. En même temps, on entend déjà les bruits incessants d’une ville africaine: motos, camions, voitures, mêlés à des brouhahas de conversations. Sans doute ceux de Conakry, la capitale. Et par moments, un texte en voix off qu’on entend mal, dit  tout  l’espoir d’une vie meilleure pour ces femmes courageuses et parfois encore soumises à l’excision dans ce pays de quelque treize millions d’habitants en pleine mutation.
Colonisé par la France depuis 1883, il fut un des premiers, grâce à Sékou Touré  à acquérir son indépendance  en 58 ! Alors nouveau Président de la République, De Gaulle, exaspéré, n’avait pas été spécialement élégant! «Mais laissez-le donc, bouffer ses bananes et ses cacahuètes. »  Sékou Touré, devenu président, échappera à plusieurs attentats destinés à le remplacer par un autre… choisi, lui, par De Gaulle! Sans doute fomentés par des barbouzes français sous la houlette du sinistre Jacques Foccart, secrétaire général de l’Élysée aux affaires africaines et malgaches, de soixante à soixante-quatorze. Cet ancien résistant dévoué à De Gaulle utilisait sans aucun scrupule toutes les méthodes criminelles pour étouffer les oppositions. Le camerounais Félix-Roland Moumié avait été assassiné et les commandos de Foccart entraînèrent des opposants guinéens à développer un climat d’insécurité pour renverser Sékou Touré. Ils introduisirent aussi de gros paquets de faux billets pour déséquilibrer l’économie. Vive la France!

 

Mais Yongoyély n’a pas la puissance de de Baobab Circus. Cette bande de circassiens- femmes et  hommes-sont virtuoses: acrobatie, tours humaines, voltige, sauts périlleux au sol, ou absolument stupéfiants sur une longue perche tenue par deux hommes. Dans un sorte de chorégraphie, sont ici repris des numéros de barre russe, de chambrière (long fouet qui claque  utilisé par les dresseurs de chevaux non montés), mât chinois, portés acrobatiques, main à main, voltige, saut périlleux au-dessus de parpaings ou sur des perches. Brillantissime…Mais aussi des  chants a cappella par les six femmes et danses traditionnelles. Tous ces numéros d’une rare qualité enthousiasment le public qui les a chaleureusement applaudis.
La mise en scène signée Yann Ecauvre, bien conventionnelle, n’est pas du bois dont on fait les perches ni les flûtes: jets de fumigène sans raison comme souvent dans le théâtre actuel, nombreuses répétitions de numéros, chants souvent criés, murs de parpaings dangereux, manque de rythme, scène vide par moments, mélange texte/cirque mal assumé: cela fait quand même beaucoup d’erreurs… qui pourraient être corrigées. Restent ces magnifiques interprètes…


© Pierre Gondard

© Pierre Gondard

Soleil et mistral samedi après-midi à la Friche de la Belle de mai, ancienne manufacture de tabac, accueillaient gratuitement-ceci explique aussi cela-une foule de spectateurs dont de nombreuses familles avec enfants. A l’extérieur, on retrouve Chloé Moglia  qu’on a pu voir à Dijon (voir Le Théâtre du Blog) et entre autres, au festival Paris Quartier d’été. Cette danseuse, chorégraphe et acrobate dirige la compagnie Rhizome et a développé la suspension, un art, disons, d’acrobatie poétique, voire philosophique: elle évolue lentement pour évoquer la «conscience d’être mortel, mais la saveur d’être en vie aussi. »
« Ma pratique, dit-elle, plutôt que se fonder sur des figures spectaculaires dont je me cogne au demeurant, malgré un rapport indéniable au risque et au danger, englobe la pensée et la rêverie en portant une attention amoureuse au monde qui élève l’acuité. »

Féministe convaincue, elle n’apprend son art qu’à des femmes. Dans Rouge merveille qu’elle a créé cette année, Mélusine Lavinet-Drouet dans cette discipline circassienne maintenant reconnue. Cette artiste installe la structure mais fait semblant d’avoir du mal avec le mode d’emploi et  prie une spectatrice de l’aider…
Elle a juste un sac qu’elle accroche puis se suspendra aux branches d’une sorte d’arbre. Et elle se met ensuite des ailes d’ange en métal. De belles images même s’il est parfois difficile de tout voir de cette performance à cause d’un très nombreux public. La rançon du théâtre de rue…

© Pierre Gondard

© Pierre Gondard

Il y avait aussi Soka Tira Osoa, un court mais beau  spectacle avec une funambule sur une musique rock-jazz  dans une scénographie bi-frontale. « Si tout part du sol, pourquoi ne pas imaginer une traversée qui partirait d’ici avec vous ? Et si nous tirions ensemble cette corde pour voir jusqu’où cela nous mène ?  Soka Tira Osoa est un espace propice à la rencontre et à l’entraide. » Les artistes de la compagnie Basinga mettent tous les corps de métiers à cette même place d’artiste et cet exercice de  funambule est aussi fondé sur notre fragilité et sur notre possibilité à les surmonter. » La funambule tombera mais remonte sur le fil avec un autre balancier…
Dans un espace à l’intérieur, trois acrobates espagnols -deux femmes et un homme-jouaient avec et sur des chaises. Mais vu l’affluence de plusieurs centaines de spectateurs, on ne réussissait qu’à les apercevoir,  donc impossible de rien vous en dire…

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Et il y a eu aussi au Mucem, la présentation d’une formidable exposition sur le cirque En piste ! Clowns, pitres et saltimbanques par Macha Makeieff et Vincent Giovannoni, conservateur en chef, responsable du pôle Arts du spectacle, commissaires  dont nous vous reparlerons.

Philippe du Vignal

 

Jusqu’au 9 février à Marseille et dans toute la Région Sud. T. : 04 91 55 61 64.


La Scala, Paris (X ème) du 12 février au 2 mars. Scène de Bayssan, Béziers, ( Hérault), le 8 mars. Dieppe Scène nationale (Seine-Maritime) ,le 22 mars. Centre Culturel Jacques Prévert, Villeparisis (Seine-et-Marne), le 25 mars. Théâtre Le Reflet, Vevey (Suisse),  le 30 mars.

Théâtre du Passage, Neuchâtel (Suisse) les 2 et 3 avril. Points Communs-Scène nationale de Cergy-Pontoise (Val-d’Oise), les 5 et 6 avril. L’Avant-Seine, Théâtre de Colombes ( Hauts-de Seine) le 8 avril. Théâtre de Rungis (Val-de-Marne) le 10 avril.

Festival des sept Collines, Saint-Étienne (Loire) le 28 juin.

 

 

 


Archives pour la catégorie festival

Un appel des professionnels réunis au festival Théâtre à tout âge à Quimper

Un appel des professionnels réunis au festival Théâtre à tout âge à Quimper

Le vote du budget de la Région des Pays de la Loire, présidée par Christelle Morançais devrait être voté ces  jours-ci avec, à la clé, 82 millions d’euros d’économie! Dans les secteurs de la Culture, de la vie associative, du sport. Christelle Morançais est vice-présidente du parti Horizons présidé par Edouard Philippe. L’ex-Premier ministre ne s’est pas encore exprimé sur ce sujet brûlant
Le 18 décembre, la compagnie Loba d’Annabelle Sergent, soutenue par le Ministère de la culture D.R.A.C. , le conseil régional des Pays de la Loire, le département de Maine-et-Loire et la Ville d’Angers  et d’autre part les artistes et professionnels de la création pour l’enfance et la jeunesse, réunis à l’occasion de ce festival, ont lancé cet appel avec le soutien affirmé de la ville de Quimper, aux acteurs de la Culture, aux élus de tous les territoires, aux journalistes, aux citoyens.

 

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« Nous refusons le projet de destruction des services publics, des politiques sociales, environnementales, éducatives, et culturelles qui toutes jouent un rôle fondamental dans l’avenir de la jeunesse. Suite à la Loi de Finances portée par le gouvernement, les collectivités voient leurs budgets amputés. Certains élus, notamment en Région Pays de la Loire, profitent ouvertement de ce contexte économique pour affirmer des choix idéologiques d’une violence et d’une irresponsabilité inouïes.Le plan social qui s’annonce met en péril des milliers d’emplois.La Culture n’est pas une compétence mais un droit fondamental.

Ces politiques le retirent à nos enfants et adolescents. Nous refusons ce modèle de société qui enterre nos droits et nos services publics.  Nous prenons fermement position auprès de toute la profession, des familles, élus, associations qui seront affectés par ces mesures arbitraires.
Nous rejoignons toutes les luttes en cours dans les secteurs de la jeunesse, de l’éducation, du social, du sport et de tout ce qui fait lien dans notre société. Il est plus que jamais nécessaire de prendre soin de la jeunesse. C’est notre projet fondamental. Nous lançons cet appel comme une étincelle, pour qu’elle en allume beaucoup d’autres partout sur les territoires. A nous toutes et tous, de nous en saisir, de rester mobilisés et solidaires. »
Dans Le Monde.fr, l’acteur Philippe Torreton met le doigt où cela fait mal avec juste raison:  »
Cette personne insinue en un élan populiste, que ne bouderait pas Donald Trump, que le monde de la Culture ne serait qu’une niche de gens gâtés qu’il serait grand temps de confronter au réel, afin, dixit, qu’ils se réinventent. Alors que le précédent gouvernement lui a suggéré une économie de quarante millions d’euros et, le doigt sur la couture du pantalon, elle répond qu’elle poussera jusqu’à 82 millions dès 2025,  et de cent millions à l’horizon 2028. Oui, 100 millions d’euros ! C’est-à-dire une amputation à vif de 73 % du budget de la Région consacré à la culture, 75 % de celui réservé au sport et  90 % de celui à l’égalité femmes-hommes. » Tout est dit, et bien dit.

 

Compagnie Loba/Annabelle Sergent
3 boulevard Daviers, 49100 Angers. T. : 02 41 27 36 00.

Festival d’Alba-la-Romaine 2023 ( suite et fin ) Les Josianes, Stek, À tiroirs ouverts, Voyage sur place

Festival d’Alba-la-Romaine 2023 ( suite et fin)

Les Josianes

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Les Josianes © M.D.

Chez Josiane, un café-restaurant avec une façade provençale, c’est gag à gogo. A l’étage, quatre filles courent d’une chambre à l’autre et se montrent aux fenêtres, tels des pantins surgis d’un castelet.
Elles dansent sur La Valse à mille temps de Jacques Brel et s’échappent de la maison en escaladant le mur en rappel…. Elles n’ont pas froid aux yeux et Nuit d’une demoiselle, une chanson coquine de Colette Renard devient leur credo face à l’oppression masculine qu’elles dénoncent comme les premières féministes: leur modèle. Elles nous font rire avec les déclarations machistes d’un avocat, tout en grimpant à la corde lisse, en se tenant en équilibre sur une main et en voltigeant.

Cette « création circo-dansée pour quatre artistes de confession féminine » se décline au pluriel. Dans leurs disciplines respectives, mais avec un brin de nostalgie pour les suffragettes historiques et un regard aigu sur les luttes d’aujourd’hui qu’exprime leur dernière chanson : Canción sin miedo (La chanson sans peur) de Vivir Quintana, une apologie des femmes qui se soulèvent au Mexique… Des filles de Sonora aux femmes armées du Chiapas, contre les viols et féminicides. « Soy Claudia, soy Esther y soy Teresa. Soy Ingrid, soy Fabiola y soy Valeria. Soy la niña que subiste por la fuerza. Soy la madre que ahora llora por sus muertas. Y soy esta que te hará pagar las cuentas. Justicia ! Justicia ! Justicia ! (…) NOS QUEREMOS VIVAS ! Que caiga con fuerza, el feminicida » (Moi, je suis Claudia, je suis Esther, et Thérésa. Je suis Ingrid, Fabiola, et Valeria. Je suis la jeune fille bat. Je suis la mère qui pleure ses mortes. Je suis celle qui te fera payer la facture. Justice ! Justice ! Justice ! Nous voulons vivre: A bas les féminicides.)
La compagnie Josianes est née en 2020, quand le cirque croisa le chemin de la danseuse Julia Spiesser. Elle réunit des artistes, venues chacune d’un pays différent et qui, intrépides, se battent pour leurs idées
en affirmant leur féminité.

Stek par le collectif Intrepidus

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Les clowns sont souvent tristes mais ceux-ci n’ont pas de vague à l’âme. Clochards célestes tout droit surgis d’une grande poubelle, en beaux diables multicolores, ils n’ont pas peur de se cogner à la vie.
Et quand ils tombent, ils se relèvent illico pour mieux s’étaler ou se prendre dans la figure, le couvercle d’une poubelle qu’ils trimballent partout comme une malle aux trésors, à la recherche du stek.
Ce graal est  à griller sur un barbecue trouvé dans une décharge, décor de cette comédie foutraque qui finit par des glissades carnavalesques sur le plateau inondé par maladresse. Pantalons trop courts et vêtements trop longs en haillons ne les empêchent pas de se bagarrer  ou d’être complices quand il s’agit de partager la nourriture.
Analia Vincent, la seule fille du clan, n’a pas froid aux yeux face aux jongleurs Ottavio Stazio et Mario De Jesus Barragan et au clown Léo Morala. Intrépidus, ce nom de collectif va comme un gant à cette fine équipe de cascadeurs sortis de l’école du Lido à Toulouse. Rire garanti. Et petite émotion, quand ils enterrent leur costume de clown, comme une relique d’un autre âge….

Comedia Bonita de et par le duo Bonito

Un spectacle musical nous entraine dans l’intimité d’un couple où l’amour à la longue dérape en petits agacements mutuels. Lui s’énerve quand, avec son accent espagnol, elle déforme les mots.
Et elle est dépitée quand il refuse de répondre à ses câlins en public… Qui aura le dessus? Ces petits différends scellent une complicité inoxydable entre la dynamique Raquel Esteve Mora qui, après l’école Jacques Lecoq, a rejoint Les Nouveaux Nez et l’imperturbable Nicolas Bernard, un des fondateurs de cette compagnie de clowns. Avec des chansons écrites sur mesure aux paroles agiles à la Raymond Devos, un chien savant rigolo et patient tiraillé entre ses deux maîtres, le duo Bonito expert en gags physiques et verbaux, nous amuse et nous émeut. Du clown comme on aime.

 

A Tiroirs ouverts, de et avec Quentin Brevet, mise en scène de Johan Lescop

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A tiroirs ouverts © Patricia Lopez

Quelques planches, une table, des tabourets. L’artiste examine, dubitatif, ce décor de fortune planté sur une petite estrade. Un mobilier qu’il déplacera au gré de ses jongleries, pour infléchir les trajectoires et rebonds des balles capricieuses.

Les objets ne lui obéissent pas toujours et le plateau regorge de chausse-trappes. Maladroit de nature, il trébuche mais se rattrape… En fond sonore, quelques notes qu’il joue sur une clarinette pas toujours obéissante, elle aussi. Mais pour finir, ce solo jonglé et burlesque nous réserve la surprise d’un équilibre précaire parfaitement réussi…

Quentin Brevet compose un personnage de rêveur éveillé poétique et séduisant, mais sous ses airs benêts d’une grande dextérité

 

Voyage sur place de et par Alain Reynaud, mise en scène d’Alain Simon

Dans ce « solo théâtral et autobiographique », l’acteur-clown quitte Félix Tampon, son personnage de scène, pour nous raconter ses souvenirs d’enfance à Bourg Saint-Andéol dont il est parti pour y revenir avec, «d’un côté, avec la casquette de directeur de la Cascade et de l’autre,  avec un chapeau de clown».

Ici, il se fait conteur et nous fait partage la saveur d’une enfance heureuse à l’ombre bienveillante de ses parents qui tiennent une menuiserie au quartier de Tourne et qui ont ouvert un cinéma pour meubler leurs loisirs. »
« C’était avant l’invention de la pédagogie, avant l’ère Dolto », dit-il, en évoquant la sévérité du père, la rigueur des instituteurs… Attiré depuis toujours par les flonflons de la fanfare et les paillettes des majorettes, il devient tambour dans l’harmonie municipale et éprouve son premier  « grand trac » avant de jouer « le roulement des morts », à la cérémonie du 11 novembre. Il se voit déjà en clown : « Je voulais être un personnage. » Et il le deviendra.
Sans effets de manche mais avec malice, Alain Reynaud nous emmène dans la France profonde des années soixante-dix, avec ses souvenirs où chacun trouvera une part d’enfance…

Mireille Davidovici

Comedia Bonita  le 30 juillet, Un dimanche en été, à Porcieu-Amblagnieu (Isère).

Festival d’Alba-la-Romaine, du 11 au 16 juillet.

La Cascade, Pôle national-Cirque, 9 avenue Marc Pradelle, Bourg Saint-Andéol. T. : 04 75 54 40 46.

Festival d’Alba-la-Romaine 2023 : Brèves Tempêtes et Furieuse Tendresse

Festival d’Alba-la-Romaine : Brèves Tempêtes et Furieuse Tendresse

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Brèves Tempêtes © Daniel Michelon

 Toujours aussi assidu, le public revient chaque année, nombreux et ravi des propositions atypiques qu’offre cet événement voué depuis 2009 aux arts du cirque, sous la gouverne des Nouveaux Nez, une compagnie qui venait alors d’ouvrir La Cascade- Pôle national des arts du cirque, à Bourg- Saint-Andéol.

«Ce festival s’écrit au fil des ans comme un scénario qui met en scène les humains dans un paysage… » dit Alain Reynaud, le directeur du festival et de la Cascade. Les spectacles ont investi les ruines bucoliques du théâtre romain et, au cœur du village, la salle des fêtes, la cour d’école, les places publiques, une prairie au bord de l’eau, jusqu’aux contreforts d’un pic volcanique… « On prend les lieux comme ils sont, avec le moins d’éclairages et de technique possibles», dit Marie-Odile Roux, la secrétaire générale.
Le public peut déambuler d’un lieu à l’autre à la découverte d’Alba-la-Romaine. Parmi ses 1.200 habitants, près de 170 bénévoles, travaillent  à l’entrée du parking, à la billetterie, au bar, à la cuisine, ou à l’accueil des artistes et des journalistes qu’ils accueillent chez eux… Ils viennent en appui des équipes professionnelles mobilisées pour une quinzaine de spectacles pendant une semaine, du matin au soir. ».
Ce
festival, c’est aussi des spectacles gratuits, (deux par jour)  des initiations au trapèze, à la danse, aux échasses, dans un espace convivial: Le Carbunica sous de grands arbres. Au bar, ou à la roulotte des glaces, on paye en carbus, une monnaie du nom d’un antique cépage local.

La programmation s’articule autour du clown, dans le sillage des Nouveaux Nez. « On n’est pas dans l’événementiel mais dans le résultat du travail de territoire à l’année que mène La Cascade, dit Alain Reynaud. Au cirque, il n’y a pas de vedette, et cela touche tout le monde. »
Nous avons pu voir en deux jours neuf spectacles, certains en création mais tous à guichet fermé. Petites formes ou grandes fresques ont tous une dose d’humour. Et si certaines abordent les versants sombres de notre humanité, la bonne humeur reste au rendez-vous. À commencer par les spectacles grand format sous le chapiteau et au théâtre antique.

Brèves tempêtes, mise en scène d’Alain Reynaud et Eric Louis, par le collectif T.B.T.F.

 Une création in situ, issue d’une résidence de ce collectif à La Cascade. Du sur-mesure pour le théâtre antique, avec vingt artistes qui ont élu domicile à Bourg Saint-Andéol, sous l’aile protectrice d’Alain Reynaud. Il vient d’ouvrir un espace d’entraînement dans une ancienne chapelle (voir Le Théâtre du blog), dans ce Pôle national-Cirque.

Les artistes se présentent et racontent comment ils se sont rencontrés dans leur quartier, au collège, ou dans des écoles ce cirque, et comment, de fil en aiguille, ils se sont rassemblés pour faire ce spectacle qui scelle leur collaboration. Un historique mis en scène avec grâce, comme une ronde ininterrompue.
Suivront, en une heure vingt, des numéros qui s’enchaînent, se superposent en un mouvement perpétuel. Figures au mât chinois, en solo, à deux ou à trois, avec Mahé Nithardt, Bernadette Favre, Rémi De Carvalho. Se succèdent au cerceau aérien Inès Arabi, et  Elisa Bitschnau au trapèze fixe, Mara Procacci ou Réhane Arabi à la corde lisse. Aïna Duc sur tissu est aussi clown à ses heures….
Yannis Gilbert, Justin Collas, Arthur Amouroux et Timothée Aïna Meiffren se propulsent dans les airs et d’autres comme Sophie Nusbaumer, Xavier Mermod, Calou Raisse se livrent à des acrobaties en cascades, mains-à-mains et jeux icariens.
Ambroise Donnier tourne sur son mono-cycle et Timothée Vincent dans sa roue Cyr. L’élégant Ricardo S.Mendes jongle avec ses balles jaunes et l’amusant Juri Bisegna Minder avec ses chapeaux dont il coiffera ses camarades.

Ici, personne ne cherche à tirer son épingle du jeu et tous échangent leurs pratiques, dansent, chantent, se succèdent au piano ou à la batterie… Il se passe toujours quelque chose de joyeux et poétique sur le plateau construit en format panoramique le long du mur d’enceinte romain. Pendant que certains travaillent, d’autres prennent du repos en composant de jolies scènes d’ensemble, attablés en fond de scène ou assis sur un canapé.

Ces chassés-croisés, solos, duos, trios et scènes de groupes dans une grande fluidité, sont portés par une énergie commune revendiquée : « Nous nous réunissons avec l’envie d’explorer les arts vivants. De culture, disciplines et formations différentes, nous mettons en commun nos connaissances et parcours au profit de la création. »Au sein du collectif T.B.T.F., existent plusieurs entités avec différents projets artistiques. Ces brèves tempêtes soulèvent un vent prometteur.

Furieuse Tendresse, mise en scène de Sara Desprez et Angelos Matsakis, par le Cirque Exalté

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Furieuse Tendress © Cirque exalté

Portés acrobatiques, danse, BMX flat-land, jonglerie, trapèze ballant:    annonce la nouvelle création du Cirque Exalté. Sous la houlette d’un cycliste déguisé en coyote sur une B.M.X. (Bicycle Moto Cross), une meute tourne autour du chapiteau, au dos des spectateurs, sur une coursive spécialement conçue…
Ce mouvement circulaire imprègnera tout le spectacle. En piste, l’homme-coyote sur sa monture fait des équilibres, sauts et retournements sur des repose-pieds à l’arrière du vélo et sur la fourche avant. Et ses partenaires se rassemblent pour des portés acrobatiques très audacieux. Sarah Desprez et Maria Jesus Penjean Puig s’envolent sur les épaules de leurs porteurs, avec sauts et  puissants mains-à-mains… Angelos Marsakis jongle avec grâce, tout en tournoyant, jupe et cheveux au vent.

Une voix demande : « Connectez-vous au sauvage qui est en vous. » Placé sous le totem ambivalent du coyote, ce spectacle, accompagné par la musique répétitive de Romain Dubois veut être «un rituel inventé de toutes pièces par des gens qui prennent le temps de fêter leur vulnérabilité, pour toujours se souvenir qu’elle fait partie de leur humanité.»
L’animal souvent appelé chien sacré par les premières nations d’Amérique est, selon la mythologie, rusé et farceur. Il a mis la pagaille dans les étoiles au moment de la création du monde et est aussi un puissant sorcier et guérisseur.

Foutoir Céleste porte bien son titre: Sara Desprez sur son trapèze ballant s’envole au firmament du chapiteau. Toujours plus haut, toujours plus risqué. « J’ai peur d’avoir peur d’avoir peur d’avoir peur.», dit-elle après cette performance qui nous a donné des frissons.

Une cérémonie giratoire où s’enflamment les énergies jusqu’au paroxysme et qui célèbre un cirque où chacun affronte le danger et ensemble le partage, entre artistes et avec public.

Le Cirque Exalté, fondé en 2009 par Sara Desprez et Angelos Matsakis est installée au Mans et ici, c’est leur quatrième création, après Complètement Swing ! (2010) Furieuse Tendresse (2014) Coyote ( 2018) et Amants (2020).  Àne pas manquer.

Mireille Davidovici

Festival d’Alba-la-Romaine du 11 au  16 juillet.

Foutoir Céleste
, les 15 et 22 septembre, Village de cirque, Pelouse de Reuilly, Paris (XII ème)

La Cascade, Pôle national Cirque, 9 avenue Marc Pradelle, Bourg Saint-Andéol. T. : 04 75 54 40 46

Escapade, soirée théâtrale hors-les-murs par Bonlieu -Scène nationale d’Annecy

Escapade, soirée théâtrale hors-les-murs par Bonlieu-Scène nationale d’Annecy

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Manolo Théâtre du Centaure © M. D.

Une échappée belle au bord du lac, imaginée par l’équipe de Bonlieu et Les Jardins EnChantés dirigés par Blaise Merlin.  Avec une trentaine d’artistes, musiciens, circassiens, chanteurs… dans les vastes jardins de l’Europe, face au lac. Sur les pelouses et sous les lampions suspendus aux arbres centenaires, des tables accueillent les familles en pique-nique.
Plus de six mille personnes ont assisté à cette soirée gratuite qui clôt la saison théâtrale et ouvre l’exposition d’œuvres contemporaines en plein air Annecy Paysage, tout l’été dans les parcs.

Cette version plus modeste de La Grande Balade du Semnoz en 2020 (voir Le Théâtre du blog), se déroule en partie dans les frondaisons où des musiciens perchés sur des nacelles, donnent un concert. Hissés dans les branches avec cordes et poulies, ils jouent à tour de rôle pour éviter la cacophonie et nous emmènent dans des univers sonores contrastés :les étonnantes polyphonies, chants, et percussions des Pygmées Aka  du Congo alternent avec les solos lancinants de kora du Sénégalais Abdou Kouyaté, et les airs soufis du Palestinien Abo Gabi.

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Chant pygmées Aka © Yannick Perrin

Mais aussi le Trio Unio de Grenoble avec Armande Ferry-Wilczek (chant), Juliette Rillard (chant) et violon), Elise Kusmeruck (chant et violon).
Les mélodies grecques et orientales de Dafné Kritharas et Paul Barreyre, les chants flamenco de Paloma Pradal (Espagne), le duo occitan Duò Lavoà Lapò  de Manu Théron et Damien Toumi, les chants d’Italie du Sud par Eléonora Petrulli, et le chanteur basque Julen Achiary..

Nous avons aussi vu Manolo, l’acteur-centaure sur son cheval noir au bord du lac, suivi par le public surpris et par Anwar Khan, le percussionniste du Rajahstan qui l’accompagnait dans son récent spectacle Animal.

 

Nous avons aussi retrouvé aussi Les Filles du Renard Pâle, cette fois pas sur un fil mais dans une roue giratoire où Noa Aubry tourne élégamment, accompagnée par Johann Guillon à la guitare.

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Les filles du renard pâle© Yannick Perrin

Cet agrès fait partie du prochain spectacle de la compagnie en résidence de création à Annecy, troisième volet de la trilogie de la funambule Johanne Humblet, artiste associée à Bonlieu depuis 2021. Après Résiste et RespireRévolte ou Tentatives de l’échec, mettra en scène cinq artistes, circassiennes, danseuses et musiciennes : elles iront jusqu’au bout quitte à échouer, et à recommencer inlassablement pour suivre le fil de la liberté « face à la déraison, gangrène sociale, y a-t-il d’autres possibilités ? Et si elles vont jusqu’à l’effondrement, ce sera le poing levé ! »

 

Nous assistons aussi à Desorden, une performance de dix-huit minutes duo pour patins à roulettes batterie. Justine Berthillot, juchée sur des rollers luminsecents élégante sous des éclairages violets, se lance, après quelques tours de pistes apaisants, dans des figures acrobatiques et équilibres précaires. Elle glisse, chute après de grands écarts périlleux, mais se relève avec grâce, sous l’impérieux diktat du batteur Xavier Roumagnac. Révolte et soumission se succèdent chez Justine Berthillot sous l’emprise de la musique, mais elle aura le dernier mot, quand les sons et mouvements se fondent en une commune énergie. Une artiste à suivre.

 Ce menu de qualité invitera-t-il les gens à entrer dans la Scène Nationale ? La prochaine saison a été programmée par Salvador Garcia, avant de quitter Bonlieu après vingt-six ans à sa tête, et par Géraldine Garin qui en assure la direction par intérim. En attendant une nouvelle nomination l’année prochaine….

 Mireille Davidovici

 Le 8 juillet, dans le cadre d’Annecy-Paysage.

Bonlieu-Scène nationale, 1 rue Jean Jaurès, Annecy (Haute-Savoie) T. : 04 50 33 44 11.

Festival Théâtre de verdure au jardin Shakespeare Hamlet de William Shakespeare, traduction d’Yves Bonnefoy, mise en scène d’Audrey Bonnet

Festival Théâtre de verdure au jardin Shakespeare

 Hamlet de William Shakespeare, traduction d’Yves Bonnefoy, mise en scène d’Audrey Bonnet

Au cœur du Bois de Boulogne à Paris, le jardin du Pré Catelan accueille un festival pluridisciplinaire et tout public. Ce lieu inauguré en 1856 et alors baptisé “Théâtre aux fleurs“,  devient à la fin du XIX ème siècle un haut lieu de la création théâtrale et musicale, où, entre autres, Claude Debussy se produisait régulièrement.
En 1952, Robert Joffet, conservateur en chef des jardins de Paris, le transforme en “Jardin Shakespeare“. En hommage au dramaturge anglais, il plante, à l’entrée, la forêt des Arden, clin d’œil à
Comme il vous plaira. À droite, des espèces d’arbres méditerranéennes pour rappeler de La Tempête et à gauche, la lande écossaise de Macbeth.
Derrière la scène, la forêt féérique du 
Songe d’une nuit d’été et, allusion à Hamlet, un saule pleureur en souvenir d’Ophélie et de la rivière où elle se noiera.

En 2021, Lisa Pajon et Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre, avec leur compagnie Le Théâtre Irruptionnel, prennent la direction du festival et mettent en avant la création contemporaine. Cette année, le Théâtre de Verdure revient à ses sources shakespeariennes avec une mise en scène d’Hamlet par Audrey Bonnet, qui fourmille d’inventions.

 

@Mireille Davidovici

@Mireille Davidovici

Dans une vaste prairie entourée de bois, seule élément de décor,  une grande table qui servira d’accessoire aux nombreux tableaux de la pièce. Dans les buissons, passe un coureur en chaussettes orange fluo. «Il ressemble au roi.» dit un Garde. C’est le fameux fantôme du roi Hamlet !

Le souverain de Danemark est mort. On dit qu’un serpent l’a piqué. Mais son fils, Hamlet, rencontre le fantôme de son père qui lui apprend qu’il a été empoisonné par son propre frère, Claudius. Lequel est devenu roi à sa place…Cet oncle du prince, a, comble du crime, épousé Gertrud, sa belle-sœur et donc, la mère du jeune prince Hamlet.

Lui, insouciant et amoureux d’Ophélie, devient alors  un être ombrageux, hanté par un besoin de vengeance et une troupe d’acteurs l’aidera à accomplir sa tâche! Entre temps, Ophélie se sera noyée, au grand dam de Polonius, son père et premier ministre, et de Laertes, son frère, qui provoquera Hamlet en duel… Et tout finira dans un bain de sang.  

Les metteurs en scène opèrent depuis quelques temps l’inversion des rôles entre hommes et femmes, et on a vu récemment Anne Alvaro en Hamlet (voir Le Théâtre du blog).
Ici,
huit comédiens incarnent tous les personnages, indifféremment homme ou femme, et quatre jouent aussi celui d’Hamlet : « Et s’il y avait plusieurs Hamlet ? dit Audrey Bonnet. Si les actrices et les acteurs se passaient le témoin de cette figure sans contours? Des athlètes de la parole pris dans l’élan d’un relais, plusieurs énergies, plusieurs visages, plusieurs sensibilités pour se laisser traverser par des possibles. »

Le passage de rôle de l’un à l’autre se fait à vue, de manière ludique, et chaque interprète donne une couleur différente au prince ténébreux.  Tantôt simulant la folie, tantôt cynique, voire auteur et metteur en scène d’un spectacle où il cherche à dénoncer le crime de son oncle et de sa mère.

Les mots de Shakespeare, dans la prose cadencée d’Yves Bonnefoy, prennent ici toute leur ampleur et la metteuse en scène, sans trahir la pièce, apporte fantaisie et humour à ces personnages théâtraux devenus mythiques, avec d’amusants anachronismes.
Rosencrantz et Guildenstern, anciens condisciples d’Hamlet et hommes de main de Claudius, font un match de ping-pong avec le prince Hamlet. Notre héros dira sa fameuse tirade : « Être ou n’être pas, c’est la question» sans emphase et avec le plus grand naturel, tout en installant le décor du drame qu’il a imaginé avec la troupe d’acteurs ambulants.
Et les instructions qu’il leur donne s’adressent aussi à ceux qui jouent devant nous : « Ne soyez pas non plus trop longs et trop guindés, fiez-vous plutôt à votre jugement et réglez le geste sur le parole et la parole sur le geste. »

De bonnes indications auxquelles se tiennent Clara Pirali qui joue Gertrud avec sobriété et qui est un Horatio affectueux. Mathieu Genet est le fantôme sportif du roi mais aussi Guildenstern ; Lisa Pajon nous étonne en Laertes et donne une certaine rugosité à son Hamlet, Julie Pilod joue un des hommes de la garde et un Hamlet plus introspectif. Mélody Pini (Ophélie) chante avec grâce . Nicolas Senty passe d’Hamlet à Rosencrantz, Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre est un Polonius loquace à souhait. Mais nous avons moins apprécié le jeu monocorde de Carles Roméro-Vidal (Claudius).

Porté par la musique originale de Nicolas Delbart, cet Hamlet a de jolis moments. Il y a une bonne direction d’acteurs  et Audrey Bonnet utilise au mieux ce décor naturel pour composer des images sur le vif. Nous profitons aussi de la liberté joyeuse des acteurs.
Mais, à la première, l’ensemble est décousu avec de nombreux temps morts et longueurs. Il faut espérer qu’au fil des représentations, le spectacle trouve enfin son rythme..

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 30 juin au Théâtre de Verdure. Jusqu’au 29 juillet, à 20 h 30.Bois de Boulogne, allée de la reine Marguerite, route de Suresnes, Paris (XVl ème). T. : 06 63 03 72 36.

Le Théâtre de Verdure fait son festival: jusqu’au 10 septembre avec des spectacles tout public, des lectures notamment par des acteurs de la Comédie-Française. Mais aussi  des concerts… Et Les Irruptionnantes (spectacle gratuit)

  https://letheatredeverdure.com/infos-pratiques-le-theatre-de-verdure/

Montpellier danse 2023 (suite) Black Lights, chorégraphie de Mathilde Monnier

Montpellier danse 2023 (suite)

Black Lights, chorégraphie de Mathilde Monnier

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© M. Coudray

« Quand j’ai lu ce recueil, le déclic s’est fait », dit la chorégraphe, adaptant ici des textes issus d’H24, commandés pour une série diffusée sur Arte en 2021. Vingt-quatre autrices ont écrit de courts scénarios sur les violences faites aux femmes, des plus quotidiennes ou insignifiantes, aux plus dramatiques. A partir de faits réels, lus, entendus ou vécus.

« La danse peut faire quelque chose en plus que le cinéma, dit Mathilde Monnier. Elle produit du récit qui dit autre chose de ces corps. » Bâti sur neuf de ces textes, choisis pour leur qualité orale, Black lights comme son titre l’indique, apporte de la lumière à la noirceur de la condition des femmes.

Ces histoires au féminin sont portées par huit danseuses ou comédiennes. On les voit gisant  sur le plateau parmi des souches calcinées, dans d’étranges postures. Ces corps déformés et désarticulés, rampent péniblement, les pieds enfermés dans des chaussures à talon. Elles se libèreront progressivement de ces attributs contraignants pour danser en liberté. Ce que racontent leurs mouvements va à l’encontre des récits que nous entendons au fil de la pièce. Seules -mais les autres toujours à leur écoute- elles sont un chœur en marche.

«  Il y a quelque chose qui ne va pas. Qui ne passe pas.» : une remarque sur sa coiffure, déplacée de son patron, dit l’une d’elles qui prend conscience du sexisme ordinaire (Le Chignon d’Agnès Desarthe). Faits anodins comme le diktat des talons hauts dans 10 cms au-dessus du sol  d’Alice Zeniter romancière et dramaturge; harcèlements dans Mon harceleur de Lize Spit, mais aussi le témoignage poignant d’un féminicide : Je brûle de la romancière grecque Ersi Sotiropoulos…

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© M. Coudray

Chacune se fait ici la porte-parole des femmes évoquées par les autrices de H24 mais, pour Mathilde Monnier, « la question de la victimisation n’est pas une assignation » et elle veut mettre à jour la force de résistance et de résilience de ses sœurs, à travers une action collective au plateau. A contre-courant des textes, la danse et le corps prennent le relais et mettent les mots à distance et, sans faire l’économie de la colère ou de l’émotion, apportent humour et dérision. Ils disent aussi la capacité du deuxième sexe à se reconstruire.

«Le corps est mon sujet, le mouvement est mon objet, dit la chorégraphe». Certains reprocheront à Black Lights un trop plein de paroles et une scénographie pauvrette. Ici, les mots priment sur la danse mais évitent le misérabilisme et la plainte, trop souvent entendus par les temps qui courent.

Et le but n’est-il pas de faire passer le message ? «N’hésitez pas à vous emparer de ces paroles, elles sont fortes, ce sont les vôtres», écrit l’une des réalisatrices dans la préface d’H24. Mathilde Monnier la prend au mot, avec Isabel Abreu, Aïda Ben Hassine, Kaïsha Essiane, Lucia García Pulles, Mai-Júli Machado Nhapulo, Carolina Passos Sousa, Jone San Martin Astigarraga et Ophélie Ségala. Elles nous rappellent qu’en France, cent-vingt-deux femmes ont perdu la vie en 2021, sous les coups de leur conjoint, ou ex-conjoint.

Comme d’habitude, la chorégraphe, autrice d’une quarantaine de pièces, nous surprend, par ses positions en lien avec, entre autres, « l’être ensemble », le rapport à la musique, la mémoire: elle collabore avec des artistes et penseurs comme Jean-Luc Nancy,  Philippe Katerine, Christine Angot, La Ribot, Heiner Goebbels….Trente-quatre de ses créations ont été présentées au festival de Montpellier, ville où elle est accueillie en résidence à la Halle Tropisme.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 22 juin Théâtre de l’Agora à Montpellier.

Montpellier Danse se poursuit jusqu’au 4 juillet, 18 rue Sainte-Ursule, Montpellier (Hérault). T. : 04 67 60 83 60.
Du 20 au 23 juillet, Festival d’Avignon .

Du 30 novembre au 2 décembre, Théâtre de la Cité Internationale, Paris ( XIV ème).

Le 17 et 18 janvier, La Comédie, Clermont-Ferrand (Puys-de Dôme); Les 26 et 27 janvier, T.P.R., La Chaux-de-Fonds (Suisse).

Les 7 et 8 février, MC2, Grenoble ( Isère) ; le 22 février, Théâtre des Salins, Martigues ( Bouches-du-Rhône).

Du 20 au 23 mars, Les Subs, Maison de la Danse, Lyon.

Du 4 et 5 avril, Le Quartz, Brest.

 

Dans le cadre de l’exposition Naples à Paris Les Fantômes de Naples, mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota

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Devant La Flagellation du  Caravage :  Les Fantômes de Naples©JeanLouisFernandez 


Dans le cadre de l’exposition Naples à Paris

 Les Fantômes de Naples, mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota

Pour le première fois, le Louvre s’associe à deux institutions : le théâtre de la Ville à Paris et le Teatro della Pergola de Florence, pour un spectacle autour d’une exposition. «Un musée, dit Laurence des Cars, présidente-directrice du Louvre, est un lieu qui doit aussi parler de musique, théâtre, danse… Et cette maison est faite pour cette polyphonie. »
Luc Bouniol-Laffont a été nommé directeur de l’Auditorium et des spectacles, pour retrouver un public de proximité : «Cet été, le spectacle vivant sera partout présent avec  Les Étés du Louvre, sous la Pyramide, dans les cours, et dans le jardin des Tuileries.» Et en plus des événements autour de Naples à Paris, il y aura un vaste programme de cinéma, musique, etc.

Le Musée Capodimonte a été invité à exposer ses chefs-d’œuvre, aux côtés de ceux déjà présents dans les galeries italiennes du Louvre. Comme les portraits d’Il Parmigianino, La Flagellation du Caravage.

On pourra découvrir la surprenante composition géométrique d’Atalante et Hippomène de Guido Reni. Et aussi la férocité de cette Judith décapitant Holopherne d’Artemisia Gentileschi, une peintre admirée par les  féministes.Violée par son précepteur  et marquée par le procès qui s’ensuivit, elle dénonce dans ce tableau, comme dans nombre de ses œuvres, la violence masculine exercée sur les femmes.

Les Fantômes de Naples

Emmanuel Demarcy-Mota a imaginé une soirée en deux temps, avec d’abord une «déambulation poétique», où des comédiens italiens et français disent aux visiteurs de la Grande Galerie du Louvre de courts poèmes en lien avec les peintures… Ensuite un spectacle dans la cour Lefuel, autour d’Eduardo De Filippo (1900 1984)  dont il a récemment mis en scène La Grande Magie (voir Le Théâtre du Blog). Le « Molière italien », auteur, comédien et metteur en scène, a signé plus d’une trentaine de pièces, films et poèmes , la plupart en napolitain.

Cette cour du Louvre, exceptionnellement ouverte au public, est un décor prédestiné au spectacle et accueillera bientôt le Ballet de Lorraine avec Static Shot de Maud Le Pladec (voir Le Théâtre du Blog). Edifiée sous le Second Empire, elle s’appelait Cour des écuries et servait d’accès à la Salle du manège avec une double rampe majestueuse en fer à cheval et des sculptures en bronze d’un chien, d’un sanglier et deux loups.

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Les Fantôme de Naples  ©Jean- Louis Fernandez

Parfait écrin pour ces Nuits de Naples où des interprètes français et italiens, jouent des extraits de pièces d’Eduardo De Filippo, de La Tempête de William Shakespeare traduit par lui en napolitain. Mais aussi un extrait de Six personnages en quête d’auteur de Luigi Pirandello dont Eduardo De Filippo fut l’ami.

Filippo d’Allio, Arman Méliès et Aniello Palomba accompagnent à la guitare des airs napolitains chantés par Ernsto Lama et Lina Sastri et Francesca Maria Cordella, comédiennes qui travaillèrent toutes les deux avec Eduardo De Filippo. Francesco Cordella, en Pulcinella, fait une démonstration de commedia dell’arte. 

Parmi les acteurs du Théâtre de la Ville, Marie-France Alvarez, Valérie Dashwood, Philippe Demarle, Sarah Karbasnikoff, Serge Maggiani …

En musique, avec les bruits de la mer et de la ville en fond sonore, cette invitation poétique au voyage, en français et en napolitain, bien qu’un peu laborieuse, ouvre les festivités autour de Naples à Paris, qui se poursuivront à l’automne avec théâtre, danse, cinéma et concerts…

 Mireille Davidovici

Les Fantômes de Naples, jusqu’au 3 juillet, Musée de Louvre, Paris ( Ier).

Static Shot 10 et 11 juillet 22 h Et 23 h 

Les Etés du Louvre,  jusqu‘au 20 juillet, Pyramide du Louvre. T. : 01 40 20 53 17.

Montpellier Danse (suite) Into the Hairy, chorégraphie de Sharon Eyal

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© Katerina-Jebb

 Into the Hairy, chorégraphie de Sharon Eyal, co-auteur : Gai Behar

«Je ne veux pas voir la chorégraphie, je veux voir la magie. Je veux ressentir et je veux que les gens ressentent ce que je veux leur donner. » dit la chorégraphe israélienne qui pénètre « à l’intérieur d’une chevelure  » pour en démêler le mystère. Cette pièce pour sept danseurs nait de la nuit, d’une obscurité profonde qu’il nous  faut scruter, pour distinguer les corps enchevêtrés.

De lents mouvements animent le groupe sur la musique électronique hypnotique du compositeur anglais Koreless ( alias Lewis Roberts) où se glisseront des notes de musique sacrée. Seuls, les visages et les mains d’une blancheur blafarde, sont éclairés. La lumière spectrale (création Alon Cohen ) sculpte une étrange cérémonie: «J’aime le noir, dit Sharon Eyal. Pour moi, le noir est de la lumière et les danseurs apportent la lumière.» Dans cette pénombre permanente d’intensité variable, le mouvement fait jaillir cette humanité somnambule, habillée paar Maria Grazia Chiuri de Christian Dior-Couture, juste-au-corps arachnéides, fins comme une deuxième peau. Une esthétique raffinée jusqu’au bout des doigts, avec ongles et bijoux, mode« gothique ».

Issue de la Batsheva Dance Company où elle a été interprète, puis chorégraphe et directrice artistique associée, Sharon Eyel développe un style minimaliste, mêlant techniques gaga d’Ohad Naharin et classique, avec un penchant pour le « groove » et l’«underground clubbing culture». Un monde d’où vient aussi Gai Behar qui a lancé avec elle, en 2015,  leur compagnie de danse : L-E-V.

Into the Hairy, comme une œuvre picturale, se compose et se défait en permanence, avec d’étranges postures, silhouettes déformées en figures grotesques ou images allégoriques rappelant un retable : bras en croix, bustes inclinés ou exposés nus, à la manière d’un  Christ…
La chorégraphe demande à ses interprètes un engagement extrême et une tension physique intense pour traduire des états émotionnels par le corps « Je travaille à l’instinct, je mets la peau de mon âme à nu, dit Sharon Eyel.» Telle une armée de l’ombre, les danseuses et danseurs avancent, reculent, se dispersent pour créer d’impressionnants tableaux. «Ce n’est pas un récit mais une expérience, j’ai l’impression de faire du cinéma. »

Nous recevons Into the Hairy comme une toile de maître. En répétitions, Sharon propose images et mots qui stimulent l’imagination : « Deep into the hairy. Dirty and gentle. Broken. Alon. Alone. Alone. Alone. Deeper. Stronger. Weaker. SAdder. More alone. Hole….  » (Profond dans la chevelure… Sale et doux. Brisé. Seul. Seul. Seul. Plus fort. Plus faible. Plus triste. Plus seul. Plus profond. Vide ) … »

Dans ses trois pièces précédentes, OCD Love, Love Chapter 2 et The brutal Journey of the heart, il s’agissait d’amour.
Ici, nous touchons au cœur d’une intimité tribale en forme de rituel ésotérique qui exige du public, comme des artistes, une grande concentration. Il faut aller découvrir cette artiste qui projette d’installer sa compagnie en France. A côté de leurs pièces réalisées à la L-E-V, Sharon Eyal et Gai Behar en créent d’autres pour le Nederlands dans Theater, le Ballet royal de Suède et le Göteborgs Operans Danskompani….

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 22 juin à l’Opéra-Comédie de Montpellier.

Montpellier-Danse se poursuit jusqu’au 4 juillet: 18 rue Sainte-Ursule, Montpellier (Hérault). T. : 04 67 60 83 60.

Du 30 juin au 3 juillet, Festival de Spoleto, (Italie) ; 6 au 8 juillet, Julidans, Amsterdam (Pays-Bas).

Du 17 au 20 août, Festspiele, Salzburg (Autriche).

Du 5 au 7 octobre, Théâtre des Louvrais, Cergy-Pontoise (Val d’Oise; le 17 octobre, Stadsschouwburg, Bruges (Belgique) ; du 20 au 22 octobre, Internationaal kunstcentrum deSingel, Anvers (Belgique) et du 26 au 28 octobre, Dampfzentrale, Berne (Suisse).

Les 11 et 12 novembre, Wiesbaden, (Allemagne).

Le 24 novembre, Festival de danse, Cannes.

Festival Montpellier Danse: Annonciation/ Torpeur/ Noces, chorégraphies d’Angelin Preljocaj

Festival Montpellier Danse: Annonciation/Torpeur/ Noces, Chorégraphies d’Angelin Preljocaj

Pour ouvrir ce festival, une création, Torpeur et les reprises d’Annonciation et Noces par cette compagnie avec aujourd’hui, trente danseurs permanents. Un parcours dans l’œuvre de l’artiste , auteur d’une soixantaine de pièces, du solo aux grandes formes, dans un style résolument contemporain, alternant fresques narratives et projets plus abstraits. Nous avons ici un belle sélection qui permet de voir la permanence et les évolutions de son style.

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Torpeur (création 2023) © JCCarbone

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Interprétée par deux danseuses, la visite de l’Ange Gabriel à Marie. Il n’est pas la créature éthérée, le Saint-Esprit qui ensemence la Vierge, mais un être à la gestuelle puissante. Comme un extra-terrestre qui arrive sur une musique vrombissante dans une trainée de lumière rouge, il vient troubler la quiétude de la jeune femme. Assise sur un banc, elle semble attendre dans des postures lentes et épurées, nimbée d’un halo de lumière froide: à l’image de l’iconographie traditionnelle représentant souvent cette scène fondatrice de la religion chrétienne dans un jardin clos, symbole de virginité.

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© JC Carbonne-

L’intrusion bruyante et mouvementée de l’Ange, incarné avec fougue par Clara Freschel (en alternance avec Mirea Delogu) s’apparente ici à une pénétration fécondatrice : d’abord, tout feu tout flamme, comme sorti des Enfers, la créature s’approche avec douceur de Marie (Florette Jager, en alternance avec Verity Jacobsen) , au physique plus frêle qu’elle. Celle-ci tente quelques esquives et pas de côté, mais sera submergée par la gestuelle impérieuse de ce visiteur, sans céder pleinement à son emprise.
Les corps s’effleurent avec pudeur, dégageant une sensualité sereine. Un baiser s’échange, léger comme un souffle… Puis l’Ange disparaît comme il est venu, laissant l’héroïne songeuse sur son banc. La musique limpide de Stéphane Roy (Crystal Music) alterne avec le Magnificat d’Antonio Vivaldi, mariant profane et sacré sous la lumière toujours précise chez Angelin Preljocaj de Jacques Chatelet.

« Qu’est censé ouvrir en nous cet événement ? De nombreux peintres ne cessent d’interroger ce catapultage de symboles antinomiques qu’est l’Annonciation mais ce thème à la problématique si proche du corps est quasi évacué de l’art chorégraphique», écrivait Angelin Preljocaj à la création à Châteauvallon en 1995.
Cette pièce narrative proposée en ouverture du festival et de la soirée, pose la question de la fécondation et induit habillement la métaphore de la création qui s’ensemence des influences et des frictions d’une œuvre à l’autre, et entre artistes.

Torpeur

« La torpeur est un état de corps, entre la sidération, la prostration, la nonchalance, l’abattement, et l’abandon », dit le chorégraphe de sa nouvelle création, dans l’air du temps en ce jour de canicule.

La pièce prolonge l’ambiance pensive d’Annonciation mais démarre en flèche: douze danseurs surgissent des coulisses  en costumes fluides blanc ivoire, flottant dans les contrejours (création lumière Éric Soyer). Sur la musique répétitive de 79Dils se croisent dans des alignements géométriques, des symétries quasi classiques, marchent en agitant bras et jambes, exécutent de petits sauts. Un chœur bourré d’énergie. Puis, cédant à la fatigue, ils suspendent leurs gestes, dans des postures lascives, avec des mouvements de bassin alanguis : la bande son s’assourdit en basses percussives. 

Bientôt ils quitteront les tenues évanescentes concoctées par Elenora Peronetti,  et s’étendent au sol dans une nudité relative (slip et soutien-gorge couleur chair), pour s’aligner les uns derrière les autres en un cercle mouvant. Ronde horizontale, où bras et jambes, alternativement levés dessinent une fresque ajourée à la manière de ces ribambelles découpées dans une bande de papier. Cette pièce léchée, élégante, d’une facture classique nous a laissés un peu à la porte. Un peu loin la sensualité recherchée par l’artiste : « Convoquer les corps, l’espace et le temps, pour donner une forme à l’indolence, pour trouver un rythme à la lenteur et peut-être inventer une nouvelle grammaire paresseuse de l’hébétude ». Mais il faut parfois savoir ralentir, surtout avant le tsunami qui va suivre.

 Noces

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© JC carbone

Point d’orgue de la soirée, cette pièce de 1989 nous a sidéré. La musique d’Igor Stravinsky, écrite entre 1914 et 1917 puis finalisée en 1923 pour les Ballets russes à Paris, mise en scène par Nijinska, la sœur de Nijinski, est interprétée ici par Les Percussions de Strasbourg et le Chœur contemporain d’Aix-en-Provence, dirigé par Roland Hayrabediann. Elle est d’une mystérieuse beauté et d’une modernité étonnante. Percussions éruptives aux accents orientaux, voix chaudes des femmes et ténébreuses des hommes, venues des profondeurs des Balkans.

« Aussi loin que remonte ma mémoire, écrivait le chorégraphe à la création, les Noces ont toujours sonné pour moi comme une étrange tragédie (…) La mariée, s’offrant comme une forme renversée d’un rituel funèbre, verserait les larmes en s’avançant vers un rapt consenti. » Dans la tradition slave, (Angelin Preljocaj est originaire d’Albanie) c’est une marchandise qu’on échange. Ici la mariée est déclinée en cinq exemplaires, avec jupe courte virevoltante, jambes galbées dans des bottines noires, face à cinq hommes en chemise blanche et cravate noire.
Comme offerte en sacrifice, l’une des danseuses est amenée,
yeux bandés sur le plateau, et… s’effondre, poupée de son ! Mais elle se relèvera et rejoindra ses compagnes pour une danse athlétique. Les hommes, eux, en rang d’oignon sur des bancs d’école, attendent leur heure. Les couples évoluent ensemble ou séparément, dans un cercle à géométrie variable délimité par les bancs déplacés au gré des séquences.
Ils se déchaînent en bonds, savants jeux de jambes, bras et bustes, glissades et tournoiements, emportés par la musique. Ensemble ou alternativement, hommes et femmes se cherchent, se trouvent, se fuient dans les savants contrejours et clairs- obscurs, lumières chaudes et froides.
Les danseuses  se dédoublent en cinq grandes poupées de chiffon blanc qu’elles manipulent, émouvantes figures de leur aliénation, puis, jetant ces tristes avatars au loin, elle plongent à plusieurs reprises du haut des bancs dans les bras de leur promis, sauts risqués d’une précision extrême, comme le reste de cette folle cérémonie, à la fois joyeuse et funèbre.

Noces restera longtemps imprimé dans nos mémoires, avec cette musique envoûtante qui soulève et anime les corps. Bravo, Mirea Delogu, Antoine Dubois, Matt Emig, Chloé Fagot, Clara Freschel, Verity Jacobsen, Florette Jager, Erwan Jean-Pouvreau, Florine Pegat- Toquet, Maxime Pelillo, Valen Rivat-Fournier, Lin Yu-Hua.Bravo aussi Caroline Anteski pour ses costumes et Jacques Chatelet pour ses éclairages. Aux saluts, le public s’est levé enthousiaste. Il ne faut pas manquer ce florilège qui bénéficie d’une grande tournée.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 21 juin au Corum, Montpellier ( Hérault).

Montpellier Danse se poursuit jusqu’au 4 juillet, 18 rue Sainte-Ursule, Montpellier. T. : 04 67 60 83 60.

 Du 11 au 14 septembre, Pavillon Noir, Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône).

Du 18 au 20 octobre, Opéra de Rouen ( Seine-Maritime) ; du 7 au 10 octobre, Scène Nationale de Châteauvallon, Ollioules (Var).

Du 1er au 3 décembre, Théâtre des Champs-Elysées, Paris. 

 Les 22 et 23 mars, Scène 55, Mougins  ; 26 mars, Théâtre en Dracénie, Draguignan (Var); du 28 mars au 5 avril, Opéra Royal du château de Versailles ,

Le 7 avril, Théâtre de Thionville ; les 26 et 27 avril, Théâtre Jean Vilar, Suresnes ( Hauts-de-Seine) .

Du 16 au 18 mai, Théâtre National de Nice ; le 24 mai, Auditorium, Dijon ( Côte d’Or) ; 20 juillet, Nuits de la Citadelle, Sisteron (Alpes-de-Haute-Provence).

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